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  • Photo du rédacteurAnne

L'Aubépine (suite)


Suite de l'article commencé en 2016.





Symbolisme celte :

Selon L'Oracle des druides, Comment utiliser les plantes magiques de la tradition druidique (1994, traduction française 2006) de Stephanie et Philip Carr-Gomm, l'aubépine fait partie de la carte des Gardiens au même titre que le bouleau et le sureau. Pour ces trois arbres, les mots clefs sont :

en "position droite : Immunité - Force - Longévité

en position inversée : Lenteur - Combinaison - Synergie.


Les gardiens sont trois arbres qui, ensemble, préservent la santé humaine et prolongent même la vie en fortifiant le système immunitaire, le cœur, le système circulatoire, le foie et les reins. Tous font partie de l'ogham de 18 arbres et 7 plantes formant le mystérieux alphabet des arbres, appelé parfois la "langue des druides".


La carte montre un bouleau poussant entre un sureau et une aubépine. Les trois arbres sont les gardiens du bassin sacré, dans lequel pousse la véronique cressonnée, appelée aussi pimprenelle aquatique. Selon Pline, elle pourrait être le mystérieux samolus révéré par les druides.

Sens en position droite. Si vous avez choisi cette carte une situation ou une relation apparemment en difficulté peut être préservée et fortifiée en agissant. Parfois, s'il n'y a aucune chance de "remède rapide", un problème peut être lentement réglé au fil d'une période de temps par une série d'ajustements infimes. Les trois gardiens fortifient progressivement les principaux organes du corps. De même, si vous tentez de renforcer des aspects spécifiques d'une relation, avec le temps cela affectera toutes ses facettes. Au lieu de vous concentrer sur les zones de faiblesse du couple, identifiez les bonnes connexions et fondez-vous sur elles. Les relations durables ont besoin d'un "système immunitaire" sain, capable de gérer les stress inévitables apparaissant entre deux individus.

Sens en position inversée. Les plantes agissent parfois mieux quand elles sont administrées en tant que remède et parfois en association avec leurs semblables. Si vous avez choisi cette carte, on fait appel à vous pour travailler dans un groupe. Votre indépendance est menacée, mais il se peut que la synergie générée en équipe soit plus efficace que le travail solitaire.

La carte suggère par ailleurs que vous devez avoir confiance dans vos capacités et vus fier à la vie afin de ralentir et de ne pas accepter n'importe quelle offre. Nous nous précipitons souvent à travers la vie, anxieux à l'idée que si nous nous arrêtons nul ne voudra de nous. C'est généralement faux. En ralentissant ou en faisant une pause, nous donnons à la vie une chance de nous indiquer de nouvelles directions.

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Toniques et fortifiants

Les trois gardiens agissent d'une certaine façon comme la famille archétypale, avec le sureau comme mère, l'aubépine comme père et le bouleau comme le jeune enfant apportant fraîcheur et renouvellement. Chaque arbre offre des dons extraordinaires.

Le sureau pousse en Grande-Bretagne depuis des millions d'années. Vers 400 av. J. C., Hippocrate dit qu'il est son "remède pour la poitrine". Il est associé à la vieille femme et jadis il était autant révéré que craint. Lié à la mort et l à la sorcellerie malfaisante, mais également avec la protection contre l'éclair et les sorcières, ces associations contradictoires se font l'écho de la nature de l'arbre, dont l'écorce et les feuilles sont toxiques, mais dont les fleurs et les baies ont de puissantes propriétés curatives et fortifiantes. Les baies et les inflorescences du sureau servent à la préparation d'un excellent tonique et vin. Ses capitules sont utilisés en encens. Boire régulièrement du jus de baies de sureau stimule le système immunitaire, atténue le stress, aide à maintenir une circulation saine, entretient la santé cardiaque et prévient le durcissement des artères.

L'aubépine, qui fleurit en mai, à Beltaine, chargeant les haies de fleurs, est aussi appelée noble-épine. Ses baies rouge sang sont si bonnes pour le cœur et le système circulatoire que l'arbre a parfois été appelée "le père du cœur". Le druidisme et la tradition populaire associent l'aubépine au monde des fées et de la sexualité. Elle est devenu l'un des arbres les plus importants pour la phytothérapie. Les feuilles, les fleurs et les baies contiennent des antioxydants qui protègent les tissus cardiaques. Les préparations à base d'aubépine fortifient par ailleurs les pulsations du cœur et abaissent la pression sanguine. Prises quotidiennement en tisane elles protégeront le cœur et la circulation.

Le bouleau a été l'un des premiers arbres à coloniser la Grande-Bretagne lors de la fonte des glaces. Il est associé au druidisme pour la purification, la naissance et les nouveaux commencements. Les badines en bouleau étaient utilisées sur les mécréants - et dans les saunas scandinaves - pour éliminer les impuretés. Les berceaux étaient traditionnellement façonnés en bouleau. L'effet purifiant de cet arbre attirant est également physiologique. Les feuilles, la sève et l'huile extraite de son écorce ont des utilisations médicales. La sève, en plus de faire un bon vin, est un tonique au printemps et en automne - améliorant surtout le métabolisme des protéines et l'élimination des déchets hépatiques et rénaux. Les herboristes anciens prescrivaient du bouleau pour les rhumatismes et les calculs rénaux. On a découvert actuellement que les composantes du bouleau sont efficaces pour le traitement du cancer et du VIH. Prises régulièrement en tisane, les feuilles et l'écorce prolongent apparemment la vie."

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Dans L'Oracle des Simples, savoir ancestral des Sorcières de campagne (Éditions Arcana Sacra, 2019), Siolo Thompson présente ainsi l'Aubépine :


Mot-clef : Sacré.


