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Symbolisme du Jardin



Étymologie :


  • JARDIN, subst. masc.

Étymol. et Hist. 1. a) 2e quart du xiie s. « terrain, généralement clos, où l'on cultive des végétaux utiles ou d'agrément » (Grand mal fit Adam, éd. H. Suchier, 88) ; b) 1732 jardin botanique « jardin où l'on cultive des plantes médicinales » (Nouv. maison rustique d'apr. FEW t. 16, p. 19b) ; 1798-99 « jardin où sont rassemblées des plantes de différentes espèces, classées de façon à en permettre l'observation scientifique » (E.-P. Ventenat, Tableau du règne végét. selon la méthode de Jussieu, t. 1) ; c) 1771 jardin anglais (L'Art de former les jardins modernes, ou l'art des jardins anglois, Paris, Jombert d'apr. le Cours complet d'agriculture... par une société d'agriculteurs, 1781-96, t. 6, p. 69) ; d) 1814 jardin français (Jouy, Hermite, t. 5, p. 259) ; 1859 jardin à la française (Du Camp, Hollande, p. 248) ; e) 1866 jardin d'hiver (Goncourt, Journal, p. 292) ; 2. 1532 « région riche, fertile » (Rabelais, Pantagruel, IX, 121, éd. V.L. Saulnier, p. 54 : jardin de France) ; 3. 1834 jardin zoologique (Michelet, Journal, p. 126) ; 4. 1859 jardin d'enfants (Id., ibid., p. 465). Remonte prob. à un gallo-rom. *hortus gardinus (gardinium attesté au ixe s. en lat. médiév. ds Nierm.) « jardin entouré d'une clôture », dont le second élém. est issu de l'a. b. frq. *gart ou *gardo « clôture », cf., pour le sens, le got. garda « clôture » ainsi que, pour la forme, l'a. h. all. gart, garto « jardin », all. Garten, et le m. néerl. gaert (attesté dans des composés, boomgaert « jardin ; verger », wijngaert « vignoble »), ainsi que l'a. fr. et le m. fr. jart, gart « jardin » (dep. le xiie s. ds T.-L.; Gdf.). Du fr., jardin s'est répandu dans les autres lang. rom. (v. FEW t. 16, p. 21a ; G. Rohlfs, Romanische Sprachgeographie, p. 110-111, 285) et en angl. (à partir de l'agn. gardin), cf. garden-party. Au sens 4, calque de l'all. Kindergarten, cette institution ayant été ainsi nommée par son fondateur, Fr. Fröbel, en 1840 (v. Brockhaus Enzykl.).


Lire aussi la définition pour amorcer la réflexion symbolique.

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Hortithérapie :


Dans Les Langages secrets de la nature (Éditions Fayard, 1996), Jean-Marie Pelt évoque les différents modes de communication chez les animaux et chez les plantes et s'interroge plus particulièrement sur l'influence des plantes sur les humains :


Sous le nom d'« hortithérapie », on conseille aux personnes en difficulté de cultiver un jardin, puis on les guide dans cette approche. Récemment, une jeune femme me raconta comment, après une grave dépression, elle avait recouvré la santé en transformant le balcon de son appartement en jardin. Elle avait découvert l'hortithérapie ans le savoir ! Car, sous ce nom, de multiples expériences se développent en France et à l'étranger, aux États-Unis en particulier (Jardin botanique de Chicago, Université de Kansas City), au profit des handicapés physiques et mentaux. Il existe même des hortithérapeutes, et une association américaine de thérapie par l'horticulture (Horticultural Therapy, Mme S. Ménezo, Montpensé-Foncouverte, 17100 Saintes). D'inspiration nettement anglo-saxonne, avec d'importants prolongements au Japon, cette nouvelle version de la « médecine par les plantes » est fondée sur le lien intime, immédiat, intuitif qui rapproche mystérieusement la plante et l'homme dans une singulière communication. Cette autre version de la « main verte » - l'« âme verte », faudrait-il dire - n'est certes pas l'apanage de ceux qui connaissent les plantes par la seule approche rationnelle et scientifique. Bien au contraire, les plantes donnent à tous, et largement ; mais à condition de s'ouvrir à leur beauté, à leur douceur, à ceux de leurs « mœurs et comportements » qui, dans l'unité profonde de la vie, sont également les nôtres. Il n'est, pour s'en convaincre, que de se jeter à l'eau : de commencer à peupler son appartement de plantes et à les cultiver avec affection.

