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Le Cheval (suite)


Suite de l'article publié le 22 juin 2016 que vous pouvez lire ici.




Symbolisme celte :


Selon Jacques Albin Simon Collin de Plancy, auteur du Dictionnaire infernal, ou bibliothèque universelle, sur les êtres, les personnages, les livres, les faits et les choses: qui tiennent aux apparitions, à la magie, au commerce de l'enfer, aux divinations, aux sciences secrètes, aux grimoires, aux prodiges, aux erreurs et aux préjugés, aux traditions et aux contes populaires, aux superstitions diverses, et généralement à toutes les croyants merveilleuses, surprenantes, mystérieuses et surnaturelles. (Tome troisième. La librairie universelle de P. Mongie aîné, 1826) :


HIPPOMANTIE. - Divination des Celtes. Ils formaient leurs pronostics sur le hennissement et le trémoussement de certains chevaux blancs, nourris aux dépens du public dans des forêts consacrées, où ils n'avaient d'autre couvert que les arbres. On les faisait marcher immédiatement après le char sacré, Le prêtre et le roi, ou chef du canton, observaient tous leurs mouvements, et en tiraient des augures auxquels ils donnaient une ferme confiance, persuadés que ces animaux étaient confidents du secret des dieux, tandis qu'ils n'étaient eux-mêmes que leurs ministres. Les Saxons tiraient aussi des pronostics d'un cheval sacré, nourri dans le temple de leurs dieux, et qu'ils en faisaient sortir avant de déclarer la guerre à leurs ennemis. Quand le cheval avançait d'abord le pied droit, l'augure était favorable ; sinon, le présage était mauvais, et ils renonçaient à leur entreprise.


HIPPOPODES. - Peuple fabuleux qui avait des pieds de cheval, et que les anciens géographes placent au nord de l'Europe.

 

Dans L'Oracle des Druides, Comment utiliser les animaux sacrés de la tradition druidique (édition originale, 1994 ; tradition française Guy Trédaniel 2006) de Philip et Stephanie Carr-Gomm, on apprend que le cheval est associé à trois mots-clefs :


La Déesse - La Terre - Le Voyage.


La carte représente une jument grise devant la silhouette du Cheval Blanc, sculptée à même le calcaire de la colline d'Uffington, dans l'Oxfordshire. Au premier plan pousse la pesse d'eau, la prêle des marais, et l'hippocrépide. Une clé symbolique et un guerrier à cheval sont sculptés sur le rocher. Le soleil brille de tout son éclat.

L'esprit du cheval vous invite au voyage : vous ressentez peut-être l'envie de voyager, dans le monde physique ou dans les domaines intérieurs. Le cheval vous apporte l'énergie et la vitesse et vous relie à la puissance de la terre et du soleil. La déesse-cheval règne sur le cycle complet de l'existence : la naissance, la mort, la vie dans l'au-delà et la renaissance. En nous rapprochant de l'esprit du cheval, nous nous familiarisons avec les différentes aspects du cycle de la vie, sachant que la déesse nous protège et nous guide d'étape en étape.


Renversée, la carte nous demande d'analyser les origines de notre agitation. Si nous avons du mal à nous fixer, à rester dans un endroit ou mener ne tâche à son terme, c'est peut-être que nous n'avons pas encore accepté le flot de la vie et notre place dans le cycle de l'existence. L'esprit du cheval peut nous aider à trouver le sentiment d’appartenance qui nous manque et nous relier à l'esprit de la terre et du ciel.


Le Cheval dans la Tradition


L'un des chevaux était agile, fougueux, bien cambré et puissant,

un beau corps sur de longues pattes et des sabots magnifiques.

L'autre avait la crinière longue et brillante,

un corps nerveux et des pattes merveilleusement fines


Extrait de Le Vol des vaches de Cooley.


Ces deux chevaux tiraient le char de Cu-Chulainn, le héros de l'Ulster. Ils s'appelaient Mer Grise et Mouette Noire. Mer Grise était clairvoyante ; elle pleura des larmes de sang quand la mort de son maître lui fut annoncée. Cu-Chulainn se battait sur un char de bois et d'osier, comme beaucoup de guerriers irlandais et britanniques continuaient à le faire après l'abandon des batailles de chars dans le reste de l'Europe. Les combattants celtiques avaient l'habitude d'attacher au cou de leur cheval les têtes des ennemis qu'ils avaient tués, terrifiant certainement ainsi leurs adversaires.

Avant l'arrivée des Romains en Gaule et en Grande-Bretagne, les chevaux employés étaient de petite taille, comme des poneys. Ils servaient au transport et à la chasse autant qu'à la guerre. En Gaule, ils étaient aussi source de nourriture. Ils représentaient la richesse, comme les moutons et le bétail, et leur importance dans la vie celtique est marquée par le nombre de chevaux enterrés avec les chars ou dans les tombes rituelles. Des chevaux et des chiens étaient parfois enterrés ensemble, laissant penser aux rites d'un culte de la chasse. Parfois, on n'a retrouvé enterrés en guise d'offrande que des objets de sellerie ou une partie du corps du cheval, ses dents par exemple.. On a mis au jour des ossements de chevaux sous les fondations de maisons, certainement enterrés pour porter chance à leurs habitants. Le fer à cheval porte-bonheur reste encore le signe de cette association entre le cheval et la chance.

Le cheval devait être protégé du mauvais œil par des ornements de bronze. Les druides, plus plus tard les paysans, bénissaient l'animal en le faisant tourner trois fois dans le sens des aiguilles d'une montre autour d'un cairn connu sous le nom de Cairn Nan Each... Pour empêcher les sorcières de voler les chevaux, les charretiers attachaient autour du cou des animaux des "pierres à sorcières", silex formant naturellement des anneaux. Mais les sorcières pouvaient jeter une bride magique autour du cou des hommes endormis pour les changer en cheval pour la nuit.

La Déesse-Cheval

Epona, la déesse-cheval dont dérive le mot "poney", était vénérée à l'origine en Gaule, mais était si populaire que son culte se répandit de la Grande-Bretagne à la Bulgarie. C'est la seule divinité celtique qui ait eu un culte à Rome où on la fêtait le 18 décembre. Elle était représentée dans le pays de Galles par Rhiannon et en Irlande par Macha et Etain.

Elle symbolisait indubitablement la protection chez les cavaliers, mais pour les civils, elle équivalait à la déesse-mère et présidait le cycle de la vie. On la représentait sur certaines images comme une mère fertile et généreuse, nourrissant deux poulains avec les grains de maïs posés sur ses genoux. Ailleurs, elle tenait une clé ouvrant les portes du Monde des Profondeurs et de l'Autre Monde. La déesse transformée en cheval avait un rôle psychopompe ; elle transportait les âmes des morts vers l'Autre Monde, ou vers Hy Breasil (le Paradis de la mythologie irlandaise qui a peut-être donné son nom au Brésil). Cheval des morts, elle est parfois décrite sous les traits d'une créature fantomatique et l'on dit qu'elle donne des cauchemars. Kelpie ou Each Uisge, elle hante les lacs écossais sous la forme d'un poney luisant, offrant son dos aux voyageurs qui veulent traverser le lac. Mais une fois qu'ils sont montés, elle se transforme en une terrifiante créature aux dents longues et aux longs poils sauvages, qui plonge droit dans le lac, emportant ses cavaliers dans le Monde des Profondeurs. A Skye, on raconte qu'une licorne vit dans certains lacs et qu'une cheval-anguille à douze pattes nage encore dans le Loch Awe.


Seuils de la Vie et de la Mort

Dans la tradition druidique, Beltane, en mai, représente le temps des amours et le seuil de la nouvelle vie où l'âme s'engage. Samhuinn, en novembre, symbolise la mort et la porte par où l'âme quitte ce monde. Ces deux seuils sont les deux axes du cycle de l'existence : à Beltane, la déesse-cheval envoie sur les hommes un grand flot d'énergie bouillonnante, les rendant aussi forts que des étalons ; à Samhuinn, elle porte leur âme vers l'Autre Monde pour l'y renouveler.

Confirmant cette association de la déesse au cycle de l'existence, les chevaux Hobby sont montés rituellement à Samhuinn et Beltane ; la race des Padstows et Moineheads apportent le mois de mai et celle des Hoddens (Kent), des Chevaux Sauvages (Cheshire et Shropshire) et des Mair Lwyd (Pays de Galles) accompagnent l'hiver.

Associé également à la sexualité, le cheval représente à la fois la fécondité humaine et la puissance et la fertilité de la terre. Certains rois irlandais se marièrent symboliquement à une jument blanche pour associer leur propre souveraineté à la puissance de leurs terres. Pour renforcer cette association, de grands chevaux ont été sculptés sur certaines collines de Grande-Bretagne, à même le calcaire du sol.

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Selon Thierry Jolif, auteur de B. A.-BA Mythologie celtique (Éditions Pardès, 2000),


"Un rituel d'intronisation qui comprend le sacrifice d'un cheval blanc est attesté en Ulster au XIIe siècle par le moine gallois Giraud de Cambrie. Le cheval fait partie des symboles royaux et guerriers. Il existe en Gaule des représentations d'une déesse chevauchant, qui est nommé Epona ; son nom est apparenté à celui du cheval. Il est possible qu'elle soit un aspect de la déesse de la guerre."

