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  • Photo du rédacteurAnne

Viviane



Autres noms : La Dame du Lac ; Nimue ; Niniane ; Nyneve.



Symbolisme :


Le 11 juin 2005, lors d'une journée de travail en psychologie transpersonnelle à E.T.E., je découvre en méditation l'archétype de ma guerrière :


« Je me dirige vers le Nord en reprenant le même chemin que le matin (1). Je revois le château illuminé et le royaume verdoyant. Je le dépasse et me trouve dans un paysage de lande verte et mauve. Tout à coup, je vois un lac d'où surgit, telle une sirène, Viviane, la Dame du Lac, brandissant une épée d'argent levée vers le ciel. Elle est vêtue d'une longue robe mousseuse, pleines de voiles, robe de couleur claire, grise bleuté argenté avec beaucoup de transparence. Ses longs cheveux auburn cascadent sur ses épaules jusqu'à ses reins. Elle est magnifique ! Elle jaillit de l'eau toute droite, comme si elle était poussée par une force venant d'en-dessous. Elle m'invite à la rejoindre et immédiatement je me retrouve à danser sur l'eau avec elle en tourbillonnant. La danse se poursuit et se termine bien avant que Nicole n'en parle. Puis, je me retrouve comme Viviane, propulsée par une orque noire et blanche avec laquelle je danse sous l'eau et à la surface de l'eau dans un ballet féerique. Tout à coup l'orque m'avale et me recrache dans un jet. Lorsque Nicole nous invite à danser, ma danse se transforme en bonds, virevoltages, sous l'eau, sur l'eau et au-dessus. Je danse, nage, vole puis tourbillonne sur moi-même, expérimentant ainsi le lien entre la Terre et le Ciel. A ce moment précis, je sens la présence. Mais je ne parviens pas vraiment à la visualiser dans les domaines du travail, de la santé, la famille et l'argent. Puis Viviane m'entraîne au-delà du lac. Nous traversons la lande jusqu'aux falaises qui bordent l'océan gigantesque et c'est là, que je vois cette immensité, cette infinie potentialité qui s'ouvre à moi lorsque je suis présente. Quand Viviane me raccompagne, elle matérialise deux chevaux blancs sur lesquels nous caracolons dans toute la lande jusqu'à rejoindre les frontières du Nord. Durant l'ensemble du voyage, mon cœur bat la chamade. »


Qualités de ma Guerrière : - puissance

- droiture

- justesse


Note : 1) Le matin nous avons fait une première méditation pour découvrir l'Enfant blessé, le Rebelle : « Je pars de mon endroit de paix où je retrouve ma louve blanche. Ma Guide sorcière noire / fée blonde m'indique le chemin du Nord en tendant le bras vers la forêt. Je contourne les arbres et reprends le chemin vallonné du sanctuaire que je dépasse rapidement. Tout d'abord, je me retrouve sur la banquise nue et vide, blanche immaculée. Je me demande si je suis arrivée à l'endroit désolé, mais non, je continue au-delà, pour me retrouver dans un paysage que j'assimile aux fjords scandinaves. La terre est sèche, l'herbe rase et jaune, les lacs d'un bleu verdâtre peu engageant. Au loin, je vois de hautes montagnes noires, très acérées. Il n'y a personne aux alentours. Je vois quelques villages, non seulement désertés mais encore complètement démolis. Partout ce ne sont que ruines grises et noires. Je comprends qu'il s'agit des conséquences des attaques de Vikings. J'entrevois furtivement une guerrière rousse...»


Lecture d'images :

Anne : « Je suis la Guerrière d'Anne. Je surgis du lac, poussée par une force qui vient des eaux souterraines. Je brandis une épée vers le Ciel, une épée d'argent, qui est l'indice, le symbole de ma rectitude. Je n'ai pas d'armure, je suis entourée de voiles car je suis une Guerrière pacifique. Je suis Viviane, la Dame du Lac. Je peux marcher sur les eaux, je peux danser sur l'eau, sous l'eau et lorsque la danse me prend vraiment, je peux m'envoler, tourbillonner dans les airs comme sous l'eau. J'ai la force et la puissance de la légèreté. Je suis juste et j'essaie d'avoir un comportement droit. »

Françoise M. : « Je suis la Guerrière d'Anne. J'ai intégré la douceur de ma féminité en me drapant dans les voiles de la souplesse. Et la force et le tranchant de la lame manifestent ma rectitude et l'alignement que j'ai par rapport à moi-même. Je suis la Guerrière d'Anne qui relie les deux mondes du bas et du haut dans lesquels je peux voyager à mon gré et avec aisance. »

Sylvie : « Je suis la Guerrière d'Anne. Je suis légère mais forte. Je peux voyager à mon gré entre deux mondes mais mon épée est là pour me rappeler un enracinement. Je suis, je semble transparente mais grâce à cette épée d'argent, la force est là. Je reste bien ancrée dans ce monde. »

Jean-Claude : « Je suis la Guerrière d'Anne. Je me réalise en sortant des eaux et évolue avec légèreté, souplesse dans un monde aérien tout en y associant la droiture, la justesse. »

Nicole : « Je suis la Guerrière d'Anne. Je renais du lac de la Nuit, la nuit matricielle, et je renais du fond des eaux, des os, des âges. Mon épée est comme le rayonnement d'une étoile qui a plongé pour faire le lien entre les eaux du Ciel et les eaux de la Terre. J'intègre le père, la mère et la princesse ; le féminin et le masculin, souplesse des voiles, rectitude de l'épée dans un corps de chair, dans un corps de fée. Je croyais être une princesse, en fait, je suis une fée, passeuse entre les mondes, voyageuse entre les mondes, justicière paisible et pacifique. »

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Deuxième voyage (dimanche 11 septembre 2005) :


Comme précédemment, je décide de ne noter que les modifications par rapport au voyage initial ou les détails supplémentaires que j'ai pu remarquer :

« Lorsque la Dame du Lac apparaît, je comprends la fluidité droite de son apparition : chacun de ses pieds est posé sur la tête d'un dauphin que je n'avais pas vus la première fois. Elle brandit toujours Excalibur, fière et droite. Le lac semble devenir de glace, ce qui nous permet de danser à sa surface comme si nous patinions : nous glissons avec de nombreux tourbillons, envolées, saltos et virevoltes. Puis, Viviane m'invite à la suivre dans les profondeurs du lac où j'aperçois son merveilleux palais de cristal qui miroite sous les eaux. Nous chevauchons alors chacune un des deux dauphins qui nous emmènent par une sorte de tunnel sous-marin dans les abysses océanes, tantôt sur les flots, tantôt à la surface. Merveilleuse sensation de liberté et de puissance...

