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Le Cacaoyer

Photo du rédacteur: AnneAnne

Dernière mise à jour : 3 mars 2024




Étymologie :


  • CACAOYER, CACAOTIER, subst. masc.

Étymol. et Hist. I. 1686 cacaoyer (de Frontignières, Hist. des avanturiers qui se sont signalez dans les Indes, I, p. 89 dans Arv., p. 107). II. 1698 cacaotier (W. Dampier, Nouveau voy. autour du Monde, trad. de l'Anglois, 1re part., p. 74, ibid.). I dér. de cacao* ; suff. -yer (-ier*). II id. ; suff. -tier (-ier*). Ces formes ont remplacé 3 formes éphémères plus anc., cacou en 1601-03, cacahuaquahuitl en 1640, cacaotal en 1676, citées par Arv., p. 106. V. aussi König, p. 39.


  • CACAO, subst. masc.

ÉTYMOL. ET HIST. − 1. 1532 cacap [prob. faute d'impression pour cacao] « amande qui, rôtie et broyée, forme la base du chocolat » (A. Fabre, Extraict ou Recueil des Isles nouvellement trouvées en la grand mer oceane [...] faict premierement en latin par Pierre Martyr de Millan, et depuis translaté en languaige françoys, fo174 vo [à propos du Mexique] dans Arv., p. 105) ; 2. 1568 cacao « arbre qui porte cette amande » (Fumée, Hist. des Indes occ., fo241 vo [à propos du Guatemala], éd. 1569 dans Gdf. Compl. et Hug.) ; 1906 cacao « chocolat en poudre » (Pt Lar. ill.). Empr. à l'esp. cacao « id. », attesté dep. 1535 (F. de Oviedo d'apr. Cor.), lui-même empr. au nahuatl cacahuatl « id. ». V. Fried. ; FEW t. 20, p. 60 ; König, pp. 37-39 ; R. Loewe dans Z. vergl. Sprachforsch., t. 61, pp. 84-93.


  • CABOSSE, subst. fém.

ÉTYMOL. ET HIST. I.− 1752 « pousse de cacao » (Trév. Suppl.). II.− 1845 (Besch. : Cabosse [...] Meurtrissure, bosse). I même mot que l'a. fr. caboce « tête » (caboche*). II déverbal de cabosser*; le terme est partic. en usage dans les dial. de Rennes (H. Coulabin, Dict. des loc. pop. du bon pays de Rennes en Bretagne, 1891) d'Ille-et-Vilaine (Orain 1886), du Centre où le mot désigne une protubérance, une loupe sur un tronc d'arbre, à une branche (Jaub.).


Lire également la définition des noms cacao, cacaoyer et cabosse afin d'amorcer la réflexion symbolique.


Autres noms : Theobroma cacao -

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Botanique :


Dans Histoire et légendes des plantes utiles et curieuses (Librairie de Firmin Didot, Frères, Fils et Cie, 1871), J. Rambosson poursuit la tradition du sélam à la mode au XIXe siècle, en commençant par une description botanique :


LE CACAOYER. Sa description ; sa préparation ; sa torréfaction ; sa réduction en pâte ; fabrication du chocolat ; ses sophistications ; ses propriétés ; observation de Brillat-Savarin ; chocolat des affligés ; préparation magistrale du chocolat.

Le cacao est la semence d'un arbre qui croît naturellement sous la zone torride, dans diverses contrées de l'Amérique méridionale, et particulièrement dans la Guyane, au Mexique et sur la côte de Caraque.

Cet arbre, de moyenne stature, a des rameaux garnis de feuilles alternes et pétiolées, qui se renouvellent sans cesse, en sorte qu'il n'en parait jamais dépouillé. Il est chargé en tout temps d'une grande quantité de fleurs, petites et sans odeur, éparses et disposées en faisceaux sur le tronc et sur les branches.

La semence de cet arbre est connue de tout le monde; elle est renfermée dans une capsule coriace ayant à peu près la forme d'un concombre à surface raboteuse ; l'intérieur est partagé en cinq loges, remplies d'une pulpe blanchâtre, gélatineuse et d'une acidité agréable, dans laquelle sont enveloppées des semences ou amandes attachées à un placenta commun et central. Ce sont ces semences qui constituent le cacao ordinaire.

On distingue deux sortes principales de cacaos : le cacao caraque ou terré, et le cacao des îles. On donne la préférence au premier pour les chocolats surfins ; sa saveur est beaucoup plus douce et plus agréable que celle de l'autre, mais il a moins d'onctuosité. Les chocolatiers les mélangent à parties égales ou à raison d'un tiers de caraque.

