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Les Pierres précieuses




Étymologie :


Étymol. et Hist. A. Mil. xie s. gemmes « pierres précieuses » (Alexis, éd. C. Storey, 586) ; ca 1170 jame < dame > (C. de Troyes, Erec, éd. M. Roques, 2406) ; fin xiiie s. [ms.] sal geme (Hist. univ. B.N. 20125, fol. 31d ds Gdf. Compl.).

B. 1808 « bouton de plante » (Boiste). C. 1871, 21 nov. sylvic. (J. officiel, p. 4562, 1re col. ds Littré Suppl. : on voit la gemme perler). Gemme, empr. au lat. gemma « bourgeon » et p. anal. de forme et de couleur « pierre précieuse », a succédé à l'a. fr. jame, forme autochtone, à une époque difficile à préciser étant donné que jame était souvent écrit en a. fr. sous la forme étymologisante gemme (cf. en a. fr. les graphies fame/femme*). C'est parvenu en fr. par l'intermédiaire des parlers du sud-ouest (a. prov. [Périgord] gema prob. « résine » xiie s. Bertrand de Born, éd. C. Appel, 1932, 32, 11 : flairatz sap e gema e pi [trad. gén. par « poix », v. gloss. ainsi que Lévy Prov. ; la trad., « résine » est proposée par FEW t. 4, p. 95a, note 2] ; landais jœ ́me, yéme, jeme « résine, chandelle de résine », Millardet, Atlas ling. d'une région des Landes, n°446) où ce sens est issu p. métaph. de celui de « pierre précieuse » (cf. Pline, 16, 45 ds TLL s.v. 1756-57 : picea resinam plurimam fundit interveniente candida gemme tam simili turis), cf. aussi 1391 m. fr. geme « poix » (ds Du Cange, s.v. gema), prob. venu aussi du domaine occitan (v. Lévy Prov.).


Lire également la définition du nom gemme afin d'amorcer la réflexion symbolique.

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Symbolisme :


Selon Elie-Charles Flamand, auteur de Les pierres magiques. (Éditions Le Courrier du Livre. Paris, 1981) :


Un auteur allemand du Moyen Age, Conrad de Haimbourg, dans une gracieuse prose rimée, offre à la Vierge, comme un mystique souvenir de ses noces éternelles avec l'Epoux divin, un anneau constellé de gemmes. Chacune d'elles symbolise l'une des vertus de la Mère du Sauveur. Le jaspe est le signe de sa foi, le saphir de son espérance, la calcédoine de sa charité, l'émeraude de sa pureté. Le sardonyx symbolise la gestation virginale, la sardoine fait allusion aux douleurs de la Vierge au pied de la croix. La chrysolithe est la gloire de ses miracles et le don de sa sagesse ; l'aigue-marine signifie son humilité et l'amour qu'elle portait au prochain. La topaze, c'est la profondeur de sa contemplation ; la chrysoprase exprime la ferveur de son amour de Dieu, l'hyacinthe sa charité active, la perle sa perfection, l'agate son humilité, le diamant sa force dans la souffrance, l'améthyste l'amour que lui vouent Dieu et les hommes. L'onyx résume l'union de toutes ses vertus et l'escarboucle ou rubis l'éternité de sa gloire.

Incrustés dans les chatons de la bague figurent le cristal, symbole de chasteté, l'ambre qui représente la tempérance et l'aimant qui attire vers Marie les cœurs pénitents.

Il existe un passage du Nouveau Testament où les pierres précieuses tiennent une place importante et qui a fourni une abondante matière à des gloses symboliques, c'est la chapitre XXI de l'Apocalypse (v. 19, 20), où l'auteur décrit la muraille de la Jérusalem céleste :

« Et les fondements de la muraille de la ville étaient ornés de toutes sortes de pierres précieuses. La première base était de jaspe, la deuxième de saphir, la troisième de calcédoine, la quatrième d'émeraude,, la cinquième de sardonyx, la sixième de sardoine, la septième de chrysolithe, la huitième d'aigue-marine, la neuvième de topaze, la dixième de chrysoprase, la onzième d'hyacinthe, la douzième d'améthyste. »

Chacune de ces pierres était regardée comme la figuration d'une des vertus qui doivent édifier en nous la Jérusalem morale.

