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La Drosère




Étymologie :

  • DROSERA, subst. masc.

Étymol. et Hist. 1819 drosère (Dict. des sc. nat., t. 13, p. 523 : Drosère : Genre de plantes... que quelques botanistes croient devoir regarder comme le type d'une famille nouvelle à laquelle ils donnent le nom de droseracés [...] Le mot drosera vient du grec et signifie couvert de rosée, parce que dans les plantes de ce genre les feuilles sont chargées de glandes qui ressemblent à des gouttes de rosée) ; 1826 drosera (Mozin-Biber). Lat. sc. drosera (gr. δ ρ ο σ ε ρ ο ́ ς « humide de rosée ») attesté dep. 1735 (Syst. nat. V Pentadria, 5 Pentagynia p. 21).

Étymol. et Hist. 1669 Ros Solis (P. Cl. Fr. Menestrier, Traité des tournois, p. 240). Du lat. ros solis, propr. « rosée du soleil », utilisé par les botanistes pour désigner la drosera parce que les feuilles de cette plante portent des poils terminés par de petites vésicules transparentes semblables à des gouttes de rosée; ros solis « drosera » est att. en lat. en 1620 d'apr. Latham, et dans un texte angl. dès 1578 (Lyte, Niewe herball, trad. ds NED).


Lire également les définitions des noms drosera et rossolis afin d'amorcer la réflexion symbolique.


Autres noms :

Pierre Rézeau dans un article intitulé "De l'herbe à la Détourne à l'herbe au Tonnerre. Etude de quelques lexies populaires et/ou régionales désignant les plantes dans l'Ouest de la France." paru In : Cahier des Annales de Normandie n°15, 1983 identifie l'appellation herbe de l'égaillé comme désignant le droséra :


Herbe DE L’ÉGAILLÉ : "L'herbe de l'égaillé. C'est la plus fameuse [des plantes magiques du Bocage vendéen]. Son nom vient, probablement, du mot 'égaille', terme qui, en patois vendéen, signifie "rosée du matin". Même pendant les grandes chaleurs de l'été, cette plante est toujours humide, et ses feuilles recouvertes de gouttelettes d'eau. Elle est excessivement rare et croît, dans certaines régions du pays, surtout dans les contrées humides. (...). Les vertus de cette plante sont nombreuses elle guérit presque toutes les maladies des hommes et des bestiaux( . .. ). La personne qui en est munie(...) exerce vis-à-vis du sexe contraire, une irrésistible attraction". Au risque de démythifier la plante, on peut supposer qu'il s'agit du droséra, souvent appelé "herbe de la rosée".


Drosera rotundifolia ; Drosère à feuilles rondes ; Herbe aux goutteux ; Herbe de la rosée ; Herbe d'or ; Rosée du soleil ; Roselle ; Rossolis à feuilles rondes ;

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Botanique :


Voici une description du droséra par Léonard Closuit, intitulée "Les Drosera rotundifolia d'Arpettaz." et parue dans Bulletin de la Murithienne en 1949, description qui m'est chère car elle est notée en Valais suisse et plus spécialement à Champex où j'ai vécu de nombreux stages de chamanisme avec Ulla Straessle.

 

Jacques Boulay, dans un article intitulé "Les plantes carnivores, Essais de micropropagation" (Bulletin des Académie et Société Lorraines des Sciences : 1995, 34, n°3) rend compte des travaux destinés à préserver les plantes carnivores dont les biotopes sont menacés de disparition :


Essais avec le genre Drosera : Les graines de Drosera sont de très petite taille (à peine un millimètre de long). Il a donc fallu adopter une technique de désinfection proche de celle utilisée pour les graines d'Orchidées. La taille des semis rend impossible le calcul d u pourcentage de germination. Les graines de Drosera se conservent très mal. Par conséquent l'intervalle de temps séparant la récolte des semences et leur mise en culture, doit être le plus réduit possible. Ainsi, des graines "fraîches" provenant de collections françaises (Drosera capensis et Drosera adelae) germent dans une proportion de 60% alors que des graines originaires d'Australie n'ont donné qu'un faible pourcentage de germination, allant jusqu'à 1% pour Drosera gigantea.

