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Le Noyer



Étymologie :


  • NOYER, subst. masc.

Étymol. et Hist. 1. a) Ca 1150 « arbre qui produit des noix » peskiers ne periers ne noiers (Le conte de Floire et Blanchelor, éd. J. L. Leclanche, 2028) ; 1487 noyer (Vocab. lat.-fr., Genève, Loys Garbin) ; b) 1382-84 « bois de cet arbre utilisé en ébénisterie » un coffre de noier (Le Compte du Clos des Galées de Rouen, éd. Ch. Bréard, p. 17) ; 2. 1690 « nom donné à divers arbres de genres différents » noyer de Canada (Fur.). D'un lat. pop.*nucarius « noyer », dér. du lat. class. nux, v. noix.


  • NOIX, subst. fém.

Étymol. et Hist. I. 1. 1155 « fruit du noyer » (Wace, Brut, éd. I. Arnold, 13594). 1536 cuisse de noix « un des quartiers de la noix dépouillée de sa coquille » (C. Stephanus, Seminarum ds Roll. Flore t. 4, p. 48) ; 1520 joüer aux noix (G. Michel, Trad. Suetone, II, 85, vods Hug.) ; 1845 marcher comme sur des noix (Besch.) ; 2. ca 1179 « nom donné aux fruits qui ont quelque ressemblance avec la noix » noiz de coudre (Renart, éd. M. Roques, Br. I, 119) ; xiiie s. nois vomike (Régime du Corps de Maître Aldebrandin de Sienne, 55, 21 ds T.-L.) ; 1610 noix de cocos (v. coco1) ; 3. 1901 à la noix « sans valeur » (Bruant, p. 220) ; 4. 1915 « personne stupide » (Benjamin, loc. cit.) ; 1916 vieille noix (Barbusse, Feu, p.116) ; id. face de noix (Id., ibid., p. 34) ; 5. 1931 « petite quantité » (Giono, loc. cit.). II. P. anal. 1. technol. a) ca 1195 « roue avec encoche qui, dans une arbalète, retenait la corde tendue » (Ambroise, Guerre sainte, 3721 ds T.-L.) ; b) 1690 « partie du ressort (des anciennes armes à feu) courbé en demi-cercle » (Fur.) ; c) 1752 « petite poulie d'un rouet à travers laquelle on fait passer l'axe du fuseau » (Trév.) ; d) 1812 menuis. (Mozin-Biber) ; e) 1840 « clef d'un robinet » (Ac. Compl. 1842) ; f) 1908 « charbon » (Ratel, Prépar. mécan. minerais, p. 535) ; 2. a) 1690 « partie du gigot de mouton » (Fur.) ; b) 1762 « petite glande qui se trouve dans une épaule de veau » (Ac.) ; c) 1861 noix de côtelette (Carnet, Le Cuisinier modèle, Paris, Lefèvre, p. 162). Du lat. nux « tout fruit à écale et à amande », « noix », « noyer ».


Lire aussi les définitions de noyer et de noix pour amorcer la réflexion symbolique.


Autres noms : Juglans > Jovis glans - Gland de Jupiter -

Juglans regia - Nouerdier - Anouyé - Gaillier - Goghier - Calotié - Cassotyé - Nouss - Piyon - Nolier - Nouyar - Nouey - Neujaoli - Calongnié -

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Botanique :


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Croyances populaires :


Adolphe de Chesnel, auteur d'un Dictionnaire des superstitions, erreurs, préjugés, et traditions populaires... (J.-P. Migne Éditeur, 1856) propose la notice suivante :


NOIX. En Ecosse, deux jeunes fiancés attachent le présage de leur bonheur ou de leur malheur, à deux noix qu'on fait brûler ensemble dans le feu du foyer, et qui tantôt se consument tranquillement côte à côte, tantôt s'écartent et éclatent en pétillant, selon, à ce qu'on croit, que le ménage doit être paisible ou troublé par les querelles et les brouilles. Si on fait brûler de ce fruit, dit Albert le Grand, qu'on le pile et qu'on le mêle avec du vin et de l'huile, il entretient la chevelure et l'empêche de tomber.


NOYER. On croit généralement qu'il est dangereux de se reposer trop longtemps à l'ombre d'un noyer, à cause de ses émanations qui occasionnent, dit-on, du malaise et des maux de tête ; mais des gens de la compagne contestent aussi cette assertion.

 

Paul Sébillot, auteur de Additions aux Coutumes, Traditions et superstitions de la Haute-Bretagne (Éditeur Lafolye, janv. 1892) relève des croyances liées aux cycles de la vie et de la nature :


A la Madeleine,

Les noix sont pleines.

A la Saint-Laurent,

On fouille dedans.

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D'après Véronique Barrau, auteure de Plantes porte-bonheur (Éditions Plume de carotte, 2012) : avec le noyer "on nage dans le bonheur" :


Le noyer porte-bonheur : En décortiquant une noix, vous avez pu remarquer comme les deux parties de la coque sont soudées et paraissent parfois inséparables. Gageant que ce symbole d'union protégerait leurs amours, les Picards du XIXe siècle plantaient un noyer l'année de leurs noces. Les Anglais souffrant d'affection partageaient quant à eux une noix avec l'être convoité pour obtenir son amour. D'une manière plus globale, le noyer porte bonheur aux habitants qui ont placé à leur porte une ramille ou une croix de ses feuilles, avant l'aube de la Saint Jean.


Gris-gris exceptionnels : Rares sont les noix dont la coque est formée de trois parois. Cette curiosité a valu à ces fruits d'être considérés comme de précieux porte-bonheur en Italie comme en France. Glissée dans une poche, cette noix écarterait la foudre, les maléfices, les maladies et assurerait à son porteur de belles réussites. Attention toutefois à ne pas perdre ce fruit ni à le manger par inadvertance sous peine de grands malheurs.

Tout aussi recherchés étaient les "Saint-Esprit" des noix à trois coques. Ressemblant à un clou, ces éléments sont situés au bout des deux fausses cloisons membraneuses divisant les cerneaux de noix.

Pour les noix classiques, on parle communément de "clou de Bon Dieu", non sans lien avec la croix de Jésus qui était en bois de noyer à en croire les Belges. Ces derniers attachaient néanmoins bien plus de valeur aux "clous" des noix à trois parois. Placer ce "Saint-Esprit" sous son talon gauche ou sa chaussure attirerait en effet chance et argent.


Double peine : "Faire une sieste sous un noyer, vous n'y pensez pas ! Se réveiller avec un mal de têt ou une pneumonie, très peu pour moi.." Les idées reçues ont la vie dure, surtout si elles comportent un zeste de vérité. C'est le cas pour les exhalaisons du noyer qui, selon une croyance encore commune, pourraient indisposer toute personne restant longtemps près de l'arbre. Il est vrai que toutes les parties du noyer contiennent une substance chimique toxique - le juglon - qui empêche certains végétaux de se développer à sa proximité.

Notons toutefois que cette substance est essentiellement présente dans les noyers noirs et les noyers cendrés et elle reste infime chez les noyers communs (dits aussi noyers blancs). D'autre part, les émanations de juglon émises directement par l'arbre ne sont pas nocives pour l'homme.

Venons-en à la deuxième accusée : l'ombre du noyer sous laquelle la tradition déconseille de faire la sieste. Ce ne sont pas les exhalaisons qui sont ici montrées du doigt mais le feuillage touffu de l'arbre procurant une ombre "fraîche". Tout paysan trempé de sueur après avoir travaillé risquait, à raison, de prendre froid par l'écart de température offert par l'ombrage.

Pour ne pas attraper de fièvre, de pneumonie ou de pleurésie, les Français ayant sommeillé sous un noyer lui jetait une pierre ou brisait une de ses branches avant de s'en aller...."

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Symbolisme :


Emma Faucon, dans Le Langage des fleurs (Théodore Lefèvre Éditeur, 1860) s'inspire de ses prédécesseurs pour proposer le symbolisme des plantes qu'elle étudie :


Noyer - Mauvais voisinage.

Ce bel arbre est originaire d'Asie. L'odeur pénétrante qui s'exhale de ses feuilles est malsaine si on la respire longtemps, et nuisible aux végétaux qui peuvent croitre dans son voisinage ou sous son ombrage. Aussi le plante-t-on sur les grandes routes, en avenue, près des clôtures.


Noyer avec des noix (Branches de) — Je serai sérieux.

On sait que les noix servaient autrefois aux jeux des enfants, comme chez nous les noyaux d’abricots. Aussi, à Rome, les jeunes époux, le jour de leur mariage, jetaient des noix au peuple pour annoncer que dès ce jour, ils devenaient sérieux et renonçaient aux jeux de l'enfance. Cette coutume existe encore dans plusieurs contrées du Midi, où l'épousée jette aux spectateurs des noix et des amandes.

 

Selon Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, auteurs du Dictionnaire des symboles (1ère édition, 1969 ; édition revue et corrigée Robert Laffont, 1982),


"Dans la tradition grecque, le noyer est lié au don de prophétie. Un culte était rendu à Artémis Caryatis, qui fut aimée de Dionysos, douée de clairvoyance et changée en noyer, aux fruits féconds.

Quelques glossaires irlandais traduisent le nom d'Eithne, allégorie féminine de l'Irlande, par noix, assimilant l'anthroponyme au substantif eitne. L'étymologie est purement analogique sans valeur linguistique, mais elle fait penser à une conception analogue à celle de l’œuf cosmique ; l'Irlande est en effet un macrocosme en réduction. La noisette est aussi un fruit de science."

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Pour Scott Cunningham, auteur de L'Encyclopédie des herbes magiques (1ère édition, 1985 ; adaptation de l'américain par Michel Echelberger, Éditions Sand, 1987), la Noix a des caractéristiques diverses selon l'arbre d'origine duquel elle provient :


Notre Noix d'Europe, celle que produit le noyer, va être étudiée quelques pages plus loin, dans la fiche concernant cet arbre. Théoriquement, on donne ce nom à un grand nombre de fruits, exotiques pour la plupart, qui ont une enveloppe ligneuse appelée coque ; toutefois, ce même nom commun a servi, à diverses époques, à désigner certains végétaux parfaitement étrangers au genre et que seules des corruptions du langage ont fait entrer dans cette classification. Nous présentons ici au lecteur tout ce qui, à un moment ou à un autre, a été baptisé Noix.

Utilisation magique : Dans leurs pays d'origine, à peu près toutes les variétés de Noix ont la réputation d'attirer la chance et de contribuer à la prospérité matérielle. On les porte sur soi comme talisman ; ou bien, broyées, elles entrent dans des charmes destinés aux vœux d'argent. Les graines que les sorciers utilisent pour ces préparations sont généralement grillées, car elles rancissent vite.


