top of page

Blog

  • Photo du rédacteurAnne

Le Datura



Étymologie :

  • DATURA, subst. masc.

Étymol. et Hist. 1598 (W. Lodewijcksz, Premier livre de l'hist. de la navigation aux Indes orientales par les Hollandois, f. 27 rods Arv., p. 209). Empr., par l'intermédiaire du port. (attesté dep. 1563, Garcia da Orta ds Dalg.), au skr. dhattūra. A été vulgarisé en fr. par l'intermédiaire du lat. sc. des droguistes et herboristes (v. Arv., pp. 208-213).

  • STRAMONIUM, subst. masc.

Étymol. et Hist. 1572 strammonia subst. fém. (Du Pinet, trad. Commentaires de Mattioli, p. 396 ds Arv., p. 463 ; trad. du lat. stramonia, 1554) ; 1602 stramonium subst. masc. (Colin, Hist. des Drogues, trad. du lat. de l'Escluse, p. 475, ibid. ; le texte lat. corresp. dans l'éd. de 1593 porte stramonia) ; 1686 stramonie subst. fém. (Dapper, Description de l'Afrique, trad. du néerl., p. 81, ibid.) ; 1776 stramoine subst. fém. (Valm. ds Fr. mod. t. 33, p. 231). Du lat. des bot. stramonia, stramonium d'orig. inc. (FEW t. 21, p. 183a-b). Le n. de cette plante apparaît pour la 1re fois dans un texte cat. dont l'aut. est mort en 1462, sous la forme estremoni (Alc.-Moll., s.v. estramoni). Il est ensuite att. sous la forme lat. stramonia chez Tragus, De stirpium... (1552), chez Matthioli, Commentarii, p. 476 (1554), chez Dodoens, Hist. des plantes, p. 299 (1557). Stramonium semble s'imposer assez vite : il est préféré par Colin (1602).


Lire aussi les définitions de datura et stramoine pour amorcer la réflexion symbolique.


Autres noms : Datura stramonium ; Belladone-épinard ; Chasse-taupe ; Châtaigne puante ; Concombre zombi ; Endormeuse ; Endormie ; Herbe à la forçure ; Herbe à la taupe ; Herbe aux diables ; Herbe aux fous ; herbe aux maléfices ; Herbe aux sorciers ; Herbe aux sorcières ; Herbe aux taupes ; Herbe des démoniaques ; Herbe des magiciens ; Herbe des magiciennes ; Herbe du Diable ; Piège du diable ; Pomme-épineuse ; Pomme poison ; Putt-putte ; Saute-moine ; Stramoine commune ; Striss-moine ; Tête de hérisson ; Trompette de la mort ; Trompette des anges ;

*

*




Botanique :


Dans Les Langages secrets de la nature (Éditions Fayard, 1996), Jean-Marie Pelt s'intéresse à la communication chez les animaux et chez les plantes, ici en particulier à l'association du poisson-globe et de la datura dans les rites vaudous :

Quand le zombi à « ressusciter » est extrait de sa tombe, on lui administre immédiatement - puis encore le lendemain - une pâte à base d'une plante banale mais redoutable, le datura, très suggestivement baptisé là-bas « concombre zombi ». Il se trouve d'ailleurs qu'en Nouvelle-Calédonie, les feuilles d'une plante voisine du datura et de composition presque analogue, le duboisia, sont utilisées comme antidote des toxines du poisson-globe. Le secret des vaudous a donc été aussi découvert par les Canaques ! Grâce à l'atropine et surtout à la scopolamine qu'il contient, le datura secoue et réveille le cataleptique, produisant de surcroît dans son cerveau malmené une sorte de délire aux mille visions. Mais, tout cela, il l'oubliera bien vite, car les feuilles de datura produisent en même temps un état d'abrutissement et d'amnésie particulier qui contribue activement à la « zombification », laquelle se manifeste par l'abolition de la volonté et de la mémoire.

Dans le monde entier, le datura est perçu comme « la plante qui rend fou ». Il s'agit en fait d'un végétal toxique très puissant dont l'une des substances actives, la scopolamine, n'est rien d'autre que le fameux « sérum de vérité » des films d'espionnage. Ce que l'on sait moins, c'est la propriété des feuilles de datura d'envaser la mémoire à cause de la présence d'une substance spécifique isolée il y a peu (un peptide).

Voici donc une composition animale et végétale superbement concoctée pour réduire à néant un individu destiné désormais à vivre en esclave. en fait, deux toxiques suffisent : la tétrodotoxine du poisson-globe et le datura ; les poisons d'accompagnement ne jouent qu'un rôle secondaire.

[...]

Le dévoilement des formules des initiés vaudous incite tout naturellement à jeter un coup d'œil sur les plantes et techniques utilisées par les sorciers d'Europe durant le Moyen Âge et sans doute encore, ici ou là, de nos jours. On y retrouve en priorité - sinon en exclusivité - les cousines et cousins du datura qui forment entre eux une large parentèle appartenant tout entière à la famille botanique des solanacées. [Belladone ; Jusquiame ; Datura lui-même ; Mandragore]

Tous ces végétaux peuvent entrer dans les mixtures et onguents des sorciers, car leurs compositions chimiques sont presque similaires, de même d'ailleurs que leurs propriétés pharmacologiques. Une intoxication par l'une ou l'autre de ces solanacées, éléments de base des pharmacopées infernales, se manifeste par une augmentation du diamètre de la pupille, la mydriase, qui signe avec une quasi-certitude l'origine et la nature du poison.

*

*

Dans Petit Grimoire : Plantes sorcières, Les Sortilèges (Éditions « Au bord des continents... », mars 2019, sélection de textes extraits de Secrets des plantes sorcières) Richard Ely présente ainsi le Datura :


On peut affirmer que cette Solanacée a tout fait pour qu'on la repère parmi les autres plantes. Une belle herbe grandissant jusqu'à parfois dépasser le mètre depuis sa racine pivotante, de larges feuilles aux dents inégales et pointues. Des fleurs blanches à corole soudée en les faisant ressembler à des extrémités de trompettes, visibles de juillet à octobre. Un fruit gros comme une noix, couvert de longs aiguillons. Une odeur fétide, enfin, au cas où vous douteriez encore de son mauvais caractère. Car le datura affirme haut et fort son statut de plante la plus toxique des Solanacées, famille pourtant connue pour sa dangerosité.

