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Les Algues



Étymologie :


  • ALGUE, subst. fém.

Étymol. ET HIST. − 1551 « herbe qui croît dans l'eau » (Cotereau, trad. de C

olumelle, VIII, 17 ds Hug. : Principalement ceulx [des rochers] qui seront couverts d'herbe alga) ; 1584 « id. » (Luc de La Porte, trad. d'Horace, Odes, III, 17, ibid. : Demain l'Eure enflant ses abbois De fueilles jonchera le bois, Et d'alge vile le rivage). Du lat. alga, de même sens, attesté dep. Turpilius, Com., 23 ds TLL, s.v. 1542, 47 : in acta coperta alga [...] inoras ostreas.


Lire également la définition du nom algue pour amorcer la réflexion symbolique.




Botanique :


Dans Les Langages secrets de la nature (Éditions Fayard, 1996), Jean-Marie Pelt évoque la sexualité des plantes et notamment celle d'une algue particulière (Alchya bisexualis) :


Toujours dans le monde des végétaux inférieurs, une petite algue bisexuée a également livré aux biologistes ses secrets amoureux. La sexualité de cette algue s'apparente à une sorte de ballet amoureux, ou encore à une partie de ping-pong, chaque sexe induisant l'évolution du sexe opposé jusqu'à l'accomplissement de l'acre sexuel. Dans ce groupe d'algues, les individus sont autostériles ; la fécondation croisée entre deux individus est donc de rigueur, comme chez l'homme, mais non comme chez la plupart des plantes, qui sont bisexuées. A l'état végétatif, avant que ne s'enclenche la sexualité, il est impossible, chez cette algue, de discerner le sexe d'un filament. Celui-ci n'est d'ailleurs pas génétiquement défini, puisqu'il peut réagir tantôt en mâle, tantôt en femelle, selon la force de l'affinité sexuelle du partenaire avec lequel il entre en contact. Au moment de la « puberté », en effet, quand des individus de sexe indéterminé sont mis en présence d'individus femelles, ceux-ci déclenchent chez les premiers une importante production de filaments minces et sinueux qui évolueront par la suite en organes mâles. Et voici que ces filaments induisent à leur tour la production d'autres filaments plu larges et plus épais qui, de leur côté, produiront sur d'autres individus des organes femelles : ces filaments vont s'enfler pour former une sorte de structure dense et globuleuse, l'organe femelle primitif. Lorsque les filaments mâles entrent en contact physique avec cet organe, ils se transforment en une sphère à l'intérieur de laquelle se différencient des gamètes mâles. Aussitôt après, un processus de différenciation similaire se déclenche, au niveau de l'organe femelle primitif, par la formation d'une sphère beaucoup plus grosse au sein de laquelle se forment les gamètes femelles. Après cette phase de contact intervient la fécondation proprement dite ; celle-ci s'effectue par des tubes émis par les organes mâles, grâce auxquels les gamètes mâles qu'ils contiennent vont pénétrer à l'intérieur de l'organe femelle.

Bref, ces modestes algues nous offrent un exemple particulièrement suggestif de transsexualité, chaque individu possédant au départ - comme le très jeune fœtus humain, qui la perd vite - la double potentialité sexuelle. Chaque organe conforte en quelque sorte son sexe par confrontation au sexe opposé : dans la meilleure logique hégélienne, il se pose en s'opposant.

Durant ce processus original de maturation sexuelle par influence des sexes l'un sur l'autre, toute une série d'hormones sont sécrétées, chacune induisant le stade suivant du processus. La première de ces hormones est aujourd'hui connue : c'est celle qui, produite par les filaments de l'individu femelle, induit l'activation et la mise en route de la sexualité chez les futurs individus mâles. Cette hormone issue de micro-organismes végétaux, baptisée « anthéridiol », car elle induit la formation des organes mâles, les anthéridies, possède une structure chimique proche de celle du cholestérol. Comme la sirénine, cet anthéridiol, porteur d'un message, constitue un véritable « vecteur » de communication entre deux filaments d'algues ou de champignons.

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Symbolisme :


Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont, 1995 et 2019), Éloïse Mozzani nous propose la notice suivante :


Les algues, varech ou goémon, sont dotées de nombreux pouvoirs médicinaux. Le "gui marin", sorte de goémon qu'on trouve sur le dos de certains crabes, arraché le jour de Pâques, à trois heures du matin, guérit l'épilepsie (haute Bretagne). La racine de flèche verte (varech), cueillie à la mariée descendante, consommée avec le beurre d'une vache qui n'a mangé que du goémon rouge depuis trois jours, fait tomber la fièvre - pays de Tréguier). Contre les blessures, contusion, morsures, brûlures, la cendre de goémon ramassé à certaines phases de la lunaison est souveraine. dans la Manche, les pêcheurs soutiennent que le malade qui couche sur des algues "y laisse son mal on y prend sa mort" ; ceux des environs de Saint-Brieuc couchaient les enfants sur de la flèche, croyant ainsi leur communiquer la force nécessaire pour leur succéder.

Cueillis à minuit, les ribères (algues brunes) rendent apte à toutes les professions celui qui les boit en infusion, et le goémon procure l'intelligence. Ce dernier protège en outre de la foudre. C'est pour cette raison que la plupart des marins long-courriers de Tréguier pendaient au mur une sorte de goémon sec et noir, appelé "arbre de sainte Barbe", dont les fruits ronds et plats portaient le nom, eux, de "pierres (galets) de sainte Barbe".

Le goémon a surtout un grand pouvoir lors de la fête de la Nativité : autrefois, beaucoup de pêcheurs du littoral de la Manche en ramassaient la nuit de Noël à marée basse, en formulant une prière, puis "s'en retournaient chez eux en marchant sur les mains et sur les pieds" ; ou bien, le lendemain, faisaient boire à leurs enfants une décoction de plantes cueillies la nuit à minuit en leur ordonnant juste après de cracher sur des algues, sans omettre de faire le signe de croix. Ces coutumes, comme l'usage écossais de ramasser du varech le dernier jour de l'année pour en orner les cheminées, étaient sûrement liées à un espoir de protection magique.

Le goémon servait parfois de moyen augural : au Croisic (Loire-Atlantique), les jeunes files , la veille du 15 août, jetaient leur épingle à cheveux dans les algues de la haie des Bonnes-Femmes et "suivant la façon dont l'épingle se piquait ou ne se piquait pas dans l'épais matelas de varech, on en déduisait celles qui allaient se marier dans l'année".

