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Dryades et Hamadryades



Étymologie :

  • DRYADE, subst. fém.

Étymol. et Hist. A. 1269-78 driade « nymphe des bois » (J. de Meung, Rose, éd. F. Lecoy, 17933). B. 1786 bot. (Encyclop. méthod. ap. DG). A empr. au lat. dryas, -adis (le plus souvent au plur. dryades) « dryade » lui-même empr. au gr. δ ρ υ α ́ ς, -α ́ δ ο ς « id. », dér. de δ ρ υ ̃ ς « chêne », les dryades demeurant sous l'écorce des chênes. B empr. au lat. bot. [cf. 1735 dryadae, Linné Syst. Nat., p. 41 et 1740 dryas, Syst. Nat. Regnum veget. XII Isocandria Poligynia Dryas, p. 24].

  • HAMADRYADE, subst. fém.

Étymol. et Hist. Ca 1442 [composition] amadriades « nymphe des bois » (Lefranc, Champ. des Dames, Ars 3121 [1481], fo 128b ds Gdf. Compl.); 1544 [éd.] hamadryades (B. Desper., Recueil des œuvres, p. 52, ibid.). Empr. au lat. imp.hamadryas, -adis « id. » lui-même du gr. α ̔ μ α δ ρ υ α ́ ς, -α ́ δ ο ς (< α ́ μ α « ensemble » et δ ρ υ ̃ ς « arbre, en partic. chêne ») « nymphe dont la vie est liée à celle d'un arbre ».


Lire aussi la définition des noms dryade et hamadryade pour amorcer la réflexion symbolique.

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Symbolisme :


Dans sa thèse intitulée Arbres : du Thème au Symbole, Etude de Poétique Générale et Comparée. (Littératures. Sorbonne Nouvelle - Paris 3, 1996), Anne van Kakerken revient sur ce que sont les dryades et hamadryades :


La dryade est une nymphe qui vit en forêt, dans les arbres, les chênes en particulier, et les protège ; l'hamadryade correspond au même type de divinité, mais elle fait corps avec l’arbre, naît et meurt avec lui, quand la dryade peut en sortir et ne lie pas directement son destin à la vie d’un arbre. Pour Frazer, l’hamadryade serait ainsi une forme plus ancienne du dieu vivant dans l’arbre; en effet, dans Le Rameau d’or, Frazer entend comme un progrès dans la pensée religieuse, le passage d’un arbre-corps de la divinité à un arbredemeure, passage qui implique que l’être surnaturel n’est plus âme de l’arbre, qu’il ne lui confère plus un statut d’être vivant et conscient, mais qu’il l’abandonne comme une masse inerte qu’il ne fait qu’habiter temporairement, prenant forme humaine, quittant ou retournant dans l’arbre à son gré - l’homme pourra alors abattre le végétal avec moins de scrupule (1). Mais Frazer précise que dans les rites liés à l’arbre, rites appelant la fertilité sur les êtres et sur la terre - il en cite de nombreux exemples dans toute l’Europe et au-delà - il n’est pas toujours aisé de différencier l’arbre comme demeure, de l’arbre comme corps de la divinité, et que souvent même les deux formes cohabitent. Pour Eliade, le phénomène, de façon générale, des arbres désignés pour le culte d’un dieu, d’une déesse ou d’un simple esprit des bois, résulte de ce qu’il appelle « la chute progressive du sacré dans le concret » (2), cette tendance des dieux de lointaines sphères célestes à se spécialiser dans certains aspects de l’univers quotidien de l’homme, pour se rapprocher de lui. Ainsi Zeus investit-il Dodone et ses chênes frappés par la foudre, des prestiges de sa voix oraculaire. Pour Jean-Paul Roux, ceci dans son livre Faune et flore sacrées dans les sociétés altaïques, c’est du thème de la naissance dans l’arbre, d’un arbre de vie portant descendance humaine, que découle celui de l’arbre-femme, modalité féminine présente dans l’arbre et qui se personnifie jusqu’à s’en extraire sous une forme humaine indépendante de la matrice de l’arbre (3). Mais il nous importe peu de trancher entre ces différentes théories qui cherchent à cerner l’évolution de la pensée religieuse, car dans tous les cas l’arbre comme corps d’un dieu ou d’un demi-dieu, d’une nymphe ou d’un simple mortel, comme le motif des esprits, la plupart du temps féminins, demeurant dans les arbres, ont nourri pour longtemps l’imaginaire des poètes.

[...]