[...]

On pensait au Moyen Age que les vertus magiques et thérapeutiques des gemmes pouvaient s'affaiblir et même s'éteindre complètement au cours du temps. C'est pourquoi une cérémonie rituelle fut instituée afin d'appeler sur les pierres dont la force était épuisée l'influence céleste qui leur restituerait la plénitude de leurs mérites. C'est un auteur du xiv" siècle, Jean de Mandeville (1) qui, dans son Lapidaire (2), nous fait connaître le texte que les prêtres récitaient en faveur des gemmes que l'on avait au préalable placées sur l'autel :

« La bénédiction des pierres précieuses pour que, si elles ont perdu par nos péchés les vertus que Dieu leur octroya à la création, elles puissent les recouvrer.

Ainsi, comme dit le livre qui contient la relation des Anciens, que toute créature est corrompue par le premier péché du premier homme, le sont aussi les pierres précieuses, créées à la cure et à la garde des créatures humaines, comme les herbes et autres choses ; mais elles demeurent après le péché du premier homme en telle vertu qu'elles avaient avant les attouchements et regards des immondaines personnes et pécheurs ; moult de fois les pierres précieuses ont été corrompues en leurs vertus. Toutefois, de même que la personne est réparée par le baptême et par la pénitence et peut revenir à l'état de la première création, en telle manière, par la sanctification, les pierres précieuses sont réparées en la force de leurs vertus en la manière de la sanctification et consécration, comme on trouve au livre ; pourquoi, quand vous voyez que vos pierres ont perdu leurs vertus, vous devez les mettre dans un drap de lin bien net, puis les mettre sur l'autel et que trois messes soient sacrées dessus, et après, le dernier prêtre qui aura dit la troisième messe, revêtu de ses vêtements sacrés, dira la bénédiction en telle manière (3) :

"Que le Seigneur soit avec vous. Et avec ton esprit. Prions. Dieu, Père omnipotent qui as montré par quelques créatures insensibles ta puissance en toutes choses à Elie ; qui as ordonné Moïse, ton serviteur, d'honorer entre les vêtements sacerdotaux le rational du jugement et de l'orner de douze pierres précieuses ; qui as montré également à l'évangéliste Jean la ville céleste, Jérusalem, construite pour l'éternité avec des pierres signifiant les mêmes vertus, et qui as le pouvoir de ressusciter des pierres les fils d'Abraham, nous implorons humblement ta Majesté, toi qui as choisi comme habitacle éternel de ta puissance une de ces pierres, afin que tu daignes bénir et sanctifier ces pierres par la sanctification et l'incarnation de ton nom, pour qu'elles soient sanctifiées, bénies et consacrées et qu'elles reçoivent de toi l'effet des vertus que tu as accordées à leurs espèces dans cette même consécration et que l'expérience des sages a prouvé leur venir de tes dons ; que quiconque les portera sur soi sente que par elles ta puissance est présente en lui avec les dons de ta grâce et que nous méritions de recevoir ces vertus. Par Jésus-Christ, ton fils, en qui toute sanctification, bénédiction et consécration existent et qui vit et règne avec toi, comme Dieu, dans les siècles des siècles. Amen. Grâces à Dieu." »


Notes : 1)  Jean de Mandeville, né en 1300 à St-Albani Abbey, ville d'Angle terre dans le comté de Hartford, quitta son pays à 27 ans, parcouru la Terre Sainte, l'Egypte, la Chine et l'Inde. Il ne revint en Europe qu'après 33 ans d'absence. Sous le nom de Magnus Villanus, il publia une relation de ses voyages remplie de récits merveilleux qui eut un immense succès. Il mourut en 1373. Ayant étudié les gemmes aux Indes, il composa un Lapidaire en latin qui fut traduit en français au siècle suivant d'après les ordres et à l'usage du roi René.