La multiplication des Droseras en rosette peut être obtenue de différentes façons. La division de touffe donne un enracinement de la plante au cours du deuxième mois. Les racines ainsi produites ont toutes un diamètre plus important que celui des racines de plantes cultivées en serre. La croissance est variable suivant les espèces. Il a été constaté que les Droseras à rosette présentent toutes une croissance rapide ainsi qu'une formation de racines très vigoureuses. Lorsque la multiplication est obtenue par séparation des plantules émergeant des racines, des différences ont été constatées dans la formation des pièges. Ainsi, D. binata présente des pièges avortés ; les deux branches restant enroulées sur elles-mêmes. Par contre les boutures de feuilles n'ont jusqu'ici pas donné de résultats concluants. En ce qui concerne les Droseras tubéreuses, à port érigé, leur multiplication est obtenue par division de touffe. Elles génèrent toutes des pièges fonctionnels. Toutefois, la plante de Drosera peltata dépérit vite, mais une nouvelle pousse repart au niveau d'un bourgeon axillaire situé à 3 ou 4 nœud s du bourgeon terminal. Cette nouvelle pousse présente les mêmes caractéristiques que la plante-mère : avec une partie aérienne à port érigé, munie de pièges, et une racine, unique , d'I cm environ. La formation des bulbes ne s'est pas produite chez Drosera peltata en trois ans de culture. Par contre, chez Drosera gigantea, plusieurs formations de bulbes ont été observées dans des cultures non renouvelées depuis quatre mois.

Ces bulbes ont été retirés pour des essais d'acclimatation. Actuellement, des essais d'induction de formation de bulbes sont en cours sur d'autres espèces. Leur formation pourrait faciliter l'acclimatation des Droseras et leur conservation hors du bocal. L'acclimatation des Droseras ne pose aucune difficulté particulière, on obtient jusqu'à 80% de réussite pour Drosera capensis et Drosera adelae. Drosera binata, formant des touffes compactes, doit être préalablement traitée avec un antifongique.

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Dans Les Langages secrets de la nature (Éditions Fayard, 1996), Jean-Marie Pelt évoque les différents modes de communication chez les animaux et chez les plantes et s'intéresse en particulier aux plantes carnivores :


La plus classique et la plus connue de nos plantes carnivores est le drosera. Celui-ci n'a pas la souplesse adaptative du coquelicot ou de la marguerite que l'on rencontre un peu partout. Il occupe, pour parler le langage de l'écologie, une « niche » ou une « maison » particulière où la concurrence des autres plantes est limitée : cette maison, c'est la tourbière.

Dans ces milieux froids, spongieux, aux eaux acides et pauvres en bactéries, à la vie biologique léthargiques, le drosera apporte sa note originale et fantaisiste. Certes, il ne pèche pas par orgueil. Il faut, pour l'admirer, le contempler de près : ses feuilles presque rondes, qui ne dépassent guère un centimètre de diamètre, forment une petite rosette au pied d'une tige dressée où s'épanouit en été une belle hampe porteuse de fleurs des plus ordinaires ; en revanche, ces feuilles, tout hérissées de tentacules, évoquent la planche à clous des fakir, une planche dont on aurait eu soin, toutefois, d'émousser les pointes acérées, car chaque tentacule, d'un rouge écarlate, se trouve coiffé d'une glande remplie d'un liquide visqueux sécrété par la plante. Chacune de ces glandes réfracte la lumière solaire, étincelant pour l'œil à facettes de l'insecte, comme le font les glandes nectarifères des fleurs.

