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  • Photo du rédacteurAnne

Le Poisson-éléphant




Autres noms : Gnathonemus petersii -


Zoologie :


Hugues Demeude, dans Les Incroyables Pouvoirs de la Nature (Éditions Arthaud, 2020) consacre un chapitre mérité au Poisson-éléphant :


L'électrolocation du poisson-éléphant doté d'un sixième sens


La créativité de l'équipe de biorobotique de l'ISM témoigne de l'effervescence en matière de bio-inspiration qui existe au sein des laboratoires internationaux qui s'intéressent aux déplacements des animaux et à leur hypersens.

Avec sa machine volante inspirée d'une chauve-souris, Léonard de Vinci a ouvert une voie qui atteint aujourd'hui sa pleine maturité : celle en effet, pour nos machines et engins inventés par les scientifiques, de la mobilité bio-inspirée.

Les exemples récents sont nombreux : [...]

Aujourd'hui, nombreux sont les ingénieurs qui conçoivent la mobilité des nouvelles machines de demain, que ce soit celle des engins dans lesquels nous nous déplacerons ou celle des robots qui se multiplient dans notre univers quotidien, à l'image des drones. Des scientifiques qui vont plus loin désormais que le simple biomimétisme, dans le sens où ils ne se contentent pas de reproduire les structures du vivant en les copiant. Ols créent aujourd'hui de nouvelles technologies inspirées du fonctionnement de a nature. C'est la grande révolution actuelle en matière de mouvement et d'orientation appliqués aux nouvelles machines.

Ainsi, Frédéric Royer, responsable adjoint de l'équipe Robotique et Vivant - intégrée au Laboratoire des sciences du numérique de Nantes (LS2N) -, s'est particulièrement intéressé au sens électrique du poisson-éléphant (Ganthonemus petersii), considéré comme un sixième sens. Ce poisson semi-nocturne possédant une trompe sous la bouche a en effet la particularité de produire un champ électrique qui lui permet de mieux percevoir son environnement lorsqu'il se déplace. Frédéric Boyer explique que ce poisson des rivières d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique centrale émet des champs électriques et les reçoit en écho par le biais de la multitude d'électro-récepteurs qui recouvrent sa peau. Cela lui donne la possibilité de reconnaître la forme et la localisation des objets qui l'entourent et il peut donc les éviter même dans une eau totalement sombre. C'est la raison pour laquelle ce phénomène se nomme électrolocation.

Le chercheur nantais avait comme objectif en se lançant dans cette étude du poisson-éléphant de réaliser un robot qui s'inspire de ce sens électrique émissif. La réalité a dépassé ses espérances, puisque c'est toute une flottille de robots autonomes qui a été mise à l'eau en 2019 dans l'arsenal de Venise pour recueillir des données varies dans la lagune à l'environnement menacé. Le succès du projet subCULTron, qui s'est étoffé au point de devenir un consortium scientifique international et pluridisciplinaire, a montré toute l'utilité scientifique que pouvaient avoir des robots bio-inspirés, et bien utilisés.

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Symbolisme :




Arts visuels :


Claude Pierre Perez dans un article intitulé "Biopoésie. Réflexions sur Eduardo Kac et Louis Bec." (Chantiers du poème. Prémisses et pratiques de la création poétique moderne et contemporaine, Peter Lang, 2012) présente une installation liée aux poissons-éléphants :


Cette installation tourne autour d’un petit poisson africain, Gnathonemus Petersii, dit poisson éléphant à cause d’une excroissance en forme de trompe de la mâchoire inférieure. Ce poisson est un poisson électrique : il produit un champ sous la forme d'impulsions d'une durée d'1/3 de milliseconde espacées de façon très irrégulière, de 15 à 400 millisecondes.

Bec, à ce sujet, prend en compte plusieurs choses : d’abord, le voltage est très faible, si faible que les émissions ne peuvent pas être perçues par l'être humain sans le secours de la technique. On a donc là un exemple de cette technozoosémiotique que j’ai citée plus haut. D’autre part, il nous dit que cette espèce existait déjà à une époque où l'Amérique du Sud et l'Afrique, aujourd'hui détachées par la tectonique des plaques, faisaient partie d'un seul continent, nommé Gondwana. Je le cite : « C'est une espèce qui vivait il y a 300.000 ans, quand l'Amérique du Sud et l'Afrique, qui sont aujourd'hui détachées par la tectonique des plaques, faisaient partie d'un seul continent ».

Bec affirme donc : a) que des poissons "cousins" ont été séparés par la dérive des continents ; b) que les signaux électriques qui leur permettaient de converser quand ils formaient une seule population se sont différenciés au point que les décharges électriques ne sont plus synchrones, et donc plus déchiffrables : les Gymnotidés d’Amérique latine et les Mormyridés d’Afrique ne se comprennent plus. Enfin, c) que l’invention d’un signal intermédiaire aurait permis de faire converser de nouveau les mormyriformes et les gymnotidés, ce qui équivaut (dit-il) à une incroyable traduction d'un signal, par l'entremise de la technologie. Reste, conclut Bec, à trouver le moyen pour l'espèce humaine d’engager une conversation avec les poissons électriques. Le seul espoir serait Turing, qui a déchiffré le code secret de la marine nazie… D’où le titre.

