Croyances populaires :
Selon François de Beaulieu, auteur d'un article intitulé "La mulette perlière en Bretagne" :
Par contre, une croyance liée aux perles et recueillie à Rosporden par un juge de paix, Monsieur Guichoux, à la fin du XIX• siècle est, sans nul doute, d'origine populaire (Bonnemère, 1890, 1901 ). On disait que, quand une personne a mal aux yeux, elle doit crever ceux d'une petite hirondelle au nid. La mère apporte alors une pierre pour la guérir et il suffit de recueillir celle-ci dans le nid après l'envol des poussins. Le récit est classique et est à rapprocher de celui selon lequel les petits piverts naissent aveugles et doivent attendre que les parents apportent l'herbe d'or. Seuls les pics et l'homme peuvent trouver cette herbe qui permet de tout voir et de trouver la «pierre d'enfer» qui permet d'ouvrir les yeux des jeunes pics. Pour s'emparer de cette pierre, il faut mettre un drap sous le nid des piverts et frapper le tronc; effrayés, les oiseaux laissent tomber la pierre (lettre de Le Carguet à Bonnemère). Quel rapport avec nos perles ? C'est que, quand on montra une de ces «pierres d'hirondelle» à Monsieur Guichoux, il y reconnu immédiatement une perle de mulette.
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Symbolisme celte :
On peut lire dans le Dictionnaire des superstitions, erreurs, préjugés et traditions populaires (1837) de Louis Pierre F. Adolphe Chesnel de la Charbouclais l'article suivant :
HERBE D'OR : Plante qui figure dans les superstitions actuelles des Bretons, et qui, selon eux, doit être cueillie pieds nus, en chemise, sans la couper avec le fer et lorsqu'on est en état de grâce. D'après la croyance populaire cette plante brille de loin aux yeux de ceux qui sont dans les conditions exigées pour l'apercevoir ; et si on la touche du pied, non seulement on entend à l'instant le langage de tous les animaux, mais on se trouve encore à même de leur répondre. L'herbe d'or est évidemment le sélage, selago, des druides. Pline rapporte en effet, que le sélage se récoltait nu-pieds en robe blanche, à jeun, sans le secours de la faucille, et en plaçant la main droite sous le bras gauche. On la recueillait dans une toile qui servait seulement pour une fois.
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Dans Le Folk-Lore de la France, tome troisième, la Faune et la Flore (E. Guilmoto Éditeur, 1906) Paul Sébillot recense nombre de légendes populaires :
Plusieurs plantes, auxquelles on attribue une sorte de puissance surnaturelle, sont parfois imaginaires ou tout au moins difficiles à assimiler à des espèces réelles et classées en botanique. On ne rencontre l'herbe d'or qu'en Basse-Bretagne : l'aour-yeoten croît dans les plaines ; on l'aperçoit de très loin, elle brille comme de l'or ; dès qu'on s'en approche, elle cesse de luire, et l'on ne la peut trouver si elle est dans la rivière, elle nage contre le courant ; celui qui parvient à se la procurer devient invisible à volonté, découvre tes trésors, n'est jamais malade, etc. On dit aussi qu'elle décuple les forces du travailleur, rend infatigable à la course, et, comme l'herbe au pivert, avec laquelle on la confond quelquefois à tort, donne l'intelligence du langage des animaux. L'aour iaotenn, qui sert à retrouver les objets perdus, est très rare et pousse seulement au milieu des foins, sans qu'il puisse dans le même lieu en exister deux pieds à la fois. Elle doit être cueillie dans une prairie à trois cornières, aussi rapprochée que possible de l'église de la paroisse. Pour la reconnaître il faut opérer un vendredi, et savoir combien de vendredis se sont écoulés depuis la dernière fenaison. Ce nombre connu, et la première condition observée, te sorcier se rend sur le terrain qu'il a étudié d'avance en ayant soin de l'aborder par le côté de l'ouest. Se dirigeant alors vers l'est, il compte autant de pas, plus neuf, qu'il y a de vendredis révolus, s'arrête à l'endroit précis où il est ainsi conduit, et arrache à ses pieds autant d'herbe que peut en contenir son bonnet ou son chapeau. Cela fait, il n'a qu'à abandonner sa cueillette au ruisseau le plus voisin pendant que les plantes sans valeur sont emportées en aval, l'herbe d'or remonte le courant. Il faut alors qu'il s'en empare en récitant une assez longue prière lorsqu'elle est finie, il se tourne successivement vers chacune des trois cornières de la prairie et prononce à haute voix le nom de l'objet en possession duquel il veut rentrer. La personne qui l'a ramassé se sent tout-à-coup, en quelque lieu qu'elle puisse être, poussée par une force inconnue vers le porteur de l'herbe merveilleuse.