Le varech est l'amulette traditionnelle des marins, "par extension, elle devint aussi celle des aviateurs lorsque ceux-ci commencèrent à survoler les mers ; les pionniers anglais et américains de l'Aéropostale en emportaient souvent pour traverser l'Océan. Et il n'est nullement impossible que, à l'ère des "jets", on commandait de bord originaire de quelque Pougonven ou Downpatrick en ait un filament dans sa poche lorsqu'il décolle de Kennedy ou de Roissy".

Les Bretons, eux, font confiance également au "Chondrus crispus" (algue rouge) ; ils en embarquent sur leur bateau tandis que les mères en ornent la photographie de leur fils voguant sur de lointains océans.

Outre-Manche, les algues séchées conservées par les habitants des régions côtières protègent des mauvais esprits et des incendies. Au Japon elles facilitent les accouchements et permettent aux navigateurs de voyager sans risque.

En Turquie, à Chypre ou en Syrie, les algues rouges portent chance au jeu - beaucoup de marins, aujourd'hui encore, "ne s'engageraient jamais dans une partie de dés ou de cartes sans en porter sur eux" - et attirent l'argent : on les accroche dans la maison, on en met sous les tapis, et même dans "le meuble ou le coffre où était enfermée la "cagnotte".

Dans les ports de la Nouvelle-Angleterre, les commerçants se servent d'une infusion de varech pour laver leur boutique dans l'espoir d'attirer les clients et de s'assurer des "vibrations positives". En Ecosse, la recette des algues au whisky permet d'espérer des rentrées financières ; il suffit d'avoir dans sa cuisine une cruche en terre poreuse bien fermée, remplie de varech arrosé d'un peu de whisky.

Les luminaires, algues brunes des Océans, dont le jus est aphrodisiaque, protègent l'harmonie et la quiétude du foyer.

La plupart des algues, on le voit, sont bénéfiques ; elle est d'ailleurs rarement été mises en relation avec la sorcellerie, à quelques exceptions près : à Saint-Malo, on trouvait sur les rochers un goémon abritant les "bourses du Diable", chacune contenant deux sous, que les jeunes filles qui avaient pactisé avec le démon s'empressaient de chercher. Les sorcières irlandaises, écossaises et norvégiennes, jusqu'au XVIIe siècle, ont largement utilisé, dit-on, le varech "pour exciter les chevaux marins qu'elles montaient pour se rendre au château du Diable, lequel se trouvait au-delà du cercle arctique".

Les algues, dont certaines espèces ont été plantées par les fées, sont surtout réputées pour leur avoir servi d'ornement ou de jeux : le folklore français en fait mention tandis que, selon une légende des îles Hébrides, les vésicules du varech sont des œufs de fée. Les algues rouges ou floridées, qu'on trouve aussi bien dans les mers froides que dans les mers chaudes et qui étaient connues des Grecs et des Romains, ont joué un rôle dans le culte des Néréides, divinités marines. Selon la légende grecque, l'une d'elles, Psamathé, fut métamorphosée en algue pour avoir refusé le devoir conjugal avec Eaque, qu'elle avait épousé contre son gré. On retrouve les algues rouges dans la célébration à Rome des neptualies en l'honneur de Neptune, dieu des Mers : on en parsemait les rues, on en décorait les autels, on s'en entourait le front ou les reins et les femmes qui voulaient être mères s'en frappaient le ventre.

Pour finir, signalons qu'"à la fin du XVIIe siècle, les anciens marins disaient avoir vu au large, entre le Guilvinec et la pointe de Penmarc'h, à quinze ou vingt pieds sous l'eau, des pierres druidiques recouvertes de "varech sacré" qui s'était desséché d'un seul coup le jour de l'assassinat de Louis XVI".

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Symbolisme onirique :


Selon Georges Romey, auteur du Dictionnaire de la Symbolique, le vocabulaire fondamental des rêves, Tome 1 : couleurs, minéraux, métaux, végétaux, animaux (Albin Michel, 1995),


"Si nous avions engagé l'interprétation du symbole en prenant appui sur notre seule inspiration, sans être confronté au réalisme imposé par les rêves, nous n'aurions pas évité le piège grossier tendu par notre imagination ! L'image, alors devenait mirage. L'algue rêvée nous eût emporté au pied de quelque tour moyenâgeuse. A la plus haute fenêtre, une jeune femme blonde eût offert sa longue chevelure aux caresses d'un vent léger. Peut-être aurions-nous aperçu plutôt une ondine, assise sur un rocher au milieu d'un étang, peignant ses cheveux en chantant. Nos algues imaginaires ne pouvaient être que de longues lanières blondes, bercées au fond d'une eau limpide par les mouvements amortis du flux et du reflux de la vague.

Ces phrases pourraient révéler notre complaisance face à la tentation de faire de l'image. Il sera pourtant facile de montrer que l'algue du rêve est en corrélation étroite avec l'eau, la mer, les cheveux, le rocher. 73% des symboles associés à l'algue appartiennent à l'univers aquatique et particulièrement marin. Cette observation n'a rien qui puisse étonner. La surprise sera d'une autre nature.

Liée à l'eau, à la mer, à la femme, à la flexibilité, l'algue par essence, s'inscrit indéniablement dans la grande famille des images qui expriment l'anima. Mais, à l'inverse de ce que notre supposition naïve nous suggérait, les algues sont le côté sombre, redoutable, de cette composante psychique. Dans tous les scénarios où prend place le végétal aquatique règne une ambiance lourde, qui annonce une épreuve à surmonter, un dangereux parcours qu'il faut affronter, un passage à réaliser.

L'algue flexible est un complément d'image du rocher. Elle conduit immanquablement au rocher noir. Une poétique de la mer ne met aucune distance entre l'algue et la sirène. Ce que nous écrivons dans l'article consacré à la sirène peut être intégralement repris à propos de l'algue marine. Cependant, l'onirisme ne réunit pas fréquemment les deux images. Porteuses de contenus semblables, chacune d'elles indique une phase différente de la dynamique d'évolution. L'algue ne remplace pas la sirène, elle la prolonge. La sirène dit l'appel vers la profondeur, l'algue se rapporte à la profondeur réalisée.