Les fruits de l'aubépine, appelés cenelles, sont comestibles crus, et on peut aussi en faire des gelées, des confitures et des sirops. Le nom aubépine désigne un groupe de diverses plantes qui comprennent la fois des arbres et des arbustes. Les baies ont une saveur qui ressemble à celle des pommes mûres ; certaines variétés sont très acides. Au printemps, les pétales et les feuilles sont très agréables et suffisamment comestibles pour être utilisés en salades. On s'en sert aussi pour faire du vin d'aubépine, aussi appelé vin d'épine. Cette plante est utilisée en médecine traditionnelle depuis des siècles car les cenelles ont des composés actifs qui améliorent la santé du système cardio-vasculaire. C'est une plante importante pour toutes sortes de choses, confiture, alcool, vitamines et médecine ; les cenelles sont encore plus populaires en Asie qu'en Europe occidentale et en Amérique du Nord.

Pour faire de la gelée d'aubépine, récoltez des cenelles rouges en automne. Glanez environ un kilo de baies et faites-les rouler entre vos mains pour les détacher des tiges. Lavez-les bien et mettez-les dans une casserole à fond épais, avec assez d'eau pour couvrir. Faites mijoter à basse température. Écrasez-les quand elles ramollissent ; je me sers d'un écrase-purée tout simple. Il faut environ une heure de cuisson pour que les cenelles se désagrègent. Mettez la purée cuite dans une étamine, nouez le haut, et laissez-la suspendue au-dessus d'un saladier toute la nuit pour un résultat optimal ; vous devriez avoir environ un demi-litre de liquide. jetez la pupe qui reste dans l'étamine. Mettez ce liquide dans une casserole avec 500 g de sucre en poudre. Ajoutez le jus d'un citron et faites bouillir jusqu'à ce que le mélange commence à gélifier, à environ 105°C. Versez dans un bocal stérilisé et dégustez. Cette recette de base est excellente avec des cenelles d'aubépine, parce qu'elles ont beaucoup de pectine et gélifient bien, mais vous pouvez aussi l'essayer avec d'autres fruits et baies glanés, comme des baies de sureau, des airelles, des mûres, des coings, des pommes, des prunes ou un mélange des uns et des autres. Vous pouvez aussi faire cuire les baies, les écraser, les mélanger avec du sucre, et les déshydrater en répartissant une fine couche du mélange sur une plaque de cuisson que vous mettrez dans un déshydrateur. La pâte de fruits épaisse que vous obtiendrez est délicieuse et pleine de vitamines.

L'aubépine est l'arbre de Beltane, une fête célébrée le premier mai, et un moment où, dit-on, les mondes visible et invisible se rencontrent. L'aubépine joue un grand rôle dans beaucoup de traditions folkloriques, et on considère que cet arbre est sacré pour les fées, ainsi que l'arbre le plus propice pour faire un balai de Sorcière. Il y a beaucoup de récits historiques et de représentations artistiques de la Reine des Fées émergeant d'un taillis d'aubépine. Un bosquet d'aubépine planté en cercle était le cadre de prédilection pour des rituels centrés sur la Déesse, effectués par des femmes pratiquant le druidisme. Parmi les traditions associées à l'aubépine, il y a la croyance qu'il porte malheur de couper de l'aubépine ou de déranger ses branches. Fraîchement coupée, l'aubépine émet un parfum de mort, à cause d'un produit chimique, la triméthylamine, qui est présente à a fois dans ses fleurs et dans les tissus animaux en décomposition ; ce qui explique probablement la tradition qui recommande de ne pas faire entrer de fleurs d'aubépine dans sa maison ! L'aubépine fleurit tôt dans l'hémisphère nord et, traditionnellement, les fleurs d'aubépine sont essentielles à la célébration du premier mai.


Propriétés oraculaires : L'aubépine est vraiment l'amie des Sorcières, car aucune plante n'incarne plus succinctement la Marche sur la lisière. Non seulement elle est au seuil de l'invisible, mais cet arbre est depuis longtemps considéré comme un portail. L'indication oraculaire de l'aubépine est sacré, à cause de la place importante qu'elle occupe dans les traditions magiques, et des légendes et des traditions qui lui sont associées. Comment est-ce que le mot sacré s'applique à votre vie ? Votre système de valeurs peut être sacré ; il vous aide à créer une hiérarchie d'importance et met l'accent sur ce qui est le plus précieux dans votre vie. Les rituels personnels, les objets et les espaces peuvent constituer un autre aspect de cette indication oraculaire. Pour bien prendre soin de soi, il est important de créer un espace sacré pour soi-même, soit par la méditation, soit par des objets matériels, et cela peut être essentiel pour vous relier à votre créativité et à votre identité profonde. Dans le tarot, le Bateleur et la Papesse rappellent beaucoup cette plante, car eux aussi se tiennent au seuil entre les mondes et mobilisent des forces et des puissances qui viennent à la fois du monde visible et du monde invisible.

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Sharlyn Hidalgo, autrice de Rites de magie celtique, Les Cérémonies des treize lunes et de Samhain (Éditions Danaé, 2020) relie les Lunes au symbolisme de l'ogham :


21 mars - 17 avril

Sixième Lune, Avril


Mots-clefs : Purification - Pureté - Chasteté - Protection du royaume intérieur - Préparatifs pour Beltane - Le mariage sacré de l'intellect/l'esprit et de l'émotion/l'intuition - Nettoyage de printemps ; Arbre aux fées -


Totems : Fées - Cerf blanc - Licorne -


Guides et Divinités : Herne le Chasseur - Cernunnos le Dieu cornu - L'Homme vert des bois - La Déesse sous ses traits de jeune file - Kernal - la Grande Reine - Déesses mères - Kèr -


Conseils pratiques : Changez d'attitude - Faites preuve de discipline et de retenue -


Cérémonie de l'Aubépine : L'objectif de cette cérémonie est de célébrer l'aubépine et le retour du printemps. Cette cérémonie a pour but de communier avec le monde invisible et d'accéder au royaume de la magie. C'est également l'occasion de retrouver votre innocence et de rétablir votre souveraineté sacrée. Ce rituel favorise également la purification et le nettoyage.


Accueil et remerciements : Bienvenue à la cérémonie de l'aubépine. Présentez-vous et faites le tour du cercle en demandant à chaque participant d'indiquer son nom et la raison pour laquelle il s'est joint à vous. Demandez à vos invités de fermer les yeux et observez un moment de silence pour vous préparer à la cérémonie.