Noix d'acajou : semence de l'anacardier d'Indonésie et d'Amérique du Sud (Cassuvium pomiferum).

Noix d'arec : graine de l'aréquier des Indes (Areca cathecu) que l'on mêlait autrefois avec de la chaux d'huîtres et du bétel ; les hindous mâchaient constamment cette pâte devenue classique.

Noix de bancoul : baie globuleuse, contenant deux semences du bancoulier (Aleurites moluccarum).

Noix de banda : fruit du muscadier (Myristica fragrans).

Noix des Barbades : capsule à trois coques du médicinier cathartique (Iatropha curcas).

Noix de bécima : fruit résineux d'un arbre indéterminé (probablement mythique) de l'Inde, dont on retirait l'huile héroïque, souveraine, assurait-on, contre toutes les formes de peurs et d'angoisses.

Noix de ben : non improprement donné, tantôt au légume long du ben oléifère (Guilandina moringa), tantôt à ses curieuses semences à trois hélices.

Noix du Bengale : noyau fibreux du monbin à fruits jaunes (Spondias myrobolanus).

Noix à bijoux : la plus grosse Noix européenne connue, fruit du noyer de la variété dite Noyer de Jauge (voir ce nom plus loin).

Noix du Brésil : fruit comestible, et commercialisé, de la bertholétie élevée (Bertholetia excelsa).

Noix de canari : fruit d'un arbre résineux des Moluques (Canaris balsamiferum) ; on fait du pain avec l'amande.

Noix de Castor : fruit d'un arbre des rives du Sénégal que les anciens voyageurs n'ont pas su identifier ; aujourd'hui, l'arbre en question est sûrement répertorié par les botanistes, mais personne ne sait plus ce qu'était la « Noix de Castor »...

Noix de coco : enveloppe de l'amande des cocotiers. On donnait aussi ce nom, autrefois, à la semence coriace du knépier de la Jamaïque (Melicocca bijuga).

Noix de courbaril : aux Antilles, on donne ce nom aux semences fibreuses du cour baril diphylle (Hymenoea courbaril).

Noix de cypre : fruit dur et anguleux du cyprès (Cupressus sempervirens) ; on lui donne aussi le nom de Noix de Galbule.

Noix à diamans : variété d'agaric que Vaillant signale dans la forêt de Fontainebleau, et qui a une analogie avec l'Agaricus guttatus de Schoeffer.

Noix d'eau : fruit de la mâcre (Trapa natans).

Noix du frêne : espèce de bolet que l'on trouve généralement sous les frênes ; il a été décrit par Tournefort.

Noix de galle : excroissances formées par la piqûre d'un insecte sur diverses espèces de chênes ; les femmes allaient les toucher pour être enceintes.

Noix de girofle : fruit de l'arbre dont on retire la cannelle giroflée.

Noix de gouron : graine du sterculier à aiguillons (Sterculia acuminata) ; les Noirs du Soudan ont beaucoup utilisé cette Noix dans leurs rituels fétichistes.

Noix d'Inde : non donné par les anciens voyageurs à la Noix de coco et au fruit du cacaoyer (Theobroma cacao).

Noix de jauge : fruit énorme d'une variété de noyer ; cette Noix est grosse comme un œuf de dinde. Autrefois, les parfumeurs mettaient dans leur vitrine des demi-coques de ces Noix géantes, garnies de flacons, de menus cadeaux, de paires de gants, etc. Les bijoutiers faisaient la même chose au moment des fêtes. Souvent on décorait ces coquilles, ou bien on les passait à la dorure.

Noix de kola : autre nom de la Noix de gouron.

Noix de Madagascar : la grande et forte capsule coriace du ravenal (Ravenala madagascariensis).

Noix de Malabar : fruit du sterculier à feuilles entières (Sterculia balanghas).

Noix de marais : un des noms de l'acajou à pommes (Cassuvium pomiferum)

Noix de médecine : tantôt c'est le fruit du gratgal des Antilles (Randia aculeata) ; tantôt celui du médicinier d'Espagne (Iatropha multifida) ; tantôt la capsule hérissée du ricin (Ricinus communia).

Noix de mésange : fruit d'une variété de noyer dit Noyer mésange, ainsi nommé parce que la coque de ses Noix est si tendre que la mésange la perce aisément pour manger la pulpe.

Noix de métel : capsule hérissée de pointes de la stramoine velue (Datura metel) ; on appelle parfois ainsi, par extension, le fruit épineux, dit pomme endormante, du datura stramoine dont nous avons longuement parlé (Datura stramonium).

Noix des Moluques : le Croton moluccarum et le Strychnos nux vomica.

Noix muscade : semence chaude, huileuse et âcre du muscadier (Myristica fragrans), très employée autrefois en sorcellerie guérisseuse, et toujours bien connue comme épice culinaire.

Noix narcotique : on donnait ce nom à plusieurs fruits toxiques du Sud-Est asiatique, principalement à celui de la coque du Levant (Menispermum cocculus).

Noix pacanie : fruit du noyer pacanier.

Noix de para : fruit du laurier pichurin (Laurus pichurim) qui servait autrefois à aromatiser le chocolat d'Espagne.

Noix de pécan : fruit comestible du Carya illinoensis.

Noix pistache : expression impropre, mais courante autrefois, pour désigner le noyau du pistachier térébinthe (Pistacia terebinthus) ; ce noyau osseux, monosperme, n'a aucune ressemblance avec les Noix proprement dites.

Noix de Saint-Gratien : fruit d'une variété de noisetier aveline (Corylus tubulosa) dont la noisette est oblongue et rouge.

Noix de serpent : fruit des nandhirobées et de l'ahouai du Brésil (Gerbera ahouai).

Noix de terre : fruit souterrain de l'arachide (Arachis hypogoea) ; on donne aussi ce nom aux racines tubéreuses du Bunium bulbocastanum.

Noix vomique : baie globuleuse, à écorce souvent testacée et friable, du vomiquier (Strychnos nux vomica). Poison extrêmement violent. On appelle aussi ces baies vénéneuses Noix de Saint-Ignace et Noix Igasur.

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Dans le même ouvrage, Scott Cunningham consacre également un article au Noyer (Juglans regia) :


Genre : Masculin

Planète : Soleil

Élément : Feu

Pouvoirs : Désir sexuel (avec la notion de luxure) ; ensorcellement.


« Se eune femme veult que son mari ou amy l'aime fort, elle doigt mettre eune fueille de gauguier [Noyer], cueillie la nuit Saint-Jehan tandis qu'on sonne nonne, en son souler du pied senestre, et sans faulte il l'amera moult merveilleusement. »


Utilisation rituelle : Il convient de faire une distinction entre les noix et le Noyer; la noix est le plus souvent considérée comme propice, favorable aux mariages, à la génération, et en général symbole d'abondance; le Noyer, au contraire, est craint comme un arbre sinistre, hanté avec prédilection par les sorcières.

Vers le milieu du XIX e siècle, une singulière pratique avait lieu à Gaillac, dans le Tarn : lorsque les mariés étaient agenouillés au pied de l'autel, les assistants faisaient pleuvoir sur leur dos une grêle de noix. Le premier qui se retournerait vers les agresseurs serait le plui jaloux dans le ménage.

Une non moins curieuse coutume s'est longtemps maintenue au Pays basque espagnol : quand on plantait un Noyer destiné à marquer la limite d'une propriété, on empoignait les petits enfants qui assistaient à l'opération et on leur administrait une magistrale fessée pour qu'ils en gardent le souvenir.

En Cornouailles, si les Noyers ne rapportent pas, on les gaule violemment quand ils sont en sève en les agonisant d'injures.

Dans l'Aubrac, pour que les Noyers aient une abondante récolte, on les secouait le Jeudi saint, au moment où les cloches sont sur le point de partir pour Rome.


Utilisation magique : En Flandre, le 29 septembre, à la Saint-Michel, les filles demandaient aux noix les augures pour leur mariage. On mêlait des noix évidées, mais soigneusement refermées, avec des noix pleines ; fermant les yeux, les jeunes filles en prenaient une au hasard. Celle qui en prenait une pleine ne tarderait pas à convoler, car c'est saint Michel qui donne les bons maris.

Si l'on place une noix sous la chaise d'une sorcière, elle ne pourra plus la quitter : une sorcière engagea une femme comme servante, à condition qu'elle renonce au signe de la croix, qu'elle ne nomme plus ni le Christ, ni la Vierge, ni aucune chose sacrée. La sorcière donna à la femme un onguent pour qu'elle puisse, à la quatrième heure de la nuit, oindre ses bras, ses jambes, sa poitrine, son ventre et son derrière, et une certaine poudre qu'elle devait souffler au cou de son mari pour qu'il s'endorme d'un sommeil profond. La femme se repentit d'avoir accepté le pacte infernal et protesta qu'elle voulait seulement plaisanter. La sorcière se fâcha et allait lui jeter un sort, lorsque la femme la poussa sur une chaise sous laquelle elle jeta promptement une noix. La femme invoqua alors à voix haute le Christ et la Vierge pendant que la sorcière se tordait dans les affres de l'agonie.

Au Tyrol, on croit que les côtes des sorcières sont en bois de Noyer.

A Madonna di Campiglio, dans le Trentin, quand des brouillards blanchâtres drapent les branches des Noyers au lever du jour, on dit que les sorcières sont venues y accrocher leurs culottes pour se rendre à l’orgie du Grand Bouc.

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Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont, 1995 et 2019), Éloïse Mozzani nous propose la notice suivante :


L'arbre de prédilection de Proserpine, divinité romaine des Enfers, était considéré comme diabolique dans toute l'Europe, et particulièrement en Italie : à Rome, des démons par milliers dansaient autour d'un noyer jusqu'à ce que le pape Pascal II (1099-1118) fit élever sur cet emplacement l'église Santa Maria del Popolo. Une autre ville italienne, Bénévent, en Campanie, eut aussi son noyer maudit, « autour duquel, d'après l'ensemble des démonologues de la Renaissance, se réunissaient sorciers et sorcières venus des horizons les plus divers ». Ces derniers se servaient des fruits de l'arbre pour leurs maléfices.

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D'après Didier Colin, auteur du Dictionnaire des symboles, des mythes et des légendes (Larousse Livre, 2000) :

"Cet arbre nous renvoie aux caryatides, ces statues de pierre représentant des femmes, des déesses le plus souvent, qui remplacent parfois les colonnes de certains temples pour en soutenir le toit.