Les images qui entourent les algues dans les rêves sont bien éloignées de celles que nous avons évoquées au début de cet article. Pour le rêveur descendu sous la mer, il n'y a pas d'onde claire mais des eaux glauques. La blonde chevelure se mue en menaçants tentacules verts ou marron. Le poulpe, la pieuvre l'attendent dans plus du tiers des scénarios parmi les mouvements lents de la végétation marine. Les mots visqueux, poisseux, gluant, forment le vocabulaire usuel de la rêverie engagée dans les algues. Quand la sirène personnifie le double aspect séduisant et effrayant de l'anima, l'algue paraît surtout symboliser la face négative de cette figure, son côté ombre. En fait, la plante aquatique est la gardienne d'un seuil que le rêveur doit franchir. La descente dans la mer évoque toujours quelque peu le retour au sein maternel. Que de rêveurs et de rêveuses, parvenus au plus profond d'un sombre champ d'algues, évoquent "une respiration régulière" ou "les battements d'un cœur" ! D'autres affirmeront se trouver "devant la porte de la mort." La plupart de ces cheminements imaginaires décrivent la sensation d'être à la fois à l'intérieur et à l'extérieur, dans la vie et dans la mort, dessus et dessous. toutes ces expressions témoignent d'un élargissement de l'espace psychologique.

La profondeur de l'eau, c'est aussi l'immensité impressionnante des contenus de l'inconscient. On sait que ces derniers ne sont dangereux que tant qu'ils demeurent inconscients. Le sort du héros est d'aller avec courage vers ce qu'il ne connaissait pas de lui-même. AU fond de la mer, parmi les algues, se présente l'épreuve capitale qui provoque le héros au destin de Jonas. Dans 80% des rêves pris en référence le rêveur rencontre un gros poisson, une pieuvre, une épave, par lesquels il est irrésistiblement attiré, le plus souvent aspiré. De cette épreuve acceptée, il sort toujours plus fort, allégé, et les termes gai, gaieté, signent cette disposition nouvelle.

Dans son vingt-cinquième rêve, Jacqueline va plonger au plus profond de la mer. Elle y découvrira avec étonnement un galion espagnol gisant sur le sable. Nous rapportons dans l'article consacré au bateau coulé la séquence au cours de laquelle elle ramène à la surface le vaisseau intact, splendide comme à son origine. Il aura pour cela suffi que la rêveuse le débarrasse des algues qui le recouvraient. Le rêve avait commencé par le naufrage d'un autre bateau pris dans une tempête :" ... maintenant, il sombre, il descend au fond de la mer... là, c'est plus calme, il y a même une clarté plus grande... une clarté réelle et irréelle à la fois.. il y a des poissons, des rochers, des algues, du sable... des personnages sortent du bateau... ils ne sont pas morts... ils sont minuscules par rapport au bateau... là, il y a un poulpe, une pieuvre gigantesque... beaucoup plus grande que le bateau... elle est très impressionnante, mais ils n'ont pas peur. Au contraire, elle les protège. Ils auraient plus peur d'un poisson qui pourrait les avaler. Elle, au contraire, elle prend délicatement tous les personnages dans ses tentacules pour leur faire découvrir l'univers sous-marin..."

Cet exemple montre à la fois l'association de l'algue et de la pieuvre et le caractère inoffensif des contenus de l'inconscient pour celle ou celui qui ose aller à leur rencontre. Avec le vingt-sixième scénario de Myriam, la descente vers la profondeur prend une autre tonalité, plus intense, mais elle conduira la rêveuse à la sensation d'une nouvelle dimension de vie. Nous rassemblons ici les phrases essentielles extraites d'un long scénario : "... je ressens un grand flottement, physique et psychique, comme si je n'avais plus de paroi, de peau... comme si j'étais entourée d'espace non défini... je me sens comme en apesanteur... et là, je visualise un corps, mon corps, sur un lit de mort... je descendes, je descends dans une matière comme de l'eau... je suis comme une poupée dans un liquide. Je sombre, comme ces bateaux qui vont au fond de la mer, démantelés... il y a de grandes algues autour... ce corps est comme eux : une coque vide... je suis sous cette mer que j'ai traversée... c'est de plus en plus difficile de descendre. La matière se fait plus compacte, plus dense. Ç'a la consistance d'une méduse... c'est comme un liquide très sombre, comme l'encre d'un poulpe... c'est la porte de la mort... c'est angoissant et fascinant... je sens qu'ne partie de moi est en train de naître, comme les fleurs d'un champ... j'entends des chants cosmiques... c'est un contact avec un nouveau monde..." Descendue au fond de la mer pour naître à un monde nouveau, voilà qui rejoint la double symbolisation d'une algue maternelle et représentative de l'inconscient.

Thérèse assume la plongée dans la mer dès son troisième rêve. La rêveuse parcourt un vaste champ d'algues :"... elles sont ramifiées comme des arbres... il y a une respiration dans ces arbres... je me dégage... là, je trouve une algue encore plus énorme... elle est un peu comme un poumon... elle respire comme poumon, qui se gonfle et se dégonfle tout le temps... ç'a d’ailleurs la consistance d'un poumon. C'est une respiration très clame, comme les vagues qui se suivent sur une plage... c'est très régulier et très calme..." Dans la suite de son rêve, Thérèse se laisse avaler par un énorme poisson translucide, gonflé. Elle choisira d'en sortir en faisant éclater le ventre. Libérée, elle participera à la restructuration d'une colonie de coquillages qui ont une chair flexible appartenant à une masse commune et des alvéoles calcaires organisés comme un groupe d'habitations. Cette tâche accomplie, Thérèse, dans les dernières phrases du rêve, rejoindra "la table familiale où tout le monde m'attendait".

Ces trois séquences démontrent que l'algue imaginée accompagne, dans presque toutes les situations, un passage de seuil déterminant de la dynamique d'évolution. Si nous n'insistons pas davantage sur la nature des contenus inconscients qui font l'objet d'une connexion dans ces circonstances c'est qu'ils peuvent se rapporter à des aspects très variés de la problématique.

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L'algue rêvée doit être rangée dans la catégorie des images qui expriment avant tout la dynamique psychique. Cependant, lorsque l'attention se porte sur l'ensemble des patients et des patientes dont les rêves ont été pris en référence pour cette étude, on ne peut éviter d'observer le fait que plus de 60% d'entre eux étaient, à l'époque de leur rêve, en situation de frustration sexuelle. 80% des femmes étaient contrariées dans leur aspiration à la maternité.

