Étymologie :
VARAN, subst. masc.
Étymol. et Hist. 2e moit. xive s. varel (ds G. Ineichen, Il glossario arabo-francese di Messer Guglielmo e Maestro Giacomo, 1972, 317, n°180 cité par R. Arveiller ds Trav. Ling. Litt. Strasbourg t. 17 n°1 1979, p. 87) ; 1556 guaral (J. Temporal, trad. de la version ital. de Jean Léon l'Africain, Historiale description de l'Afrique, I, 386, ibid., p. 88) ; 1677 varal (adapt. anonyme de l'all. du P. J. M. Wansleben, Nouv. rel. en forme de Journal, d'un voyage fait en Égypte, 77, ibid.) ; 1725 oûaral (Sicard ds Nouveaux Mem. des Missions de la Cie de Jésus dans le Levant, V, 194, ibid., p. 89) ; 1801-02 varan (F. M. Daudin, Hist. nat., gén. et partic., des reptiles, III, 51-52, ibid. : le varan d'Égypte) ; 1801-02 ouaran (E. Geoffroy-Saint-Hilaire ds Mém. sur l'Égypte, publiés dans les années VII, VIII et IX, Paris, t. III, an X, p. 225 : l'ouaran du désert) ; 1810 waral, waran (A. I. Silvestre de Sacy, trad. de l'ar. d'Abd-Allatif, Rel. de l'Égypte, 142, cité par R. Arveiller, op. cit., p. 90 : le waral ; A. I. Silvestre de Sacy, op. cit., p. 163 [en note, citant Geoffroy-Saint-Hilaire] : waran ou waral). Empr. à l'ar. waran, var. de waral « varan » (cf. Dozy t. 2, pp. 797-798 ; Lammens ; Devic ; Lok. n°2156 ; FEW t. 19, p. 198 ; Nasser, p. 547). Lat. sc. varanus (1810, s. réf. ds Rob. ; 1820, Merrem, Tentamen Systematis Amphibiorum, 13, 58 ds Neave). L'a. fr. varain (déb. xiiie s., Vie St Eustache, éd. A. C. Ott, 1186 : Moi d'un lïon et cestui d'un varain) ne peut convenir ici, puisqu'il s'agit en fait non pas d'une sorte de crocodile, comme le définir Gdf., mais d'un loup ; cf. R. Arveiller, op. cit., p. 87.
Lire également la définition du nom varan afin d'amorcer la réflexion symbolique.
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Symbolisme :
Pour Germaine Dieterlen, auteure de l'article intitulé "Mythe et organisation sociale en Afrique occidentale" (In : Journal de la Société des Africanistes, 1959, tome 29, fascicule 1. pp. 119-138) :
[...] Les quatre portes historiques de Dya se trouvent dans trois habitations. [...]
Porte de l'est. — La porte de l'est symbolise sur le plan mythique « l'arrivée sur terre » des ancêtres, figurés par les varans, et la prise de possession du sol dans la région par les fondateurs de la ville sur le plan historique.
La porte est divisée en deux panneaux longitudinalement. Ils représentent le « cours d'eau sans courant » gawatay qui unit le Dyaka à la mare de Dya. Or, l'eau en saison des pluies circule du Dyaka à la mare, et en sens inverse en saison sèche. Ainsi les deux panneaux figurent-ils le va-et-vient de l'eau du Dyaka à la mare par le gawatay. En témoignent aussi les positions inversées des varans « gardiens du gawatay ». A gauche, les varans d'eau (kui) (le mâle suivant la femelle) ; parallèlement, à droite, les varans de terre (koro). Sur le plan social, ces varans sont l'image des « jumeaux mixtes primordiaux ».
En même temps, l'eau du Dyaka qui s'écoule dans la mare, transporte avec elle le dya des êtres vivants placés sous la domination de Faro, notamment-ceux des être humains. Les trois animaux figurés sur les panneaux, girafe, hyène et antilope sont les « assistants de Faro » en ce qui concerne les « interdits de l'eau » dont il est le maître.
