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La Taupe



Étymologie :


  • TAUPE, subst. fém.

Étymol. et Hist. A. 1. a) Ca 1250 (Richard de Fournival, Bestiaire d'amour, éd. C. Segre, p. 35, 3 : la taupe ki goute ne voit, ains a les iels desous le cuir) ; xiiie s. [ms.] (La Chante-pleure, ms. Bibl. nat. fr. 837, fol. 335 vo, fac-sim. publ. par H. Omont, Paris, 1932, p. 670b) ; 1840 empl. adj. couleur taupe (Pt courr. dames, loc. cit.) ; b) 1798 fig. « homme sournois et dangereux qui agit par voies souterraines » (Ac.) ; 1845 « traître » (Besch.) ; 2. a) 1765 taupe de mer « scolopendre de mer » (Encyclop. t. 15, p. 938b); b) 1779 id. « squale, requin » (Duhamel du Monceau, Traité des pêches d'apr. FEW t. 13, 1, p. 61b) ; 3. 1783 « tumeur à la nuque du cheval » (Fr. Rozier, Cours compl. d'agric., t. 3, Paris, p. 272a). B. 1888 « classe, ensemble de taupins » (Villatte, Parisismen). A issu du lat. talpa « taupe ». B réfection de taupin*.


Lire aussi la définition du nom pour amorcer la réflexion symbolique.

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Zoologie :

Dans son Atlas de zoologie poétique (Éditions Arthaud-Flammarion, 2018) Emmanuelle Pouydebat expose les caractéristiques de la Taupe à nez étoilé (Condylura cristata) qu'elle qualifie de "fouisseuse tentaculaire" :


Survivre sous terre... Tel est le défi relevé par de nombreuses taupes. Parmi elles, la taupe ou le condylure à nez étoilé semble sortir tout droit de l'imagination ! Actif de jour comme de nuit, ce mammifère semi-aquatique vit en colonie. Son nid, construit avec divers végétaux, dispose de galeries débouchant parfois directement sous l'eau des ruisseaux ou des étangs. L'hiver, cette taupe n'hésite pas à creuser sous la neige et à plonger sous la glace ! Très bonne nageuse, elle consomme volontiers des invertébrés aquatiques, des crustacés, des mollusques, des vers et parfois même des poissons, qu'elle détecte avec son ouïe et son odorat, ses yeux étant minuscules. Diffusant une odeur pestilentielle très dissuasive, elle craint peu de prédateurs, bien que de grands chasseurs comme les rapaces et le brochet n"hésitent pas à l'attaquer. Outre son parfum, la taupe à nez étoilé est une fouisseuse, creusant des galeries souterraines pouvant atteindre jusqu'à 270 mètres de long ! Elle possède tout ce qu'il faut pour exceller dans cette fonction : des membres antérieurs particulièrement efficaces pour creuser le sol. En effet, ils sont courts, musclés et se terminent par des mains très larges, pourvues de griffes puissantes et tournées vers l'extérieur. Cette taupe possède également une fourrure peu épaisse pouvant se lisser dans tous les sens et favoriser les changements de directions et la marche arrière dans ses galeries étroites ! Autre adaptation, munie d'yeux minuscules, elle est presque aveugle mais bénéficie d'un bon odorat, même sous l'eau, et d'un excellent sens du toucher, l'un des plus développés de tous les mammifères : un long museau muni d'un disque nasal composé de vingt-deux tentacules roses symétriques lui permettant de sonder les sédiments au fond de l'eau et les parois des galeries souterraines. Lorsque la taupe creuse ses longues galeries, elle les replie au-dessus de ses narines, sur le bout du nez, afin de les protéger de la poussière. Ces appendices se déplacent perpétuellement à ne rapidité exceptionnelle, sont tapissés de milliers de fibres nerveuses et de dizaines de milliers de récepteurs mécaniques, les organes d'Eimer. Notre taupe à nez étoilé pourrait même détecter le champ électrique généré par un mets de choix consommé dans les galeries : le ver de terre. Elle le détecte et le consomme en moins d'un quart de seconde, ce qui fiat d'elle l'un des plus rapides mangeurs du monde ! D'ailleurs l'arrivée d'une taupe dans une galerie provoque une sorte de panique chez les vers et les fait affluer à la surface ! Il y a plus encore. Les tentacules auraient des fonctions différentes : les plus longs serviraient à repérer les proies à distance pendant que les plus courts seraient employés pour inspecter la proie de près. Peut-elle sentir les fines textures avec un seul toucher de son nez ? Quels sont les gènes et les molécules qui permettent à l'étoile de se développer et comment son cerveau amplifie-t-il autant les signaux tactiles provenant de son nez ? La taupe n'hiberne pas en hiver, alors, comment est-ce qu'elle garde une étoile sensible lorsqu'elle plonge dans l'eau glacée ? (Ken Catania)

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Croyances populaires :


Adolphe de Chesnel, auteur d'un Dictionnaire des superstitions, erreurs, préjugés, et traditions populaires... (J.-P. Migne Éditeur, 1856) propose la notice suivante :


TAUPE. Dans les croyances populaires, on prétend que si l'on roule la patte d'une taupe dans une feuille de laurier, et que l'on place le tout dans la bouche d'un cheval, celui-ci prendra aussitôt la fuite, saisi de frayeur ; et si on dépose cette patte dans le nid d'un oiseau , les œufs deviendront stériles.

Autre merveille si l'on frotte un cheval noir avec de l'eau dans laquelle on aura fait cuire une taupe, il deviendra blanc.

Enfin, on appelle main taupée, celle qui a étouffé une taupe ; et si cette main, encore chaude de son exploit, touche la mâchoire ou le ventre d'une personne, elle guérit le mal de dent et la colique.

Le vulgaire est persuadé aussi, en général, que la taupe est privée d'yeux, et qu'elle ne pourrait accomplir ses travaux souterrains, si elle était pourvue de ces organes. La vérité est que cet animal a des yeux : ils sont d'une extrême petitesse, parce qu'effectivement il pourrait lui être nuisible de les avoir d'une plus grande dimension, dans le genre de besogne qu'il accomplit ; mais lorsque la taupe se prélasse sur le gazon, il lui est permis aussi de promener ses regards sur le paysage de la contrée qu'elle habite ; d'admirer, si bon lui semble, l'azur du ciel et de voir scintiller les étoiles , en compensation des profondes ténèbres où elle se tient le plus habituellement.

 

Paul Sébillot, auteur de Additions aux Coutumes, Traditions et superstitions de la Haute-Bretagne (Éditeur Lafolye, janv. 1892) relève des croyances liées aux cycles de la vie et de la nature :


Les boutons de la bouche disparaissent quand on les frotte avec une patte de taupe.

 

Selon Ignace Mariétan, auteur d'un article intitulé "Légendes et erreurs se rapportant aux animaux" paru dans le Bulletin de la Murithienne, 1940, n°58, pp. 27-62 :


Une Taupe ne doit pas traverser un chemin fréquenté par les hommes, si elle le fait elle doit mourir. Certaines personnes s'amusent à forcer une Taupe à traverser une route (Fully).

Si une Taupe soulève la terre dans une cave ou une écurie c'est un signe de mort (Mase).