[...] L'herbe d'or n'avait de vertu que si elle avait été ramassée pieds nus, en chemise, sans être tranchée par le fer et par quelqu'un en état de grâce.
Dans Herbarius (volume 2, Edition Droz, 1961) de Armand Delatte, on trouve les précisions suivantes :
Un Herbolaire anglo-saxon préconise l'accomplissement d'un rite qui est un autre équivalent du même usage : trois jours avant de cueillir la renouée (ou herbe Proserpine), on fait à la plante comme "une sorte de guirlande" avec un cercle d'or. En certains endroits de la Bretagne, on ne peut cueillir l'herbe d'or qu'après avoir pris une précaution analogue. "Dès qu'on la voir briller la nuit, il faut se munir d'un cercle en bois, s'avancer sans détourner es yeux et lancer le cercle. Si la lumière disparaît, c'est que l'herbe d'or est cernée ; il n'y a plus qu'à la cueillir."
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D'après Marc Questin, auteur de La Médecine druidique (1990, nouvelle édition inchangée 1997),
"Pour cueillir l'herbe d'or, il faut être nu-pieds, en chemise, et tracer un cercle à l'entour ; elle s'arrache mais ne se coupe pas. cette croyance vient des druides.
D'après La Villemarqué, celui qui la foule aux pieds s'endort aussitôt mais il comprend à son réveil le langage des oiseaux, des chiens et des loups. C'est le selago des Anciens que l'on croit être la camphorate, plante de la quatorzième classe des végétaux (didynamic). Au dire de Pline, il se récoltait aussi à jeun, nu-pieds, en robe blanche, sans le secours de la faucille et en plaçant la main droite sous le bras gauche. On le recueillait dans une toile qui servait seulement pour cette fois. "J'irai cueillir le selago", fait dire Chateaubriand à Velleda, la grande druidesse.
Dans le Finistère, celui qui trouverait l'herbe ou la plante sur laquelle le pivert aiguise son bec dans les prés comprendrait le langage des animaux.
Dans le Pays de Guérande, il serait sûr de faire fortune, car elle possède la propriété de changer en or tout ce qu'elle touche sauf, sans doute, les becs des piverts. Par contre, elle est connue dans l'est des Côtes-du-Nord : c'est sur l'anis que le pivert va se frotter le picot. Il peut ensuite traverser facilement le bois, car cette herbe possède l'étonnante vertu de couper même le fer."