En effet, selon la légende mythique grecque, Dionysos, le dieu de l'extase mystique - qui devint Bacchus, le dieu de la vigne et des fêtes orgiaques chez les Romains -, fut amoureux de Carya, une princesse de Laconie. Or elle avait deux sœurs qui, par jalousie, dénoncèrent ses amours coupables à leur père. Pour se venger d'elles, Dionysos les changea en statues de pierre. Cependant, Carya, qui aimait ses sœurs, mourut de chagrin. Alors, Dionysos métamorphosa le corps de Carya en noyer qui, en grec, se dit karwon, c'est-à-dire carya ou caryo, qui signifie "noix" mais aussi "noyau".

Mais le noyer fut aussi considéré par nos ancêtres comme un arbre divinatoire voué tantôt à Diane-Artémis, la déesse chasseresse, tantôt à Proserpine-Perséphone, la fille de Déméter enlevée par Hadès-Pluton - la déesse des Enfers -, un arbre inquiétant, donc, sous lequel il était toujours déconseillé de s'assoupir ou de s'endormir."

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Sylvie Verbois, auteure de Les arbres guérisseurs : Leurs symboles, leurs propriétés et leurs bienfaits (Éditions Eyrolles, 2018) transcrit le message que lui inspirent les arbres :


Mot-clé : Ôter l'armure.

Élément : Terre ; eau ; Feu ; Air ; Espace.

Émotion : Peur ; Mélancolie ; Colère ; Tristesse ; Joie.


Je viens vous aider à ôter cette armure de protection derrière laquelle vous avez muré votre âme et votre cœur. Je vous protège, j'écarte la foudre et les chagrins, j'attire à moi maladies et fièvres.

Ne jugez pas mon ombre mortelle, elle est fraîche, simplement. Venez dormir sous mon feuillage et vous aurez des rêves prémonitoires. Cessez de me jeter des pierres pour vous défendre de moi. De qui avez-vous si peur si ce n'est de vous ? Quittez les ténèbres de votre esprit, votre passé se doit de vous quitter, acceptez-le. Laissez enfin transparaître vos sentiments. Acceptez la vulnérabilité, la fragilité d'être triste, dans [...suite manquante sur le net].

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Liz Marvin, autrice de Grand Sage comme un Arbre (Michael O’Mara Books Ltd, 2019 ; First Éditions, 2021 pour la traduction française) transmet les messages qu’elle a pu capter en se reconnectant aux arbres :


Prends soin de ton essence : le Noyer noir

Quand on prend soin de nourrir ses forces intérieures, on dispose d’un tronc solide pour affronter le stress de la vie quotidienne. Les arbres sont des modèles en la matière : leur tronc doit supporter le poids des branches et des feuilles, même par grand vent. Le centre du tronc s’appelle le bois de cœur, et chez le Noyer noir en particulier, il est en acier trempé ! On admire cet arbre pour sa beauté et sa force, et son bois de cœur est si solide qu’il peut être soumis à une très grande force sans se fendre.

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Arnaud Riou dans L’Oracle du peuple végétal (Guy Trédaniel Editeur, 2020) classe les végétaux en huit familles : les Maîtres, les Guérisseurs, les Révélateurs, les Enseignants, les Nourricières, les Artistes, les Bâtisseurs et les Chamans.


Les Enseignants : le Cerisier, le Poirier, le Noyer, le Pêcher, l’Olivier, le Citronnier et le Figuier. Ils sont là pour nous apprendre, par leur posture et leur connaissance.

[…]

Le Monde ne manque pas de merveilles

Mais d’émerveillement.


Les Enseignants : Chaque pépin, chaque noyau planté dans le sol a le potentiel de donner naissance à un arbre. Chaque arbre donnera des milliers de fruits. Chaque fruit nous nourrira, car le pouvoir des arbres fruitiers est infini. Abricotier, Pommier, Cerisier, Figuier, les arbres fruitiers donnent en abondance, parce que c’est leur nature. Un Enseignant transmet par son exemple. A le regarder vivre, il est inspirant. L’Enseignant est généreux de ce qu’il offre, c’est pourquoi on retrouve tant d’arbres fruitiers dans cette famille. L’arbre ne se préoccupe pas que nous cueillions ses fruits pour en faire des tartes, de la confiture ou des salades. L’Enseignant enseigne parce que c’est sa nature. Il offre car il aime offrir. Il nous apprend ainsi la nature de la générosité : offrir sans rien attendre en retour, enseigner non pas pour se faire valoir, mais enseigner pour mieux comprendre soi-même et transmettre généreusement, offrir en se préparant à recevoir davantage, offrir parce que c’est notre nature.


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Si tu veux découvrir la complexité

de tes congénères,

plonge au cœur de ton silence.

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Le Noyer fait partie des arbres généreux sur tous les plans. Il vient combler chacun. Les ébénistes apprécient son bois, surtout celui des vieux arbres pour la fabrication des meubles précieux, des manches d'instrument et des crosses de fusil. Les sabotiers l'ont choisi pour leurs sabots. Les peintres récoltent son brou, qui pigmente les peintures à l'huile et leur teinture pour bois. Les luthiers en réalisent des violons et des guitares au son profond. Les cuisiniers apprécient son huile riche en oméga-3 pour les assaisonnements, et les naturopathes connaissent les apports considérables de son fruit en diététique, les œnologues, de son vin. Enfin les fabricants de savons utilisent son huile pressurisée. Pas étonnant que cet arbre s'invite dans nos jardins occidentaux, d'autant que le Noyer supporte très bien le froid et peut développer son tronc droit à l'écorce grise, même par des températures de - 30°C. Dans son comportement, le Noyer est un arbre solitaire. Il a besoin de beaucoup de lumière pour développer ses très larges feuilles et de sols bien drainés pour planter ses profondes racines. Il supporte mal la compagnie, qu'il écarte par sa taille imposante, qui dépasse facilement et rapidement les vingt-cinq mètres et sa nocivité. Arbres, humains et animaux seront gênés par les substances toxiques que contiennent ses feuilles, qui le défendent des visiteurs et de ceux qui souhaiteraient dormir sous son ombrage. Le Noyer prend du temps pour s'installer et donner des fruits. Il faut parfois attendre jusqu'à vingt ans avant qu'il n'offre ses premières Noix. En revanche, une fois établi, il fournira des Noix à l'automne pendant presque un siècle et pourra vivre encore un et jusqu'à deux siècles supplémentaires pour vivre tranquillement une retraite bien méritée. Les premiers Noyers sont nés en Asie Mineure. Puis il s'est déployé en Grèce à l'Antiquité avant que les Romains ne l'invitent en Italie et que Christophe Colomb le fasse voyager jusqu'en Amérique. Le Noyer fournit un aliment particulièrement riche dans notre alimentation. Comme toutes les Noix (Noix de cajou, Noisette, Noix de Pécan), la Noix est riche en magnésium, en vitamines E et B, en fer, en calcium, en minéraux, en oméga-3 et en oligo-éléments. La Noix est un antioxydant, elle facilite la digestion et élimine la constipation. Elle est très nourrissante sans pour autant que le corps ne fixe ses calories. Elle réduit le cholestérol, les maladies cardiovasculaires, le diabète, les calculs biliaires. Elle est un ami précieux du cœur et du cerveau dont elle reprend la forme avec ses deux hémisphères. On l'utilisait autrefois en cataplasme pour favoriser la repousse des cheveux. Bien que l'arbre soit généreux de ses dons et symbole de longévité, le Noyer n'a pas aussi bonne réputation que son fruit. Il était dans l'Antiquité dédié à Jupiter pour ses qualités aphrodisiaques et associé à Perséphone, à la mort et au monde des enfers. On dit que c'est un arbre qui n'est jamais touché par la foudre. Cueillir une branche avant la Saint-Jean et l'accrocher dans la maison ou brûler de ses feuilles dans la cheminée préserverait des feux de l'orage comme de ceux de la folie. Au Moyen Âge, les sorcières célébraient leur sabbat sous les grandes branches du Noyer. Indépendant jusqu'au bout, le Noyer dépasse sa réputation et se passe même des Abeilles et autres insectes pour sa pollinisation. Le vent lui suffit à transporter le pollen de ses fleurs, qu'il confectionne sans pétale.


Mots-clés : La solitude - L'autonomie - L'autosuffisance - L'indépendance - Le silence - La richesse intérieure - La générosité - La maturité - La méditation - La guérison - La vision pure - La protection occulte - L'introspection - La réputation - Le feu - La foudre - La grossesse difficile - Le poison.


Lorsque le Noyer vous apparaît dans le tirage : Le Noyer est un arbre Enseignant qui vous apparait dans le tirage pour vous enseigner les notions de territoire, de protection, d'aura, de jardin secret. Il éclaire le regard que vous portez sur la solitude, la vôtre et celle de vos proches. Comment vivez-vous la solitude ? Comme une punition ? Une fatalité ? Appréciez-vous d'être seul ? Quelle expérience avez-vous de la solitude ? Il existe deux types de solitude. La solitude du mendiant, celui qui est seul et cherche à tout prix à être reconnu et à ce qu'on s'intéresse à lui, et la solitude de l'empereur, du chaman et de l'artiste. Le Noyer est seul. Il fait de la place autour de lui. il impose son espace nécessaire pour sa croissance. Il a besoin de n'avoir pas de voisin proche pour pouvoir étendre ses larges branches. Le Noyer vous interroge sur sur votre rapport au silence. Le silence a besoin de solitude. Comment vivez-vous le silence ? Le Noyer vous aide à rencontrer la puissance du silence inspirateur. Sans concurrence pour capter les rayons du Soleil, le Noyer peut grandir longtemps et offrir en abondance ses fruits. Quand il apparaît dans le tirage, il vous invite à prendre un temps pour vous. C'est peut-être l'occasion de vous remettre à étudier, à entreprendre une retraite de méditation ? A apprendre un instrument ? Ou même à vous isoler pour écrire ou simplement lire un livre. Le Noyer vous invite à vous interroger sur votre réputation. L'image que vous avez de vous, celle que les autres ont de vous et l'image que vous aimeriez que les autres aient de vous. Libre de cette image et plein de votre solitude, vous découvrirez, par le silence, la solitude et la méditation, de nouvelles facettes, qui vous accompagneront dans votre chemin d'évolution.


Signification renversée : Dans sa position renversée, le Noyer vous interroge sur votre sentiment d'exclusion. Vous sentez-vous exclu ? Abandonné ponctuellement ou chroniquement de votre entourage ? Ou vous sentez-vous simplement incompris, à l'écart, différent ? Peut-être craignez-vous pour votre renommée. Peut-être simplement avez-vous besoin d'espace pour respirer et cette attitude est mal comprise. Le Noyer renversé vous interroge sur ce que vous retenez, ce que vous n'osez pas offrir. Cela peut être dans votre comportement, une difficulté à parler de vous, de vos émotions et de vos sentiments. Savez-vous que le fait de parler de vous et de votre intimité est déjà une offrande au monde ? Enfin, le Noyer vous interroge sur un environnement qui pourrait chez vous être toxique. Il peut s'agir de votre habitation, de meubles, d'éléments de décoration qu'il pourrait peut-être suffire de modifier pour permettre à votre habitation de vibrer de son plein potentiel.