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Symbolisme :


Selon Hildegarde de Bingen, dans Physica, Le Livre des subtilités des créatures divines (XIIe siècle ; traduction P. Monat, 2011) :


"La taupe est froide, et se tient de préférence dans une terre grasse et limoneuse, et évite la terre sèche. Elle rejette la terre qui est mauvaise, malsaine et inutile, et reste dans celle qui est bonne et saine. Elle ne voit rien, puisqu'elle n'est pas dans l'air, mais elle a en elle une grande faculté de connaissance ; elle sent et devine où elle doit aller. Elle mange de la terre. Sa chair n'est pas bonne à manger pour l'homme, car elle se nourrit d'humidité ; que nul n'en mange pour se soigner !

Si on a de l'infection en soi ou des scrofules sur le corps, on fera cuire une taupe avec de l'eau et on la mangera ; ou on la pilera et on mangera cette bouillie comme on pourra, et l'intérieur du corps sera assaini, ainsi que les scrofules, si elles ne s'étaient pas encore ouvertes : en effet, de même que la taupe rejette la terre qui est mauvaise, de même elle fait rejeter tout ce qui est mauvais à l'intérieur du corps de l'homme. L'homme ainsi atteint pourra manger le foie de la taupe avec le reste du corps, mais il ne mangera ni le cœur ni les poumons.


[Ed. Celui qui souffre du haut mal prendra du sang de taupe ; il réduira en poudre du bec de canard, femelle bien sûr, et des ongles d'oie, femelle également, de façon qu'il y ait deux fois plus de bec de canard que d'ongle d'oie et qu'il y ait, deux fois plus de sang de taupe que de bec du canard. Il mettra tout cela dans un linge, à un endroit où une taupe vient de rejeter de la terre, et le laissera trois jours. Puis il placera de la glace par-dessus pour que tout soit gelé. Ensuite, il enlèvera et fera sécher le tout au soleil. Puis il prendra un peu de foie de chaque animal et de chaque oiseau comestible, dans la mesure où il pourra s'ne procurer ; avec tout cela et un peu de farine de seigle, il fera des boulettes auxquelles il ajoutera de la poudre susdite, avec un peu de cumin, et il les mangera ainsi. Celui qui souffre de cette maladie mangera de ces boulettes pendant cinq jours ; s'il ne va pas mieux, il en prendra encore pendant cinq jours ; et si cela ne réussit pas, qu'il répète sept fois cette série de cinq jours. Qu'il mange en même temps du pain et de la viande de bouc cuite avec du persil, et aussi des jeunes brebis ; mais qu'il évite la chair des porcs, des bœufs, l'anguille, les formages, les œufs, les fruits et les légumes crus. Qu'il boive du bon vin, coupé d'eau, et de la cervoise.]"

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Dans le Dictionnaire des symboles (1ère édition, 1969 ; édition revue et corrigée Robert Laffont, 1982) de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, on peut lire que :


"La taupe, animal chtonien s'il en est, symbolise toutes les forces de la terre. Son nom grec l'apparente au lézard et au hibou, bénéfiques et aveugles comme elle. Asklépios, dieu de la guérison, serait à l'origine un dieu-taupe, comme l'était en Inde Rudra, dieu archer-guérisseur. la taupinière, creusée de galeries souterraines, a même pu servir de modèle au labyrinthe archaïque d’Épidaure consacré à Asklépios ; ce labyrinthe était conçu à la fois comme le tombeau et comme le séjour souterrain du dieu.


La taupe apparaîtrait comme le symbole de l'initiateur aux mystères de la terre et de la mort, initiation qui, une fois acquise, préserve ou guérit des maladies. Du plan physique, celui de l'animal des cultes agraires, le symbole permet de passer au plan spirituel, celui du maître qui guide l'âme à travers les ténèbres et les détours du labyrinthe souterrain et la guérit de ses passions et de ses troubles."

 

Selon Eloïse Mozzani, auteure du Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont, S.A.S, 1995, 2019) :


Parce que les pattes des taupes ressemblent à des mains, de nombreuses légendes considèrent ces animaux comme le fruit de la métamorphose de certains personnages. Ce sont d'anciennes fées punies par cs curés (Anjou), voire par Dieu lui-même pour s'être révoltées contre lui, et, en Angleterre, des femmes trop orgueilleuses. Dans les Vosges, les fées demandèrent à être transformées en taupes : elle sont accusées depuis de ravager les potagers.

Selon une tradition auvergnate, le diable tentant de créer l'homme ne réussit qu'à faire la taupe, familière des entrailles obscures et mystérieuses de la terre et qui, tel un fossoyeur, creuse des galeries souterraines. De plus, sa couleur sombre et le préjugé très commun que, privée de vue, elle possède une ouïe très développée - à tel point que, selon Paul Sébillot, on parlait dans les environs de Dinan d'une taupe qui « de son trou, situé à plusieurs kilomètres de la vile, entend[ait] et compren[ait] tout ce qui s'y dis[ait] »-, renforcent l'inquiétude qu'elle suscite. un mythe grec explique à la fois la cécité et l'indiscrétion de la taupe : elle est la métamorphose de Phinée qui laissa crever les yeux des deux fils que lui avait donnés sa première femme Cléopâtre, et qui « avait révélé les secrètes pensées de Zeus. »

La réputation maléfique de l'animal, qui lui a valu d'être souvent maltraité, torturé et tué, fut longtemps confirmée par la croyance, très vivace au XVIIe siècle, que des sorciers, appelés « meneurs de taupes », avaient le pouvoir de les envoyer dans les jardins et les champs. Le taupier, qui est chargé pourtant de détruire les taupes, fut longtemps soupçonné au contraire de les amener, par vengeance, chez ceux qui n'avaient pas recours à ses services. Dans le Bocage normand, ce personnage, qui est souvent « disgracié de la nature, mal conforme, bossu, chétif ou boiteux » (Lecœur, Esquisse du Bocage normand, 1883), était si méprisé (encore à la fin du siècle dernier) qu'il ne devait pas prendre ses repas avec les autres ouvriers d'une ferme. Les Wallons le considéraient comme un magicien, capable d'attirer en un clin d’œil n'importe quel animal, dont, bien sûr, la taupe.

Celle-ci est d'autant plus crainte que ses monticules de terre près du seuil, sous les fenêtres ou contre un mur d'une maison portent malheur. Selon une superstition du pays de Galles, une motte dans une cuisine ou une buanderie est le signe du décès prochain de la maîtresse de maison tandis que dans la Marne, si elle apparaît autour d'un cep de vigne, un homme de la famille du propriétaire mourra ; si la motte est placée entre deux rangées de ceps, il s'agira d'une femme. Apercevoir une taupe sur un chemin promet un ennui, ce qui explique l'usage vendéen de faire une croix là où elle s'est montrée. En songe, elle est également de mauvais augure, annonçant dans les Vosges des dégâts faits par la pluie ou la grêle.

Pour faire disparaître les taupes, il faut bêcher son jardin le mardi de Noël ou le mardi suivant en ayant la tête nue, en répandre autour de la maison les cendres de la bûche de Noël. On peut également, comme c'était l'usage en Alsace, renverser, le jour de l'an, les taupinières ou parcourir les champs, le premier dimanche de carême, avec des torches allumées en disant :

Taupes et mulots

Sors de men [sic] clos

Ou je te casse les os.


Parmi les petits mammifères sauvages, la taupe occupe le premier rang pour les amulettes. Son cœur met à l'abri des voleurs ; un de ses os, placé sous l'aisselle gauche, protège des maléfices (Berry), sa langue dans un petit sachet fait revenir la mémoire (Lorraine), ses pattes portent bonheur, aussi bien en Europe qu'aux États-Unis (en particulier chez les créoles de la Louisiane). Ses os ont également une autre propriété si l'on respecte les règles suivantes : la taupe doit avoir été tuée en amour, et ses os enlevés un à un sont mis dans un ruisseau qui vient d'une fontaine ; celui seul qui remonte à la surface possède « la vertu d'attirer la chance au jeu », dit-on en Haute-Bretagne.