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Patrick Prado dans un article intitulé « Le Jilgré (datura stramonium). Une plante hallucinogène, marqueur territorial en Bretagne morbihannaise », (Ethnologie française, vol. 34, n°3, 2004, pp. 453-461) s'interroge sur la pérennité de l'herbe d'or :
[...] Nous en savons plus sur telle liane, tel acide, tel lycergène, tel cactus, tel champignon exotiques lointains que sur les plantes à double entrée – chimique, de pratiques de sociabilité – qui nous sont proches. Nous faisons l’hypothèse qu’en Europe, toutes les sociétés rurales ont connu ou connaissent encore (en Europe périphérique, orientale, méridionale ou très septentrionale, particulièrement) ce type d’usage festif et clandestin de l’entresoi. Ces « herbes d’égare », nous les trouvons partout : il suffit de lire le texte de François de Beaulieu, l’Herbe d’oubli et l’herbe d’or [1998], pour nous en convaincre. Sous de multiples dénominations : stramoine, plante à taupe, plante à sorcier, herbe d’or, plante de lune, plante à sommeil, endormeuse, savane, oublie, herbe d’égare, yoten breton, èndourmido provençal, burladora portugaise (la facétieuse), etc., ces plantes ont-elles aujourd’hui entièrement disparu de la culture rurale de France et d’Europe ? Quand les folkloristes du XIXe siècle ne manquaient pas d’en noter l’usage, mais en les renvoyant plus ou moins à l’univers des contes et légendes à endormir les enfants ou à leur faire peur, quand les botanistes et les pharmacologues faisaient un systématique travail de recension, de nomenclature et de typologie, quand les géographes traçaient les cartes de l’extension des plantes à alcaloïdes, quand les historiens, depuis Pline, décrivaient les peuples astomes, « sans bouche », amateurs de parfums qui les envoûtaient, les ethnologues ne semblent pas, quant à eux, avoir été très nombreux à s’intéresser à ces pratiques et phénomènes, dès lors qu’ils ne ressortissaient pas à l’univers exotique qui a été et est encore essentiellement le leur, peut-être parce qu’ils rappelaient par trop notre passé « ambigu » proche, ou encore parce que leur caractère rituel et religieux avait presque complètement disparu, comme si la « sauvagerie » de l’Occident n’était pas vraiment présentable en face de celle des peuples « à plantes ».
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Roland Mogn et François de Beaulieu, dans un article intitulé "Les plantes magique de Bretagne" et paru dans la revue Penn ar Bed n°212 en novembre 2012 proposent d'identifier la mythique Herbe d'or :
Pierre-Jakes Hélias a fait de l’herbe d’or le titre de l’un de ses romans (publié en 1982) où la plante est ainsi décrite : « … l’étoile portait un pistil en son centre et [elle] était éclose dans une couronne de feuilles dorées, rondes et grasses » (c’est plutôt la description du Pinguicula lusitanica L.). La Villemarqué lui-même l’évoque par trois fois dans le Barzaz Breiz (1839). Dans Merlin tout d’abord : « Merlin ! Merlin ! Où allez-vous avec votre chien noir ? […] Je vais chercher dans la prairie le cresson vert et l’herbe d’or ». Puis dans le Tribut de Noménoë : « L’herbe d’or est fauchée ; il a bruiné tout à coup. – Bataille ! – Il bruine, disait le grand chef de famille du sommet des Montagnes d’Arrez ». Enfin, dans la gwerz d’Héloïse et Abailard : « La première drogue que je fis avec mon doux clerc fut faite avec l’œil gauche d’un corbeau, et le cœur d’un crapaud ; et avec la graine de la fougère verte, cueillie à cent brasses au fond d’un puits, et avec la racine de l’Herbe d’or arrachée dans la prairie ».
Au passage, La Villemarqué offre même une note savante : « L’herbe d’or est une plante médicinale ; les paysans bretons en font grand cas, ils prétendent qu’elle brille de loin comme de l’or ; de là, le nom qu’ils lui donnent. Si quelqu’un par hasard la foule aux pieds, il s’endort aussitôt, et entend la langue des chiens, des loups et des oiseaux. On ne rencontre ce simple que rarement et au petit point du jour : pour le cueillir, il faut être nu pieds, en chemise ; il s’arrache et ne se coupe pas. Il n’y a, dit-on, que les saintes gens qui le trouvent. C’est le Sélage de Pline. On le cueillait aussi nu-pieds, en robe blanche, à jeun, sans employer le fer, en glissant la main droite sous la main gauche, et dans un linge qui ne servait qu’une fois ». L’auteur du Barzaz Breiz a, de toute évidence, une aussi bonne connaissance de la tradition populaire que des textes classiques et une partie de son commentaire recoupe bien le témoignage antérieur de Boucher de Perthes qui, dès 1831, dans ses Chants armoricains, écrit :
« On ne rencontre l’herbe d’or qu’en Basse-Bretagne : l’aour-yeoten croît dans les plaines ; on l’aperçoit de très loin, elle brille comme de l’or ; dès qu’on s’en approche, elle cesse de luire, et l’on ne la peut trouver ; si elle est dans la rivière, elle nage contre le courant ; celui qui parvient à se la procurer devient invisible à volonté, découvre les trésors, n’est jamais malade ».