Dans l'origine, les aromates servirent seuls de condiment à la pâte de cacao ; mais aussitôt que le sucre fut connu, on eut l'idée de l'y associer, et c'est de cette époque que date véritablement la préparation du chocolat tel que nous l'employons aujourd'hui. [...]

Souvent on accroît la quantité nutritive du chocolat en y ajoutant d'autres substances alimentaires de facile digestion, telles que le salep, le tapioca, l'osmazome. Souvent aussi on profite de sa saveur agréable pour administrer des médicaments vermifuges ou purgatifs aux enfants.

On prépare également un chocolat au lichen ; mais alors ce n'est pas par simple addition de la substance elle-même. On sépare d'abord toutes les parties solubles du lichen au moyen de l'eau ; puis on évapore en consistance d'extrait, qu'on fait ensuite dessécher à l'étuve. C'est cet extrait sec et réduit que l'on ajoute au chocolat.

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Selon Louise Paradis, auteure de l'article intitulé "Le cacao précolombien : monnaie d'échange et breuvage des dieux." (In : Journal d'agriculture traditionnelle et de botanique appliquée, 26ᵉ année, bulletin n°3-4, Juillet-décembre 1979. Cacao, cacaoyer, chocolat. pp. 181-199) :


Avant, d'employer le langage scientifique des botanistes modernes, nous nous arrêterons aux informations recueillies par ces chroniqueurs auprès des premiers utilisateurs de cacao.


Le cacaoyer, que les Aztèques (et autres groupes de langue nahuatl) appelaient cacaohoaquahuitl est décrit comme un arbre à la taille et aux feuilles un peu supérieures à celles du pommier ; ses fruits, de forme oblongue, semblables à des melons, portent le nom de cacahoacentli. Ils sont remplis de grains, cacahoatl, qui étaient utilisés comme monnaie d'échange et comme breuvage. Le grain se compose d'une substance noirâtre divisée en particules inégales bien agencées entre elles; il est tendre et charnu, quelque peu amer et doux, et de nature «tempérée» ou «froide et humide» (Hernandez 1959 II : 304). Hernandez décrit quatre variétés de cacaoyer : le quauhcacâhoatl, le plus grand de tous ; le mecacahoatl ; le xochicacahoatl, plus petit, portant moins de fruits et aux grains de couleur rouge ; le tlacacahoatl, finalement, est le plus petit des quatre variétés. C'est avec les grains de cette dernière variété que l'on aurait préparé, de préférence, les breuvages puisque les grains des autres variétés étaient plus gros et propices à l'échange (Hernandez 1959 II : 304). Il semble en fait que la dimension et la qualité des grains aient eu beaucoup d'importance au niveau de l'échange. Sahagun décrit le bon vendeur de cacao : c'est celui qui vend des grains bien développés, pleins et bien ronds; chacun d'eux est sélectionné, chacun a sa place : d'un côté les fermes, d'un autre les rabougris, les vides, les brisés et les éclatés, d'un autre la poudre de cacao. Il met d'un côté les petits grains de Tochtepec, d'un autre ceux d'Anahuac, d'un autre ceux du Guatemala, d'un autre ceux de Coatolco, d'un autre enfin ceux de Xolteca. Il classifie et vend séparément les grains selon leur dimension, leur provenance et leur couleur (Anderson et Dibble 1961, Livre 10 : 65). Quant au mauvais vendeur, il contrefait le cacao, il rend les grains blancs et plus gros en les mettant dans les cendres brûlantes. Il ajoute des grains d'autres plantes et vend les petits grains, les vides et les éclatés en les mélangeant avec les grains de bonne qualité (Anderson et Dibble 1961, Livre 10 : 65).

Les botanistes nous apportent quelques précisions sur le cacaoyer et le cacao. Le Theobroma cacao L. est de la famille des Sterculiacées. Il s'agit d'un arbre de cinq à huit mètres de hauteur. Le tronc est de couleur cannelle, le bois de couleur blanchâtre est fragile et léger. Les feuilles sont ovales et lisses, d'une couleur vert sombre et brillant; elles ont de vingt à vingt-cinq cm de long et de sept à huit cm de large. Les fleurs du cacaoyer sont jaunes ; elles sont groupées par deux à trois sur les branches et les axiles des feuilles. Quant au fruit (cacahoacentli) il est ovale et rugueux, et possède des sillons longitudinaux. Il contient de vingt-cinq à trente grains, entourés d'une pulpe blanche et aigre-douce. Les grains sont bruns et ont une saveur amère agréable (Martinez 1959 : 81-82).