Attention cependant à ne pas mettre dans la bouche d'un cheval une patte de taupe enveloppée dans une feuille de laurier (il en deviendrait fou de frayeur) ni de la déposer dans un nid d'oiseau car elle rendrait les œufs stériles. Albert le Grand qui nous met ici en garde ajoute qu'on peut blanchir totalement un cheval noir en le frottant avec de l'eau dans laquelle a cuit une taupe.

Les pattes de taupe (en général les pattes avant, et arrachées à l'animal vivant), outre ces caractéristiques, jouent un grand rôle dans la médecine magique : enfermées dans un petit sachet porté autour du cou, elles guérissent la fièvre (Bretagne), la sciatique (Tarn-et-Garonne), l'incontinence (avaler chaque soir un peu de poudre de taupe cuite au four), font passer les crampes (Angleterre) et les aphtes (par frottement sur les gencives en Bretagne), et protègent des convulsions (Belgique). Une liqueur d'eau-de-vie dans laquelle ont macéré les pattes avant d'une taupe soulage les coliques (Hainaut). Toujours portées autour du cou (ou dans la poche comme à Marseille), elle sont surtout considérées comme un remède souverain contre les affections dentaires et spécialement pour faciliter la poussée des dents des enfants et empêcher les douleurs, recours expliqué ainsi par Françoise Loux : « Comme des taupinières, les dents tuméfient la gencive de l'enfant avant de sortir. Comme des taupes, elles se forent des galeries dans la gencive. Si l’on ajoute à cela les légendes qui courent sur l'avidité dévoratrice de la taupe, on comprend que cet animal soit un des meilleurs adjuvants contre les troubles de la dentition. » Deux moitiés de taupe placées sur chaque côté de la mâchoire (Vendée), une peau de taupe sous le bonnet (très répandue en Angleterre et dans l'Aube) ou autour du cou de l'enfant (Normandie) constituaient de bons substituts de la patte de l'animal. La peau de taupe, posée sur la tête, a de plus le pouvoir de donner de la force aux nouveaux-nés (Loire-Atlantique) ou d'empêcher les enfants d'uriner au lit (Deux-Sèvres). un fil trempé dans le sang d'une taupe et porté autour du cou a le même effet, tandis que, nué au-dessus d'une pluie, il empêche l'infection. Le « fil de taupe » était très utilisé en ce sens en Vendée ; il était vendu par les taupiers qui se servaient d'un fil à coudre ordinaire passé dans une aiguille pour percer de part en part l'animal vivant.

L'ethnologue Dominique Camus a relevé récemment en haute Bretagne l'utilisation d'une taupe coupée en deux et qui, appliquée à l'endroit du cœur pendant le sommeil, doit calmer les angoisses nocturnes. L'opération dure trois nuits avec à chaque fois une taupe nouvelle.

Le sang de l'animal, réputé pour redonner la virilité (Puy-de-Dôme), est introduit dans l'oreille contre la surdité (Poitou) ou appliqué sur des cors ou des verrues (Bretagne). En boire guérit en outre de l'ivrognerie. La graisse de taupe sert à cicatriser les crevasses de la peau (Ardennes, Picardie) et son foie empêche les crises épileptiques. Au Portugal, les femmes qui ont certains furoncles, appelés toupeiras, attribués au « venin » de la taupe, doivent en tuer une, sans le dire, et bénir le mal neuf jours de suite.

Dans diverses régions de France, ceux qui se livrent à certains actes cruels sur cet animal, en particulier l'étouffement, acquièrent des pouvoirs magiques de guérison : on dit alors qu'il sont la « main taupée ». Dans le Maine, un jeune homme encore vierge qui a plongé un doigt toute la nuit dans le ventre d'une taupe qu'il vient d'attraper peut soigner les coliques des chevaux par attouchement de la partie malade. Dans les Ardennes, étouffer de la main gauche la première taupe rencontrée au mois de janvier permet également de dissiper les coliques des chevaux et d'autres animaux, en faisant juste un signe de croix sur leur ventre. En Normandie, la main qui étouffe une taupe guérit de nombreuses maladies, tant des hommes que des bêtes ; celle qui en a étranglé trois a de grands pouvoirs contre le venin. Celui qui en écrase une entre ses doigts n'a pas à redouter la fièvre (Vosges), et laisser mourir une taupe dans ses mains les empêche de devenir moites (Wallonie). Le vartaupier, qui doit son nom au vertaupe ou vartaupe - dont la définition très floue va d'un ver qui loge sous la peau à une sorte de panaris ou à un furoncle, des rhumatismes à un abcès, toutes affections que ce personnage est censé guérir -, est doté de ce pouvoir depuis qu'il a étouffé sept taupes puis mangé de la soupe de graisse (centre de la France). Le vartaupier était très estimé dans les campagnes ; en 1930, un auteur mentionne encore le respect qu'il suscitait, d'autant qu'il soignait également les cancers.

En Belgique, dans la région de Liège, celui qui empale la taupe au bout de son index jusqu'à ce qu'elle meure, procure au doigt la propriété de guérir pendant un an les maux de dents. Dans la Creuse, un sourd-muet retrouvera la parole s'il étouffe dans sa main une taupe.

Enfin, laisser pourrir une jeune taupe sur le ventre d'un malade de la jaunisse, la queue tournée vers le nombril, le guérit. Au Moyen Âge, on recommandait d'uriner sur les monticules pour faire venir les règles.

L'emploi médical de la taupe remonte à l'aube des temps : le dieu grec de la Médecine, Asclépios, « serait à l'origine un dieu-taupe, comme l’était en Inde Rudra, dieu archer-guérisseur ». Les vertus magiques de cet animal datent également de l'Antiquité : selon Pline, manger cru le cœur d'une taupe donne le don de prophétie.

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Le vendredi 22 avril 2005, lors de ma formation en psychologie transpersonnelle sous la houlette de Nicole Roux et François Cusano, je découvre que mon chakra racine est associé symboliquement à la taupe (ainsi qu'au blaireau). Nous apprenons à "faire parler" l'animal en état d'hypnose éricksonienne à partir de questions préalablement établies :

Bonjour, animal du premier chakra. Bienvenue à toi. Qui es-tu ?

Je suis une petite taupe minuscule à la peau luisante et noire et à l'adorable petit museau rose et aux yeux aveugles.


Merci. Peux-tu nous dire, s'il te plaît, quelle est la médecine de ton peuple ?

Malgré notre apparente faiblesse, nous creusons des kilomètres de galeries pour aérer la terre, pour lui permettre de respirer, pour l'honorer. Nous vivons en elle, profondément et c'est ce que nous apprenons aux hommes. Ne pas avoir peur de la terre noire car plus elle est noire, plus elle est riche, riche de vies futures, de promesses. Nous n'avons pas d'yeux mais nous sentons ; nous humons l'humus en permanence. Nous apprenons à savourer le savoir de la terre, à nous nourrir de cette énergie profonde, puissamment douce.

Merci. Et quelle est ta médecine plus particulière dans le cercle des animaux des chakras ?