Des nombreux auteurs qui, après Boucher de Perthes et La Villemarqué, ont évoqué l’herbe d’or, on peut tirer quelques autres propriétés communes. On trouve souvent l’idée que la faucher par mégarde provoque la pluie. Elle ouvre les serrures, propriété qu’elle partage avec la primevère Primula veris L. comme l’indiquent de nombreux noms populaires de cette plante. On trouve, par exemple, en breton bokedalc’hwez, en gallois alweddan Pedr, en latin clavis sancti Petri, en français clef de Saint Pierre, en anglais keyflower, en germanique Schlüsselblume et Himmelschlüssel. L’herbe d’or remonte le cours de la rivière si on la jette dans l’eau (cf. plus loin Chrysosplenium oppositifolium) ; elle pousse dans les prairies à trois coins ; brille au loin mais pas quand on s’en approche, reste couverte de rosée, qu’il fasse chaud ou froid. Dans le pays de Guérande, cette herbe a « le don de changer tout en or ». L’aour iaotenn, qui sert à retrouver les objets perdus, est très rare et pousse seulement au milieu des foins, sans qu’il puisse « dans le même lieu en exister deux pieds à la fois ».
L’herbe d’or doit être cueillie, explique L.-F. Sauvé dans la Revue celtique, « dans une prairie à trois cornières, aussi rapprochée que possible de l’église de la paroisse. Pour la reconnaître il faut opérer un vendredi, et savoir combien de vendredis se sont écoulés depuis la dernière fenaison. Ce nombre connu, et la première condition observée, le sorcier se rend sur le terrain qu’il a étudié d’avance, en ayant soin de l’aborder par le côté de l’ouest. Se dirigeant alors vers l’est, il compte autant de pas, plus neuf, qu’il y a de vendredis révolus, s’arrête à l’endroit précis où il est conduit, et arrache à ses pieds autant d’herbe que peut en contenir son bonnet ou son chapeau. Cela fait, il n’a qu’à abandonner sa cueillette au ruisseau le plus voisin : pendant que les plantes sans valeur sont emportées en aval, l’herbe d’or remonte le courant. Il faut alors qu’il s’en empare en récitant une assez longue prière ; lorsqu’elle est finie, il se tourne successivement vers chacune des trois cornières de la prairie et prononce à haute voix le nom de l’objet en possession duquel il veut rentrer. La personne qui l’a ramassé se sent tout à coup, en quelque lieu qu’elle puisse être, poussée par une force inconnue vers le porteur de l’herbe merveilleuse ».
Mais il y a, semble-t-il, un moyen plus simple pour se procurer l’herbe d’or : il suffit d’épier le vol et les allures d’un pic vert, et « lorsqu’on le verra s’arrêter près d’une herbe à laquelle il frottera son bec, on pourra se flatter d’avoir rencontré le précieux talisman ». Le folkloriste Laisnel de la Salle, qui a recueilli cette tradition en Berry vers 1875, ajoute une remarque qui donne une interprétation originale du cri du pic vert : « dans quelques-uns de nos villages, de pauvres diables perdent leur temps à chercher ce trésor, et leur nombre doit être considérable, si, comme on l’affirme, toutes les fois que le pic vert fait retentir nos vallées de son cri moqueur et prolongé, qui ressemble à un bruyant éclat de rire, c’est qu’il vient d’apercevoir quelqu’un de ces rôdeurs en quête de son herbe. » L’idée que l’herbe sert au pic pour creuser son nid est bien attestée en Bretagne. Depuis l’antiquité (Pline) et le Moyen Âge (Richard de Fournival), les vertus de « l’herbe du pic » ont été soulignées et montrent que celle-ci ne fait qu’une avec l’herbe d’or. Tout comme les traditions populaires, les sources savantes ou littéraires nous ramènent à un symbolisme très cohérent qui associe le soleil et le feu (le pic est, comme l’hirondelle et le rouge-gorge, un oiseau « pyrophore ») ainsi que l’eau et le métal (associée à l’or et antagoniste au fer).