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Symbolisme :


Dans son ouvrage intitulé Des fruits (Librairie Arthème Fayard, 1994), Jean-Marie Pelt reconstitue l'histoire de l'utilisation des fruits par les premiers hommes :


Il y a dix mille ans, la naissance de l'agriculture, avec la sédentarisation, voit apparaître les premiers vergers. Les fameux jardins suspendus de Babylone, l'une des Sept Merveilles du monde antique, n'étaient pas seulement couverts de fleurs décoratives et d'arbustes ornementaux ; ces terrasses abritaient aussi des potagers et des vergers où figuraient des grenadiers, des amandiers, des pistachiers, des figuiers, des pruniers, des noyers, des abricotiers, des dattiers et de la vigne. Ni orangers ni citronniers dans ces collections déjà richement pourvues : le citron et l'orange n'avaient pas encore entrepris leur lente migration à partir de la Chine, leur berceau d'origine.

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Selon Nikki Scully, auteure de Méditations de l'animal pouvoir, Voyages chamaniques avec les alliés esprits (éditions originales 1991, 2001 ; traduction française : Guy Trédaniel Éditeur 2002),


"Le jardin est un lieu de réalisation, qui devient la plate-forme conduisant au niveau suivant, ou à l'étape suivante, de votre développement. Vous pouvez profiter de la sérénité de ce jardin pour vous envelopper dans une paix qui vous permet de voir au-delà des limitations de vos espoirs et de vos rêves. Si vous espérez encore des choses, vous ne serez pas capable de voir le futur. Tant que votre énergie est concernée par des choses que vous voulez, que vous pensez pouvoir avoir ou atteindre, vous restez collé. Une fois que vous avez obtenu tout ce que vous désirez - l'éprouvant, l'aimant, le recevant joyeusement - alors ? Que le non-prévu soit le don final du Chaudron ; et vous pourrez revenir de temps en temps pour faire l'expérience de votre propre croissance et des changements et des possibilités encore inconcevables qui vous attendent.

Ce voyage fournit une occasion d'enrichir votre relation avec les totems que vous avez rencontrés dans ce livre. Il fournit un espace pour vous reconnecter avec vos nouveaux alliés, et les honorer. Dans mon propre voyage avec ces esprits amis, et d'autres, j'ai fait l'expérience de connexions spontanées avec ces êtres, simplement dans le dessein d'exprimer mes remerciements. la gratitude et la joie ressenties au cours de ce processus sont des évocations de certains des moments les plus profonds et chaleureux que j'ai vécus.

Vous n'avez pas besoin d'attendre, pour venir dans ce jardin, d'avoir rencontré tous les participants présentés dans ce livre, car ce voyage vous nourrira à tout moment.


Voyage du Jardin

[Faites l'Alchimie du Chaudron... ]

Thoth est là. Il est très heureux de vous voir et il vous amène dans un jardin luxuriant. Prenez le temps d'honorer Thoth, pour pouvoir le remercier de vous avoir guidé dans ces voyages... [Pause]

En entrant dans le jardin, vous voyez peut-être la Vieille qui s'occupe d'un rosier. Elle est aussi ravie de vous voir. Elle peut aussi montrer certaines plantes spéciales. L'amour que la Vieille ressent pour vous est comme l'amour qu'elle a pour son jardin. Vous pouvez parler de votre amour mutuel... [Pause]

Il y a de nombreuses fleurs, des arbustes, des herbes médicinales et culinaires en abondance, et des arbres fruitiers, mais le jardin change et croit constamment, et dans cet arrangement exceptionnel, il y a une voie de conscience de soi. Tandis que vous allez parmi les plates-bandes et le feuillage luxuriant, vos sens s'aiguisent. Sentez le parfum, y compris celui de la terre riche, des herbes, et des fleurs. Ecoutez les bruits des insectes, et des colibris...

