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Le Pavot


Voir aussi le documentaire Arte : le Pavot, un plante stupéfiante.

Étymologie :

  • PAVOT, subst. masc.

Étymol. et Hist. Mil. du xiiie s. [ms.] plante (Chrétien de Troyes, Erec et Enide, éd. M. Roques, 2408 [var. du ms. BN fr. 794, v. aussi éd. W. Foerster, 2412]). Issu, par substitution du suff. -ot* à la forme régulière -o b lat. -avu, de l'a. fr. pavo « id. » (déb. du xiiie s., Chrétien de Troyes, loc. cit. [var. du ms. BN fr. 1376], v. aussi l'éd. I. Bekker, v. 2402 ds Zeitschrift für deutsches Alterthum, t. 10, 1856, p. 435, qui a pris ce ms. pour base) lui-même issu d'un lat. pop. *papavus, altér. du lat. class. papaver «id.».


Lire aussi la définition pour amorcer la réflexion symbolique.


Autres noms : Papaver somniferum ; Œillette ; Ouyette ; Chanotte ; Paveux ; Pavot blanc (variété à graines blanches) ; Pavot noir (graines noires) ;

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Botanique :


Maurice Maeterlinck dans L'Intelligence des Fleurs (1907) fait cette remarque :


N’oubliez pas d’examiner, à l’occasion, la vulgaire tête de Pavot qu’on trouve chez tous les herboristes. Il y a, dans cette bonne grosse tête, une prudence, une prévoyance dignes des plus grands éloges. On sait qu’elle renferme des milliers de petites graines noires extrêmement menues. Il s’agit de disséminer cette semence le plus adroitement et le plus loin possible. Si la capsule qui la contient se fendait, tombait ou s’ouvrait par le bas, la précieuse poudre noire ne formerait qu’un tas inutile au pied de la tige. Mais elle ne peut sortir que par des ouvertures percées tout en haut de l’enveloppe. Celle-ci, une fois mûre, se penche sur son pédoncule, « encense » au moindre souffle et sème, littéralement, avec le geste même du semeur, les graines dans l’espace.

 

Selon Elena Ciobanu, Cătălina Croitoru, Gheorghe Ostrofeţ, Ala David et al. auteurs d'un cours magistral intitulé Fondements de l'hygiène alimentaire (Chișinău • 2018) :


Le pavot de jardin est une espèce avec de nombreuses variétés et est cultivée comme plante alimentaire, médicinale et décorative. Les capsules vertes contiennent de la codéine, de la papaverine et d’autres alcaloïdes toxiques. Il est strictement interdit de consommer les graines vertes de cette plante car elles peuvent provoquer de graves intoxications.

 

Dans Petit Grimoire : Plantes sorcières, Les Sortilèges (Éditions « Au bord des continents... », mars 2019, sélection de textes extraits de Secrets des plantes sorcières) Richard Ely présente ainsi le Pavot :

Digne représentant des Papavéracées, de papa, « bouillie », nom dérivant de l'utilisation singulière des graines de pavot mélangées aux bouillies des nourrissons pour les faire dormir. Jolie annuelle qui rappelle dans sa forme notre coquelicot rouge tout en étant bien plus grande, pouvant parfois atteindre un mètre et demi de haut ! La haute et solitaire tige bleu-vert rejette des feuilles molles, dentelées, irrégulièrement, pennatiséquées à la base, entières par la suite. Les fleurs s'ornent de pétales blancs pour la variété album dont sont issus l'opium, la morphine, la codéine et l'héroïne, dérivés du latex que contient la plante. L'opium était déjà d'usage chez les Sumériens il y a plus de trois mille ans, et le pavot connu des hommes de la Préhistoire. Des pétales rouge violacé, pour la variété nigra dont les graines bleues sont utilisées en boulangerie pour décorer vos petites pains. Ces graines se trouvent à l'intérieur d'une grosse capsule ronde, le fruit du pavot, qui en contient des milliers !

En pharmacopée, comme pour son effet analgésique, le pavot eut de multiples usages soignant l'épilepsie, les convulsions, la fièvre, le choléra en diminuant l’intensité des douleurs.

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Historique de l'usage du pavot :


Nicolas Simon, dans une thèse intitulée Le poison dans l’histoire : crimes et empoisonnements par les végétaux et soutenue à la faculté de pharmacie de Nancy, (Sciences pharmaceutiques. 2003. ffhal-01732872f) nous rappelle la connaissance ancestrale du pavot :


Il semble que de tout temps pavot et opium aient été considérés comme des poisons redoutables et comme les seuls médicaments somnifères, sédatifs de la douleur. Sur les frises du temple de Bacchus, à Baalbek au Liban, le pavot, emblème de la mort, alterne avec le blé, symbole de la vie.

Ce n'est pas en Chine mais dans les plaines de Mésopotamie que se cachent les origines de l'opium. Origines lointaines: la plus ancienne mention a été relevée sur la tablette de Nippur, reproduisant en caractères cunéiformes, environ sept siècles avant Jésus-Christ, des documents remontant aux époques sumériennes et babyloniennes.

La trace de l'opium se retrouve aussi dans l'Egypte des pharaons puis dans les empires grecs et romains où son utilisation comme plante médicinale devient plus que courante; il est d'ailleurs l'un des ingrédients principal de la grande Thériaque. Hippocrate, Hérodote et Théophraste prescrivaient déjà le pavot pour soulager les douleurs et Dioscoride distingue le suc produit par l'incision des capsules de la plante, qu'il nomme opium.

Les origines de l'opium s'auréolent du mythe de la légende: Morphée, le dieu du sommeil, secoue chaque soir ses pavots sur les pauvres mortels et les arrache, le temps d'un songe, à leurs soucis et à leurs misères.

Cette fable, sensée au premier abord vanter les vertus dormitives de l'opium, peut aussi avoir un autre sens: une plante qui arrache l'homme à sa misérable condition pour l'emmener dans un monde dénué de tout souci matériel ou physique et donnant ainsi libre cours à la plénitude de l'âme : comment imaginer plus beau rêve pour un homme en quête d'expériences mystiques et hallucinatoires ?

Ainsi, le poison a ouvert une brèche et il s'y est engouffré. En offrant à l'homme des sensations nouvelles, des visions de paradis illusoires, une sensation de bien-être intense, il prend possession de lui, de son corps et de son esprit. L'homme devient esclave, il ne vit plus, du moins plus dans ce monde, et sa seule raison d'être réside désormais uniquement dans la recherche d'une nouvelle dose de poison, chaque fois un peu plus forte, pour finalement devenir mortelle. [...]

Claude Farrère, qui fut, avec Cocteau, un grand amateur des fumeries d'opium, connut finalement lui aussi le sentiment d'être pris, écrasé dans l'étau de la drogue et il décrivit en ces termes l'état dans lequel l'opium enferme sa proie :

« C'est une pipe meurtrière. Dix poisons, tous féroces, s'embusquent dans son cylindre noir, pareil au tronc d'un cobra venimeux ... Je ne me soucie plus d'aucune chose. Je n'ai plus de métier, je n'ai plus d'amis. Il n'est plus une sensation humaine qui me soit restée, et pas un acte d'homme que je puisse faire... Rien ! Ah ! Si, une chose, un verbe : souffrir... Une heure sans opium, voilà l'horrible, l'indicible chose, le mal dont on ne guérit pas, parce que cette soif là, la satiété même ne l'éteint pas. »


La découverte, en 1814, de l'alcaloïde de l'opium par le pharmacien allemand Friedrich Sertümer fut une aubaine à la fois pour la médecine et pour les trafiquants. Sertürner donna à la substance qu'il avait isolé le nom de morphine. Elle révéla très vite des caractéristiques analgésiques très puissantes et fit des merveilles pendant la guerre de 1870 où les chirurgiens l'utilisèrent sans modération. Mais il fallut très vite se rendre à l'évidence: la morphine entraîne rapidement une dépendance implacable. L'effet de la morphine est plus puissant que celui de l'opium et se manifeste plus rapidement. Le sort du drogué dépendra alors de sa capacité à satisfaire sa passion: s'il la contrôle, sa vie sociale ne sera que très peu perturbée, mais s'il s'abandonne, il vieillira prématurément, usé par l'esclavage de la drogue.

La morphinomanie était un phénomène courant en Europe lorsqu'en 1898 eurent lieu les premiers essais d'un nouveau produit synthétisé à partir de la morphine par le chimiste allemand Dreser. Ce dérivé diacétylé montra une action si manifeste sur les douleurs des grands tuberculeux incurables à l'époque, qu'on lui donna le nom d'héroïne (médicament héroïque, c'est-à-dire très actif). On pensa que ce dérivé pouvait être utilisé pour soigner les toxicomanes dépendant à la morphine; en effet, les patients morphinomanes auxquels on donna de l'héroïne abandonnèrent immédiatement la morphine. On déchanta évidemment bien vite car les malades consacraient alors exclusivement leur passion à ce dérivé beaucoup plus puissant ; l'héroïne est une drogue dure par excellence, elle représente le dernier échelon de l'escalade, l'aboutissement d'un voyage dont on ne revient plus.