Pour Philippe Barrier, qui dans Forêt Légendaire énumère tous types de croyances relatives aux forêts, tout fantôme féminin, âme prisonnière paraissant dans la nuit des sous-bois, descend des dryades ; les fées s’y apparentent et participent elles aussi de cette intimité avec les arbres, et comme les anciennes déesses ou nymphes séductrices, elles tâchent de conserver en l’arbre ses anciens pouvoirs. Dans tous les cas, même si le paysage culturel se transforme - Ronsard a bien raison de s’en prendre aux bûcherons, car l’arbre abandonné par sa dryade sera abattu sans scrupule - on s’attarde encore à greffer à l’aubier images surnaturelles ou pieuses, et même si cette tendance s’estompera, on n’en a pas encore fini avec les dryades et autres motifs mythologiques ou cultuels, car si, comme nous l’avons vu, on ne trouve plus d’eux dans les forêts que des avatars charriés par les voies populaires, ils se sont réfugiés chez les poètes et habiteront pour longtemps la littérature et les arts.

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Dans L'Oracle des Esprits de la Nature (Éditions Exergue, 2015), Loan Miège nous propose une carte intitulée Fées des arbres, à laquelle elle fait correspondre le petit texte suivant :


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« Sois bon envers toi-même, accorde-toi la grâce de la Lumière car tu es un enfant du Divin. »

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Jouant les équilibristes sur les branches hautes des arbres, les fées des arbres sont présentes partout autour de nous : dans les jardins, les bois, les forêts et même en ville ! Elles se présentent à notre vision intérieure comme de jeunes femmes ailées fines et gracieuses. Elles sont fidèles à leur réputation : elles sont joyeuses, coquettes, fantaisistes, et n'hésitent pas à se montrer espiègles, quitte à nous jouer à quelques tours. Elles aiment rire. Elles aiment aussi tout ce qui brille. Quelques offrandes dans ce sens leur font toujours plaisir. Leur rôle est de capter l'énergie du Cosmos et du Soleil afin de les transmettre à l'arbre. Ainsi, elles facilitent la photosynthèse, et lui donnent des soins nécessaires à son bon développement.

A propos du message : grandes spécialistes de la Lumière, les fées des arbres savent la reconnaître en chacun en nous. Elles perçoivent cette lueur qui se fait parfois Soleil. Elles en sondent la qualité et l'intensité. Elles l'activent afin de la rappeler à notre conscience. Cette Lumière est l'expression de l'énergie de Vie. Elle fait de nous des êtres vivants et connectés à l'Univers. « Être bon envers soi-même » commence par la reconnaître. Elle est le premier pas vers l'estime de soi. Puis, en l'acceptant pour soi, nous nous ouvrons progressivement vers l'extérieur jusqu'à la voir partout. La Lumière est là pour tous, et ce, à l'infini.


Pratique : sortons prendre l'air ! Choisissons un jardin, un parc ou un endroit plus « sauvage » pour ce moment en compagnie des fées des arbres. Laissons-nous attirer par un arbre et asseyons-nous en dessous. Nos amies sont très sensibles aux énergies qui l'entourent. Laissons nos pensées positives vagabonder et émettons des vibrations de joie. Rapidement, elles les repèrent. Elles s'interrogent sur leur provenance et descendent voir ce qui se passe plus bas. Expliquons-leur notre démarche : capter les énergies du Soleil et du Cosmos afin de les intégrer en nous et nourrir notre Lumière intérieure. Elles s'approchent un peu plus Demandons-leur de former une ronde autour de nous. L'expérience a tout pour les séduire et elles participent avec enthousiasme. Prenons conscience de leur présence. Ferons les yeux. Portons notre attention sur la Lumière dans laquelle nous baignons. Respirons avec cette Lumière. Elle entre et sort naturellement avec notre souffle. Les fées concentrent maintenant es énergies du Soleil et du Cosmos autour de nous, créant une enveloppe scintillante à la surface de notre peau. Celle-ci se densifie peu à peu et devient de plus en plus rayonnante. Elle se développe jusqu'à pénétrer dans notre corps et inonder nos cellules. Cette enveloppe est maintenant un flot d'énergies se propageant à l'intérieur. Les fées guident et transforment ces énergies suivant nos besoins. Elles nous permettent de les intégrer. Nous sommes à l'image du végétal qui capte la Lumière pour s'en nourrir, se régénérer et se développer. Il s'agit d'une véritable alchimie intérieure. Laissons faire le processus, qui est forcément unique pour chacun d'entre nous. En guise de remerciements, émettons de l'Amour et de la Gratitude.