Comme l'anima, l'algue est faite de mystère. Elle ne pourrait perdre celui-là sans être dépouillée de sa force active. Le rêveur descendu au fond de la mer est en contact avec le profond de lui-même. Le mouvement lourd et lent d'une masse d'algues verts ou brunes peut lui rappeler un instant le temps de ses résistances. Il est déjà trop trad pour interrompre la courageuses aventure qui le pousse à la rencontre de ce qu'il deviendra. Qu'il se laisse aller parmi les agitations tentaculaires, dans une eau glauque en apparence, poisseuse souvent... c'est revivre peut-être des sensations oubliées qui accompagnèrent jadis son dégagement de l'enveloppe placentaire.

Qu'il vive en confiance cette épreuve dans la mer, dans la mère, dans lui-même. L'algue rêvée est gage d'une clarté nouvelle, d'une conscience plus claire, qui l'attendent de l'autre côté de ce qui fut sa peur."

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Symbolisme alimentaire :


Pour Christiane Beerlandt, auteure de La Symbolique des aliments, la corne d'abondance (Éditions Beerlandt Publications, 2005, 2014), nos choix alimentaires reflètent notre état psychique :


Cet aliment représente une sorte d'« élasticité », comme s'il voulait s'étirer, voir au loin. La gorge, l'œsophage, les organes de déglutition, les glandes jugulaires s'ouvrent en se distendant entièrement pour obtenir un effet de souplesse et d'extension. Cela peut aller jusqu'à se forcer soi-même. Ce produit représente une quantité d'énergies qui demandent une extension en hauteur, en amplitude, un mouvement à la fois d'étirement et d'ouverture de ce qui est fermé, de ce qui est figé.

L'être humain qui a envie de cet aliment se comprime quelquefois comme un harmonium, s'étoffe quelque peu, se dessèche trop, se recroqueville trop, et aspire à plus d'oxygène, à un espace plus vaste. Il est comme affaissé en lui-même, figé, restant à un niveau trop bas de sa personne, quelquefois, même au ras des pâquerettes... COMMME UN RESSORT QUI, COMPRIMÉ, RESTE INERTE, qui ne se sent plus capable de se détendre brusquement en position ouverte, de s'autoriser à s'ouvrir lui-même librement et de façon détendue, à s'épanouir et à de l'oxygène à chaque fibre de son corps. en d'autres termes : c'est comme un état de trop grande contraction.

Peut-être ne veut-il absolument pas "voir" : non, dit-il, et se détourne. Il peut y avoir une sorte de refus obstiné à la base. Il prend alors une attitude trop "étriquée", trop froide, trop rigidement structurée au sens saturnien du terme, une attitude de prostration raidie. Il refuse de se laisser être dans l'ouverture totale, l'abandon, la souplesse.

Cet aliment représente le choix définitif qu'un être humain est appelé à faire entre le bien et le mal : la vie, ou un refus de se laisser exister pleinement. La contraction ou la délivrance. Mais la personne qui en a envie a d'abord besoin de détente, de repos intérieur, de se permettre, avec souplesse, un relâchement de son être, de cesser de se freiner là où les bras, les jambes, les organes... quelque partie du corps que ce soit, veulent se dilater, veulent se laisser pendre, s'élargir, s'étaler, occuper plus d'espace.

« Ne te referme pas sur toi-même de façon si contractée / ne garde pas les choses en toi de façon si crispée, permets-toi de te dilater jusqu'à prendre ta pleine envergure, laisse chaque objet de tes mains s'étirer autant qu'il le veut en longueur et en largeur : ne retiens rien, n'agrippe rien, ne garde rien auprès de toi, ne tends pas ton propre corps au point de le raidir. Comme un navire qui doit se détacher du quai : largue ces amarres ! Laisse le navire prendre le large et laisse chaque fibre de ce navire respirer librement dans l'espace ouvert de la vie... de même, laisse chaque cellule de ton corps respirer librement dans l'espace de ton Être. C'en est fini de toute retenue, fermeture, obstruction ou blocage. C'en est fini de toute contraction ou résistance. Tu laisses tout aller, se détacher, librement. Tu te laisses toi-même et laisse ton corps être qui tu es : en tant que JE... sans plus. Le cœur, les muscles, les tendons... ou quoi que ce soit, ne sont pas contractés, ne se compriment pas, mais trouvent leur être en souplesse », ainsi parlent les Algues.

Les Algues représentent ceci : « Cherche un équilibre entre t'étirer toi-même et néanmoins rester près de toi. Les deux attitudes peuvent parfaitement aller de pair. Ne retiens pas un poil de ce qui est toi veut grandir, toutefois ne te distends pas à tel point que tu te "rempirais" avec les autres, avec ces choses dont tu veux qu'elles "comblent" ton existence. Ne crée pas de "cavités"... ne séduis pas, ne provoque pas, ne racole pas, mais étire-toi juste assez pour pouvoir être toi-même. Ne convoite pas de te remplir avec ce que tu peux voir, sentir, et "attirer" à l'intérieur de toi... n'attire que toi-même à l'intérieur de toi et ne prends d'expansion que dans ton être. Ne te force pas, ne te distends pas (c'est là l'extrême inverse de la contraction et de la retenue) afin d'être agréable aux autres, de leur faire plaisir, de leur plaire, afin que l'on te trouve beau ou bon, car en ce cas tu t'étouffes dans ta propre avidité vénusienne. Aucun de ces deux extrêmes n'est bon : ni se contracter, se verrouiller, d'une part, ni se distendre pour se remplir de choses ou de personnes extérieures, d'autre part. »

Cet aliment en soi bouillonne d'activité mais demande à ce que cette activité soit mobilisée de la manière la plus juste pour la Vie même : laisse-toi être, mais ne déplace pas ton être EN DEHORS de tes frontières. Demeure bien à l'intérieur de tes contours, toutefois laisse par ailleurs cette puissante énergie unifiée s'épanouir dans la liberté te l'ouverture - comme elle le veut. N'ambitionne pas d'être vu... par les autres, de te remplir d'eux, mais prends ta pleine expansion dans ton Être. Lâche prise vis-à-vis de tout et de chacun, mais cesse de te crisper et de t'entraver. Étire-toi avec la puissance d'un ressort

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Croyances populaires :


Dans Le Folk-Lore de la France, tome troisième, la Faune et la Flore (E. Guilmoto Éditeur, 1906) Paul Sébillot recense nombre de légendes populaires :