Le Message du Noyer : Je suis le Noyer, je comble chacun par la richesse de mes fruits. Si mes fruits sont bénis, mon arbre est maudit. Les hommes sont ainsi à séparer ce qui est bon et ce qui ne l'est pas, la source de l'eau, l'arbre de son fruit, ce qui vient du ciel et ce qui vient de la terre, ce qui est béni et ce qui est maudit. Par la longueur de mes racines, j'ai acès aux mondes d'en bas. Le monde a des profondeurs, de l'inconscient. Le monde des figures archaïques de ton passé, le monde des pulsions et des animaux totem. Je plonge dans les profondeurs pour trouver la source de la matrice dans la richesse de mon silence. Tout prend racine dans la terre et les arbres comme les hommes qui ont les racines les plus profondes dureront le plus longtemps face aux agressions du vent, du temps, de la foudre et de la pluie. Je suis le Noyer, je t'invite à plonger en toi, à accueilir ta source, celle qui irrigue ta personnalité. Es-tu conscient de ta lignée familiale ? La laisses-tu couler en toi, dans tes veines et dans ton être ? Car plonger dans ses profondeurs est la meilleure attitude pour celui qui souhaite rayonner et se développer.


Le Rituel du Noyer : Procurez-vous une Noix. Prenez le temps de la décortiquer. Observez à quel point une Noix a la forme d'un cerveau humain. Comme le cerveau, la Noix comporte deux hémisphères à circonvolutions, une couleur blanche, recouverte d'un opercule brun. Tenez la Noix dans vos mains. De votre main gauche, recevez de la Noix toutes les qualités liées à la sensibilité, à la douceur, à l'imagination, à la création, à l'intuition. Demandez à la Noix les secrets du silence. De votre main droite, recevez toutes les qualités liées aux calculs, à l'anticipation, au pragmatisme. Respirez profondément. Recevez une grande inspiration par votre main gauche puis une grande inspiration par votre main droite. Alternez cette respiration jusqu'à réaliser que ces deux hémisphères vous nourrissent et se régulent par le flux naturel de la respiration. Trouver l'équilibre entre l'intuition et la raison, la terre et le ciel, la réflexion et l'intuition, c'est la proposition que vous offre aujourd'hui l'esprit du Noyer.

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Symbolisme celte :


Selon Thierry Jolif, auteur de B. A.-BA Mythologie celtique (Éditions Pardès, 2000),


"Les noix, les glands et les noisettes sont traditionnellement considérés comme des fruits de connaissance et de sagesse. Dans Le Voyage de Cormac au Pays de la Promesse, il est dit que les neuf coudriers de Buan laissaient tomber leurs fruits dans une source où cinq saumons les saisissaient, puis jetaient les coquilles dans cinq ruisseaux dont le bruit était plus doux que toute mélodie.

Le saumon symbolise la connaissance, et la source qui se trouve dans l'Autre Monde est bien évidemment la source primordiale, la source de toute vie. Extraite du Dindshenchas métrique, cette strophe est sans aucun doute plus évocatrice qu'un long discours :


"Du suc des noix, ce n'est pas une chose vulgaire, furent faites les coquilles d'inspiration qui descendent à tout moment des ruisseaux au flot vert." (Traduction Christian-J Guyonwarc'h, in Les Druides, Ouest-France, 1986, chapitre troisième, II, 8, Le chêne, le sorbier et le coudrier ; L'if et le pommier, p. 152)."

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Symbolisme alimentaire :

Pour Christiane Beerlandt, auteure de La Symbolique des aliments, la corne d'abondance (Éditions Beerlandt Publications, 2005, 2014), nos choix alimentaires reflètent notre état psychique :




Mythes et légendes :


D'après Angelo de Gubernatis, auteur de La Mythologie des plantes ou les légendes du règne végétal, tome 2 (C. Reinwald Libraire-Éditeur, Paris, 1882),


NOYER. — Il convient de faire une distinction mythologique entre la noix et le noyer : la noix est le plus souvent considérée comme propice, favorable aux mariages, à la génération, et symbole d’abondance ; le noyer, au contraire, est craint comme un arbre sinistre, hanté avec prédilection par les sorcières. Philon, dans sa Vie de Moyse (traduite en français par Pierre Bellier, Paris, 1588), compare la vertu difficile à atteindre avec la noix ; en parlant de la verge d’Aaron, il s’exprime ainsi : « Celle-là, comme une plante vertueuse, jeta miraculeusement de tous costez et fueilles et fruit, dont elle estoit si chargée et affaissée. qu’elle panchoit en terre. C’estoient noix, qui avoient une nature différente des autres fruits ; par ce qu’en plusieurs, comme raisin, olive, pommes, la semence et ce qui est bon à manger est tout un, estant enfermé au-dedans et garni à l’entour de double rempart, d’une escorce fort espesse, et d’une coquille de bois, qui nous représente la parfaite vertu ; car, comme en la noix, le commencement et la fin sont tout un, prenant la semence pour le commencement, et le fruit pour la fin ; aussi chasque vertu est commencement et fin : commencement, pour autant qu’elle n’est point produite d’autre puissance que d’elle-mesme, et fin parce que la vie de l’homme tend à elle naturellement. Outre cette raison-ci, on en allègue une autre, qui est bien plus claire : l’escorce de la noix est amère, et ce qui est dessouz tout à l’entour comme un rempart de bois, est rude et ferme ; de là, avient que le fruit, qui est environné de ses deux remparts, n’est pas aisé à avoir. Par cette figure doncques nous estoit donné à entendre que l’âme qui s’exerce en la vertu doit endurer peine et travail. » Nous avons déjà vu que la noisette porte bonheur ; il en est de même pour la noix à trois coutures. A Cianciana, en Sicile, on croit que la noix à trois nœuds préserve celui qui la porte dans ses poches de la foudre et de toute sorte de sorcellerie ; elle hâte les couches ; elle facilite la victoire ; elle emporte la fièvre. Le jeune marié romain jetait des noix sur son chemin, symbole évident de fécondité ; en Piémont on dit encore : Pan e nusvita da spus (pain et noix, c’est la vie des époux). En Sicile, à Modica, on répand des noix et du blé sur le passage des jeunes mariés. D’après Scaliger, on jetait des noix, chez les Romains, comme en Allemagne on casse des vieux pois : « ne nuptae clamor audiretur ». En Grèce, les jeunes époux distribuent des noix et des amandes aux assistants. En Roumanie, les assistants à la cérémonie du mariage répandent encore des noix. Dans les noces des paysans lettes, on distribue des noix et des pains d’épices. La noix donc, par elle-même, malgré le dire d’Arthemidorus Daldianus (De Somniorum Interpretatione, I, 75), lequel nous apprend que la noix vue en songe porte malheur, a aussi une signification propice (1) ; mais j’ai déjà eu plusieurs fois l’occasion de signaler la relation intime entre les mythes phalliques et les mythes funéraires. La noix est, en même temps, un symbole de la mort et un symbole de la régénération perpétuelle. Casser la noix a dû être une image du langage phallique. Le poète et critique Uhland, pour s’expliquer la forme d’hirondelle et celle d’une noix rapportée par un faucon, sous laquelle parfois est représentée la déesse Iduna, observe que la noix figure le noyau, le germe, d’où repousse au printemps tout le monde des plantes.

D’après une légende slave du déluge qui rappelle un peu le voyage d’Héraclès poussant, au retour des Hespérides, sa nacelle vers l’Orient (ce que le soleil fait chaque nuit en traversant l’océan mystérieux des ombres, ou en allant aux Enfers comme Orphée), les personnes vertueuses qui échappent au déluge et repeuplent le monde se sauvent dans une coquille de noix. La noix ici semble être un véritable symbole de régénération, le noyau auquel la vie nouvelle doit se rattacher. C’est pourquoi aussi, en Belgique, le 29 septembre, à la Saint-Michel, jour funéraire, les jeunes filles prennent leurs augures pour le mariage, par les noix : « Les filles mêlent des noix évidées, mais soigneusement refermées, avec des noix pleines ; puis, fermant les yeux, elles en prennent une au hasard. Celle qui en tire une pleine aura bientôt un mari ; car c’est saint Michel qui donne les bons maris. » (Cf. Coremans, l’Année de l’ancienne Belgique.) D’après M. Louis Maggiulli, à Muro Leccese, dans la terre d’Otrante, on attribue la plus grande importance à la noix à trois nœuds, dont j’ai déjà fait mention plus haut. « Les petites femmes, m’écrit-il, en portent toujours dans leurs poches, pour se garantir du mauvais œil ; elle est toute-puissante, surtout dans les maladies ; malheur adviendrait si on l’égarait ou si on la cassait pour en manger. La noix, et, sans doute, tout spécialement la noix à trois nœuds, est le Deus ex machina des contes populaires de cette partie de l’Italie. Il suffit d’en jeter une seule, pour faire paraître des plaines parsemées de rasoirs, des montagnes qui atteignent les étoiles, des mers sans bornes, etc. » Les Vénitiens aussi, affirment que la noix à trois nœuds, si on la garde sur soi, porte bonheur. Dans un conte populaire anglais, la mère de Tom Pouce place le jeune héros dans une coquille de noix, et le régale, pendant trois jours, auprès du feu, avec une noisette. Merveilleuse entre autres, d’après Bauhin, De Plantis a Divis Sanctisve nomen habentibus (Basileae, 1591), est la noix dite de Saint-Jean. Historia generalis plantarum, écrit-il, per insignem typographum Rouillum edita, lib. 3, c. 13, Tragus, lib. 3, c. 66, prodidit Vasoniae juglandem repertam esse, quae ante diem D. Ioanni sacrum, neque folia, neque nuces ostenderet, etc. Eiusmodi juglandes Ioannis Bauhinus, medicus perdoctus et rei herbariae peritissimus, circa Tigurum etiam se vidisse affirmat. Dalechampius, nuces quae, antea velut aridae ac mortuae, pridie D. Ioannis festum diem repertae, germinant et folia mittunt in agro Lugdunensi, perquam multas reperiri asserit ; eas vulgus appellat Noix de la S. Iehan. Audio reperiri in Burgundia eiusmodi juglandes. »