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Propriétés médicinales :


Dans Histoire et légendes des plantes utiles et curieuses (Librairie de Firmin Didot, Frères, Fils et Cie, 1871), J. Rambosson transmet également les vertus médicinales connues à son époque à propos du cacao :


Préparé avec soin, le chocolat est un aliment aussi salutaire qu'agréable ; il est nourrissant, fortifiant et stomachique; peu de substances contiennent, à volume égal, plus de particules alimentaires ; il s'animalise presque entièrement sans fatiguer l'estomac ; c'est un des aliments qui conviennent parfaitement aux gens de lettres, car la digestion en est très facile ; il est excellent pour les estomacs faibles, et devient la dernière ressource dans les affections du pylore. Il n'a pas pour la beauté les inconvénients que l'on reproche au café : il peut même en être le remède. Quelques personnes se plaignent de ne pouvoir digérer le chocolat ; d'autres, au contraire, prétendent qu'il ne les nourrit pas assez et qu'il passe trop vite. Laissons Brillat-Savarin leur répondre : « Il est très probable que les premiers doivent ne s'en prendre qu'à eux-mêmes, et que le chocolat dont ils usent est de mauvaise qualité et mal fabriqué, car le chocolat bon et bien fait doit passer dans tout estomac où il y a un peu de pouvoir digestif.

« Quant aux autres, le remède est facile ; il faut qu'ils renforcent leur déjeuner par le petit pâté, la côtelette et le rognon à la brochette ; qu'ils versent sur le tout un bon bol de sokomusco (chocolat), et qu'ils remercient Dieu de leur avoir donné un estomac d'une activité supérieure. »

Brillat-Savarin continue :

« Ceci me donne occasion de consigner ici une observation sur l'exactitude de laquelle on peut compter. « Quand on a bien et copieusement déjeuné, si on avale sur le tout une ample tasse de chocolat, on aura parfaite ment digéré trois heures après, et on dînera quand même... Par zèle pour la science, et à force d'éloquence, j'ai fait tenter cette expérience à bien des dames qui assuraient qu'elles en mourraient ; elles s'en sont trouvées à merveille, et n'ont pas manqué de glorifier le professeur. »

La plupart des excitants produisent momentanément un surcroît de vie, et laissent ensuite tomber dans un certain état de faiblesse. Le chocolat, au contraire, ne jette dans aucun extrême ; ceux qui en font usage jouissent d'une santé plus constamment égale, leur embonpoint est plus stationnaire, et ils sont moins sujets à une foule de maux qui assiègent la vie. « Que tout homme, dit le spirituel auteur de la Physiologie du goût, qui aura passé à travailler une portion notable du temps qu'on doit employer à dormir ; que tout homme d'esprit qui se sentira temporairement devenu bête ; que tout homme qui trouvera l'air humide, le temps long et l'atmosphère difficile à porter; que tout homme qui se sentira tourmenté d'une idée fixe qui lui ôte la liberté de penser; que tous ceux-là, disons-nous, s'administrent un bon demi-litre de chocolat ambré, à raison de 60 à 72 grains d'ambre par demi-kilogramme ; ils verront merveille.

« Dans ma manière particulière de spécifier les choses, je nomme le chocolat à l'ambre chocolat des affligés, parce que dans chacun des divers états que j'ai désignés on éprouve je ne sais quel sentiment qui leur est commun et qui ressemble à l'affliction. »

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Selon R. J. Opsomer et J. P. Auquière, auteurs d'un article intitulé "Les aliments aphrodisiaques... tous des placébos ? (in Louvain médical, 2009, vol. 128, n°8) :

[...]

LE CACAO ET LE CHOCOLAT : DES MÉDICAMENTS IMPORTÉS DU NOUVEAU MONDE ?

A l’origine, le cacao, extrait de Theobroma cacao L., (ce qui signifie en grec : nourriture des dieux) était considéré comme un médicament (25). Dillinger a publié une analyse exhaustive sur l’utilisation en médecine du cacao et du chocolat du XVIe au XXe siècle sous le titre « Food of the Gods : cure for humanity ? » (26). Louis Lemery en 1702 déclare que : « le chocolat est un fortifiant, qu’il favorise la digestion et adoucit les humeurs âcres, qu’il est aphrodisiaque et favorise la conception. Il réveille et fortifie la mémoire » (27). Au XIXe et au début du XXe siècle, le chocolat est considéré tour à tour comme médicament, fortifiant, complément alimentaire et stimulant (28, 29). Les théologiens aussi donneront leur avis sur les « dangers » de la consommation de chocolat.

Le cacao est riche en phényléthylamine, un précurseur de la sérotonine impliquée dans la régulation de l’humeur. De ce fait le cacao a un effet euphorisant et légèrement antidépresseur. Il contient aussi une concentration non négligeable en magnésium connu pour son effet anxiolytique. Enfin, il contient de la théobromine et de la caféine: deux substances psycho-stimulantes.