 

Selon Sabine Heinz, auteure de Les Symboles des Celtes, (édition originale 1997, traduction française Guy Trédaniel Éditeur, 1998),


"Au VIIIe siècle avant notre ère, les chevaux sont introduits en Europe centrale ; ce sont des animaux de charge et de selle qui deviennent vite l'emblème de l'aristocratie cavalière celtique. A l'époque, les luttes guerrières font partie de la vie des Celtes en quête de nouveaux territoires ; cavaliers et conducteurs de chars bénéficient donc d'un rang social élevé. L'une des premières représentations de cheval, gravée dans la pierre, date du VIe siècle avant notre ère ; on l'a trouvée à Roquepertuse, en Provence.

Le cheval apparaît dans les motifs les plus divers, comme sculpture et surtout au dos de la plupart des pièces de monnaie que nous connaissons jusqu'à présent. Les significations religieuses du cheval sont multiples, pas seulement chez les Celtes. Il est le compagnon des dieux et l'emblème de différentes divinités ; on le consacrait à des dieux comme Rudiobus, Belenus et Macha. Le cheval est souvent un symbole réduit du chevalier ou du cheval et du char. Il représente le soleil, également lié au culte de l'eau, qui réunit la vie et la mort (évolution / guérison / rajeunissement). Selon le cavalier ou la personne qui l'accompagne (homme, femme, serpent, chien, verrat, aigle, corbeau, etc.), d'autres relations sont établies. Le cavalier est l'être suprême ; il tient les rênes qui lui permettent de conduire et de diriger. Le cheval tire le char du soleil, le char de l'officier et les barques.

[...]

D'autres représentations montre le cheval avec une tête humaine. Lorsqu'il a des ailes, il conduit les hommes vaillants dans des contrées d'une beauté éternelle. On voit rarement des hippocampes, qui pourraient avoir la même mission.

Les autres propriétés attribuées au cheval sont la beauté, la vitesse, la vivacité sexuelle et par suite la fécondité. Il est le symbole de la vie en mouvement. Avec le verrat / Le porc, il est l'animal votif et sacrificiel le plus fréquent.

Il est donc logique qu'on ne puisse pas s'imaginer la littérature celtique sans cheval. On évoque non nom en entier, mais parfois seulement une partie de son nom. Un cycle de triades galloises, Trioedd Ynios Prydein, est exclusivement consacré aux chevaux de souverains britanniques et reflète en même temps la symbolique celtique des couleurs.

L'une des histoires les plus belles et les plus symboliques, qui met en lumière le cheval et sa sagesse, vient de Bretagne :


Un éleveur de chevaux avait douze juments, qui lui donnèrent onze pouliches rousses comme un renard et un affreux poulain bleu. Entendant les soupirs de l'éleveur, l'étalon se mit soudain à parler et lui conseilla de tuer les pouliches et de lui laisser tout le lait des juments. Le paysan suivit ses conseils et au bout de six mois, le poulain était devenu un animal géant ayant la force de douze chevaux. Pour que l'étalon perde sa robe bleue, l'éleveur dut vendre une partie de son bien, car l'étalon lui dit qu'il aurait besoin d'une étrille en argent. Après avoir trouvé l'outil requis , il étrilla la robe de l'animal jusqu'à ce qu'elles oit d'un blanc éclatant. Le cheval demanda alors à l'éleveur de l'accompagner à Nantes où les neuf plus nobles étalons du roi étaient tombés malades. Sur le conseil du puissant animal, on donna à chaque cheval trois boisseaux d'avoine qu'il engloutit cependant lui-même. Les autres furent fouettés jusqu'à ce que la sueur leur coule sur les flancs. L'éleveur en frotta son cheval qui en devint encore plus fort. Les étalons du roi guérirent. Alors, le roi arma l’éleveur chevalier, mais exigea immédiatement que ce dernier lui procurât le cheval du monde.

Au bout de trois heures de lutte et avec l'aide de 99 peaux de bœuf qui le protégèrent, l'étalon réussit à vaincre et à ramener le cheval du monde. A peine étaient-ils rentrés à la cour que le roi leur demanda de lui amener la princesse aux cheveux d'or. Ils repartirent donc et, alors que leurs provisions éteint presque entièrement épuisées, finirent par rencontre un groupe d'oies sauvages affamées, avec lesquelles ils partagèrent leur dernier morceau de pain. Pour les remercier, les oiseaux allèrent chercher une barque, les invitèrent à monter et leur firent traverser le lac inhospitalier au bord duquel ils avaient campé ; ils parvinrent sur l'île de la princesse qu'ils conquirent. Ils revinrent à la cour du roi accompagnés de la princesse.

La jeune femme plut beaucoup au roi qui voulut l'épouser. La princesse posa une condition : elle souhaitait qu'on lui apportât les vêtements qui étaient sur l'île, dans une armoire dont elle avait jeté les clés dans le lac pendant la traversée. De nouveau, cheval et chevalier se mirent en route. Au bord du lac, ils réussirent à sauver un poisson qui leur rendit la pareille en allant chercher la clé au fond du lac. Ils débarquèrent sur l'île, allèrent chercher les vêtements et les amenèrent à la princesse.

Mais la princesse exigea alors un époux plus jeune. Le chevalier et son cheval durent donc repartir chercher l'eau de la vie et celle de la mort. Arrivé dan un champ, l'étalon ordonna au chevalier de le tuer. Les yeux remplis de larmes, le chevalier s'exécuta, puisque l'étalon avait jusqu'alors toujours eu raison. Après la mort de l'étalon, deux corbeaux vinrent se poser sur le cadavre. Le chevalier attrapa l'un d'eux et promit de lui rendre sa liberté s'il lui apportait l'eau de la vie et celle de la mort. Le corbeau donna sa parole sa liberté s'il lui apportait l'eau de la vie et celle de la mort. Le corbeau donna sa parole et la tint. Le chevalier aspergea alors de quelques gouttes d'eau de vie le cadavre du cheval qui reprit vie immédiatement sous forme d'un merveilleux prince. C'était le frère de la princesse.

Ils revinrent à la cour où la princesse versa des larmes de joie en revoyant son frère. Le roi voulut une preuve de l'efficacité des deux eaux et aspergea son vieux chien de trois gouttes d'eau de mort. Il mourut ; après l'avoir aspergé de trois gouttes d'eau de vie, il revint à la vie, rajeuni. Le roi osa alors essayer, car il espérait rajeunir lui aussi. Mais la princesse ne lui donna que des gouttes d'eau de mort, car elle avait découvert son amour pour le chevalier qui lui avait rendu son frère et elle fit de lui le nouveau roi.


Le rapport avec le matriarcat, la fécondité et la force guerrière est particulièrement net dan l'une des trois Macha décrites dans des légendes irlandaises :


Un jour, une superbe femme nommée Macha arriva dans la maison isolée de Crunnchu, gardien de l'auberge royale et veuf pour la deuxième fois ; sans mot dire, elle s'occupa immédiatement de tenir son ménage. Elle resta dans la maison de Crunnchu et y multiplia les richesses et la joie. Elle fut bientôt enceinte. Crunnchu décida d'aller à la fête du camp militaire. Bien que sa femme l'ait exhorté de ne pas le faire, Crunnchu se vanta devant la foule qui acclamait les chevaux que sa femme était capable de courir plus vite qu'eux. Le roi Conchobar entendit ses paroles et, furieux, ordonna qu'on allât chercher Macha. Malgré les premières douleurs de l'enfantement, il la força à faire une course avec les chevaux sous la menace de tuer son mari. Elle gagna, mais la course lui coûta la vie. Elle mourut en donnant naissance à deux jumeaux. Son dernier cri fit frissonner la foule et lui enleva toute force. Pendant neuf générations, sa malédiction paralysa les Ulates ; chaque fois que la misère se faisait sentir et qu'ils avaient le plus besoin de leurs forces, ils n'avaient, le temps que durent les couches - c'est-à-dire cinq jours et quatre nuits ou bien le contraire - que la force d'une accouchée.


Au total, la littérature irlandaise donne trois interprétations de la divinité irlandaise Macha : prophétique, guerrière et matriarcale. Le rapport avec le matriarcat se reflète dans la Rhiannon galloise et dans le conte de Baranor. Medb, une véritable figure de matriarcat, est représentée elle aussi sous forme de cheval.

Il est possible que les Celtes insulaires se soient représenté le pays lui-même comme un cheval - peut-être même sous la forme de femmes comme Medb dont le premier mari Eochaid Dala fut probablement un cheval (son nom la laisse néanmoins supposer). Cela expliquerait mieux les rites d'intronisation auxquels Giraldus Cambrensis prétend devoir s'être soumis en 1185/86 en Ulster, sous l'influence de la société irlandaise qui y vivait encore partiellement dans des conditions préféodales : le prétendant au trône royal devait consommer le Saint Mariage avec une jument blanche, c'est-à-dire s'unir à elle, puis se baigner dans un bouillon préparé avec la viande de l'animal, bouillon que devaient ensuite boire ses fidèles. on croyait qu'ainsi la force de l'animal lui serait transmise et profiterait par son entremise à tout son royaume.