Plusieurs légendes des environs de Saint-Malo expliquent la présence des herbes marines sous les eaux. Lors d'une grande famine qui décimait les poissons, un génie envoyé par leur dieu arriva au fond de la mer avec une charrette attelée de dix chevaux et chargée de graines et de plantes de toutes sortes il les sema et les planta, et au bout de huit jours elles avaient poussé. Ils rattachent aussi leur origine à des épisodes de la vie des fées sous-marines L'une d'elles ayant donné un anneau magique à un matelot qui l'avait secourue, celui-ci fait naufrage, mais au lieu de se noyer il descend sous les eaux, et prend pied près du château de la dame e)le le charge de soigner son jardin, et comme elle se plaignait de ne pas avoir des plantes aussi variées que celles de la terre, il frotte son anneau et aussitôt toutes les variétés des herbes marines y croissent. Suivant un autre récit, un pêcheur qui glisse aussi sous les flots, arrive dans un monde nouveau où il est bien accueilli par une divinité la peste s'étant déclarée parmi les poissons, il se souvient des herbes médicinales que les fées cultivaient dans leurs grottes sa maîtresse lui permet d'aller en chercher, et l'épidémie cesse quand il les a plantées. On dit parfois que le fond de la mer ~ auparavant privé de végétation ; s'est garni d'innombrables plantes après le naufrage d'un navire chargé de toutes sortes de graines, et que les herbiers que la mer découvre sont d'anciennes prairies submergées.

[...]

Une plante marine appelée Arbre de Sainte Barbe, qui se trouve fréquemment chez les pécheurs de Tréguier, garantit les maisons de la foudre ; en Haute-Bretagne on voyait autrefois près de la Vierge ou du Crucifix un goémon en forme d'arbuste devant lequel on s'agenouillait quand il tonnait, en récitant la formulette de sainte Barbe.

[...] Les jeunes filles de Saint-Mato qui n'avaient point d'argent pour assister à l'assemblée, s'en allaient, après avoir fait un pacte avec le diable, cueillir sur les rochers du goémon dans lequel se trouvaient les bourses du diable, dont chacune contenait deux sous.

[...] Plusieurs plantes, en raison de leur rareté, de certaines circonstances on de leur espèce, sont placées dans les maisons, ou portées par les individus qui leur attribuent d'une vertu talismanique. Chez presque tous les marins long-courriers de Tréguier, on voit appendu au mur, près de ta statue de la Vierge et du rameau de laurier où de buis, une espèce de goémon, sec, noir, qui a la consistance et la dureté du bois de fer) et porte une sorte de fruit marron de forme ronde et plate. Elle n'est pas indigène mais elle est connue sous le nom d'Arbre de sainte Barbe, et ses fruits sous celui de « Pierres ou galets de sainte Barbe. II orne le chapelet des dévotes, et on lui attribue là vertu de préserver la maison du tonnerre.

[...] Les plantes qui entrent dans la composition des dedans de lit influent sur la santé ou sur la vigueur de ceux qui s'y reposent. Aux environs de Saint-Brieuc, on couchait autrefois sur de la flèche les enfants destinés à devenir pécheurs, dans la pensée que les herbes de mer les aguérissaient aux fatigues du métier.

[...] Les pêcheurs de la Haute-Bretagne appellent gui marin une sorte de goémon qui croît sur le dos de certains crabes ; il guérit de l'épilepsie, à condition qu'il soit détaché le jour de Pâques, à trois heures du matin, par une personne ayant la conscience parfaitement nette. Certains disent aussi que cette plante merveilleuse pousse sur la tête du grondin et que la mer la rejette parfois sur le rivage.

[...] Dans le pays de Tréguier, la racine de flèche verte, cueillie au moment du reflux, et fricassée avec le beurre non délaité d'une- vache qui depuis trois jours n'a mangé que du goémon rouge, guérit radicalement de la fièvre. La cendre du goémon plat ramassé à certaines phases de la lunaison, et dissoute dans de l'eau douce constitue un spécifique pour la guérison des plaies, des contusions, des morsures, des brûlures, chez les hommes et chez les animaux, à condition qu'on prononce en l'employant une formule connue des seuls initiés.

[...] En Haute-Bretagne, on consulte les grandes algues, appelées aussi baromètres, pour savoir le temps qu'il fera ; si la pluie est prochaine, si desséchées qu'elles soient, elles redeviennent molles et humides. Dans le pays de Tréguier, les enfants qui désirent savoir s'il fera beau le lendemain et si les bateaux pourront sortir, tendent à la brise du soir, en le tenant par les extrémités, un ruban de varech à matelas. S'il vibre constamment en produisant un son ininterrompu, le présage est favorable ; les sons ininterrompus présagent des vents forts si les intervalles des vibrations sont très irréguliers, surtout si l'intensité du son varie, on peut s'attendre à une tempête prochaine.

[...] Les mousses d'Audierne et ceux de la baie de Saint-Malo percent à un bout des olives fraîches de goémon, à l'aide desquelles ils prennent de l'eau dans les mares et se la lancent à la figure.

[...] Les mousses des environs de Saint-Malo et ceux de la côte d'Audierne confectionnent des sifflets avec les olives des goémons.

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D'après Véronique Barrau, auteure de Plantes porte-bonheur (Éditions Plume de carotte, 2012) avec les algues marines, "le bonheur vient de la mer".


Une question de couleurs : Le terme générique d'algue rassemble des organismes vivants très différenciés qui, de nos jours, ne sont plus considérés comme faisant partie d'un même groupe végétal. Par commodité, le terme reste néanmoins fréquemment employé.

Les algues marines sont classées en quatre grandes catégories :

  • les algues rouges ou Rhodophysées (Corallinales, Porphyra...)

  • les algues bleues ou Cyanobactéries (Spiruline...)

  • les algues vertes ou Chlorophycées (Ulva dite "laitue de mer"...)

  • les algues brunes ou Phéophycées (Laminaires, Fucus...) qui composent essentiellement le varech. Aussi appelé goémon, le varech est un ensemble d'algues marines rejetées par la mer ou récoltées à marée basse d'équinoxe sur le rivage.

Les algues porte-bonheur : On connaît les propriétés fertilisantes du goémon épandu sur les terres agricoles. Par assimilation, la gent féminine pensait pouvoir bénéficier de ces vertus en frottant ou frappant leur ventre avec des algues comme le faisaient jadis les Romaines au cours des fêtes célébrant les Néréides, des déesses marines.

Une coutume brestoise imposait aux nouveaux mariés d'arracher, le jour de leurs noces, une poignée d'algues accrochées au rocher de la Rose situé à l'entrée du port de la ville. Il est probable que ce rite visait à assurer une descendance au couple. Mais il existerait un moyen bien plus simple pour augmenter ses chances d'enfanter. Boire une tisane à base de laminaire aurait en effet des vertus aphrodisiaques...