L'insecte, bien entendu, n'y voit que du feu : il se précipite sur la feuille et déclenche aussitôt le piège. Le drosera révèle alors sa vraie nature, celle d'un carnassier, mais, pour l'insecte, il est trop tard. Déjà une glu épaisse et poisseuse s'étend sur son corps. Plus grands seront ses efforts pour se dégager, plus rapide sera l'agression carnivore de la plante dont chaque tentacule se rabat tour à tour sur la malheureuse victime. Plus elle tente de s'échapper, plus elle s'empêtre.

Ses pattes, ses ailes, son abdomen se débattent dans ces gouttes de colle visqueuse, tandis que les tentacules l'emprisonnent avec une lenteur toute végétale. Ligoté et englué, l'insecte subit la mort la plus affreuse qui se puisse imaginer : il est digéré vif par les sucs digestifs des glandes. Quelques jours plus tard, ne subsiste qu'une carcasse desséchée, sorte de squelette en forme de cuirasse incomestible, vidée de toute substance nutritive. Puis les tentacules se redressent et livrent ce qui reste de leur proie : un squelette chitineux que le vent emporte.

Les comportements et mœurs alimentaires des droseras sont bien connus. La plante ne manifeste aucune attirance pour une substance qu'elle ne considère pas comme comestible. Une brindille apportée par le vent ne provoque qu'une inclinaison toute provisoire de ses tentacules, simple fausse alerte en quelque sorte. Par contre, un apport de minuscules fragments de viande produit un effet immédiat. Le bifteck sera digéré en quelques jours dans un abondant gargouillis de sucs digestifs pouvant aller jusqu'à une véritable indigestion : une feuille qui ne vient pas bout d'un morceau trop généreux finit par pourrir, noyée dans es propres sucs. Des « indigestions » de cette nature ont pu être observées sur des feuilles en forme de grands cornets de plantes carnivores tropicales, les sarracenias, consumées par l'abondant effort produit pour digérer d'impressionnantes quantités d'insecte piégés dans leurs sécrétions gastriques.

L'attrait particulier que le drosera porte aux protéines se manifeste par la vitesse avec laquelle ses tentacules se précipitent sur les appâts de viande : le dépôt d'un morceau de viande suscite un mouvement des tentacules cinq fois plus rapide que celui mesuré après la capture d'un insecte. Celui-ci, il est vrai, cache sa « viande » sous son squelette externe à la manière d'une crevette, d'une langouste ou d'un homard. Il est donc normal qu'il faille à la plante quelques instants supplémentaires pour arriver au « vif du sujet » !

Darwin avait testé les préférences alimentaires des droseras. Selon les meilleures traditions de l'Angleterre victorienne, il avait commencé par leur proposer du sucre et des infusions de thé. Ces mets n'eurent aucun succès. en revanche, le blanc d'œuf, la salive, des débris d'os furent très appréciées ; un dépôt d'urine déclencha même une vive réaction. Or tous ces « aliments » contiennent de fortes teneurs en azote, comme d'ailleurs la viande qui représente le principal apport azoté de notre ration alimentaire. Le doute ne saurait donc subsister : il s'agit ben d'une plante carnivore au vrai sens du terme, qui trouve dans sa nourriture carnée ce supplément d'azote dont elle a besoin car l'eau des tourbières, particulièrement acide, en contient fort peu.

[...]

Une pression infime entraîne donc chez le drosera le mouvement d'un tentacule qui, ensuite, se communique promptement aux autres. On a pu remarquer que ce contact devait nécessairement être produit par un objet solide : une goutte d'eau ou un fort souffle d'air ne produisent aucun effet. Bien plus, plusieurs chocs répétés en successions rapides sont nécessaires pour déclencher la mise en branle d'un tentacule. Un seul choc ne suffit pas ; en fait, c'est au mouvement d'un être vivant qui tente de se libérer que le tentacule est censé répondre.