Tout ceci est curieux, séduisant, amusant. C’est une belle histoire –une belle fiction. D’abord, l’Amérique du Sud et l’Afrique ne sont pas séparées il y a 300.000 ans ; mais il y a 80 ou 100 millions d’années. Il suit que l’histoire des cousins séparés puis qui se retrouvent et qui se remettent à bavarder par la grâce de la technique est une jolie fable. L'une des caractéristiques du mormyre, disent les zoologistes, c'est la difficulté de faire apparaître une structure ou des constantes dans la succession des impulsions électriques qu'il émet. La succession des impulsions est d'une irrégularité d'autant plus remarquable que les êtres vivants produisent d’habitude des rythmes réguliers. Le mormyre, lui, est un spécialiste de la production de formes aléatoires, et cette capacité est interprétée par Bec comme la manifestation possible d'un code correspondant à un système complexe de communication. Il construit ensuite la fiction d'un décryptage qui nous mettrait en relation avec une entité psychique évidemment très éloignée de nous, d’une rencontre du troisième type dans laquelle l'autre est un petit poisson. La fiction suggère que derrière le flux des impulsions se cache du sens, quel qu'il puisse être, et donc une pensée –une pensée forcément très peu semblable à la nôtre. Le mormyre nous confronterait ainsi aux limites de notre identité biologique et psychique.

Il se trouve cependant que certains chercheurs (Christian Graff, qui étudie depuis des années ce petit poisson si particulier) font l’hypothèse que le champ électrique du mormyre ne renvoie à aucun code, qu’il a essentiellement une fonction perceptive. « Le flux aléatoire des impulsions du mormyre ne relèverait donc pas de la linéarité d'une discursivité signifiante, mais de la multidimensionnalité d'une tactilité élargie ». Alors que la peau nous sépare du monde par une surface qui marque la frontière du dedans et du dehors, le champ électrique du mormyre est un champ sensoriel englobant, dans lequel les objets sont en quelque sorte palpés dans l'épaisseur même d'une peau mouvante qui met au défi de concevoir le sens que peuvent avoir les notions d'intérieur et d'extérieur. Le flux des impulsions, s'il est parfaitement encodable, n'est pas pour autant un code, mais bien plutôt quelque chose qui serait de l'ordre d'une sonde, selon l'expression de Christian Graff.

 

Julie Noirot, autrice d'un article intitulé "L’art du leurre chez les plasticiens du bio art. (In : Cahiers d'anthropologie sociale, 2013, no 1, pp. 110-120) revient sur ce travail :


La discipline « technozoosémiotique » repose explicitement sur une « méthode des leurres », envisagée dans un double sens, métaphorique d’ « éthique fabulatoire » et littéral de création d’artefacts technologiques virtuels fondés sur un principe de simulation artificielle. Louis Bec définit sa méthode en 1986, dans son Manuel du zoosystémicien : elle consiste à « cesser de représenter le vivant, mais plutôt à le fabuler comme une fantasia essata chère à Léonard de Vinci » (Bec, 2008 : 204). Cette approche repose sur ce qu’il appelle une « épistémologie fabulatoire » : « L’activité hypocrisique oblige le zoosystémicien à une construction systématique et machinale de leurres. Des leurres pour leurrer le vivant bien sûr, mais qui le leurrent lui-même en le perdant dans la réalité fascinante de leurs constructions […] » (Bec, 2008 : 205). L’arsenal méthodologique que Louis Bec imagine pour ce faire procède autant d’un protocole scientifique expérimental que d’une attitude esthétique et éthique singulière : une « latitude flottante », « une démarche ondoyante », qui implique un « ensemble complexe mais cohérent […] de comportements physiques et intellectuels », et combine « la sagacité, la précision, la souplesse, la feinte, la ruse, la débrouillardise, le bricolage inventif et computationnel, l’attente patiente et vigilante, le sens d’une certaine opportunité, […] une expérience acquise qui se remet en question » (Bec, 2008 : 205).

Louis Bec a récemment mis en œuvre ces préceptes esthétiques dans l’une de ses installations intitulée En attendant Turing. Présentée en 2006 dans le cadre du Festival « TransGenesis » à Prague, elle met au cœur de son dispositif un leurre artificiel sous forme de poisson virtuel interconnecté via le Web à des poissons réels, et vise moins à « tromper » le visiteur qu’à l’engager à réfléchir aux enjeux et aux implications d’une possible communication inter-espèces. L’installation se présente sous la forme d’une salle d’attente dans laquelle le visiteur est invité à s’asseoir. La pièce comprend un ensemble de mobilier des années 1950, un canapé en cuir, une radio, un lustre, et en son centre un écran LCD dans lequel tourne en rond un petit poisson virtuel, relié – via Internet – à des poissons réels de l’espèce « Gnathonemus Petersii ». La particularité de ces « poissons éléphants » (« Elephant Nose ») est d’être pourvus d’un organe électrique sur le pédoncule caudal leur permettant de communiquer par des décharges électriques dans le milieu aquatique. Les signaux électriques aquatiques sont relayés et transmis par le réseau internet au poisson fabulatoire de l’installation sous la forme de crépitements que le visiteur peut entendre. Poissons réels et poisson artificiel sont donc censés pouvoir communiquer à distance par des signaux électriques en attente d’être décryptés.

Louis Bec fait lui aussi appel de manière littérale et métaphorique à des leurres technologiques pour questionner la conception anthropocentrique de la communication.

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