Mot-clé : Vivre.

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Mythes et légendes :


Dans Arbres filles et garçons fleurs, Métamorphoses érotiques dans les mythes grecs (Éditions du Seuil, février 2017) de Françoise Frontisi-Ducroux, celle-ci propose de penser que :


"Les arbres sont féminins [en grec] parce qu'ils peuvent être habités par des filles, les hamadryades, les nymphes des arbres, catégorie que nous n'avons pas encore évoquée. Comme leur nom le dit, elles vivent avec et en même temps, hama, que leur arbre, drys (Note : Ce qui n'en fait pas pour autant les résidus d'un culte des arbres, d'une "dendolâtrie" primitive. L'existence d'une phase animiste généralisée et universelle, préliminaire à d'autres formes d'expression religieuse, relève de constructions obsolètes, qui appliquaient à l'histoire des religions le schéma de l'évolutionnisme biologique.). Elles naissent, poussent et s'épanouissent, explique Aphrodite à Anchise, et lorsque leur destin touche à son terme, "leurs âmes quittent ensemble la lumière du soleil" (Hymne homérique à Aphrodite, 265-72). Les bûcherons connaissent bien ces divinités. Il les entendent frissonner et murmurer avec le vent. Et, fait plus inquiétant, elles crient lorsqu'on veut les abattre. Elles saignent aussi, telles Lotis, la " micocoulière ", dont Dryopé, inconsciente de son geste, arrache un rameau en voulant cueillir une fleur. L'histoire la plus terrible est celle que raconte Callimaque dans son Hymne à Déméter. L'impie Érysichthon s'en prit à un bois sacré très cher à Déméter. Il voulait en faire le plafond de sa salle à manger. La première frappée, une haute "peuplière" qui touchait jusqu'au ciel, poussa, au premier coup de hache, un son plaintif qui alerta la déesse. Courroucée, celle-ci punit le coupable en le frappant d'une faim inextinguible. après avoir tout dévoré dans la maison, chien, cheval, chatte et souris, après avoir mendié des quignons aux carrefours, lui, le fils du roi, il finit par se ronger lui-même (Note : Ovide remplace ce peuplier par un chêne, quercus, Métamorphoses, VIII, 71 s.).

[...] Arbres filles et filles arbres sont parfois envisagés comme une pluralité. Fratrie de sœurs, groupe de compagnes, troupes de bavardes, rondes de danseuses deviennent alignement de peupliers, rangée de sapins, bosquet de pins ombrageant un sanctuaire. A elle seule, Syrinx est une brassée de roseaux. Elle se fond dans une roselière. Lorsqu'elle est individualisée, l'héroïne se détache sur une collectivité qui vient à son secours et peut l'absorber. Ces images répondent certes aux réalités des paysages. Mais elles correspondent aussi à une tendance de l'individu mâle, seul sujet de la pensée et du discours antiques, à penser le féminin au pluriel. A se penser face à une communauté différente de soi : les femmes, les filles. Plus généralement l'autre, quel que soit son genre, est un pluriel indifférencié : les autres. Pour preuve ces bergers d'Apulie, transformés en arbres anonymes. Ce sont bien des mâles, une troupe grossière de bergers incultes et impies, des brutes, mais leur altérité excessive les fait basculer dans une quasi-féminité végétale collective, sans identité. inversement lorsque le héros est unique, le rustre brutal est transformé en une variété distincte, une espèce dont les filles sont exclues, un olivier sauvage, l'oléastre, un arbre au masculin.

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Littérature :


Dans sa thèse intitulée Arbres : du Thème au Symbole, Etude de Poétique Générale et Comparée. (Littératures. Sorbonne Nouvelle - Paris 3, 1996), Anne van Kakerken étudie l'évolution du motif de la dryade dnas la littérature :


Chateaubriand, qui, nous l’avons vu, pense la nature d’après le christianisme comme un espace enfin rendu à sa grandeur silencieuse, dépeuplé, n’hésite pas à replacer lui-même des nymphes au fond des arbres. Les Mémoires d’Outre-Tombe racontent comment ses premiers désirs amoureux ont créé la « sylphide », la femme aérienne de ses rêveries, qui restera toujours associée dans ses souvenirs aux paysages de Combourg :


« ma Dryade est restée unie aux saules des prairies où je causais avec elle de l’autre côté de la futaie de Combourg »


C’est l’unique fois où Chateaubriand nomme sa sylphide une dryade ; cette union de la femme et de l’arbre image une mémoire où se fondent intimement le lieu et les rêves qui y ont été nourris. Déjà, lorsqu’il avait dû quitter avec regret son ermitage d’Aulnay, il avait ainsi parlé des arbres de ses voyages, arbres d’Amérique, du Liban ou de Grèce, jalons de ses errances et géographie intérieure, qu’il avait choisi de faire croître dans son jardin :

« ces arbres naquirent et crûrent avec mes rêveries : elles en étaient les hamadryades. ».