Bien des caractéristiques de l’herbe d’or peuvent s’appliquer aux droseracées. Souvent nommée rossolis (c’est-à-dire rosée du soleil) ou son équivalent dans la plupart des langues européennes ; elle est aussi souvent appelée matago – dérivé possible de mandragore – (Charente, Sologne, Limousin), parfois, aussi, « oreille de diable » (Mayenne) ou herbe des sorciers. C’est encore un ouvrage botanique ancien qui contribuera à l’identification de l’herbe d’or : en 1857, la Flore du centre de la France (Boreau, 1857) souligne en effet que « nos paysans accordent au drosera des propriétés magiques et surnaturelles, entre autres celle de rompre le fer ». Mais il est beaucoup d’autres plantes nommées « herbe d’or » (plus de 70 en Europe) ou présentant certaines de ses caractéristiques.
Ainsi, les inflorescences de Chrysosplenium oppositifolium L. flottant à la surface de petits cours d’eau temporaires de fin de printemps. Cette plante est enracinée sur le fond et les fleurs jaune d’or (Chrysos = Crésus), résistant au courant, semblent le remonter par l’effet d’une aberration bien connue. Cette plante porte aussi le nom de cresson doré, herbe dorée, dorine en français, golden saxifrage (saxifrage doré) en anglais, tormaen euriad (casse-pierre doré) et eglyn melyn (eglyn jaune) en gallois. L’herbe d’or pourrait aussi bien être un lycopode rare, Huperzia selago (L.) Bernh. ex Schrank & Mart. Sa sporulation est brève, mais particulièrement abondante. On notera que les spores des lycopodiacées, de couleur jaune d’or, étaient vendues sous le nom de soufre végétal.
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Pascal Lamour, auteur de L'Herbier secret du Druide, des plantes pour les hommes et les esprits (Éditions Ouest-France, 2017) fait le point sur ses recherches :
L'élixir d'oubli, l'herbe d'or, le jinegré
Tout ceci nous fait inévitablement penser à cet étrange breuvage qu'est l'élixir d'oubli de la tradition des Celtes, qu'en Bretagne on nomme l'herbe d'or et parfois le jinegré. Jamais nous ne sommes parvenus à déterminer exactement sa nature. Peut-être s'agit-il d'ailleurs de plantes différentes suivant les lieux ou les époques. Mais à chaque fois les effets décrits peuvent nous orienter aussi vers ces Solanacées [Belladone - Datura - Morelle noire - Bryone]. G. de Rostrenen décrit l'herbe d'oubli en 1732 : « Plante rampante qui ressemble à de la mousse verte entortillée et qui, dit-on, égare ceux qui la nuit marchent dessus, leur faisant oublier leur chemin, ar saoùzanenn, ar savanenn, ar savane. »
Henri de la Villemarqué dans le texte de « Merlin-barde » du Barzaz Breiz nous parle de l'herbe d'or, aour ieoten : « L'herbe d'or est une plante médicinale, les paysans bretons en font grand cas, ils prétendent qu'elle brille de loin comme de l'or ! De là, le nom qu'ils lui donnent. Si quelqu'un, par hasard, la foule aux pieds, il s'endort aussitôt, et entend la langue des chiens, des loups et des oiseaux. On ne rencontre ce simple que rarement, et au petit point du jour : pour le cueillir, il faut être nu-pieds, en chemise, et tracer un cercle à l'entour, il s'arrache et ne se coupe pas. il n'y a, dit-on, que les saintes gens qui le trouvent. C'est le sélage de Pline. On le cueillait aussi nu-pieds, en robe blanche, à jeun, sans employer le fer, en glissant la main droite sous la main gauche, et dans un linge qui ne servait qu'une fois. »