J'aspire la spirale. Tous, nous formons une sorte de tornade dont je suis le point fixe, en bas. Je permets aux autres de tournoyer librement, en sécurité.

Merci. Comment instaures-tu un partenariat avec les autres animaux de ce cercle ?

Je suis à la fois la plus jeune et la plus ancienne. Ils m'écoutent comme une vieille femme mais aussi, ils m'encouragent comme une jeune fille. J'ai les deux extrémités du temps dans le point fixe que je représente et les autres s'inscrivent parallèlement à ça. Ils sont dans un faisceau différent mais tous reliés en moi.


Merci. Et comment les autres animaux te manifestent-ils le respect qu'ils te doivent, et que tu mérites en tant que souverain du premier chakra ?

Ils viennent me demander conseil, ils écoutent mes conseils et quelquefois même, ils les mettent en pratique.

Merci. Cette forme te convient-elle pour accomplir ce que tu as à accomplir en tant qu'animal de ce chakra ?

Oui, ma forme est parfaite.

Merci. Et maintenant, voudrais-tu dire quelque chose aujourd'hui à Anne, en général ou en tant que responsable de ce chakra ?

« Accroche-toi, ça va déménager ! »

 

Le Dimanche 26 juin 2005, je réitère l'expérience :

Je suis la taupe, la taupe noire et minuscule qui se fraie un passage dans la terre, la terre riche et noire également. J'ai des pattes toutes roses qui écartent les grains de terre devant moi et je peux aller vraiment très profondément dans cette terre-mère très noire, très riche.


La médecine de mon peuple c'est d'assainir, d'assainir les souterrains, de creuser des galeries pour aérer les racines des arbres dans tous les sens du terme, arbre généalogique pour les humains, de faire de la place, de faire de l'espace, d'élaguer les racines s'il le faut, pour que chacun retrouve sa place, propre, et ne soit pas mélangé avec d'autres choses qui ne lui appartiennent pas. Voilà la médecine de mon peuple.


Je suis la base, la base de laquelle tout part, qui ancre les autres, qui les rend stables, solides, même s'ils n'entrent pas en contact avec moi. Je les enracine, je les accroche au cœur de la terre et je forme en quelque sorte le premier maillon d'un pilier, d'un pilier de sept, sept chakras, sept animaux mais je leur rappelle surtout que pour monter au sommet, il faut commencer par le bas et il faut que ce bas soit solidement attaché pour qu'il puisse supporter les six autres.


J'agis dans l'ombre, de manière souterraine, donc ils ne me voient pas mais ils sentent ma présence, ils sentent les effluves en quelque sorte, l'énergie peut-être, plus précisément et je leur envoie donc mon énergie d'en bas, par le bas. Ils la reçoivent, ils s'appuient dessus pour construire leur propre demeure, pour ouvrir leur propre chemin.


Ils ne cherchent pas à m'attirer à la lumière. Ils savent que je suis aveugle et que c'est donc inutile. Ils respectent ma propension à rester cachée dans le noir et ils n'en déduisent pas pour autant que je suis mauvaise ou que je suis inhibée ou je ne sais quoi. Ils savent que cela fait partie de moi, que c'est mon chemin d'être dans l'ombre, que chacun a sa place, où qu'elle soit.


Il y a eu flottement, hésitation dans les images avec le blaireau et la marmotte mais, ce sont des animaux voisins puisqu'ils ont un terrier, mais finalement je préfère la noirceur de la taupe qui est plus dense, plus compacte. Je garde la taupe.


Il ne faut pas craindre d'hiberner, de ralentir, d'enterrer spontanément, même si c'est un hiver qui tombe en plein été pour les autres. Il faut accepter et suivre ses rythmes propres et ne pas se laisser influencer par ceux des autres et parvenir peu à peu à accepter son rythme, quand il est différent, dans la douceur, sans conflit, sans chercher à faire la victime peut-être, ce qui ne favorise pas la communication.

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Pour Jacques Voisenet, auteur de "L’animal et la pensée médicale dans les textes du Haut Moyen Age." paru dans la revue Rursus. Poiétique, réception et réécriture des textes antiques, 2006, n°1 :