L’hamadryade est bien celle qui fait plus qu’habiter l’arbre, puisqu’elle et l’arbre sont consubstantiels ; sa pensée n’est pas séparable des arbres qui, plus que de la porter, l’épanouir ou l’exprimer, y trouvent eux-mêmes leur corps, leur présence et leur vitalisme ; l’esprit hamadryade dit ainsi son lien profond et douloureux avec ces arbres que le voyageur a plantés et qu’il doit abandonner au nouveau propriétaire. Et sa sensibilité face aux arbres qu’on abat porte un lointain écho de l’élégie de Ronsard :


« la cognée les frappait au pied, leur cime tremblait dans l’air, et ils tombaient pour nous servir de spectacle. Des charpentiers, venus de Saint-Malo sciaient à terre des branches vertes, comme on coupe une jeune chevelure[...] mon cœur saignait [...] ».


Les dryades ne sont pas nommées dans l’arbre mais c’est encore toute une féminité que l’on assassine, et que l’on regrette.

Shelley quant à lui rend aux arbres leurs nymphes, car elles participent de leur âme :


« [...] the tall treen,

the soul of whom by Nature’s gentle law

was each a wood -nymph [...] » (The woodman and the nightingale)


John Keats également voudrait rendre à la nature, dans des poèmes comme Ode to Psyché ou Ode to a Nightingale, une sacralité que seuls savaient lui conférer les dryades, les satyres ou les nymphes. Les premières surtout retiennent la ferveur et les nostalgies du poète, intimisent ses relations à la nature.

Vigny dans son poème La Dryade reprend le thème antique de l’arbre habitat et tombeau de la nymphe :


« Vois-tu ce vieux tronc d’arbre aux immenses racines ?

Jadis il s’anima de paroles divines ;

Mais par les noirs hivers le chêne fut vaincu,

Et la dryade aussi, comme l’arbre, a vécu [...] »


Il donne ici à la dryade la nature de l’hamadryade, et joint à la physionomie de cet arbre-chair et demeure, la figure d’un arbre de culte consacré à l’oracle. Et plus loin l’invocation du personnage Bathylle mêle encore plus intimement le corps de la dryade aux chênes, comme s’il s’agissait du résultat d’une métamorphose :


« Dryade du vieux chêne, écoute mes aveux !

[...]

... Je t’adore, ô dryade du chêne !

... que Vénus te protège et t’épargne ses maux,

Qu’elle anime, au printemps tes superbes rameaux ;

Et si de quelque amour, pour nous mystérieuse,

Le charme te liait à quelque jeune yeuse,

Que ses bras délicats et ses feuillages verts,

A tes bras amoureux se mêlent dans les airs ... »

[...]

Avant d’entrer tout à fait dans le XXème siècle, nous aborderons la poésie produite par D’Annunzio dans les dernières années du XIXème siècle, dont les paysages érotiques sont presque surpeuplés de nymphes et de dryades :


« Mais qui donc, par des pas, des voix et des rires,

éveille là-bas les échos des vertes coupoles ?

Ce sont assurément les antiques dryades qui,

vivantes, repalpitent dans les troncs, et c’est une

dryade que je serre maintenant entre mes bras.

o belle dryade, [...] robuste amoureuse,

sors de l’écorce rompue, dans la nudité de tes

membres mortels [...]

sors de l’écorce et fais que je plonge dans ta

chair mes mains ardentes, comme dans un frais ruisseau ;

fais qu’à ta bouche pure je boive d’un trait

sans fin le souffle de la forêt immense ; » (chant du soleil VII)


Faire revivre les forêts antiques représente ici tout un fantasme, celui des femmes-arbres, du désir toujours désirant de voir les corps se défaire de leurs habits d’écorces, les formes naître de l’arbre de chair encore indéfini. Et, pour le poète, ce désir dépasse la simple fantaisie érotique et sensuelle, il englobe la nature tout entière ; les dryades en tant qu’entités de la forêt, offrent le toucher du monde avec leur corps, la connaissance charnelle et passionnée des éléments. Puis les arbres dans leur posture, la vie des sèves et des bourgeons, tout en appelle à la vie sexuelle, et cela sous l’impulsion des présences féminines :


« O nymphes hamadryades cachées entre les extrêmes racines, n’avez vous pas, quand nous passions chanté la bienvenue à l’amour ? » (Le Péché de Mai, I).