Invocation des points cardinaux : Invoquez les points cardinaux et les énergies de l'aubépine (nettoyage et purification) ainsi que ses totems, guides et divinités (le cerf blanc, le peuple des elfes, les fées, la licorne, la prêtresse de l'aubépine, Herne le Chasseur, Cernunnos, l'Homme vert, la Déesse sous ses traits de jeune fille et de mère). Nous remercions les éléments qui assurent la vie sur Terre. Invoquez l'esprit de l'aubépine. Remerciez tous les guides du royaume invisible pour avoir créé et préservé la manifestation physique de la flore sur la planète. Nous célébrons également l'équilibre entre les influences de la Lune et du Soleil en cette époque de l'année. Nous célébrons le retour de Kernal du monde souterrain et la joie de Kèr au retour de sa fille Nous honorons le printemps.


Enseignements : L'aubépine est connue comme l'arbre aux fées. Elle protège ce que nous considérons comme divin. Elle nous rappelle que notre vie intérieure et notre corps sont sacrés. Elle protège le royaume magique contre les jugements et les plaisanteries qui sont le résultat d'une approche linéaire de la vie qui ne laisse aucune place au mystique. Elle nous rappelle de retrouver notre innocence et de nous ouvrir aux mystères. Elle nous remémore que notre Terre-Mère est un paradis et que nous sommes ici pour l'honorer. Nous sommes reconnaissants pour le retour du soleil et le début d'un nouveau cycle de la vie. C'est un mois de purification durant lequel le nettoyage est essentiel pour préparer la fête de Beltane qui a lieu le 1er mai et qui correspond au début de l'été et de la saison des plantations pour les Celtes. C'est de là qu'est née l'expression « nettoyage de printemps ».


Incantation :

Que nous enseigne l'aubépine ? Il y a de la magie dans l'air.

Notre bonheur trouve sa source dans nos liens

avec le monde naturel.

Regardez ! Nous purifions et préparons.

Nous faisons le nettoyage de printemps.

Nous sommes libres de danser dans le mystère.

Nous cherchons à comprendre notre souveraineté sacrée.

Que nous enseigne l'aubépine ? Le retour à l'innocence.


Chants : Choisissez des chants qui honorent la Déesse sous ses différentes visages ainsi que des chants en rapport avec le début du cycle annuel des saisons et le retour du soleil et du printemps.


Méditation guidée : Pour commencer à vous reconnecter à votre innocence et votre souveraineté, fermez les yeux. Imaginez que vous méritez d'être protégé et respecté. Prenez le temps d'assimiler cette image. Intégrez cette notion. Vous engagez-vous à être votre propre défenseur ? Si c'est le cas, faites-vous dès à présent cette promesse silencieuse... (Pause).

Remémorez-vous une scène de votre enfance où vous avez été blessé ou sous-estimé. Prenez le temps de la revivre comme si vous y étiez... (Pause) A présent, imaginez votre moi adulte intervenir pour prendre votre défense. Laissez-le parler au nom de votre moi enfant et dire les choses que vous étiez incapable d'exprimer quand vous étiez petit. Accordez-vous un moment... (Pause)

Désormais, sachez que quoi qu'il se soit passé auparavant et se passera à l'avenir, votre moi adulte sera là pour défendre, protéger et réconforter votre moi enfant. Ce type de visualisation est si puissant qu'il a le pouvoir de changer le passé, d'orienter votre présent et votre avenir vers une toute nouvelle voie, et de créer des bases plus solides. Il est possible de transformer les atteintes à votre estime de soi ou à votre sentiment de sécurité. Cette transformation est essentielle pour reconquérir votre autonomie, quelles que soient les blessures du passé. Donnez de l'amour à vos moi enfant et adulte, et assimilez-le.

A présent, profitez de cette opportunité pour identifier un bagage émotionnel dont vous êtes prêt à vous séparer.

Prenez le temps qu'il faut... (Pause)

Imaginez ou visualisez-vous dans une magnifique clairière bordée d'arbres et clairsemée de fleurs. Vous êtes entouré d'animaux sauvages et de toutes sortes de créatures magiques. Ce lieu est plein de joie et de sérénité. Imaginez au loin un champ dans lequel se trouve un joli bosquet d'aubépines. C'est le début du printemps et le soleil brille. C'est agréable de retrouver le grand air et de ressentir la chaleur du soleil.

Les arbres sont pleins de fleurs rouges, roses ou blanches et vous remarquez qu'une aura particulière enveloppe le bosquet. Vous pouvez la voir en apercevant les arbres au loin. Vous vous rappelez que l'aubépine est magique et connue comme l'arbre aux fées. Au fur et à mesure que vous vous approchez du bosquet, vous perdez la notion du temps et de l'espace. Vous commencez à éprouvez un sentiment vertigineux de bonheur et de béatitude. Vous pénétrez dans le bosquet et entendez les nombreux petits êtres qui l'habitent danser et faire la fête. Ils ne semblent pas étonnés de votre présence et vous font signe de les rejoindre. Vous hésitez un instant et décidez de vous asseoir un peu à l'écart pour profiter des festivités car vous avez besoin de temps pour vous adapter à votre nouvel environnement et à la magie du lieu.

Vous remarquez que vous transportez un grand sac contenant tout ce dont vous êtes prêt à vous séparer. Il est rempli de situations ou souvenirs douloureux qui vous ont blessé, chagriné, exaspéré ou déçu. Il contient toutes les émotions qui engendrent de la souffrance et du désespoir.

D'adorables petites fées viennent récupérer ce sac contenant ces énergies denses. Elles vous sourient et vous demandent si vous êtes prêt à vous libérer de ce poids. Si vous leur répondez que oui, elles allègeront vos épaules de ce fardeau et retourneront dans le néant pour en déverser le contenu dans le royaume de tous les possibles. Si vous n'êtes pas prêt, ce n'est pas grave. Mais c'est une belle journée pour vous libérer..

Imaginez-vous libéré de cette charge émotionnelle ou du moins plus léger. Vous êtes libre Ressentez pleinement la joie de ne plus porter ce poids qur vos épaules. Peut-être vous imaginez-vous danser allègrement ! Remerciez les fées pour leur aide.