Il est souvent difficile d’établir une filiation précise entre le vaste savoir médical de Pline (avec ses centaines de médications) et la culture savante qui, à travers les encyclopédistes et autres compilateurs (d’Isidore de Séville à Hildegarde de Bingen…), l’a adapté, christianisé et complété par d’autres influences, y compris populaires. Toutes les pratiques quotidiennes, faisant appel à la magie, ont été condamnées par le clergé séculier (prêtres, évêques…) qui y voyaient l’expression de comportements païens qu’il fallait éradiquer avec la fermeté la plus grande. Or, certaines de ces médications populaires dont on a de très rares mentions tant la répression a été forte, présentent des similitudes avec les recommandations médicales de Pline ou d’ecclésiastiques du Haut Moyen Age. Elles semblent ainsi appartenir à un même fond de croyances, collectées en son temps par Pline et transmises ainsi par la culture savante, et en même temps, colportées de génération en génération par des individus qui ne connaissaient même pas l’existence du Naturaliste. On peut évoquer un fond commun que certains qualifieront d’indo-européen. Si autour de ces pratiques médicales on peut reconnaître d’indéniables liens entre la culture savante et la culture populaire, il n’en demeure pas moins que le Haut Moyen Age a fait une très nette distinction entre l’héritage de Pline et des autres autorités, reçu sans véritable remise en cause, y compris les racontars les plus étonnants, et les comportements quotidiens qui s’appuyaient souvent sur les mêmes animaux ou les mêmes éléments de la médecine plinienne. Le cas de la taupe est exemplaire. Pline, une fois n’est pas coutume, se montre très critique sur les usages de l’animal souterrain : « Voici une preuve particulière des mensonges des mages : de tous les animaux c’est la taupe qu’ils admirent le plus, elle qui est en tant d’égards maltraitée par la nature, condamnée à une cécité perpétuelle, enfouie de plus dans d’autres ténèbres où elle est comme enterrée. Il n’est pas de viscères auxquels ils accordent plus de confiance, il n’est pas d’animal qu’ils regardent comme plus propre aux rites religieux, au point qu’à celui qui avalera un cœur de taupe frais et palpitant, ils promettent de connaître par divination le déroulement des événements futurs. Ils affirment qu’on guérit les maux de dents en attachant sur soi une dent arrachée à une taupe vivante. Quant à leurs autres allégations touchant cet animal, nous en parlerons en leur place ; ce qu’on y rencontrera de plus vraisemblable, c’est que les taupes combattent les morsures de musaraignes puisque, comme nous l’avons dit, la terres prises au fond des ornières les combat également ». Ce passage est tout à fait révélateur de l’esprit de Pline, critiquant les « mensonges des mages », racontés par le menu, et proposant des médications tout aussi farfelues (la terre contre les morsures de musaraignes). Il rappelle dans plusieurs passages de son Histoire naturelle la nature prêtée à la taupe par les Anciens : sa cécité, son ouïe très fine qui la fait fuir, sa clairvoyance (malgré sa vue défaillante), son rôle dans les pratiques divinatoires68… Il rapporte ailleurs, sans la moindre réserve, d’autres recettes pour lutter contre les scrofules : « On conseille (…) de la cendre de taupe dans du miel. D’autres appliquent un foie de taupe écrasé dans les mains et ne lavent la région qu’après trois jours. On affirme aussi qu’une patte droite de la taupe est un remède pour les scrofules. D’autres coupent la tête de l’animal, la broient avec de la terre qu’il soulève, puis en composent des pastilles qu’ils gardent dans une boîte d’étain et dont ils se servent pour toutes les tuméfactions ». Il ajoute encore : « Les mages enseignent en outre que les délirants retrouvent la raison quand on les asperge de sang de taupe ». Cet animal chthonien, mangeur de terre, un des quatre éléments avec l’eau, l’air et le feu, fort apprécié pour ses qualités divinatoires, a été rejeté et infernalisé par les clercs du Moyen Age. Pour Raban Maur « la taupe qui est condamnée à une cécité perpétuelle signifie une idole aveugle, sourde et muette ou également ces idolâtres eux-mêmes qui se fourvoient dans les ténèbres de l’ignorance et de la bêtise ». La taupe désigne aussi pour lui les hérétiques, les faux chrétiens qui, privés de la vraie lumière, s’adonnent aux tâches terrestres. L’animal souterrain, devenu le symbole du pécheur aveuglé, n’était plus considéré favorablement au Haut Moyen Age et lorsque l’évêque de Paris, Ragnemod, trouvait, à la fin du VIe siècle, un imposteur avec un sac rempli de dents de taupe, d’os de souris, de griffes et de graisse d’ours, on se dépêche de jeter ces sortilèges dans la Seine73 . Les dents de taupe faisaient parties de l’arsenal thérapeutique de Pline mais il était évident, pour l’évêque de Paris, qu’elles s’intégraient à des rites magiques qu’il devait rejeter catégoriquement. Il n’y a pas de place pour ces pratiques populaires, même cautionnées par l’autorité de Pline. Le Haut Moyen Age est donc une période de répression où on a tenté d’occulter toutes ces pratiques magiques, en particulier celles qui avaient une destination médicale. Le développement du culte des saints et du pèlerinage sur leur tombeau a constitué une alternative à ces pratiques. Le saint, grâce au pouvoir qui lui était conféré par Dieu, annulait l’efficience des recettes magiques constituées d’ossements d’animaux et d’herbes. Les reliques étaient offertes en remplacement des amulettes, et les prières des incantations. La médecine des sanctuaires utilisait dorénavant la poussière du tombeau du saint, l’huile qui éclairait le lieu sanctifié pour composer les breuvages et onguents qui devaient rendre la santé ou la vue. Cela ne veut pas dire que l’Eglise ait réussi à éradiquer dans la vie quotidienne toutes les pratiques magiques, loin de là. Mais elle y est suffisamment parvenue pour qu’au XIIe siècle Hildegarde de Bingen puisse réintroduire la taupe dans ses pratiques thérapeutiques : « La taupe est froide (…), elle rejette la terre qui est mauvaise, malsaine et inutile, et reste dans celle qui est bonne et saine [la clairvoyance]. Elle ne voit rien puisqu’elle n’est pas dans l’air, mais elle a en elle une grande faculté de connaissance ; elle sent et devine où elle doit aller. Elle mange de la terre ». Hildegarde rappelle ainsi les diverses caractéristiques de sa nature définie par les Anciens et en tire une application médicale conforme à Pline mais en insistant sur le comportement original de l’animal qui rejette la mauvaise terre : « Si on a de l’infection en soi ou des scrofules sur le corps, on fera cuire une taupe avec de l’eau et on la mangera ; ou on la pilera et on mangera cette bouillie comme on pourra, et l’intérieur du corps sera assaini, ainsi que les scrofules, si elles ne s’étaient pas encore ouvertes : en effet, de même que la taupe rejette la terre qui est mauvaise, de même elle fait rejeter tout ce qui est mauvais à l’intérieur du corps de l’homme. L’homme ainsi atteint pourra manger le foie de la taupe avec le reste du corps, mais il ne mangera ni le cœur ni les poumons ». Hildegarde ne précise pas pourquoi mais c’est probablement à cause des vertus divinatoires du cœur de la taupe qu’elle se garde bien de révéler à ses lecteurs. Comme Pline, elle recommande le sang de taupe, dans une médication très complexe qui intègre aussi de la poudre de bec de canard et d’oie, de la terre rejetée par la taupe, afin de soigner le haut mal (l’épilepsie). Elle reprend cette recette dans son ouvrage, Les causes et les remèdes, en justifiant son usage car « la taupe, qui tantôt se cache tantôt se montre, et qui a l’habitude de creuser le sol, à un sang qui s’oppose à cette maladie qui tantôt est apparente, tantôt se cache ». La taupe réussit à regagner l’arsenal thérapeutique, malgré l’image négative que les clercs continuent à lui imposer : sa nature souterraine opposée au ciel, les ténèbres où elle évolue, son aveuglement. C’est en particulier par la similitude entre les symptômes de l’épilepsie et le comportement de l’animal que sa récupération a pu se faire.

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Selon Annie Pazzogna, auteure de Totem, Animaux, arbres et pierres, mes frères, Enseignement des Indiens des Plaines, (Le Mercure Dauphinois, 2008, 2012, 2015), dans le cercle des animaux, la Taupe (Wahinheya) fait partie, au même titre que la Tortue, le Lézard, le Blaireau, le Renard, la Fourmi et le Castor, des Animaux qui se situent à l'Ouest, symbolisé par le noir, la Mère Terre, l'élément terre et le physique.


Mots-clés : (en négatif) : Aveuglement - Enfermement

(en positif) : Représente la Terre mère - Reconnait les médecines guérisseuses du corps et de l'esprit.


Presque aveugle avec ses paupières épaisses laissant apercevoir une fente oblique, la taupe a un museau / boutoir qui perfore la terre ; ses pattes antérieures puissantes la brassent et la rejettent en surface afin d'aménager son refuge qui sera entouré de galeries circulaires dont certaines en cul-de-sac existent pour apporter une quantité suffisante d'air.

Elle se nourrit de vers de terre, d'insectes et de larves. Le cisaillage des racines est infime.

Au début du printemps, deux à cinq petits naissent dans un nid tapissé de feuilles par Monsieur et Madame. La gestation dure une lune.

Taupe sent et connaît tous les souffles et respirations de la terre Mère ; elle est sa représentante.

Si Wahinheya est aveugle au jour, elle voit dans les méandres souterrains son labyrinthe, toutes les racines ; elle sait reconnaître la médecine guérisseuse du corps et de l'esprit et donne la force de se guérir soi-même.

La terre brassée, aérée, souple, est "pure" de la souillure de surface. Les Lakota s'en servent pour élever certains autels rituels.

Une Sweat Lodge, un tipi ne sont jamais posés sur ou vers une taupinière.

C'est cette dernière qui est symbolisée au milieu du chemin Unci de la plupart des Huttes à Sudation lakota.

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Dans Rencontre avec votre animal totem (édition originale 2010, traduction française 2015), Phillip Kansa et Elke Kirchner nous proposent la fiche suivante sur la taupe :


Caractéristiques positives : Ancrage - Sensibilité accrue.

En quoi cet animal m'aide : La taupe est très sensible. Elle perçoit la moindre vibration - même celle d'un ver de terre en mouvement. La taupe t'aide à développer ta sensibilité, afin que tu puisses percevoir les disharmonies subtiles dans ton entourage et réagir au bon moment. La taupe veille à ton ancrage, et t'offre les racines où tu puises ta force. Pour les Indiens Kansa, cet animal totem connaît également les plantes médicinales et les racines thérapeutiques.