Les tentacules orientent tous leur mouvements dans la même direction, à savoir le centre du limbe foliaire. Si un tentacule du centre est excité en premier, l'excitation se communiquera lentement de l'un à l'autre, jusqu'aux tentacules du bord qui se recourberont les derniers vers le centre. Le mouvement commence environ dix secondes après le premier contact et se prolonge durant plusieurs heures. L'insecte est alors entièrement piégé après avoir été préalablement englué. Les tentacules peuvent demeurer durant une semaine dans leur position courbée, emprisonnant le malheureux captif comme dans une cage, l'excitation se poursuivant par le seul contact chimique avec les protéines de l'animal.

Toutes les expérimentations ont montré que la perception s'exerce au niveau de la paroi externe des cellules superficielles des glandes. Celles-ci présentent en effet des ponctuations marginales qu'on a pu qualifier de « tactiles ». C'est à partir de ces ponctuations que l'excitation se transmet, par des phénomènes sans doute électriques, à travers le tentacule, puis le limbe foliaire, jusqu'au tentacule voisin, et ainsi de proche en proche à l'ensemble des tentacules d'une feuille. Ce mode d'agression tentaculaire évoque ces scènes de guerre médiévale où l'ennemi à terre - l'insecte - est encadré des piques et des lances pointées sur lui et promptes à le réduire à néant.

 

Dans sa thèse intitulée A propos des plantes carnivores : les Drosera., Sciences pharmaceutiques (HAL Id : dumas-02273068, version 1) soutenue en 1993, Isabelle Bouvier précise que :


On lui attribue, dès le XVIe siècle, de multiples vertus médicinales il est actif contre les cors, verrues, brûlures, il guérit de la syphilis, a des propriétés tranquillisantes, diurétiques et aphrodisiaques. Mais surtout, le Drosera était utilisé comme antitussif, de façon empirique. Cette activité a été confirmée par de multiples expériences portant sur la chimie du Drosera. Elle est liée à la présence de naphtoquinones dont les taux varient selon les espèces.

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Croyances populaires :


Dans Le Folk-Lore de la France, tome troisième, la Faune et la Flore (E. Guilmoto Éditeur, 1906) Paul Sébillot recense nombre de légendes populaires :


Le nouement d'aiguillette, autrefois si redouté, était efficacement combattu par quelques plantes : Au XVIe siècle le rossolis, cueilli le 23 septembre, au soleil levant, portée autour du cou avec du gui de chêne, la dénouait.

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Symbolisme :


Jacques Lefrêne (pseudonyme d'Elie Reclus), auteur de Physionomies végétales, Portraits d'arbres et de fleurs, d'herbes et de mousses (In : La Science sociale, 1er avril-19 août 1870 ; Éditions Héros-Limite, 2012) s'appuie sur la description botanique de la plante pour en déduire des traits symboliques :


La Drosère n'a d'existence que pour ceux qui savent regarder à leurs pieds, elle a été découverte par ceux qui se soucient des petits et qui ont un tendre intérêt pour les faibles. Ils lui ont donné le joli nom d'Herbe de la Rosée et aussi ceux de Roselle ou Rossolis, Rosée du Soleil. Les distraits passent sans l'apercevoir. Les ignorants qui, par hasard, la rencontrent, soit dans les champs humides de l'Angleterre, soit dans les marais de France ou de Portugal, soit dans la Campine belge ou dans les bruyères de Hollande, méprisent cette plantule, haute de six à huit centimètres à peine.

La chétive créature élabore cependant de puissants remèdes, et dans ses veines coulent des gouttes d'élixir. Maint phtisique ne prononce qu'avec une respectueuse tendresse le nom de cette pante qui, prolongeant l'automne de sa vie, lui donne encore quelques jours de doux soleil, de calme serein et de joie mélancolique. Interrogez les mères. Plus d'une se souviendra d'une poitrine chérie, déchirée par la coqueluche, ou bien encore d'un enfant adoré qu'étouffait le croup affreux. Mais dans la gorge râlante, sur la langue altérée, on versa la bienfaisante rosée du soleil, et la vie se ralluma dans les regards éteints, les yeux bleus se rouvrirent et se reprirent à sourire.