Des marins bien protégés : Le varech issu de l'océan fut naturellement dédié à la sauvegarde des hommes en mer. Les Japonais faisaient ainsi confiance aux algues séchées pour naviguer en toute quiétude sur les eaux.

En Bretagne, l'algue rouge du nom de Chondrus crispus ou "mousse d'Irlande" constituait l'amulette spécifique des marins partant a long cours et la plupart d'entre eux n'embarquaient jamais sans avoir placé cette plante dans leurs affaires. Pour tromper leur inquiétude, les mères entouraient la photographie de leur fils parti en mer avec cette algue, de façon à le revoir sain et sauf.

Les algues furent aussi protectrices des aviateurs devant survoler les océans. Les premiers Anglais et Américains travaillant pour l'Aéropostale avaient l'habitude d'emporter un peu de varech avec eux.


Magies amoureuses : répandre des laminaires autour de son foyer assurerait une vie de couple harmonieuse. Faut-il encore être à deux ! Pour trouver chaussure à leur pied, les hommes célibataires de l'Océan Indien se procuraient des charmes confectionnés par des sorciers avec de longues algues ondoyant à la surface de l'eau comme une chevelure féminine.


Dompteur de vent : Pour obliger le vent à se lever, les marins recouraient à une vieille croyance en faisant virevolter une laminaire autour de leur tête tout en sifflotant.


Défense contre les flammes : Les marins bretons de Tréguier plaçaient la protection de leur maison sous l'égide d'une algue non indigène appelée "l'arbre de Sainte Barbe". Accrochée sur un mur, elle écartait les menaces de l'orage. Difficile d'identifier cette plante mais consolez-vous, le goémon récolté à minuit pile préserverait tout autant de la foudre. En plus, il suffirait de boire une décoction à base de cette plante pour décupler son intelligence ! Les pouvoirs protecteurs des algues ne concernent pas seulement les individus puisque, selon une croyance américaine, la présence de telles plantes séchées dans une maison écarte les risques d'incendie et les esprits maléfiques.


Bateaux prisonniers : Connu pour sa forêt d'innombrables algues remontant à la surface de l'eau, la mer des Sargasses était considérée par les marins comme une "mer bourbeuse", dangereuse car difficilement franchissable par les navires. Au fond de cette étendue située dans l'Atlantique, au nord-est des Antilles et non loin du Triangle des Bermudes, se trouverait d'ailleurs un impressionnant cimetière de bateaux...


C'est pas de veine... Lors de leur première sortie en mer, les pêcheurs découvrant de nombreuses laminaires dans leurs filets faisaient triste mine car elles annonçaient de faibles prises. Les bretonnes de Penevan imaginaient qu'un malheur adviendrait dans leur vie si elles renversaient de l'eau de mer puisée dan un seau, à des fins domestiques. Pour éviter de perdre leur chargement, elles plaçaient préalablement deux poignées de varech dans le récipient. Mais ce subterfuge ne suffisait pas toujours à les rendre adroites...


L'argent des algues : Persuadés de la faculté des algues rouges à attirer l'argent, les Chypriotes, les Syriens et les Turcs en disposaient un peu partout dans leur logis et notamment dans les coffres renfermant les économies familiales. Avant de parier de l'argent dans une partie de jeu, les marins du Levant se munissaient précautionneusement de ces mêmes plantes rougeâtres pour attirer la chance. Si vous espérez des rentrées d'argent, rien ne vous empêche de tester la recette écossaise des algues au whisky. Remplissez de varech une cruche poreuse en terre. Tassez bien les végétaux avant de les arroser avec l'alcool puis refermez le récipient. Il n'y a plus qu'à attendre l'évaporation du whisky et les gains financiers qui ne devraient pas tarder...

Un petit truc enfin pour les éventuels lecteurs tenant une boutique, les commerçants de la Nouvelle-Angleterre désirant augmenter leur clientèle lavaient leur local avec une tisane de varech.


Une banque ouverte 7/7 jours ! Les jeunes filles de Saint-Malo, qui n'avaient pas de sous pour se rendre au bal, partaient dit-on, cueillir sur les rochers, une algue pourvue de "bourses du diable" contenant chacune deux pièces."

*

*



Mythologie :


Selon Roland Desrosiers (1978) auteur d'un article intitulé "Notes sur l'usage de quelques plantes chez les Indiens Squamish (Colombie-Britannique)" (in Anthropologie et Sociétés, 1978, vol. 2, n°3, pp. 139-156) :

[...]

Naissance et algues

En comparant M3, où intervient le lichen, à un nouveau récit, M4, où on rencontre une algue, le Varech commun, nous traçons un premier lien entre la naissance et les algues.

  • Vison cherchait sans relâche une épouse. Il désira Varech Commun lorsqu'il vit sa belle chevelure dans l'eau. Il lui dit son désir et, bien qu'elle lui rappelle qu'elle disparaît sous l'eau à chaque marée, il la rejoint. La marée monte mais Vison s'accroche et se noie (M4).

La proximité de ce récit à M3 est nette. Dans chaque cas une épouse est obtenue par un personnage qui finit dans l'eau. Empiriquement les deux récits sont construits autour des propriétés d'une plante. C'est clair en M4 avec Varech. En M3, lichen n'est pas épouse, mais en échanger contre une femme, c'est littéralement faire accoucher le chef. Ce rôle du lichen est proche de celui de la mousse de M2. Là aussi l'épisode du pêcheur miserait sur une ambiguïté puisque l'ethnographie atteste le rapport de la mousse à l'humeur visqueuse et à la sexualité féminine et aux naissances, c'est-à-dire aux nourritures droite et métaphorique.


Les algues

1) Varech de mer (fucus gardneri, Sylva)

  • [usage] droit [(qui ouvre la femme)] : jeu d'enfant = on fait péter les enflures de la plante ; les cerfs les mangent échouées.

  • [usage] dérivé [(qui referme la femme)] : on s'en frotte les mains pour éviter que l'odeur humaine n'imprègne la ligne lorsqu'on pêche à la cuiller ; on en recouvre la ligne enroulée dans le canot pour la même raison.

2) Varech commun (nereocystis luetkeana, (Mertens) Postel-Ruprecht)

  • droit : conservation de la fraîcheur du poisson dans le canot ; fabrication, grâce à sa fibre, de fibres et de filets de pêche ; l'hiver, à marée basse, les cerfs mangent les plantes échouées.

  • mythique : Bouchard et Turner mentionnent l'intervention du varech commun dans une version du mythe des premiers hommes. Nous n'avons pas accès à ce récit.