Chez D’Annunzio les dryades participent à un nouveau type de poésie amoureuse, elles ne sont plus seulement reléguées à un rôle d’innocentes métaphores ou utilisées par comparaison avec quelque amante désirée mais inaccessible, elles demeurent au cœur de la forêt et l’ensorcellent, tout en ne vivant que par elle, dans les gestes d’embrassement des branches, les membres enlacés et les rondeurs des feuillages.

[...]

On aurait pu croire que l’utilisation des motifs mythologiques dans le paysage ne serait plus capable de générer qu’une poésie artificielle, prisonnière du carcan des lieux communs antiques ; or ici, comme en ce qui concerne la poésie de Yeats ou les quelques vers de romantiques que nous avons cités, les dryades remplissent pleinement leur rôle d’âme végétale, non pas comme un visage humain rajouté à la façon de Lesage dans un arbre de carton, ni comme une touche « à l’antique », mais fondue dans le paysage et les sensations qu’il engendre, divinité élémentaire informant les arbres dans leur chair, présence mystérieuse du désir, donc déjà sous-bois intérieur, et signe mystique du vitalisme naturel.


Avec Proust, la dryade reste un fantasme. Les promenades au Bois de Boulogne n’ont leur charme que par les désirs qui s’y captent :


« On sentait que le bois n’était pas qu’un bois, qu’il répondait à une destination étrangère à la vie des arbres ; l’exaltation que j’éprouvais n’était pas causée que par l’admiration de l’automne, mais par un désir. »


Ce désir d’abord indéfini ne se contente pas du simple spectacle de la nature :


« ainsi regardais-je les arbres avec une tendresse insatisfaite qui les dépassait et se portait à mon insu vers ce chef-d'œuvre des belles promeneuses qu’ils enferment chaque jour pendant quelques heures. » (Du côté de chez Swann)

Le verbe « enfermer » rappelle bien entendu la dryade ; la femme ne se trouve pourtant pas ici prise dans le corps de l’arbre, mais elle est, entre ces arbres, la présence qui se soumet à leur force, dans les filets de l’énergie vitale et du désir :


« forcés depuis tant d’années par une sorte de greffe à vivre en commun avec la femme, ils [ces arbres] m’évoquaient la dryade, la belle mondaine rapide et colorée qu’au passage ils couvrent de leurs branches et obligent à ressentir comme eux la puissance de la saison [...] »

[...]

L’un des poèmes de Prévert, extrait du recueil Arbres, infuse entre arbre et écorce le corps palpitant de vie de la dryade :


« [...] Entre l’arbre et l’écorce

une déesse de moelle

et de chair et d’eau fraîche

et de sève de printemps

et de rêve d’été

une reine souterraine

une dryade heureuse

chante sa chanson nue »


Ici la dryade personnifie le vitalisme même de l’arbre, elle est le corps des éléments eau et sève, où s’abreuve l’aubier, elle vient affirmer l’arbre comme un corps irrigué de toutes les forces joyeuses de la nature ; c’est elle qui se métamorphose en arbre, elle est sa nourriture, son mouvement, la substance égayée qui vient l’enrichir. L’image de la dryade donne une personnalité à l’arbre, et y accueille les rêves des poètes ; car elle permet de faire de l’arbre l’égal de l’homme, tous deux « logés à la même enseigne / de la vie et de la mort. »

|...]

Il est difficile de dégager une constante dans la réinterprétation des motifs mythologiques au XXème siècle. Employés de façon très ponctuelle, par des auteurs et des genres très différents, ils accompagnent tantôt l’exaltation de la féminité, ranimée par une nouvelle idéalisation de la femme, de Proust à Octavio Paz, où le mythe amoureux n’en n’use pas comme d’une simple métaphore à la manière des poètes du passé, mais comme ce qui décèle et exprime l’essence énigmatique de la femme et du désir ; tantôt on les voit enracinés dans un hymne à la terre, dans une quête d’identité où se ravive un paganisme ancestral généralisé dans ses origines mais tendu vers l’écoute des forces mystiques de la nature. Il est vrai qu’on ne traite plus de motifs spécifiques.

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