Le pavot et ses dérivés ont de tout temps excité la curiosité des empoisonneurs en tous genres. On se souvient que l'on mêla de l'opium à la ciguë de Socrate, ceci pour être sûr de l'issue fatale et pour limiter les terribles symptômes de l'empoisonnement à la ciguë. Un peu plus tard, Caligula, empereur dégénéré et atteint par la folie, aurait été drogué à l'opium par Césonie, sa quatrième épouse, dont la grande beauté n'était assise que sur une petite vertu. Se suicider d'une boulette d'opium était encore très apprécié en Chine au 19ème siècle.

Une affaire d'empoisonnement criminel à l'acétate de morphine fit grand bruit en 1823 : c'est l'affaire Castaing :


« Le 1er juin 1823 est mort dans une auberge de Saint-Cloud un jeune homme en compagnie d'un seul ami de son âge. La maladie qui l'emporta avait commencé subitement le soir du vendredi 30 mai, le lendemain de son arrivée, immédiatement après avoir bu du vin chaud. Elle redoubla le samedi matin, après qu'il eut pris une tasse de lait froid. Elle devint une agonie le même jour, quelques minutes après qu'il eut avalé une cuillerée de potion calmante ; dès ce moment il perdit connaissance. Il expira le dimanche, à une heure après midi, sans l'avoir recouvrée. »


Selon la police, la victime, Auguste Ballet, aurait été la cible d'un empoisonnement et la seule personne qui était en compagnie d'Auguste ce jour là était son ami Castaing. Le soir de l'arrivée à l'auberge, ce dernier apporta dans la chambre une bouteille de vin chaud mais Auguste le trouva si amer qu'il eut grand peine à terminer son bol; Auguste fut agité toute la nuit, il ne dormit pas, il se plaignit plusieurs fois à Castaing qu'il ne pouvait rester en place. Il eut des coliques et, le matin, il s'aperçut qu'il ne pourrait se lever tant ses jambes étaient enflées. Castaing alla chercher pour son ami un bol de lait froid. Peu de temps après l'avoir ingéré, Auguste fut pris de vomissements très importants et les coliques le saisirent à nouveau. Le vin chaud contenait une quantité indéterminée d'acétate de morphine ou de strychnine et le lait contenait 60 centigrammes d'émétique. Il fut avéré que Castaing avait acheté une dose d'émétique le matin du 31, dans une pharmacie voisine, ainsi que 2 grammes d'acétate de morphine qui ont été administrés en tout ou en partie dans la potion servie à Auguste le 31 au soir, juste avant qu'il ne perde définitivement connaissance.

Le procès amena à la bane les plus grands savants de l'époque: Laennec, Vauquelin, Magendie, Barruel et Orfila. Mais on assista à une querelle d'experts ; en effet, les chimistes n'étaient pas d'accord entre eux, si certains n'avaient aucun doute sur la thèse de l'empoisonnement par les toxiques végétaux, d'autres rejetaient cette idée, avançant le fait qu'il n'aient pu identifier un seul de ces toxiques dans les vomissements et lors de l'autopsie de la victime: pour eux, Auguste Ballet serait mort de la phtisie* dont il souffrait ou d'une forme particulière de choléra mais, en tous cas, pas du poison.

Malgré les doutes qui subsistèrent, Castaing fut reconnu coupable de l'assassinat d'Auguste Ballet par empoisonnement et fut condamné à mort.

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Symbolisme :


Louise Cortambert et Louis-Aimé. Martin, auteurs de Le langage des fleurs. (Société belge de librairie, 1842) évoquent rapidement le symbolisme du pavot blanc :


PAVOT BLANC - SOMMEIL DU CŒUR.

On exprime de la graine du Pavot blanc une huile sans saveur qu’on ordonne pour calmer les sens et provoquer au sommeil.

 

Dans Les Fleurs naturelles : traité sur l'art de composer les couronnes, les parures, les bouquets, etc., de tous genres pour bals et soirées suivi du langage des fleurs (Auto-édition, Paris, 1847) Jules Lachaume établit les correspondances entre les fleurs et les sentiments humains :


Pavot blanc - Sommeil du cœur. La graine du pavot est somnifère.

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Dans son Traité du langage symbolique, emblématique et religieux des Fleurs (Paris, 1855), l'abbé Casimir Magnat propose une version catholique des équivalences symboliques entre plantes et sentiments :


PAVOT SOMNIFÈRE – SOMMEIL.

Le Seigneur a fait et l'oreille qui entend et l'œil qui voit. N'aimez pas le sommeil de peur que la pauvreté ne vous accable ; ouvrez vos yeux et vous serez rassasié de pain.

Proverbes : XX, 12, 13.

Indigène de l'Orient, le pavot somnifère est aujourd'hui cultivé partout. Ses fleurs varient dans toutes les nuances : on en voit de blanches, de roses, d'un rouge pourpre, de panachées ; d'autres dont les bords se colorent de rose, de violet, ou d'un rouge plus ou moins vif sur un fond blanc. La connaissance de ce pavot ainsi que sa culture, remonte à une époque très reculée. Emblème du sommeil, il ornait l'entrée du palais de Morphée ; c'était avec cette plante que ce dieu touchait ceux qu'il voulait endormir : la déesse des moissons était représentée tenant une faucille d'une main, et une poignée d'épis et de pavots de l'autre. Homère, dans l'Illiade, compare un jeune guerrier mourant à un pavot dont la tête est inclinée sur sa tige.


MAXIME.

Si vous cherchez le vrai repos qui vous est promis après cette vie, vous le goûterez avec beaucoup de douceur dès à présent, et même parmi les plus amères tribulations de ce monde.

(SAINT AUGUSTIN, De catech. rudibus.)

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Selon Pierre Zaccone, auteur de Nouveau langage des fleurs avec la nomenclature des sentiments dont chaque fleur est le symbole et leur emploi pour l'expression des pensées (Éditeur L. Hachette, 1856) :


PAVOT - SOMMEIL.

Plante herbacée à fleurs terminales, penchées avant leur épanouissement. - Elle est originaire d'Orient ; c'est une des plantes les plus fécondes. On a calculé qu'une seule peut en produire jusqu'à trente-deux mille. Le pavot est l'un des attributs de Morphée, dieu du sommeil.


Les pavots que Morphée épaissit sur les yeux

De la volupté qui sommeille.

LEDRUN .

Ronsard en a fait l'emblème de l'oubli :


J'ay receu vos cyprez et vos orangers vers.

Le cyprez est ma mort, l'oranger signifie

(Ou Phæbus me déçoit) qu'après ma courte vie

Une gentille odeur sortira de mes vers.


Recevez ces pavots que le somme a couverts

D'un oubli stigienne : il est temps que j'oublie

L'amour qui, sans profits depuis six mois me lie,

Sans aleuter ma corde, ou desclouer mes ſers.

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Emma Faucon, autrice d'un ouvrage intitulé Le langage des fleurs. (Théodore Lefèvre Éditeur, 1860) rapporte une équivalence du Calendrier de Flore :


Juin - Pavot, Coquelicot.

Dans l'antiquité, on célébrait le retour du mois de juin en faisant des sacrifices pour la prospérité des peuples et des biens de la terre. On rassemblait une grande quantité de bois qu’on allumait, puis on dansait autour de ces feux et les plus agiles sautaient par-dessus. En se retirant, chacun prenait un tison, et le reste était jeté au vent, afin qu'il emportât tous les malheurs comme il dispersait les cendres.

Le christianisme a conservé l'usage de celte cérémonie, et on la nomme Feu de la Saint-Jean .

Ce mois ramène aussi la cigale, et les paysans prétendent que plus le chant de ce petit insecte est vif, plus la récolte sera abondante.

L'été voit cependant un climat plus heureux

Sur qui le jour s'épanche en rayons amoureux ;

Où la nuit lumineuse et fraiche de rosée

Donne aux amants rêveurs la paix de l'Élysée.


Je vais suivre vos pas, enfants, jeunes bergères.

Qui cueillez en chantant les fraises bocagères.

Je pénètre avec vous ces fertiles réduits,

Où pendent aux rameaux les prémices des fruits,

En globes transparents la cerise vermeille,

La framboise odorante et la fraiche groseille,

L'abricot dont l'Euphrate enrichit nos climats,

Et la prune conquise aux plaines de Damas,

Et le melon pesant dont la feuille serpente ;

Doux fruit qui dégagé de sa feuille rampante,

Sur sa couche exhaussée aux rayons du midi,

Étale la grosseur de son ventre arrondi.


L'autrice exprime ensuite le symbolisme du pavot dans le langage des fleurs traditionnel :


Pavot - Langueur - Sommeil.

Cette plante, de la famille des papavéracées, est remarquable par la beauté de ses fleurs qui se balancent à l'extrémité de longs pédoncules. Le pavot somnifère croit spontanément en Orient et fournit l'opium. Les graines du pavot torréfiées et pétries avec du miel, étaient employées chez les Romains pour la confection de diverses friandises. Aujourd'hui, dans tout l'Orient, en Italie et dans le nord de l'Europe, on les fait entrer dans certains mets et on les recouvre de sucre pour confectionner les petites dragées. La tête ou fruit du pavot possède seule une narcotique très puissante.

Le pavot embelli du plus vif incarnat

De son calice au loin fait resplendir l'éclat

Et sans crainte, élevé sur une lige altière,

Domine en souverain la plaine hospitalière. COMHAIRE.