Le promontoire est une falaise dressée face à l'océan, dans un paysage d'Islande que nous contemplons, Viviane et moi, l'une à côté de l'autre, le vent en plein visage. Aspiration d'air frais et vivifiant. Énergie ressourçante. Je comprends que je dois surtout m'honorer en mettant des limites aux mots blessants des autres et que je dois vraiment nettoyer ma bouche des impulsions verbales que j'ai encore. Lorsque Viviane me raccompagne aux frontières du Nord, il me semble repartir de nouveau sur le dos d'une oie sauvage. »


Anne : « Quand je suis en contact avec ma Guerrière, je me sens forte parce que je suis droite, parce que je peux marcher droit, la tête haute et je peux m'honorer moi-même. Je suis droite sans être rigide. J'ai cette force de la rectitude, de celle qui sait où elle va et qui atteindra son but. Moi, Anne, je m'engage à m'honorer moi-même et à honorer les autres en ayant une parole impeccable au moins une heure par jour. »

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Anne et ses résonances (février 2018, exercice proposé par Sylvie Guignier à partir du prénom) :


Viviane nage à plat dans la nuit nocturne, bleu comme une nébuleuse hivernale, sous l'œil du bœuf Abbara qui lui dit tout bas "Abracadabra". Alors l'arbitrage arbitraire des atours de Peau d'Âne s'arrête. Eah ! L'année reprend comme un anneau aérien attirant à lui l'alphabet nucléaire des mélomanes. Meuh ! fait le cacatoès des Alaman, peaufinant son aria aride, ardu mais ardent. Viviane reprend la sarbacane qui lance les graines de la bardane avec son arbalète. Elle abat l'abaque annulaire et récolte la manne qu'offre l'amanite lors de la navigation innervée. C'est la natation de l'aînée qui permet de placer l'aloès et la nivéole sur l'arête de l'abalone.


A => espace et vastitude

vibration haute, céleste et cristalline

cosmos.

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L'Oracle de Merlin (Éditions Secrets d'étoiles, 2023) de Magali et Sara Mottet


Mythologie :


Jean Markale, dans Les Chevaliers de la Table Ronde, (tome 2, Flammarion, coll. J'ai lu n° 4743, 1999) nous propose sa vision de Viviane :


« Merlin s'en alla méditer dans la grande forêt qui recouvrait l'intérieur de la Bretagne Armorique.

Cette forêt, qui avait nom Brocéliande, était la plus vaste de toutes celles de la Gaule, car elle avait bien dix lieues galloises de long et six ou sept de large. Au centre, était un lac qu'on appelait le Lac de Diane. Cette Diane, qui fut reine de Sicile et qui régna au temps de Virgile, le bon poète, était la femme qui aimait le plus au monde à courir les bois et elle chassait tout le jour. [...]

En cette forêt, vivait un vavasseur nommé Dyonas, qui était filleul de Diane. Celle-ci, avant de mourir, lui avait octroyé en don, au nom du dieu de la lune et des étoiles, que sa première fille serait tant désirée par le plus sage de tous les hommes que celui-ci serait soumis dès leur première rencontre et lui apprendrait toutes les connaissances du monde parla puissance de sa magie. Or Dyonas avait engendré une fille qu'il appela Viviane en chaldéen, ce qui signifie « rien n'en ferai » en français. Et Viviane manifestait effectivement de grandes dispositions pour les sciences de la nature, notamment pour l'astrologie, l'alchimie et tout ce qui concernait la connaissance de ce qui était secret et caché. Elle passait de longues heures dans un cabinet de travail, qui se trouvait dans une tour, à déchiffrer des livres et de vieux parchemins. Puis, lorsqu'elle avait bien lu et étudié, elle s'en allait errer sur les sentiers de la forêt, tout autour du manoir de son père.

[cela me rappelle mon enfance à Verrens-Arvey, prise entre mon « laboratoire » aménagé dans la cave et les livres dans lesquels je me plongeais le reste du temps.]

Ce jour-là, il faisait un temps magnifique : le soleil brillait de tout son éclat et une brise parfumée parcourait les bois à travers les branches. Viviane était sortie très tôt du manoir afin d'aller méditer seule près d'une fontaine qu'elle connaissait bien, située au milieu d'une clairière et ombragée par un chêne et un pin. Elle sentait monter en elle une sorte de langueur, comme si elle avait pris brusquement conscience qu'il lui manquait quelque chose. Et pourtant, elle savait que rien ne lui manquait : elle avait à sa disposition tout ce qui pouvait faire le bonheur d'une jeune fille, et son père satisfaisait toujours le moindre de ses caprices. Durant son enfance, personne n'avait jamais osé la contredire ou lui interdire quoi que ce fût, et Viviane espérait bien qu'il en serait ainsi tout au long de sa vie. Elle arriva dans la clairière où se trouvait la fontaine et, comme il faisait chaud, elle se pencha sur l'eau pure et se rafraîchit le visage.

C'est à ce moment que passa Merlin, sous l'apparence d'un jeune homme à la mine avenante. Il aperçut la jeune fille au bord de la fontaine. Elle avait un peigne d'argent magnifique avec des ornements d'or. Elle se lavait dans un bassin d'argent, et il y avait quatre oiseaux d'or et de pierres précieuses sur le bord du bassin. Elle était vêtue d'un beau manteau brodé de pourpre claire, avec des broches d'argent et une épingle d'or sur la poitrine. Une longue chemise avec un collier entourait son corps, en soie verte, avec une bordure d'or rouge et des agrafes d'or et d'argent. Le soleil se reflétait sur la verte chemise et jetait de splendides éclats. Elle avait deux tresses de cheveux couleur d'or sur la tête et quatre fermoirs de chaque côté, et une perle d'or au sommet de chaque tresse. Alors la fille dénoua ses cheveux pour les laver et les prit à deux mains, les faisant retomber sur sa poitrine. Ses mains étaient plus blanches que la neige d'une nuit et ses joues plus rouges qu'une digitale. Elle avait une bouche fine et régulière avec des dents brillantes comme des perles. Plus gris que jacinthe étaient ses yeux. Rouges et fine étaient ses lèvres. Légères et douces étaient ses épaules ; tendres, doux et blancs, ses bras. Ses doigts étaient longs, minces et blancs. Elle avait de beaux ongles rouge pâle. Son flanc était féerique, plus blanc que neige et qu'écume de mer. Ses cuisses étaient tendres et blanches, ses mollets étroits et vifs, ses pieds fins à la peau blanche. Sains et riches étaient ses talons, et très blancs et ronds ses genoux.