2) Le lapidaire de Jean de Mandeville, réédition de Is, del Sotto, Vienne 1862, p. 126 sq.

3) Suit Je texte latin de l'office, dont nous donnons une traduction personnelle, celle de del Sotto étant souvent fautive.

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Selon Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont S.A.S., 1995, 2019) proposé par Éloïse Mozzani :


Les pierres précieuses (semi-précieuses ou fines), qui, bien avant l'invention de la monnaie, ont servi de moyen d'échange, ont été de tout temps vénérées. Sans doute parce que outre leur valeur, leur beauté et leur éclat, elles apparaissaient inaltérables : "[L'humanité] vit la beauté du soleil levant, mais dut en détourner les yeux à midi pour n'être pas aveuglée, fut frappée par les superbes couleurs des fleurs et des feuilles [...] les vit aussi se faner, constat que le scintillement de l'eau n'était rien moins que fugitif. De toutes les merveilles naturelles de ce monde, seules perduraient les pierres. Elles ne pouvaient qu'être magiques [...] et tout détenteur d'un tel objet devait de temps à autre être à même d'en libérer le pouvoir."

Aux yeux des Anciens, les gemmes, considérées comme un don divin, passaient pour des "larmes des cieux coagulées" ou pour provenir des étoiles. Parallèlement à cette origine céleste, les pierres précieuses sont, comme tout minéral, un symbole de la "Terre-mère" : dans nombre de traditions, "[elles] naissent de la roche après avoir mûri en elle".

Les Égyptiens et les Sumériens plaçaient des pierres précieuses au côté des morts illustres (le plus célèbre trésor étant celui de Toutankhamon) : les gemmes devaient favoriser la renaissance de l'âme et protéger des mauvais esprits. On a de même retrouvé dans des tombes préhistoriques "des trésors d'ambre, de jais, de turquoises, de lapis-lazuli, de grenat, de quartz", dont on suppose qu'ils devaient aider le mort dans l'autre monde.

Les Anciens avaient recours à une divination par les pierres précieuses - la lécanomancie -, qui se pratiquait en laissant tomber des gemmes dans de l'eau. Pour certains, "il en sortait un petit sifflement mystérieux, qui annonçait la chose désirée" ; pour d'autres, l'objet de cette divination consistait à "produire dans l'eau des effets de lumière facilitant le travail de l'imagination". D'origine assyro-babylonienne, la lécanomancie fut en usage chez les Perses, les Hébreux, les Égyptiens, les Grecs et les Romains. Elle continua de connaître une grande vogue au Moyen-Âge, en Orient comme en Occident.

Les civilisations du bassin méditerranéen connaissaient la magie des pierres et leur utilisation amulettique. On attribua d'ailleurs à Salomon, roi d'Israël (Xe siècle av. J.C.), un ouvrage Des Sceaux des pierreries où il prétend notamment "que la figure d'un homme gravée sur du jaspe vert rend celui qui le porte au col partout victorieux et invincible. Que la figure du Scorpion et du Sagittaire se combattant gravées en quelques pierres cause les divisions parmi ceux qui en sont touchés ; au contraire, la figure du Bélier avec la moitié du Taureau gravée dans une pierre apporte la paix et la concorde. Que la figure du Verseau gravée en une turquoise fait gagner aux marchands tout ce qu'ils veulent. Que la figure de Mars gravée sur une pierre rend l'homme belliqueux. La figure de Jupiter gravée sur quelque pierre rend celui qui la porte aymable et gracieux. Que la figure du Capricorne gravée sur une pierre précieuse rend l'homme invulnérable" (cité par Pierre de Bresche, Traité des talismans, Paris, 1671). Les pères de l’Église interdiront de graver sur les gemmes de symboles "païens" : les premiers chrétiens les remplaceront par des symboles religieux (agneau de Dieu, colombe, etc.).