Les alcaloïdes tropaniques qu'il contient poussent au mieux à de folles hallucinations, au pire à une mort horrible. Il suffit de dix mg d'atropine pour que la dose soit mortelle. Tout cela n'a pas empêché son usage dans de nombreux rituels tout comme son emploi dans la médecine pour lutter contre les névralgies, les spasmes, les troubles nerveux, l'asthme.

Des pratiques telles que fumer ses feuilles, les infuser ou ingurgiter ses graines, ont mené bien des hommes à la folie ou à la mort. Peu commun, on le rencontre néanmoins un peu partout en France, dans les décombres et sur les rives.

*

*




Propriétés médicinales :


Selon Alfred Chabert, auteur de Plantes médicinales et plantes comestibles de Savoie (1897, Réédition Curandera, 1986) :


La Belladonne, la Jusquiame, la Stramoine et la Digitale à grandes fleurs, digitalis grandifloris, ont parfois aussi administrées pour provoquer le sommeil, mais c'est presque toujours ans un but criminel. Peu de gens en Savoie sont instruits des propriétés vénéneuses de la Stramoine, dont l'apparition çà et là dans les terrains vagues et dans les terres remuées près des habitations ne m'a jamais paru bien spontanée.

 

D'après Marc Questin, auteur de La Médecine druidique (1990, nouvelle édition inchangée 1997),


"Les propriétés narcotiques de cette plante à fleurs pourpres, de la famille des solanacées, sont connues et appréciées en Inde depuis la Préhistoire. La datura (ou stramoine) a également une longue histoire dans d'autres pays. Cette plante élevée et vigoureuse croît dans les lieux incultes et sablonneux. Certains auteurs croient qu'elle serait responsable de la fumée narcotique qui entourait l'oracle de Delphes. En Chine, cette plante était sacrée. Les Chinois croyaient que lorsque Bouddha prêchait, le ciel jetait des gouttes de rosée sur la plante.

Plante vénéneuse très dangereuse, la datura était connue des druides qui l'utilisaient sous forme de breuvages et de philtres destinés à guérir les convulsions et les crises épileptiques. Connue en Europe depuis l'Antiquité, sorciers et sorcières l'utilisaient comme narcotique et la plante faisait partie, avec le manche à balai et le hibou, de la panoplie classique du parfait sorcier. La plante contient des alcaloïdes hautement toxiques, dont le principal est la scopolamine. Cet hallucinogène est présent en concentration élevée dans les feuilles et les graines.

On utilise la datura comme narcotique et antispasmodique. Elle agit un peu comme la belladone, mais se montre plus toxique. Sédatif du système nerveux central, on l'a vantée dans les convulsions, l'épilepsie, le parkinsonisme, la manie, les névralgies et les rhumatismes.

On utilise aussi les feuilles, en poudre et en cigarettes, contre l'asthme. Elles entrent toujours dans la composition de l'huile de jusquiame composée, appelée plus souvent "baume Tranquille". L'huile préparée avec les feuilles était jadis renommée contre les hémorroïdes, les brûlures, les douleurs."

*

*




Historique des empoisonnements dus à la stramoine :


Nicolas Simon, dans une thèse intitulée Le poison dans l’histoire : crimes et empoisonnements par les végétaux et soutenue à la faculté de pharmacie de Nancy, (Sciences pharmaceutiques. 2003. ffhal-01732872f) nous rappelle les cas d'empoisonnement les plus fameux dus à cette plante :


La stramoine est la plus dangereuse des solanacées toxiques : toutes ses parties sont très vénéneuses et surtout les graines.

Le nom de stramoine signifie «qui porte la colère, qui rend furieux », du fait des hallucinations impressionnantes qu'elle peut provoquer; ce qui a fait le bonheur de bon nombre de toxicomanes.

Lors d'une intoxication, la mydriase est maximale, le pharynx se sèche et se resserre: la soif devient intense et la déglutition impossible. L'insomnie est de règle, on note aussi des nausées et des vomissements et un besoin impérieux d'uriner qui ne peut être satisfait, la force musculaire est diminuée. Lorsque l'issue doit être fatale, le coma succède au délire et la mort survient précédée d'un refroidissement.

La potentialité de stupéfiant de cette plante, due à la grande quantité de scopolamine qu'elle contient en comparaison avec les Solanaceae classiques, a fait qu'elle a été utilisée sous le nom d' « endormeuse » par des malfaiteurs soucieux d'assoupir leurs victimes pour mieux les détrousser. A Paris, au 18ème siècle, les « Endormeurs» offraient aux passants des prises de tabac contenant du datura. A Montpellier, c'était du vin mélangé d'une décoction de la plante qu'un couple d'aubergistes proposait aux voyageurs; bien sûr, si la dose était trop forte, leur voyage s'arrêtait là.

En 1970, des délinquants colombiens ont appris à isoler la scopolamine des fruits de Datura arborea L. , cet alcaloïde mal utilisé constituait un poison terrifiant et criminel car il avait le pouvoir d'hypnotiser et de faire perdre la mémoire. Ils ont utilisé ce poison durant de nombreuses années.