Le pavot était consacré à Morphée, dieu du sommeil, et à Cérès, parce que Jupiter, voulant lui faire oublier la douleur qu'elle éprouvait de la perte de sa fille Proserpine, lui fit boire une infusion de têtes de pavot.


La nuit couvrait la terre et le dieu du repos

Sur tout ce qui respire étendait ses pavots. DELILLE.


Pavot blanc - Sommeil du cœur.

Pavot noir- - Léthargie.

Pavot panaché - Surprise.

Pavot rose - Vivacité.

Pavot rouge - Orgueil.


Pavot simple - Étourderie - Indifférence.

Il vient indifféremment dans les champs, que le terrain soit bon ou mauvais .

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Jacques Brosse dans La Magie des plantes (Éditions Hachette, 1979) consacre dans sa "Flore magique" un article au pavot :


Superbe est la floraison du pavot, mais vraiment éphémère. Penchée au bout de la tige grêle, la coque verte en forme d’œuf se redresse et s'entrouvre, laissant voir les pétales froissés, comme ailes de paillon sortant de la chrysalide, et qui se défripent en s'étendant d'un mouvement continu, mais invisible, révélant la macule large et plus foncée qui orne leur base. Les voici maintenant tous quatre épanouis. C'est alors que se dévoile au-dedans la très dense couronne des étamines enveloppant le fruit qui bientôt restera seul, dépouillé de ses enveloppes, en haut de la tige, capsule bizarre, d'un vert glauque, renflée et se resserrant au sommet à la manière d’une bourse close qui contient ce trésor : des centaines, des milliers de graines agglomérées comme ponte d'insecte. mais que l'on égratigne les parois de l'urne et se révèle son véritable secret, les larmes blanches, qui en suintent aussitôt. C'est le latex, le futur opium, qui donne à la plante tout entière son aspect caoutchouteux, suspect et, somme toute, pas bien naturel.

C'est probablement dans les plaines irriguées de la Mésopotamie que l'espèce originelle (Papaver setigerum) est devenue le pavot cultivé, mais inconnu à l'état sauvage, le pavot à opium. En effet, une tablette découverte sur le site de la cité sumérienne de Nippur et datant de 3 000 av. J. C. renferme la plus ancienne mention de cette culture ; en sumérien, le pavot est désigné par deux idéogrammes, celui de la plante et celui du bonheur, ce qui indique bien l'usage que déjà en faisaient les hommes. Vers 1600 avant notre ère, le papyrus Ebers le cite parmi les drogues utilisées alors en Égypte. Un texte égyptien plus récent (XIIIe siècle av. J. C.) nous apprend qu'on en donnait aux enfants pour les empêcher de crier, usage qui s'est maintenu d'ailleurs au Moyen Orient et en Afrique du Nord et même dans le nord de la France, où l'on cultivait le pavot à œillette jusqu'au début du XXe siècle.

En Grèce, l'utilisation du pavot comme sédatif est également fort ancienne, puisqu'elle figure dans la mythologie. Déméter y aurait eu recours pour apaiser l'insupportable douleur que lui avait causée l'enlèvement de sa fille Coré par Hadès, roi des Enfers. Le Népenthès de l'Odyssée « qui fait oublier tous les maux » contenait probablement du suc de pavot. Tous les médecins grecs prescrivaient le pavot pour soulager les douleurs physiques et psychiques ; il semble cependant que le suc directement obtenu par incision des capsules n'ait été connu qu'au Ier siècle de notre ère, car Dioscoride, qui l'employait pour calmer les toux rebelles, est le premier à parler de ce qu'il appelle l'opion, qui deviendra l'opium chez Pline. Vers la même époque, le médecin romain Celse le qualifie de remède « divin », puisqu'il permet à l'homme de vaincre la douleur.

Mais c'est Andromachus, médecin de Néron, qui devait en répandre l'usage, en l'incorporant la thériaque, la plus célèbre préparation pharmaceutique de tous les temps, la « panacée des panacées ». La thériaque, qui contenait plus de soixante substances différentes, appartenant aux trois règnes, était toujours préparée par les sommités médicales de l’époque, en grande pompe et devant un public choisi ; elle ne disparut du codex français, c'est-à-dire du recueil officiel des formules pharmaceutiques, qu'en 1908. Pour combattre ses malaises continuels, l'empereur Marc-Aurèle allait jusqu'à en rendre matin et soir, et l'on a pu se demander si l'opium que contenait la thériaque n'était pas pour quelque chose dans le mépris de la souffrance qu'il affichait et même dans son stoïcisme resté légendaire. C'est peut-être aussi à l'opium, qui aurait été incorporé à la coupe de ciguë qu'on lui tendit, que Socrate dit de conserver jusqu'au bout sa sérénité.

Au XVIIe siècle, la fameuse thériaque fut concurrencée par une nouvelle préparation beaucoup plus simple. Dérivant du « spécifique anodin », inventé au XVIe siècle par Paracelse pour procurer le sommeil à ses malades, le « laudanum » fut mis au point en 1670 par le célèbre médecin anglais Thomas Sydenham. C’était une teinture contenant, outre l'opium, du safran, de la cannelle et de la poudre de clou de girofle, le tout macéré dans du vin d'Espagne. le laudanum, à la dose de quelques gouttes, fut d'abord employé contre la dysenterie, les vomissements et les affections cholériques, puis il devint une sorte de calmant universel, utilisé dans les familles et donné particulièrement aux enfants, car on ignorait encore qu'il pouvait, comme tous les opiacés, créer de redoutables accoutumances.

Si, par crainte de la toxicomanie et en raison de la vogue des tranquillisants modernes, on utilise assez peu aujourd'hui les propriétés antalgiques et soporifiques de l'opium, celui-ci est toujours couramment employé sous deux formes officinales, qui se sont révélées irremplaçables : l'élixir parégorique (du grec parêgorikos, « qui adoucit, qui apaise »), teinture composée de poudre d'opium, d'essence d'anis, d'acide benzoïque et de camphre, dissous dans de l'alcool, qui est un excellent antidiarrhéique, et surtout la codéine (du grec kodéia, « tête de pavot ») qui demeure le meilleur médicament contre la toux spasmodique et figure dans nombre de spécialités pharmaceutiques. La consommation de la codéine atteint chaque année en France une dizaine de tonnes. Afin de moins dépendre des approvisionnements indiens ou turcs, on a récemment développé en France les plantations de pavot. On en extrait directement les alcaloïdes utilisés en pharmacie, sans passer par le stade de l'opium.

Par ailleurs, les graines de ces pavots sont utilisées pour la fabrication de l'huile d’œillette, dont le nom ne vient pas du mot œil, mais d'oleum, l'huile en latin. Cette huile, très utilisée en France depuis l'époque gauloise, est toujours fort appréciée des gourmets, car elle possède une très fine saveur de noisette et ne rancit pas comme l’huile d'olive.

L'usage de l'opium demeura méditerranéen jusqu'au jour où les marchands arabes qi allaient jusqu'en Extrême-Orient pour en rapporter des épices y firent connaître les vertus médicinales de l'opium. Au XIe siècle, le pavot était cultivé dans la vallée du Gange et en Chine, mais c'est au XVIIe siècle siècle seulement que l'on prit l’habitude de le fumer. Les Européens se firent aussitôt les complices de cette mode dont ils pensèrent à tirer profit ; ils la répandirent par tous les moyens et réussirent même, avec un cynisme révoltant, à l'imposer en Chine. Ce furent d'abord les Portugais qui, au début du XVIIIe siècle, approvisionnèrent le marché chinois à partir de Goa. Mais les Anglais, qui leur succédèrent, firent beaucoup mieux. La Chine commençant à consommer plus d'opium qu'elle n'en produisait, la toute-puissante Compagnie des Indes orientales établit au Bengale d'immenses plantations de pavot. Aux édits des empereurs qui interdisaient l'importation de la drogue, répondit une contrebande intense pour laquelle les Britanniques surent se ménager, moyennant gratifications, la complicité des fonctionnaires chinois. Bien qu'un nouvel édit impérial ait menacé de la peine de mort les coupables, le nombre des caisses d'opium pénétrant clandestinement en Chine ne fit que croître : il passa de 200 caisses de 60 kg en 1729 à 4 000 en 1792, 6 000 en 1817 et 40 000 en 1837. Incapable de lutter contre ces entrées irrégulières, le gouvernement chinois en était venu à négocier avec les Anglais un accord aux termes duquel l'opium importé serait payé par des exportations de thé.

Puis, tout à coup, poussés à bout, épouvantés par les ravages de la toxicomanie qui ne cessait de s'étendre, les Chinois réagirent : en 1838, ils détruisirent 20 000 caisses d'opium entreposées à Hong Kong, principal centre des importations. Aussitôt, les Britanniques envoyèrent un corps expéditionnaire en Chine et lui déclarèrent la guerre. Après deux ans d'hostilité, les Chinois durent accepter les conditions des vainqueurs. Le traité de Nankin du 29 août 1842 les obligeait à payer une indemnité énorme pour les caisses d'opium jetées à la mer quatre ans plus tôt, mais surtout il livrait Hong Kong et Amoy à la Grande-Bretagne et contraignait les Chinois à laisser pénétrer librement les marchandises européennes par cinq ports. a Chine, comme on dit, « s'ouvrait » à l'Occident.