Le fait que les hommes obtiennent des terres et deviennent rois grâce aux femmes n'apparaît pas seulement dans les légendes irlandaises, mais aussi dans les Mabinogi, les légendes d'Arthur et des contes comme celui que nous venons de rapporter.

De nombreux personnages irlandais ont effectivement des noms qui font penser au cheval : Mongàn (petite crinière), Eochaid (cheval), Eochaid Ollathir (Grand Père Cheval), Mongfhionn (blanc comme la crinière). C'est pourquoi on suppose également que Macha est peut-être la déesse tribale à la puissance trois.

Les Celtes, comme les Aedui et les Lingons, étaient jadis célèbres, et le sont encore aujourd'hui (par exemple dans le Llangeitho, au Pays de Galles), pour les succès obtenus avec l'élevage des chevaux."

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Selon Divi Kervella, dans Emblèmes et symboles des Bretons et des Celtes (2001) :


"Le cheval occupait une place très importante dans la civilisation celtique ancienne, - on retrouve cet animal - parfois à tête humaine - sur une majorité des monnaies de l'Antiquité celtique. La symbolique se rapportant au cheval est très vaste et nous ne ferons qu'effleurer ici un domaine plus que riche.

Il existe un très fort lien symbolique entre le cheval et la mer. le terme poétique ancien pour désigner la Grande Bleue est kezeg Ler (Les chevaux de Ler - Ler étant le dieu celte de la mer), et, de nos jours en Bretagne, ar gazeg c'hlas (la jument bleue) est le surnom de l'Océan. Le lecteur trouvera dans l'article Licorne d'autres éléments sur des chevaux marins cornus qui hantent les côtes de la Celtie.

Les deux Cornouailles semblent vouées au cheval : toutes deux avaient comme souverain le roi Marc'h ("cheval"), l'oncle de Tristan dont l'amour qui l'unit à Iseult, la promise du roi, est connu de tous.

[Je réalise aujourd'hui que mon fils Tristan, né le 3 mai est aussi lié au cheval par l'intermédiaire du saint patron de son anniversaire puisqu'il s'agit de Philippe, d'ailleurs prénom de mon oncle maternel !].

La version bretonne de l'histoire spécifie même que ce roi avait des oreilles de cheval, lui conférant ainsi les attributs du roi Midas de la mythologie grecque. Ces deux contrées possèdent également en commun des légendes de villes englouties par la mer (Iz en Bretagne, Lethowstow outre-Manche) dont les souverains n'eurent la vie sauve que grâce à la course éperdue de leurs destriers blancs luttant de vitesse avec la montée des flots ravageurs.

Le symbolisme du cheval est ancré dans la toponymie de la côte de la Cornouaille bretonne : la ville de Penmarc'h dont le nom signifie "tête de cheval" occupe l'extrême pointe sud-ouest, et le pays alentour qu'on appelle de nos jours communément le pays Bigouden conserve encore son nom ancien d'origine latine Cap Caval qui n'en est que la traduction (cap = penn ; caval = marc'h). Le corps de la formidable bête se prolonge jusqu'à la pointe e Lostmarc'h ("queue de cheval") à l'extrémité de la presqu'île de Crozon, après être passé par Quimerc'h (altération de kein marc'h "dos de cheval"). La jument longe également la côte occidentale bretonne : elle va des environs de Douarnenez à l’île d'Ouessant. quant au roi Marc'h lui-même il a son tombeau sur un des versants du Menez-C'homm, la montagne sacrée de Cornouaille.

En Grande-Bretagne, c'est directement dans la craie de collines qu'on traçait d'immenses chevaux blancs : le cheval blanc de Westbury et surtout celui d'Uffington sont très connus.

Le paysage breton est également parsemé d'étranges grandes pierres appelés kazeg-vaen, "jument de pierre", elles ont le pouvoir de rendre fertiles les femmes stériles. Celle de Locronan est la plus connue, elle est sur le bord du circuit de la Troménie, cette fameuse procession qui suit un calendrier pré-chrétien. La famille ducale vouait un culte particulier au patron du lieu, Ronan, garant de la fécondité de la dynastie et Anne de Bretagne fit d'ailleurs un pèlerinage à cette pierre.

Les premiers illustrateurs bretons des textes sacrés firent jouer l'amalgame entre le nom Marc'h et saint Marc, et les enluminures faites à l'abbaye de Landévennec montrent l'évangéliste avec une tête de cheval !

Le cheval possède également une forte symbolique guerrière, les chevaliers formant une aristocratie guerrière très puissante. C'est grâce à leur cavalerie et à l'invention du char que les Celtes purent rapidement étendre leur civilisation sur une bonne partie de l'Europe occidentale et centrale, et les cavaliers bretons étaient fort réputés au Moyen Âge jusqu'à faire le tiers des forces de Guillaume le Conquérant lors de la bataille d'Hastings.

C'est pourquoi l'on retrouve le nom de Marc'h (lénifié en composition sous la forme -varc'h) dans nombre de noms propres bretons d'origine guerrière devenus patronymes. Citons par exemple Gwivarc'h dont le nom signifie "(guerrier) digne d'avoir un cheval, ou encore mieux Gwionvarc'h "digne d'avoir un bon cheval", sans oublier les Glevarc'heg "chevalier brillant", etc.

Le plus grand roi de la Bretagne continentale, Salomon (857-874), a été canonisé par la ferveur populaire. Il est devenu le protecteur des chevaux et des cavaliers, et son pardon à la chapelle de Plouyé (Cornouaille) où se trouve son sarcophage était jadis couru. Cela est sûrement dû au fait qu'il était le chef de la puissante cavalerie bretonne.

Conducteur des âmes dans l'autre monde, le cheval blanc accompagne les défunts dans leur voyage vers une nouvelle vie. Il peut également avertir les mortels de leur fin prochaine. L'Ankoù breton, personnage masculin qui vient chercher les personnes dont la dernière heure est arrivée, se déplace sur une charrette tirée par deux chevaux blancs, à la longue crinière, attelés en flèche. Celui de devant est maigre, efflanqué et tient à peine sur ses pattes, l'autre en revanche, est gras et franc du collier.

La charrette irlandaise de la mort (coiste bodhar, "charrette sourde") en diffère peu, sauf qu'elle est tirée par quatre chevaux sans tête. Celle de Cornouailles insulaire est également attelée à des chevaux sans tête.

Toutes ces symboliques peuvent parfaitement se mélanger : les deux chevaux du héros guerrier CùChulainn ont une intelligence humaine et viennent de l'Autre Monde."

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Dans Animaux totems celtes, Un voyage chamanique à la rencontre de votre animal allié (2002, traduction française : Éditions Vega, 2015), John Matthews nous propose la fiche suivante :


"Cheval = irlandais : capall, each ; gallois : ceffyl, march ; gaélique : each, mare-schlugach ; langue de Cornouailles : margh ; breton : -.


Le cheval a toujours été sacré pour les Celtes et représente de bien des manières l'animal totem fétiche de la Grande-Bretagne et de l'Irlande. Ainsi, deux des plus grands tabous étaient de mutiler volontairement les chevaux ou de manger leur chair. Dans le Mabinogion, lorsque l'Infernal Efnissien coupe les cils, les lèvres et la queue du cheval du roi d'Irlande en visite, il déclenche une guerre.

On trouve dans toute la Grande-Bretagne des preuves de l'existence d'un culte du cheval très répandu, ce qui peut être relié à l'adoration de la déesse cheval Epona. Le cheval blanc d'Uffington, taillé dans la craie des collines de Berkshire, en Grande-Bretagne, est un centre de rituels depuis plus longtemps que l'on puisse s'en souvenir. Les recherches archéologiques le date de l'âge de fer, voire avant. Il demeure un flambeau pour tous ceux qui aiment la tradition ancestrale de cette région.

Les destriers magiques abondent dans la tradition celte, depuis depuis les chevaux de Mannannan mac Lir, qui peuvent transporter les gens par delà la cime des vagues vers l'Autre-Monde du royaume de la mer, jusqu'aux montures favorites de héros tels qu'Arthur, dont la célèbre jument grise, Llamrai, est répertoriée dans les Triades.

Le héros irlandais Cuchulainn possédait deux chevaux célèbres : Dubh-sron-gheal et Dubh-srannal, "Museau Noir-Blanc" et "Ébrouement Noir". Les destriers de Fionn étaient Dubh-saoileann, "yeux Noirs" et Liath macha, "Brume Grise".