« En 1994, 15 à 20 patients arrivent en urgence à l'hôpital Kennedy de Bogota, drogués, ne se souvenant absolument pas de ce qui a pu leur arriver et, le plus souvent, dépouillés de leur argent et de leurs bijoux, voire violés. Le poison qu'on leur a fait ingurgiter, fabriqué à base de scopolamine et/ou de benzodiazépines, est une véritable spécialité colombienne qui n'a étrangement jamais ou rarement dépassé ses frontières. Le docteur Camille Uribe de la clinique de toxicologie de Bogota la décrit comme « la drogue idéale » : la victime accepte de faire ce qu'on veut d'elle, puis ne se souvient ni des faits, ni des agresseurs. C'est une hypnose chimique parfaite qui peut entraîner tous les délits, notamment le viol et les abus sexuels, qui sont le plus courant, mais aussi d'autres crimes. Car certains l'utilisent comme un sérum de vérité comparable au penthotal, expérimenté pendant la seconde guerre mondiale. »


En 1980 une famille dijonnaise a été intoxiquée par une conserve de haricots verts « mange-tout » dans laquelle on a trouvé un plant de stramoine (les malades l'avaient ingéré en croyant qu'il s'agissait d'une amélioration de la présentation du produit) et c'est la confusion des feuilles de l'espèce Datura innoxia avec celle des épinards qui faillit coûter la vie aux premiers colons installés à Jamestown en Virginie en 1676.

Plus proche de nous, en 1992, le centre anti-poison de Rennes enregistrait cas d'intoxications liés à l'absorption en infusion de poudres pour fumigation ou de cigarettes Louis Legras® (présentées comme sédatives de l'asthme) entraînant des hospitalisations avec de sévères symptômes d'intoxications atropiniques. Ceci a conduit les pouvoirs publics français à retirer ces spécialités du marché et à les supprimer du formulaire national.

*

*




Symbolisme :


Louise Cortambert et Louis-Aimé. Martin, auteurs de Le langage des fleurs. (Société belge de librairie, 1842) nous livrent leur vision de cette petite fleur :


Été - Août.

DATURA - CHARMES TROMPEURS. Souvent, arrêtée par la mollesse, une indolente beauté languit tout le jour et se cache aux rayons du soleil. La nuit, brillante de coquetterie, elle se montre à ses amants. La lumière incertaine des bougies, complice de ses artifices, lui prête un éclat trompeur ; elle séduit, elle enchante. Cependant son cœur ne connait plus l'amour, il lui faut des esclaves, des victimes. Jeune homme imprudent, fuyez à l'approche de cette enchanteresse ; pour aimer et pour plaire la nature suffit, l'art est inutile. Celle qui l'emploie est toujours perfide et dangereuse. Les fleurs du datura, semblables à ces beautés nocturnes, languissent sous un feuillage sombre et fané, tant que le soleil nous éclaire. Mais, à l'entrée de la nuit, elles se raniment, déploient leurs charmes, et étalent ces cloches immenses que la nature a revêtues de pourpre doublée d'ivoire, et auxquelles elle a confié un parfum qui attire, qui enivre ; mais qui est si dangereux qu'il asphyxie, même en plein air, ceux qui le respirent.


STRAMOINE COMMUNE - DÉGUISEMENT.

.Autrefois, pendant le carnaval, le peuple se couvrait le visage des larges feuilles de la Stramoine commune.

 

Dans Les Fleurs naturelles : traité sur l'art de composer les couronnes, les parures, les bouquets, etc., de tous genres pour bals et soirées suivi du langage des fleurs (Auto-édition, Paris, 1847) Jules Lachaume établit les correspondances entre les fleurs et les sentiments humains :


Stramoine - Déguisement.

De la famille des daturas. Les daturas, sous leurs belles fleurs violacées et odorantes, cachent tous un violent poison.

*

*

Jules Lachaume dans son Langage emblématique des fleurs, d'après leurs qualités, leurs mœurs, leurs habitudes et d'après la tradition des Anciens (Paris, 1847) cherche à rationnaliser le langage des fleurs traditionnels :

Le stramoine n’exprimera pas, à mes yeux, le déguisement parce que les anciens se déguisaient avec cette plante, mais bien à cause du poison qu’il cache sous la beauté et l’odeur de ses fleurs.



Datura - Charme trompeur.

Le datura, dont la fleur est si jolie et a une odeur si agréable, est un violent poison par son fruit.

 

Dans son Traité du langage symbolique, emblématique et religieux des Fleurs (Paris, 1855), l'abbé Casimir Magnat propose une version catholique des équivalences symboliques entre plantes et sentiments :


HERBE AUX SORCIERS - AVENIR.

Ne comptez pas sur l'avenir, car vous ne savez pas ce qui vous arrivera demain.

Proverbes. XXVI, 1.

La pensée inquiète de l'avenir égare quelquefois la raison. -

Ecclésiastes. XXXI, 2.

L'herbe aux sorciers est une espèce de datura ou stramoine qu'il ne faut pas confondre avec le datura en arbre dont nous avons parlé plus haut, et avec lequel il a les plus grands rapports.


RÉFLEXION.

Le passé n'est qu'un songe ; le présent nous échappe dans le clin d'œil où nous voulons le voir ; l'avenir n'est point à nous, peut-être n'y sera-t-il jamais, et quand il y serait, qu'en faudrait-il croire ? Il vient, il s'approche, le voilà ; il n'est déjà plus, il est tombé dans cet abîme du passé où tout s'engouffre et s'anéantit.

(FÉNELON, Entretiens affectifs.)


STRAMOINE FASTUEUSE - SOUPÇON.

Soyez miséricordieux comme votre père est miséricordieux. Ne jugez pas et vous ne serez pas jugé , ne condamnez pas et vous ne serez pas condamné. Remettez et l'on vous pardonnera. Luc VI, 36.

*

*

Emma Faucon, dans Le Langage des fleurs (Théodore Lefèvre Éditeur, 1860) s'inspire de ses prédécesseurs pour proposer le symbolisme des plantes qu'elle étudie :


Trompette du jugement dernier - Éternité.

On appelle ainsi la fleur du datura fastueux dont l'immense corolle, blanche en dedans et violette en dehors, a la forme de l'une de ces trompettes que sonnent les anges, dans les tableaux de sainteté, lorsqu'ils appellent les âmes à comparaître au jugement du Très-Haut.

 

Dans son Nouveau Langage des fruits et des fleurs (Benardin-Béchet, Libraire-Éditeur, 1872) Mademoiselle Clémentine Vatteau poursuit la tradition du Sélam :

DATURA : Charmes trompeurs.