Le chocolat, quant à lui, est composé de cacao, de sucre, de beurre de cacao et de sel. Ce savant mélange lui confère des propriétés psycho-stimulantes auxquelles recourent beaucoup de personnes : notamment les étudiants en période d’examens ! Certaines personnes versent dans la « chocolatomanie », véritable dépendance à une drogue douce : le chocolat. Celui-ci contient de l’anandamide en faible quantité, substance cannabinoïde endogène aux propriétés euphorisantes (30).

En 1999, deux brefs articles publiés dans la revue « The Lancet » stigmatisaient les propriétés antioxydantes du chocolat (31, 32). Plusieurs travaux ont démontré que les flavonoïdes contenus dans le chocolat noir (en particulier l’épicatechin) avaient un effet cardio-protecteur. Par contre, le chocolat au lait peut interférer avec l’absorption des anti-oxydants contenus dans le chocolat pur (33).


CHOCOLAT ET FONCTION SEXUELLE

Classiquement, on attribue au chocolat des propriétés aphrodisiaques car il augmenterait le désir et la satisfaction sexuelle. Une étude réalisée par Salonia comparant deux groupes de volontaires féminines (un groupe consommant du chocolat journellement et un deuxième groupe ne consommant pas de chocolat), démontre l’amélioration des scores du Female Sexual Function Index (FSFI) chez les volontaires « soumises » à la prise quotidienne de chocolat. Toutefois rapportée à l’âge, la différence entre les deux groupes n’est plus statistiquement significative (34).


25. Opsomer C. Le cacao du côté de la science. In : « Chocolat – de la boisson élitaire au bâton populaire XVIe – XXe siècle » – Catalogue d’exposition, Galerie de la CGER, Bruxelles, 1996, chapitre 6, 91-104.

26. Dillinger TL, Barriga P, Escarcega S et al. : Food of the gods : Cure for humanity ? A cultural history of the medicinal and ritual use of chocolate. Am Soc Nutritional Sciences 2000; 2057S - 2072S.

27. Lemery L : In Hoefer : Nouvelle biographie générale depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours, avec les renseignements bibliographiques et l’indication des sources à consulter. Tome XXX, Paris, colonne 603-604, 1859.

28. Servais P. Médecine, diététique et chocolat au XIXe siècle. In : « Chocolat – de la boisson élitaire au bâton populaire XVIe – XXe siècle » – Catalogue d’exposition, Galerie de la CGER, Bruxelles, 1996, chapitre 13, 211-220.

29. Servais P, Geubel A. Médecine et chocolat au XXe siècle. In : « Chocolat – de la boisson élitaire au bâton populaire XVIe – XXe siècle » – Catalogue d’exposition, Galerie de la CGER, Bruxelles, 1996, chapitre 15, 237-246.

30. Di Tomaso E, Beltramo M, Plomelli D : Brain cannabinoids in chocolate. Nature 1996; 382: 677-678.

31. Arts ICW, Hollman PH, Kromhout D : Chocolate as a source of tea flavonoids. The Lancet 1999; 354: 488.

32. Lazarus SA, Hammerstone JF, Schmitz HH : Chocolate contains additional flavonoids not found in tea. Letter to the editor. The lancet 1999; 354: 1825.

33. Serafini M, Bugianesi R, Maiani G, et al. : Plasma antioxidants from chocolate. Nature 2003; 424 : 1013.

34. Salonia A, Fabbri F, Zanni G, et al .: Chocolate and women’s sexual health: an intriguing correlation. J Sex Med 2006 ; 3 : 476- 482.

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Symbolisme :


Louise Paradis, précédemment citée, expose les deux principales utilisations du cacao chez les Amérindiens à l'époque de la conquête :