Les auteurs anciens ont écrit sur les vertus des pierres précieuses, comme les philosophes grecs Aristote (IVe siècle avant notre ère) et Théophraste (mort en 287 av. J. C.) : ce dernier attribuait un sexe aux pierres - les sombres étaient mâles, les claires, femelles - et parle de minéraux, particulièrement de diamants, qui se multiplient à la faveur de l'ombre. Dioscoride (médecin grec du Ier siècle de notre ère) étudia quelque deux cents gemmes auxquelles il prêtait certaines propriétés (le jaspe contre les maux de tête et les piqûres de serpents, l'améthyste contre l'ivresse, le béryl contre les tempêtes, le diamant contre les fièvres, le saphir contre les maux d'yeux). Pline, auteur romain (mort en 79), évoque également, dans son Histoire naturelle, le pouvoir des gemmes. Il y mentionne notamment l'Androdamas provenant de la mer Rouge : inconnue de nos jours, cette pierre précieuse, "blanche comme l'argent, presque comme le diamant" et de forme carrée "comme un " apaisait la colère et assurait la paix de l'âme. Autre pierre précieuse qui figure dans l'ouvrage de Pline, la (le ?) syrochite (?) dont se servaient les nécromanciens "pour retenir les ombres évoquées". Signalons encore que le lit de Néron était incrusté d'agate, de jaspe, d'améthyste et d’autres gemmes "en la vertu desquelles il avait grande foi".

Dans l'Inde ancienne, les joyaux jouaient un rôle important : le Ramayana (poème épique, relatant les aventures de Rama, septième avatâra ou incarnation de Vishnu) évoque ceux que portaient, à leurs noces, Rama et sa femme Sita. La Bhagavad-Gita, "bible" de la philosophie hindoue, dont le héros est Krishna (huitième avatâra de Vishnu), énumère à plaisir les diadèmes, bracelets, boucles d'oreilles, bagues et sonnailles parant les personnages masculins ou féminins de l'histoire, précisant que le cheval du héros porte sur l'encolure une chaîne sertie de joyaux".

A suivre

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Joëlle Ricordel, dans un article initutlé "Des vertus et couleurs de quelques minéraux dans les écrits des médecins de langue arabe (IXe-XIIIe siècle). (In : Pallas. Revue d'études antiques, 2021, no 117, pp. 219-233) explique comment sont envisagées les pierres précieuses dans la médecine arabe :


[...] J. Clément-Mullet, dans une étude détaillée sur la minéralogie arabe, rendait compte des théories ayant cours depuis l’Antiquité sur la formation des minéraux. Il écrivait  : « Le système a pour bases principales la terre et l’eau amenées à l’état d’exhalaison fumeuse ou vaporeuse ou à celui d’exhalaison sèche. Par la condensation elles forment, la première, les substances fusibles et les métaux, tandis que la seconde produit les corps combustibles et les pierres. La chaleur et le froid, la sécheresse et l’humidité ont une grande part à la réalisation du phénomène ». Il précise encore que « les pierres précieuses étaient rattachées aux métaux dont elles possédaient les principes élémentaires. Mais ces principes s’étant modifiés dans leur concrétion par des accidents causés par la chaleur et la sécheresse, le froid et l’humidité, ils étaient détournés du but primitif et l’on avait une pierre précieuse au lieu d’une substance métallique ».