Non seulement la noisette, mais la noix aussi annonce parfois la richesse ; dans certains contes populaires, c’est d’une noix que l’on voit sortir la bonne fée qui file de l’or et des perles. Les Apomasaris Apotelesmata (Francfort, 1577, p. 263) nous apprennent que les noix vues en songe annoncent la richesse : « Si quis visus sibi fuerit arbore nuce quassata fructum ejus abstulisse, divitias cum labore ab homine parco consequetur quas alter ille recens adquisivit. Si nuces in quodam loco visus sibi fuerit invenisse, si quantum invenerit ignorat, aurum thesauri veteris, promodo somnii, reperiet. Sin modum cognitum habet, aurum proportione consequetur, cum tumultu. Si nucis lignum in venisse ac sustulisse visus sibi fuerit, rem utilem inveniet ex hereditate senis. » Dans la campagne de Bologne aussi, on fait le plus grand cas de la noix à trois coutures. Si l’on place l’une de ces noix sous la chaise d’une sorcière, elle ne pourra plus quitter la chaise et c’est, dit-on, le moyen infaillible pour découvrir les véritables sorcières. Mais on risque beaucoup, par cette expérience, que la sorcière ainsi découverte le plus souvent se venge et jette le mauvais œil sur l’auteur de ce jeu périlleux, de manière qu’il n’échappera point à la mort. Dans les environs de Bologne, certains paysans suspendent une noix à trois nœuds au cou de leurs enfants, dans l’espoir d’en éloigner le mauvais œil. D’après une légende judaïque, le fruit défendu du paradis terrestre était une noix. Dans le Werther, de Goethe, il est question de noyers plantés pour la naissance des enfants et d’un noyer que tout le village vénérait (2). Le médecin Levinio Lennio, au XVIe siècle, dans son livre Degli Occulti Miracoli, (Venise, 1560, p. 130), nous donnait ces renseignements curieux sur les effets différents produits par la noix muscade, selon qu’elle était portée par un homme ou par une femme, considérée comme impure : « La noce moscada essendo portata adosso da un huomo, non solamente conserva la sua virtù, ma cresce e diventa più sugosa. Et essendo tra queste di maggior pregio quella ch’è più grave e più sugosa e col pungerla gitta fuori le lagrime dell’ olio, non senza molta soavità d’odore, tutte queste virtù son conservate dal calore dell’uomo, anzi le fa più belle e più piene e più odorifere, massime essendo portate addosso da giovani sani e di buona complessione. La noce moscada essendo portata addosso dalla donna, diventa asciutta, leggera e s’intarla e piglia il color nero, e non solo fa questo, ma guasta l’herbe, corrompe i seminati, e macchia lo specchio dove ella si guarda. »

D’après tous les renseignements qui précèdent, il est évident que la croyance populaire a le plus souvent attribué une signification propice à la noix. Même dans le cas où la noix annonce au prétendant le refus de la femme, cet usage doit avoir une origine phallique (3). Mais l’arbre qui produit le fruit défendu, le fruit phallique est un arbre sinistre et funéraire. Le noyer est devenu en Europe, et spécialement en Italie, l’arbre maudit par excellence. Les anciens croyaient aussi que le noyer était cher à Proserpine et à tous les dieux de l’enfer. En Allemagne aussi, le nover ténébreux est opposé au chêne lumineux. A Rome, on prétend que l’église Santa Maria del Popolo a été bâtie par ordre de Paschal II, dans l’endroit où s’élevait auparavant un noyer, autour duquel des milliers de diables dansaient la nuit. Baronius parle d’un noyer qui existait encore de son temps à Constantinople, sur lequel on remarquait encore des traces du sang versé par le martyr Acathius, qui avait subi son supplice sur cet arbre. Près de Pescia, dans la Valdinievole, en Toscane, le professeur J. B. Giuliani a entendu parler d’un noyer où les sorcières vont dormir. Le peuple de l’endroit dit : le streghe vogliono i noci (les sorcières aiment les noyers).

Je ne sais pas en vertu de quelle croyance populaire, dans le moyen âge, on avait adopté la feuille de noyer pour les investitures : « Hoc donum cum folio nucis recepit » (Tabular. S. Hilarii Pictav., Du Cange (4). Serait-ce, comme la verveine, un indice des confins de la propriété ? L’huile de la noix, cependant, est sacrée. Près de Pont, dans le Canavais, en Piémont, les femmes du peuple assistent à la messe de Noël, avec des petites lampes à l’huile de noix, que l’on doit éteindre à la fin de la messe ; on garde soigneusement l’huile qui reste, pour se garantir des maux d’yeux. En Sicile, on lie le tronc du noyer, pour que l’arbre donne des fruits ; dans la terre d’Otrante, on tailla de l’écorce du noyer, dans la nuit de la Saint-Paul (25 janvier), pour s’assurer une bonne récolte de noix. On a trouvé un usage pareil dans le Frioul. A Bologne aussi, l’on pense que les sorcières se réunissent sous les noyers, spécialement dans la nuit de la Saint-Jean. Mais, entre tous les noyers, le plus célèbre, le plus maudit est, à coup sûr, le noyer dit de Bénévent.

J’ai demandé à un ami, le professeur Francesco Dellerba, qui habitait Bénévent, des renseignements sur l’existence de cet arbre des sorcières. Voici ce qu’il me répondit : « Je ne crois pas que dans la ville même de Bénévent existe encore quelque croyance superstitieuse qui se rapporte au noyer. J’ai questionné plusieurs fois les habitants du pays sur l’arbre des sorcières et sur le nom de Sabbat donné au fleuve qui traverse la ville ; ils en savaient autant que moi. On répétait parfois le vieux récit du bossu Lambert, auquel les sorcières avec des scies de beurre, enlevèrent du dos sa bosse, pour la lui attacher sur la poitrine. Mais, en général, les habitants du pays évitent ce sujet de conversation ; les peuples voisins, au contraire, aiment encore à s’amuser aux frais des habitants de la ville, et ils ne manquent jamais de qualifier de sorcière toute femme vieille et laide qu’ils rencontrent dans la ville de Bénévent. » Tous les renseignements que l’on peut désirer sur le noyer maudit de Bénévent, on les trouvera dans un petit livre du médecin Pierre Piperno, du XVIIe siècle, intitulé précisément : De Nuce Maga Beneventana (Naples, 1635). J’en tirerai les passages essentiels :

Une sorcière engage une femme « ad ludos Nucis Beneventanae », sous forme de « lauta convivia, venereaque gaudia » à condition qu’elle renonce au signe de la croix, qu’elle ne nomme plus ni le Christ, ni la Vierge, ni aucune chose sacrée.

La sorcière donne à la femme un onguent pour qu’elle puisse, à la quatrième heure de la nuit, oindre ses bras, ses jambes, sa poitrine, son bas ventre et son derrière, et une certaine poudre qu’elle doit souffler au cou du mari, pour qu’il s’endorme d’un sommeil profond. La femme se repent d’avoir accepté ce pacte infernal, et proteste qu’elle voulait seulement plaisanter ; la sorcière se fâche et couvre son corps d’une lèpre hideuse. La pauvre femme accourt chez le médecin Piperno, l’auteur même du livre, « dubitans de aliquo maleficio », qui déclare l’avoir soignée par la médecine, mais surtout par l’aide de Dieu. « Curata fuit lepra ratione divina et medica ; inter haec persuasi offerenda vota ac preces S. Januario nostro Episcopo et concivi, impulsus miraculis leprae qua corripiebantur qui lascive dormitabant in suo cubiculo, in quo natus est Sanctus Beneventi. Tum dicendam orationem Leprosi (Matt., 8 ; Marc, I) : « Domine si velis, potes me mundare » ; quae, cum medicis etiam auxiliis fuit curata, tamen post annum expiravit eodem tempore. » L’histoire plaisante de Lambert est aussi rapportée in extenso par le docteur Piperno, qui avait l’air de la prendre au sérieux : La veille de Corpus Domini, « humida lucente Luna », Lambert, à deux milles de la ville, dans la plaine « prope flumen Sabbati », remarqua une foule d’hommes et de femmes qui sautaient et chantaient : « Vive le jeudi et le vendredi ! » Croyant qu’il s’agissait de moissonneurs et de moissonneuses, il s’approcha et chanta à son tour : « Vive le sabbat et le dimanche ! » Cette familiarité amusa beaucoup la compagnie ; il fut attiré dans leur cercle, et précisément sous un grand noyer, où des tables, remplies des meilleurs mets, étaient préparées ; Lambert fut le premier à s’asseoir, et aussitôt, le diable « a tergo, vi et arte indicibili, intenso sed momentaneo dolore miraque celeritate, montem illum morbosum, dislocatis spondilibus, super humeros adequans, ad pectus extulit. » Lambert stupéfié s’écria : « Oh Jésus et sainte Marie ! » A ce cri, toutes les tables, les lumières, la compagnie, disparurent ; Lambert toucha son dos et s’aperçut qu’il n’avait plus de bosse ; mais la bosse lui était passée par devant. Lambert arrive chez lui avec le chant du coq ; sa femme, en lui cherchant sa bosse et en ne la trouvant point, a de la peine à le reconnaître ; et les créanciers d’Altavilla, en voyant qu’il n’était plus bossu, ne reconnaissent plus en lui leur débiteur et le laissent en repos. — Ce conte plaisant est évidemment fondé sur le jeu des ombres ; la bosse par derrière est l’ombre du soir, la bosse en avant, l’ombre du matin. La scie de beurre, qui tranche la bosse, est l’aube. A la pointe du jour, les dieux paraissent ; en nommant Dieu, les démons se dispersent.

Un poète local, cité par Piperno, faisant un jeu de mots sur noce et nocere, conclut que le diable ne peut pas nuire aux habitants de la ville de Bénévent, précisément à cause de leur noyer :


De la famosa Noce il chiaro grido

Negli estremi paesi e nei vicini

È sparso si, che l’abitante infido

Dicesi possessor de’ suoi confini ;

Quindi i popoli tristi, oppresso il nido

Del gran Plutone e de’ suoi cittadini.

Per cotal noce, han privilegio tale

Che nuocer non li puô schiera infernale.


D’après Piperno, le noyer de Bénévent « fere tote anno viridibus frondibus videbatur, fructusque suos abondantes piramidali figura, quatrangularibus lineis emittebat ; a multis, non sine superstitione, affectabantur ; vetulaeque exterae magni emere solebant, putantes esse contra terriculamenta nocturna, puerorum umbras, ad epilepticos motus gestas ; nec non ad concipiendum masculinam prolem, retentis intra matricem nucleis. » Auprès du fleuve Sabbat, où s’élevait le noyer « sub infansto sydere plantata, ac a tenebrarum principe electa ad ruinam animarum », le patricien Octave Bilotta de Bénévent fit placer cette inscription :


OB LOCUM

IAM SUPERSTITIOSA NUCE ET MALEFICUS

INFAMM

STYGIORUM ALITUM STRYGUMQUE NIDUM

A DIVO BARBATO EPISCOPO BENEVENTANO

EXTINCTO SERPENTE LUSTRATUM ET EXPIATUM

ET OB SUPERSTITIONEM DEINDE REGERMINANTEM

DEI MUNERE ET EJUSDEM PRAESULIS BENEFICIO

TANDEM UNA CUM NUCE RADICITUS EXTIRPATAM

ANTISTITI OPTIME DE PATRIA MERITO

SEMPITERNAE MEMORIAE MONUMENTUM

OCTAVIUS BILOCTA P.