La Mésoamérique précolombienne ne possédait pas d'unité fixe d'échange, de monnaie ; l'échange se faisait par troc. En revanche, certains objets servaient de moyens d'échange : les grains de cacao, les tissus de coton (quachtli) ; les plumes, la joaillerie et l'or ; et finalement les hachettes de cuivre. Le cacao était, certes, le plus utilisé à cet effet. Tout, ou presque, pouvait être acquis en échange de grains de cacao ; au Nicaragua, par exemple, nous dit Oviedo, tout peut s'acheter avec du cacao, que ce soit cher ou pas : l'or, les esclaves, les vêtements, la nourriture, les femmes de joie, etc. (Oviedo 1851-1855). Dans le même ordre d'idée, Acosta nous dit qu'avec cinq cacaos (grains), on achète une chose, et avec trente une autre, et avec cent encore autre chose ; on donne même des grains de cacao en aumône aux pauvres (Acosta 1962, 4 (22) : 180). Au cours de jeu de balles (tlachtli), jeu cérémoniel des Mésoaméricains, les seigneurs utilisaient les grains de cacao, parmi d'autres biens de luxe, dans les paris qu'ils faisaient (Anderson et Dibble 1954, 8 (10) : 29). Les grains de cacao n'avaient pas de valeur fixe ; il semble en fait que cette valeur ait varié selon la région ou l'époque. Motolinia nous dit que là où on récoltait le cacao, la carga (égale à 24000 grains de cacao) valait de quatre à cinq pesos ; lorsqu'on la transportait à l'intérieur des terres, le prix montait. Ce prix variait également selon les années : le prix montait lorsque la production annuelle avait été bonne et inversement (Motolinia 1971 : 217). Il y avait certains avantages à utiliser les grains de cacao comme moyen d'échange : leur flexibilité permettait de les utiliser dans des transactions de tous ordres, petites ou grandes ; leur résistance à la destruction en facilitait l'échange et la conservation. Les importantes réserves de cacao entreposées à Mexico-Tenochtitlan en témoignent. Et puis, en fin de compte, quand les grains devenaient trop usés, on pouvait toujours s'en faire une tasse de chocolat (Bergmann 1969 : 86).


Un système de poids et mesures contribuait à faciliter le décompte du cacao. Ce système était, comme dans le cas du calendrier ou d'autres calculs arithmétiques, vigésimal. Ainsi 400 grains de cacao équivalaient à un zontle ; vingt zontles (8000 grains) équivalaient à un xiquipÛ ; trois xiquipiles équivalaient à une carga, soit 24000 grains. Cette carga était considérée comme le poids maximum que pouvait transporter un homme ; il variait, selon la dimension des grains, entre vingt-cinq et trente kilogrammes. Enfin trois cargas équivalaient à un tercio, soit 72000 grains de cacao.

[...]

Cacao : breuvage de l'élite Le cacao est-il devenu un breuvage réservé à l'élite en raison de sa valeur comme produit d'échange ou fut-ce l'inverse ? Avant de tenter une réponse, il s'agira d'éclairer brièvement la première partie de la question.

Les Aztèques, écrivent les chroniqueurs, préparaient des breuvages de toutes sortes à base de grains de cacao; certains de ceux-ci avaient des vertus médicinales, d'autres n'étaient préparés que pour le plaisir d'être consommés. Dans la première catégorie, les grains de cacao moulus et sans autres ingrédients servaient à faire baisser la fièvre ou à soigner les maux de foie (!). Torréfiés et mélangés à une gomme nommée holli, ils soignaient la dysenterie. L'usage excessif du breuvage à base de cacao obstruait les viscères (Hernandez 1959 (LXXXVII) : 305). Sahagûn insiste également sur les effets néfastes du breuvage en ces termes :


Le cacao, quand on en boit trop, surtout quand il est vert et tendre, rend saoul, agit, fait que l'on se sent étourdi, il rend confus, rend malade, il dérange. Lorsqu'on en boit raisonnablement, le breuvage nous rend gai, nous rafraîchit, nous console, nous revigore. On dit alors : « Je mouille mes lèvres, je me rafraîchis ». (Anderson et Dibble 1963, 11 (6) : 119-120).


Il est probable que Sahagun fasse une confusion. L'effet qu'il attribue à un excès de chocolat provient sans doute du fait qu'à certaines occasions, il était accompagné de champignons hallucinogènes ou d'ololiuhqui (Rivea corymbosa). Ceci expliquerait davantage l'état dans lequel il décrit les consommateurs excessifs de cacao.

Dans la seconde catégorie, Hernandez décrit plusieurs préparations (1959 (LXXXVII) : 305). L'atextli, ou encore pâte mouillée, se prépare avec environ cent grains de cacao, torréfiés ou verts mais bien moulus, auxquels on ajoute des grains de maïs moulus. On peut également y ajouter les fruits d'autres plantes (mecaxochitl, xochinacaztli, tlilxochitl) également moulus. Avant de boire ce mélange, on doit le transvaser en versant d'un verre à l'autre, à partir d'une certaine hauteur, jusqu'à ce qu'on obtienne une écume et que remontent à la surface les parties graisseuses que l'on retirera. Ces breuvages composés, toujours d'après Hernandez, excitent « l'appétit vénérien », alors que les préparations simples rafraîchissent et nourrissent.