Son parfum est suave, mais il est dangereux de le respirer.

*

*

Jacques Lefrêne (pseudonyme d'Elie Reclus), auteur de Physionomies végétales, Portraits d'arbres et de fleurs, d'herbes et de mousses (In : La Science sociale, 1er avril-19 août 1870 ; Éditions Héros-Limite, 2012) s'appuie sur la description botanique de la plante pour en déduire des traits symboliques :


Vous l'avez vue, vous l'avez remarquée un peu partout, et surtout aux extrêmes de la civilisation. Elle abonde dans ces chemins inconnus du cantonnier, qui vont du ravin à la colline en passant par le marais, qui tantôt sont étranglés entre des rochers ou deux pièces de vigne, et tantôt s'épandent en un pâtis communal où la vieille conduit sa chèvre, où les petites filles mènent leurs troupeaux d'oies. Vous l'avez aperçue mille fois aux bords sablonneux des rivières : sur ces chemins de halage où la foulent les bœufs et les chevaux, où les cordes des bateaux l'éraflent et l'écorchent. Les laboureurs se plaignent de ne pouvoir l'extirper ; ils la détestent et la proscrivent.

Elle est d'une taille qui varie du simple au vingtuple. Telle tige grossit comme le bras, telle autre comme le petit doigt. Tel individu, végétant misérablement à quelques décimètres de hauteur est le frère germain d'une superbe plante que les hasards des vents et de la destinée ont implantée dans un sol luxuriant et riche. Les feuilles sont tantôt larges, molles et grasses, d'un vert chimico-bleuâtre, avec des nervures tirant sur le jaune, tantôt d'un vert clair. Aigres, osseuses, toute leur substance se concentre alors en aiguillons d'acier. Au bout du calice, pend une espèce de filtre dentelé, long, blanc, pur, auquel nos paysans du Midi ont donné le nom de « Trompette du jugement dernier ».

La Stramoine étonne plutôt qu'elle n'attire : son aspect ne prévient pas en sa faveur. Autour d'elle, planent de vagues exhalaisons vireuses qui la rendent suspecte, mais qui, facilement, deviennent pénétrantes et suaves. Un seul Datura d'Égypte embaume tout un jardin. Tant il est vrai que puanteur et parfum peuvent n'être qu'un même principe odorant, plus ou moins intense et développé, ou perçu différemment par nos sens. Tant il est vrai que vices et vertus sont des passions atrophiées ou hypertrophiées, suivant la doctrine de Fourier, que nous tenons pour la plus grande découverte que le XIXe siècle ait formulée dans le domaine moral, tant il est vrai qu'un défaut n'est que l'envers d'une qualité. Quoi qu'il en soit, qu'il s'agisse de parfum ou d'infection, quand il fait chaud, l'odeur de la pomme épineuse entête le promeneur et même lui donne des vertiges. Les feuilles et les semences produisent divers effets sur les divers tempéraments : vomissements, hallucinations, troubles du cerveau, assouplissement, léthargie et quelquefois la mort. Ces énergies de la plante ont été mises à profit par des scélérats, connus dans le répertoire des causes célèbres sous le nom de Compagnie des endormeurs. Ils mêlaient au Tabac du Datura en poudre, l'offraient aux passants avec lesquels ils entamaient conversation, et dès qu'ils les voyaient endormis ou délirants, les dépouillaient à leur aise.

La Stramoine (stramonium, décomposition du grec strychnos, strychnine, poison terrible qui fait périr dans des convulsions et tue les nerfs de la sensibilité, comme le Curare tue les nerfs du mouvement), la Stramoine était en grand honneur pendant les siècles ténébreux du Moyen Âge. connue alors sous le nom arabe de Tatorrha, dont on a fait Datura, elle ne parvenait en Europe que par les voies souterraines ; un mécréant du Caire ou de Damas l'expédiait secrètement à quelque nécromant de Séville ou de Cordoue qui, à grand'peine et à travers mille hasards, la faisait parvenir aux adeptes de Paris, Prague, Cologne ou Regensbourg. Les sorcières bouillaient dans leur chaudière l'herbe de maléfice avec des baves de chien enragé, des foies de vipères, de la graisse d'enfant et des yeux de crapaud. Dans leurs incantations sépulcrales, les pythonisses la brûlaient avec la mandragore sur une plaque de fer rougie. Cette drogue perverse entrait comme principal ingrédient dans les subtiles compositions des empoisonneuses italiennes, dans les recettes du sabbat, dans les affreux mystères de la Magie Noire ; elle était indispensable dans les incantations aux génies infernaux ; c'est à elle qu'on doit les visions du Brocken et de la nuit de Walpurgis. De là ces appellations encore populaires d'Herbe du Diable, des magiciens ou des démoniaques.

Poison perfide, la Datura stramonium provient d'une semence d'iniquité, qu'au coup de minuit le Seigneur Belzébuth a jetée dans un cimetière. Elle a levé, la mauvaise graine, elle a poussé, elle a prospéré, malgré l'horreur et la haine qu'elle inspirait. L'abbé Rozier recommandait à tout passant de fouler aux pieds et d'écraser cette tige criminelle, et d'en brûler les graines de malheur. Malgré l'abbé, la plante a vécu et s'est largement répandue.

D'origine patricienne - n'est-elle pas fille de l'enfer ? - ayant pour chef de famille la Datura fastueuse, elle a su accepté la pauvreté et l'indigence. Les terrains secs, brûlés, sablonneux, stériles, dont les autres plantes ne veulent point, elle les prend gaiement, y pousse une tige forte, des feuilles vertes et vigoureuses et fait progéniture. Faute de mieux, car elle s'accommode certes des terrains gras et humides, où elle s'étale luxueusement, se faisant pompeuse et magnifique.