Un nouvel incident déclencha en 1856 une nouvelle guerre. Les Anglais, assistés cette fois des Français, envahirent la Chine. Au traité de T'ien-tsin en 1858, l'Angleterre et la France arrachèrent de nouveaux avantages, l'un de ceux-ci était la libre admission de l'opium. En 1886, les importations atteignirent 180 000 caisses, soit en valeur 130 millions de livres.

De cette affaire infamante, où le mercantilisme le plus sordide s’appuyait sur une politique sans scrupule, la Chine sortit pratiquement moribonde. En 1878, le nombre des Chinois intoxiqués dépassait 120 millions ; les fumeries d'opium pullulaient dans tout le pays. Ce n'est qu'à partir de 1906 que le gouvernement chinois fut autorisé à lutter contre la toxicomanie. Comment dès lors ne pas comprendre certaines réactions anti-occidentales de la Chine populaire qui parfois nous indignent et surtout nous étonnent ? Nous avons oublié, mais pas eux.

Pendant ce temps, l'opium exerçait aussi en Europe ses ravages, mais ils y furent toujours limités et ne touchèrent qu'un très petit nombre d'individus. Il s'agissait le plus souvent de l'abus des médications opiacées, trop souvent administrées aux enfants, et qui engendraient chez l'adulte un véritable besoin. Au début du XIXe siècle, la mode de l'opium se répandit dans les milieux littéraires et artistiques, en Angleterre d'abord, en France ensuite. L'opium, sous la forme d'opiats et surtout le laudanum, fut pour bien des romantiques anglo-saxons une source d'inspiration considérée comme divine. En proviennent directement quelques chefs-d’œuvre de Coleridge, de Thomas de Quincey, d'Edgar Poe, et plus tard en France de Baudelaire, de Verlaine, de Cocteau. En France, il y eut même vers 1900 un véritable engouement pour l'opium fumé et à la mode chinoise, que répandirent les coloniaux à leur retour d'Indochine et le livre d'un ancien officier de marine, Claude Farrère, Fumées d'opium, 1904 ; mais en fait il se répandit peu et n'eut guère d'effets dramatiques. Cependant déjà un autre danger beaucoup plus grave se préparait.

C'est ici qu'intervient la force énorme, mais aveugle, du progrès, qui toujours va de l'avant, sans se soucier des conséquences. En 1803, un chimiste français, F. Drosne, avait réussi à isoler les principes actifs du pavot. Quelques années plus tard, le pharmacien allemand Sertuener y distingua deux éléments, dont un alcaloïde très actif à qui, en raison de ses propriétés narcotiques, il donna le nom de Morphée, le dieu grec des songes, fils d'Hypnos, dieu du sommeil, lui-même frère de Thanatos, le dieu de la mort : la morphine. Analgésique particulièrement puissant, car elle exerce son action directement sur le centre de la douleur, au niveau du cortex cérébral, la morphine fut assurément l'une des acquisitions majeures de la médecine du XIXe siècle. Son emploi se généralisa avec l'invention par Pravaz, en 1851, de la seringue hypodermique, qui permit de l'injecter directement dans le sang. Pendant la guerre de 1870, les chirurgiens l'utilisèrent à doses massives pour calmer les souffrances des grands blessés et pratiquer les amputations. Puis l'on s'aperçut que l'usage de la morphine engendrait une accoutumance bien pire que celle de l'opium, mais il était trop tard ; de bien des malades on avait fait d’incurables toxicomanes, car, à faible dose la morphine est un excitant du système nerveux central qui procure une agréable euphorie et une forme particulièrement raffinée d'ivresse : les perceptions sensorielles étant affaiblies, toute l'attention se concentre sur le déroulement accéléré de la pensée, sur ses jeux infinis. Malheureusement, l'organisme lui aussi réagit : troubles digestifs et surtout respiratoires peuvent aller jusqu'à l'intoxication aiguë, entraînant la mort par arrêt de la respiration. Mais le plus souvent, l'organisme a le loisir de s’adapter, de s’habituer ; naissent alors l'accoutumance - c'est-à-dire la tolérance de doses de plus en plus fortes, d'où la nécessité de les augmenter progressivement pour obtenir les mêmes effets - et son corollaire, l'assuétude, ou état de besoin, laquelle entraîne les conséquences sociales que l'on sait : il faut alors se procurer de la drogue par tous les moyens.

A partir de 1880, les cas de morphinomanie se multiplient. Celle-ci gagne peu à peu les milieux mondains, le monde des arts et du théâtre et aussi le milieu médical, sans qu'intervienne aucune interdiction légale, car la peur viscérale et irraisonnée de la drogue, le mythe auquel elle a donné lieu depuis dans l'opinion publique n’existaient pas encore. Les dangers, de ce fait, demeuraient encore limités. Le morphinomane de la fin du siècle, appartenant à la classe dite aisée, pouvait en général s’approvisionner régulièrement et sa vie sociale n'en était guère perturbée.

La morphinomanie était fort répandue en Occident quand, dans les dernières années du XIXe siècle, le chimiste allemand Dreser obtint un dérivé de la morphine dont les propriétés médicales étaient beaucoup plus puissantes encore. Ses effets sur les difficultés respiratoires et les souffrances des grands tuberculeux incurables à l'époque furent si remarquables qu'en Allemagne on donna au nouveau produit le nom d'héroïne, au sens de remède héroïque, c'est-à-dire très actif. Et bientôt Dreser s'perçut que l'héroïne administrée à des morphinomanes leur faisait abandonnée l'usage de leur drogue. Ainsi, non seulement on avait découvert un nouvel analgésique, plus énergique que tous les autres, mais encore le moyen de venir à bout de la toxicomanie.

L'instant du triomphe fut cependant fort bref. Tout ce que l'on avait fait était de remplacer une toxicomanie par une autre, et beaucoup plus grave. L’héroïne éclipsa la morphine, puis la cocaïne, très en faveur dans les années 19000. Il en résultat bientôt un énrome et très fructueux trafic clandestin bientôt pris en main par la mafia. L'héroïne était fabriquée en Italie et dans la région marseillaise, à partir de morphine provenant de Syrie et du Liban ; de là elle était expédiée aux Etats-Unis, où la consommation d'héroïne ne faisait que croître. L'Europe, d'abord simple étape, resta pendant longtemps en dehors de ce trafic international. Mais depuis une vingtaine d'années, celui-ci est parvenu à s'y créer un nouveau marché qui s'est très rapidement étendu. En France, le nombre des héroïnomanes a quintuplé pendant la seule année 1968-1969 et croît depuis lors dans des proportions alarmantes. En Angleterre, la situation est pire : le nombre des héroïnomanes traités dans les cliniques double tous les seize mois. Cependant les États-Unis n'en conservent pas moins une très nette avance : l'Amérique représente actuellement un marché de plus d'un milliard de dollars.

Finalement, l'héroïne laisse fort loin derrière elle toutes les autres drogues, elle est devenue la drogue par excellence. Véritable fléau social, elle est non seulement la plus tyrannique des servitudes, mais le terme du « voyage », l'ultime échelon de cette « escalade » dont on parle tant, en la connaissant si mal. Cette prééminence, l’héroïne la doit à son effet brutal, intense instantané, qui procure une impression unique de plaisir absolu ; et peu importe au drogué que celle-ci soit brève, qu'il faille bientôt renouveler la dose pour la retrouver, et ceci jusqu'à la déchéance !

Malheureusement, l'héroïne - et c'est l'évidente raison de son succès, de ses ravages - ne correspond que trop bien aux besoins latents mais impérieux, voilés par un faible vernis, de l'individu tel que l'a fait notre société : avidité sans frein, goût des sensations violentes, impatience irrépressible et finalement attrait de l'anéantissement. D'un coup, au moyen d'une simple piqûre, l'héroïne comble ce vide vorace, et tant pis pour la suite ! Ainsi, à partir d'un produit végétal, capable d'engendrer une certaine sérénité, sans doute suspecte puisque artificielle, puisque dépendante, et les raffinements d'un calme plaisir tout oriental, l'Occident, par le biais des progrès de la chimie et de la recherche médicale, en est-il venu à créer une drogue qui lui ressemble, qui lui sert de miroir.

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Selon Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, auteurs du Dictionnaire des symboles, (1ère édition, 1969 ; édition revue et corrigée Robert Laffont, 1982),


"Dans le symbolisme éleusinien, le pavot que l'on offre à Déméter symbolise la terre, mais représente aussi la force de sommeil et d'oubli qui s'empare des hommes après la mort et avant la renaissance. La terre est, en effet, le lieu où s'opèrent les transmutations : naissance, mort et oubli, résurgence. On comprend que le pavot soit l'attribut de Déméter, avec qui il s'identifie symboliquement.

En Russie, on dit d'une jeune fille qu'elle est belle comme une fleur de pavot et rester en pavot signifie rester vieille fille."