Merlin n'avait jamais vu une fille aussi belle, et il en fut tout bouleversé dans son esprit. Mais il ne s'arrêta pas et poursuivit son chemin, tandis que Viviane, qui l'avait remarqué, s'était retournée et le regardait s'éloigner. Merlin était fort perplexe, car il connaissait l'avenir et savait très bien que cette fille devait un jour l'écarter à tout jamais du monde. Mais il ne pouvait chasser de son esprit l'image troublante qu'il avait entrevue. Et il se disait en lui-même : « Il n'est pas encore temps, et il faut d'abord que j'accomplisse ce qui doit être accompli. » Et, sans plus s'attarder, il retourna à Carahaise, à la cour du roi Léodagan.

[...]

Mais au neuvième jour, hanté par un obscur désir qu'il ne pouvait plus contrôler, il prit congé de ses hôtes et s'en alla dans la forêt de Brocéliande.

Il retrouva facilement la fontaine près de laquelle il avait aperçu la jeune Viviane. Tout était calme et silencieux dans cette clairière. L'esprit agité de pensées contradictoires, Merlin ne pouvait chasser la mélancolie de son cœur. Il s'étendit alors sur le rebord de la fontaine et s'endormit. Quand il se réveilla, il aperçut la jeune fille devant lui. Elle lui souriait et lui disait : « Que celui qui connaît toutes nos pensées te donne joie et bonheur. » Et elle s'assit près de lui.

« Qui es-tu ? », demanda Merlin. Il le savait bien, mais il voulait la mettre à l'épreuve et se rendre compte ainsi de ses dispositions envers lui.

« Je suis de ce pays, répondit-elle. Je suis la fille du vavasseur qui réside en ce manoir que tu as pu voir en venant ici. Mais toi, beau seigneur, qui es-tu donc ?

- Je suis un valet errant, et je vais à la recherche du maître qui m'apprenait mon métier.

- Quel métier ? »

Merlin se mit à rire et dit : « Par exemple, à soulever une tour, ou même une forteresse, fût-elle investie par une armée, la déplacer et la rétabli ailleurs. Ou bien encore à marcher sur un étang sans mouiller mes pieds. Ou bien à faire courir une rivière à un endroit où jamais on n'en aurait vu. Et bien d'autres choses, car je réussis toujours ce qu'on me propose de faire.

- C'est vraiment un beau métier », dit la jeune fille, pleine d'admiration.

Mais en même temps, elle pensait que ce jeune homme pouvait lui apprendre tout ce qu'elle ne savait pas encore. « Je voudrais bien te croire, ajouta-t-elle. Ne pourrais-tu pas me montrer un de ces tours dont tu te vantes, ou un autre, à ton choix, pour me prouver que tu es celui que tu prétends être ?

- Certes, répondit Merlin, je le pourrais. Mais que me proposes-tu en échange ? »

La jeune fille réfléchit un instant. Il lui semblait qu'il lui fallait être très prudente, car elle voyait dans ses yeux des lueurs qui l'inquiétaient un peu. « Te suffirait-il, pour ta peine, que je fusse toujours ton amie, sans mal ni vilenie ?

- Ha ! jeune fille, répondit Merlin, tu me parais douce et bien apprise. Pour toi, je ferai ce que je n'ai fait pour personne d'autre. Je me contenterai de ton amitié sans demander plus. »

Elle jura qu'elle serait son amie sans mal ni vilenie tant qu'il plairait à Dieu de les garder en vie l'un et l'autre. Alors Merlin ramassa une branche, en fit une baguette, et traça sur le sol un grand cercle en prononçant des paroles qu'elle ne comprenait pas. Puis il se rassit près de la fontaine. Au bout d'un moment, Viviane vit sortir de la forêt une foule de dames et de chevaliers, tous richement vêtus, ainsi que des jeunes filles et des écuyers, qui se tenaient par la main et qui chantaient si doucement et si agréablement que c'était merveille de les entendre. Ils vinrent se placer autour du cercle que Merlin avait tracé sur le sol, puis des danseurs et des danseuse commencèrent à faire des rondes au son des cornemuses et des tambours. Et, pendant le même temps, une forteresse s'était dressée non loin de là, avec de beaux pavillons et un verger dont les fleurs et les fruits répandaient toutes les bonnes odeurs de l'univers. Et c'est depuis ce jour-là, en mémoire de ce qu'avait fait Merlin par ses enchantements, que ce lieu est appelé Repaire de Liesse.

Viviane était éblouie par ce qu'elle voyait et entendait, et son émerveillement était tel qu'elle ne trouvait pas un mot à dire. Ce qui l'ennuyait un peu, c'est qu'elle ne parvenait pas à comprendre les paroles des chansons : elles étaient dans une langue que, malgré sa science et ses patientes études, elle ne pouvait reconnaître. Mais elle était cependant toute à sa joie, ne demandant rien d'autre que de prendre plaisir au spectacle qui lui était ainsi offert. La fête dura du matin jusqu'au milieu de l'après-midi. Quand les danses et les chants furent terminés, les dames s'assirent dans l'herbe fraîche en prenant soin de ne pas froisser leurs beaux habits, tandis que les écuyers et les jeunes chevaliers s'en allaient jouter dans le verger.

« Que penses-tu de tout cela ? demanda Merlin. Tiendras-tu ton serment de me donner ton amitié ?

- Certes, répondit Viviane, je n'ai qu'une parole. Mais il me semble que si tu m'as montré ton pouvoir, tu ne m'as encore rien enseigné.

- Je vais t'apprendre certains de mes tours, et tu mettras cela par écrit, puisque tu es si habile dans les lettres.