Douée d'une vitalité puissante, elle aime à lutter pour l'existence, elle se tire d'affaire toute seule, s'adapte aux circonstances et agit pour le mieux. S'acclimatant dans des zones très diverses, aux Indes comme en Europe, en Amérique comme en Arabie, elle reste elle-même, au Nord comme au Midi, dans l'abondance comme dans la disette, qu'on l'appelle la naine ou la fastueuse. Mieux que sa cousine, l'empoisonneuse Médée, elle peut dire : « Moi ! » Individualité forte autant que souple, tout lui suffit, car elle se suffit à elle-même. Qu'on l'aime ou qu'on la déteste, il faut la respecter et compter avec elle, qui se prête à son milieu pour le dominer. C'est être supérieur à sa destinée que lui être toujours égal. Que désire le sage ? Être toujours soi, et toujours en harmonie avec le monde ambiant.

Et voyez ce que valent les jugements de la foule et la considération du vulgaire ! La Stramoine qui végète avec peine dans un sol aride et qui élève sa tête modeste à côté du sentier poudreux, on la traite de scélérate et d'empoisonneuse, on la hait. C'est qu'il s'agit de la petite espèce. mais quant à la Grande Datura, dans les parcs des riches, dans les squares de Paris, de Londres ou de Vienne, c'est bien différent ! Comme on se presse autour d'elle, comme on s'écrie : « Admirez ce port d'impératrice, cette élégante opulence ! Que de blancheur aristocratique et quel parfum distingué ! »

*

*

Pour Scott Cunningham, auteur de L'Encyclopédie des herbes magiques (1ère édition, 1985 ; adaptation de l'américain par Michel Echelberger, Éditions Sand, 1987), le Datura stramoine (Datura stramonium) a les caractéristiques suivantes :


Genre : Féminin

Planète : Saturne

Élément : Eau

Pouvoirs : Désensorcellement ; Sommeil ; Protection ; Expériences psychiques occultes.

Parties toxiques : Toute la plante.


Toutes les parties du Datura sont extrêmement vénéneuses et contiennent des alcaloïdes très toxiques. Une dose légère provoque des vertiges, des hallucinations, des troubles visuels et agit violemment sur la circulation. La pression artérielle grimpe en flèche, toutes les sécrétions du corps s'accentuent. Une dose un peu forte est mortelle.

Selon Homère, la coupe de Circé renfermait une drogue, extraite de l'« herbe aux vertiges », qui avait le pouvoir de transformer les hommes en bêtes...

Calchus, roi des Dauniens, assaillait la magicienne de ses demandes, pour la connaître davantage, mais surtout pour en apprendre les secrets de la magie. Circé fut diaboliquement adroite pour se débarrasser de l'envahissant monarque. Elle l'invita à un festin. Calchus accourut, enchanté. Il fut reçu avec les honneurs dus à son rang. La conversation allait bon train autour de mets aussi séduisants que trompeurs car, tout à coup, le roi Calchus devint livide, la coupe lui tomba des lèvres ; il poussa même des grognements tels que Circé le relégua honteusement avec des pourceaux. La perfide magicienne, à qui le roi des Dauniens avait eu l'imprudence de poser des questions probablement indiscrètes, lui avait fait servir un vin traité au Datura.

Varron, cité par saint Augustin, dit que les magiciennes d'Italie, attirant dans leur campement le voyageur trop confiant, lui faisaient prendre dans du fromage une poudre d'herbe Stramoine qui les changeait en bêtes de somme. Elles les chargeaient de leurs bagages. Le voyage fini, elles lui rendaient sa première forme. Cette tradition a sans doute une origine commune avec celle de Circé.

Le Datura était bien connu au Moyen-Orient dans toute l'Antiquité. Les prostituées romaines de bas étage l'utilisaient pour plonger leurs clients dans un sommeil léthargique, qui leur permettait de les dévaliser à leur aise. Elles leur servaient à boire un capiteux vin de Crète ou de Chypre dans lequel elles avaient fait infuser des graines de Stramoine, finement pulvérisées. Les mères elles-mêmes diluaient cette poudre dans du lait ou de la bouillie pour endormir leurs jeunes enfants et obtenir la tranquillité !

Plus tard, sur les deux rives de l'Adriatique, en Italie comme en Dalmatie et au Montenegro, des bandits connus sous le nom d'endormeurs continuèrent la tradition des péripatéticiennes : ils se servaient eux aussi de la Stramoine pour dévaliser les voyageurs et violer leurs femmes. Pour arriver à leurs fins, ils leur faisaient absorber une infusion de cette plante dans un breuvage quelconque, ou bien encore ils offraient aux voyageurs du tabac contenant du Datura.


Utilisation rituelle : Pendant de longs siècles, les plantes de la famille Datura ont été utilisées dans les pratiques chamaniques. Presque tous les rites magiques animistes amérindiens avaient recours aux propriétés hallucinogènes de la Stramoine pour provoquer la transe. Déjà sacrée chez les Aztèques, la plante l'est encore de nos jours parmi les tribus du Nouveau-Mexique, de l'Arizona et des régions désertiques au sud du Rio Grande.

Carlos Castaneda fait plusieurs fois allusion au Datura dans ses récits ésotériques bien connus : les Enseignements d'un sorcier yaqui et le Diable et la petite fumée (Carlos Castaneda, Les Enseignements d'un sorcier yaqui, Paris, Gallimard, 1973 ; L'Herbe du diable et la petite fumée, Paris, Union générale d'éditions, 1977 ; Le Voyage à Ixlan, Paris, Gallimard, 1974).


Utilisation magique : Répandus autour de la maison, les fruits du Datura (les petites « pommes du Diable ») combattent les envoûtements. Ils éloignent aussi les esprits malfaisants.

Souffrez-vous d'insomnie rebelle dont rien n'est venu à bout ? Il convient alors de placer sept feuilles de Datura dans votre chaussure gauche, et sept demi-feuilles dans celle de droite. Au moment de vous coucher, rangez les deux chaussures côte à côte sous le lit, les pointes dirigées du côté du mur le plus proche.