 

Pour Scott Cunningham, auteur de L'Encyclopédie des herbes magiques (1ère édition, 1985 ; adaptation de l'américain par Michel Echelberger, Éditions Sand, 1987), le Pavot (Papaver somniferum) a les caractéristiques suivantes :


Genre : Féminin

Planète : Lune

Élément : Eau

Divinités : Déméter-Cérès ; Zeus chthonien ; Pluton

Pouvoirs : Fécondité ; Sommeil léthargique ; Rêves prophétiques ; Mort.


Ne pouvant s'emparer de Gabies, ville du Latium qui lui résistait depuis sept ans, Tarquin le Superbe eut recours à la ruse. Son fils, Sextus, feignant d'être brouillé avec lui, demanda asile à ses ennemis et prit sur eux un grand ascendant. Alors il envoya un messager pour demander à son père ce qu'il devait faire. Tarquin ne répondit rien ; mais, emmenant le messager dans son célèbre jardin, il prit une baguette et, tout en marchant, il abattait les plus hautes têtes des Pavots. Le messager rapporta ce qu'il avait vu et Sextus fit périr les principaux citoyens de Gabies ; après quoi il ouvrit les portes de la ville ainsi affaiblie.


Utilisation magique : Nous retrouvons, attachée au Pavot, l'ambivalence qui entoure la plupart des plantes hallucinogènes : herbe « sacrée » parce qu'elle permet des voyages hors du corps ; mais aussi herbe « maudite » parce que l'imprudent qui se livre à ce genre d'expériences sans discernement et sans guide peut très bien ne jamais revenir de ces voyages...

Le suc laiteux du Pavot blanc donne l'opium brut. La variété à fleurs rouges et à graines noires sert à préparer une huile comestible qui rappelle l'huile de tournesol. Le fruit de tous les Pavots est une capsule renflée renfermant un nombre considérable de toutes petites graines, d'où, comme pour le fruit de grenade, une vieille tradition de fécondité. En pilant ces graines et en les mêlant au lait opiacé, selon divers dosages, on obtient des pâtes ou des confitures aphrodisiaques. On porte aussi sur soi ces grosses capsules de la fleur de Pavot à des fins de fertilité. Au Pakistan, ce sont des amulettes porte-chance.

En Europe centrale, dans les Balkans (régions qui sont restées pendant de longs siècles sous la domination turque), on utilise beaucoup ces graines de Pavot en cuisine : on en saupoudre les pains, la pâtisserie, etc. Dans ces pays également, la tradition rend cette plante aphrodisiaque. Le lait opiacé frais, en revanche, est redouté ; c'est une des composantes de base de la magie noire tzigane.

En Roumanie, on conseille à celui qui désire connaître la réponse à une question de l'écrire à l'encre bleue sur du papier bleu ; il faut alors rouler la feuille de papier en un cylindre très fin que l'on enfonce dans le cœur d'une fleur de Pavot rouge. On glisse fleur et papier sous son oreiller. Un rêve prophétique apportera la réponse pendant le sommeil.

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Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont S.A.S., 1995, 2019) proposé par Éloïse Mozzani, on apprend que :


Les effets narcotiques de cette plante étaient connus dès l'Antiquité. Les Grecs représentaient le dieu du Sommeil (Hypnos), de la Mort (Thanatos) et de la Nuit (Nyx), avec des pavots (en couronne sur la tête ou dans les mains) et dans le symbolisme éleusinien, le pavot figurait le sommeil et l'oubli après la mort de l'homme et avant sa résurrection.

Comme il est hallucinogène - on extrait l'opium du pavot blanc -, le pavot est à la fois herbe sacrée « parce qu'elle permet des voyages hors du corps » et herbe maudite, utilisée d'ailleurs abondamment par les sorciers tziganes, « parce que l'imprudent qui se livre à ce genre d'expérience sans discernement et sans guide peut très bien ne jamais revenir de ces voyages ».

La superstition s'en méfie. Au XVIe siècle, on croyait que le pavot rouge, par son seul contact, faisait uriner au lit et que le regarder trop fixement rendait les yeux rouges, effet semblable à celui du coquelicot, qui n'est d'ailleurs qu'une sorte de petit pavot sauvage. Une superstition anglaise soutient que regarder un pavot en son centre rend aveugle. Toujours d'après les Anglais, il ne faut pas en avoir chez soi car il rend malade.

Malgré cette mauvaise réputation, les sorciers de la Montagne Noire utilisaient le pavot pour les désenvoûtements, et Albert le Grand soutient qu'on éloigne les mouches en frottant le tour de la maison avec un mélange de jus de pavot et de blanc de chaux.

La feuille de pavot peut servir d'oracle. Si, lorsqu'on la frappe, elle émet un grand bruit et ne se casse pas, c'est de bon augure pour les amours, mais si la feuille se déchire, le présage est mauvais. Selon un usage roumain, on peut écrire à l'encre bleue sur du papier bleu une question précise, introduire ce papier roulé sur lui-même dans le cœur d'une fleur de pavot rouge qui est glissée sous l'oreille : un rêve apportera la réponse désirée.

De par son fruit, sorte de grosse capsule contenant de nombreuses petites graines, le pavot est associé à la fertilité : il sert donc à des préparations aphrodisiaques ; porter sur soi une capsule de fleur de pavot favorise la fécondité et au Pakistan, porte chance.

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D'après Nicole Parrot, auteure de Le Langage des fleurs (Éditions Flammarion, 2000) :


"Attention, ne succombez pas son charme. Cette large corolle épanouie, du rouge le plus rouge, avec son cœur noir et ses pétales diaprés alanguis, à demi froissés comme la soie la plus fine, ne passe pas inaperçue dans un jardin. Le pavot nous dit ; "j'apporte la surprise". Tentant. Mais dangereux. Ne l'écoutez pas quand il vous affirme : "je vais plus loin que l'amour". Bouchez-vous les oreilles lorsqu'il vous propose de stimuler vos facultés créatrices, de vous apaiser ou de vous plonger dans un doux sommeil. Faites-le taire s'il vous promet une rencontre avec les mises et les fées. Car, en prime, il vous apporterait des cauchemars.

Il pourra aussi bien vous vanter tout un programme de vertiges variés, fera miroiter sous vos yeux un éventail d'hallucinations, de lévitations, de survols du monde réel, de plongées dans le monde végétal, voire d'excursions au cœur des volcans. Alors, surtout, gardez vos distances. Le pavot est file de Thanatos, le dieu de la Mort, et Néron en a répandu l'usage. C'est tout dire.

Certes, la Romaine antique, qui apprécie sa beauté, le porte le jour de ses noces en couronne, mais elle ne le touche qu'avec des pincettes. Au cœur d'un bouquet ou en accessoire de mode, il est très beau. Mais lorsqu'il veut vous entraîner ailleurs, c'est de votre mort qu'il vous parle : son cœur contient de l'opium. Bien sûr, on l'aura deviné, son parfum, qui peut provoquer l'évanouissement, est stupéfiant.


Mot-clef : "Dangereuses tentations".

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Eric Pier Sperandio, auteur du Grimoire des herbes et potions magiques, Rituels, incantations et invocations (Éditions Québec-Livres, 2013), présente ainsi le Pavot (Papavus) : Plante cultivée pour ses fleurs ornementales, ses graines et ses capsules. L'une de ses variétés, le pavot somnifère, fournit l'opium et l'huile d’œillette.


Propriétés médicinales : Toutes les variétés de pavot possèdent les mêmes vertus narcotiques et sédatives, quoique à un degré différent. Pour ce qui est de l'accoutumance, elle n'est reliée qu'à la morphine. Depuis l'Antiquité, le pavot est utilisé pour ses propriétés analgésiques. En Californie, on s'ne sert en infusion pour guérir, sans danger, l'insomnie et pour soulager l'anxiété. Les fleurs du pavot rouge sont excellentes en infusion pour faire cesser la toux ainsi que pour soulager de la diarrhée. On connaît aussi les propriétés médicinales de la morphine, qui est un dérivé de l'opium, mais qui nécessite une ordonnance médicale.


Genre : Féminin.


Déités : Cérès ; Diane ; Perséphone ; Déméter ; Hécate ; Morphée.


Propriétés magiques : Sommeil et rêves ; Fertilité ; Chance.


Applications :

SORTILÈGES ET SUPERSTITIONS

  • Pour accroître sa fertilité, il est recommandé de manger des graines de pavot sur du gâteau ou du pain - les bagels aux graines de pavot conviennent parfaitement.

  • Pour attirer la chance, placez des graines de pavot dans les poches de votre veston ou de votre manteau.

OREILLER DE RÊVE

Voici une variation intéressante qui vous permet de provoquer des rêves qui répondent à certaines questions que vous vous posez.

Ce dont vous avez besoin :

  • une chandelle bleue

  • de l'encens de muguet ou de lilas

  • un petit sac bleu bourré de boules d'ouate

  • 100 grammes (environ 3 1/2 onces) de graines de pavot

  • un morceau de papier blanc

  • une plume à encre bleue

Rituel : Allumez votre chandelle et votre encens. Inscrivez votre question sur la feuille de papier, puis placez les graines de pavot dans votre oreiller en y déposant également la feuille de papier. Ce faisant, prononcez les mots suivants :

Morphée, ouvre-moi les portes du sommeil

Apporte-moi la réponse à ma question

Qu'elle me vienne en songe de merveille

Que la connaissance entre en moi comme une libation.


