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Le Poisson-globe

Dernière mise à jour : 22 mars



Autres noms : Tetraodontidae ; Fugu ; Poisson-ballon ;




Zoologie :


Dans Les Langages secrets de la nature (Éditions Fayard, 1996), Jean-Marie Pelt s'intéresse à la communication chez les animaux et chez les plantes :


[...] De retour à New York, Davis fit tester par des pharmacologues du Museum d'Histoire naturelle chacun des constituants de ce poison [celui que les initiés vaudou administrent à leurs victimes]. Les produits de décomposition des cadavres, les ptomaines, dont certaines répondent aux noms évocateurs de « putrescine » et de « cadavérine », étaient connus de longue date : toxiques, ils miment les propriétés de certains poisons végétaux. On connaissait aussi depuis longtemps les effets hallucinogènes du venin de la peau de crapaud, ingrédient classique de l'arsenal des sorciers. Les graines de mucuna [une liane à grandes grappes blanches évoquant la glycine] contiennent également des substances hallucinogènes qui ne peuvent que renforcer les effets de l'ingrédient précédent. Mais il apparut que c'étaient les toxines contenues dans le foie et les viscères des poissons-globe qui entraînaient les principaux symptômes observés sous l'effet de l'intoxication. Cette neurotoxine, la tétrodotoxine est effroyablement active : cinq cents fois plus que le cyanure, cent mille fois plus que la cocaïne, par exemple ! Or, les initiés vaudou manient ce poison avec une extrême dextérité. Ils le placent dans les chaussures ou les vêtements de la victime, de sorte qu'il imprègne peu à peu sa peau, à la faveur de la transpiration et pénètre lentement dans le sang, produisant les effets décrits. Il y pénètre d'ailleurs d'autant mieux que des écorces pulvérisées d'albizia sont souvent ajoutées à la mixture ; celles-ci contiennent des substances (saponines), simulant les propriétés du savon, qui accélèrent le rythme de pénétration du poison à travers la peau. Reste à adapter avec la plus extrême précision les doses susceptibles de provoquer la catalepsie - car c'est bien dans cet état que se trouve le futur zombi dans son cercueil - sans produire la mort. Et c'est ici que le sorcier fait preuve d'un art consommé.

[...]

La tétrodotoxine est sans doute la plus connue des toxines issues des poissons-globes (Spheroïdes rubripes). Ce poison, accumulé dans les ovaires et le foie du poisson, cause encore des morts au Japon où celui-ci est consommé sous le nom de fugu, et ce malgré une réglementation rigoureuse de son mode de préparation. Nous avons vu le rôle de ce poison dans les pratiques vaudoues. Il agir par blocage de la transmission de l'influx nerveux, provoquant des paralysies pouvant aller, on l'a dit, jusqu'à la catalepsie.

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Les recherches de Philippe Charlier, auteur de Zombis, Enquête sur les morts-vivants (Éditions Taillandier 2015) l'ont lui aussi conduit à s'interroger sur "la tétrodotoxine (TTX).


Cette molécule, dont la formule chimique exacte est C11 H17 N3 O8, est un produit extrêmement toxique présent au sein de quelques rares animaux aquatiques des régions tropicales : poissons-globes (Lagocephalus scleratus / Tetraodon tellatus / Diodon hystrix / Spheroides testudineus, etc. ; le foie, la peau, les yeux et les gonades de ces poissons sont particulièrement riches en poison, tandis que les muscles, sauf contamination par les zones anatomiques précédentes, sont sans danger), pieuvres, (Hapalochlaena lunulata, H. maculosa), gastéropodes, crabes, amphibiens (dendrobate, salamandre), etc.

Il semblerait que ce ne soit pas le poisson-globe qui synthétise cette toxine (à laquelle il est d'ailleurs résistant), mais des bactéries (Pseudomonas) présentes au contact d'algues rouges (Rhodophyta) ; en s'alimentant, le poisson accumule cette toxine et la stocke dans plusieurs de ses organes.

Classiquement, l'intoxication à la tétrodotoxine donne une progression de signes cliniques assez stéréotypée.

Grade 1 : fourmillements (paresthésies) autour de la bouche, avec troubles gastro-intestinaux : douleur au ventre, nausées, vomissements, brûlures d'estomac, diarrhée, etc. ; grade 2 : fourmillements (paresthésies) gagnant le tronc et les extrémités avec apparition de paralysies et de troubles de la coordination des mouvements ; grade 3 : paralysie diffuse, hypotension artérielle, aphasie ; grade 4 : perte de conscience, paralysie des muscles respiratoires, hypotension artérielle sévère, trouble du rythme cardiaque. Dans le même temps, une hypothermie ainsi qu'un important ralentissement des battements cardiaques peuvent survenir, de telle sorte que le tableau clinique peut être celui d'un état de mort apparente.