Mythes et légendes :


D'après Angelo de Gubernatis, auteur de La Mythologie des plantes ou les légendes du règne végétal, tome 2 (C. Reinwald Libraire-Éditeur, Paris, 1882),


AUBÉPINE. — On prétend que Joseph d'Arimathie, ayant, la veille de Noël, planté son bâton sur le sol, il en jaillit soudain une aubépine en fleur (cf. Oléandre). En Angleterre, jusqu'au temps de Charles 1er, on apportait encore en procession, comme cadeau de Noël, une branche de l'aubépine de Glastonbury, que l'on prétendait descendre en ligne droite du bâton de Joseph d'Arimathie. L'aubépine, disait-on, fleurissait toujours la veille de Noël. En l'année 1753, à Quainton, en Buckinghamshire, la floraison ayant manqué, le peuple préféra renvoyer la fête de Noël jusqu'à l'accomplissement du prétendu miracle, qui eut lieu le 5 janvier, plutôt que de mettre en doute l'infaillibilité de l'aubépine.

[...]

CRATAEGUS OXYACANTHUS. — D’après Grimm, les anciens Germains en composaient leurs bûchers. Le docteur Grill116 remarque à ce propos : « On suppose que, par la vertu du feu sacré qui s’élève des épines, les âmes des trépassés sont reçues au ciel, et il est clair que ce feu sacré est l’image du feu céleste, l’incendie du cadavre un symbole de l’orage, puisque d’abord on consacrait le bûcher avec le marteau, attribut du dieu Thor. » Grill compare ici le buisson embrasé de Moïse et le chariot enflammé sur lequel Élie fut enlevé (cf. Épine).

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Selon Véronique Barrau et Richard Ely, auteurs de Les Plantes des Fées et des autres esprits de la nature (Éditions Plume de Carotte, 2014), l'aubépine est l'arbre des fées.

"Propriété privée : Sous le feuillage vert des aubépines, entre les grappes de fleurs blanches parfumées, derrière le rempart des branches épineuses, résident fréquemment des fées. Leur présence ne fait aucun doute si trois arbustes de cette espèce ses sont regroupées pour former un cercle au pied d'une colline. Une épine blanche (aubépine) solitaire croissant près d'un ruisseau est également un indice fiable. Pour les amoureux du Petit Peuple ayant toujours rêvé de voir des fées, sachez que l'entrée de leur domaine se trouverait sous les souches de ces arbustes. C'est d'ailleurs par une telle cavité que l'on entrait dans la demeure souterraine des demoiselles vosgiennes de Landaville. La ribambelle d'étoiles colorées suspendues au plafond et les multiples miroirs réfléchissant la lumière donnaient l'illusion d'être directement exposé aux rayons du soleil.

Cette vision enchanteresse ne doit pourtant pas vous faire oublier la prudence car certaines fées interpréteraient tout passage près de leur aubépine comme une intrusion impardonnable. Un récit du XVIIIe siècle rapporte qu'une jeune Irlandaise prénommée Anna aurait ainsi été enlevée dans les airs sous les yeux impuissants de ses amies.

Sachez qu'il est particulièrement dangereux d'approcher de tels arbustes enchantés lors des soirées précédant le 1er mai, le 24 juin qui correspond au solstice d'été et le 1er novembre durant lequel les Celtes célébraient le passage d'une année à l'autre. Les êtres surnaturels sont particulièrement actifs ces nuits-là et les fées se réunissent en grand nombre au pied des nobles épines.

Le 11 mai, où l'on célébrait jadis le mois de mai en Irlande et le 11 novembre, autrefois consacré aux morts, ne sont guère plus favorables. Les Lunantishees, gardiens des aubépines et des prunelliers, apportent en effet le malheur aux humains qui osent ne serait-ce que frôler ces arbustes durant ces deux jours.

On avait autrefois coutume de déposer des offrandes au pied des aubépines pour les fées.


Expropriations dommageables : Puisque les fées ont fait des blanches épines leur refuge, il paraît plus judicieux de ne pas contrarier ces créatures en dégradant ces végétaux. En Irlande, pays où la croyance en la présence des fées dans les aubépines est pourtant très forte, deux frères du nom de Bergin arrachèrent de tels arbustes sur leur propriété. Peu de temps après, l'un des hommes fut frappé de folie et ne retrouva jamais la raison. Plus tard, c'est un fermier inconscient qui répéta le même erreur. La sanction ne fut pas longue à venir : ses bêtes périrent, bientôt suivies par ses propres enfants... On ne détruit pas les arbres des fées impunément. Forts de ce précepte, des Irlandais de Kiltimagh mirent en garde le bûcheron commandité en 1920 pour abattre deux nobles épines dans un champ où devait être construit un hôpital. Non superstitieux, l'homme ne tint pas compte des avertissements et décéda le lendemain d'une crise cardiaque... Un autre cas s'est produit à la fin du XXe siècle. Contre l'avis des ouvriers, le directeur de l'entreprise automobile DeLorean déracina un arbuste abritant des fées afin d'y construire une usine. On attribua sa ruine ultérieure à ce sacrilège.

De nombreux Irlandais s'opposent encore aujourd'hui à la destruction d'aubépines visant à agrandit des voies de communication ou à réaliser de nouvelles routes. L'administration n'a alors pas d'autre choix que de détourner les tracés initialement prévus ou de laisser au beau milieu de la chaussée l'arbre vénéré, comme il a été fait pour l'aubépine située près du monastère de Seir Kieran.

Lorsqu'en 1999, le folkloriste irlandais Eddie Lenihan apprit qu'une épine de mai allait être rasée pour construire une autoroute, il alerta la presse. Il mit l’administration en garde contre les fées qui chercheraient pour être sûr à se venger en provoquant des accidents. Une vague populaire de protestations se joignit aux siennes et l'on promit dès lors d'épargner l'arbre en question.


Amers présages : Dans l’Écosse du XIIIe siècle, vivait Thomas d'Erceldoune, également connu sous le surnom de Thomas Le Rimeur. Ce barde était célèbre pour ses poésies mais surtout pour ses prédictions dont on attribuait la responsabilité aux fées.

