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Le Saphir



Étymologie :

  • SAPHIR, subst. masc.

Étymol. et Hist. 1. 1121-34 saphire « pierre précieuse » (Philippe de Thaon, Bestiaire, éd. E. Walberg, 2983 : saphires) ; 1re moit. xiie s. saphir (Lapidaires anglo-norm., éd. P. Studer et J. Evans, I, 163, p. 34 : saphirs) ; 2. a) 1779 bleu de saphir (Buffon, Hist. nat., Oiseaux, t. 6, p. 26 : d'un riche bleu de saphir) ; 1831 de saphir « d'un bleu lumineux » (Hugo, Feuilles automne, p. 753 : des ailes d'or, de pourpre et de saphir) ; b) 1779 adj. (Buffon, op. cit., p. 27 : il n'avoit que la gorge saphir) ; 1840 (Pt courr. dames, p. 234 : nuances rubis, émeraude ou saphir) ; c) 1800 subst. « belle couleur bleue » (Delille, Homme des champs, p. 127 : le pourpre et le saphir forment ses vêtemens) ; 3. 1907 « pointe pour phonographe » (L'Illustration, 11 mai, Annonces 5 ds Quem. DDL t. 15). Empr. au lat. class. sappirus, b. lat. sapphirus « saphir (pierre précieuse) », lui-même empr. au gr. σ α ́ π φ ε ι ρ ο ς, et celui-ci à une lang. sémit. (cf. hébr. biblique sappι ̄r, araméen sampι ̄r) qui l'aurait empr. à une lang. de l'Inde (cf. skr. śani-priyám « saphir », v. Lok. n°1830 ; DEI, s.v. zaffiro ; Klein Etymol. L'hyp. de l'orig. indienne est contestée par E. Masson, Empr. sémit. en gr. , p. 66, note 2 et Frisk).


Lire aussi la définition du nom pour amorcer la réflexion symbolique.

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Symbolisme :


Selon Hildegarde de Bingen, dans Physica, Le Livre des subtilités des créatures divines (traduction P. Monat, 2011) :


"Le saphir est chaud. Il se forme au milieu de la journée, quand le soleil, au milieu de son ardeur, brûle si fortement que parfois l'air s'en trouve, en quelque sorte épaissi : et alors, la lumière que donne au soleil son ardeur du moment traverse si difficilement l'air que son éclat n'apparaît pas aussi clairement qu'il ne le fait quand l'air est un peu tempéré. C'est pourquoi le saphir est bouillonnant ; et sa nature est de feu plutôt que d'air ou d'eau. Et il représente la charité remplie de sagesse.

Si quelqu'un a un orgelet sur l’œil, qu'il prenne un saphir dans sa main et qu'il le chauffe en le tenant, ou avec un peu de feu : qu'il touche l'orgelet de son œil avec la pierre chauffée. Qu'il le fasse trois jours, matin et soir, et l'orgelet diminuera, puis disparaîtra. Et si quelqu'un a les yeux rougis par la douleur, blessés, ou encore la vue obscurcie, il lui faut, à jeun, mettre un saphir dans sa bouche et l'humecter de sa salive ; puis il prendra avec son doigt un peu de la salive qui a mouillé la pierre et en frottera le tour de ses yeux, de façon à toucher aussi l'intérieur. Ses yeux guériront et retrouveront la lumière.

Si quelqu'un est perclus de rhumatisme, au point de ne plus pouvoir supporter la douleur qui accable sa tête et son corps, qu'il mette un saphir dans sa bouche et ses douleurs cesseront.

L'homme qui désire avoir une bonne intelligence et une science solide devra chaque matin, en se levant, quand il est encore à jeun, mettre un saphir dans sa bouche et le conserver un petit moment, c'est-à-dire jusqu'à ce qu'il ait suffisamment avalé de salive mise au contact de la pierre ; puis il l'enlèvera de sa bouche et fera chauffer un peu de vin sur le feu dans un petit récipient ; il tiendra la pierre au-dessus, et, quand celle-ci sera couverte de vapeur, il léchera cette humidité avec sa langue. Ainsi la vapeur du vin, dont la pierre s'est chargée, passe dans le ventre de l'homme. Alors il possédera une pure intelligence et une pure science, et son estomac s'en trouvera du même coup assaini.

Si quelqu'un est ignorant, au point de n'avoir aucune connaissance mais souhaite cependant être sage et ne peut l'être ; s'il ne se complaît pas en sa sottise et ne la recherche pas, il lui faut, souvent, quand il est à jeun, frotter sa langue avec un saphir. Sa chaleur et sa vertu, jointes à la chaude humidité de la salive, feront disparaître les humeurs nocives qui bloquent son esprit ainsi cet homme aura-t-il un esprit assaini.