Refermez l'oreiller et allez vous coucher. La réponse à votre question vous apparaîtra en rêve."

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Doreen Virtue et Robert Reeves proposent dans leur ouvrage intitulé Thérapie par les fleurs (Hay / House / Inc., 2013 ; Éditions Exergue, 2014) une approche résolument spirituelle du Pavot :


Nom botanique : Papaver spp.


Propriétés énergétiques : Réalise les souhaits et les rêves ; rappelle que tout est possible.

Archanges correspondants : Raziel, Uriel et Zadkiel.


Chakras correspondants : chakra coronal.


Propriétés curatives : Le pavot mène vos désirs vers leur accomplissement en participant activement à leur concrétisation dans votre réalité physique. Vos souhaits deviennent alors tangibles. Essayez cette méthode pour réaliser vos rêves grâce au pavot.

Achetez des graines de pavot chez un pépiniériste. Allez à l'endroit où vous voulez les semer (un massif de fleurs ou un pot). Tenez les graines dans la paume de votre main et visualisez votre souhait. Dites « Pavot, réalise ces désirs sincères aussi vite que possible. Je suis prêt à recevoir ces dons. Si tu sens qu'il existe encore mieux pour moi, je suis prêt à l'accueillir. Merci. » Semez vos graines et arrosez-les délicatement; Lorsque les pavots se mettront à pousser, vos désirs deviendront réalité.


Message du Pavot : « Les souhaits se réalisent vraiment ! Vos rêves sont plus près de la réalité que vous ne le pensez. Il vous suffit de demander et vous recevrez. Je vous prodigue de nombreux bienfaits. Je vous rappelle que vous pouvez avoir tout ce que vous désirez et que rien ne vous est inaccessible. Après m'avoir sollicité, permettez-nous simplement, à moi et à vos anges, de créer le moyen idéal de vous transmettre vos bienfaits Ouvrez les bras. Ouvrez votre cœur. Vous êtes sur le point de recevoir ! »

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Dans Petit Grimoire : Plantes sorcières, Les Sortilèges (Éditions « Au bord des continents... », mars 2019, sélection de textes extraits de Secrets des plantes sorcières) Richard Ely précise les caractéristiques magiques du Pavot :

Fleur de sommeil : Nul doute que les voyages hors du corps et les rêves prémonitoires donnent beaucoup à l'hypnotique pavot. Plante magique connue depuis la grande Égypte, le pavot duquel on tire l'opium possède en effet des propriétés hallucinogènes qui l'ont très naturellement inscrit au nombre des plantes entrant dans la composition d'onguents sorciers. Ces onguents étaient ensuite appliqués sur la peau et la drogue pénétrait le corps par ses orifices. La sensation d'être ailleurs se faisait vite ressentir et les hallucinations portaient la personne vers de fantastiques assemblées nocturnes. Outre cet usage particulier, beaucoup de préparations comptent le pavot au nombre de leurs ingrédients. Surtout pour favoriser le sommeil, engourdir sa victime ou délivrer une personne du poids qui la chagrine.

Le pavot est d'ailleurs une fleur dédiée à Hypnos, le dieu du sommeil, et à son fils, Morphée, le dieu des rêves. Le mythe de Déméter qui mange de ses graines pour oublier le chagrin dû à la perte de sa fille nous indique une autre de ses facultés. Celle d'être une sorte d'herbe d'oubli. Sous l'emprise du pavot, tous les malheurs s'effacent. L'esprit s'engourdit dans une sorte d'extase infinie où plus rien ne compte. on lévite en une trame sans fin, loin des réalités cruelles de ce monde, oubliant la perte d'un être cher, les soucis d'argent ou le mauvaises ententes qui polluent notre existence. Hélas, cette magie-là est de courte durée, ce n'est que mirage provoqué par la drogue qui vous fera bientôt sombrer dans un véritable enfer. Le lien de la plante avec le chagrin est encore présent dans le mythe des larmes de Vénus, pleurant son amant disparu, qui firent naître la fleur.

Le pavot est également attaché à la fertilité. Le nombre incroyable de ses graines en ait un symbole, aisé à comprendre. La femme qui le porte en amulette deviendra fertile. Ce grand nombre de graines que renferme la capsule de pavot lui confère, une fois sèche, un autre usage lié aux sorcières. Lorsqu'un esprit mauvais pénètre dans votre demeure, il vous suffit de briser la capsule et de répandre sur le sol son contenu. L'être ne pourra avancer dans sa sombre tâche qu'après avoir compté toutes les graines répandues, menant sa mission loin dans la nuit jusqu'à l'aube salvatrice où, dardé des rayons du soleil vainqueur de tout démon, il fuira pour ne plus revenir.


Coquelicot : Plante touchée de la main du diable qui en a laissé la trace entre au fond de sa corolle, le coquelicot n'en demeure pas moins une fleur magique qui fait oublier les malheurs et console les chagrins. Un sachet de graines sous l'oreiller favorise un sommeil réparateur et rempli de rêves agréables.


Signature : Lune.

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Maïa Toll, auteure de L'Herbier du chaman, 36 cartes divinatoires, A la rencontre de la magie des plantes (Édition originale 2020 ; Édition française : Larousse, 2021) nous révèle les pouvoirs du Pavot de Californie (Eschscholzia californica) :


Mot-clef : Résurrection


Parfois le jour a besoin de disparaître pour vous permettre de sombrer dans l'obscurité fertile de la nuit. Parfois vos yeux, qu'ils soient ouverts ou fermés, ont besoin de l'encre des ténèbres pour oublier. Le pavot de Californie apprécie à la fois l'ombre et la lumière. Il ouvre ses pétales dorés le jour et les ferme à la tombée de la nuit, s'abandonnant sans difficulté car convaincu que la résurrection viendra avec l'aube. « Ce n'est pas désagréable de dormir sans rêver, dit le pavot d'un ton apaisant, de plonger loin et profond. Ne craignez rien. Le jour viendra, vous vous étirerez et vous vous déplierez de nouveau. ».


Rituel : Le noir total

Quelle est la dernière fois où vous vous êtes abandonnée ? Où vous avez lâché votre face diurne pour glisser totalement dans la nuit ? Ou vous avez oublié les règles pour être vous-même ?

Nous avons oublié ce qu'est l'obscurité totale. Les lumières et l'électronique brillent toute la nuit et diminuent l'éclat des étoiles. Cependant, avec quelques efforts, nous pouvons avoir une idée assez juste du noir total.

Choisissez la soirée où vous allez rester dans le noir total. Éteignez toutes les lumières et tous vos appareils électroniques. Si vous avez des éclairages publics près de vos fenêtres, tirez les rideaux. N'utilisez pas de lampes de poche ni de lampe électrique. Si besoin, allumez une bougie ou pensez aux bougies chauffe-plat à piles.

Votre rythme circadien : Vous exposer à la lumière le soir empêche votre organisme de produire de la mélatonine, l'hormone sécrétée par votre épiphyse pour réguler votre rythme circadien.


Réflexion : Rencontrer votre face nocturne

Lorsque vous abandonnez les lumières artificielles pour plonger dans le noir complet, observez-vous :

Vos pensées changent-elles quand vous êtes dans le nori total ?

Vos mouvements sont-ils différents ?

Vous surprenez-vous à vouloir être plus honnête ou moins honnête ?

Sentez-vous que vous avez envie d'être plus sensuelle ou moins sensuelle ?

Quel est le rythme de vos conversations quand la lumière est faible ?

Avez-vous envie de dormir plus tôt que d'habitude ?

C'est votre face nocturne, un aspect de vous-même que vous avez peut-être rarement rencontré. Respirez en elle et voyez en quoi elle complète votre face diurne que vous connaissez par cœur.

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Mythologie :


D'après Angelo de Gubernatis, auteur de La Mythologie des plantes ou les légendes du règne végétal, tome 2 (C. Reinwald Libraire-Éditeur, Paris, 1882),


PAVOT. — Les Grecs représentaient Hypnos, le sommeil, la tête couronnée de pavots ou avec des pavots à la main ; ils représentaient de même Thanatos, la mort, et Nyx, la nuit. Les effets somnifères du pavot sont trop connus, pour que de pareilles images aient besoin d’être expliquées. On raconte que Cérès, désespérée de l’enlèvement de sa fille, pour oublier sa grande douleur, s’endormit en mangeant des pavots. Le pavot, poussant d’ordinaire au milieu des moissons, devient aisément l’attribut de la déesse des blés ; c’est pourquoi on voit Cérès, Ubertas et Bonus Eventus, couronnés de pavots. Dans une admirable peinture qui faisait partie du Panthéon de Pompéi, on voyait une prêtresse qui tenait des pavots et des épis dans ses mains. Les pavots et les épis se confondent. Ainsi, dans le cinquième livre d’Hérodote, les épis tiennent la place des pavots de Tarquin. Thrasybule, en tranchant les épis qui dépassent les autres, fait comprendre à Périandre, par un muet conseil, qu’il doit faire mourir les premiers citoyens de Corinthe. L’épi et la tête de pavot ont été comparés à des têtes humaines. Non seulement on voyait dans la tête du pavot une tête humaine, mais une ville entière, avec ses murs crénelés. La grande quantité de ses graines a fait songer à toute une population. Gyraldi, dans ses Pythagorae Symbola (Bâle, 1551), écrit : « Papaver fertilitatis et urbis symbolum fuit. » Pausanias (II), nous parle d’une Vénus tenant d’une main une pomme et de l’autre un pavot.