On indiquait aussi un endroit sur le rivage du fleuve, dit ripa delle janare (rivage des sorcières), où celles-ci s’ébattaient dans l’eau : « Imo, ajoute Piperno, in media nocte S. Pauli vel S. Joannis, quande steriles ibant in eo loco ad coeundum, concipiebant. » Ces sorcières enfantent des sorcières supérieures, arcijanaras, « quae privilegio, extra citationem, de die et nocte possunt venire ad nucem cum suis Ludovicis luxuriando, nemine vidente. » Dans un procès de sorcellerie, une prétendue sorcière avoua avoir choisi Bénévent pour sa demeure, après y avoir remarqué « viridem nucem cum pulchris fontibus ». D’après la légende de saint Barbatus, le patron de la ville de Bénévent, — au temps du duc Romuald, il y avait dans cette ville un prêtre nommé Barbatus doué du pouvoir de chasser les démons par ses prières. Dans ce temps, les habitants adoraient déjà un noyer, sur lequel on voyait l’image d’une vipère, « et in eadem arbore suspendentes corium sumach (sovatto), celerius equitabant, calcaribus cruentantes equos ut unus alterum posset praeire ; atque in eorum cursu, retroversis manibus, jaculabantur, jaculatoque, particulam modicam ex eo comedebant et superstitiose accipiebant. » L’empereur Constance vient mettre le siège devant Bénévent ; les citoyens se désespèrent, Barbatus les gourmande ; il leur persuade que Dieu veut les punir ainsi pour leurs péchés et leur idolâtrie, et les engage, ainsi que Romuald, à se convertir au christianisme : les citoyens l’écoutent ; Barbatus est créé évêque de la ville. « Tunc Barbatus, creatus Episc., ordinata publica rogatione, ad contaminatissimam arborem se contulit, repenteque suis manibus securim accipiens eam a radicibus incidit, et defossam humo desuper terrae congeriem fecit, ut quis nec inditium de ea postea valuerit reperire ; e radice tamen squamosus et famosus horrendusque se extulit serpens Diabolus, cujus visu omnes aufugerunt, quem Sanctus per aquae benedictae aspersionem mactavit et evanuit. » Mais le diable fit en sorte qu’au lieu et place de l’ancien noyer, un autre apparût tout aussi élevé et tout aussi vert, pour les réunions démoniaques, rendu visible par une force magique.

Piperno ajoute : « Est vero in descripto loco alia nux alta, lata et cava in qua tres possuut abscondi homines, saepeque sub hac reperta ossa, ossiculaque carne recenter nudata, ceu signa lamiarum conviviorum, ita ut multi suspicati sunt hanc fortasse pro illa antiqua electam ac destinatam his temporibus a tenebrarum Principe. » Mais Piperno lui-même observe que déjà au siècle précédent le noyer n’existait plus, et que seulement les sorcières avaient le privilège de le voir : « Etsi interrogata Violanta in processu Curiae quodam Illustris. D. Card. Columnae, f. m. 1519, mense Junii, strigum de Terra Pontecorvi, quod falsum dicebat de nuce Beneventano viridi cum frondibus, cum in dicto loco nunc non sit aliqua nux (eo tempore aberant), respondit id nescire, sed bene viderat nucem virentem amplam et frondosam prope fluvium, et forte hoc est ex potentia diaboli, cum ipsa videbat, palpabatque. »

Piperno nous offre encore quelques autres détails intéressants sur ce noyer prodigieux : « Ad Nucem Beneventi transferri in nocte Veneris (puta ad spernendum diem Passionis D. M. J. Chr.) eorum catenae ; et est haec congregatio caput aliarum ; possunt quoque de die praestigiose sub nuce, vel alio loco, libidines suo arbitrio ac cupiditate exercere ; sicut evenisse cuidam D. Benedicto, ignito pro sua Armellina, refert Picus et Pindarus narrat. — Sed ad nucem non omnes striges voluntarie venire quaeunt, nisi conscriptae ; aliae autem obtenta licentia, vel publicato edicto, aut citatione pro solemni die a suis Magistrellis. Arcilamiae vero, sine venia et citatione, priviegium habent suo velle adire, ut passa est Violanta. — Veniunt ad nucem lamiae citatae prius a Magistrello, et sunt illae quae abjurarunt Deum creatorem, etc. » Chaque sorcière a un amant « unum particularem daemonem dictum amorosum Ludovicum » ; elles arrivent « ad ludos nucis ; praeire primo solent lasciviae choreae, sonus, tripudia, etc. » Suit une description minutieuse d’un sabbat de sorcières, avec tous ses excès, que je passe, puisque le noyer n’y a plus d’autre importance que celle d’un arbre immense et mystérieux, qui abrite tous les scandales diaboliques.

A quelle conclusion arriverons-nous maintenant, après tous ces renseignements ? Les mythes phalliques et les mythes démoniaques se touchent ; le Serpent enveloppe l’arbre phallique ; autour du noyer, l’arbre phallique, nous devons voir le diable. L’œuvre du diable s’accomplit la nuit ; pendant la nuit le héros solaire descend aux enfers ; la nuit est l’arbre ténébreux, le sombre noyer qui abrite la danse infernale. Mais pourquoi précisément est-on allé choisir le noyer de Bénévent, tandis que les noyers de Bénévent ont été en tous les temps pareils à tous les autres ? Cette croyance n’a pu tirer son origine que d’une équivoque. Le noyer étant l’arbre ténébreux, l’arbre maudit, l’arbre diabolique, on a pensé que le plus sinistre entre tous devait être celui qui pousse sur le rivage d’un fleuve appelé Sabatus, et puisqu’un fleuve de ce nom passe près de Bénévent, on a envoyé les sorcières danser leur sabbat près de Bénévent.


Notes : 1) 7 En contradiction avec cet usage romain est l’usage français des Landes, dont parle Chéruel (Histoire des institutions, mœurs et coutumes de la France) : « Dans les landes, le prétendant, accompagné de deux amis, se présente chez la jeune fille ; on passe la nuit à boire, à manger et à raconter des histoires plus ou moins merveilleuses. Au point du jour, la jeune fille sert le dessert. S’il y a un plat de noix, c’est le signe que la demande est rejetée. » Je trouve, en outre, dans l’History of Nepal, publiée par Wright (Cambridge), qu’au Nepal aussi on refuse le mari par une noix : « Every Newar-girl, while a child, is married to a bél-fruit, which, after the ceremony is thrown into some sacred river. When she arrives at puberty a husband is selected for her, but should the marriage prove unpleasant, she can divorce herself by the simple process of placing a betel-nut under her husbands sillow and walking off. »

2) En Sicile, au contraire, on croit que celui qui plante un noyer devra périr dès que le tronc de l’arbre deviendra aussi gros que sa tête.

3) Pline (XV, 22), en parlant des nuces juglandes, « nuptialium Fescenniorum comités », ajoute que la forme de ces fruits explique leur office nuptial : « Honor his naturae peculiaris, gemino protectis operimento, pulvinati primum calycis, mox lignei putaminis ; quae causa cas nuptiis fecit religiosas, tot modis foetu munito ; quod est verosimilius quam quia cadendo tripudium sonivium faciant. »

4) Dans la terre d’Otrante, on emploie la feuille de noyer pour guérir les poireaux. Il suffit, dit-on, de placer sous une pierre autant de feuilles que l’on a de poireaux, et la guérison est certaine.

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Selon Véronique Barrau et Richard Ely, auteurs de Les Plantes des fées (Éditions Plume de carotte, 2014), le noyer propose de belles "coquilles garnies".


Utilité partagée : Là où les marécages et vasières abondent, là où les eaux mortes ont rongé la terre pour établir leurs tanières, seules les coassements de grenouilles et de crapauds osent troubler le silence. Insouciants, les chasseurs et promeneurs entrant dans cet environnement nauséabond se croient seuls au monde alors que des dizaines d'yeux guettent leur moindre faux pas.... Cachés au milieu des roseaux et des phragmites, des esprits noyeurs font discrètement tourner dans l'air leur "grenouille". La simplicité de cet instrument sonore, une baguette reliée par une crin de cheval à une demi-coque de noix couverte d'un morceau de parchemin, cache pourtant une efficacité redoutable. Grâce à cet objet, les créatures meurtrières cherchant à attirer les passants dans les eaux fétides, communiquent entre elles et augmentent leurs chances de voir leur sombre projet se réaliser...

Si l'emploi des coques de noix peut nous desservir, il peut également se révéler bénéfique si nous en contrôlons l'usage. Lorsque les fées enlèvent nos chérubins pour les échanger avec leur propre enfant, les coquilles de noix peuvent ainsi nous venir en aide. On raconte qu'un petit Poitevin âgé de trois ans qui ne marchait ni ne parlait, fut soupçonné d'être un fadet, le petit d'une enchanteresse. Sur les conseils d'une proche voisine, la mère lésée plaça devant la cheminée un grand nombre de coques et munit chacune d'une brindille en guise de cuillère. Quand le petit être couché dans le berceau avisa la chose, il ne put s'empêcher de s'exclamer : "J'ai plus de cent ans passés et je n'ai jamais vu tant de petits pots au feu avec leurs petites cuillères." Ainsi confondu, il dut se résoudre à quitter la maison.


Pas touche : Dans les vergers et bois de noyers, des esprits féeriques veillent à ce que les enfants impatients ne viennent subtiliser les fruits aux coques charnues avant leur maturité. Les petits Anglais du Yorkshire peuvent ainsi rencontrer Chummilk Peg, un être féminin vêtu d'habits médiévaux et qui passe son temps à fumer la pipe avec nonchalance. Dans les pays nordiques, son homologue masculin, Melch Dick, remplit la même fonction. tous deux punissent les garnements en leur donnant des crampes d'estomac, et des ballonnements. Bien que paresseux, âgés et souffrant d'arthrite, ces êtres peuvent faire preuve d'un acharnement incroyable pour pourchasser les enfants volant les noix. En France, les fées qui raffolent des noix vertes préfèrent donner des aphtes aux enfants leur ayant dérobé leurs biens.