Le cheval idéal est décrit ainsi par les anciennes lois de Brehon :


Un grand cheval, robuste, jeune, noble, à la tête haute, porteur de charges, au cœur plein d'entrain, à la poitrine large, altier, à l'allure tranquille, au poil lisse et brillant, aux pattes élancées, de bonne lignée, sans marque de lance, sans coupure d'épée, suivant la main, sans bosse sur le dos, au dos entier, au pas fluide, ni trop haut, ni trop bas, sans timidité, sans rébellion, sans faux pas, sans paresse, sans boitement, ne ruant pas, n'ayant pas le crin poussiéreux, ne s'essoufflant pas, aux oreilles droites, ne tremblant pas... En parfaite santé, docile, obéissant. A défaut de cela, il sera rejeté.


Plus récemment, la tradition évoque le "Kelpie", ou cheval aquatique, visible au bord d'un lac, apparemment doux et docile, mais qui aussitôt monté, part dans un galop interminable jusque dans les profondeurs de l'eau, noyant son cavalier.

Outre sa rapidité et son endurance évidentes, le cheval se révèle être un totem loyal, capable de nous monter le chemin jusqu'à l'Autre-Monde, et de nous guider au sein de celui-ci.


Préceptes du totem :

Éclaireur : Ensemble, nous pouvons gagner la course.

Protecteur : Ouvre bien les yeux avant de sauter.

Challenger : Quel est ton objectif véritable ?

Aide : Je peux te mener n'importe où."

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Symbolisme alimentaire :


Pour Christiane Beerlandt, auteure de La Symbolique des aliments, la corne d'abondance (Éditions Beerlandt Publications, 2005, 2014), nos choix alimentaires reflètent notre état psychique :

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Mythologie :


Pour Melissa Alvarez, auteure de A la Rencontre de votre Animal énergétique (LLewellyn Publications, 2017 ; traduction française Éditions Véga, 2017), Sleipnir est défini par les caractéristiques suivantes :


Traits : Sleipnir est un cheval fantastique de la mythologie nordique, un immense cheval à huit jambes. C'était la monture personnelle d'Odin : il l'a amené d'Asgard à la terre à travers les neuf mondes, et dans d'autres voyages à la recherche des guerriers Vikings qui étaient tombés pour les ramener à leur cimetière de Valhalla au royaume des Morts. Sleipnir était le cheval le plus puissant, le plus rapide et le plus grand de tout l'univers. Il pouvait courir à une vitesse extrême, allant dans le ciel, sur la mer et sur terre. Il était magique du fait des symboles qui étaient gravés sur ses dents, ce qui lui donnait tous ces pouvoirs. Sleipnir symbolise un passage traversé en toute sécurité, le vent et la vitesse.


Talents : Aventure ; Prise de conscience ; Capable ; Compétence ; Créativité ; Pouvoirs magiques ; Téméraire ; Honneur ; Inspiration ; Intelligence ; Noble ; Prestige ; Protection ; Quête ; Service ; Chamanisme ; Rapidité ; Force ; Sagesse.


Défis : Fureur ; Implacable ; Poursuite impitoyable.


Élément : Air ; Terre ; Eau.


Couleurs primaires : Gris.


Apparitions : Lorsque Sleipnir apparaît, cela veut dire que vous serez très actif et ferez beaucoup de choses en même temps ; vous aurez donc le sentiment d'avancer à toute allure, ou bien il se peut que vous partiez en voyage. Sleipnir veut dire aussi que vous êtes en quête d'illumination spirituelle et que vous recevrez l'aide de nombreux esprits au cours de votre voyage.. Sleipnir vient vous rappeler d'être vigilant pour pouvoir reconnaître ces esprits lorsqu'ils vous apparaissent. Sleipnir vous met en garde contre le fait d'être intransigeant dans votre recherche de plus de connaissance ou de sagesse. Ne soyez pas tranchant ou insensible dans votre quête, mais recherchez plutôt la vérité en vous connectant à vos émotions. Odin a donné son œil en échange de plus de sagesse. Cela vous signale que vous pouvez rechercher et trouver, sans pour autant vous faire du mal et souffrir. Le voyage spirituel est un voyage plein émerveillement, d'admiration et d'inspiration. Si vous ressentez des émotions négatives ou si vous avez la sensation d'obscurité dans votre recherche, alors c'est que vous n'êtes pas sur le bon chemin. Cherchez la lumière et suivez Sleipnir pour sortir de l'obscurité.


Aide : Vous avez besoin de trouver l'inspiration pour devenir plus créatif. Si vous vous sentez bloqué,, le seul fait de penser à Sleipnir peut stimuler votre créativité. Pensez à ses huit jambes de grande taille, aux signes magiques gravés sur ses dents, et à sa capacité à voler effectivement entre les mondes. Comment les qualités de Sleipnir vous inspirent-elles ? Si vous recherchez l'aventure, Sleipnir peut vous aider à en trouver les lieux et les activités enthousiasmantes dans lesquelles vous engager et qui vous combleront. Si vous avez besoin de traverser en toute sécurité un endroit lors d'un voyage, demandez son aide à Sleipnir : il va vous embarquer sur la route la plus rapide et la plus sûre, en vous protégeant tout au long du chemin. Lorsque vous êtes dans une situation délicate qui demande une sagesse aguerrie, Sleipnir va vous aider à faire les bons choix ou bien vous inciter à transmettre votre savoir et votre sagesse à quelqu'un d'autre pour qu'il puisse agir au mieux. Sleipnir va amener à vous d'autres esprits pour vous aider dans votre quête d'illumination spirituelle. Il va vous aider à prendre conscience de la présence de ces esprits lorsqu'ils viennent à vous, et vous pousser à accepter leur aide tout comme vous l'accueillez lui. Aucun être humain ne peut cheminer seul sur la voie de l'illumination : beaucoup cheminent avec vous pour éclairer votre avancée.


Fréquence : L'énergie de Sleipnir donne une sensation douce, comme si vous traversiez l'espace à toute vitesse, étendu dans le vent. Elle bourdonne avec des pulsations électriques qui vous stimulent et vous incitent à avancer encore plus vite. Elle a un rythme rapide, sur une cadence à huit temps.


Imaginez...

Vous êtes piégé. Où ça ? Vous n'en savez rien. Vous avez le sentiment d'être dans les limbes quelque part dans l'espace. Vous vous trouvez simplement en train de flotter lorsque vous voyez un cheval géant qui galope vers vous - ce qui est étrange, car il a l'air de voler. Il s'arrête et vous vous rendez compte qu'il a huit jambes. Le cheval fouine tendrement dansa votre bras, aussi vous attrapez sa crinière et vous vous élancez pour vous asseoir sur son dos. Dès que vous êtes installé, vous n'avez plus du tout le sentiment d'être en train de flotter. C'est comme si une forte impulsion magnétique vous maintenait dans votre assise. Lorsqu'il décolle, vous savez pourquoi. Il avance à une vitesse terrible. Pour finir, vous vous rendez compte que vous vous retrouvez devant chez vous... Vous descendez de son dos et vous lui grattez le cou, alors il s'envole à vive allure et disparaît dans le ciel.

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Symbolisme onirique :


Selon Georges Romey, auteur du Dictionnaire de la Symbolique, le vocabulaire fondamental des rêves, Tome 1 : couleurs, minéraux, métaux, végétaux, animaux (Albin Michel, 1995),


Le pont-levis vient de s'abaisser, les oriflammes claquent au vent léger, les trompettes sonnent, la foule massée au pied des remparts applaudit : voilà le cheval du rêve ! Il apparaît, étrangement dénaturé par le lourd caparaçon dont on l'a revêtu. Comme le chevalier qui le monte, prisonnier dans l'armure de fer, il n'est plus un être de chair et de sang, capable d'émotion, mais une sorte de statue à demi vivante.

Cette approche de l'image onirique du cheval surprendra. Elle est pourtant inspirée par les scénarios dans lesquels apparaît le symbole. Au terme de l'exploration de ces rêves, le chercheur éprouve l'impérieuse conviction qu'il doit oublier tout ce qu'il croyait savoir sur la symbolique du cheval. Pour laisser sa vision s'organiser autour d'une structure nouvelle, imposée par les puissantes manifestations de l'imaginaire. Celles-là se déclinent en multiples nuances d'une dialectique de la répression des élans naturels et de la liberté.

Le cheval est présent dans 20% des séances de rêve éveillé. Certes, 15% des apparitions du symbole se résument en de banales évocations, telles que "j'ai vu passer un cavalier sur son cheval" ou "la charrette est tirée par un cheval", mais toutes les autres interventions de l'image sont éminemment signifiantes. Au fil des très nombreux scénarios sur lesquels a porté l'investigation, nous n'avons pas observé la moindre allusion à ces mercenaires de l'industrie de la compétition ou du jeu que sont les chevaux de course.

Dans la langue des symboles, le cheval est la racine de toute une série d'images qui expriment la liberté des élans, la reconnaissance des pulsions naturelles. Mais, à partir de cette racine, le vocabulaire onirique élabore surtout des mots qui traduisent une altération de cette liberté !

Les images se déploient sur un axe vertical où leur position s'établit en fonction de leur rapport à la pesanteur. On notera, de haut en bas, les images de la révolte contre la pesanteur, celles de l'affranchissement, celles de la résignation, celles de l'accablement et celles de la défaite ! Comme il est facile, grâce aux rêves, de montrer que le cheval se prête à cette graduation !