Lorsqu'on est tout bouleversé par la colère, il faut mettre un saphir dans sa bouche : ainsi la colère s'éteindra et s'en ira.

Si cette pierre est montée sur un anneau d'or pur et sans fer-blanc, et si, sous cette pierre, ne se trouve rien d'autre que l'or sur lequel elle est montée, on peut la porter à sa bouche en guise de remède, et elle ne sera pas inutile ; mais s'il y a autre chose que de l'or, elle n'a plus aucune puissance, et il ne faut pas la porter à sa bouche, car dans l'anneau se trouvent des forces opposées.

Si un homme est possédé d'un esprit malin, qu'un autre homme fasse tomber un saphir sur de la terre, puis mettre un peu de cette terre dans une bourse de cuir, qu'il suspende au cou du malade en disant : "Ô toi, esprit immonde, éloigne-toi immédiatement de cet homme, tout comme, lors de ta première chute, l'éclat de ta splendeur s'en est au plus vite allé loin de toi." Cet esprit malin sera violemment torturé et s'éloignera de cet homme (à moins qu'il ne s'agisse d'un esprit très agressif et très méchant) et le malade ira mieux.

Et si même le diable pousse un homme à tomber amoureux d'une femme, à tel point que, sans pratiques magiques et sans invocations aux démons, celui-ci commence à devenir fou d'amour, et si cela est désagréable pour cette femme, que celle-ci fasse couler par trois fois un peu de vin sur un saphir, en disant à chaque fois : "Je répands ce vin sur tes forces ardentes, afin que, tout comme Dieu t'a enlevé ton éclat quand l'ange a péché, tu enlèves de cet homme l'amour ardent qu'il éprouve pour moi." Si la femme ne veut pas le faire, un autre homme à qui cet amour porte ombrage pourra le faire à sa place : il fera boire du vin par l'autre, que celui-ci soit à jeun ou non, en le lui disant ou non, et cela pendant trois jours de suite.

Et si c'est une femme qui brûle de passion pour un homme, et que, pour lui, cet amour est désagréable, il faut qu'avec du vin et un saphir il agisse sur la femme, comme je l'ai dit plus haut, et le feu de la passion s'éteindra."

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Selon Jean Chevalier et Alain Gheerbrant dans le Dictionnaire des symboles (1969, édition revue et corrigée Robert Laffont, 1982),


"Pierre céleste par excellence, le saphir reconduit toute la symbolique de l'Azur. Selon le Lapidaire de Louis IX, la méditation sur cette pierre amène l'âme à la contemplation des cieux. Aussi disait-on, au Moyen âge comme en Grèce, que le saphir guérit les maladies des yeux et libère de prison. Les alchimiste l'apparentaient à l'élément air. Au XIè siècle l'évêque Marbode le décrit en ces termes : le saphir a une beauté pareille au céleste trône ; il désigne le cœur des simples, de ceux que meut un espoir certain, de ceux dont la vie brille par les mœurs et la vertu. De même, Conrad de Haimbourd considère-t-il le saphir comme la pierre d'espérance. La justice divine étant en lui, on lui attribuera des pouvoirs aussi variés que de prévenir la pauvreté, de protéger de la colère des Grands, de la trahison et des mauvais jugements, d'augmenter le courage, la joie, la vitalité, de dissiper les humeurs, de renforcer les muscles. En Inde et en Arabie, il est réputé contre la peste, maladie ignée liée au feu chtonien. Le saint Georges baroque du trésor de Munich, qui triomphe d'un dragon d'émeraude, est vêtu de saphirs enchâssés d'or. Dans le christianisme, le saphir symbolise à la fois la pureté et la force lumineuse du royaume de Dieu.

Comme toutes les pierres bleues, le saphir est considéré en Orient comme puissant talisman contre le mauvais œil."

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Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont, 1995 et 2019), Éloïse Mozzani nous propose la notice suivante :


Il franchit les frontières embrassées du lieu et du temps

[Vit;;) le vivant trône, l'éblouissement du saphir

Devant lequel tremblent les anges en posant leur regard

[...] mais, frappé par ces excès de lumière,

Ferma les yeux dans une nuit sans fin.

Thomas Gray, Progrès en poésie.