- Comment le sais-tu ? demanda Viviane.

- C'est mon maître qui me l'a révélé, répondit Merlin, car il connaît aussi bien les pensées secrètes que les actes des humains.

- C'est donc un bien grand maître, dit la jeune fille, peux-tu me dire son nom ?

- C'est inutile, car il ne paraît devant personne, sauf devant ses disciples.

- Et toi, demanda Viviane, quel est ton nom ?

- On m'appelle Merlin, et je suis un familier du roi Arthur. »

Tandis qu'ils conversaient ainsi, les dames et les jeunes filles s'en allaient en dansant vers la forêt, en compagnie de leurs chevaliers et de leurs écuyers. A mesure que les uns et les autres arrivaient sous les arbres, ils disparaissaient brusquement comme s'ils n'avaient jamais existé. A son tour, la forteresse disparut, comme évanouie dans les airs. Seul le verger demeura, parce que Viviane avait demandé à Merlin qu'il restât le témoignage des merveilles qu'il avait accomplies pour gagner son amitié.

« A présent, dit Merlin, il faut que je parte.

- Comment ? Déjà ? Ne m'enseigneras-tu pas quelques uns de tes jeux ?

- Nous n'avons guère le temps, et la nuit va bientôt tomber. Je dois retourner auprès de mon maître. Tel que je le connais, il s'impatientera et me traitera si durement que je n'aurais plus l'occasion de revenir auprès de toi.

- Mais, dit Viviane, tu m'avais promis... »

Merlin se mit à rire et dit : « Belle, j'ai promis, en échange de ton amitié, de te montrer quelques-uns de mes jeux. Cela, je l'ai fait, et tu ne peux me dire le contraire. Si tu désires que je t'enseigne comment faire ces jeux, je veux que tu me donnes d'autres gages.

- Lesquels ? demanda Viviane.

- Ce n'est pas difficile. En échange de ce que je t'apprendrai, je veux que tu dépasses le stade de l'amitié, que tu me donnes ton amour sans aucune restriction. »

Viviane s'abîma dans de profondes réflexions. Merlin lui plaisait bien et elle se sentait très attirée par lui. Mais, d'une part, les pouvoirs dont il disposait avaient tout pour provoquer son inquiétude : quel usage en ferait-il à son encontre si elle avait des velléités de lui résister ? Et, d'autre part, elle se disait qu'il ne serait guère sage d'accepter tout de suite ce que demandait Merlin alors qu'elle pouvait profiter de son désir, qu'elle jugeait intense, pour se faire dévoiler les grands secrets dont il était le dépositaire. Elle avait donc tout à gagner à reculer le moment de son acceptation, tout en cédant sur certains points sans importance, ce qui ne ferait que renforcer son impatience. Elle dit à Merlin : « Je ferai ta volonté quand tu m'auras enseigné tout ce que je voudrais savoir. »


Merlin savait bien où elle voulait en venir. Il soupira longuement, puis il l'emmena dans une grande lande désolée. Là, il prit un bâton fourchu, le donna à Viviane et lui enseigna ce qu'elle devait dire en frappant le sol avec le bâton. Viviane prit donc le bâton, en frappa le sol en prononçant les paroles que lui avaient dites Merlin, et, aussitôt, la roche qu'elle avait frappée s'ouvrit, livrant passage à une eau abondante et tumultueuse qui se mit à couler et, en quelques minutes, forma une rivière à cet endroit sec et désertique. Viviane manifesta sa joie et jeta ses bras autour du cou de Merlin. Mais quand il voulut la serrer de plus près, elle se déroba. « Plus tard, dit-elle, quand tu m'auras appris d'autres secrets ! ». Merlin fit semblant de n'être pas déçu. Viviane avait pris un parchemin et venait d'écrire la formule qu'elle avait employée pour faire surgir la rivière.

« C'est bien, dit Merlin, mais maintenant, il me faut partir. » Il prit congé de Viviane bien tristement, mais celle-ci savait qu'il reviendrait vers elle avant très peu de temps. Elle souriait en lui souhaitant un voyage agréable.

[...]

Merlin avait grande hâte de retrouver Viviane en la belle forêt de Brocéliande, abondante en vallons ombragés et en sources d'eau claire. Il prit congé du roi Arthur et s'en alla par la mer jusqu'en Bretagne armorique. Il ne mit pas longtemps à parvenir au lieu où se tenait Viviane. Celle-ci fut tout heureuse de le revoir, car elle l'aimait sincèrement, bien qu'elle se méfiât de lui. Elle craignait en effet que le devin n'utilisât ses sortilèges pour abuser d'elle et lui ravir son pucelage. Car Viviane était vierge et entendait bien le rester tant qu'elle n'aurait pas la certitude que Merlin l'aimait réellement. Un jour, elle lui avait dit : « Merlin, puisque tu prétends m'aimer plus que nulle femme au monde, jure-moi de ne jamais faire, par enchantement ou par autre façon, quoique ce soit qui puisse me déplaire. » Et Merlin avait fait le serment. Mais il se sentait toujours plus amoureux et pressait Viviane de répondre à son désir. « Plus tard, répondait-elle, quand le moment sera venu. » En attendant, elle demandait à Merlin de lui enseigner toujours plus de secrets, et lui, qui savait bien où elle voulait en venir, mais qui n'osait rien faire qui pût la fâcher, les lui révélait au fur et à mesure, en prenant toujours bien soin de limiter leur efficacité.

La jeune fille se rendait bien compte qu'il hésitait à lui transmettre certaines connaissances : aussi flatta-t-elle Merlin le plus qu'elle pouvait, lui manifestant clairement sa tendresse et lui posant des questions en apparence très innocentes.

« Merlin, lui dit-elle un jour, tu connais les choses qui ont été et celles qui seront, mais elles concernent le monde. Mais qu'en est-il de toi-même ? Est-ce que tu connais ton destin ?

- Dieu m'a permis de connaître ce qui est advenu et ce qui adviendra, du moins en partie, car je ne suis qu'un être imparfait soumis au destin, comme le sont tous les hommes. Et mes pouvoirs sont limités, dans le temps comme dans l'espace. Quant à mon propre destin, il m'échappera toujours, car si je le connaissais entièrement, je n'aurais plus ma liberté.