Au sommet de l'axe, un cheval blanc, auquel le rêveur attribue les ailes de l'ange, inscrit dans le ciel l'envol de Pégase. Près de 40% des scénarios pris en référence témoignent de cette tentative de sublimation des désirs de la terre. La libido est systématiquement détournée de ses cibles objectives, au profit d'un mécanisme d'idéalisation. L'authentique poésie qui imprègne ces productions n'est parfois que le séduisant déguisement de la difficulté d'assurer la relation au monde ou le masque jeté sur une souffrance refusée.

Plus près de la réalité terrestre, mais si libre qu'il semble presque aérien, bondit le cheval indompté. L'image est celle de l'animal galopant dans de vastes étendues ou rétif tel un cheval de rodéo ou cabré comme un étalon sauvage qui n'aurait jamais subi la longe. En termes psychologiques, plus encore que la liberté, il traduit une crise de libération. Il exprime le rejet des harnais paralysants d'une socialisation abusive. Les images du cheval libre, frémissant de tous ses muscles, naseaux fumants, sont plutôt rares. Elles ne représentent pas 10% des apparitions du symbole. Elles ponctuent une phase de désagrégation du système de défense, de réhabilitation du naturel. Elles sont aussi l'indice d'un rétablissement ou d'une amélioration de la capacité sexuelle.

Vient ensuite la cohorte des images du cheval alourdi, bien plus nombreuses que celles qui précèdent. Celle du cheval caparaçonné, isolé du monde par l'épaisse protection sous laquelle il étouffe, n'est qu'une transition, la dernière image d'un cheval apte à lutter contre la pesanteur, voire d'un cheval vivant !

Si l'on passe sur les quelques productions oniriques où s'effondrent des haridelles exsangues ou dans lesquelles les chevaux noirs tirent les charrettes de la mort, plus bas encore, sur l'axe vertical, apparaissent l’hippocampe et l'hippopotame. L'imaginaire associe spontanément ces deux figures du monde subaquatique au cheval dont elles tirent leur nom. L'énigmatique hippocampe, minuscule chevalier en armure, condense toutes les valeurs de la carapace. L'énorme cheval du fleuve expose l'aspect féminin de la libido, dans sa forme la plus rudimentaire, la plus éloignée de la conscience.

Enfin viennent les images du cheval de bois, du cheval de bronze, du cheval de pierre. Celles-là disent la paralysie des élans. Elles affichent si clairement l'état d'une psychologie figée, qu'elles ne peuvent être qu'une invitation à réhabiliter le naturel.

Ensemble, les images qui s'apparentent au cheval caparaçonné ou à celles du cheval de pierre composent près de 40% des apparitions du symbole. L'analyse des corrélations montre que la chaîne d'associations dans laquelle s'intègre le cheval imaginaire est constituée, à 80% des symboles qui renvoient la limitation du sentir : la statue, la momie, la carapace, le tableau, le caparaçon, l’habit du mousquetaire.

Le classement des images du cheval, des plus aériennes aux plus lourdes, rend compte fidèlement de la répartition des productions oniriques. Cette présentation clarifie, mais elle dépasserait ce but en laissant croire que tel rêve se fait le chantre de Pégase, exclusivement, que tel autre est celui du cheval caparaçonné ou qu'un troisième se consacre à la mise en valeur du cheval de pierre. La dynamique de l'imaginaire résulte toujours d'une tension entre des valeurs opposées, qui engendre des représentations contraires. Une même séquence réunira l'image de l'hippocampe et celle de Pégase, une autre celle du cheval bondissant et celle du cheval pétrifié. Un rêve montrera le destrier caparaçonné abandonner sa "vieille peau" pour libérer un cheval volant. La régularité avec laquelle se manifestent ces jeux d'opposition sur la scène onirique, oblige à reconnaître qu'ils expriment le principe agissant du symbole.

Une première séquence, extraite du quatrième rêve de Diane illustrera cette contiguïté des images. Elle ouvrira, de surcroît, la voie principale qui conduit à la compréhension de la symbolique du cheval :

« Je vois une tête de cheval, juste une tête de cheval qui, à la fois semble mort et paraît écumant... un souffle sort de ses naseaux, comme une brume, comme s'il faisait froid... la tête de cheval mort tombe et fait place à une cheval vivant,, comme s'il muait... il est fort... il s'en va au trot... il se fait les dents sur un arbre... il s'éloigne, donne un coup de cul, comme un cheval de rodéo, mais tout seul... la campagne est calme, il s'ébroue... il arrive à la rivière, écumant... il va dans la rivière fraîche... il a du mal à remonter le courant... [...] Il est entré dans une caverne.. il s'avance... ça résonne... il avance... a caverne devient de plus en plus étroite... le goulet devient de plus en plus étroit... les parois frottent ses flancs... il es pris comme dans un étau... il se cabre, se cabre... disloque la montagne autour de lui... il sort... un peu blessé mais fort... il hennit très très fort, comme Tarzan crie dans les films... [...] Il a croisé sa jument et le poulain... c'est drôle... mon rêve est comme arrêté !... Et je vois le cheval qui meurt sur pieds... il tombe, lui qui était si fort... il reste le petit et la jument... le petit qui part dans la vie et qui s'affirme... un aigle vole autour de lui... [...] Il ouvre les naseaux, il semble très fort... je le vois qui galope, à l'amble... il fait un peu le coq... et part au galop, loin devant lui... il arrive devant le château de Versailles... il hennit... il est statufié, en pierre inaltérable, majestueux... il a tout le temps devant lui, il est toujours beau... les touristes se succèdent pour le voir, éclatant... et il se confond avec le soleil... »

Lorsqu'il se mesure à la gloire paternelle, au point de se confondre avec le roi-soleil, le soleil-père, Hubert encourt le risque de pétrification, de gel des élans. La scène de la caverne, incontestable symbolisation de renaissance, dans laquelle le jeune homme se superpose déjà à son géniteur, confère à la dynamique onirique un sens d'avertissement. Le rêve impose une prise de conscience : le rêveur doit se libérer de la dangereuse comparaison - donc de la compétition - avec son père. En présence de telles images, comment pourrait-(on ne pas penser au mythe de Phaéton, fils du Soleil, qui périt pour avoir osé conduire les chevaux du char de son père ? A la lumière de cette étude sur le cheval imaginaire, on voit se dessiner une indéniable parenté entre les mythes de Pégase, d'Icare et de Phaéton.

A partir de l’image du cheval telle qu'elle ressort des textes littéraires, nous avons naguère développé les principaux thèmes qu'on retrouve dans toutes les traductions du symbole. Ce cheval-là exprime la force, la fougue, la puissance matérielle et sexuelle. En résumé, pour respecter la définition de Paul Diel, il exprime l'impétuosité des désirs. Les connotations féminine et maternelle de l'image sont également étayées par de nombreux textes littéraires. Le cheval est encore un symbole de la clairvoyance intuitive.

Dans le rêve éveillé, à proximité du cheval, on trouvera ça et là quelques indices qui viendront attester la pertinence de ces traductions. Mais l'objectivité oblige à reconnaître que celles-là doivent être tenues pour accessoires.

Plus nettement, peut-être, que beaucoup d'autres images, le cheval onirique souligne la différence entre la symbolique vivante, expression de la psyché totale et la symbolique méditée, toujours plus ou moins polluée par l'emprise du mental.

Lorsque la dynamique du rêve fait appel à l'image du cheval, c'est pour traduire, sous des formes très variées, une activation du rapport entre la liberté du sentir et les protections qui séparent l'être de l'extérieur. Le cheval du rêve est un auxiliaire du verbe muer. Si l’image du cheval fringant, terrestre, aux muscles frémissants, est plutôt rare, c'est parce qu'elle représente la libre disposition des élans. La dynamique d'évolution n' aucune raison de s'attarder sur un état satisfaisant. Elle tend à rétablir une harmonie psychologique. Elle concentre son effort sur les deux manifestations de la problématique que sont l'évasion dans l'exaltation imaginative, qui se projette sur la vision de Pégase, et le repli de sa sensibilité, qui engendre tous les dérivés de la peau. De la peau épaisse du pachyderme au cheval de bronze ou de pierre, en passant par l'hippocampe ou le caparaçon, c'est toujours du même besoin d'échapper à l'atteinte de l'extérieur qu'il s'agit.