3) Varech comestible (porphyra perforata, J. Agardh.)

  • droit : nos informateurs savent que d'autres populations en consomment mais ignorent s'il en allait de même pour leurs ancêtres.

Commentaire :

  • Toutes ces fonctions sont droites à l'exception d'un usage dérivé et de fonctions mythiques. Que l'odeur humaine véhiculée par une ligne éloigne le poisson est d'autant plus douteux que la salive entre dans la composition d'un charme de pêche. Cette question des odeurs est très présente dans la pratique Squamish. Ainsi, par exemple, hommes et femmes, isolés, en quête de pouvoirs surnaturels, marchent de telle sorte que de jeunes sapins (tsuga heterophylla, (Raf.) Sarg.) passent entre leurs jambes pour enlever l'odeur humaine. Dans le cas de la pêche, on sait que le manche et la partie antérieure de la pointe du harpon étaient noircis au feu pour les durcir et les rendre invisibles au poisson. Ne pas voir l'arme, ne pas sentir l'homme, voilà qui conduit plus sûrement à la chasse.

  • Les deux premières plantes sont complémentaires : on dira qu'écarter l'odeur humaine d'une ligne, c'est réinsérer métaphoriquement à la surface ce qui relève de l'homme, c'est marquer une coupure entre l'homme et son gibier, entre le terrestre (et l'aérien ?) et l'aquatique. Mais conserver la fraîcheur du poisson, c'est aussi réinsérer métaphoriquement le poisson dans son milieu naturel. Cette seconde affirmation paraîtra moins osée si on rappelle qu'en M4 Vison s'accroche à Varech pour finir noyé. Varech servait ici à maintenir Vison sous l'eau.

  • Nous dirons qu'un usage droit du varech commun, la conservation de la fraîcheur du poisson, génère la fonction dérivée du varech de mer, l'élimination de l'odeur humaine.

  • Le problème génératif du statut d'épouse mythique du varech commun peut être abordé de deux manières. On le liera à son rapport à la nourriture droite dans son utilisation dans la fabrication d'instruments de pêche. Il peur aussi originer du varech comestible, une nourriture droite chez des populations voisines tout au moins. Ainsi, l'épouse mythique, nourriture métaphorique, dérive d'un rapport à la nourriture réelle. Ces hypothèses soulèvent une question : ce rôle mythique peut-il être rempli par une autre variété d'algue ?

  • Les Squamish mangeaient-ils du varech comestible ? L'incertitude des informateurs face à cette algue d'eau salée, qu'on mangeait ailleurs comme friandise ou bouillie avec de la graisse d'eulachon, des têtes de flétan ou des palourdes, se retrouve chez deux autres plantes aquatiques, le potamot (phyllospadix scouleri, Hook.) et la vallisnérie spirale (zostera marina, L.), qu'on sait mangées par d'autres populations. Or, selon Hill-Tout, les Squamish formaient une division distincte du stock Salish tant par la langue que par les coutumes. Pour nos informateurs, s'agit-il d'une manière plus ou moins consciente de se différencier, empruntant un raisonnement analogue à ce qui préside, selon nous, au choix du sexe des enfants.

[...]

*

*




Littérature :


Jules Verne, dans son célèbre roman 20 000 lieues sous les mers (1869-1870) évoque la diversité des algues marines :

Puis, nous parcourûmes une prairie d’algues, plantes pélagiennes que les eaux n’avaient pas encore arrachées, et dont la végétation était fougueuse. Ces pelouses à tissu serré, douces au pied, eussent rivalisé avec les plus moelleux tapis tissés par la main des hommes. Mais, en même temps que la verdure s’établit sous nos pas, elle n’abandonnait pas nos têtes. Un léger berceau de plantes marines, classées dans cette exubérant famille des algues, dont on connaît plus de deux mille espèces, se croisait à la surface des eaux. Je voyais flotter de longs rubans de fucus, les uns globuleux, les autres tubulés, des laurencies, des cladostèphes, au feuillage si délié, des rhodymènes palmés, semblables à des éventails de cactus. J’observai que les plantes vertes se maintenaient plsu près de la surface de la mer, tandis que les rouges occupaient une profondeur moyenne, laisant aux hydrophytes nores ou brunes le soin de former les jardins et les parterres des couches reculées de l’Océan.

*

*

Dominique Sylvain s'attarde sur le repas que partage la détective Louise Morvan avec l'un des suspects de son enquête dans La Nuit de Génronimo (Éditions Viviane Hamy 2009), suspect qui s'attarde sur le reste de son plateau d'huîtres après la dégustation :


Il saisit une algue, l'observa comme s'il découvrait une nouvelle forme de vie, creva un pore gonflé d'eau de mer, er releva la tête.

 

Dans L'Armée furieuse (Éditions Viviane Hamy, 2011) de Fred Vargas, on retrouve le regard si particulier du commissaire Adamsberg :


"Les yeux d'Adamsberg étaient revenus à leur état presque normal, aqueux, "algueux" disaient certains, obligés d'inventer un mot pour décrire ces aspect fondu, indistinct, presque pâteux.

[...]

Laissant s'emmêler toutes ses pensées sans plus tenter d'en faire le tri. Il avait vu récemment une photographie qui l'avait frappé, lui offrant une claire illustration de l'idée qu'il se faisait de son cerveau. C'était le contenu des filets de pêche déversés sur le ont d'un gros bateau, formant une masse plus haute que les marins, hétéroclite et défiant l'identification, mêlant inextricablement l'argent des poissons, le brun des algues, le gris des crustacés - de mer et non de terre comme ce foutu cloporte -le bleu des homards, le blanc des coquilles, sans qu'on puisse distinguer les limites des différents éléments. C'est pour cela, toujours, qu'il se battait, avec un agglomérat confus, ondoyant et protéiforme, toujours prêt à s'altérer ou s'effondrer, voire repartir en mer. Les marins triaient la masse en rejetant à l'eau les bestioles trop petites, les bouchons d'algues, les matières impropres, conservant les formes utiles et connues. Adamsberg lui semblait-il, opérait à l'inverse, rejetant les éléments sensés et scrutant ensuite les fragments ineptes de son amas personnel.