Porte de l'ouest. — Cette porte symbolise le développement de l'humanité à partir des huit ancêtres primordiaux et parallèlement celui de l'agriculture, Elle est formée d'un panneau divisé en quatre parties. Sont associés les deux motifs du haut et du bas à gauche, et, parallèlement, ceux de droite.
A gauche, se trouvent quatre varans d'eau kui (bz.) (deux mâles, deux femelles). Au-dessus et au-dessous-, sont placées parallèlement deux petites tortues d'eau, tango (bz.) ngongo (bb.) 1 et une antilope kwo (bz.). A droite, sont placés parallèlement quatre varans de terre koro (bz.). Au-dessus et au-dessous, deux tortues et un oryx dângalâule.
Les huit varans figurent « les huit ancêtres » des hommes, associés aux quatre directions de l'espace, sur lequel se multiplia l'humanité et aux deux éléments (terre à droite, eau à gauche) liés à l'agriculture. Les tortues sont l'image, d'une part, des champs cultivés figurés par les carrelages des carapaces, d'autre part, celle des naissances : quand elles se suivent (comme à gauche en haut) elles représentent les enfants nés uniques, quand elles sont placés face à face (comme à droite en haut) les jumeaux.
Les deux cervidés symbolisent « les animaux qui, sur l'ordre de Faro, devaient surveiller les cultures et les défendre contre l'impureté et les vols de Mousso Koroni Koundyé ». Le dângalâule qui devait veiller sur les plantes, ayant désobéi et traversé Геаи, se noya. Ces cervidés sont figurés par des masques dans les cérémonies actuelles des Bambara et des Bozo.
Porte du sud. — La porte du sud qui donne du vestibule dans la pièce habitée par le propriétaire comporte un symbolisme complexe qui se rapporte d'une part, aux 22 premiers interdits totémiques observés par de nombreuses sociétés soudanaises, d'autre part, aux représentations attachées aux âmes humaines, et notamment à leur protection : le propriétaire de la demeure est le sacrificateur du groupe pour le culte des âmes des ancêtres.
La porte est divisée en. deux panneaux distincts. Le panneau de droite comporte un losange en relief figurant la mare de Dya qui recèle le dya des ancêtres. Au-dessous un varan d'eau (à gauche) et un varan de terre (quadrillé, à droite) sont les ancêtres jumeaux primordiaux.
Au-dessus sont placés cinq animaux : une autruche, une grenouille, un éléphant, un serpent et un scorpion. Ainsi sont représentées sur ce panneau les principales espèces animales qui comportent les interdits totémiques : les reptiles, les oiseaux, les batraciens, les mammifères et les insectes.
Ce panneau comporte également des stries, groupées sur la séparation en bas-relief (au milieu) et à droite à l'extrémité de la porte. Ces tracés marquent « l'entrée et la sortie du monde », soit le cycle régulier de la vie et de la mort, c'est-à-dire, les naissances et les décès. Le nombre des naissances (26), supérieur au nombre des décès (19) semble se rapporter au fait que, dans toutes les sociétés soudanaises, les décès des enfants en bas âge ne comptent pas dans la nomenclature.
La partie gauche du battant présente deux séries d'animaux placés les uns au-dessous des autres : à gauche un « chien de brousse » fwoerigàl un singe walilu, une pintade dyawa, une perdrix goro, une girafe kaňga, un oryx dângalâule mâle, une panthère kuňuma, une jument sye yalo, une hyène Mo ; à droite une antilope ko, un lion homohoh un oryx femelle, un buffle songoïma, un étalon sye, une gazelle. Ainsi sur le plan du totémisme, les 24 animaux de la porte représentent-ils les jumeaux primordiaux (les varans) et les 22 premiers interdits totémiques.
En haut et en bas de la porte se trouvent des bas-reliefs en zigzag, qui se comptent au nombre de quatre fois huit crans. Ils figurent à la fois le mouvement de l'eau, les vibrations de la parole et aussi les âmes des huit ancêtres primordiaux. Les mêmes zigzags sculptés sur le pourtour de la mare sont associés aux âmes des êtres vivants.
Porte du nord. — La porte de Kwanta, divisée en quatre panneaux est associée à la chasse comme aux battues rituelles des Bozo, effectuées au harpon, comportant vingt sorties collectives aux quatre points cardinaux, est, puis ouest, sud, nord. Ces dernières ont lieu au mois d'octobre, et sont suivies, à Dyaf arabe, de sorties de masques nocturnes.