Avant de conclure, nous souhaitons produire des brefs extraits de scénarios qui illustreront l'association entre ce thème et le cheval rêvé. Au cours de sa huitième séance, Christian voir plusieurs personnages historiques se transformer en momie, puis :

« Là, je vois un cheval, complètement habillé, comme les chevaux du Moyen Âge... on ne voit que les pieds, en fait !... Y a un cavalier dessus, en armure... ils ont l'air un peu abattu... on ne voir rien d'autre que le cheval et le cavalier... tout se passe mollement... le cavalier tire sur les rênes du cheval... le cheval est devenu tout petit... et même, il disparaît tout à fait.?.. il n'y en a plus ! Alors le chevalier traverse le désert en tirant la robe et les rênes du cheval... il fond aussi... il ne reste plus que la robe et les rênes dans le désert !... »

Le rêve est loin d'être achevé mais il serait difficile de mettre mieux en valeur qu'à travers cette séquence l'importance spécifique du caparaçon. Ludovic, dans son quatorzième scénario, voit un cheval harnaché, dans une forêt, "dans un lieu très morne". Cheval et cavalier entrent dans une grotte : « Là, le cavalier passe dans un rayon de lumière et il s'envole avec le cheval, qui, maintenant, a des ailes... son cheval s'est métamorphosé aussi... il a laissé sa vieille peau derrière lui, pour donner naissance à Pégase... il semble un peu maladroit mais il vole !... »

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Au travers de la dynamique onirique, le cheval conduit le rêveur au centre d'une tumultueuse confrontation entre le réflexe de répression des élans et l'exaltation imaginative. Il se propose comme un guide doté de la clairvoyance de l'instinct. Il invite à la réhabilitation de pulsions refoulées ou mal sublimées.

Lorsqu'elle paraît dans le rêve, le praticien peut se féliciter de recevoir une image qui lui fournira en tout état de cause, une information fiable sur l'état des énergies. Le cheval blême ou harassé, figure heureusement rare, traduit l'épuisement d'un psychisme enfermé dans ses contradictions. La charge des cavaliers, dans les scénarios produits par les femmes est expressif des crantes d'agression sexuelle.

Le plus souvent le cheval du rêve est révélateur d'une animation psychique, d'une réorganisation des flux énergétiques.

La valeur dynamique du symbole pourrait être résumée par une profession d'intention à l'adresse de la conscience du rêveur : « Ni Pégase, ni statue ! ». Rangées, les ailes ! Remisé, le caparaçon ! Voilà le cheval d'harmonie, grand de toute sa liberté charnelle.

Le praticien avisé se souviendra que cette puissante manifestation instinctuelle, lorsque le scénario lui associe explicitement l'image du soleil, dénonce la convoitise de la fille pour son père ou la rivalité du fils vis-à-vis de son géniteur.

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Littérature :


Dans ses Histoires naturelles (1874), Jules Renard brosse des portraits étonnants des animaux que nous connaissons bien :

Le cheval

Il n’est pas beau, mon cheval. Il a trop de nœuds et de salières, les côtes plates, une queue de rat et des incisives d’Anglaise. Mais il m’attendrit. Je n’en reviens pas qu’il reste à mon service et se laisse, sans révolte, tourner et retourner.

Chaque fois que je l’attelle, je m’attends qu’il me dise : non, d’un signe brusque, et détale.

Point. Il baisse et lève sa grosse tête comme pour remettre un chapeau d’aplomb, recule avec docilité entre les brancards.

Aussi je ne lui ménage ni l’avoine ni le maïs. Je le brosse jusqu’à ce que le poil brille comme une cerise. Je peigne sa crinière, je tresse sa queue maigre. Je le flatte de la main et de la voix. J’éponge ses yeux, je cire ses pieds.

Est-ce que ça le touche ?

On ne sait pas.

Il pète.

C’est surtout quand il me promène en voiture que je l’admire. Je le fouette et il accélère son allure. Je l’arrête et il m’arrête. Je tire la guide à gauche et il oblique à gauche, au lieu d’aller à droite et de me jeter dans le fossé avec des coups de sabots quelque part.

Il me fait peur, il me fait honte et il me fait pitié.

Est-ce qu’il ne va pas bientôt se réveiller de son demi sommeil, et, prenant d’autorité ma place, me réduire à la sienne ?

À quoi pense-t-il ?

Il pète, pète, pète.

*

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Dans cet extrait de Germinal (1885), Emile Zola présente deux de ces animaux qui, à la différence des hommes, restaient des années durant sous terre, sans remonter.

C'était Bataille, le doyen de la mine, un cheval blanc qui avait dix ans de fond. Depuis dix ans, il vivait dans ce trou, occupant le même coin de l'écurie, faisant la même tâche le long des galeries noires, sans avoir jamais revu le jour. Très gras, le poil luisant, l'air bonhomme, il semblait y couler une existence de sage, à l'abri des malheurs de là-haut. Du reste, dans les ténèbres, il était devenu d'une grande malignité. La voie où il travaillait avait fini par lui être si familière, qu'il poussait de la tête les portes d'aérage, et qu'il se baissait, afin de ne pas se cogner, aux endroits trop bas. Sans doute aussi il comptait ses tours, car lorsqu'il avait fait le nombre réglementaire de voyages, il refusait d'en recommencer un autre, on devait le reconduire à la mangeoire. Maintenant, l'âge venait, ses yeux de chat se voilaient parfois d'une mélancolie. Peut-être revoyait-il vaguement, au fond de ses rêvasseries obscures, le moulin où il était né, près de Marchiennes, un moulin planté sur le bord de la Scarpe, entouré de larges verdures, toujours éventé par le vent. Quelque chose brûlait en l'air, une lampe énorme, dont le souvenir exact échappait à sa mémoire de bête. Et il restait la tête basse, tremblant sur ses vieux pieds, faisant d'inutiles efforts pour se rappeler le soleil.

Cependant, les manœuvres continuaient dans le puits, le marteau des signaux avait tapé quatre coups, on descendait le cheval ; et c'était toujours une émotion, car il arrivait parfois que la bête, saisie d'une telle épouvante, débarquait morte. En haut, lié dans un filet, il se débattait éperdument ; puis, dès qu'il sentait le sol manquer sous lui, il restait comme pétrifié, il disparaissait sans un frémissement de la peau, l'œil agrandi et fixe. Celui-ci était trop gros pour passer entre les guides, on avait dû, en l'accrochant au-dessous de la cage, lui rabattre et lui attacher la tête sur le flanc.

La descente dura près de trois minutes, on ralentissait la machine par précaution. Aussi, en bas, l'émotion grandissait-elle. Quoi donc ? est-ce qu'on allait le laisser en route, pendu dans le noir ? Enfin, il parut, avec son immobilité de pierre, son œil fixe, dilaté de terreur. C'était un cheval bai, de trois ans à peine, nommé Trompette. « Attention ! criait le père Mouque, chargé de le recevoir. Amenez-le, ne le détachez pas encore. »

Bientôt, Trompette fut couché sur les dalles de fonte, comme une masse. Il ne bougeait toujours pas, il semblait perdu dans le cauchemar de ce trou obscur, infini, de cette salle profonde, retentissante de vacarme. On commençait à le délier, lorsque Bataille, dételé depuis un instant, s'approcha, allongea le cou pour flairer ce compagnon, qui tombait ainsi de la terre. Les ouvriers élargirent le cercle en plaisantant. Eh bien, quelle bonne odeur lui trouvait-il ? Mais Bataille s’animait, sourd aux moqueries. Il lui trouvait sans doute la bonne odeur du grand air, l'odeur oubliée du soleil dans les herbes. Et il éclata tout à coup d'un hennissement sonore, d'une musique d'allégresse, où il semblait y avoir l'attendrissement d'un sanglot. C'était la bienvenue, la joie de ces choses anciennes dont une bouffée lui arrivait, la mélancolie de ce prisonnier de plus qui ne remonterait que mort.

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Dans Regain (1930) de Jean Giono, tous les animaux sont à l'honneur, mais surtout les animaux domestiques de la ferme :


"Qu'est-ce qu'il a ton cheval gris ?

Le cheval de gauche tourne la tête vers le vallon qui troue le bois ; le voilà qui secoue le garrot et qui allonge le cou, et qui hennit vers le fond.

"Ah ! ça lui prend encore : laissez-le s'amuser. Vous ne savez pas comment ça lui a pris ? Ça a été une fois vers mai... De là, vous savez, on voit la butte d'Aubignane, tenez, là-bas. On montait comme ça : il se met à chanter. Cette fois-là, je n'ai pas attaché d'importance. Le jour d'après, encore, le jour d'après, encore, et toujours au même endroit ; et il tournait la tête toujours du même côté. Je me dis : "Qu'est-ce qu'il peut bien y avoir par là ?" Je regarde. Là-bas, à Aubignane où, d'habitude, c'était roux comme du maïs, c'était vert de verdure, d'une belle verdure profonde. Elle avait vu ça, cette bête.

- Ça fait attention à des choses...

- Oui."

Voilà le plateau, voilà le trot des chevaux et un peu d'air moins chaud.

"Tenez, vous voyez, fait Michel, là comme partout."

Il montre du fouet un chaume entre les herbes et de petits gerbiers comme des taupinières."

*

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Henri Michaux, "Les Animaux fantastiques" in Lointain intérieur (1938) :


[...] Dans le monde des animaux, tout est transformation. Pour dire la chose d'un mot, ils ne songent qu'à cela. Dites-moi, qu'y a-t-il de plus protéiforme que le cheval ?

Tantôt phoque, il vient prendre l'air entre deux cassures de la banquise, tantôt farouche et malheureux, il écrase tout comme l'éléphant en rut.