Dans mes collectages, de la région de Lorient (56), le jinégré m'a été décrit « comme une pomme d'orange avec des épines, mélangée à une drôle de fougère, préparée dans du cidre ; pour avoir les femmes, ensorceler les chiens et parler à Dieu. Pour la combattre il faut la couper par le fer. »
De même dans la mythologie irlandaise, dans la Maladie de Cuchulainn, traduit par C.-J. Guyonvarc'h, Cuchulainn, amoureux de Farid, épouse du dieu de l'Autre Monde... « demanda à boire. Les druides lui donnèrent le breuvage d'oubli. Quand il eut bu, il ne se souvint plus de Farid, ni de rien de ce qu'il avait fait. »
Tous ces témoignages nous dirigent vers les propriétés des Solanacées. La belladone a la réputation de « remplir l'esprit d'illusions agréables ». Le datura « est une plante très toxique, recherchée pour provoquer hallucinations et délires, et pour produire la sensation de voler et faciliter la dépendance de l'être aimé, dans les philtres magiques » ; la morelle peut être « un narcotique assez énergique ». Voilà ici une piste possible.
Nous sommes donc dans les propriétés typiques du troisième monde, les plantes sont sélectionnées pour leurs effets hallucinatoires, toujours avec la volonté d'atteindre l'Autre Monde, et d'en revenir. Mais la proximité de la toxicité avec l'effet recherché pour rencontrer les âmes est tellement élevée que nul ne doit s'y risquer.
Leur installation dans le nemeton : dans les nuits les plus profondes de la Samain.
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Littérature :
Edgar Quinet dans sa version de Merlin l'enchanteur (1860) fait référence à la mythique herbe d'or :
[Alors que Merlin se promène dans la nature, il lui semble entendre des voix sortir des fleurs quand il réalise peu à peu qu'il s'agit en fait d'un chœur de cigales qui l'enseignent] :
[...]
"Nous nous levons en sursaut dans la nuit, et nous errons dans les moissons sacrées pour cueillir avant l'aube l'herbe d'or."
'Voici, voici notre maîtresse rayonnante qui nous fait signe : elle nous impose silence. Il faut se taire ; maintenant c'est aux dieux de parler."
[...]
"Je parlerai, puisque tu veux te taire, dit la jeune fille. Je m'appelle Viviane ; ma marraine est Diane de Sicile : la connais-tu ? Je viens cueillir ici l'herbe d'or."
Ces mots rendirent la parole à Merlin.
"Vous êtes donc comme moi une enfant de la terre ?
[...]
Non content de ce qu'il venait de faire, Merlin prit une coupe, pleine d'un breuvage qu'il avait préparé de ses mains avec des touffes d'herbe d'or.
"Tenez, dit-il, ô femmes, voici un breuvage. Quiconque en boira vous aimera jusqu'à mourir. Ce n'est plus la coupe usée de la vieille déesse. C'est un charme nouveau, inconnu, cuisant, plaine de songes et de tristesses divines, qui tient le cœur dans les nues et fait pâlir le visage sous les larmes aveuglantes. Le monde n'a rien vu de semblable.
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Evoquant le Barsaz Breiz de Hersart de la Villemarqué, Ana Donnard, dans un article intitulé "Merlin, l’Intermédiaire des Mondes L’Autre Monde Celtique et la Mémoire Culturelle Bretonne." (in Brathair-Revista de estudos celtas e germânicos, 2005, vol. 5, n°1) remarque que :
Dans le deuxième chant, Merlin est un devin exhorté à se convertir par une voix impérative. L'image archétypale du druide est très nette : il cherche le gui, l'œuf rouge du serpent marin, le cresson vert et l'herbe d'or au bord de la fontaine :
"Merlin ! Merlin ! Convertissez-vous, il n'y a de devin que Dieu."