Avec l'amélioration des critères de diagnostic et des techniques de réanimation, lorsque l'intoxication est identifiée, la mortalité est passée de 80% au début du XXe siècle à environ 30% actuellement. On compte pourtant encore une cinquantaine de morts chaque année au Japon malgré la préparation du fugu par des maîtres cuisiniers devait obtenir un diplôme spécifique avant de proposer ce plat dans leur restaurant. La consommation de ce poisson (fufu ou fugu) est si dangereuse que l'empereur du Japon et les samouraïs avaient, dit-on interdiction d'y goûter (cette interdiction existe toujours pour le souverain nippon). Aucun traitement efficace n'a, à ce jour, été mis en évidence, même si le datura (Datura stramonium) et la strychnine ont, un temps, été proposés."

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Dans son Atlas de zoologie poétique (Éditions Arthaud-Flammarion, 2018) Emmanuelle Pouydebat expose les caractéristiques du poisson globe (Torquigener sp.), qu'elle considère comme un sculpteur sous-marin :


Le poisson-globe est largement réparti à travers le monde et vit sur les récifs coralliens, se nourrissant d'algues, de mollusques, d'éponges, de coraux, de crustacés et d'échinodermes. Sa puissante mâchoire dotée de quatre dents lui permet d'être un omnivore opportuniste. Au même titre que son impressionnant cousin diodon (Diodon sp.) qui est pourvu de gros piquants [comme ci-dessus], il peut se gonfler pour intimider les prédateurs lorsqu'il est menacé. En revanche, lui ' pas d'épines, ni d'écailles ! Étonnant pour un poisson, me direz-vous ? Alors vous n'avez pas fini d'être surpris car le poisson-globe a plusieurs cordes à son arc ! La première étant sa merveilleuse créativité d'architecte et d'ingénieur pour séduire les femelles, ce que les diodons piquants ne font pas.

Imaginez-vous à 30 mètres de profondeur au large de l'île Amami-Oshima, au sud du Japon. Le poisson-globe réalise des merveilles très longtemps restées énigmatique : des cercles sous-marins mystérieux. Si mystérieux que ça ? Plus maintenant ! Ce poisson d'environ 12 centimètres sculpte dans le sable de magnifiques labyrinthes en forme de rosace au fond de l'eau, des dessins circulaires d'une symétrie remarquable pouvant mesurer jusqu'à 2 mètres de diamètre soit environ quinze fois la taille du poisson ! Il lui faut sept à neuf jours pour réaliser cette œuvre. Pourquoi se donne-t-il autant de mal ? Pour séduire et se reproduire, bien sûr ! Nous sommes tout simplement face à une fresque sous-marine d'artiste ingénieur qui crée sa sculpture en creusant des sillons dans le sable avec son corps t ses nageoires, formant des petites dunes parallèles. Le poisson-globe ne s'arrête pa là puisqu'il pousse l'esthétisme plus loin en se payant le luxe de saisir et transporter des coquillages qu'il répartir sur sa création. Les spécialistes jugeront, mais cela ressemble à une véritable œuvre d'art proposée aux femelles qu'il espère attirer de la sorte. Fait remarquable (encore !), plus les dessins sont complexes, plus le succès auprès des femelles est important. Après une inspection de la femelle, l'accouplement a lieu. Les cercles dessinés par le mâle permettraient d'éviter la dispersion des œufs qui incuberont au milieu du cercle. Au-delà de l'aspect esthétique de l'œuvre, il est donc possible que les reliefs protègent les œufs et que les coquillages dispersés nourrissent en partie les larves au cours des premières heures de leur vie. Quoi qu'il en soit, l'art est dans la nature... Outre cette incroyable spécificité artistique, e poisson-globe partage avec son cousin diodon deux caractéristiques majeures pour se protéger et effrayer ses agresseurs. La première consiste à se gonfler en quelques secondes en accumulant de l'air ou de l'eau dans l’œsophage jusqu'à prendre une forme sphérique intimidante et difficile à mordre. La deuxième réside dans la production d'une neurotoxine puissante, la tétrodotoxine, mille deux cents fois plus toxique que le cyanure ! Synthétisée par des bactéries contenues dans les algues qu'il consomme, elle paralyse les muscles et peut entraîner la mort par arrêt respiratoire. Joli programme... Les poissons-globes et les diodons y sont insensibles, ce qui leur permet d'accumuler la tétrodotoxine dans presque tous leurs organes, en particulier les viscères et les ovaires. Petite spécificité des diodons, le poison est surtout très concentré dans la pointe des piquants, notamment chez les femelles en période de reproduction. Cette toxine est une arme très dissuasive pour bon nombre de prédateurs. Dissuasive également pour bon nombre de cuisiniers ou consommateurs !