Vous jetez par terre une bille, c'est un cheval. Deux billes, deux chevaux, dix billes, sept à huit chevaux au moins... quand c'est l'époque.

On en voit à grands flots sortir d'une gare, à l'improviste, agitant leurs grande tête douce qui peut devenir si folle, si folle ; et c'est la ruée, vers la sortie, piétinant tout ce qui se trouve sur leur chemin et vous-même, pauvre malade, qui pour une illusion de liberté, vous étiez traîné vers la gare, vers les trains qui, pour un peu d'argent, transportent à la mer, à la montagne.

En rentrant, vous les retrouvez semblables cette fois plutôt à des caniches collants, qui demandent toujours à être dorlotés, qui trouvent toujours une porcelaine à casser ou un nez fin de statue à opposer désastreusement à un bloc de matière plus résistant. Et on n'ose les renvoyer à cause de l'escalier où, se changeant une fois de plus en gros percheron, ils feront, outre un bruit de tonnerre qui attirera tous les locataires, de grands dégât en eux-mêmes et au-dehors (jarrets brisés et ce qu'on ne prévoit que trop aisément!). Douze chevaux dans un escalier, le plus large y suffiraient à peine, et d'ailleurs dans le cas d'escaliers plus grands, il y aurait beaucoup plus de chevaux, des escadrons de chevaux (l'imagination malade ne se trompe jamais dans ses comptes. Elle ne fait jamais trop petit, jamais, jamais).

Les naseaux en feu, l'encolure raide, et les lèvres convulsées, ils dévalent de tous côtés ; rien, absolument rien ne peut les en empêcher.

Mais assez parlé de chevaux. Le spectacle est grand partout, et généreusement offert."

*

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Nicolas Bouvier dans son récit de voyage intitulé Le Poisson-Scorpion (Co-Éditions Bertil Galland et Gallimard, 1982 ; Éditions Gallimard, 1996) évoque son séjour dans un dispensaire de la capitale de Ceylan (aujourd'hui Sri Lanka) où son voisin de lit est en mauvaise posture :


Mon voisin de lit est le seul à ne pas participer à l'allégresse générale. C'est un astrologue du Sud de l'Île, donc presque de chez moi, qui parle un anglais châtié, considère sa présence ici comme une déchéance et ne manque aucune occasion de nous le faire sentir.

Il était spécialisé dans les horoscopes de chevaux de course (on joue ici encore plus que dans ma ville) qu'il vendait, de mèche avec les bookmakers, à des parieurs toujours échaudés. Il avait négligé de faire le sein : avant-hier, le sabot d'une jument vicieuse lui a défoncé le thorax. Cette ruade qui n'était pas inscrite dans les étoiles lui laisse juste quelques heures à vivre. Comme les chevaux ne viennent pas aux heures de visite, il est d'avis que je lui vole sa mort en tenant ainsi la vedette, voudrait bien aussi un peu de compagnie et que quelqu'un lui ferme les yeux. Ce qui est naturel. L'infirmière l'a fait cette nuit.

 

Dans Un peu plus loin sur la droite (Éditions Viviane Hamy, 1996), Fred Vargas continue le portrait de Marc, l'un des évangélistes de sa série policière :


"Marc prit son vélo et accompagna Mathias vers la grève. Mathias ne fit pas de commentaires. Il savait que Marc, même à pied, aimait pousser un vélo si l'occasion s'en présentait. Ça lui faisait office de cheval, de destrier de seigneur, de roncin de paysan, ou de cavale d'indien, c'était selon."

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Pierre Magnan, auteur de Chronique d'un château hanté (Éditions Denoël, 2008) : relate une histoire qui met en avant l'intelligence du cheval :


Le cheval les contourna prudemment. Deux humains même morts sont encore pour un cheval objet de méfiance.

Tout en goûtant l'herbe tendre, l'animal se trouva avancer sur la terrasse d'une maison basse et longue qui offrait tous les aspects du bonheur. Une quenouille encore abandonnée au soleil témoignait qu'il n'y avait pas si longtemps l'un des cadavres de l'allée était occupé à filer.

Une haute bercelonnette se dressait toute blanche à la droite du rouet, devant la chaise vide où un mouchoir blanc taché de sang était abandonné. Un enfançon vagissant y tendait les bras vers le vide où sa mère aurait dû se pencher. Il était bien vivant, gras et rose. Il pleurait parce qu'il avait faim.

A côté du berceau, une petite fontaine tapissée de capillaires s'écoulait avec un bruit de paix. Le cheval but longuement dans le bassin. Son œil doré qui reflétait le ciel ne perdait pas de vue le bébé vagissant. La bête resta un moment à contempler le baigneur. Elle le flaira même délicatement. Elle retroussa les babines et se retira tête basse. Même si elle avait voulu tenter un geste, sa nature de cheval le lui eût interdit.

[...]

Il se crut le jouet d'un rêve lorsqu'il vit cette superbe bête noire au carapaçon couleur d'argent qui imitait son propre squelette. Le carapaçon du cheval était si explicite et sa prestance si altière que le moine, malgré sa foi robuste, recula de deux pas en le voyant tandis que que les montures de l'apocalypse flamboyaient devant ses yeux.

Ils se mesurèrent du regard, le cheval et le régulier, toutefois celui-ci était animé par l'esprit de lucre et il imagina tout de suite que les godets à peinture qui lestaient les fontes comme les tablettes où le Poverello avait perpétué les scènes étranges observées en chemin, recelaient quelque matière monnayable. Dès lors l'idée de maîtriser la monture ne le quitta plus.

C'était plus facile à penser qu'à faire. Le cheval méfiant s'était placé face au moine et piaffait à petites foulées et voltait à mesure pour ne pas perdre son adversaire de vue. On le sentait tout prêt à ruer, voire à mordre maintenant qu'il n'avait plus de chanfrein.

Ce cheval de guerre rompu à l'esquive était pourtant un hongre. Toutefois, à Mantoue, quand on châtrait les mâles, on leur laissait une bourse sur deux afin qu'ils demeurassent combatifs et qu'à la guerre on ne pût les capturer. C'était un vieux palefrenier qui avait remarqué cette anomalie un jour qu'il avait été malhabile dans l'art d'émasculer les étalons.

Il y eut entre le moine et la bête un duel d'esquive auquel la colline de la Mort-d'Imbert, les hauts de Montfuron, le territoire de Villemus servirent de théâtre.Courant par chemins à l poursuite de l'animal qu'il croyait de bonne prise, ce moine fut promené par tous les endroits où la peste avait dominé le débat. […]

Le cheval avait tout de suite compris que l'homme en sandales ne pouvait pas courir très vite. Il suffisait de le tenir à distance par un trot savant qui laisserait croire que la capture était facile. D'autant que le moine ne ménageait pas les douces paroles, les flatteries, les cris d'admiration ou le ton de commandement, toutes choses qu'il croyait propices à amadouer l'animal. L'esquive dura longtemps, s'étendit sur force lieues. L'homme et le cheval rivalisaient 'intelligence et de ruse ; le moine desservi par ses sandales les avait retirées et jetées au loin. IL pensait qu'il n'en aurait plus besoin dès qu'il aurait enfourché la monture, mais la peste égalitaire et aveugle trancha le débat en faveur de la bête. Soudain aux yeux du religieux, la capture qu'il convoitait ne parut plus essentielle. Il ft en courant, néanmoins, un dernier effort. Le cheval se cabra, immense devant l'homme, noir et argent avec son carapaçon aux couleurs de la mort, et ce fut comme si l'apocalypse en personne entrait, tofu armée, dans l'agonie du monial.

Le cheval contempla un moment les soubresaut de son adversaire qu'un ultime élan de possession faisait ramper vers sa proie inaccessible et qui s'effondra le nez dans la poussière. Les trophées immondes qu'il portait à sa ceinture pourrirent avec lui sur la badassière odorante.

Ce fut à cet instant qu'un grand vent purificateur se mit à souffler sur la plaine de Mane.

Le cheval entendit cliqueter dans l'air une étrange complainte qui le conviait doucereusement à s'approcher d'elle. Il lui obéit. Trottant l'amble par chemins et forêt, il atteignit le sommet d'Haurifeuille, plateau où le mistral hurlait au loin et à perte d'ouïe. Un moulin à vent se dressait sur un peloux herbu. Le souple mouvement de ses ailes faisait des gestes de fantôme. Le cheval dressa les oreilles et se mit au galop vers l'apparition. Soudain la guerre dont il se souvenait l'animait d'une joie forcenée. Tête basse il galopait vers le moulin comme vers un ennemi. La complainte à ses oreilles devenait un hymne menaçant. Les fontes de sa selle brinquebalaient au vent de sa course.

[…]

- Oh ! Regarde, Sanche ! Un cheval noir !

Les deux fillettes se levèrent d'un seul mouvement.

C'était le premier beau spectacle qu'elles contemplaient depuis que la peste sévissait. Cet animal noir, superbe en dépit de son funèbre manteau, comme déposé tête haute en plein milieu du courtil et qui les observait alternativement, c'était un signe de vie pour leur donner espoir.