Ainsi, les pierres précieuses, tout en étant rattachées aux métaux, s’en distinguent par des accidents qui vont modifier leur nature. Cette idée est développée par Ibn Maymūn (Maimonide) dans son Traité des poisons, en préambule au chapitre « Des moyens de se garantir du poison », alors qu’il va démontrer l’importance des signes colorés apparaissant sur les aliments empoisonnés. Il explique ainsi l’accident-couleur : « Voici cette explication préliminaire que je veux maintenant exposer, c’est que c’est un fait bien connu que les corps qui sont composés de substances élémentaires possèdent des couleurs, des goûts et des odeurs, mais il est hors de doute que tous ces phénomènes sont chez eux des accidents. En effet, la condition de la couleur n’est point la même que la condition du goût et de l’odeur. La couleur est un accident pour l’objet colorié, et elle sera pour quiconque la percevra, une sensation uniforme sans modification. En effet, pour la couleur noire par exemple, il n’arrivera point que pendant qu’un homme percevra la sensation de la coloration noire, dont l’effet est de contracter la vue, une autre espèce d’animal perçoive celle du blanc dont l’effet est de diviser  ; au contraire, la couleur perçue sera identique chez tout être doué du sens de la vue. » À partir de cet ensemble de notions, il apparaît que la couleur-accident associée aux substances élémentaires va les doter de propriétés particulières.

[...]

Le terme de « pierres » par lequel on désigne, en général, ces substances minérales s’applique d’abord à tout corps solide se trouvant dans la terre. Il s’agit des pierres précieuses ou communes, des métaux, cristallisations, sels ou pétrifications. D’après les définitions qui en sont données, ces « pierres » comprennent des corps solides inorganiques homogènes ou inhomogènes, formés d’un seul minéral ou de plusieurs et comprennent les roches sédimentaires à grain fin, les terres et les sables dont les propriétés médicinales varient selon les lieux d’extraction. Elles incluent également des substances chimiques comme les oxydes, sels employés à l’état naturel (natron, fleur de cuivre ou vitriols…) et certaines substances résultant d’une activité humaine (céruse ou vert-de-gris). Elles englobent également les métaux (cuivre, argent, or, plomb noir ou fer) ainsi que certains simples d’origine animale comme le calcul humain, les concrétions présentes dans le fiel de certains bovidés, le bézoard, le corail, la perle et l’éponge marine ou bien encore l’ambre jaune.

Selon les auteurs, les minéraux sont diversement représentés dans les traités de pharmacologie. Leur proportion parmi les substances simples varie. Elle va de 6 à 10 % du corpus, tandis que celui-ci comporte environ 14 % de médicaments d’origine animale, le reste étant constitué de simples d’origine végétale.

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Symbolisme onirique :


D'après Georges Romey auteur du Dictionnaire de la Symbolique, Le vocabulaire fondamental des rêves, tome 1 : Couleurs, Minéraux, Métaux, Végétaux, Animaux (Éditions Albin Michel, 1995) :


Parvenu au centre de la caverne, devant un coffre aux ferrures rouillées où se trouve enfermé le trésor de pierres précieuses, le rêveur chercherait en vain la clef permettant de soulever le couvercle. Cette clef n'est pas du monde matériel. L'heure venue, le coffre s'ouvrira par la magie du rêve. Une phrase d'Oscar Wilde conduira d'un trait au cœur de la symbolique des pierres dites précieuses : « Le cynique est celui qui connaît le prix de tout et la valeur de rien ! » Ces quelques mots dénoncent le piège auquel s'expose l'imaginaire qui s'engage dans une rêverie lapidaire. Suivant le regard porté par le rêveur sur le trésor, il sera perdu ou comblé.

Le trésor convoité, qui traduit l'attraction des richesses, est une expression de l'exaltation de la volonté de puissance. Il s'inscrit dans l'imagination pétrifiante.

Le trésor révélé, qui indique l'atteinte des lumières intérieures, est agent et témoin d'accomplissement. Il participe de l'imaginaire transformant.