Un autre genre de breuvage se prépare en mélangeant vingt-cinq grains de cacahoapatlachtli, vingt-cinq grains de cacahoatl et une poignée de grains de maïs. Il est, lui aussi, source de rafraîchissement et de nutrition. Une troisième boisson a pour nom chocolatl (d'où provient évidemment notre terme chocolat) ; il se prépare avec la même quantité de grains de pochotl et de cacahoatl moulus. On remue le mélange avec un batteur de bois jusqu'à ce que remonte à la surface la partie graisseuse qu'on retire alors. On y ajoute ensuite une poignée de grains de maïs moulus. Ce breuvage, bu fréquemment, fait énormément grossir (!). Il soulage également efficacement les personnes souffrant d'épuisement (comme le chocolat pour les coureurs de nos jours). Un autre breuvage encore, nommé tzone, se prépare en torréfiant des grains de maïs et de cacahoatl en parties égales, puis en cuisant le tout et en y ajoutant encore un peu de cacao moulu pour épaissir le mélange. Il a, nous dit-on, des propriétés rafraîchissantes.

Acosta donne clairement son opinion sur les qualités des breuvages préparés à partir du cacao ; il ne semble pas les apprécier outre mesure :


« Le principal intérêt de ce cacao est le breuvage qu'on en fait et que l'on nomme chocolat, et c'est une pure folie de voir combien les habitants de ce pays l'apprécient, et combien aussi il écœure certains qui n'y sont point habitués ; parce qu'il a une écume à sa surface et un bouillonnement qui ressemble à la lie du vin et celui qui l'avale a beaucoup de mérite... On y met beaucoup de piment chili ; on en fait également une pâte qui sert de pectoral pour l'estomac et contre le catarrhe. » (Acosta 1962, 4 (22) : 180).


Si le cacao faisait partie de la pharmacopée mésoaméricaine, il a donc dû être utilisé, en quantité infime, soit, par toutes les couches de la société. Pourtant les sources ethnohistoriques semblent se recouper pour indiquer que le cacao, en tant que breuvage, au moins, était réservé aux seigneurs :


« A cette époque, donc, parmi les natifs payens, personne ne portait de vêtement de coton ; on se vêtait de fibres de maguey (Agave) à moins de faire partie de la classe privilégiée, que j'ai décrite; on pouvait encore moins boire du chocolat (breuvage indigène) à moins d'être un seigneur ou un chef. » (Duran 1971 (11) : 200).


Sans entrer dans le problème épineux d'une définition de la classe privilégiée chez les Aztèques, la seule lecture des sources ethnohistoriques nous permet d'inférer que les seigneurs (d'origine militaire ou religieuse) et les commerçants, dont le statut exact dans la structure politique aztèque demeure obscur, avaient droit au précieux breuvage et le consommaient. Chez eux ou à l'occasion de cérémonies, dans tous les cas, la consommation du chocolat était entourée d'un cérémonial élaboré. Dans sa maison, nous dit Sahagun :


A l'occasion de fêtes, le chocolat pouvait soit être consommé soit être présenté en offrande. Par exemple, les cérémonies en l'honneur de divinités aztèques comme Tlaloc (pluie), Chalciuhtlicue (sources et rivières) et Cihuacoatl (terre et femmes mortes en couches), et celle reliée au neuvième mois de l'année et dédiée aux « petits morts », étaient l'occasion d'offrandes de cacao (Duran 1971 : 158, 214, 271, 442).

Dans une autre cérémonie, nommée Neyolmaxiltiliztli, célébrée en l'honneur du grand dieu Quetzlcoatl, celui qui allait être sacrifié buvait auparavant une gourde de chocolat. Ce breuvage préparé avec l'eau qui avait servi à laver les couteaux cérémoniels d'obsidienne encore tachés de sang, portait le nom de itzpacalatl (eau provenant du lavage des lames d'obsidienne). Le sacrifié, nous dit Durân, était intoxiqué par ce mélange et s'offrait à la mort avec joie et plaisir (Duran 1972 : 132). Il est fort possible que l'on ait ajouté quelque intoxiquant au breuvage, ce qui était chose courante, à moins que le sang de sacrifiés n'ait eu de secrètes vertus.

Bien que toute la population ait pu assister ou même participer (les sacrifiés étaient généralement des esclaves ou des captifs de guerre) à ces cérémonies, elles étaient pensées et préparées par et pour les prêtres de l'élite. Le cacao faisait également partie intégrante des nombreuses cérémonies réservées aux énigmatiques pochteca, ces marchands qui pratiquaient le commerce à longue distance. Ici toutefois, il était consommé plus souvent qu'il n'était offert à quelque divinité. Étant donné les activités de ce groupe de marchands, qui partaient aussi en quête de nouvelles contrées qui puissent fournir les produits de luxe dont l'état aztèque était assoiffé, il n'est pas étonnant que le cacao, un de ces biens, ait été aussi étroitement lié à leurs cérémonies.