Selon la tradition, ce personnage était un jour allongé près d'un ruisseau, sous l'ombre d'un buisson blanc quand il vit apparaître une magnifique femme chevauchant un coursier blanc. Croyant voir la Vierge Marie, il s'agenouilla aussitôt pour lui rendre hommage. Mais comme il l'apprit, devant lui se tenait en réalité la reine des fées. Elle l'emporta dans le royaume enchanté de son peuple où il acquit le don de prophétie. Sept années plus tard, il obtint la permission de partir rejoindre les siens en promettant notamment de ne jamais faire de mal à un arbre.

Il avait l'habitude d'énoncer ses prédictions sous la noble épine d'Eildon et recommandait à la foule d'en prendre soin pour assurer sa propre prospérité. "Tant que l'aubépine fleurira, chacun son champ gardera", se plaisait-il à dire. La notoriété de cette prédiction traversa les siècles et on attribua un soin particulier au végétal sacralisé. Hélas, une tempête renversa le vénérable arbre en 1814. On eut beau verser du whisky sur les racines du végétal, ce dernier finit par périr. Il faut croire que les enchanteresses déçues se vengèrent car les habitants connurent dès lors d'importants déboires financiers...


Un cœur en prison : Dans la forêt de Brocéliande, il est un buisson d'aubépine sans âge d'où s'échappent parfois des plaintes. Les jeunes filles qui s'agenouillent au pied de la plante pour se montrer consolantes sont promises à se marier au cours de l'année.

Cette croyance trouve son origine dans l'histoire romanesque de la fée Viviane et de l'enchanteur Merlin. Éperdument amoureux de sa belle, le magicien lui enseigna tous ses secrets, y compris la façon d'enfermer un homme sans recourir à des chaînes ou des murs. Viviane, craignant de perdre son aimé, préféra enchaîner à jamais l'enchanteur dans une aubépine.


Un mal pour un bien : En Bretagne, le Bugul-noz est décrit comme un personnage nocturne portant un long manteau blanc et un grand chapeau à bords larges. Certains assurent que cet être était à l'origine humain. Il fut condamné à son sort pour avoir été un mauvais chrétien durant sept ou neuf ans ou pis : pour avoir commis un assassinat... Une bonne âme peut délivrer cette créature de sa destinée en la piquant avec une épine d'aubépine.

Cadeau parfumé : Au printemps, les jeunes filles avaient coutume de tresser des couronnes d'épine de mai et de les déposer sur des buissons. Elles pensaient que le soir venu, les fées viendraient danser autour des végétaux pour humer le doux parfum des fleurs blanches. Et qu'en guise de remerciements les Bonnes Dames les récompenseraient d'une façon ou d'une autre.

Pour apporter le bonheur aux mariées grecques et les protéger des esprits malfaisants, on leur offrait des rameaux d'aubépine.


Qui va là ? Les fées ne sont pas les seules créatures à fréquenter la blanche épine, les sorcières sont aussi légion. Dans le folklore celtique et germanique, les Hags, souvent décrites comme de vieilles femmes régissant les saisons, hantent régulièrement ces arbustes épineux. Dans l'ancien saxon, le mot hag servait également à désigner les fruits de l'arbuste, c'est dire le rapprochement qui était fait entre ces êtres et la plante.

Comme vous pourrez le constater par vous-même, ce parallèle était tout à fait justifié. Si vos pas vous mènent une nuit de pleine lune dans un pré de Guernesey, postez-vous discrètement près de remarquables et grandes aubépines aux branches nouées par l'âge. Vous ne tarderez pas à apercevoir des lièvres, chats et autres bêtes se regrouper à l'ombre de ces arbustes pour y mener de folles sarabandes. Précisons pour les non-avertis que les sorcières ont la capacité de changer d'apparence autant qu'il leur plaît et que la métamorphose en animal est un de leurs passe-temps préférés. Une fois ces êtres partis, n'oubliez pas de prélever un rameau d'aubépine. La plante portée sur soi ou accrochée à la porte de la maison ou encore au-dessus d'un berceau, serait un moyen efficace de se protéger des sorcières comme des mauvaises fées. Car on l'oublie trop souvent mais ces dernières peuvent se montrer cruelles. L'enlèvement des jeunes enfants fait ainsi partie de leurs méfaits. Pour libérer les petits enfermés au sein de collines enchantées, les Anglais incendiaient les aubépines poussant sur ces mêmes talus. Quand on connaît le fort attachement des enchanteresses à ces arbustes et leur caractère vengeur, on ne peut que trembler pour les profanateurs. Mais la perte d'un enfant incite souvent les parents à réaliser des actes inconsidérés, comment s'en étonner ?


Une sale habitude : Les fermiers de Franche-Comté étaient persuadés que la Vouivre, un monstrueux serpent ailé, pondait des œufs dans leur tas de fumier. Pour les empêcher d'éclore, ils plantaient une branche d'aubépine dans le monticule tout en regrettant que cette créature n'ait pas l'idée d'y déposer plutôt le joyau posé sur sa tête, tel un troisième œil.

Comme une odeur de pourriture : Selon une superstition anglaise toujours d'actualité, le fait de déposer des fleurs d'aubépine dans sa maison entraînerait un accident, une maladie grave ou un décès et pour une fois, les fées n'ont rien à se reprocher ! On accuse en effet le parfum de la plante de sentir la mort... Il est vrai que la ptomaïne, substance résultant de la putréfaction, dégage étrangement l'odeur de l'aubépine."

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Littérature :


L'Aubépine :

Simone, tes mains douces ont des égratignures,

Tu pleures, et moi je veux rire de l’aventure.


L’Aubépine défend son cœur et ses épaules,

Elle a promis sa chair à des baisers plus beaux.