Des feuilles glissées sous le chapeau protègent de l'insolation. Citons pour mémoire les innombrables « tisanes médiumniques » et autres préparations hallucinogènes à base de Datura ; il en existe plusieurs centaines de recettes. La plupart sont dangereuses. Et ce n'est pas dans un ouvrage comme celui-ci qu'il faut les chercher.

« Deux sorcières ayant mis à part deux bouteilles en l'hostellerie où elles étaient arrivées, comme l'hoste les eut entendu parler de faire mourir les bleds et les vignes avec la liqueur Stramoine, il prit les deux bouteilles et versa la mauvaise liqueur sur le lit où elles estoient, et soudain elles moururent ».

*

*

Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont S.A.S., 1995, 2019) proposé par Éloïse Mozzani, on apprend que :


La datura, appelée "herbe aux sorciers" ou "herbe des magiciens", qui contient des alcaloïdes très toxiques, peut provoquer malaises, vertiges, hallucinations, et même entraîner la mort. Son caractère vénéneux en fait une plante très appréciée des mages noirs. Circé, dans L'Odyssée d'Homère, s'en servit pour composer le philtre destiné à transformer les compagnons d'Ulysse en pourceaux. De même, saint Augustin, citant Varron, rapporte que "les magiciennes d'Italie, attirant dans leur campement le voyageur trop confiant, lui faisaient prendre dans du fromage une poudre d'herbe stramoine qui le changeait en bête de somme. Elles le chargeaient de leurs bagages. Le voyage fini, elles lui rendaient sa première forme".

La datura jouait et joue encore un grand rôle dans les rites chamaniques et vaudous tandis que les Aztèques en avaient fait une plante sacrée : "Elle l'est encore de nos jours parmi les tribus du Nouveau-Mexique, de l'Arizona et des régions désertiques au sud du Rio Grande".

Utilisée par les sorciers du Moyen Âge pour provoquer des visions fantastiques, la stramoine conserve ses pouvoirs terrifiants au début du XXe siècle : selon une croyance savoyarde, si on en frotte les sourcils d'une personne, "celle-ci verra devant elle un grand entonnoir un tourbillon où l'eau s'engouffre. Sainte d'effroi, elle tournera sur elle-même à la même place pour ne pas tomber dans cet abîme". Certains bergers de l'époque affirmaient aussi que personne ne pouvait sorti d'un cercle tracé sur le sol avec une stramoine, sauf si celui qui l'avait dessiné l'autorisait.

Le pouvoir d'endormissement de l' "herbe aux sorciers" - longtemps utilisé à mauvais escient : les prostituées romaines de l'Antiquité servaient à leurs clients du vin contenant des graines de la plante pour les voler en toute tranquillité - est si puissant qu'il suffit, pour tomber dans les bras de Morphée, déplacer ses chaussures sous le lit, le pointe dirigée vers le mur le plus proche, celle de gauche contenant sept feuilles de datura, celle de droite sept demi-feuilles.

Des fruits de datura, ou "pommes du diable", répandus autour de la maison tiennent à distance les esprits malfaisants et les maléfices.

Dans la tradition tzigane, quand une femme tombe malade, on glisse sous ses vêtements de la semence de la plante, censée la protéger contre les démons des maladies.

Dans la Drôme, une jeune fille qui touche de la stramoine aura un mari boiteux.

*

*

Selon Véronique Barrau et Richard Ely, auteurs de Les Plantes des Fées et des autres esprits de la nature (Éditions Plume de Carotte, 2014),


"Le jilgré des Bretons n'est autre que la stramoine puissamment hallucinogène. quelques graines et on voit des fées de partout !

En Bretagne, on connaît encore le jilgré comme plante d'oubli. Mais cette fois, les fées ne semblent pas être à l'origine magique de l'effet d'égarement. Car le jilgré n'est autre que la stramoine dont la consommation de graines provoque des hallucinations. Quoi qu'il en soit, le Breton qui goûte ou marche sur l'herbe d'oubli risque d'être emmené par les korrigans pour entrer dans leurs rondes et danser jusqu'à l'épuisement le plus total. Son corps inerte sera sans nul doute retrouvé au petit matin, abandonné sans vie au bord d'un champ."

*

*

Selon Sophie Ékoué, auteure de Sagesses africaines (édition Hachette, 2016) :


La datura est appelée "l'herbe aux sorciers". Tous les guérisseurs et tradi-praticiens africains utilisent dans les rituels de désenvoûtement cette plante, qui dégage une forte odeur camphrée lorsqu'on froisse ses feuilles. Elle pousse dans les petites forêts étagées à l'ombre des grands arbres. Pour prélever ses feuilles les hommes lui demandent la permission en prononçant des formules secrètes. Ce que l'ethnologue Pierre Verger Fatumbi appelle les "incantations- jeux de mots". On l'utilise dans les traitements médico-magiques ou le traitement des maladies mentales. Selon les vieux, sa fumigation purifie la maison, chasse les mauvais esprits.


Planter la datura chez soi ? La plante a voyagé dans le monde, elle est désormais plantée dans les appartements, mais sa vente est passible d'amende et de peine d'emprisonnement. A cause des effets hallucinogènes qu'elle produit, elle est considérée comme un stupéfiant.


Undlelazimhlope, la plante à rêves. Undlelazimhlope veut dire "chemin blanc". Un mythe xhosa décrit ce "chemin blanc" comme la route que veulent emprunter les hommes qui souhaitent devenir des devins. Les rites impliquent de boire un écumeux brassage fait à partir de la plante, qui permet aux initiés de voyager vers le royaume des rêveurs, "sous le fleuve".


Plante d'Afrique du Sud, Silene capensis est connu en Occident sous le nom de "racine à rêves africaine". Elle est censée provoquer un sommeil régénérateur mais peuplé de rêves intenses, parfois lucides. Elle est consommée depuis longtemps par les Xhosa, qui la considèrent comme sacrée, pendant des rituels spirituels et chamaniques. Les rêves provoqués seraient de nature prophétique."