Elle est dite « porte de la battue » pe ko, ou « porte de la chasse » fêle ko, et résume la « chance » du groupe intéressé pour la poursuite du gibier.
D'après les informateurs, le symbolisme attaché aux divers animaux groupés dans chaque panneau, unit chacun d'eux à l'une des quatre grandes « chasses au harpon » des Bozo.
En haut à gauche, chasse au lamentin, ma :
un varan de terre, kui, mâle
un chameau, nyomo
une hyène, Mo
deux chevaux, sye.
En bas à gauche, chasse à l'hippopotame :
une autruche, konosogone
un varan d'eau, кого, femelle
une panthère, kuňuma, mâle
une panthère, kuňuma, femelle
une antilope, karakadane, mâle
une antilope, karakadane, femelle.
En haut à droite, chasse au crocodile :
un crocodile noir, suô, femelle
une antilope, ka
quatre dângalâule
un singe, walilu.
En bas à droite, chasse du « gibier », soko :
un crocodile blanc, sud, mâle
un lion, homoholo
un singe, walilu
un cheval, sye.
Ce dernier panneau est en relation avec les battues collectives exécutées au harpon sur les îlots de terre qui émergent au moment de la crue annuelle au Macina et où se réfugient les animaux : cervidés, rongeurs, serpents, etc.
La pièce que clôt la porte, interdite aux femmes, contient des autels collectifs et individuels, les armes du propriétaire, qui est « chef de la chasse » fêle kuntigi. Ce dernier est également guérisseur et détient les remèdes protecteurs de la battue où interviennent diverses parties du corps des varans. Le varan d'eau est le symbole de « l'ancêtre » : les connaissances, gardées secrètes, des guérisseurs sont en rapport direct avec cet animal. Ses os, calcinés ou non, sont particulièrement révérés, et utilisés dans les cas graves. Ceux du varan de terre vivifient la force des autels individuels (bz. кого do, bb. boli) ; la chair de cet animal, associée à diverses plantes, sert de médicament pour les maladies courantes.
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Selon Luc de Heusch, auteur d'un article intitulé « La capture sacrificielle du pangolin en Afrique centrale », (in Systèmes de pensée en Afrique noire [En ligne], 6 | 1984) :
Les Lele semblent tracer une frontière incertaine entre animaux - esprits et animaux dégoûtants . Prenons le cas du varan d'eau (varanus niloticus). Cet amphibien a un statut ambigu. Dans un premier essai , Mary Douglas nous le présente comme hama : les Lele sont révoltés à l'idée de manger une créature ressemblant à un serpent (Douglas 1955 : 390). Mais ailleurs, le même animal est classé parmi les animaux - esprits. Les femmes ne peuvent même pas toucher le varan d'eau parce qu'il diffère des serpents comme des espèces voisines : "Les Lele le décrivent comme un cousin du crocodile, mais dépourvu d'écailles ; semblable à un serpent muni de petites pattes ; semblable au lézard, mais plus gros, plus rapide et plus méchant. Comme le crocodile, le varan est un gros amphibien , potentiellement dangereux " (Douglas 1957 : 48) .
Or, si l'on classe les animaux-esprits en fonction de leur caractère mystique, le varan d'eau occupe une position privilégiée comparable à celle du petit pangolin, l'animal le plus fortement valorisé. En effet les femmes doivent s'abstenir de tout contact avec ces deux espèces, alors qu'elles peuvent toucher, mais non manger, la tortue et le babouin et qu'elles évitent les espèces aquatiques seulement durant leur grossesse (Douglas 1957 : 48-49) .