Mais comme rien n'est jamais simple avec le Petit Peuple, une superstition stipule que le fait de manger ces fruits mûrs peut apporter de pires malheurs ! Les noix serviraient en effet de refuge à de minuscules bonhommes malfaisants. Une fois avalés avec le fruit, ils s'emparent de l'esprit du consommateur pour le contraindre à de mauvaises actions. Quant à jeter n'importe où vos coquilles de noix, n'y pensez même pas ! On dit que les sorcières les récupéreraient pour mieux vous transmettre des maladies...


Un présent exclusif : Chez les fées, les coques de noix font souvent office de petits lits, d'embarcations voguant sur les eaux ou de mignonnes boîtes à couture d'où elles extirpent des fils d'or et des perles. Ces bonnes dames fileuses peuvent aussi surgir de ces fruits. Ces derniers sont également des cadeaux de choix qu'elles offrent uniquement aux jeunes hommes bien élevés et serviables. Sur simple demande, ces coquilles peuvent se transformer en bateau, en coffre rempli d'or et en toute autre merveille souhaitée.


Pommade ophtalmique : Voici une ancienne recette grâce à laquelle vous pourrez voir les fées. Dans un mortier, mélangez une cuillerée à soupe d'huile de noix, du sel, une poignée de fleurs de primevère, trois boutons de rose trémière, trois autres de souci, trois chatons de noisetier, un peu de thym sauvage et de l'herbe ramassée à l'intérieur d'un cercle de fées. Broyez le tout et déversez cet onguent dans un verre rincé à l'eau de rose laissez reposer au soleil pendant trois jours. Il suffit de déposer un peu de cette huile au-dessus de vos sourcils pour voir les bonnes dames.


Nymphe éternelle : Dans la mythologie, les rencontres entre divinités et êtres féeriques sont relativement fréquentes. Tel est le cas de l'histoire d'amour entre Bacchus et Carya, nymphe et fille cadette du roi Dion. Les deux sœurs de cette dernière, rongées par un immense sentiment de jalousie, dénoncèrent cette passion à leur père. Mais lorsque le dieu grec apprit la délation dont il avait fait l'objet, il fut pris de fureur et métamorphosa les deux commères en rochers. Hélas, Carya décéda subitement, on suppose que la tristesse l'emporta dans l'autre monde. Fou de douleur, Bacchus changea sa dulcinée en noyer.


Une mauvaise réputation : Plusieurs traditions d'Europe s'accordent à dire que les noyers attirent souvent des êtres malfaisants. C'est particulièrement vrai à Benvento où les Janara, sorcières napolitaines, se réunissaient aux XIIe et XIIIe siècles près d'un noyer poussant aux portes de la ville pour y mener leur sabbat. Au cours de leur assemblée nocturne, ces maléfiques frappaient la peau d'un vieux bouc fixé aux branches de l'arbre tout en psalmodiant des formules magiques inintelligibles pour le commun des mortels.

En Arménie, ce ne sont pas les sorcières mais les Kaches qui affectionnent cette essence. Ces créatures, qui résident aussi bien en montagne que dans les vallées, aiment s'allonger à l'ombre des noyers. De peur d'attirer ces êtres versatiles et inquiétants, certaines personnes n'osaient pas planter de noyer sur leur terrain.


Talisman : Et si on tombe sur une noix dont la coque présente trois parois, on la garde : de tels fruits sont rares et passent pour être des talismans exceptionnels contre les esprit maléfiques."

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Tony Goupil, dans un article intitulé "Croyances phytoreligieuses et phytomythologiques : plantes des dieux et herbes mythologiques" (Revue électronique annuelle de la Société botanique du Centre-Ouest - Evaxiana n°3 - 2016), cherche à déterminer les plantes associées par leur dénomination aux divinités antiques :


On retrouve enfin le mot Jovis dans Jovis glans pour désigner le noyer ou la noix. D’ailleurs le nom latin du noyer se trouve être Juglans, l’exacte fusion des termes Jovis et glans. On retrouve d’ailleurs cette allusion dans la dénomination grecque du noyer (δίος βαλανος = Dios balanos).

 

Dans Arbres filles et garçons fleurs, Métamorphoses érotiques dans les mythes grecs (Editions du Seuil, février 2017, de Françoise Frontisi-Ducroux, on peut lire que :


"Karya, fille d'un roi de Laconie, aimée de Dionysos, fut métamorphosée en noyer, tandis que ses deux sœurs furent pétrifiées (Servius, Commentaires aux Bucoliques, 8, 29). Événement dont les causes restent obscures, en dehors de l'explication de l'origine du noyer, qui en grec porte son nom, karya, accompagnée de la création d'un culte à Artémis."

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Littérature :

Le Noyer


Un noyer qui se trouvait au bord d’une route et que les passants frappaient à coups de pierres, se disait en soupirant : « Malheureux que je suis de m’attirer tous les ans des insultes et des douleurs ! »

Cette fable vise les gens qui ne retirent que des désagréments de leurs propres biens.


Ésope, (fin VIIè siècle - début VIe siècle av. J. C.) ; traduction par Émile Chambry, Fables

Société d’édition « Les Belles Lettres », 1927.