Comment la taupe me protège : La taupe te permet de garder les pieds sur Terre. Elle t'aide à percevoir ce qui t'entoure, et te rappelle l'importance du lien pour une vie harmonieuse. Elle t'apprend à te fier à ton ressenti et à ton intuition, même quand tu ne vois pas où tu vas, et à continuer ta route. C'est ainsi que tu avanceras.

Exercice pour me relier à cet animal : Imagine que la nuit tombe et que tu es assis dans une prairie. Autour de toi, tu vois quelques monticules de terre. Tout près de toi, l'un de ces monticules se met à bouger, et tu aperçois la petite tête d'une taupe. Elle t'invite à un voyage onirique. Tu te retrouves sur son dos ; ses pattes roses creusent la terre et vous vous enfoncez tous deux dans la Terre mère. Il fait sombre, et tu sens et humes la terre. C'est comme si tout ton être découvrait notre Terre mère dans ce qu'elle a de plus nourricier et de plus protecteur. Tu ressens sa force, tout a l'air si vivant. Tu prends conscience qu'ici aussi, dans le noir, un monde existe - tu peux le percevoir. Remercie l'animal, et lorsque tu as reçu suffisamment d'ancrage, de force et de sensibilité, reviens dans l'ici et maintenant, en inspirant et en expirant profondément."

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Pour David Carson, auteur de Communiquer avec les animaux totems, puisez dans les qualités animales une aide et une inspiration au quotidien (Watkins Publishing, 2011 ; traduction française Éditions Véga, 2011), la taupe appartient à la famille des Qualités intérieures, au même titre que le serpent, la tortue, le faucon, le chat, le singe, le phénix, le jaguar, l'éléphant, l'araignée, le loup, le lion, l'ours grizzly, le corbeau et la corneille, le gorille, le crocodile, le bison et le dragon.

Qualités intérieures : Le rythme effréné du monde dans lequel nous vivons - exigences du travail, évolution technologique et pressions financières - nous fait aisément oublier notre parenté aux animaux. Il est encore plus facile de négliger notre esprit animal, personnel et intérieur, où nous pouvons puiser force, sagesse et conseils.

Il existe diverses façons de nous reconnecter à nos guides intérieurs. L'une d'elles est de fournir un effort conscient pour trouver l'animal qui compense les faiblesses que nous sentons en nous-mêmes - le lion peut pas exemple nous aider à combattre notre timidité. Une autre approche consiste à identifier un ou plusieurs animaux avec lesquelles nous sentons une affinité particulière et à travailler en lien étroit avec eux sur une large gamme de problèmes et de peurs. Ce chapitre sonde les créatures susceptibles d'offrir un éclairage intérieur particulier sur notre caractère et notre psyché.

[...]

Taupes, hérissons et musaraignes appartiennent à la famille des talpidés. Oubliez l'image du traître, de l'espion ou de l'agent double associée à la taupe, mais voyez plutôt cet animal souterrain comme direct, creusant le sol et explorant sous la surface des choses. Les taupes en savent long sur l'éclosion des graines qui cherchent la lumière - genèse de la vie végétale. Elles sont expertes en racines, plus qu'en branches.

Gardiennes de tous types de sol, elles connaissent aussi bien les terres sacrées que les terrains toxiques. Elles savent qu'il est des sols bons pour certains et mauvais pour d'autres. Elles connaissent les terres fertiles, mais aussi les sols stériles qui n'engendrent rien. Parce qu'elle vit principalement sous la terre, la taupe est proche des ancêtres. Demandez-lui de vous guider à travers ses tunnels secrets vers la terre nourricière et inspiratrice. Vous trouverez là un lieu de soutien, d'évolution et de nouveau départ - un endroit qui ranime le cœur et l'âme.

Pour creuser la terre, vous devez être prêt à vous salir : alors la magie de la taupe ouvrira de nouvelles opportunités. Si vous avez besoin de creuser en profondeur pour trouver des réponses, sachez que la taupe les a pour vous, même si ces réponses ne sont pas forcément les plus évidentes. L'animal peut vous aider à découvrir ces choses que vous vous êtes caché à vous-même, que vous avez réprimées et ne voulez peut-être même pas savoir.

Symbolisant les tréfonds de l'inconscient, les taupes connaissent les passages et cavités de l'intérieur noir de la terre, et sont des guides à travers les labyrinthes secrets de l'esprit. Elles vous enseignent à descendre en vous et à chercher la connaissance en un lieu plus profond.

Parce qu'elles s'enfouissent dans la terre fertile, les taupes sont souvent associées à la fertilité. Leurs petits yeux enfoncés sont cachés dans la fourrure ; elles sont presque aveugles et pourtant maîtres de l'obscurité, ce pourquoi on les utilise en sorcellerie. De nombreux breuvages de sorcière contiennent un poil de taupe.


Mot-clé : Creuser en dessous.


Terreau de taupe sacré

Le terreau de taupe désigne la terre que l'animal jette en mottes autour des entrées de ses tunnels. Dans les cultures amérindiennes, une couche de ce terreau est souvent utilisée dans la fabrication d'autels traditionnels. Ce terreau relie à toutes les énergies du centre de la Terre. Son utilisation dans la construction d'autels symbolise et associe aux pouvoirs inspirateurs de vie de la Terre Mère et au renouvellement de la vie. Sur cet autel, placez des représentations symboliques des forces surnaturelles invoquées. Par exemple, un fétiche de chouette peut être placé sur un autel de lune. Le principal représentant de la lune sur Terre étant la chouette, il se peut que la lune envoie des messages en rêves par l'intermédiaire de ce mystérieux oiseau.

Il existe de nombreux contes à propos du terreau de taupe sacré. Dans une fable amérindienne, un homme appelé Faucon gris marchait à l'aube sur une plaine lorsqu'il entendit un bruit, "scratch-scratch". Il regarda au sol et vit jaillir des morceaux de terre, qui s'accumulaient en motte. Une taupe apparut, suivie d'une étrange forme d'éclair miniature - des serpents électriques de lumière bleue - autour de la terre projetée par la taupe. L'animal de leva et prit la forme d'un homme aveugle. Il prit Faucon gris par le bras et dit : "Je t'attendais aujourd'hui je t'adopte comme un fils. Tu auras mon pouvoir."

L'homme aveugle tenait soudain un cerceau devant lui. "Regarde à travers", dit-il. "Grâce à ce cerceau, tu connaîtras toujours le lieu de tes ennemis et le moment de leur arrivée. Ils ne pourront te duper. Fabrique un cerceau comme celui-ci, avec du saule rouge recouvert d'une peau de loup. Garde-le enveloppé dans une jolie couverture. Chaque fois que tu veux voir ton ennemi, prends de la terre fraîche de taupe, mets-la sur le sol, fais un petit feu et ôte ta couverture. Tiens le cerceau à deux mains et passe-le devant la fumée. Pose-le sur le terreau de taupe, puis reprends-le. Fais cela quatre fois, serrant le cerceau médicinal contre ta poitrine. Quand tu regarderas à travers le cerceau, tu sauras tout."

Cet anneau de vision, qui était toujours juste concernant l'ennemi, devint au sein du peuple une célèbre méthode de divination. Les guerriers avaient toujours une grande prévoyance et frappaient leur ennemi puissamment."