Nos jeunes filles renouvellent encore parfois, avec la feuille de pavot et avec la feuille de rose, l’ancien jeu d’amour représenté par Théocrite (Id. I). « Le fanciulle greche, dit Zecchini (Quadri della Grecia moderna), per sapere se sieno amate, percuotono sulla loro mano una foglia di rosa ; scoppietta ? Ed eccole in festa. » La feuille de rose ou de pavot doit faire grand bruit sans se casser, lorsque l’amoureux ou l’amoureuse la frappe ; si la feuille se déchire, ce n’est pas un bon signe. Julius Pollux (IX), nous apprend que l’on plaçait la feuille sur le cercle formé par les deux premiers doigts de la main, dont les pointes se touchaient. Les amoureux de la Grèce voyaient probablement dans le ... un ..., un « espion d’amour ». De la Grèce, l’usage a dû passer à Rome et se répandre dans toute l’Italie, où il se conserve encore.

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Véronique Dasen, dans un article intitulé "Sexe et sexualité des pierres dans l'Antiquité gréco-romaine." (In : Les savoirs magiques et leur transmission de l'Antiquité à la Renaissance. 2014. pp. 195-220) s'intéresse aux croyances des Anciens relatives à la porosité entre les règnes :


Le discours mythique atteste lui aussi de passages d’un règne à l’autre. Les récits abondent sur les humains et les animaux qui sont pétrifiés, généralement comme punition divine ou victimes du pouvoir de Méduse. Les cailloux de l’île de Sériphos sont les habitants empierrés lors du passage de Persée avec la tête de Méduse, mais à l’inverse, la race humaine naît de pierres semées dans le sol dans le mythe de Deucalion et Pyrrha. Le vocabulaire évoque la nature organique du minéral en le comparant ou en l’associant à la croissance du végétal ; Niobé sent « le roc monter et l’asservir », « aussi tenace que le lierre », tandis qu’Arsinoé se transforme en pierre tout en s’enracinant dans le sol. Ces pierres marquent le paysage, tel Atlas devenu montagne, et restent animées d’une vie cachée. Sur le Mont Sipyle, le rocher de Niobé pleure, démonstration minéralisée de l’éternité de sa douleur. Les métamorphoses sont-elles réversibles ? Si des mortels peuvent se transformer en statues, des statues s’animent et se transforment en êtres vivants, comme dans la célèbre histoire de Pygmalion et Galatée.

[...]

A l’inverse, le végétal peut engendrer des pierres. Parmi les curiosités, réelles ou imaginaires, que recense pseudo-Plutarque, se trouve un pavot qui pousse sur les bords du Caïque, en Mysie ; il produit des pierres noires qui sont semées par les habitants et qui s’agitent quand la récolte promet d’être abondante.

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Contes et légendes :


Dans la collection de contes et légendes du monde entier collectés par les éditions Gründ, il y a un volume consacré exclusivement aux fleurs qui s'intitule en français Les plus belles légendes de fleurs (1992 tant pour l'édition originale que pour l'édition française). Le texte original est de Vratislav St'ovicek et l'adaptation française de Dagmar Doppia. L'ouvrage est conçu comme une réunion de fleurs qui se racontent les unes après les autres leur histoire ; le Pavot raconte la sienne dans un conte venu de Roumanie et intitulé "Le malin Bukur et ses enfants" :


"Je voudrais, en même temps, rire et avoir peur ", déclara la Rose avec espièglerie, tout en examinant la salle de danse du regard. " Une histoire de dragon vous plairait-elle ? " suggéra le Pavot, les joues en feu après la dernière danse, secouant vaillamment sa couronne de pétales ardents. "Pourquoi pas ? , consentit la Reine. Mais il faut qu'elle soit drôle également. " Le Pavot ne se fit pas prier.

Lorsque le bruit se répandit que le malin Bukur demandait en mariage la bavarde Mara, la nouvelle fit sensation dans tout le village. Le fiancé comme son élue étaient pauvres comme Job, mais même les plus malheureux doivent se parer pour la noce. Bukur emprunta son complet à l'épouvantail qui gardait les champs, Mara se tailla une traîne dans un vieux sac. Comme ils ne possédaient qu'une seule aire de sabots, Bukur chaussa le côté gauche, Mara le côté droit et ils furent fin prêts pour se rendre à l'église. D'emblée, ils s'entendirent bien tous les deux. Clac ! faisaient leurs sabots sur le chemin de l'église. Bêêê ! ajoutaient un petit bouc noir et une chevrette blanche, leurs témoins.

Après la bénédiction de monsieur le curé, Bukur et Mara se donnèrent un baiser, et le bouc et la chèvre bêlèrent à deux voix pour sceller leur union. Les jeunes mariés s remirent au travail comme à l'accoutumée. Un homme marié ne fait pas dormir sa femme à la belle étoile, cela tombe sous le sens, mes très chers amis ! Ainsi, Bukur, secondé par sa Mara, entreprit la construction de sa maison. Ils la firent en gazon : tantôt elle s'avançait à gauche, tantôt derrière. Bref, elle était bancale. Bukur et Mara estimèrent qu'ils avaient la plus belle maison au monde. Chaque fois qu'ils la regardaient de l'extérieur, ils restaient admiratifs et riaient de bonheur.

"Nous deviendrions vite tristes si nous restions seuls, jugea le sage Bukur. Dis, Mara, combien d'enfants veux-tu avoir ?

- Une ribambelle, rit Mara. Autant de garçons et de fillettes que je vais te donner de baisers, précisa-t-elle, et elle combla Bukur de tant de baisers qu'il en perdit vite le compte.

- Quatre-vingt-dix-neuf baisers ! déclara Bukur à sa femme.

- Non, non, cent tout rond, répliqua Mara.

- Je te dis qu'il y en avait quatre-vingt-dix neuf, dit Bukur.

- Et moi, je te dis qu'il y en avait cent ! s'emporta Mara. Bukur soupira :

- Sais-tu Mara ? Au lieu de nous disputer, nous allons recommencer." Et ils recommencèrent. Lorsqu'ils eurent compté enfin cent baisers, ils s'étreignirent et dansèrent de joie.

"Nous aurons cent enfants", exultèrent-ils. Hélas ! Leur désir ne fut pas exaucé. Les années passaient et les enfants ne venaient pas. Bukur était très maussade : il avait une femme, un toit, et même un lopin de terre, il ne lui manquait que les enfants pour faire son bonheur. Bukur visitait son champ, surveillait la récolte, regardait les pavots rouges et les centaurées bleues s'ouvrir au milieu du blé doré sans éprouver de joie. Les pavots s'effeuillèrent, laissant la place à des capsules vertes. Les capsules brunirent, mûrirent, et Bukur devint de plus en plus triste. Un jour, alors qu'il était assis au bord de son champ à méditer sur sa triste destinée, il entendit soudain des petites voix qui sortaient d'une capsule.

"Délivre-nous, Bukur ! criaient-elles.

- Quel est ce sortilège ? " s'étonna Bukur. Il cassa précautionneusement la capsule pour l'emporter à la maison. Là, il l'ouvrit avec son couteau de poche. De minuscules graines de pavot s'échappèrent de la capsule et se transformèrent, en tombant par terre, en une bande désordonnée de jeunes enfants : des petits garçons, de vrais petits diables, des petites filles, gracieuses comme des fées en herbe. Ils étaient cent, ni plus ni moins. Bukur et Mara avaient eu du mal à les compter. La maisonnée devint gaie comme aux jours de fête. Les garçons s'égaillèrent, inspectant tous les coins, montant sur le toit par la cheminée, sautant dans le bac de lessive de Mara, grimpant sur les genoux de leur père, faisant de l'escrime avec des aiguilles à tricoter, tirant leur sœurs par les cheveux ; celles-ci n'attendaient que cela pour se mettre à couiner comme si on les égorgeait. Devant ce désordre, Bukur et Mara riaient aux larmes.

"Voilà, Mara. Nous avons enfin ce que nous désirions depuis si longtemps, dit Bukur après avoir bien ri. A moi de jouer maintenant, pour nourrir tout ce petit monde. Notre petit champ n'y suffira plus. Je m'en irai donc chercher du travail qui nous rapportera un peu d'argent."

Bukur mit un quignon de pain dans une poche, un morceau de fromage dans l'autre, et s'en alla. Au bout de quelques temps, il rencontra des bergers. Ils étaient assis autour du feu, moroses, silencieux.

"Holà, braves gens, pourquoi êtes-vous si tristes ? Si j'avais un si beau troupeau de moutons, je sauterais de joie.

- Nous aussi, nous sauterions de joie si ce troupeau nous appartenait, répondirent les bergers. Hélas ! Dans un moment, un dragon va venir le chercher. Tous les jours, nous devons lui en apporter un, sinon il nous tue. Si cela continue, il ne nous restera plus que les yeux pour pleurer.