Des poils délicats autant que toile d'araignée entourent les feuillîmes de la Drosère et se terminent par une glandule transparente, retenant une gouttelette de cristal liquide.

emervillé de ce collier aérien, de ces damants étincelants, le populaire leur attribue des puissances merveilleuses, entre autres de guérir les fièvres par le simple contact, et la goutte, bien plus rebelle encore. C'est, dit-on, l'Herbe aux goutteux. Il y a plus, les botanistes ont constaté chez la Drosère une sensibilité qui fait l'étonnement et un peu le dépit de quelques savants. La vieille école ne veut voir dans les plantes que des tissus, à peine plus vivants que les contonnades de Mulhouse et de Manchester. De même, nos philosophes cartésiens et nos jansénistes prétendaient naguère que les animaux étaient des mécaniques, ce qu'ils prouvaient à leur manière. Il leur suffisait de casser une patte ou de fendre une oreille pour faire hurler la pauvre victime, aussi certainement que les moutards, en agitant un soufflet, font aboyer des roquets de bazar. Les feuilles de la Drosère, qu'on râcle et gratte, qu'on écorche, frémissent et se tordent, changeant de position pour échapper à la torture. Racontez cela à un mandarin del 'Académie : il niera le fait d'abord, puis, quand vous l'aurez prié de nettoyer ses lunettes, il vous expliquera que l'irritation de la plantiole sous le couteau est causée simplement par un phénomène d'irritabilité végétale.

Autour de cette nerveuse créature, qui, dans un organisme si délicat, concentre des sucs si puissants, il faut une accumulation relative de chaleur et d'électricité. Elle ne fructifie pas tous les automnes, ne fleurit pas tous les étés. N'éclosent pas non plus tous les boutons vermeils qui se forment, croissent et s'ouvrent les uns après les autres, de bas en haut. Chacun d'eux attend pendant douze jours, après lesquels il peut s'ouvrir à la lumière, aux joies de l'amour. A travers les pétales de la corolle purpurine, les cinq fiancés avec leur cinq fiancées guettent l'aurore, attendent le lever du soleil. S'il apparaît glorieux et splendide, étamines et pistils tressaillent de joie, car les pétales s'ouvriront pour un jour, un seul jour, mais ce sera un jour de fête. Si l'Orient chargé de vapeur ne s'éclaircit point, si le ciel se brouille, si le grand Dispensateur de Vie reste caché derrière un triste amas de nuages, les pauvrets resteront blottis dans leur berceau. Craintifs et souffreteux, alanguis et chagrins, ils dépériront d'heure en heure, s'étioleront de minute en minute. Arrêtés sur les limbes de l'existence, morts-nés, ils n'oseront pas franchir le seuil. Les boutons flétris tomberont sans s'être ouverts. Les malchanceux tombent. Mais la place au sommet de la hampe florale est déjà prise par un autre groupe qui, tourné vers le Levant, épie les blancheurs de l'aurore, anxieux de connaître les destins qui l'attendent à son tour.

Combien il en nait, chaque jour, de ces pauvres boutons de Drosère, qui jamais ne fleuriront, qui s'épuiseront et s'énerveront dans les contretemps ! Que de pauvres filles, dans une arrière-boutique de mercerie, où elles maigrissent, s'aigrissent et pâlissent, l'ennui les dévorant comme un cancer ! Que de femmes mal mariées dont le cœur jamais ne s'est ouvert ni ne s'ouvrira, et qui renfermait des trésors de grâce et de bonté ! Que de garçons, ouvriers de douze ans, qui s'énervent dans un atelier, s'émasculent, s'abrutissent et jamais ne sauront la liberté du grand air, la liberté de la montagne, la liberté de la forêt, la liberté de l'homme et du citoyen ! Que de talents et de génies qui restent enfouis dans l'ignorance ! Que de beautés restées enfouies dans l'insignifiance, que de vertus perdues, que d'énergies, que de vies manquées - faute de l'occasion, faute du rayon de soleil !