- Je comprends, dit Viviane. Je ne pourrais plus vivre si je connaissais exactement la date et l'heure de ma mort. Cependant, toi qui sais déjouer les sortilèges des autres, tu pourrais facilement échapper à ton destin.

- Non, répondit tristement Merlin. Si j'étais victime d'un enchantement, je ne pourrais le lever qu'en perdant mon âme, ce que je refuserai quoi qu'il pût m'arriver. »

La jeune fille comprit alors combien Merlin pouvait être vulnérable, mais elle se garda bien de commenter cet aveu, se promettant de le mettre à profit au moment opportun. Merlin demeura plusieurs semaines auprès de Viviane. La jeune fille habitait un beau pavillon à l'écart du manoir de son père et personne e s'apercevait qu'elle y recevait Merlin toutes les nuits. Ils dormaient tous les deux dans le même lit ; mais Viviane, déjà fort experte en magie, avait composé un charme et l'avait placé sous l'oreiller : quand Merlin s'allongeait, il s'endormait immédiatement, et ne se réveillait que lorsque Viviane était déjà levée et qu'elle ôtait le charme.

Ainsi protégeait-elle son pucelage, au grand désappointement de Merlin qui espérait toujours pouvoir la prendre toute nue dans ses bras et lui faire le jeu auquel se livrent tous les amants sincèrement épris l'un de l'autre.

Un jour qu'ils se promenaient, ils passèrent près d'un grand étang sur lequel se reflétait la cime des arbres d'alentour. Tout était paisible et calme. Merlin et Viviane s'assirent sur un rocher, au bord de l'eau.

« Quel est donc le nom de cet étang ? demanda la jeune fille.

- C'est le Lac de Diane » répondit Merlin.

Viviane se mit à sourire : « Je suis bien heureuse de me trouver ici, dit-elle, car j'éprouve grande affection pour cette Diane qui fut la marraine de mon père et lui permit de connaître les sciences d'autrefois. Et je me plais à imaginer, chaque fois que je cours dans ces bois, que mes pas me conduisent exactement aux lieux que fréquentait la belle Diane.

- Il me semble, dit Merlin, que tu te fais certaines illusions sur Diane. Tu la vois gracieuse, son sac sur l'épaule, suivie par une biche ! Tu ne sais donc pas que Diane était une femme cruelle, qui n'hésitait pas à tuer tous ceux dont elle voulait se débarrasser ?

- Comment cela ? demanda Viviane.

- Suis-moi, je vais te montrer quelque chose. »


[C'est très jubilatoire d'avoir la confirmation qu'il y a un lien entre la biche de Diane, qui fut mon premier animal de pouvoir et Viviane, ma guerrière. Cela donne une cohérence supplémentaire aux images qui travaillent ma conscience.]


Il l'entraîna le long du lac jusqu'à un petit promontoire et là, Viviane vit une tombe de marbre. S'approchant de plus près, elle s'aperçut qu'il y avait une inscription en lettres d'or sur la tombe, et elle put lire : « Ci-gît Faunus, l'amant de Diane. Elle l'aima de grand amour et le fit mourir vilainement. Telle fut la récompense qu'il eut de l'avoir loyalement servie. »Viviane se retourna vers Merlin : « Diane a fait mourir son amant ? Comment cela ? Je voudrais bien le savoir.

- Je vais te raconter toute l'histoire », dit Merlin. [...]

Ainsi parla Merlin. La jeune fille demeurait toute rêveuse, et Merlin se demandait si elle n'était pas capable d'une telle trahison à son encontre.

« Dis-moi, Merlin, demanda-t-elle, qu'est devenu le manoir que Diane avait fait construire sur ses bords ?

- Quand il apprit que Faunus était mort dans de telles conditions, répondit-Merlin, son père fit démolir tout ce qui rappelait le souvenir de Diane.

- Il eut grand tort, dit la jeune fille, car cet endroit est charmant. Je jure que je ne quitterai plus cet endroit qui a pour moi tant d'attraits, avant d'y avoir fait construire une demeure plus belle et plus somptueuse encore que celle de Diane, et j'y passerai le reste de mes jours. Merlin, tu m'as promis de ne jamais me contrarier dans mes désirs : je t'en prie, utilise tes pouvoirs pour me construire un palais si beau qu'on n'en verra jamais de semblable et qui soit si solide qu'il puisse durer jusqu'à la fin des temps !

- Tu le veux vraiment ? demanda Merlin.

- C'est mon plus cher désir », répondit Viviane.

Merlin se mit à marcher le long du rivage. De temps à autre, il se baissait, ramassait un galet, le tournait dans ses mains, l'examinait soigneusement, puis le rejetait sans prononcer une seule parole. A la fin, il en garda un plus longtemps, le soupesa avec attention, puis il demanda à Viviane de le prendre dans sa main droite et de ne jamais le lâcher quoiqu'il pût arriver.

[même rapport magique avec les pierres que celui que j'ai depuis mon enfance !]

Puis il s'éloigna du lac, gagna l'orée du bois, examina les arbres les uns après les autres. Il s'arrêta devant un jeune sorbier, sortit son couteau de sa poche et en coupa un rameau qui semblait encore très souple. Il revint alors vers le lac en élaguant la branche qu'il venait de cueillir, avant de l'écorcer soigneusement. Cela fait, il demanda à Viviane de bien regarder ce qu'il faisait et se mit, avec son couteau, à tracer des signes sur le bois. Quand il eut terminé, il prit la baguette de sa main gauche, la dirigeant droit devant lui et, de sa main droite, il saisit la main gauche de Viviane. « Quoi qu'il arrive, quoi que tu puisses voir ou entendre, dit-il, ne lâche jamais ma main. »

Il l'entraîna alors vers le lac. « Ne crains rien et continue d'avancer au même rythme que moi », dit-il encore. Et, résolument, entraînant Viviane avec lui, il continua de marcher, quittant le rivage de terre et pénétrant dans les eaux du lac. Mais Viviane s'étonnait de ne sentir ni froid ni humidité. Ils s'enfonçaient tous les deux lentement dans les profondeurs du lac comme s'ils étaient en train de franchir la barrière indécise d'un rideau de brouillard. Leurs têtes disparurent bientôt sous la surface des eaux et d'étranges lumières se mirent à briller de toutes parts comme les rayons du soleil à travers une muraille de cristal. Puis, peu à peu, Viviane aperçut un pont de verre qui reliait les deux bords d'un fossé dont on ne distinguait pas le fond, tant il était obscur. Et, de l'autre côté, une porte était encadrée dans de hauts murs comparables à ceux d'une forteresse, mais qui offraient la particularité d'être d'une matière brillante et translucide. Ils passèrent le pont et la porte s'ouvrit devant eux : ils se trouvaient alors dans une forteresse, avec ses rues, ses cours, ses bâtiments, avec aussi un verger rempli d'arbres couverts de fruits et de massifs de fleurs qui répandaient une odeur des plus suaves. Ils parcoururent les rues, pénétrèrent dans des logis qui, tous, étaient meublés de façon superbe, avec de magnifiques tapisseries et de larges fenêtres par où se déversait cette lumière fabuleuse qui impressionnait tant Viviane.