Le trésor convoité stérilise, le trésor révélé fertilise. Pour l'imaginaire spontané, les pierres précieuses sont d'eau, de lumière, de couleurs. La rêverie lapidaire ne se confond pas avec la rêverie cristalline. Le cristal est structure, matière, transparence. Les pierres vont l'essence lumineuse du mystère intérieur. Elles sont, par nature, le trésor caché. La lumière multicolorée n'offrira l'éblouissement qu'à celles et ceux qui auront su pénétrer dans la grotte, atteindre un centre de la terre, ouvrir un coffre, ôter la gangue ! L’âme autorisée à voir le trésor multicoloré est une âme qui a su dépasser l'apparence, démasquer l'artifice conventionnel du prix et découvrir la vertu universelle de la valeur. Si le cynique, comme nous le sentons, est à l'opposé du mystique, il faut oser une paraphrase : "Le mystique est celui qui n'attache de prix à rien et respecte la valeur de tout."

Sur quel critère se reposera-t-on pour décider qu'une pierre est précieuse ? Les gemmes, comme la pierre ordinaire, peuvent être brutes ou taillées. Lorsqu'on se rappelle que, pour les Écritures, le Temple n'est sacré que s'il est construit avec des pierres brutes, on sait que ce n'est pas le stade d'élaboration qui confère à la pierre sa valeur. Ce n'est pas non plus la cristallisation puisque la gamme des quartz s'étend du vulgaire cristal de roche aux cristaux colorés "semi-précieux".

Il y aurait également à prendre pour référence la trompeuse objectivité d'n prix de marché pour déterminer la valeur onirique d'une pierre ! Le rêve sait que la pierre est précieuse dès lors qu'elle participe à la diffusion lumineuse, au rayonnement coloré. Le trésor intérieur rapproche souvent l'or et les pierreries. Le cristal et le diamant sont très rarement cités. Ceux-là emprisonneraient la lumière dans leur dureté. Le rêve de trésor veut de la lumière libre, des couleurs qui, à la fois, rayonnent et s'écoulent.

Les couleurs du trésor sont potentiellement multiples mais, explicitement, c'est le rouge et le vert qui sont le plus fréquemment cités. les pierres sont assez peu souvent nommées. Lorsqu'elles le sont, il s'agit presque toujours du rubis et de l'émeraude. Le fanion d'un centre psychique authentique serait rouge et vert, à franges jaunes. Gaston Bachelard, étudiant la place des pierres précieuses dans les œuvres littéraires, traduit avec force l'essence de la rêverie lapidaire : « Lorsqu'elles sont trouvées dans la grotte illuminée, elles sont toujours de couleurs multiples et très variées. Elles sont innombrables. Elles ont, pour tout dire, cette étrange couleur onirique de la multiplicité bigarrée, qu'on pourrait appeler la couleur de l'innombrable. Elles dispersent l'enchantement... »

Au fil des scénarios, on rencontrera parfois une scène dans laquelle une seule pierre, un rubis dans la main du Vieux Sage, par exemple, intervient comme accessoire magique du franchissement d'un seuil. La pierre singulière condense alors la valeur illimitée du trésor, elle devient un talisman dont le pouvoir rassemble ceux de toutes les pierres précieuses. L'interprétation serait cependant incomplète si la coloration particulière de la pierre n'était pas, dans cette situation, prise en compte. Dans la grande majorité des rêves, les pierres précieuses ne valent que ce que vaut leur multiplicité. Les séquences dans lesquelles le rêveur atteint le trésor se laissent ranger en deux groupes :

  • celui dans lequel les images signifient que le rêveur est parvenu au centre de lui-même, en ce lieu incertain où se révèle l'insupportable Totalité ;

  • celui dans lequel l'imaginaire place le rêveur devant le trésor afin qu'il prenne conscience de l'inanité de sa convoitise, qu'il choisisse l'abandon des richesses et s'en aille, valorisé par son renoncement.