Avons-nous dit tout ce que nous savons sur le compte de cette charmante créature ?

Oh non ! Il faut ajouter que la gracieuse Droserette pratique aussi, à ses moments perdus, le meurtre et l'assassinat. Le liquide cristallin, les gouttes de rosée scintillant au soleil, ce n'est point pour guérir les pauvres enfants attaqués par le croup ou la coqueluche : c'est pour attirer la proie qu'elle veut égorger. Malheur au moucheron, malheur à l'insecte minuscule qui, attiré par l'éclat des perles de rosée, par la splendeur des petits soleils qu'elle fait flamboyer, plongerait patte ou trompe dans le sirop sucré qu'elle étale ! A peine l'imprudent a-t-il goûté du nectar - gustans gustavit paululum melllis - qu'il se sent enveloppé de filaments longs et grêles, empoissé par des sucs glutineux. En vain il se débat : enchainé, noyé, étouffé, il périt dans les horreurs d'une mort lente. Cette feuille constellée de globes de feu et de lumière n'est qu'un charnier ; la tant gracieuse et délicate Roselle qui ne veut vivre que dans la lumière et dans l'amour, elle tue par goût, elle égorge pour se distraire. Partout la Drosère fait trophée des cadavres de ses victimes.

Parmi les filles des hommes, la Drosère a quelques sœurs que je pourrais nommer. Entre autres, rappelez-vous Béatrix - non point cellle de Dante, non point celle qui guidait le poète à travers les splendeurs mystiques du Paradis - mais cette Béatrix, Ange de l'assassinat, qu'a chantée le naïf et sublime Shelley, celle qu'ont peinte avec amour Guido Reni et Caravaggio. Évoquez dans votre souvenir le portrait qu'ils ont laissé. Sur un fond noir et sombre, la figure se détache. Du turban blanc, qui encadre la tête charmante, s'échappe une chevelure blonde et soyeuse, des boucles dorées lui caressent la joue et s'épanchent avec un doux frémissement sur son épaule virginale. Plutôt que de laisser couper ses longs cheveux, plutôt que de perdre cette auréole, elle préféra se perdre enfin par des aveux et dire au bourreau qui la torturait : « N'y touche pas ! Laisse-moi mourir tout entière ! » Sa beauté du Midi s'était parée des grâces du Nord, ses traits superbes, avaient pris une expression touchante. Son corps svelte et frêle cachait une volonté d'acier ; son regard limpide et rêveur avait couvé une longue pensée de meurtre. Si calme et gracieuse, c'est elle pourtant qui fit périr son propre père, Francisco Cenci, lequel, certes, n'eut que ce qu'il méritait bien. Ce fut sa fille Béatrix, ce furent Lucrezia, l'épouse du scélérat, et son fils Jacopo, qui, dans une terrible nuit, perpétrèrent l'acte d'horreur. la femme endormit le mari. Aux ruffians qui se jetèrent sur l'homme, le garrotèrent et le bâillonnèrent, le fils tenait un flambeau, et la fille, celle-là même qui, de ses beaux yeux limpides vous sourit encore avec mélancolie, Béatrix, la grâcieuse fillette, tendit de longs clous de fer pour les enfoncer dans les yeux et la cervelle vivante. Puis elle revint tranquillement à Rome. L'épouvantable forfait, elle le nia pendant une année, mentant à ses juges avec un courage égal à celui d'un héros de vérité. Après avoir été tortuées pendant une année, les trois leurtriers montèrent à l'échafaud. Les gens de justice charcutèrent la mère, lui tailladèrent la nuque et la gorge ; puis ils abattirent Jacopo comme un taureau et le dépecèrent en quartiers. Sereine et fière, Béatrix, à son tour, écarta ses longues tresses dorées et posa son beau cou sous le couperet sanglant du boucher, tandis que la multitude hurlait de douleur, sanglotait de pitié.