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Selon Pierre Dubois et René Hausman qui ont écrit et illustré L'Elféméride, Le grand légendaire des saisons - Automne-Hiver (2013),


"Avec l'alouette, le merle, la pie, grives et bergeronnettes chantent au ciel l'annonce du printemps... pendant que la taupe l'annonce sous terre. C'est qu'en février, la petite fouineuse redouble d'activité. Elle s'agite, museau en vrille, et fouille, farfouille ses mystérieux et ténébreux domaines où la vie se meut en silence. A cause de sa tête aveugle, de ses mains d'enfant mort, de son corps noir, velouté, indéfini, on ne l'apprécie guère. On fulmine contre ses trous, ses monticules, ses galeries qui défoncent et abîment le terrain. De l'avis du plus grand nombre, c'est une nuisible. Alors, on la chasse, on la cerne d'un arsenal de méchants pièges à dents, à tenailles, on sème sur ses passages des fers, des éclats de verre destinés à lui saigner le nez. Son nez, si sensible qu'il sent lombrics et limaçons à travers les profondeurs. C'est une bizarre. On raconte que de son trou elle peut entendre, écouter, comprendre ce qui se dit dans les maisons à des centaines de lieues plus loin. C'est le diable qui, en voulant imiter Dieu en train de sculpter l'homme à son image, l'a modelée comme il pouvait sans ce qu'il restait de la motte du limon originel. Il n'a réussi que les mains. Peu satisfait de son travail, il a préféré l'enfouir... et l'oublier.

Les taupes sont les animaux de compagnie des morts, à qui elles apportent des nouvelles du monde extérieur, des saisons et de l'air du temps, et rendent de menus services, les aident à changer de position, à les débarrasser d'un clou, d'une racine chatouilleuse. Les taupes sont les héritières des souvenirs de famille, elles en savent tant qu'elles préfèrent leur exil.

On dit que les taupes sont les âmes punies des paysans avares qui, parce qu'ils ont gratté avec leurs ongles, toute leur vie, la terre pour amasser et amasser sans relâche, sont condamnées à gratter jusqu'à la fin des temps la même terre par en dessous. Que si elle n'a pas d'yeux, c'est qu'elle les a donnés au crapaud en échange de sa queue.

On raconte qu'autrefois des envieux payaient les services de meneurs de taupes. Ils leur demandaient d'envoyer des troupeaux de taupes ravager les récoltes et les jardins de voisins prospères.

Une "main taupée" donnait de grands pouvoirs. On l'obtenait en étouffant une taupe de la main gauche. La croyance veut qu'au déclin de sa vie, la taupe rajeunisse : "Dans son crépuscule, la vieille taupe redevient fée."

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Dans l'édition revue et augmentée de Les Animaux totems dans la tradition amérindienne (Éditions Le Dauphin blanc, 2019) Aigle bleu nous transmet la médecine de la Taupe :


La Taupe est un animal quasiment aveugle. Elle a un nez très long, ce qui lui permet de sentir les choses pour s'orienter. Elle vit sous terre, d'où son symbolisme d'unité avec la terre et la « capacité à ressentir », une qualité qui a toujours été essentielle aux yeux des Premières Nations. L'un de mes mentors, Sun Bear, de la nation Chippewa, me racontait que lorsqu'il était jeune, il s'entraînait au « ressenti » avec son frère. Afin d'aiguiser leur capacité de perception, ils employaient une méthode on ne peut plus exigeante. A tour de rôle, l'un tenait une bûche à bout de bras au-dessus de sa tête, tandis que l'autre la visait avec une carabine de calibre 22, les yeux bandés. Ils arrivaient à toucher la bûche simplement en ressentant où elle se trouvait. Dans la mesure où son frère se trouvait dessous, il n'y avait aucun droit à l'erreur. Ils incarnaient concrètement l'essence du « ressen -tir ».

Comme nous pouvons le comprendre à l'aide de cet exemple, le ressenti est un mode de perception très précis que la plupart des gens n'utilisent pas comme ils le pourraient. Surtout dans ce monde moderne et cartésien, la plupart misent davantage sur la logique et une démarche intellectuelle qui est, bien des fois, tout aussi aveugle. La plupart des autochtones traditionnels, surtout ceux qui ont acquis de l'âge et de la sagesse, ne tiennent presque jamais compte des paroles d'un Homme lors d'une première rencontre, mais davantage de ce qu'il ressentent. Le langage du cœur n'a pas besoin de mots.

La Taupe incarne la médecine du ressenti. Elle ne voir presque rien, mais elle se débrouille très bien, elle trouve la nourriture dont elle a besoin. Elle se niche sous terre, là où c'est vraiment chaud et confortable, et se porte tout à fait bien, malgré sa cécité.

Le message principal de la Taupe, lorsqu'il apparaît comme signe, c'est qu'il existe d'autres modes de perception que ceux que nous utilisons communément. Ceux qui ont la médecine de la Taupe connaissent très souvent les plantes médicinales et savent communiquer avec les odeurs et les saveurs. Ils font de bons parfumeurs, de merveilleux cuisiniers et d'excellents amoureux. Lorsque la solution à un problème semble éluder nos esprits inquisiteurs, appelons la médecine de la taupe, fermons les yeux et regardons avec la vision du cœur.

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Symbolisme celte :


Gilles Wurtz, dans Chamanisme celtique, Animaux de pouvoir sauvages et mythiques de nos terres (Éditions Véga, 2014), nous fait remarquer que :


"Comme tous les animaux, la taupe est parfaitement adaptée à son environnement. Sa vue très faible l'empêche de distinguer les mouvements, ce qui fait d'elle une proie facile à l'air libre, mais elle est bien occupée à son mode de vie souterrain. Elle a une très bonne ouïe, un odorat particulièrement développé, et des vibrisses sur le museau, autant d'outils efficaces pour percevoir ou sentir sa nourriture à plusieurs centimètres de terre.

Pour creuser, la taupe se sert de ses pattes. Recouvertes de corne et munies de six doigts, elles sont de petites excavatrices puissantes. Le sixième doigt, le faux pouce, n'est pas un doigt supplémentaire, mais une extension de l'os du poignet. Rigide, car d'un seul tenant, il est un excellent grattoir. Elle peut creuser jusqu'à 20 mètres de galeries en une seule journée... et peut ramper aussi bien en avant qu'à reculons.

La taupe favorise la fertilité du sol : en remuant les couches de terre, elle en améliore le drainage et l'aération.


Applications chamaniques celtiques de jadis : La taupe représentait pour les Celtes le travail souterrain, l'exploration de ses propres profondeurs pour découvrir son être authentique. Naturellement, l'esprit de la taupe était consulté par les travailleurs en terrassement ou sur des chantiers miniers afin d'effectuer ces travaux sous la terre dans la plus grande sécurité. Mais il était surtout sollicité pour travailler l'aspect beaucoup plus subtil de la fouille souterraine, celui de l'intériorité d'un être. Ainsi les guérisseurs s'adressaient-ils à l'esprit de la taupe pour lui confier des personnes tourmentées par des problèmes d'ordre psychique, émotionnel, qui pouvaient engendrer dépressions, peurs, colères, tristesses, états de mal-être, etc. dont la cause n'était pas extérieure.

L'esprit de la taupe avait cette capacité de creuser le problème pour arriver à la source du traumatisme afin de le mettre à jour, c'est-à-dire d'en prendre conscience. La personne concernée pouvait ainsi le comprendre et agir en conséquence pour s'en libérer.