Parmi les rêves du premier groupe, le vingt-septième scénario de Myriam propose une séquence intéressante :

« ... Quand j'étais petite, mon principal rêve était d'atteindre le centre de la terre... là, je perçois des cavernes lumineuses... je suis au centre de la terre, c'est comme si là, on trouvait tout, y compris le ciel !... Aller au centre de la terre, c'est simplement faire un voyage à l'envers de la surface... qu'on aille dans l'espace ou au centre de la terre, c'est le même voyage ! Je réalise tout à coup que c'est pareil pour soi-même : on peut aller vers les autres en passant par l'intérieur de soi. On peut décider d'atteindre son centre en passant par l'intérieur... ou par l'extérieur aussi... mais j'ai l'impression que ce n'est pas un chemin ou l'autre, qu'il faut les vivre en même temps !... Mais alors là, je n'ai plus de repérage... je ne peux plus me dire : "Bon ! Je suis à tel endroit !" je suis partout... et je vois plein de pierres précieuses... l'image ne se dessine plus... c'est comme si tout était en œuvre en même temps... on ne ressent plus que des énergies... on ne voit plus... on est... on perd la vue... »

Les pierres précieuses, que rien n'appelait a priori dans cette séquence, en sont pourtant l'axe symbolique. Elles représentent la multiplicité éblouissante de la Totalité. L'intelligence humaine serait anéantie par la simultanéité illimitée, qui serait une lumière blanche aveuglante. La raison a besoin de repères, de la multitude limitative, du séquentiel. La vision des pierres précieuses ne peut durer ainsi que le temps d'un éclair, déchirure lumineuse qui révèle à jamais la potentialité illimitée.

Les pierres précieuses ne sont pas toujours, loin s'en faut, enfermées dans un coffre. Bien souvent, elle sont incrustées dans les parois de la grotte, qu'elles éclairent de mille rayons colorés. Une séquence du dix-neuvième scénario de Suzanne illustrera cette observation. Ici le rayon blanc d'un diamant participe à la féerie multicolore. Il est, dans ce cas, une couleur parmi les autres :

« ... Je suis debout dans le marécage... je m'enfonce... je suis aspirée sous le marécage... je suis arrivée dans une salle ténébreuse... j'aperçois un point de lumière... c'est comme une serrure, comme ça, dans un mur, sans porte... et... je ne sais pas comment, tout à coup je me retrouve de l'autre côté. Là, c'est une salle éblouissante... les murs sont couverts, constellés de pierres précieuses de toutes les couleurs, qui renvoient les rayons de lumière dans tous les sens... il y a des émeraudes qui réfractent la lumière en vert... à côté, des rubis qui donnent des rayons rouges, aussi des diamants qui diffusent des rayons blancs... et tous ces rayons s'entrecroisent... on dirait des épées de lumière... ça fait presque comme un tissage dans l'air... ces rayons de lumière... alors sur le coup, ça m'a empêchée de voir !... Maintenant, je distingue un trône, un grand fauteuil de velours rouge... et... dessus, un roi... mais c'est un animal, une grenouille d'un très beau vert... »

Estelle commence la sixième séance. Elle est dans une rue étroite d'une cité médiévale. Des écheveaux de laine de toutes les couleurs sont tendus d'un côté à l'autre de la rue. La rêveuse descend dans les souterrains d'un château-fort. Elle passe devant le sarcophage d'une reine et, précédée d'un guide, elle s'aventure dans une petite barque, sur une rivière sombre. Les parois se rétrécissent, il faut bientôt quitter la barque, puis se baisser. C'est en rampant qu'Estelle franchit un goulet et débouche dans une petite grotte, suivie de son guide : " C'est une ancienne carrière de pierres précieuses. On en trouve encore, enchâssées dans la terre... le guide dit que c'est assez dangereux de se trouver ici... il ouvre un coffre, dans lequel il y a deux sacs en tissu... dans le premier, il prend des cailloux brunâtres qu'il montre dans sa main : ce sont des émeraudes et des rubis tels qu'on les trouve à l'état brut. Ils sont énormes et seront magnifiques quand ils seront taillés. de l'autre sac, il sort des pierres très belles, taillées, vertes et rouges, qui brillent, superbes. Dans la main gauche, il a les cailloux non taillés, dans la droite les pierres précieuses... il remet le tout dans le coffre, qu'il ferme à clef. Il est temps de partir car on n'a pas vraiment le droit de venir ici..."