Elle a mis son grand voile de songe et de prière,

Car elle communie avec toute la terre ;

Elle communie avec le soleil du matin :

Quand la ruche réveillée rêve de trèfle et de thym,


Avec les oiseaux bleus, les abeilles et les mouches,

Avec, les gros bourdons qui sont tout en velours,


Avec les scarabées, les guêpes, les frelons blonds,

Avec les libellules, avec les papillons


Et tout ce qui a des ailes, avec les pollens

Qui dansent comme des pensées dans l’air et se promènent ;


Elle communie avec le soleil de midi,

Avec les nues, avec le vent, avec la pluie


Et tout ce qui passe, avec le soleil du soir

Rouge comme une rose et clair comme un miroir,


Avec la lune qui rit et avec la rosée,

Avec le Cygne, avec la Lyre, avec la Voie lactée ;


Elle a le front si blanc et son âme est si pure

Qu’elle s’adore elle-même en toute la nature.


Rémy de Gourmont, "L'Aubépine" in Simone, poème champêtre.

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Jean Giono, dans le troisième roman de La Trilogie de pan, à savoir Regain (Editions Bernard Grasset, 1930) utilise l'Aubépine pour mieux décrire le vent du printemps :


- Que tu as ? crie Panturle de toutes ses forces.

- Rien.

- Malade ?

- Non.

- Alors ?...

Un moment sans répondre ; on dirait qu'elle prend des forces pur bien crier, bien dire.

Elle montre le sud avec son flambeau :

- Ca vient, ça vient !

Elle n'est pas un peu folle ? de demande Panturle.

Quand même il se retourne vers le sud, lui aussi. Ca a changé depuis la tombée du jour : une force souple et parfumée court dans la nuit. On dirait une jeune bête bien reposée. C'est tiède comme la vie sous le poil des bêtes, ça sent amer. Il renifle. Un peu comme l'aubépine. Ca vient du sud, par bonds et on entend toute la terre qui en parle.

Le vent du printemps !

[...]

Cette aubépine où se pose le soleil dès qu'il dépasse la colline, elle a un rossignol dans ses feuilles. On dirait que c'est elle qui chante.

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L’Églantine, l’Aubépine et la Glycine


Églantine, aubépine,

L’oiseau vole en chantant.

Églantine, aubépine,

Bouge, bouge, bouge et vlan !

L’oiseau vole en chantant.

Et vlan, vlan, vlan !


Robert Desnos, "L’Églantine, l’Aubépine et la Glycine" in Chantefables et Chantefleurs, 1952.

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Yves Paccalet, dans son magnifique "Journal de nature" intitulé L'Odeur du soleil dans l'herbe (Éditions Robert Laffont S. A., 1992) évoque lui aussi l'Aubépine :

21 janvier

(Saint-Martin-de-Peille)


Une doline ronde hérissée d'herbes blanches qui tremblent au vent-soleil ; un buisson d'aubépine comme un encéphale : je redeviens étudiant à Montpellier, il y a vingt-cinq ans. Je m'échappe de ma turne. Je fais de l'auto-stop jusqu'à Millau. Je passe la journée à gambader sur le causse Méjean - le cœur émerveillé de douceur, l'œil fou de lumière.

Le buisson d'aubépine ressemble à ma cervelle ; ses feuilles sont mes neurones, ses chloroplastes les molécules de ma mémoire. L'air de la garrigue fuse dans mes artères.

[...] 28 février

(Fontaine-la-Verte)

Le réseau noir du buisson d'aubépines se détache sur la colline, contre le ciel de coton pâle.

Je pénètre dans le bois obscur. Il y a toujours quelque chose d'initiatique à franchir le premier cercle d'une forêt. On hésite ; on se décide ; puis on se sent transporté. L'âme humaine est faite de parfum d'humus. Elle exulte en se dissolvant dans son Tout.

Ronces d'hiver

Flammes de carotène

Rouge éternel

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Selon Lucia Baroncini, auteure d'une communication intitulée "De l’aubépine et d’autres fleurs : les plantes de la poésie française médiévale" (rendue publique lors du Huitième séminaire annuel d'ethnobotanique du domaine européen du Musée départemental ethnologique de Haute-Provence, les 22 et 23 octobre 2009) :

Pourquoi l’aubépine était une des fleurs de l’amour ? La précision botanique de Pascoli n’est pas à évoquer en parlant du Moyen Âge. À cette époque, nommer un élément de la Création au lieu d’un autre était un choix bien pondéré, qui était inscrit dans un système complexe de symbologie enraciné surtout dans la culture religieuse.

Selon Susan Eberly, spécialiste de littérature anglo-saxonne, le green hawthorne (aubépine verte) qui fleurit dans les jardins de la poésie anglaise du Moyen Âge est une allégorie de l’arbor cupiditatis, c’est à dire du plaisir charnel, en opposition à l’arbor caritatis qui représente, notamment chez saint Bernard de Clairvaux, l’union fructueuse entre l’âme et Dieu. L’aubépine serait donc « a symbol of spiritual bareness of concupiscence » parce que, dans la tradition biblique, les épines signifient la désolation, l’impuissance à accueillir la Parole de Dieu, la souffrance de la fragilité humaine.

Il y a sans doute du vrai : mais on ne peut pas accueillir cette lecture sans réfléchir sur toute une série d’éléments qui, mêlés à la tradition biblique grâce à la christianisation des populations, doivent être pris en considération si on veut chercher à reconstruire la stratigraphie profonde de l’univers médiéval. Je me réfère ici à des croyances et des images qu’on peut appeler folkloriques ou populaires, difficiles à reconstruire à cause de la pauvreté de témoignages écrits mais ayant survécu en quelque mesure dans le folklore européen jusqu’à nos jours, ou presque. Mon but est d’interroger les textes littéraires en tenant compte des croyances liées à l’aubépine et aux autres plantes similaires, afin de découvrir quelques significations oubliées qui nous échappent.