*

*

Dans Petit Grimoire : Plantes sorcières, Les Sortilèges (Éditions « Au bord des continents... », mars 2019, sélection de textes extraits de Secrets des plantes sorcières) Richard Ely précise les propriétés magiques du Datura :

Trompette de la mort : Malgré son surnom de trompette de la mort, donné à cause de la forme de ses fleurs, c'est à bien d'autres usages que les sorcières de ce monde emploient le datura stramoine. Le plus connu des sortilèges de cette plante, appelée aussi l'herbe du diable, l'herbe aux sorcières ou encore l'herbe aux magiciennes, est celui qui brise la volonté de tout homme l'ingurgitant. Voilà bien chose utile lorsqu'on est par exemple une enchanteresse coquine désirant soumettre son partenaire à des pratiques inavouables. L'aphrodisiaque que voilà ne vise nullement à partager le plaisir. Non, c'est pour les desseins de l'ignoble mégère seule que la boisson est versée dans quelque vin ou bière présenté au compagnon d'une vie ou d'un soir. Le malheureux s'adonne alors aux jeux érotiques de la diablesse avant que l'aube ne le cueille, éreinté, et qu'au petit matin il ne s'éveille, la belle à ses côtés, tout sourires. Lui, n'ayant plus en mémoire aucun des détails de la sulfureuse nuit de luxure passée en compagnie de la sorcière. Le même stratagème servait déjà les prostituées romaines qui glissaient quelques graines de stramoine dans le vin destiné à leurs clients. Une fois leur breuvage englouti, c'était leur argent qui l'était par les belles de nuit.

Plus ignoble encore, la sorcière use de ce stratagème pour que sa victime commette sacrilèges et vilenies. Plus d'un homme a entendu les cognements de la maréchaussée à sa porte et a vu les fers se refermer sur es poignets sans être capable de se souvenir du moindre des faits qui lui étaient reprochés. Il les découvre alors, horrifié, lors de son procès. Les preuves sont accablantes, les témoins nombreux et, de fait, c'est bien lui qui a commis l'ignominie susurrée à son oreille par la sorcière, maîtresse de son esprit.


Pomme poison : Le fruit du datura stramoine prend l'allure d'une pomme épineuse. Tonique elle permet aussi d'écarter de son habitation démons et sortilèges. Il vous suffira d'en déposer autour de votre maison, au pied des murs, pour vous assurer de sa protection.


Signature : Saturne.

*

*




Symbolisme celte :


Pascal Lamour, auteur de L'Herbier secret du Druide, des plantes pour les hommes et les esprits (Éditions Ouest-France, 2017) fait le point sur ses recherches :


Quelques plantes du troisième monde : Belladone - Datura - Morelle noire - Bryone


Ces plantes sont connues du monde antique et celtique, mais regardées avec distance, d'abord à cause de leur odeur désagréable et repoussante, mais surtout du fait de leur toxicité. Leur manipulation complexe était réservée aux officiants expérimentés et les sorcières du Moyen-Âge ont souvent cru en prolonger les capacités. C'était-là très mal connaître les croyances traditionnelles où jamais un druide n'aurait séparé les trois mondes dans lequel se mouvait obligatoirement une plante de ce groupe.

[...] Le troisième monde est généralement oublié dans la démarche phytothérapeutique contemporaine ; ce n'est ni son objet ni sa recherche. Elle ne s'intéresse guère qu'au premier monde (l'aspect du corps).


La saisonnalité Samain : De nombreuses discussions ont eu cours autour de ces plantes, et des Solanacées en général, certains allant même jusqu'à affirmer qu'elles ont été importées très tardivement dans l'ancien monde et qu'elles étaient inconnues dans l'Antiquité. Il y a deux mille ans, les gens et les idées voyageaient déjà, et les arguments discutés tant en matière médicale que philosophique étaient comparables à ceux que nous manions aujourd'hui.

Les druides n'ont pas écrit, et aucun témoignage classique ne vient préciser la nature des Solanacées qu'ils employaient, il est vrai. Pour autant, cela ne doit pas permettre d'affirmer que ces plantes leur étaient inconnues.

[...]

Pour le datura, il n'y a aucun doute, Didodore de Sicile comme Strabon décrivent une plante correspondant exactement à la stramoine, et affirment que les Celtes en empoisonnaient leurs flèches. Par ailleurs, cette plante a un tel impact dans notre tradition qu'elle semble nos paarenir de la nuit des temps. [...]

Ces trois plantes, comme la jusquiame, ont des propriétés thérapeutiques identiques, mais leur côté sombre domine, celui du sombre de Samain, relié à l'idée de magie noire, en d'autres termes à la sorcellerie. N'apparaît ici aucun côté lumineux ou guérisseur, mais surgit plutôt le dessein d'empoisonner, de provoquer la mort, de dominer par les philtres magiques. Dans leurs noms vernaculaires, se croisent les mots « furieux », « destructeur », « serpent », « folie », « poison ». Le plus profond de la Samain nous submerge, un temps intermédiaire entre la mort et le folie, provoqué ou recherché pour entrer en communion avec l'Autre Monde. De la nuit, nous savons que les Celtes en faisaient naître le jour des dieux, et il ne peut y avoir de clarté sans le sombre pour la faire émerger. Mais le noir dont nous parlons ici n'est pas le lugubre, mais le « du » des mois noirs, miz du, que sont les longues nuits intimes des mois de novembre et de décembre. [...]


Nom gaulois : ne nous est pas connu.


Noms bretons : Aval spern « pomme épineuse » ; mewerez « rend les gens ivres » ; sandegri. Jinegré est un autre nom, celui que j'ai le plus rencontré dans mes collectages. Très connu dans les campagnes bretonnes, et entouré d'une étonnante part de mystère, comme si l'on touchait là à l'inaccessible, à l'inconnu, au danger, mais toujours au merveilleux. Son utilisation a été oubliée mais pas son nom. Souvent, on me l'a cité sans savoir ni à quelle plante ce nom correspondait ni même s'il s'agissait en réalité d'un végétal, mais plutôt en évoquant une sorte de breuvage magique, puisé dans les souvenirs de tous, dans la lointaine mémoire des ancêtres.