Il n'y avait nul besoin d'être affecté par un problème quelconque pour travailler avec l'esprit de la taupe : les Celtes avaient l'habitude de le prier pour lui demander son aide pour aller toujours un peu plus profond à la découverte de leur être authentique. Car pour eux, il était évident que l'esprit de la taupe avait aussi cette qualité de tout remettre perpétuellement en question, de creuser inlassablement pour sans cesse dépasser ses propres limites. Ils pouvaient ainsi se rendre compte par eux-mêmes qu'il n'y a jamais de fin en toute chose et que chaque jour, chaque instant n'est qu'un ajustement constant de son être profond à son propre éveil, et à l'évolution du Tout dont la Vie et notre vie font partie. La taupe était le travailleur infatigable de l'obscurité en chacun de nous, obscurité qui un jour se remplira de claire lumière quand toutes les galeries sombres de notre être auront été révélées.


Applications chamaniques celtiques de nos jours : De nos jours, l'esprit de la taupe est toujours à notre entière disposition pour nous aider comme il aidait les Celtes. Aujourd'hui, le praticien chamanique celtique désireux d'aller plus loin en lui-même pour mieux se découvrir peut entreprendre un travail avec lui, et plus précisément pour sonder son inconscient, creuser ses profondeurs et libérer des troubles dont les racines y sont ancrées. Il est bon de ne jamais oublier, surtout lorsque l'on entreprend un tel travail, que les esprits ne nous font jamais vivre d'épreuves hors de notre portée, au-dessus de nos forces... Les esprits sont toujours bienveillants. Ils nous font avancer à un rythme qui nous est propice et salutaire.


Mot-clef : Le travail souterrain."

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Contes et légendes :


Dans Le Folk-Lore de la France, tome troisième, la Faune et la Flore (E. Guilmoto Éditeur, 1906) Paul Sébillot recense nombre de légendes populaires :


La légende de création dualiste qui, en Bretagne, plus rarement dans les autres pays de France, s'applique aux diverses particularités du monde physique, s'attache aussi à l'origine des mammifères sauvages. Plusieurs sont la réplique ridicule, laide ou malfaisante faite par le Diable à l'œuvre de Dieu. C'est ainsi qu'en Auvergne comme en Bretagne le singe est une imitation maladroite de l'homme, et dans le Puy-de-Dôme c'est la taupe.

[...] Deux récits d'Auvergne parlent des efforts du diable pour rivaliser avec l'œuvre divine ; comme toujours ils n'aboutissent qu'à une sorte de caricature. Après avoir créé l'homme, Dieu fut si content qu'il se tourna vers le Diable, et lui dit « Fais-en autant ! » Le diable se mit à la besogne et travailla longtemps mais il ne réussit qu'à faire une taupe et à lui donner des pattes qui ressemblent à de petites mains.

[...] La forme quasi-humaine des pattes de la taupe et de la chauve-souris a suggéré des légendes qui les .^représentent aussi, comme des personnages ayant éprouvé une métamorphose. On dit en Forez que Dieu, pour punir les fées qui s'étaient révoltées contre lui, les changea en dardons ou taupes, et les condamne à ne jamais voir le jour. C'est pour cela que les pattes de la taupe ressemblent à de petites mains ; en Anjou ce sont les Curés qui, jaloux de la puissance des fées, leur ont fait subir cette transformation ; dans les Vosges, les bonnes dames ont disparu depuis que les prêtres récitent l'Evangile selon saint Jean ; elles demandèrent alors à être changées en taupes, et aujourd'hui on croit que les ravages commis par elles dans les potagers sont l'œuvre d'anciennes fées.

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Littérature :


Ce qui n'a pas encore de nom

Qui que tu sois, écoute : Il est. Qu'est-il ? Renonce ! L'ombre est la question, le monde est la réponse. Il est. C'est le vivant, le vaste épanoui ! Ce que contemple au loin le soleil ébloui, C'est lui. Les cieux, vous, nous, les étoiles, poussière ! Il est l’œil gouffre, ouvert au fond de la lumière, Vu par tous les flambeaux, senti par tous les nids, D'où l'univers jaillit en rayons infinis. Il regarde, et c'est tout. Voir suffit au sublime. Il crée un monde rien qu'en voyant un abîme ; Et cet être qui voit, ayant toujours été, A toujours tout créé de toute éternité. Quand la bouche d'en bas touche à ce nom suprême, L'essai de la louange est presque lé blasphème. Pas d'explication donc ! Fais mettre à genoux Ta pensée, et deviens un regard, comme nous. Pourquoi chercher les mots où ne sont plus les choses ? Le vil langage humain n'a pas d'apothéoses. Ce qu'Il est, est à peine entrevu du tombeau. Il échappe aux mots noirs de l'ombre. On aurait beau Faire une strophe avec les brises éternelles, Et, pour en parfumer et dorer les deux ailes, Mettre l'astre dans l'une et dans l'autre la fleur, Et mêler tout l'azur à leur splendide ampleur, On ne peindrait pas Dieu. Songeur, qu'on le revête De bruit et d'aquilon, de foudre et de tempête ; Qu'on le montre éveillé, qu'on le montre dormant, Sa respiration soulevant doucement Toutes les profondeurs de toute l'étendue, Remuant la comète au fond des cieux perdue, Le vent sur son cheval, la mort sur son éclair, Et le balancement monstrueux de la mer, On ne le peindra pas. Lui ! Lui ! l'inamissible, L'éternel, l'incréé, l'imprévu, l'impossible, Il est. La taupe fouille et creuse, et l'aperçoit ; L'ombre dit à la taupe : es-tu sûre qu'il soit ? La taupe répond : Dieu ! Dieu de l'aigle est la proie. Suppose que sur terre un seul être en Dieu croie, Cet être, si jamais le soleil s'éclipsait, Remplacerait l'aurore. Et sais-tu ce que c'est Que le fauve ouragan, tonnant et formidable ? C'est, dans les profondeurs du gouffre inabordable, L'infini murmurant : je l'aime ! à demi-voix ; Quand l'étoile rayonne, elle dit : je le vois ! Tout le cri, tout le bruit et tout l'hymne de l'homme Avorte à dire Dieu ! Le baiser seul le nomme.


J'aime ! -


Victor Hugo, Dieu, parution posthume, 1891.

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Dans son roman autobiographique intitulé Poil de carotte, (1894), Jules Renard évoque des souvenirs douloureux avec beaucoup de pudeur. Ou quand la souffrance mène à la violence :


Poil de Carotte trouve dans son chemin une taupe, noire comme un ramonat (raifort). Quand il a bien joué avec, il se décide à la tuer. Il la lance en l'air plusieurs fois, adroitement, afin qu'elle puisse retomber sur une pierre.

D'abord, tout va bien et rondement.

Déjà la taupe s'est brisé les pattes, fendu la tête, cassé le dos, et elle semble n'avoir pas la vie dure.

Puis, stupéfait, Poil de Carotte s'aperçoit qu'elle s'arrête de mourir. Il a beau la lancer assez haut pour couvrir une maison, jusqu'au ciel, ça n'avance plus.

- Mâtin de mâtin ! elle n'est pas morte, dit-il.

En effet, sur la pierre tachée de sang, la taupe se pétrit; son ventre plein de graisse tremble comme une gelée, et, par ce tremblement, donne l'illusion de la vie.

- Mâtin de mâtin ! crie Poil de Carotte qui s'acharne, elle n'est pas encore morte !

Il la ramasse, l'injurie et change de méthode.

Rouge, les larmes aux yeux, il crache sur la taupe et la jette de toutes ses forces, à bout portant, contre la pierre. Mais le ventre informe bouge toujours.

Et plus Poil de Carotte enragé tape, moins la taupe lui parait mourir.

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