Au retour de leur campagne avaient lieu, entre autres, une cérémonie à caractère secret, réservée aux membres de leur famille et de leur corporation. Sahagûn la nomme « cérémonie du lavage des pieds ». Au cours de celle-ci, le commerçant qui rentrait de campagne offrait nourriture et breuvage à ses pairs après que ceux-ci aient lavé leurs mains et leurs bouches :


« Puis les coupes sacrées remplies du chocolat arrivaient. Ils disaient qu'ils allaient boire des coupes sacrées. Mais auparavant, ils présentaient une coupe à Xiuhtecutli (le dieu du feu) et une autre à Yacatecuhtli (le dieu des marchands). Quand celles-ci avaient été offertes, le chocolat était alors servi aux invités dans ces coupes sacrées; puis des tubes de tabac leur étaient donnés afin qu'ils les fumassent. » (Anderson et Dibble 1959, 9 (3) : 28).


A la suite de quoi, l'hôte leur offrait des présents parmi lesquels figuraient des coupes de coquillages, des grains de cacao et des grains de maïs. Nous avons, dans ces deux cas, des témoignages de la valeur idéologique accordée au cacao et de la relation étroite qui existait entre ce produit des basses terres tropicales et les marchands à longue distance.

A l'occasion d'un autre banquet offert pour payer leur dette aux dieux, les marchands s'intoxiquaient avec des champignons hallucinogènes (teonanacatl) ; puis, résonnaient les trompettes faites de coquillage, à la suite de quoi ils buvaient du chocolat et mangeaient des champignons avec du miel. Lorsque les champignons produisaient leur effet, les marchands se mettaient à danser et à pleurer, nous dit Sahagûn (Anderson et Dibble 1959, (8) : 38-39). Nombreuses, donc, sont les cérémonies aztèques où le cacao est utilisé soit comme breuvage sacré soit comme bien de luxe à valeur également sacrée. Les deux fonctions s'y confondent souvent.

Moyen d'échange, offrande ou breuvage sacré, le cacao avait acquis auprès des Aztèques le statut d'un produit de grand luxe. A ce titre, il était sûrement acquis et réservé aux membres de l'élite, seule capable de se le procurer. Les marchands à longue distance, de par leur fonction d'acquéreurs et d'intermédiaires dans la circulation de ce produit, y avaient également droit. Il est possible, toutefois, que dans les régions productrices des basses terres, le cacao n'ait pas eu cette valeur sacrée et qu'il ait été allègrement consommé par tous. Aujourd'hui encore, le chocolat est au Mexique, dans les régions rurales qui ne le produisent pas, un breuvage réservé à des occasions particulières (mariage, fêtes religieuses ou locales). Par contre, dans les marchés de Villahermosa, Tabasco, région productrice de cacao, on entend le bruit caractéristique que font les batteurs de bois dans les récipients où le cacao, le sucre et la cannelle sont mélangés à l'eau. Et, par les matins chauds et humides de la région de Tabasco, tous en boivent et s'en rafraîchissent.

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Jacques Brosse dans La Magie des plantes (Éditions Hachette, 1979) consacre dans sa "Flore magique" un article au Cacao :


En 1502, au retour de son quatrième et dernier voyage aux Indes occidentales, Christophe Colomb rapporta en Espagne des fèves dénommées cacahuatl qui, en Amérique, servait à préparer une boisson, le chocolatl. Les Mexicains en consommaient depuis toujours. Chez les Aztèques, seuls les riches et les dignitaires en buvaient, car le cacao était un produit de luxe, venu des lointaines Terres chaudes du Sud. Aussi, les graines de cacahuatl servaient-elles de monnaie, et les peuples soumis à la domination aztèque s'acquittaient de leurs tributs sous la forme de caisses de fèves de cacao qui s'accumulaient dans le trésor impérial. On agrémentait le chocolatl de miel parfumé à la vanille, ou bien on l'épiçait au jus d'agave fermenté et au piment.