Telle fut Béatrix de Cenci. Telle est aujourd'hui la petite Drosère. Haïssez-la si vous pouvez ; aimez-la si vous l'osez !

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Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont S.A.S., 1995, 2019) proposé par Éloïse Mozzani, on apprend que :


Cette plante carnivore des tourbières dont le nom droséra vient du grec droseros, "humide de rosée", et qui est appelée également rossolis, du latin "rosée du soleil", apparaît toujours ornée de gouttelettes (provenant de sécrétions destinées à piéger les insectes) qui, à la différence de la véritable rosée, ne sèchent pas au soleil.

Se frotter le corps d'un droséra cueilli en marchant à reculons la nuit de la Saint-Jean donne une force exceptionnelle et rend infatigable à la marche. Récoltée le 23 septembre au lever du soleil, la plante a le pouvoir de lutter contre le maléfice de l'aiguillette.

Placée dans les étables, elle les met à l'abri des fièvres.

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Roland Mogn et François de Beaulieu, dans un article intitulé "Les plantes magique de Bretagne" et paru dans la revue Penn ar Bed n°212 en novembre 2012 proposent d'identifier la mythique Herbe d'or au droséra :


Bien des caractéristiques de l’herbe d’or peuvent s’appliquer aux droseracées. Souvent nommée rossolis (c’est-à-dire rosée du soleil) ou son équivalent dans la plupart des langues européennes ; elle est aussi souvent appelée matago – dérivé possible de mandragore – (Charente, Sologne, Limousin), parfois, aussi, « oreille de diable » (Mayenne) ou herbe des sorciers. C’est encore un ouvrage botanique ancien qui contribuera à l’identification de l’herbe d’or : en 1857, la Flore du centre de la France (Boreau, 1857) souligne en effet que « nos paysans accordent au drosera des propriétés magiques et surnaturelles, entre autres celle de rompre le fer ». Mais il est beaucoup d’autres plantes nommées « herbe d’or » (plus de 70 en Europe) ou présentant certaines de ses caractéristiques.

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Contes et légendes :


La bête des tourbières


Il était une fois une fille de seigneur, Aurore, plus belle que le matin naissant, elle avait des boucles d’or pâle, blondes, des yeux du plus bel azur. Son père, baron de La Tour fut très désappointé, sa mère hélas mourut alors que la petite était encore au berceau. Le baron terrassé par la douleur, feignit d’ignorer l’existence de sa fille et refusa de prendre femme, il perdait ainsi toute chance de donner un jour un héritier mâle à la baronnie.

Aurore fut élevée par une nourrice, Bertille qui la considérait comme sa propre fille. Bertille lui enseigna la science des « simples », la médecine des plantes. La nourrice savait guérir quantité de maux et personne, dans la baronnie, ne manquait de faire appel à ses bons services un jour au l’autre.

Aurore apprit à distinguer les plantes bénéfiques et vénéneuses. Elle sut que :

  • L’arbre de judas, le sureau apportait avec lui le Malheur ;

  • La verveine, liait d’amitié celui qui le recevait en bouquet ;

  • La capillaire éloignait les enfants du loup-garou ;

  • L’angélique préservait de tous les maux ;

  • Le noisetier, était le meilleur arbuste comptait de nombreuses vertus bienfaisantes : fleurs, feuilles, fruits vous protégeaient de tout : des serpents et des voleurs, des jeteurs de sort et des sorciers et même oui, même du diable !