*

*




Mythes et légendes :


D'après Angelo de Gubernatis, auteur de La Mythologie des plantes ou les légendes du règne végétal, tome 2 (C. Reinwald Libraire-Éditeur, Paris, 1882),


DHATTURA. Le datura ou la pomme épineuse. — Parmi les nombreux synonymes indiens de cette plante qui se trouve dans le Râg’anighan’t’u ou Nighan’t’urag’a, l’illustre professeur Roth me signale celui de kitava ou joueur, et me renvoie à ce passage de l’Hortus Calcutt. (p. 515) de Voigt : « Employé quelquefois comme un moyen magique par les voleurs et autres coquins pour priver leurs victimes de tout pouvoir de leur résister. » Je trouve un commentaire fort intéressant de ce passage dans la botanique indienne du médecin portugais De Horte (XVIe siècle) : « Lorsque les voleurs, y est-il dit, désirent voler quelqu’un, ils placent des fleurs de cette plante dans ses mets et les lui font avaler, parce que ceux qui en mangent perdent la tête ; il leur vient une grande envie de rire et d’être généreux, en permettant que tout le monde les pille. Cette espèce de démence dure vingt-quatre heures. » On donne quelquefois à manger de cette plante, pour s’amuser en regardant ceux qui en ont goûté devenir presque fous et ivres. Johnston : « Christophorus Acosta addit nonnullas meretrices adeo hoc medicamentum temperare nosse, ut ad certas casque quot velint horas, mentem adimant. » Le langage populaire indien et les poètes font, parfois, allusion à cette propriété étrange du dhattûra. Le dhattûra est encore appelé, en sanscrit, unmatta, c’est-à-dire ivre, fou, unmattaka, madanaka, mohana, c’est-à-dire, qui fait devenir fou, dhûrta, c’est-à-dire trompeur. L’un des noms du dhattûra est aussi çivaçekhara, « ayant l’aigrette de Çiva ».

*

*




Littérature :


Dans le troisième volet de sa Trilogie de Pan, intitulé Regain (Éditions Bernard Grasset, 1930) Jean Giono rapporte une recette de chasse ancestrale :


La Mamèche aussi fait sa chasse, pour cela, à sa façon. Elle s'attaque au petit gibier : aux moineaux que le froid rend familiers et qui sont tout ébouriffés comme des pelotes de laine. Elle fait ce qu'on appelle ici : embaumer du grain. Elle a de vieux grains d'avoine et les fait bouillir avec de la rue et des capsules de datura, puis elle épand son grain devant la porte. Les moineaux mangent et ils meurent. Sur place. Avant de les faire cuire, elle leur ôte le gésier, elle ouvre le gésier avec de vieux ciseaux et elle fait tomber les grains dans du papier. Ca sert pour une autre fois.

*

*

Nicolas Simon, dans une thèse intitulée Le poison dans l’histoire : crimes et empoisonnements par les végétaux et soutenue à la faculté de pharmacie de Nancy, (Sciences pharmaceutiques. 2003. ffhal-01732872f) analyse l'emploi des poisons dans l'œuvre d'Agatha Christie :


La célèbre romancière britannique, ayant été infirmière pendant la première guerre mondiale, était une experte dans la connaissance des substances pouvant s'avérer extrêmement délétères pour l'homme.

[...] Les terribles Solanaceae ne furent pas oubliées et c'est un des principes actifs de ces plantes, la scopolamine, qui est cité dans Le Mystère de Listerdale. Bien que cette substance ait provoqué la mort d'un homme, elle n'est pourtant utilisée à aucun moment. En effet, il suffit parfois de décrire en détail l'action délétère d'un poison pour provoquer proprement la mort. L'héroïne, Alix Martin, ayant découvert que son époux était en fait un dangereux meurtrier qui se débarrassait de ses conquêtes les unes après les autres, inventa ce stratagème pour éviter de subir le même sort: elle allait jouer son propre jeu et lui avouer qu'elle aussi avait supprimer ses précédents maris avec du café empoisonné, ceci uniquement dans le but de gagner du temps en attendant les secours.


« - Pendant la guerre, j'avais travaillé comme auxiliaire dans la pharmacie d'un hôpital. Et j'avais la charge de toutes sortes de produits dangereux et toxiques.

Elle s'arrêta songeuse : rien de tel qu'une histoire de meurtre pour passionner un meurtrier.

- J'ai manipulé un poison... Une très fine poudre blanche. Une pincée, et c'est la mort. Tu as des notions de toxicologie, peut-être? [... ] Tu as entendu parler de la scopolamine, naturellement. Le poison dont je te parle a exactement les mêmes effets. Mais les analyses les plus poussées ne révèlent rien. Le médecin conclut à tous les coups à une mort par arrêt cardiaque. A l'hôpital, j'avais volé un peu de ce poison. Et je l'avais conservé.

J'étais une très bonne épouse pour mon mari. Tous les soirs par exemple, je lui faisais du café. Un soir, nous étions seuls, j'ai mis un peu de l'alcaloïde mortel dans sa tasse. [... ] Il a été pris d'un malaise. Une espèce de hoquet. Il a demandé de l'air. J'ai ouvert la fenêtre. Et puis il m'a dit qu'il était paralysé. Et il a fini par mourir.

- Le café. Bon Dieu L.. Le café ... Je comprends maintenant pourquoi le café était si amer. .. Tu m'as refait le même coup !... Tu m'as empoisonné !

- Oui. Je t'ai empoisonné. Tu vois, ce sont les premiers symptômes. Tu ne peux déjà plus bouger de ton fauteuil. La paralysie... Tu es paralysé, répéta-t-elle... Tu es paralysé... »


La torpeur dans laquelle le meurtrier fut plongé, associée à une santé quelque peu défaillante, provoqua un arrêt cardiaque, et ainsi la survie de sa tendre épouse.

*

*

2 017 vues

Posts récents

Voir tout
bottom of page