Un grand espace au centre du jardin vous invite à vous y asseoir. Remarquez tout ce qui pousse immédiatement autour de vous...

Laissez le temps à chacun des animaux et autres alliés de vos expériences de voyage, de venir au centre du jardin. C'est un moment spécial pour honorer, et exprimer sa gratitude. La plupart présenteront leurs respects, et partiront après le temps de partage. Certains resteront un moment, le plus souvent pour vous faire savoir qu'ils ont d'autre travail à faire avec vous... [Longue pause]

Quand l'amour et les remerciements sont pleinement partagés, et les adieux achevés, commencez à penser à ce que vous voudriez qu'il arrive dans votre vie. Choisissez un aspect de votre vie qui est très important pour vous, que vous aimeriez développer. Soyez ouvert à une variété de possibilités non épanouies, et décidez de celle sur laquelle se posera le désir de votre cœur - votre espoir le plus haut pour l'avenir. Concentrez-vous sur l'impression que donne le fait de recevoir exactement ce que vous voulez voir arriver dans votre vie, et de réaliser cela... Soyez avec cela dans le jardin. Imaginez que vous l'avez déjà reçu.

A quoi ressemble le monde autour de vous ? Quelle impression donne-t-il ? ...

Une fois que vous vous êtes vu en possession de ce que vous désirez, quelque chose d'autre peut venir à l'existence, en conséquence. Aussi, admettez que vous l'avez, et voyez ce qui arrive ensuite. Maintenant, vous pouvez avoir un aperçu de ce à quoi ressemble le futur. Soyez prêt pour l'inattendu... [Pause]

[Prenez le temps dont vous avez besoin? Vous connaissez le chemin du retour...]


Mots-clefs : Gratitude / Regarder au-delà."

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Mythologie :


Le Glossaire théosophique (1ère édition G.R.S. MEAD, Londres, 1892) d'Helena Petrovna Blavatsky propose une entrée relative au jardin d'Eden :


ÉDEN (héb.). "Délice", plaisir. Dans la Genèse, le "Jardin de Délice" construit par Dieu ; dans la Cabale, le "Jardin de Délice" lieu d'initiation aux mystères. Les orientalistes l'identifient à un endroit situé en Babylonie dans le district de Karduniyas, appelé aussi Gan-dunu, qui est presque comme le Gan-eden des Juifs (voir les œuvres de Sir H. Rawlinson et de G. Smith). Ce district a quatre rivières, l'Euphrate, le Tigre, le Surappi et l'Ukni. Les deux premières ont été adoptées sans changement par les Juifs ; les deux autres ont été probablement transformées en "Gihon et Pison", afin d'avoir quelque chose d'original. Voici maintenant quelques raisons pour identifier l'Éden, comme le font les assyriologues. Les cités de Babylone, Larancha et Sippara furent fondées avant le déluge, selon la chronologie des Juifs. "Surippak était la cité de l'Arche, la montagne à l'est du Tigre était le lieu de repos de l'arche. Babylone fut le site de la Tour, et Ur en Chaldée le lieu de naissance d'Abraham". Et comme Abraham, "le premier chef de la race hébraïque émigra d'Ur vers Harran en Syrie puis de là en Palestine", les meilleurs assyriologues pensent qu'il y a "assez de preuves en faveur de l'hypothèse que la Chaldée ait été le foyer d'origine de ces histoires (dans la Bible) et que les Hébreux les reçurent tout d'abord des Babyloniens".

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Ritournelles :


Paul Sébillot, auteur de Additions aux Coutumes, Traditions et superstitions de la Haute-Bretagne (Éditeur Lafolye, janv. 1892) rapporte une ritournelle traditionnelle assez mignonne :


LE JARDIN DE MA TANTE.


328. - Je vends le jardin de ma tante - Dame, c'est que c'est un beau jardin que le jardin de ma tante.

Dans le jardin de ma tante, il y a un arbre. - Dame, c'est que c'est un bel arbre que l'arbre du jardin de ma tante.