  • La pulmonaire, la véronique la primevère le bouillon blanc et le serpolet des bergères : pour guérir toux et maux de gorge ;

  • L’arnica et la joubarbe : pour soigner les blessures ;

  • Le cumin des prés et la gentianelle : pour les ballonnements ;

  • La potentille et la grande chélidoine : pour les maux d’estomac ;

  • La rue arrêtait les saignements de nez ;

  • La colchique et le mouron des oiseaux guérissaient goutte et rhumatismes ;

  • La mauve contre l’inflammation du gosier ;

  • L’armoise l’oseille sauvage contre les diarrhées.

Bertille, lorsqu’Aurore fut âgée de 16 ans, sentant sa mort proche, lui révéla un grand secret. Une potion miraculeuse capable de si bien transformer celui qui la boit que c’est merveille à voir. Les composants ont été oubliés à ce jour, il faillait 3 jours pour la réaliser et aller chercher une plante extraordinaire très loin dans les montagnes là où sont les tourbières. Les tourbières étaient pareilles à un marécage hérissé d’ajoncs où dit-on un attelage de bœufs et sa charrette de bois ont été jadis ensevelis.

Elles sont très dangereuses mais c’est là où pousse la drosera, plante carnivore dont les petites feuilles charnues, couvertes de poils rouges et gluants, attirent les insectes, les emprisonnent et les digèrent !

Parvenue aux tourbières, Aurore vit avec horreur sortir de la terre visqueuse une énorme bête de corps d’âne, de pattes d’un loup, d’une queue de dragon. Cependant, la bête ne bougeait pas, elle n’était pas menaçante et son regard avec quelque chose de douloureux. Soudain, la bête parla :

- Ne craignez rien mademoiselle, je ne vous veux aucun mal. Est-ce bien vous qui cherchez la drosera ? Est-ce que vous venez du château des barons pour la cueillir ? Ma laideur est repoussante, mais ne vous fiez pas à mon aspect. Mon corps voyez-vous, si monstrueux, si horrible à voir, n’est que fausse apparence. Un mauvais sort m’a fait ce que je suis, mais si vous le voulez, belle Aurore, vous pouvez me sauvez, vous seule.

La jeune fille accepta de lui venir en aide pour se faire, il chercha avec elle la drosera. La bête lui indiqua que ces jours étaient comptés. A ces mots la jeune fille compris les paroles de sa nourrice et s’enfuit préparer la potion miraculeuse pendant 3 jours pour revenir le quatrième jour la donner à boire à la bête.

Le quatrième jour Aurore repartit pour les tourbières se perdit dans le brouillard et n’atteint le lieu de rencontre que le soir. La bête mourante était allongée disant :

- Il est trop tard, voyez le soleil se couche.

Sa grande fatigue ne lui permettait pas de boire la potion préparée alors, Aurore avec douceur pris la tête de la bête dans le creux de son bras pour l’aider à boire. Sitôt la fiole vidée, la bête se transforme en jeune homme si beau et de si bonne tenue, si bien vêtu et de mine si avenante que la jeune fille sent son cœur palpiter. Il prend ses mains, il lui dit tout :

- Une mauvaise fée, par jalousie, m’a changé en monstre depuis bien longtemps déjà. De ce malheur mon père et ma mère en sont morts, hélas, en leur château du comté de Toulouse. Comme vous voyez je viens de loin. J’ai erré des jours et des nuits à la recherche de celle qui saurait rompre le charme. Pour lever le sort en effet, il fallait qu’une fille de seigneur connût la formule secrète. La Demoiselle devait fabriquer elle-même la merveilleuse potion. Enfin, surmontant son horreur et sa répulsion, elle seule pouvait la donner à la bête monstrueuse. Alors seulement, le charme serait conjuré. Vous êtes venue, Aurore, et vous n’avez pas craint de soulever ma tête dans vos mains pour m’abreuver du liquide magique : soyez-en mille fois remerciée. M’aimerez-vous ?

La réponse fut celle qu’il attendait :

- Je vous aime déjà !

Aurore et Florian vécurent longtemps dans leur château de La Tour.

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