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Le Noyer


Noyer planté sur le bord de la route, je suis, malgré mon innocence, attaqué par les passants à coups de pierres. Telle est la peine ordinairement infligée aux coupables pris en flagrant délit, alors que l’heure de la justice arrive trop lentement au gré de la vengeance populaire. Mais moi je n’ai commis aucun crime, à moins que ce ne soit un crime de donner chaque année des fruits à mon maître. Autrefois, quand les temps étaient meilleurs, les arbres se disputaient à qui d’entre eux serait le plus fertile. Alors le maître reconnaissant avait coutume, à la venue des derniers fruits, de couronner de guirlandes les dieux du labourage ; ainsi, ô Bacchus, tu admiras souvent tes raisins ; souvent aussi Minerve admira ses olives. Les fruits eussent alors porté préjudice à l’arbre maternel, si une longue fourche n’eût étayé ses branches affaissées. Bien plus, à cette époque, les femmes imitaient notre fécondité : pas une alors qui ne fût mère ; mais depuis que le platane au stérile ombrage eut obtenu des honneurs exclusifs [1], nous autres, arbres fruitiers (si toutefois le noyer peut s’arroger ce titre), nous commençâmes à développer outre mesure notre spacieux feuillage ; aussi ne portons-nous plus de fruits chaque année ; et l’olive et le raisin n’arrivent au cellier que rabougris. Maintenant, pour conserver sa beauté, la femme ne craint pas de corrompre le germe de sa fécondité, et il en est peu dans notre siècle qui veuillent bien être mères. De même que Clytemnestre [2], je pourrais me plaindre, et dire : « Si j’eusse été stérile, je serais plus en sûreté. » Que la vigne sache un jour le danger de sa fertilité, et elle étouffera ses raisins dans leur germe ; que l’arbre de Pallas vienne à l’apprendre, et il empêchera ses olives de croître ; que cela soit connu du pommier et du poirier, et bientôt l’un et l’autre n’auront plus de fruits ; que le cerisier aux produits de couleurs diverses en soit instruit, il ne sera bientôt plus qu’un tronc inutile. Je ne suis point jaloux ; mais pourquoi n’y a-t-il d’épargné que l’arbre orné d’un vain feuillage ? Regardez l’un après l’autre ces arbres dans toute l’intégrité de leur parure, c’est qu’ils n’ont rien qui les expose à recevoir des coups. Pour moi, au contraire, je vois mes branches mutilées, ou criblées de cruelles blessures ; et mon écorce entamée laisse à nu mon sein tout meurtri. Ce n’est pas la haine qui m’attire ce traitement, mais l’espoir du pillage. Que les autres comme moi portent des fruits, et ils se plaindront de même. Ainsi donc il a tort celui dont la défaite promet quelque profit au vainqueur ; le pauvre ne mérite pas qu’on cherche à lui nuire : ainsi craint les embûches le voyageur qui porte quelque argent ; il marche avec tranquillité s’il a sa bourse vide : ainsi je suis le seul attaqué, parce que moi seul je vaux la peine de l’être. Les autres gardent toujours intact leur vert feuillage ; s’il en est près de moi dont la rameaux brisés jonchent la terre de leurs débris, la faute en est à moi seul : mon voisinage leur a été fatal, et la pierre qui m’a frappé est retombée sur eux. Que je mente si les arbres éloignés de moi ne conservent pas dans tout son éclat leur beauté native ! Oh ! s’ils étaient doués de sentiment, et qu’ils parlassent, comme ils maudiraient ce funeste voisinage. Qu’il est affreux de voir la haine s’unir aux outrages que j’endure et d’être accusé par ses voisins d’être trop près d’eux ! Mais, dira-t-on, je suis pour mon maître un sujet de fatigue et de graves inquiétudes. Et que me donne-t-il, je vous prie, autre chose qu’un peu de terre ? Je pousse facilement et de moi-même dans un terrain sans culture, et la place que j’occupe est presque la voie publique. Pour m’empêcher de nuire aux moissons (car on m’accuse de leur nuire), on me relègue à l’extrémité des champs. Jamais la faux de Saturne n’émonde mes branches superflues, et jamais la bêche ne rafraîchit le sol qui durcit auprès de moi. Dussé-je périr de sécheresse ou être brûlé par le soleil, on ne me fera point l’aumône du moindre filet d’eau. Mais à peine mon fruit mûr a-t-il entr’ouvert son enveloppe, que la gaule impitoyable vient à son tour me prendre à partie. Elle fait pleuvoir dans toute mon étendue une grêle d’horribles coups, comme s’il ne me suffisait pas d’avoir à me plaindre des coups de pierre. Alors tombent mes noix qui, elles aussi, trouvent place au dessert [3], et que tu recueilles, ô fermière économe, pour les conserver. Elles servent également aux jeux des enfants [4], soit que debout, et à l’aide d’une noix lancée sur les autres, ils rompent l’ordre dans lequel elles sont disposées ; soit que, baissés, ils atteignent en un ou deux coups le même but, en la poussant du doigt. Quatre noix suffisent pour ce jeu ; trois au-dessous et la quatrième au-dessus. D’autres fois on fait rouler la noix du haut d’un plan incliné, de manière à ce qu’elle rencontre une de celles qui sont à terre sur son passage. Avec elles aussi on joue à pair ou non, et le gagnant est celui qui a deviné juste. Ou bien on trace avec de la craie une figure pareille à la constellation du Delta, ou à la quatrième lettre des Grecs ; sur ce triangle, on tire des lignes, puis on y jette une baguette ; celui des joueurs dont la baguette reste dans le triangle gagne autant de noix qu’en indique l’intervalle où elle est restée. Souvent enfin on place à une certaine distance un vase dans lequel doit tomber la noix qu’y lance le joueur. Heureux l’arbre qui croît dans un champ éloigné de la route, et qui n’a de tribut à payer qu’à son maître ! il n’entend ni les vociférations bruyantes des passants, ni le grincement des roues, et n’est pas inondé par la poussière du grand chemin. Il peut offrir au laboureur tous les fruits qu’il a portés et lui en livrer exactement le compte. Quant à moi, il ne m’est même jamais permis de voir mûrir mes fruits : abattus avant le temps, et alors que leur enveloppe molle encore ne recouvre qu’un germe laiteux, ils ne sauraient même profiter à ceux qui m’en dépouillent. Quoi qu’il en soit, il se trouve encore des gens pour me lapider, et pour conquérir, par des attaques prématurées, un butin sans valeur : de sorte que si l’on établit le compte et de ce qu’on m’enlève et de ce qu’on me laisse, tu seras, toi, voyageur, mieux partagé que mon maître. Souvent, à l’aspect de ma cîme toute nue, on croit reconnaître les outrages et la fureur de Borée ; l’un accuse la chaleur, et l’autre incrimine le froid ; un troisième, la grêle ; mais ni la grêle, effroi du laboureur, ni le vent, ni le soleil, ni la gelée ne sont les auteurs de cette spoliation ; mon fruit seul en est la cause ; ce qui me perd, c’est ma fécondité, ce sont mes richesses. Pour moi comme pour beaucoup d’autres, elles sont une source de maux. Elles l’ont été pourtoi, Polydore [5] ; elles l’ont été pour Amphiaraüs [6], forcé par l’avarice de sa perfide épouse à affronter le sort des combats. Les jardins du roi flespérus [7] eussent été hors d’atteinte ; mais un arbre, un seul, portait des trésors immenses. Les ronces et les épines, nées seulement pour faire du mal, et les arbustes qui leur ressemblent, trouvent leur sûreté dans les instruments naturels de leur vengeance ; moi qui suis inoffensif, et qui ne saurais me défendre avec mes branches dépourvues d’épines, je me vois assailli de pierres par d’avides fripons. Que serait-ce donc si, lorsque la terre se fend sous l’astre enflammé de Sirius, je n’offrais une ombre amie à qui fuit les ardeurs du soleil ? Que serait-ce si je n’étais au voyageur un abri contre les irruptions soudaines de la pluie ? Eh bien ! pour tant de bienfaits, pour tant de services rendus à tous avec un zèle infatigable, je suis lapidé. A tant d’insultes qu’il me faut souffrir, ajoutez les reproches de mon maître. Je suis cause, dit-il, que son champ est rempli de cailloux ; et comme il en purge le sol, qu’il les ramasse et les rejette sur le chemin, il donne ainsi sans cesse au passant des armes contre moi. Aussi le froid, si odieux aux autres arbres, n’est utile qu’à moi seul. L’hiver, tant qu’il dure, m’est une garantie contre tout danger. Il est vrai qu’alors je suis nu ; mais c’est là ce qui me sauve ; car mes ennemis n’ont rien à m’enlever. Mais aussitôt que mes branches se couvrent de nouveaux fruits, les pierres tombent sur moi comme la grêle. On dira peut-être : « Ce qui s’étend sur le domaine public appartient au public. Or cet aphorisme est applicable aux grands chemins. » S’il en est ainsi, voyageur malfaisant, vole les olives, coupe les blés, arrache les légumes du champ voisin. Que ce même brigandage franchisse les portes de Rome et que ces murs, ô Romulus, en consacrent le droit. Que le premier venu prenne de l’argent sur l’étalage de telle boutique, des diamants dans telle autre, ici de l’or, là des pierreries ; qu’il s’approprie enfin toutes les richesses sur lesquelles il pourra mettre la main. Mais une telle licence n’existe pas ; et tant que César régira l’empire, tant qu’il veillera sur nos destinées, jamais homme ne volera impunément. Et ce n’est pas seulement dans l’enceinte de Rome que ce dieu a rétabli la paix ; il en a étendu les bienfaits sur le monde entier. Mais à quoi me sert tout cela, si, en plein jour et aux yeux du public, on m’accable de coups, et s’il ne m’est pas laissé au instant de repos ? Aussi ne voyez-vous jamais un nid suspendu à mes branches, un oiseau s’abriter sous mon feuillage : mais des pierres qui se tiennent attachées à mes rameaux fourchus, comme un vainqueur au fort qu’il a conquis ; c’est là tout ce qu’on y voit. Souvent, il est des crimes que le coupable peut nier ; souvent la nuit a déployé son voile sur bien des forfaits ; mais le suc de mon fruit me venge du ravisseur, qui se noircit les doigts en touchant son écorce. Ce suc est mon sang, et l’empreinte de ce sang est indélébile. Oh ! combien de fois, dégoûté de vivre si longtemps, n’ai-je pas désiré de mourir de sécheresse ! Combien de fois n’ai-je pas souhaité d’être renversé par l’ouragan en furie, ou violemment frappé de la foudre ! Et plût au ciel que la tempête enlevât mes fruits tout d’un coup ! ou que je pusse les faire tomber moi-même ! C’est ainsi, ô castor, [8] habitant des fleuves du Pont, qu’en débarrassant ton corps de la partie qui t’expose au danger, tu assures la conservation du reste ; mais moi, que puis-je résoudre quand le passant prend ses armes, que son oeil fixe d’avance l’endroit où il doit me frapper ? Je ne puis me soustraire à ses atteintes en changeant de place ; mes racines, liens puissants et tenaces, m’enchaînent à la terre. Je suis donc livré à ses coups, comme un criminel aux flèches de la populace, laquelle a réclamé sa victime garrottée, ou comme la blanche génisse, lorsqu’elle voit lever sur sa tête la hache pesante, ou tirer le couteau prêt à l’égorger. Vous avez cru plus d’une fois que le vent seul faisait trembler mon feuillage, mais c’était aussi de frayeur que je tremblais ! Si je l’ai mérité, si je semble coupable, livrez-moi aux flammes ; alimentez vos foyers fumeux de mes débris. Si je l’ai mérité, si je semble coupable, coupez-moi, et que, dans mon malheur, je n’aie du moins à subir qu’un seul supplice ! Mais si vous n’avez pas de motifs de me brûler ni de m’abattre, épargnez-moi, et poursuivez votre chemin.


Notes : Il y a dans l’Anthologie grecque, liv. I, ch. 20, une épigramme qui a inspiré vraisemblablement à Ovide son élégie du Noyer. Cette épigramme est attribuée par les uns à Platon, par d’autres à Sidonius Antipater : elle est gracieuse, mais son principal mérite est d’avoir été pour le poète latin une idée mère, qu’il a développée avec une heureuse fécondité de détails. Sous le voile de cette allégorie, Erasme, le plus ingénieux des commentateurs d’Ovide, remarque que le poète a voulu louer les mœurs antiques, et stigmatiser les vices dominants de son siècle, le luxe et la cupidité.

1) On attachait alors tant de prix aux platanes, que Pline le naturaliste (liv. XII, ch. IV), dit qu’on les nourrissait avec du vin pur : Mero effuso enutriuntur.

2) On sait que Clytemnestre fut tuée par son fils Oreste.

3) Celle expression, mensae secundae, était consacrée chez les Romains pour désigner le dessert. Le second service est chez nous tout autre chose.

4) L’obscurité du texte en cet endroit, l’ignorance où nous sommes de la plupart des jeux de cette nature chez les anciens, nous ont forcé de sacrifier, dans notre traduction, le laconisme à la nécessité de rendre ce passage intelligible, en le développant un peu.

5) Voyez à ce sujet Euripide, Hécube ; et Virgile, Énéide, liv. III, v. 45.

6) Voyez la peinture des malheurs de ce prince dans la Thébaïde de Stace, liv. II, 265, et VII, VIII et passim.

7) Tout le monde connait la fable du jardin des Hespérides.

8) Le castor abondait dans la province du Pont. Les anciens croyaient qu’il se châtrait lui-même. Pline le naturaliste dit, liv. VIII, ch. XLVII : « Easdem partes sibi ipsi Pontici amputant fibri, periculo urgente, oh hoc se peti gnari : castoreum id vocant medici. » Un écrivain, dans une note sur ce passage, s’exprime ainsi : « Comme Pline le reconnait lui-même, le castoréum ne consiste point dans les testicules du castor ; c’est une substance huileuse et fétide qui naît dans une glande adhérente au prépuce. Lorsque les conduits de cette glande sont gorgés de castoréum, il est possible que l’animal s’en débarrasse en se frottant contre des pierres ou des troncs d’arbre ; c’est ainsi que l’on aura dit qu’il abandonnait son castoréum aux chasseurs qui le poursuivent ; et, en vertu de la fausse opinion qu’on avait de la nature même du castoréum, on aura conclu que cet animal se mutilait lui-même. »

Ovide, "Le Noyer", traduction de 1838 sous la direction de M. Nisard.

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Dans le roman policier Le Parme convient à Laviolette (Éditions Denoël, 2000) de Pierre Magnan, on apprend que :


"La Varzelle était au flanc de Bardonnanche, le pays des noyers. Bordant les champs et bornant les biens, parfois surplombant les chemins vicinaux, il y en avait au moins soixante qui s'étalaient, avec des troncs bien droits et sans nœuds jusqu'à dix mètres de hauteur On n'a jamais entendu dire que le propriétaire de soixante noyers à tronc lisse fût mort pauvre en ces parages."

 

Dans le roman policier Dans les Bois éternels (Éditions Viviane Hamy, 2006), Fred Vargas place le commissaire Adamsberg en face de son rival Veyrenc, sorti tout droit d'une des vallées de son enfance :


"Il revissa son stylo, l'accrocha dans sa poche intérieure et ferma les yeux. Quinze ans jour pour jour qu'il s'était endormi sous l'ombre interdite du noyer. Quinze ans de dur travail que nul ne lui arracherait. Au réveil, il avait soigné son allergie à la sève de l'arbre et puis, avec le temps, il avait apprivoisé les terreurs, grimpé jusqu'à l'amont des tourments pour juguler les turbulences. Quinze ans d'efforts pour transformer un jeune gars au torse creux, cachant sa chevelure, en un corps robuste et une âme solide. Quinze ans d'énergie pour ne plus voltiger en écervelé vulnérable dans le monde des femmes, qui l'avait laissé repu de sensations et saturé de complications. En se redressant sous ce noyer, il s'était mis en grève comme un ouvrier harassé, amorçant une retraite précoce. S'éloigner des crêtes dangereuses, mêler de l'eau au vin des sentiments, diluer, doser, briser la compulsion des désirs. Il se débrouillait bien, à son idée, loin des embrouilles et des chaos, au plus près de quelques idéale sérénité. Relations inoffensives et passagères, nage rythée vers son objectif, labeur, lecture et versification, état presque parfait."

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