En effet, la tétrodotoxine est présente chez un autre poisson-globe célèbre, le fugu (Takifugu rubripes). Le problème ? Ce poisson est connu pour constituer, au Japon, en Polynésie et à Taïwan, un plat raffiné. A ceci près que l'empereur du Japon ainsi que les samouraïs n'avaient pas le droit d'en consommer. Cette loi est d'ailleurs toujours d'actualité pour l'empereur. Imaginez plutôt... Si le poisson est mal préparé, c'est la mort assurée, en quelques heures, avec une dose minime : 25 milligrammes pour un individu de 75 kilos ! Et il n'existe aucun antidote. Ce poisson est à ce titre devenu une vedette dans la littérature comme au cinéma, utilisé par divers assassins, dont un critique gastronomique lors d'un épisode de Columbo !

Trêve de fiction, la tétrodotoxine permet d'éloigner les prédateurs, de manière efficace donc... Mais pas seulement. Et là, ça devient assez cocasse. A petite dose, ce poison est un... hallucinogène ! Une vidéo d'environ trente minutes montre des dauphins semblant jouer avec un poisson-globe au large des côtes du Mozambique. Dès lors, se sentant menacé (et pour cause !), le poisson-globe libère sa neurotoxine. Les dauphins paraissent alors hypnotisés, comme en transe ! Le poisson a fini par d'échapper. Tant mieux pour lui, car à force d'être consommés, certains poissons-globes ont vu leur population baisser de 99, 99% en quarante ans.


"On croit que je compte les poissons. Non. Je scrute leur âme, je lis leurs rêves, et ils envahissent les miens. Les gens pensent que c'est stupide un poisson. C'est faux. Ils savent se taire. Ce sont les gens qui sont stupides. Le poisson qui sait tout n'a pas besoin de penser." (Emir Kusturica, Arizona Dream).

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Symbolisme :


Le poisson globe mâle réalise de magnifiques crop circles sous-marins pour attirer les femelles :

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Littérature :


Dans Un Baiser d'ailes bleues, 150 rencontres avec des animaux extraordinaires (Éditions Arthaud, 2009) Nicole Viloteau croque sur le vif des portraits animaliers insolites :


Poisson-globe et concombre zombi


Dunk Island. Je poursuis ma récolte d'huîtres, en mange à satiété en prévision des jours de disette. J'en recueille dans une bouteille en verre, toute propre, échouée avec la marée. Je fais le plein de protéines. Macérées dans du citron vert, c'est un vrai régal ! Je longe la plage et les falaises pour réintégrer mon bivouac : une grotte étroite avec vue plongeante sur la mer de Corail. Je traverse une étroite mangrove à Lumnitzera, de petits palétuviers à fleurettes étoilées vermillon...


Une forme grise git enlisée dans la boue : un poisson mort d'une quinzaine de centimètres. Je le déloge avec mon poignard pour mieux détailler son anatomie. Peau beige clair mouchetée de jaune, gueule ouverte, yeux glauques, violacés et chair encore fraîche. Ses piquants repliés en éventail ne me disent rien qui vaille... Ce n'est certes pas un mortel poisson-pierre à douze épines dorsales venimeuses, mais son aspect épineux m'incite à la prudence.

Il ressemble beaucoup au tétrodon ou poisson-globe. Un cliché suffit, car l'animal « rataplat » n'offre aucun attrait particulier. J'aurais préféré le voir en alerte, gonflé comme un melon, dardant avec splendeur son arme fatale : sa cuirasse hérissée de piquants venimeux. Des scientifiques américains ont découvert que le poison du datura, une plante tropicale surnommée « concombre zombi » pour ses effets ravageurs sur le cerveau humain, pouvait servir d'antidote aux toxines du poisson-globe. De surcroît, la tétrodotoxine qu'il sécrète serait cent mille fois plus active que la cocaïne !

Et cinq cents fois plus virulente que le cyanure !

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