Pendant une centaine d'années, la boisson d'Amérique n'eut guère de succès en Europe. En 1590, dans son Historia natural y moral de las Indias, l'auteur espagnol José de Acosta en parle encore comme d'un « breuvage horrible », mais, dès le début du siècle suivant, le chocolat commençait à être en vogue à la cour d'Espagne, et ce sont deux reines venues de ce pays qui l'introduisirent en France, Anne d'Autriche, lors de son mariage avec Louis XIII en 1615, mais surtout Marie-Thérèse qui avait épousé Louis XIV en 1660. La reine, qui en raffolait, en gardait des stocks sous clef et s'en faisait préparer en secret par une servante espagnole, mais cela se sut et aussitôt la mode s'en répandit dans le grand monde. Le chocolat était alors utilisé comme fortifiant et stimulant, certains le tenaient même pour un aphrodisiaque et un fécondant. On racontait l'étrange mésaventure arrivée à une marquise qui, ayant abusé du chocolat pendant sa grossesse, avait mis au monde un garçon « noir comme le diable ». Au XVIIIe siècle, un médecin anglais défendait encore ses vertus fécondantes, car sa propre épouse, « ayant bu du chocolat, mit au monde des jumeaux ». Le 11 février 1671, la marquise de Sévigné, toujours à l'affût des nouveautés, le recommande à sa fille : « Vous ne vous portez pas bien, le chocolat vous remettra. ». Mais, deux mois plus tard, elle l'accuse de tous les maux : « Il est la source des vapeurs et des palpitations ; il vous flatte pour un temps, puis il vous allume tout à coup une fièvre continue qui vous conduit à la mort. ». Malgré cette condamnation radicale, le chocolat n'en poursuivit pas moins sa carrière, surtout après que les Anglais eurent ajouté lait et sucre à ce breuvage amer que l'on préparait auparavant à l'eau. Toutefois, à la fin du XVIIIe siècle, un mémorialiste constatait que « les grands de ce monde en prennent parfois, les vieillards souvent, le peuple jamais ». Dans sa Physiologie du goût (1825), l’illustre gastronome Brillat-Savarin vantait le chocolat comme l'un des fortifiants les plus efficaces ; nous savons aujourd'hui qu'il contient en effet deux stimulants, la caféine et la théobromine.

C'est seulement à partir du milieu du XIXe siècle que le chocolat devint un produit de consommation courante, accessible à tous. Au début de ce siècle, on commença à en faire des bonbons, des pastilles, puis des tablettes, mais, sous le nom de « chocolat de santé », celles-ci servaient surtout de remède, puis on le parfuma à la vanille, à la cannelle et, en 1825, J.A. Meunier fonda à Noisiel-sur-Marne la première chocolaterie industrielle ; quatre ans plus tard, le Hollandais C. J. Van Houten, ayant réincorporé dans la poudre de cacao une partie du beurre qu'on en avait extrait, mit dans le commerce la première tablette de « chocolat à croquer » ; enfin, en 1876, la Suisse lançait le chocolat au lait qui devait faire le tour du monde.

Revenons maintenant aux forêts tropicales d'Amérique, où croît le cacaoyer, en botanique Theobroma cacao, theobroma signifie en grec « nourriture des dieux ». C'est un petit arbre d'une dizaine de mètres de haut, réduit en culture à 5-6 m, aux grandes feuilles persistantes très denses, qui vit jusqu'à quatre-vingts ans et ne peut se développer qu'à l'ombre du sous-bois, en climat chaud et humide. la singularité de sa silhouette lui vient des fruits énormes qui naissent directement du tronc et des grosses branches. Ces baies ovoïdales et côtelées, à l'épiderme épais et coriace, appelées « cabosses », sont jaune rougeâtre, puis brun rouge à maturité ; elles mesurent de 10 à 20 cm de long et pèsent de 300 à 500 g. Nichées dans une pulpe mucilagineuse, les graines ont la grosseur d'une petite fève. Décortiquées, torréfiées et moulues, elles fournissent d'une part, pour plus de la moitié, une graisse fine, le beurre de cacao, qui trouve son emploi en pharmacie, et d'autre part, la poudre de cacao. Le succès universel du chocolat a fait multiplier les plantations du cacaoyer fort loin de son pays d'origine, en Afrique orientale, en Extrême-Orient et dans les îles du Pacifique.

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Littérature :


Dans le récit intitulé "Les Fils du conquistador", extrait de L'Oranger (1993 ; traduction française : Gallimard, 1995), Carlos Fuentès nous propose un dialogue entre les deux fils aînés de Cortès, celui de la Malinche et celui de sa femme espagnole. Le premier se souvient de l'arrivée glorieuse de son frère à Mexico :


On sait que les fortunes au Mexique se bâtissent rapidement, mais en ces années qui suivirent la Conquête il suffisait d'être pauvre et espagnol pour s'installer comme mendiant, et l'on fondait bientôt une fortune dynastique, n'en déplaise aux enfants et aux petits-enfants, aujourd'hui anoblis, de ces bélîtres. Ceci est un pays, tu le sais aussi bien que moi, où l'argent pousse sur les arbres, puisque la monnaie courante des Indiens est le cacao, dont l'arbre a la taille de l'oranger et les fruits la taille de l'amande, et cent de ces grains valent un réal. Il suffit de s'allonger au marché sur un petate à vendre du cacao pour finir, tel le chevalier Alonso de Villaseca, avec un pécule d'un million de pesos. Cela pour donner une idée de l'éclat de la réception de mon frère Martin Cortès à son retour d'Espagne [...].

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