[…]

- Attendez ! commanda le père.

Il se mit en avançant doucement à fredonner la psalmodie que si souvent il avait vu entonner à son père et à son grand-père dans leurs écuries autrefois. C'était un vrai chant d'amour, une de ces sérénades que les diseurs de sirventes susurraient sous les fenêtres de leurs belles pour les apprivoiser.

Il tourna autour du hongre en une marche incantatoire et ne posa la main sur ses flancs que lorsqu'il jugea que ses paroles rassurantes avaient apaisé la bête.

[…]

Pendant ce temps le cheval avait tourné bride.

- Que fait-il ? dit Sanche.

​ - Il s'en va, dit Ermerande.

Non, il ne s'en allait pas. Il était immobile, il soufflait des naseaux. Il soulevait son sabot de gauche et le reposait au sol tête basse. Il essayait dans son langage de bête de faire comprendre quelque chose à ces humains si loin de lui.

Sanche l'observait attentivement. Il faisait deux pas vers le porche puis il tournait bride, revenait posément à sa place et recommençait son manège. Il fallut dix minutes à la petite fille pour comprendre.

​ - Il veut que nous le suivions ! s'exclama-t-elle.

Comme si elle avait compris ce langage, la bête en,cessa longuement et se mit en route vers le porche. Il trottait lentement. Les trois humains suivaient péniblement par les bois d'abord puis par l'interminable badassière. Sanche se plaignait, avait mal aux pieds. Ermerande la morigénait. Elle, elle voulait savoir.

[…]

Le cheval avec précaution avait contourné le couple immobile. Il était déjà là-bas, sur la terrasse. Il penchait sa tête vers le berceau.

​ - Un enfant ! s'exclama Sanche.

Le bébé ne pleurait plus. Il était toujours vivant. Il dormait. Il ne devait peser que quelques kilos. Il était seul au monde et s'il ne pleurait plus, s'il dormait, c'était parce qu'une part de vie obscure, aussi inconsciente que lui, le soutenait, s'obstinait, résistait au froid. La vie partage la puissance du mystère avec la mort. Quand elle a décidé d'habiter un être, rien ne peut l'arrêter.

Déjà les deux sœurs s'étaient penchées sur le berceau, déjà elles prenaient l'enfant contre leur chaleur, entre elles. Les gestes que font les mères, elles les connaissaient par cœur bien avant de naître.

- Vite, père, rentrons à la maison pour le nourrir !

- Avec quoi ? Demanda le père ?

- Le lait de l'ânesse qui vient de faire l'ânon !

Déjà elles précédaient leur père sur le chemin d'Ardantes. Elles couraient, se disputant la gloire de partager leur chaleur avec l'enfant. L'aînée avait dégagé sa poitrine et elle pressait la tête du bébé sur ses seins encore stériles.

Le cheval dansa l'amble en arrière dans le plus grand silence. Il tourna bride. Il fuma des naseaux pour humer l'horizon, tirant la rose des vents. Du côté où l'air sentait l'Italie, on le vit disparaître au détour du chemin. Un trot de majesté l'emporta satisfait, tête haute. Maintenant, il pouvait regagner les écuries de Mantoue dont il commençait à languir.

*

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Dans La Splendeur escamotée de Frère Cheval ou Le Secret des grottes ornées (Éditions Grasset, 2018), Jean Rouaud cherche à comprendre les différents paradigmes construits par les hommes, de l'époque paléolithique à nos jours à partir des traces laissées par l'art pariétal en France et il s'interroge en particulier sur le motif du cheval :

"Sur les six cents représentations du bestiaire de la grotte [Lascaux], trois cent cinquante sont des chevaux. Et plus rien à voir avec la mise modeste, humble, à la robe sombre des chevaux d'Ardèche, visiblement impressionnés par les fauves qui menacent leur existence même.. Plus besoin de se cacher derrière un pendrillon de pierre ou au fond d'une alcôve et d'arborer cette tête de cendre, comme s'ils portaient le deuil de la lumière.

A Lascaux, le cheval abandonne ses pudeurs de passe-muraille et se pare des couleurs du soleil. Son ventre gonflé, jaune d'or, est un soleil bondissant. Il est l'astre du jour galopant au-dessus de l'horizon, arborant les couleurs de son sacre : bande blanche de la ventrière pour le matin, panse jaune pour l'après-midi, tête rouge à l'heure du soir, de ce rouge sang qu'il répand au-dessus de l'horizon, et crinière noire à la tombée de la nuit. Blanc, jaune, rouge, noir, ce sont les couleurs fondamentales des grottes.

Comme ils ne pèchent pas par la ressemblance et qu'on peine à identifier leur espèce, on a qualifié les chevaux du diverticule axial de "chevaux chinois". Chinois ? Plusieurs millénaires plus tard, quand l'homme aura pris la place du soleil au centre du monde, il distribuera les mêmes couleurs aux quatre races supposées de l'humanité, recomposant ainsi la robe solaire des chevaux de Lascaux : les blancs, les jaunes, les rouges, les noirs. Bien qu'on ait du mal à les retrouver telles quelles aux quatre coins de la planète, les Indiens des plaines ayant fourni inopportunément le rouge absent pour se badigeonner quelquefois d'ocre, quoique le plus souvent ce fût de noir et de blanc sur le sentier de la guerre. Une humanité chevaline ?

Comme s'il ne lui suffisait pas de hisser les couleurs, le cheval-soleil, qui concentre dans les couleurs de son corps sa journée de labeur, met littéralement en scène, dans une pose digne de la pantomime, son parcours diurne. Au plafond du diverticule, à son extrémité, dans une figure acrobatique et périlleuse, il s'amuse même à plonger dans le vide, comme il le fait chaque soir en disparaissant sous la masse sombre des ténèbres. Si sa robe est ocre, sa crinière noire épouse l'arrondi de la roche. Il rentre, tête la première, dans le trou noir de la nuit. C'est par la tête aussi que l'enfant sort du ventre clos pour naître au jour. Autant dire, cette chute, cette immersion dans les ténèbres, aucun danger, la résurgence est de l'autre côté. La nuit est une sorte d'apnée de la lumière. La lumière à présent a appris à retenir son souffle. Comme nous fermons nos yeux ensommeillés jusqu'à la délivrance des premiers rayons du matin.

Dans la nuit de Lascaux le petit cheval reprend sa robe noire et il trottine calmement sur la paroi. Il n'a plus peur. D'autant moins que les mains d'or considèrent désormais les choses autrement. Elles ont eu le temps de réfléchir à cette mystérieuse organisation bipartite du cosmos. Au lieu de voir la nuit comme le lieu des maléfices, une gigantesque salle d'épreuves - en réalité pas si terrible puisque chaque matin la lumière est au rendez-vous - elles ont considéré qu'elle devait avoir son rôle dans cette renaissance du jour. Ce qui en clair revient à penser que la nuit est féconde, que le ventre de la nuit tient son rôle, non pas d'empêchement, mais de régénération. Avec cette interrogation : est-ce le même soleil qui revient le lendemain, le même dans un éternel retour, ou est-ce un petit nouveau qui pointe chaque matin un nez de nourrisson avec sa chevelure d'or émergeant de l'horizon. Auquel cas la nuit serait la grande génitrice de la lumière.

[...] Si le cerveau poétique n'avait associé le cheval au soleil, celui-là continuerait de courir librement, ou peut-être aurait-il été exterminé pour sa viande, sa crinière ou ses sabots. Il aurait rejoint le mammouth, le dodo et la ribambelle des disparus. D'une certaine manière, c'est à ce coup d'Etat humain contre la puissance solaire que le cheval doit sa survie. Le beau rôle qu'on lui donne ("la plus noble conquête de l'homme", on comprend mieux maintenant) vient de là, de son ancienne position au plus haut des cieux. Car désormais la partie pour la suprématie sur terre et dans les airs va se jouer entre le soleil et l'homme - le cheval, éjecté de son ancienne fonction, ayant servi de manille dans ce mano à mano."

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Poésie :

Le Cheval


C'est vrai que je croyais en la ferveur immense de vivre. Chaque pas amplifiait en moi de vieilles mais toujours mouvantes adorations. Ce pouvait être un arbre, la nuit, c'étaient des forêts de routes, ou le ciel et sa vie tourmentée, à coup sûr le soleil.


Un jour je vis la solitude. Au faîte d'un monticule, un cheval, un seul, immobile, était planté dans un univers arrêté. Ainsi mon amour, suspendu dans le temps, ramassait en un moment sur lui-même sa mémoire pétrifiée. La vie et la mort se complétaient, toutes portes ouvertes aux prolongements possibles. Pour une fois, sans partager le sens des choses, j'ai vu. J'ai isolé ma vision, l'élargissant jusqu'à l'infinie pénétration de ses frontières. Je laissais à plus tard le soin de voir ce qu'on allait voir. Mais qui saurait affirmer que les promesses ont été tenues ?


Tristan Tzara, "Le Cheval" in Miennes, Œuvres complètes (1947 - 1963).

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