« C'est beau ! murmura-t-elle, qu'est-ce que c'est ? »

Merlin se mit à rire et dit : « Fille, voici ton manoir. Je souhaite que tu en fasses bon usage. »

Viviane ne trouva pas un mot à ajouter. Ils refirent le chemin en sens inverse, repassèrent le pont et sortirent du lac de la même façon qu'ils y étaient entrés. Leurs vêtements étaient secs et quand, ayant atteint la terre ferme, Viviane se retourna, elle ne vit que la surface des eaux, immobile, qu'aucun souffle de vent ne faisait frémir. Merlin s'amusait prodigieusement de son ébahissement. Il lui dit :

« Ce manoir durera jusqu'à la fin des temps, mais personne en dehors de toi ne pourra le voir : il restera toujours caché sous les eaux de ce lac. Et aucun homme, aucune femme ne pourra y pénétrer à moins que tu ne le conduises, comme je l'ai fait, en tenant une baguette de sorbier sur laquelle seront gravés les signes que je t'ai montrés. Quant au galet que tu tenais dans ta main, il signifiait ta prise de possession du lac. »

Merlin voulut profiter de la joie manifestée par Viviane pour la prier de nouveau de répondre à son désir amoureux. Mais la jeune fille lui dit :

« Ce n'est certes pas le jour, car je n'aurais de pensées que pour les belles choses que je viens de contempler, à tel point que je serai capable de t'oublier. J'aimerais mieux que nous partions à cheval, avec quelques serviteurs, pour voir ce pays que je connais très mal. Et toi, pendant ce voyage, tu me raconteras l'histoire des paysages que nous traverserons. »

En soupirant, Merlin lui répondit qu'il se ferait une joie de l'accompagner ainsi et de lui dévoiler ce qu'il savait des régions où le hasard le mènerait. Cependant, Merlin savait très bien que le hasard n'existe pas : il était furieux, mais n'en laissait rien paraître, tant il ressentait un violent amour pour la jeune et belle Viviane.

[Merlin et Viviane se rendent dans une cité en fête où les Dames doivent juger quel est le plus beau chant d'amour.]

Les autres dames se taisaient, se demandant bien où voulait en venir leur compagne. Celle-ci reprit :

« Je prétends qu'une seule et même chose pousse les chevaliers et les jeunes gens. On aura beau avoir fait sa cour, avoir fait de beaux discours et de belles prières, c'est toujours à cette même chose qu'on revient ! Croyez-moi : la seule chose qui pousse les hommes à devenir meilleurs, à devenir braves et à accomplir de eaux exploits, c'est le con ! Sur ma foi, je vous le garantis, pour une femme, la plus belle fût-elle, qui aurait perdu son con, il n'y aurait ni mari ni amant, ni galant ! Et puisque c'est pour l'amour du con que sont accomplies tant de belles prouesses, composons notre loi en l'honneur du con ! »

[...]

Viviane avait écouté avec beaucoup d'amusement le lai qui venait d'être ainsi chanté. Elle dit à Merlin :

« Ne penses-tu pas que ces femmes ont raison ? Je pense que si tu t'intéresses tant à moi, si tu me révèles tant de secrets à propos de ta magie, si tu m'as construit ce manoir au fond du lac, c'est pour cette chose bien précise. J'ai l'impression que si je n'avais pas de con, tu ne serais pas à côté de moi en ce moment ! »

Merlin était profondément irrité. Lui, qui savait qu'il était le fils d'un diable, il n'était pas loin de penser que femme est plus rusée que le diable. Mais il se garda bien de répondre à Viviane : au fond, il était heureux de se trouver avec elle, et il en aurait supporté bien davantage plutôt que de la perdre.

Quand la fête fut terminée, ils reprirent leur chemin le long de la mer. Alors qu'ils faisaient halte dans une petite crique bien abritée, Merlin se leva brusquement et parut très agité. « Qu'as-tu donc ? lui demanda Viviane. Merlin marmonna quelques paroles inintelligibles, se mit à marcher de long en large. A la fin, il dit :

« J'ai eu une vision, comme il m'en arrive parfois. Cela vient d'un seul coup et je ne peux rien contrôler de ce que je ressens.

- Est-ce à notre sujet ? demanda Viviane, assez inquiète, car elle craignait que son ami ne devinât certaines de ses intentions.

- Non, répondit Merlin, et cela ne concerne même pas le temps présent. Ah, jeune fille, si tu as quelque affection pour le roi Arthur, fais bien attention à ce que je vais te dire. Cela se passera quand je ne serai plus là, mais il se tramera un odieux complot contre lui. Sa sœur Morgane lui dérobera Excalibur, sa belle et bonne épée, son épée de souveraineté grâce à laquelle il est invincible, et elle la remplacera par une autre. Et ce sera par jalousie, pour mettre son frère en difficulté. Et cela sera terrible, car Arthur devra combattre un adversaire redoutable sans même savoir que l'épée lui a été dérobée. Viviane, souviens-toi de ma vision, car tu seras la seule à pouvoir aider le roi en cette circonstance !

- Je m'en souviendrai, Merlin, dit Viviane, et je te donne ma parole que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour aider le roi Arthur ! »

[Forêt périlleuse ; rencontre avec la reine Hélène, le roi ban de Benoïc et leur fils, le futur Lancelot du Lac.]