Dans l'arbre du jardin de ma tante, il y a des branches. - Dame, c'est que c'est de belles branches que les branches de l'arbre du jardin de ma tante.

Dans les branches de l'arbre du jardin de ma tante, il y a un nid. - Dame, c'est que c'est un beau nid que le nid de la branche de l'arbre du jardin de ma tante.

Dans le nid de la branche de l'arbre du jardin de ma tante, il y a des œufs. - Dame, c'est que c'est de beaux œufs que les œufs du nid de la branche de l'arbre du jardin de ma tante. Dans les œufs du nid de la branche de l'arbre du jardin de ma tante, il y a des petits. - Dame, c'est que c'est de beaux petits que les petits des œufs de l'arbre du nid des branches de l'arbre du jardin de ma tante. Sur les petits des œufs du nid de la branche de l'arbre du jardin de ma tante, il y a de la plume. - Dame, c'est que c'est de belles plumes que la plume des petits des œufs du nid de la branche de l'arbre du jardin de ma tante .

(Saint-Cast).

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Littérature :


Je me mis à parcourir avec extase ce verger ainsi métamorphosé ; et si je ne trouvai point de plantes exotiques et de productions des Indes, je trouvai celles du pays disposées et réunies de manière à produire un effet plus riant et plus agréable. Le gazon verdoyant, mais court et serré, était mêlé de serpolet, de baume, de thym, de marjolaine, et d’autres herbes odorantes. On y voyait briller mille fleurs des champs, parmi lesquelles l’œil en démêlait avec surprise quelques-unes de jardin, qui semblaient croître naturellement avec les autres. Je rencontrais de temps en temps des touffes obscures, impénétrables aux rayons du soleil, comme dans la plus épaisse forêt [ …] Dans les lieux plus découverts je voyais çà et là, sans ordre et sans symétrie, des broussailles de roses, de framboisiers, de groseilles, des fourrés de lilas, de noisetier, de sureau, de seringa, de genêt, de trifolium, qui paraient la terre en lui donnant l’air d’être en friche. Je suivais des allées tortueuses et irrégulières bordées de ces bocages fleuris, et couvertes de mille guirlandes de vigne de Judée, de vigne vierge, de houblon, de liseron, de couleuvrée, de clématite, et d’autres plantes de cette espèce, parmi lesquelles le chèvrefeuille et le jasmin daignaient se confondre. Ces guirlandes semblaient jetées négligemment d'un arbre à l'autre, comme j'en avais remarqué quelquefois dans les forêts, et formaient sur nous des espèces de draperies qui nous garantissaient du soleil, tandis que nous avions sous nos pieds un marcher doux, commode et sec, sur une mousse fine, sans sable, sans herbe, et sans rejetons raboteux.

Jean-Jacques Rousseau, Julie ou La Nouvelle Héloïse, 1761

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"Ce jardin ainsi livré à lui-même depuis plus d'un demi-siècle était devenu extraordinaire et charmant. […] Il y avait un banc de pierre dans un coin, une ou deux statues moisies, quelques treillages décloués par le temps pourrissant sur le mur; du reste plus d'allées ni de gazon; du chiendent partout. Le jardinage était parti, et la nature était revenue. Les mauvaises herbes abondaient, aventure admirable pour un pauvre coin de terre. La fête des giroflées y était splendide. Rien dans ce jardin ne contrariait l'effort sacré des choses vers la vie ; la croissance vénérable était là chez elle. Les arbres s'étaient baissés vers les ronces, les ronces étaient montées vers les arbres, la plante avait grimpé, la branche avait fléchi, ce qui rampe sur la terre avait été trouver ce qui s'épanouit dans l'air, ce qui flotte au vent s'était penché vers ce qui se traîne dans la mousse; troncs, rameaux, feuilles, fibres, touffes, vrilles, sarments, épines, s'étaient mêlés, traversés, mariés, confondus; la végétation, dans un embrassement étroit et profond, avait célébré et accompli là, sous l'œil satisfait du créateur, en cet enclos de trois cents pieds carrés, le saint mystère de sa fraternité, symbole de la fraternité humaine. Ce jardin n'était plus un jardin, c'était une broussaille colossale, c'est-à-dire quelque chose qui est impénétrable comme une forêt, peuplé comme une ville, frissonnant comme un nid, sombre comme une cathédrale, odorant comme un bouquet, solitaire comme une tombe, vivant comme une foule.