Yves Paccalet, dans son magnifique "Journal de nature" intitulé L'Odeur du soleil dans l'herbe (Éditions Robert Laffont S. A., 1992) évoque une fougère qui a hérité du surnom qui nous intéresse :
2 décembre
(La Bastide)
Le cétérach - l'herbe dorée - s'installe dans les trous de murs orientés au midi, et rayonne de tous ses rayons. C'est une petite fougère aux frondes sinusoïdes, dont la face supérieure vaut à peine le détour, mai sont le dessous est un tissu de manteau royal en velours brun, piqueté de lames d'argent et d'abeilles d'or.
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Yvetta A. Young dans un article intitulé "L'Herbe d'or : la navigation mythique d'un pêcheur." (in Chimères, 1997, pp. 55-63) présente le roman de Pierre-Jakez Hélias qui prend pour titre le nom de la plante énigmatique :
[...] Déjà le nom du bateau, L'herbe d'or, évoque une plante réputée maléfique (1), un goémon étoilé aux "filaments blonds, qui fulgure quelquefois, tout seul, ancré sur un écueil au milieu d'un champ d'algues" (59). On l'appelle aussi "la plante Alleluia, qui permet d'aller dans l' Autre Monde et d'en revenir sans autre dommage que l'envie d'y retourner" (182).
[...] L'herbe d'or-talisman permet d'échapper aux contingences pour intégrer un univers merveilleux où le temps, l'espace, la logique et jusqu'au désir, n'entrent plus en cause.
[...] Envoûté par la proximité du passage mystérieux et frustré dans son impuissance à l'atteindre, Pierre Goazcoz s'interroge sur les vertus de la merveilleuse herbe étoilée qui mène dans cet Autre Monde "de plain-pied avec celui-ci," où l'on défie I'Ankou, la mort. Et si la mort n'était que "1' absence de quelqu'un qui est présent ailleurs?" (171)
|...] Mais c'est Noël, nuit magique (païenne) et miraculeuse (chrétienne) où des forces également puissantes et cependant divergentes décident du destin de l'herbe d'or. Le vent se lève et le voilier semble se déraciner. A cet instant même Pierre Goazcoz sent une longue déchirure dans sa poitrine. Peut-être lui aurait-il fallu, comme pour Enée, posséder la plante magique et non seulement le bateau au nom-talisman afin d'ouvrir le passage mythique convoité.
Notes : 1) : On dit que cette plante ne peut être cueillie qu'à l'aube par un initié qui, la foulant nu-pieds, s'endort soudainement et comprend le langage des animaux. Voir le Barzaz Breiz (1867) de Hersart de La Villemarqué (Paris : Librairie Académique Perrin, 1963).
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L'herbe d'or dans d'autres cultures :
Dans l'Encyclopédie ou Dictionnaire Raisonné Des Sciences, Des Arts Et Des Métiers, on trouve la notice suivante signée de Denis Diderot et datée du 1er janvier 1752 :
Baaras : (Géographie et Histoire naturelle) nom d'un lieu et d'une plante qu'on trouve sur le mont Liban en Syrie, au-dessus du chemin qui conduit à Damas. Josephe dit qu'elle ne parait qu'en Mai, après que la neige est fondue ; qu'elle luit pendant la nuit comme un petit flambeau ; que sa lumière s'éteint au jour ; que ses feuilles enveloppées dans un mouchoir s'échappent et disparaissent ; que ce phénomène autorise l'opinion qu'elle est obsédée des démons, qu'elle a la vertu de changer les métaux en or, et que c'est par cette raison que les Arabes l'appellent l'herbe d'or ; qu'elle tue ceux qui la cueillent sans les précautions nécessaires ; que ces précautions sont malheureusement inconnues ; qu'elle se nourrit, selon quelques Naturalistes, de bitume ; que l'odeur bitumineuse que rend sa racine, quand on l'arrache, suffoque ; que c'est ce bitume enflammé qui produit sa lumière pendant la nuit ; que ce qu'elle perd en éclairant n'étant que le superflu de sa nourriture, il n'est pas étonnant qu'elle ne se consume point ; que sa lumière cesse quand ce superflu est consumé ; et qu'il faut la chercher dans des endroits plantés de cèdres. Combien de rêveries ! et c'est un des historiens les plus sages et les plus respectés qui nous les débite.