Merlin, quand il voyait Viviane s'occuper avec beaucoup de tendresse du jeune fils du roi Ban, ne pouvait s'empêcher de rire. Et, chaque fois que Viviane lui demandait pourquoi, il riait. Mais il ne répondait pas, ce qui agaçait grandement la jeune fille. Et quand on lui apprit que la fille d'Agravadain avait mis au monde un fils qu'on avait nommé Hector des mares, il murmura simplement à l'oreille de Viviane : « J'ai bien l'impression que tu serras pour quelque chose dans la gloire qui attend ce garçon. » Et jusqu'à la fin de leur séjour à Trèbe, il ne prononça plus une seule parole.

Ils repartirent après avoir pris congé de leur hôtesse. Lorsqu'ils parvinrent à proximité du lac de Diane, Merlin dit à Viviane : « Maintenant, il faut que je parte. »

Viviane manifesta son désappointement : « Merlin, Merlin ! lui dit-elle. Que faut-il donc faire pour que tu vives toujours avec moi ? »

Il ne répondit rien mais l'emmena sur le bord du lac. « N'oublie pas, Viviane, que tu possèdes maintenant un manoir dont nous sommes les seuls à connaître l'existence. Tu es maintenant la Dame du lac. »

Viviane se mit à rêver : « Merlin ! Merlin ! Je sais bien ce que tu veux ! Livre-moi encore un de te secrets et je me donne à toi entièrement, je te le jure.

- Quel secret ? demanda Merlin.

- Je voudrais pouvoir, dit Viviane, édifier près d'ici une tour invisible, faite d'air, et où ceux qui y entreraient ne pourraient plus en sortir tant que le monde sera monde. »

Merlin se mit à rire et dit : « Tu as de la suite dans les idées. » Puis son visage prit une grande expression de tristesse. « La prochaine fois que je viendrai, je te dévoilerai ce secret. » Puis, sans ajouter un mot, Merlin s'en alla sur le sentier à travers la forêt. [...]

Quand il fut arrivé près du lac de Diane, Merlin s'assit sur un rocher, au bord de l'eau. De ses yeux perçants, il voyait la château de cristal que Viviane et lui avaient fait surgir au fond du lac. Il sourit et se retourna : Viviane était là, frémissante dans les plis de sa longue robe couleur safran, les cheveux dénoués qui flottaient dans le vent, les lèvres plus rouges et plus désirables que jamais.

« Je t'avais promis le secret, dit Merlin. Je vais donc t'apprendre comment bâtir une tour avec des murailles d'air, une tour invisible où tous ceux qui y pénétreront y demeureront pour l'éternité. » Il la prit par la main et l'entraîna dans les bois, et, quand ils furent arrivés près d'une fontaine, il se pencha vers l'oreille de le jeune fille et lui murmura certaines paroles. Après quoi, il se remit à marcher dans le sentier. Il semblait soudain très triste. Mais Viviane le rattrapa et, remplie d'allégresse, elle lui sauta au cou et l'embrassa tendrement.

Ce jour-là, ils chevauchèrent si longuement dans la forêt que la nuit les surprit alors qu'ils s'étaient fort éloignés, dans une vallée profonde et encaissée, toute jonchée de rochers, à l'écart de toute habitation. La nuit était si profonde qu'il paraissait impossible de poursuivre le chemin. Ils firent donc halte et, avec de l'amadou qu'ils avaient sur eux, ils allumèrent un grand feu de bois bien sec, puis mangèrent les quelques provisions qu'ils avaient emportées du manoir où ils s'étaient arrêtés au milieu de la journée.

Quand ils eurent dîné, Merlin dit à la jeune fille: « Viviane, si tu le voulais, je pourrais te montrer, là, tout près de nous, entre ces deux rochers, la plus belle petite chambre que je connaisse. Elle est entièrement taillée dans le roc et fermée par des portes de fer si solides que personne, je crois, ne pourrait les forcer de l'extérieur.

- Vraiment ? dit Viviane. Tu m'étonnes beaucoup en m'apprenant l'existence d'une chambre aussi belle et agréable dans ces rochers, où, semble-t-il, on ne peut trouver rien d'autre que des diables ou des bêtes sauvages ! [Histoire d'Amasteu et de sa belle.]

- C'est une belle histoire, dit Viviane en souriant, tout en pensant qu'elle aimerait elle aussi, enfermer Merlin dans une chambre secrète : ainsi l'aurait-elle pour elle seule, sans partage, et elle viendrait lui tenir compagnie chaque fois qu'elle le voudrait sans que personne le sache. Certes, reprit-elle, ces deux amants s'aimaient d'un amour sincère, puisqu'ils ont accepté de tout abandonner pour vivre ici dans la joie et le plaisir partagé !

- Il en est de même pour moi, douce Viviane, murmura tout bas Merlin, moi, qui, pour vivre auprès de toi, ai abandonné le roi Arthur et tous les barons du royaume de Bretagne sur lesquels j'avais tant de pouvoirs ! Il me semble cependant que je n'ai rien reçu en échange.

- Merlin, Merlin, dit-elle, tu ne penses décidément qu'à me prendre mon pucelage. Est-ce vraiment le moment ? Et puisque tu m'as raconté cette touchante histoire, tu devrais maintenant me montre la chambre dont tu m'as parlé, celle qui fut construite pour les deux amants. J'aimerais y évoquer l'amour sincère que ces deux êtres ont vécu. »

Tout heureux de cette demande, car il savait bien qu'elle finirait par accéder à son désir, Merlin lui répondit qu'il allait lui montrer la chambre immédiatement, puisqu'elle se trouvait tout près de là. Il alluma une torche et conduisit Viviane sur un sentier, à l'écart du grand chemin. [...] Viviane frissonnait. Merlin la prit par la main et la conduisit le long du sentier jusqu'à leur campement où quelques braises brillaient encore dans le foyer qu'ils avaient allumé. Cette nuit-là, Viviane se donna entièrement à Merlin et les deux amants s'endormirent alors que l'aube colorait de rose le ciel qu'on apercevait à travers les branches d'un chêne.

[...]

Gauvain regarda tout autour de lui. Il ne voyait aucun être humain, mais il reconnaissait le son de la voix :

« Merlin ! s'écria-t-il, en essayant de dominer son émotion, est-ce toi qui me parles ainsi? Je te supplies de m'apparaître afin que je puisse te voir !