Victor Hugo, Les Misérables, 1862

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« Je méditais ; soudain le jardin se révèle

Et frappe d'un seul jet mon ardente prunelle.

Je le regarde avec un plaisir éclaté ;

Rire, fraîcheur, candeur, idylle de l'été!

Tout m'émeut, tout me plaît, une extase me noie,

J'avance et je m'arrête ; il semble que la joie

Était sur cet arbuste et saute dans mon cœur !

Je suis pleine d'élan, d'amour, de bonne odeur,

Et l'azur à mon corps mêle si bien sa trame

Qu'il semble brusquement, à mon regard surpris,

Que ce n'est pas ce pré, mais mon œil qui fleurit

Et que, si je voulais, sous ma paupière close Je pourrais voir encore le soleil et la rose. »


Anna de Noailles, Les Eblouissements, 1907.

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« C’est beau l’été. Toute vibrante des harpes de la musique du monde, la terre repose, attentive ; comme un doux animal elle pointe ses oreilles-feuilles vertes du plantain dressées sur tous les chemins qui s’ouvrent aux insectes autour desquelles bourdonnent les moustiques. Et dans les pavillons et les replis de ces oreilles les scarabées susurrent des mots de scarabées, mystérieux, compris d’eux seuls ; les abeilles y laissent tomber des gouttes de leur mélodie, tandis que vibrent les coups d’archet des cigales, les cloches, les flutes et les cymbales des oiseaux. » [...]

« Je reste suspendu, accroché à la clôture d’un jardin envahi de houblon, un petit jardin de paysan. Dans la buée du soleil, légère et paisible, qui flotte immobile dans l’air, les Piérides se pourchassent au milieu du bourdonnement des mouches dorées et bleues, parmi les bourdons occupés à piller les calices raidis des fleurs ( …) Mais mon attention se concentre sur une Piéride du chou qui fourrage l’étoile rouge d’une marguerite. Le dessous jaunâtre de ses ailes brille dans la lumière oblique ; elle a ramassé des ailes l’une contre l’autre. Semblable à une ballerine, le papillon se promène, palpant gracieusement de l’extrémité de ses pattes l’assiette à grains jaunes et bordée de rouge, plongeant sa trompe dans le minuscule flacon de miel. S’exerce-t-il à la danse aux pas des Marguerites, accompagné des coups d’archet des grillons perdus dans la clôture du jardin ? »


Jean Rostand, La vie des papillons, 1930

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Colette décrit les jardins de son village natal de Saint-Sauveur en Puisaye :


Dans mon quartier natal, on n’eût pas compté vingt maisons privées de jardins. Les plus mal partagées jouissaient d’une cour, plantée ou non, couverte ou non de treilles. Chaque façade cachait « un jardin-de-derrière » profond, tenant aux autres jardins-de-derrière par des murs mitoyens. Ces jardins-de-derrière donnaient le ton au village. On y vivait l’été, on y lessivait ; on y fendait le bois l’hiver, on y besognait en toute saison, et les enfants, jouant sous les hangars, perchaient sur les ridelles des chars à foin dételés.

Les enclos qui jouxtaient le nôtre ne réclamaient pas de mystère : la déclivité du sol, des murs hauts et vieux, des rideaux d’arbres protégeaient notre « jardin d’en haut » et notre « jardin d’en bas ». Le flanc sonore de la colline répercutait les bruits, portait, d’un atoll maraîcher cerné de maisons à un « parc d’agrément », les nouvelles.

De notre jardin, nous entendions, au Sud, Miton éternuer en bêchant et parler à son chien blanc, dont il teignait au 14 juillet, la tête en bleu et l’arrière-train en rouge. Au Nord, la mère Adolphe chantait un petit cantique en bottelant des violettes pour l’autel de notre église foudroyée, qui n’a plus de clocher. À l’Est, une sonnette triste annonçait chez le notaire, la visite d’un client... Que me parle-t-on de la méfiance provinciale ? Belle méfiance ! Nos jardins se disaient tout.