Les écheveaux de laine annonçaient la féerie multicolore. Cependant, lorsque la pensée veut préciser la nature des pierres, c'est encore l'émeraude et le rubis qui condensent la multiplicité colorée. Toute cette séquence exprime l’ambiguïté d'un langage dans lequel le contrôle mental exerce une emprise réductrice sur l'authenticité des images. Les cailloux pris dans leur gangue et les superbes pierres taillées sont l’image des potentialités psychiques encore engluées dans les attachements matériels.

Dans l'article consacré à l'or, nous reproduisons une longue séquence du neuvième rêve de Véronique. La rêveuse est dans une grotte entièrement tapissée d'or et de pierres précieuses : "... je me retrouve dans une mer de pierreries... je m'allonge dessus et je regarde le plafond... [...] je grimpe à la voûte des richesses... je commence à remplir un sac... et puis je trouve ça idiot... je laisse tomber le sac..."

Véronique descend sur le sol de la grotte, entièrement revêtu d'or. Elle s'amuse à glisser dessus, heurte une paroi et la grotte s'écroule. Les pierres qui gisent à terre sont maintenant des pierres ordinaires. La rêveuse se fait maçon et bâtit avec ces pierres une petite maison, face à la mer, de laquelle elle voit arriver tous les gens qu'elle aime et tous ceux qu'elle aimera. Cette séquence est probablement le plus bel exemple dans lequel le trésor onirique s'offre comme révélateur de la vanité des apparences et de la valeur de l'authenticité.

Non ! La pierre du rêve ne sera jamais précieuse en fonction arithmétique d'un nombre de carats. Elle n'aura jamais ce prix qu'on fixe par une étiquette. Elle a la valeur illimitée du rayonnement multicolore, de l'inépuisable psyché, indéfiniment créatrice.

L'une des associations les plus fréquentes avec la pierre précieuse concerne la référence au religieux : le Christ, Bouddha, un prêtre, un moine chrétien ou bouddhiste, un lieu de culte, sont en relation étroite avec le trésor de l'authenticité. Cette observation explique la sensation commune à tous ceux qui touchent le centre de leur être de se trouver en communication avec l'Être. La lumière totale ne se divise pas : elle rayonne. La Lumière et la lumière sont comme la mer et chaque goutte d'eau qui la compose.

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Recevant des images de trésor, l'interprète n'aura pas de peine à déterminer l'axe majeur de sa traduction. Il lui suffira de se souvenir que les pierres précieuses, dans le rêve, n'apparaissent que dans trois situations :

  • parfois, une émeraude, un rubis, viennent isolément servir une dynamique de franchissement du seuil ;

  • le trésor convoité se laisse découvrir lorsque le rêveur est prêt à reconnaître son inutilité ; ce trésor-là naît de l'attrait de puissance et de l'exaltation imaginative ;

  • le ruissellement coloré, éclair éblouissant dans la grotte intérieure, illumination si totale qu'elle annihile toute distinction, sera reçu comme indice d'une insurpassable expérience de l'infinie potentialité.

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Littérature :


Nicolas Bouvier dans son récit de voyage intitulé Le Poisson-Scorpion (Co-Éditions Bertil Galland et Gallimard, 1982 ; Éditions Gallimard, 1996) évoque un quartier particulier de la capitale de l'île de Ceylan, (aujourd'hui Sri Lanka) :


"Quartier des pierreries. Ici et là, derrière les sourires qui barrent le seuil des lapidaires, derrière leurs minuscules balances, les rubis œil-de-chat, topazes, pierres de lune emmaillotées de papier de soie dorment, rutilent et fulgurent en secret. Ce gemmes qui ont patiemment mûri leur beauté dans le noir sont une leçon de permanence et de lenteur. La transparence et l'éclat par l'usure. elles ancrent cette capitale inconsistante dans un temps linéaire et lui donnent juste assez de réalité pour que e parlement puisse y siéger sans disparaître."

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