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Selon Marie-José Tubiana, auteure d'un article intitulé « Royauté et reconnaissance du chef par le serpent », (in Systèmes de pensée en Afrique noire [En ligne], 10 | 1990) :
Dans les royaumes kotoko, la description des rites liés à l’intronisation du chef et la reconnaissance de celui-ci par les trois varans propriétaires du sol offrent des éléments comparables. Le varan satisfait « se frotte contre les parois du trou » où il réside, ou bien « pose sa tête sur le trône, regarde le souverain et rentre ». Dans tous les cas il doit se montrer (Griaule & Lebeuf, 1951 : 6-30). A.-M. D. Lebeuf signale que le Prince doit nécessairement être agréé par un varan et un serpent qui sortent de leur tanière et acceptent l’offrande de nourriture qui leur est faite faute de quoi on procède à une nouvelle élection. Le serpent, un python, est associé à l’eau et le varan à la brousse (1969 : 234-243).
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Mythologie :
Alfred Adler, dans une "Conférence de M. Alfred Adler." (parue In : École pratique des hautes études, Section des sciences religieuses. Annuaire. Tome 98, 1989-1990. 1989. pp. 94-101) évoque le symbolisme du varan :
Le séminaire s'est poursuivi par l'examen d'une autre famille de mythes. Il s'agit alors d'une fondation qui ne consiste plus seulement en la superposition au pacte premier de l' autochtonie d'un pacte conclu avec un personnage venu d'ailleurs et doté de propriétés spécifiques, mais qui a pour objet l'espace sur lequel un pacte se noue entre des groupes hétérogènes et qui est l'espace de la cité. Un remarquable exemple de ce type de mythe nous est fourni par l'un des récits recueillis par A. Lebeuf dans Les principautés kotoko (A. Lebeuf, 1969) ?
Il s'agit de la fondation de la cité de Makari (Cameroun). Des groupes de chasseurs arrivent successivement sur une butte ou surgissent deux varans qui, en échange d'une promesse d'offrandes régulières de nourriture, leur abandonnent la propriété du sol où ils tracent les limites de la cité. Après de multiples et sanglantes péripéties, le pouvoir échoit à un prince qui a tué le serpent auquel les citadins devaient verser un lourd tribut. Les quartiers de la cité correspondent aux 8 morceaux en lesquels le corps du serpent fut découpé.
Il faut noter que le varan et le serpent remplissent une fonction analogue : ils sont les médiateurs entre les premiers habitants - le serpent associe dans sa généalogie deux groupes ennemis - et aménagent l'espace de la cité en assignant à chacun sa place. Mais les modalités d'action sont différentes : le varan tient son efficacité de son émergence du sol, le serpent tient la sienne du démembrement et de l'inhumation de son propre corps. La fonction symbolique de ces deux animaux est aussi mise en évidence dans un thème récurrent des légendes kotoko.
La comparaison de l'ensemble des mythes kotoko recueillis par A. Lebeuf fait apparaître que toute fondation implique la succession d'événements semblables : 1) découvertes d'un site révélé par un signe tel une pierre (emblème céleste) ou un varan (animal chtonien) ; 2) arrivée simultanée ou successive d'au moins deux groupes distincts ; 3) intervention d'un animal médiateur entre les hommes et le sol ; 4) sacrifice du fondateur ou de ses enfants ; 5) délimitation et aménagement de l'espace consacré et organisation du pouvoir.
C'est le sacrifice d'un des fondateurs - ou de sa progéniture - qui se révèle comme l'acte essentiel dans l'édification et la constitution des cités kotoko. Il réalise non seulement l'union de l'homme avec le sol de l'espace qu'il a délimité mais l'union des groupes entre eux. L'étude des rites complexes dont le Prince de la cité est l'objet (l'intronisation) ou qu'il a en charge, nous montre qu'ils constituent une mise en acte de certaines séquences essentielles du mythe et notamment du sacrifice, dans la mesure où il est lui-même identifié au taureau noir qu'on immole pour la réfection périodique de la muraille, sanctuaire du varan et du serpent. Le Prince est sacrifié sous les espèces du taureau, comme l'Ancêtre le fut lui-même à la fondation pour renaître et engendrer la vie. « L'ensemble des citadins, écrit A. Lebeuf, participe à cet acte de foi en mangeant la chair de son corps démembré - image de la ville inerte - dont les morceaux ont seulement été passés au feu, consommation qui leur permet de devenir, jusqu'à un certain point, les artisans de l'œuvre divine de régénérescence ». (A. Lebeuf, 1969).
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