Pour ce qui concerne les témoignages littéraires, il y a grosso modo deux cas où on parle de l’aubépine dans la poésie du Moyen Âge :

  1. comme terme de comparaison pour la beauté et la blancheur de la chair (féminine, d’habitude)

  2. comme élément du paysage-théâtre de la rencontre amoureuse

J’en donnerai quelques exemples, en soulignant tout d’abord qu’il s’agit d’une simplification de facilité. En fait, l’aubépine des troubadours par excellence, celui de la chanson Ab la dolchor de li temps novel attribuée à Guillaume IX comte de Poitiers, est au dehors de cette catégorie ; c’est la relation amoureuse elle-même, et pas la dame, qui est comparée à l’aubépine :

La nostr’amor vai enaissi

Com la branca de l’albespi

Qu’esta sobre l’arbre tremblan,

La nuoit, a la ploja ez al gel,

Tro l’endeman, que·l sols s’espan

Per las fueillas verz e·l ramel

[Il en est de notre amour comme de la branche de l’aubépine : tant que dure la nuit, elle est, sur l’arbre, tremblante, exposée à la pluie et aux frimas ; mais le lendemain le soleil éclaire les feuilles vertes sur le rameau].

Mais il s’agit d’une exception. La majorité des similitudes concernant l’aubépine porte sur la blancheur qui est, comme on sait, un signe de beauté pendant le Moyen Âge : Mathieu de Vendôme, dans son traité de poétique nommé Ars versificatoria, établit que la chair de la femme doit être blanche et rouge, et les termes de comparaison poétique sont souvent les fleurs.

On peut donc trouver “blanc[he] comme une fleur” (sans spécification), “blanc comme un lis”, parfois “blanc comme une rose” (mais la rose peut aussi être rouge) et souvent “blanc comme une aubépine”.

[...]

Dans la Chanson de Roland on peut même trouver la similitude “blanc comme fleur” en relation à la beauté masculine et même à la barbe chenue ; je suis plutôt convaincue que la formule du type “blanc comme l’aubépine” est une sorte d’épithète fixe commun à la fois à la tradition épique et à la tradition lyrique et romanesque. À mon avis, il s’agit de la cristallisation d’une signification originaire: quel peut être le lien primitif entre fleur, blancheur et beauté ?

Un épisode du Roman d’Alexandre peut nous aider. Le roi Alexandre et ses compagnons rencontrent des jeunes femmes extraordinairement belles qui sont des sortes de fées des fleurs (d’une on dit explicitement : plus iert bele que fee). Alexandre cherche à en amener une avec lui, mais ses vieux conseillers lui expliquent la nature hybride des filles-fleurs: pendant l’hiver ces créatures vont dans la terre, d’où elles sortent au printemps sous forme de fleurs blanches :

« A l’entree d’yver encontre la froidure

Entrent toutes en terre et müent lor faiture,

et quant estès revient et li biaus tans s’espure,

en guise de flors blanches vienent a lor droiture »

[A l’entrée de l’hiver, pour résister au froid,/ elles entrent toutes en terre et se métamorphosent./ Et quand l’été revient avec le beau temps,/ elles renaissent sous forme de fleurs blanches, selon leur usage]

Soit la dame du Lanval, soit celle du Bel Inconnu sont clairement des êtres surnaturels, des fées, et elles sont blanches ; même la reine Guenièvre, si son nom en origine était “Gwenhwyfar”, est une “fée blanche”. Que les femmes du roman courtois aient des traits plus ou moins ouvertement féeriques, provenant de l’imaginaire celtique, c’est une donnée acquise par les savants. Or, pourquoi exclure la possibilité que les dames chantées par les troubadours aient la même origine ? Les philologues Andrea Fassò et Francesco Benozzo, en comparant les chansons des premiers troubadours aux textes qui témoignent des croyances féeriques, ont recueilli toute une série d’éléments qui soutiennent cette hypothèse : la migration nocturne de l’âme, la composition en dormant, la maladie d’amour… même la blancheur et la lumière qui provient de la dame. La présence fréquente de l’aubépine dans la poésie courtoise peut aussi confirmer ce lien: d’après la tradition des îles britanniques, l’aubépine (hawthorne) est considérée « as a tree sacred to or haunted by the fairies », ainsi que « the gentle (torn or bush) is the name used all over Ireland for the large hawthorns which are regarded as holy and sacred to the “gentry” – “gentle peopleor fairies ». Paul Sébillot, dans ses études sur le folklore de la France, nous rapporte plusieurs croyances liées à la plante d’aubépine. Tout d’abord, il confirme qu’elle était lieu de rencontre des êtres féeriques qui dansaient au clair de la lune sous forme de lapins ou de chats; il parle aussi des rituels d’amour ou bien de guérison où l’aubépine jouait un rôle essentiel. [...]

Dans la majorité des cas, l’aubépine est mentionnée comme une part de la végétation du printemps qui donne l’inspiration à chanter et parfois encadre l’apparition de la dame. Il s’agit du fameux “exorde printanier”: la beauté de la nature pousse le poète à chanter sa joie (ou sa douleur) d’amour. La lecture traditionnelle de ce topos (c’est à dire: il s’agit d’un lieu commun tiré des traités de rhétorique) s’est récemment enrichie par une nouvelle perspective : d’après la Théorie de la Continuité Paléolithique, la description/ célébration de la nature chez les troubadours serait ce qui nous reste de la pratique du chant rituel d’identification avec les éléments pratiqué par les chamans de l’Europe préhistorique.

[...]

Comme je viens de le mentionner, les recherches conduites par Sébillot dans le domaine folklorique de la France paysanne nous informent sur toute une série de rituels d’amour ou de guérison dont l’aubépine était protagoniste. J’en cite ici quelques-uns. À Trigavon (Côtes du Nord) les jeunes femmes à marier jetaient une petite branche d’aubépine dans la fontaine de Sainte Apolline: si la branche était emportée par le courant, le mariage avait lieu. En Albret, afin de guérir de la fièvre, on portait du pain et du sel sur une aubépine en disant : « Adieu, buisson blanc, je te porte du pain et du sel et la fièvre pour demain » ; c’est un rituel pour transférer la maladie sur la plante.

Dans la version de l’histoire de Tristan donnée par Béroul, le nain Frocine est sollicité par trois barons pour leur révéler le secret du roi Marc : le nain accepte, mais seulement sous l’aubépine du Gué Aventureux.


« Bien voi que le voez oïr,

et je ne vuel ma foi mentir.