- Hélas ! Gauvain, reprit la voix, tu ne me reverras plus jamais, ni toi, ni personne. C'est déjà miracle que je puisse parler un peu avec toi, Gauvain, car après toi, je ne parlerai plus qu'à ma douce amie. Il n'y a pas de tour plus forte dans le monde entier que cette prison d'air où elle m'a enserré !

- Comment, Merlin ? Toi, le plus sage des hommes, et aussi le plus habile magicien qui soit, tu ne peux pas t'échapper de cette prison ?

- Pour s'échapper d'une prison, il faut le vouloir, Gauvain, et il n'est pas sûr que je le veuille. D'ailleurs, tout ce qui m'est arrivé, je l'ai voulu. Je savais bien que Viviane voulait me posséder à elle toute seule et m'enserrer dans une tour d'air. Elle m'en avait demandé le secret, et je le lui ai donné en échange de son amour. Est-ce folie ? Ce n'est pas à moi de le dire.

- Mais comment un magicien tel que toi a-t-il pu se laisser prendre au piège d'une jeune fille, si rusée et si savante qu'elle ait pût être ?

- Si elle est rusée, c'est parce qu'elle est femme. Si elle est savante, c'est parce que je lui ai enseigné moi-même mes secrets. Un jour que j'errais avec elle dans la forêt, il faisait très chaud. C'était un bel après-midi où les oiseaux chantaient dans les arbres. Comme je me laissais aller à l'harmonie de leurs chants, je m'endormis au pied d'un buisson d'aubépine. Alors, pendant mon sommeil, Viviane se leva et accomplit neuf fois le rituel autour de moi en prononçant les paroles que je lui avais apprises. Quand je me suis réveillé, j'étais dans cette tour faite avec l'air du ciel, dans un lit magnifique, dans la chambre la plus belle, mais aussi la plus close qu'il m'ait jamais été donné de voir. Et Viviane était près de moi, tendre et souriante, me disant que désormais j'étais tout à elle, qu'elle viendrait souvent me voir et s'étendre auprès de moi pour le jeu d'amour. Et c'est vrai car il n'y a guère de nuits que je n'aie sa compagnie. Mais je ne regrette rien, Gauvain. Je suis certainement Merlin le Fou, comme au temps où j'errais dans la forêt de Kelyddon, avec mon loup gris. Mais que veux-tu : j'aime davantage Viviane que ma liberté ! [...] Retourne auprès du roi et salue-le pour moi, lui assurant que mon affection pour lui est éternelle. Salue aussi mes compagnons, les barons de ce royaume, tous ceux que j'ai connus. Dis aussi à Morgane, si tu la rencontres, que les pommiers de l'île d'Avallon seront toujours chargés de fruits si elle le désire. Elle comprendra le message.[...] Adieu, Gauvain, le jour baisse et Viviane va bientôt me rejoindre. Que Dieu protège le roi Arthur et tous ses compagnons de la Table Ronde. »

*


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Littérature :


En lisant ces quelques lignes de Walden ou la vie dans les bois (1854) de Henry David Thoreau, j'y ai reconnu le lac de Viviane auquel je me rends en méditation :


Debout sur la grève égale située à l’extrémité est de l’étang, par un calme après-midi de septembre, lorsqu’un léger brouillard estompe le contour de la rive opposée, j’ai compris d’où venait l’expression « le cristal d’un lac ». Si vous renversez la tête, il a l’air du plus ténu fil de la Vierge étiré en travers de la vallée, et luisant sur le fond de bois de pins lointains, séparant un stratum de l’atmosphère d’un autre. Vous diriez qu’il n’y a qu’à passer dessous à pied sec pour gagner les collines d’n face, et que les hirondelles qui le rasent de l’aile n’ont qu’à percher dessus. A vrai dire il leur arrive parfois de plonger au-dessous de la ligne, il semble par méprise, et de se voir désabusées. Si vous regardez par-dessus l’étang vers l’ouest, vous êtes obligé d’employer les deux mains pour vous défendre les yeux du soleil réfléchi aussi bien que du vrai, car ils sont également éclatants ; et si, entre les deux, vous inspectez scrupuleusement sa surface, elle est, à la lettre, aussi lisse que du cristal, sauf où les insectes patineurs, éparpillés sur toute son étendue à intervalles égaux, produisent sur elle, par leurs mouvements dans le soleil le plus beau scintillement imaginable ; sauf aussi peut-être où un canard se nettoie la plume ; sauf enfin où, comme je l’ai dit, une hirondelle la rase à la toucher. Il se peut qu’au loin un poisson décrive un arc de trois ou quatre pieds dans l’air, ce qui produit un brillant éclair où il émerge et un autre où il frappe l’eau ; parfois se révèle tout entier l’arc d’argent ; ou bien est-ce par-ci par-là flottant à sa surface quelque duvet de chardon, que visent les poissons, la ridant encore de leur élan. Il ressemble à du verre fondu refroidi mais non durci, et les quelques molécules en lui sont pures et belles, comme les imperfections dans le verre. Vous pouvez souvent surprendre une eau plus polie encore et plus sombre, séparée du reste comme par un invisible fil d’araignée, chaîne de garde des naïades, et qui dessus repose. D’un sommet de colline, il vous est loisible de voir un poisson sauter presque n’importe où ; car il n’est brocheton ni vairon cueillant un insecte à cette surface polie, qui ne dérange manifestement l’équilibre du lac entier. Etonnant le soin avec lequel ce simple fait est annoncé, - ce meurtre de piscine se saura, - et de mon lointain perchoir, je distingue les ondulations circulaires lorsqu’elles ont une demi-douzaine de verges de diamètre. Vous pouvez surprendre jusqu’à une punaise d’eau (Gyrinus) en progrès de marche continue sur la surface polie à un quart de mille ; car elle sillonnent l’eau légèrement, produisant une ride visible que limitent deux lignes divergents, alors que les insectes patineurs glissent sur lui sans le rider de façon perceptible. Lorsque la surface est fort agitée, plus de patineurs ni de punaises, mais évidemment les jours de calme, ils quittent leurs havres et s’éloignent du rivage en glissant à l’aventure par courts soubresauts jusqu’à ce qu’ils la couvrent en entier.

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