*

*

Gilles Louÿs, auteur d'un article intitulé « S'incorporer l'étrange : l'anthropologie sensorielle de Nicolas Bouvier », (In : Littérature, vol. 173, no. 1, 2014, pp. 72-85) étudie l'écriture de Bouvier :


Mais c’est dans la relation de son voyage dans l’extrême nord du Japon, au Cap Erimo, que Bouvier montre à quel point le goût peut être un outil anthropologique de compréhension. [...] De même, sa façon d’utiliser conjointement les ressources de son palais et celles de son intelligence pour analyser les propriétés gustatives du kombu, cette algue qui est la ressource essentielle des pêcheurs du Cap Erimo, est très révélatrice de cette capacité d’être en affinité vibratoire avec le milieu :


J’ai poursuivi ma route en mâchonnant cette espèce de cuir qui contient tous les goûts de la mer : sel, iode, la trace d’un banc d’anchois ou le sillage huileux d’un cargo. En le retournant sur la langue on a même l’impression d’y sentir la pulsation des marées et le poids de la lune. Cela m’a tenu lieu de déjeuner.


On retrouve certes là le goût de l’observation didactique, si caractéristique d’une certaine littérature du voyage, mais d’une façon qui n’a rien à voir avec le souci de communiquer un code gastronomique local (un des topoï de cette littérature) : la notation ici est faite de telle sorte que les mots qui désignent les saveurs vous transportent par métonymie au plus profond de la mer, et jusque dans l’équilibre cosmologique des astres. La dégustation du kombu dispense de tout autre commentaire : le goût suffit ici pour comprendre, d’une compréhension vitale, profonde, instantanée, l’équilibre optimal entretenu ici entre l’homme et son milieu.

*

*

Dans le roman policier intitulé Temps glaciaires (Éditions Flammarion, 2015) de Fred Vargas, la métaphore de l'algue sert à évoquer un embrouillamini des pensées :


- Tu ne te perds pas, toi ?

- Moi je suis habitué, ce n'est pas pareil.

- Je vais chercher la thermos.

Bourlin servit deux cafés dans des verres à pied gravés, les seuls récipients qu'il ait trouvé hors de la cuisine.

- Habitué à quoi ? demanda Bourlin.

- A me perdre. Bourlin, suppose que tu marches sur une grève de sable et de rochers.

- Je veux bien.

- Est-ce que tu visualises ces algues desséchées qui s'accrochent les unes aux autres et s'emmêlent en une sorte de pelote inextricable ? Qui forment une grosse, parfois une très grosse boule ?

- Très bien.

- Eh bien c'est cela qu'on a.

- Une boule de merde.

- Hélas non. Tu n'as pas de sucre ?

- Non, il est dans la cuisine. Je n'ose pas aller y voler du sucre. Question de respect, Adamsberg.

- Je ne te parle pas du sucre, mais de la boule de merde. Je dis : hélas non. Parce que la merde est une matière cohérente, homogène. Tandis qu'une boule d'algues est faire de milliers de morceaux enchevêtrés qui proviennent eux-mêmes de dizaines d'algues différentes.

[...]

- Il y a une route que t'as pas vue.

- Il n'y a pas de route. C'est une grosse pelote d'algues enchevêtrées. Et sèches. Il n'y a pas de route dans ces trucs-là. Et c'est lui qui l'a fabriquée. Et quand on croit qu'on y trouve un sens, il réembrouille la pelote autrement.

- S'amuse bien, ton gars. [...]

- Ça aussi, ça abime l'arbre. « Comme ça », à désoler tout le monde avec ta pelote d'algues.

[...]

- Je ne sais pas si on nous y a jamais « envoyés », dit lentement Adamsberg en revenant sur ses pas. J'ai fait une erreur, ou je me suis mal exprimé, ou je me suis perdu. c'est cette foutue boule d'algues, une chatte n'y retrouverait pas ses petits.

[...]

- C'est vrai, dit Adamsberg.

Qui enfonça ses mains dans ses poches. Lui non plus ne voyait pas comment pister un homme parmi quelque sept cents membres anonymes et grimés. Une nouvelle masse d'algues se formait à son horizon, plus tentaculaire encore que celle qui l'obsédait la veille, mais s'y agglomérant, et fusionnant indécemment.

[...]

- En scène, Danglard, dit Adamsberg en le poussant vers les grandes portes en bois, oubliant un instant dans cet étrange théâtre qu'il n’était venu ici que pour fouiller le cœur glissant des algues.

[...]

Ce qui reposait Adamsberg du conglomérat d'algues qui, pour l'heure, ne perdait rien de sa densité ni de sa noirceur.

[...]

Adamsberg en avait terminé avec ses saucisses alsaciennes. Lui restait la choucroute, qui lui évoquait, en moins grave, en plus délié, l'énorme pelote d'algues. Un dîner finalement très particulier. [...]

Danglard laissa passer un silence, pendant qu'Adamsberg se débrouillait sans grand appétit avec sa pelote de choucroute.

- Rien à voir avec Danton et Desmoulins, dit-il.

Et cette pelote, Adamsberg la sentit fondre sur lui, l'accrocher de tus ses piquants secs, repue de ses multiples pièges, de tunnels en impasses, telle qu'il n'en avait jamais connu d'autres. il laissa tomber sa fourchette, vaincu.

[...]

Cœur de la question, cœur de la pelote, marmonna Adamsberg. [...]

Les pistes nombreuses que lui avait fournies le duo, en parfaite cohérence, sans que l'un ne domine jamais l'autre. Le brun et Leblond, le psychiatre et le logicien, venaient s'ajouter comme une note harmonique au désordre de la pelote d'algues. Pelote grossie qui le suivit obstinément jusqu'à la Seine.

[...]

Chacun, selon le côté de la table où il s'était assis, scrutait avec inquiétude ou plaisir le visage du commissaire. Qui, plus limpide, semblait être épuré de quelque tourment, celui qui avait parfois altéré ses traits et feutré son sourire. Sans savoir qu'il s'agissait de la dissolution de l'infernal entrelacs d'algues.

[...]

- Enfin, dit-il, je vous ai répété cent fois que cette enquête avait pris dès ses débuts la forme d'une monumentale pelote d'algues desséchées.

Ce qui n'est pas du tout un "fait", se dit Danglard, tandis que Justin notait, même cela.

- Et qu'on ne peut pas foncer droit et vite dans un pareil magma. On n'en tirait que de minuscules fragments cassants, tut en étant sans cesse happés par d'autres pièges. Des éléments, on en avait, mais ils flottaient en nappe par dizaines sous la surface, sans lien apparent, disparates dans une nébuleuse. Tout était noyé par cet assassin tortueux et coriace. Il fallait un sérieux déclencheur pour faire remonter cet amas à l'air libre. Et dessiner son visage.

*

*


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