- Il faut faire quelque chose, déclara Bukur, indigné. Nous n'allons tout de même pas laisser tous ces beaux moutons disparaître dans le gosier du dragon. La moitié de ce troupeau suffirait à nourrir toute une famille pendant une année. Si vous me promettez de me donner cette moitié-là, et si vous la conduisez jusqu'à ma maison, je m'engage à vous débarrasser du dragon. Jusqu'à la fin de vos jours, vous n'entendrez plus parler de lui."

Les bergers firent ce que souhaitait Bukur. Ils réunirent la moitié des moutons qui paissaient sur les collines et les conduisirent jusqu'à sa maison. Mara fut transportée de joie. Pendant ce temps, le malin Bukur s'installa tranquillement sur une pierre, souffla très fort dans sa flûte, tout en gardant un vieux mouton que les bergers lui avaient laissé. Soudain, un dragon surgit devant lui. Il avait trois têtes qui jetaient des flammes.

"Où sont mes moutons ? hurla-t-il d'une voix de tonnerre qui faisait plier les arbres.

- Mais oui, je mange des croûtons, répondit paisiblement Bukur.

- Où est mon troupeau ? s'égosillait le dragon.

- Non, je n'ai pas ton couteau, dit Bukur en tendant l'oreille vers le monstre. Vraiment, tu as l'esprit bien peu délié."

Le dragon étouffait de rage.

"Si tu ne me rends pas tout de suite mes moutons, tu signes ton arrêt de mort, tonna-t-il.

- Tu te trompes, c'est moi le plus fort, répondit Bukur d'un ton sans réplique. Et puis, parle plus fort, mon petit, je n'entends pas ce que tu dis. Si tu veux te mesurer à moi, fais-moi auparavant une démonstration de ta force. Presse dans ta bouche une pierre jusqu'à ce que l'eau en jaillisse. Si tu n'y parviens pas, il est inutile que nous nous battions. Je pourrais te blesser à mort."

Le dragon ramassa la première pierre qui se trouvait à sa portée. Il eut beau la presser et la broyer, pas une goutte d'eau n'en sortit.

"Tu ne vaux pas grand-chose, jugea Bukur en faisant la moue. Regarde ce que moi je sais faire. "

Il sortit subrepticement le morceau de fromage blanc de sa poche et le pressa, jusqu'à ce que de l'eau se mît à en sourdre.

"Et ce n'est rien encore, se vanta Bukur. J'ai cent enfants à la maison. Tous entrent dans une capsule de pavot, mais chacun d'eux est cent fois plus fort que moi. " Le dragon fut pris de peur.

"Allons, ne te fâche pas, mon garçon, fit-il en tentant de se ménager les bonnes grâces de l'hercule inconnu. J'ai une idée : entre à mon service. Si tu me sers pendant une année, je te paierai comme il faut.

- Combien de temps dure une année de dragon ? voulut savoir Bukur.

- Trois journées entières, répondit le dragon. Bukur hésita.

- C'est bien long, mais tant pis. c'est d'accord ! "

Quand l'affaire fut conclue, le dragon conduisit Bukur à sa caverne. Sa vieille femme avait déjà allumé le feu en l'attendant.

"Où sont les moutons ? s'étonna-t-elle.

- Aujourd'hui, il faudra nous contenter de cet unique mouton. En revanche, je t'amène un serviteur d'une force exemplaire." Et il se hâta de raconter en catimini à sa femmes les prouesses de Bukur. La dragonne prit son mari à part.

"Imbécile, chuchota-t-elle. S'il est vraiment aussi fort, nous devons nous débarrasser de lui par la ruse, autrement il nous tuera tous les deux. Lorsqu'il s'endormira cette nuit, tu lui donneras trois coups de massue sur la tête."

Bukur faisait mine de ne pas s'occuper des deux monstre, mais, en réalité, il ne perdit pas un mot de leur conversation. Lorsque tout le monde se coucha le soir pour dormir, il quitta discrètement son lit, posant à sa place un billot de chêne. La nuit, le dragon se leva, empoigna son énorme massue et asséna trois coups sur ce qu'il croyait être la tête de Bukur. "C'en est fait de lui", rapporta-t-il à sa femme. Mais, voilà qu'en ouvrant les yeux le matin, ils eurent la surprise de voir Bukur assis sur son lit, en train de bâiller à se décrocher la mâchoire.

"J'ai mal dormi cette nuit, se plaignit-il. Une puce est venue me piquer trois fois sur le front." Le dragon et sa femme pâlirent de terreur. Quand il finit par se ressaisir un peu, le dragon ordonna à son serviteur :

"Prends ma massue et lance-la dans les branches du pin qui pousse devant l'entrée pour faire tomber quelques pommes, afin que ma femme puisse allumer le feu."

"D'accord, répondit Bukur, mais je te préviens : je ne connais pas ma force. Et si ta massue vole jusqu'à la lune ? Mon frère, qui s'y est installé comme forgeron, ne me la rendrait pas, avare comme il est."

"Seigneur, s'affola le monstre. Ma massue est en or pur. J'aime autant faire tomber les pommes de pin moi-même". il se mit aussitôt au travail. Pendant ce temps, couché dans l'herbe, Bukur paressa jusqu'au soir. Sa première journée de service passa plutôt agréablement.

Le lendemain, le dragon décida d'aller chercher de l'eau au puits. Il se munit d'une outre énorme et en donna une à Bukur. En chemin, celui-ci faillit rendre l'âme sous l'outre vide. Le dragon puisa l'eau dans son outre, puis céda la place à son valet.

"C'est ton tour. Fais descendre l'outre dans le puits." Bukur n'en fit rien. Au lieu de cela, il prit son canif et se mit à creuser le sol tout autour du puits.

"Qu'est-ce que tu fais ?" s'impatienta le dragon.

"Qu'est-ce que tu crois ? Je déterre le puits pour le porter sur mon dos jusqu'à la caverne. Tu t'imaginais peut-être que j'allais me déranger tous les jours pour venir chercher de l'eau jusqu'ici ? " rit Bukur. Le dragon prit peur. "Arrête, arrête, s'il te plaît ! Tu pourrais endommager les sources. Je préfère porter l'eau moi-même. A son retour dans la caverne, le dragon parla à sa femme de la force effroyable de leur serviteur. Épouvantée, la femme du dragon en brûla les galettes qu'elle était en train de faire cuire sur le fourneau.

Le troisième jour, le dragon conduisit Bukur dans la forêt pour aller chercher du bois. Pendant qu'il déracinait les pins l'un après l'autre pour les charger sur son épaule, son serviteur faisait le tour de la forêt, en entourant les arbres avec une ficelle.

"Qu'est-ce que tu fais encore ? se fâcha le dragon.

- Qu'est-ce que tu crois ? Je vais emporter toute la forêt comme un seul fagot. Tu t'imaginais peut-être que j'allais revenir ici tous les jours pour un peu de bois sec !"

- Arrête tout de suite, espèce de fou ! éclata le dragon. Ou bien, tu veux dévaster toute la forêt ? J'aime mieux porter le bois moi-même."

Chargé comme un baudet le dragon reprit en geignant le chemin de son repaire. Futé, son valet le suivait, marchant comme un prince, les mains dans les poches.

"Voilà, Bukur, lui dirent en prenant des précautions le dragon et sa femme, ton année de service s'est écoulée. Prends un sac de pièces d'or et qu'on ne te revoie plus !

- Pas question ! Justement, je commençais à me plaire chez vous. Laissez-moi vous servir pendant au moins trois ans encore. Je vais vous montrer ce dont je suis capable. Je vais boire tout un lac pour le recracher ici, dans la caverne. Ce sera pratique pour nettoyer le plancher jusqu'à le faire reluire.

- Ne fais pas cela, Bukur, supplièrent les deux monstres, les larmes aux yeux.

- C'est très généreux de ta part, mais nous croyons pouvoir nous passer de tes services. Prends plutôt trois sacs de pièces d'or, mais laisse-nous en paix. - Vous avez raison, après toit, rit Bukur, mais je suis tout de même fatigué d'avoir tant travaillé. Je crois que je vais rester une année de dragon supplémentaire pour me reposer. - Surtout pas, Bukur, supplia le dragon. Je vais porter tes sacs d'or jusqu'à chez toi, mais va-t-en tout de suite."

Le dragon chargea les sacs sur son dos, Bukur s'installa à califourchon sur sa queue et , en avant ! Le dragon soufflait et gémissait, tandis que Bukur chantait à pleins poumons. Les gens accoururent de toutes parts pour l'acclamer. Lorsque le dragon s'arrêta devant la masure de Bukur, tous les enfants en sortirent en s'égosillant.

"Pourquoi ces garnements font-ils tant de vacarme ? se grogna le dragon.

- Ils ont faim, dit Bukur en riant sous cape, alors ils sont contents à l'idée de manger un bon rôti de dragon."

En entendant cela, le monstre jeta à terre les sacs d'or et Bukur, avant de partir ventre à terre. On ne le vit plus jamais dans cette contrée. Bukur et Mara vécurent heureux avec leurs enfants et profitèrent bien de leurs richesses dont ils laissèrent une grande partie à leurs enfants. Heureux, Bukur visitait son champ et la bavarde Mara racontait des histories aux enfants. Ils préféraient celle de la capsule de pavot et se la firent conter cent fois chacun."

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