Mais je merrai le trois de vos

Devant le Gué Aventuros.

Et illuec a une aube espine,

une fosse a soz la racine :

mon chief porai dedenz boter

et vos m’orrez defors parler. »


[Je vois bien que vous voulez l’entendre,/ mais de mon côté ne veux pas manquer à ma parole./ Je vous conduirai cependant tous les trois/ au Gué Aventureux./ Il y pousse une aubépine et,/ sous ses racines, se trouve une fosse:/ je pourrai y mettre la tête/ et vous m’entendrez de l’extérieur].

Une fois arrivé chez la plante, le nain cache sa tête sous les racines et souligne bien qu’il est en train de parler à l’aubépine, et pas aux barons : il s’agit à mon avis d’une façon magique d’éloigner de soi la faute de trahison.

Li baron viennent a l’espine,

devant eus vient li nains Frocine.

Li nains fu cort, la teste ot grose,

delivrement ont fait la fosse,

jusqu’as espaules l’i ont mis.

« Or escoutez, seignor marchis !

Espine, a vos, non a vasal : Marc a orelles de cheval »


[Les barons se rendent près de l’épine,/ précédés du nain Frocin./ Le nain était trapu et avait une grosse tête :/ ils ont élargi la fosse/ et ils l’y ont enfoncé jusqu’au cou./ “Écoutez, seigneurs marquis !/ Épine, je vous parle, non à quelque gentilhomme :/ Marc a des oreilles de cheval”]

Un autre témoignage d’une sorte de pouvoir magique lié à l’aubépine vient d’une version bretonne de la ballade de la fille-biche rapportée par Eugène Rolland : un jeune chasseur s’aperçoit que la biche qu’il vient de tuer est en réalité sa sœur transformée, donc il se soumet lui-même à une léthargie d’expiation au pied d’une aubépine :

serai pendant sept ans

sans mettre chemis’ blanche

et coucherai sept ans

sous une épine blanche

Paul Sébillot nous informe qu’en Gascogne la prière contre le tonnerre débute par ces mots :

La Vierge Marie / s’est endormie

Sous un aubépin / depuis le soir jusqu’au matin


On croit en fait que la foudre ne tombe jamais sur ce buisson depuis que la Vierge s’y reposa pendant la fuite en Égypte et sécha sur ses branches les langes de l’enfant Jésus. Ou bien, il y a quelques personnes qui disent que l’aubépine protège parce qu’elle a ses racines en enfer et que le diable, qui produit le tonnerre, ne veut pas qu’il tombe sur un de ses arbres.

En résumé : l’aubépine est-elle une plante féerique, diabolique ou sacrée ? La réponse est : les trois à la fois. La polarisation bon/ mauvais est typique de la culture chrétienne : avant cela, les êtres surnaturels qu’on vénérait à travers la flore, la faune etc. étaient “au-delà du bien et du mal”, parfois bienveillants, parfois méchants. Ce sont les êtres qu’aujourd’hui on appelle fées ou lutins. Mais à l’époque de la christianisation, ces petites puissances de la nature furent classifiées comme démons, et pourtant on chercha à déraciner leur culte ou bien à les adresser aux figures vénérables de la nouvelle foi. Ce processus fut aussi favorisé par des soucis superstitieux: dédier les éléments dangereux aux saints chrétiens, c’est une manière de les neutraliser/ rendre amis.

En outre, il faut souligner que dans la culture populaire les plantes aux épines, ainsi que les fruits non comestibles, sont très souvent associés à l’action du diable : il s’agit d’une sorte de contrefaçon diabolique de l’œuvre de Dieu, une répétition mal réussie de la Création, suivant le schéma dualiste qui s’impose après la christianisation.

[...]

Curieusement, dans la poésie religieuse du Moyen Âge l’aubépine n’est presque jamais utilisée comme terme de comparaison de la beauté de la Vierge : elle est souvent appelée “fleur”, “lis”, “rose sans épine”, à cause peut-être d’une volonté d’éliminer la connotation négative des épines. Néanmoins, la « légende dorée rustique » qu’on construit autour de l’aubépine la présente comme plante chère à la Vierge, aux saints, parfois à Jésus Christ lui-même, qui fut justement couronné d’épines. Mais si les instruments de la Passion sont des outils de souffrance qui se transforment en véhicules de la Grâce divine, ainsi l’originaire connotation diabolique des éléments naturels comme les plantes aux épines peut être bouleversée par la Salvation (c’est une explication possible du glissement du diabolique au sacré qu’on peut ajouter aux considérations précédentes). Voilà comment dans le folklore les histoires de fées, de démons et de saints coexistent sans être considérées comme incompatibles.

On a présenté beaucoup de données littéraires, folkloriques, anthropologiques: c’est le moment de tirer des conclusions. Du point de vue des philologues et des historiens de la littérature, on peut réfléchir sur le fait que la dame courtoise, blanche et lumineuse et évoquée au milieu de la végétation du printemps où l’aubépine joue un rôle considérable, soit (au moins à l’origine) une créature surnaturelle et plutôt ambiguë, comparable aux fées qui habitent manifestement les romans courtois. En ce qui concerne les textes qu’on soupçonnait déjà d’être proches de l’univers folklorique (le Roman de Tristan, la chanson de toile, la ballade de la fille-biche…), une analyse profonde des situations qu’on indique génériquement comme “motif populaire” s’impose. Dans le Tristan de Béroul, par exemple, l’aubépine se trouve au Gué Aventureux, comme on a vu, mais aussi au Mal Pas, le lieu de l’ordalie; en outre, les branches du bûcher auquel Yseut est condamnée sont des épines. Il s’agit donc d’une plante très peu rassurante; néanmoins elle est associée au printemps et aux rencontres amoureuses. Donc, il s’agit d’un amour potentiellement dangereux; Susan Eberly n’a pas tort en disant que dans un certain contexte poétique l’aubépine correspond à la stérile passion charnelle, mais sa lecture doit être précisée et amplifiée en tenant compte des dénominations, des histoires et des croyances liées à l’aubépine qui étaient bien présentes à l’esprit des hommes du Moyen Âge.

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