Adolphe de Chesnel, auteur d'un Dictionnaire des superstitions, erreurs, préjugés, et traditions populaires... (J.-P. Migne Éditeur, 1856) présente une plante mythique qui ressemble à l'herbe d'or celte :
BAARAS. Plante merveilleuse qui, au dire des Arabes, croît sur le mont Liban, et se montre au mois de mai, après la fonte des neiges. Toutefois, elle est invisible le jour, et ce n'est que la nuit qu'on la distingue à la vive clarté qu'elle répand. Si on enveloppe alors ses feuilles dans un mouchoir, on ne les retrouve plus lorsqu'on veut les examiner plus tard. On accorde à cette plante la propriété de changer tous les métaux en or, et de rompre les charmes et les sortilèges. L'historien Josèphe, qui cite le baaras, ajoute « qu'on ne saurait le toucher sans mourir, si on n'a dans la main de la racine de la même plante ; mais on a trouvé un moyen de la cueillir sans péril : ou creuse tout alentour, on attache à la racine mise à nu un chien qui, voulant suivre celui qui l'a attaché, arrache la plante et meurt aussitôt ; après cela on peut la manier sans danger. Les démons qui s'y logent et qui sont les âmes des méchants, tuent ceux qui s'en emparent autrement que par le moyen qu'on vient d'indiquer ; et, ce qui est merveilleux, c'est qu'on met en fuite les démons des corps des possédés, aussitôt qu'on approche d'eux la plante baaras. »
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Selon le site du CNRTL :
BAARAS, subst. masc.
ALCHIM. Plante fabuleuse du Liban qui, selon les alchimistes, avait des propriétés merveilleuses :
Certainement, objectèrent les Pharisiens, il existait des pratiques, des herbes puissantes! Ici même, à Machaerous, quelquefois on trouvait le baaras qui rend invulnérable ; mais guérir sans voir ni toucher était une chose impossible, à moins que Jésus n'employât les démons. Flaubert, Trois contes, Hérodias, 1877, p. 186.
Dans quelques grimoires médiévaux, on trouve ainsi la conjuration capable de faire apparaître un démon « barbu », qui préside aux transmutations métalliques. D'autres grimoires invoquent une tradition magique arabe selon laquelle la transmutation des métaux était rendue possible par l'intervention d'une plante nommée baaras ou herbe d'or, plante merveilleuse qui passait pour pousser sur le mont Liban. Apparaissant au mois de mai, après la fonte des dernières neiges, invisible en plein jour, l'herbe d'or éclairait, la nuit, comme un flambeau. Ses feuilles possédaient le don de disparaître lorsqu'on tentait de les emporter. M. Caron, S. Hutin, Les Alchimistes, 1959, p. 43.
ÉTYMOL. ET HIST. − 1690 alchim. (Fur. : Baaras [...] est une plante apparemment fabuleuse, dont parle Josephe, qui a une couleur de feu, étincelante comme une étoile, qui fuit sous terre, et qu'on ne peut arrêter [...]. Elle fait mourir quiconque la touche : de sorte que pour l'arracher on la déchausse tout alentour, et on y attache un chien qui meurt en l'arrachant; après quoy on la peut manier sans danger). Mot hébreu, peut être du nom du lieu où cette plante était censée croître (Flavius Josephe, Histoire de la guerre des Juifs contre les Romains ds la trad. de Arnauld d'Andilly, Histoire des Juifs, Paris, t. 5, 1706, p. 293 : Dans la vallée qui environne Macheron du côté du septentrion se trouve à l'endroit nommé Bara une plante qui porte le même nom, et qui ressemble à une flâmme ; et jette sur le soir des raïons resplendissans, et se retire lors qu'on la veut prendre).
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