Oh ! aimable vie policée de nos jardins ! Courtoisie, aménité de potager à « fleuriste » et de bosquet à basse-cour ! Quel mal jamais fût venu par-dessus un espalier mitoyen, le long des faîtières, en dalles plates cimentées de lichen et d’orpin brûlant, boulevard des chats et des chattes ?


Colette, Sido (1930) © Librairie Arthème Fayard et Hachette Littérature 2004.

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Le Jardin immobile


On marche dans un jardin, l'été, quelque part en Aquitaine. C'est le creux du mois d'août, au début de l'après-midi. Pas un souffle de vent. Même la lumière semble dormir sur les tomates : juste un point de brillance sur chaque fruit rouge. La dernière pluie les a maculés d'un peu de terre. C'est bon l'idée de les passer sous l'eau fraîche, et de goûter leur chair encore attiédie. A l'heure qui ne passe pas, juste déguster la déclinaison patiente des couleurs. Il y a des tomates d'un vert pâle, un peu plus foncé au cœur d'un réceptacle et d'autres presque orangé où dort une touche d'acide. Celles-là ne semblent pas faire ployer la branche. Seules les tomates mûres ont la sensualité penchée.

Un escabeau s'appuie contre le prunier d'ente. Plusieurs fruits sont tombés dans la petite allée qui court autour du potager. De loin, les prunes paraissent mauves, mais on découvre en les approchant toute une lutte entre bleu sombre et rose, et quelques grains de sucre collés sur la peau fragile : les fruits tombés se sont ouverts et pleurent une chair abricot brunie par la terre mouillée. Dans l'arbre, les prunes pas tout à fait mûres ont des rougeurs tachetées sur fond d'ocre vert : le bleuté de leurs aînées les tente et les effraie.

On voudrait s'en tenir à l'ombre. Mais le soleil pleut dans les branches avec une implacable douceur. C'est lui qui fait le blond de tout le potager : celui des laitues paresseuses, mais aussi des bettes affalées contre le sol. Seules, les feuilles des carottes résistent en piquante verdeur, comme si leur minceur les préservait d'un abandon languide. Au bout, contre la haie, c'est trop tard pour les framboisiers : loin du velours rubis-grenat, on en est déjà là au dessèchement brun, à la scorie parcheminée. De l'autre côté, le long du petit mur de pierre, court le poirier en espalier, avec cet ordonnancement symétrique des bras que vient féminiser l'oblongue matité du fruit moucheté de sable roux. Mais la fraîcheur la plus acidulée, la plus désaltérante, monte du pied de vigne muscate déployé juste à côté. Les grappes hésitent entre l'or pâle et le vert d'eau, entre l'opaque et le translucide ; les unes se gorgent de lumière quand les autres, plus réservées, préservent une pellicule de buée-poussière. Mais quelques grains déjà se nuancent de lie-de-vin, et dérangent la séduction adolescente des grappes vertes happant le soleil d'août.

Il fait chaud, mais le prunier, l'abricotier, le cerisier donnent leur ombre où dort aussi la table de ping-pong inemployée - quelques prunes rouges sont tombées sur la peinture émeraude écaillée. H fait chaud, mais au plus profond d'août, dort au jardin l'idée de l'eau. C'est autour d'une longue tige de bambou le tuyau d'arrosage aux couleurs délavées. La courbe irrégularité de ses méandres, la vétusté de ses raccords emmaillotés de chatterton et de ficelle ont quelque chose de familial, de pacifiant ; l'eau qui viendra de là ne peut avoir de violence calcaire, de fraîcheur mécanique. De là coulera dans le soir une eau-douceur, une eau-sagesse, juste assez.

Mais maintenant, c'est l'heure du soleil, de l'immobilité sur tous les blonds, les verts, les roses - c'est l'heure de cueillir et d'arrêter.


Philippe Delerm, "Le Jardin immobile" in La Première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules,

(Éditions Gallimard, 1997).

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