Ces vers sont extraits d'un poème anglais du XVIIe siècle évoquant la cécité de John Milton, auteur du Paradis perdu (1667)

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Selon Valérie Gontero, autrice de « Un syncrétisme pagano-chrétien : la glose du Pectoral d’Aaron dans le Lapidaire chrétien », (in : Revue de l’histoire des religions [En ligne], 4 | 2006) :


Le lapidaire mixte est consacré aux douze gemmes les plus célèbres de La Bible : celles du Pectoral d’Aaron, reprises en partie par la Jérusalem Céleste. L’Exode décrit deux fois le gigantesque pendentif qui orne la poitrine du Grand Prêtre, élaboré selon les directives divines : « Ils le garnirent de quatre rangs de pierres précieuses : première rangée : une sardoine, une topaze, une émeraude ; deuxième rangée : un rubis, un saphir, un jaspe ; troisième rangée : une pierre d’ambre, une agate et une améthyste ; quatrième rangée : une chrysolite, un onyx et un béryl ; elles étaient serties d'or dans leurs montures (1). »

À la fin de la Bible, L’Apocalypse de saint Jean dépeint la Jérusalem céleste, dont les piliers sont taillés dans les mêmes gemmes, à quelques exceptions près : « Les soubassements du mur de la ville sont ornés de toutes sortes de pierres précieuses ; le premier est de jaspe ; le deuxième de saphir ; le troisième de calcédoine ; le quatrième d'émeraude ; le cinquième de sardonyx ; le sixième de sardoine ; le septième de chrysolithe ; le huitième de béryl, le neuvième de topaze ; le dixième de chrysoprase ; le onzième d’hyacinthe ; le douzième d'améthyste (XXI, 19-20). »

[...] Dans le lapidaire, l’exégèse s’effectue à plusieurs niveaux, de la partie au tout, du microcosme au macrocosme. Ainsi une senefiance est dévolue à chaque gemme, à chaque rangée (parfois même au rang de la gemme sur la rangée) et enfin à l’ensemble des douze pierres du Pectoral. Le texte considère les qualités physiques et la disposition des gemmes pour établir des correspondances avec les qualités morales et les expériences spirituelles des chrétiens, comme l’illustre le tableau suivant, récapitulant les données de la seconde partie du lapidaire.

​Gemme

​Rang sur le Pectoral d'Aaron et dans la Jérusalem céleste

Symbolique des nombres

Couleur

Symbolique religieuse et mystique

1ère rangée

La prudence

Saphir

5e/2e

La seconde vertu : espérance (1)

Bleu ciel

L'espérance de la vie éternelle ; L'état d'esprit de ceux qui s'approchent du vrai soleil, Jésus Christ

[...] Le raisonnement analogique, qui sous-tend l’ensemble du texte, s’appuie systématiquement sur le nombre et sur la couleur, mais reprend aussi des propriétés décrites dans la partie païenne du lapidaire. L’analogie principale, aux ramifications variées, s’enrichit parfois d’analogies secondaires, qui étoffent et complexifient la glose.

L’analogie par le nombre, véritable mode de pensée au Moyen Âge, est la plus marquante dans le lapidaire. Les clercs accréditent l’exégèse biblique des nombres en se fondant notamment sur le verset suivant : « Mais vous réglez toutes choses avec mesure, avec nombre et avec poids » (Sagesse, XI, 21).

Dans son versant numérique, la glose s’attache au rang de la gemme, sur le pectoral d’Aaron (rang parmi les douze gemmes, rangée, place sur la rangée) et dans la Jérusalem céleste (rang parmi les piliers de gemmes). Pourquoi douze gemmes ? Le douze représente le syncrétisme du nombre matériel 4 et du nombre spirituel 3, et fait écho au 7, qui incarne la perfection. Les gemmes matérialisent les douze tribus d’Israël – comme il est dit dans L’Exode et rappelé dans le lapidaire (v. 601-608) – mais aussi les douze apôtres (v. 662-667).

Rang

Pectoral d'Aaron

​Apôtre

Tribu d'Israël

5

Saphir

Philippe

Issachar

[...] Le pectoral matérialise cette union du 3 et du 4, par les quatre rangées de trois pierres qui le composent. Chacune des quatre rangées possède un sens : la prudence, la force, la justice et la tempérance sont les quatre vertus cardinales du chrétien. Une telle équivalence entre les vertus cardinales et les gemmes se retrouve à l’ouverture du deuxième livre du Livre du Trésor de Brunet Latin. Dans le texte encyclopédique, chaque vertu est représentée par une gemme, et non pas par un groupe de gemmes, sans aucune correspondance avec la classification du lapidaire mixte : la prudence est symbolisée par l’escarboucle ; la tempérance par le saphir ; la force par le diamant ; la justice par l’émeraude.


Note : 1) Les vertus théologales, dont l'objet est Dieu lui-même, sont la foi, l'espérance et la charité. Elles s'ajoutent aux quatre vertus cardinales - prudence, force, justice, tempérance - matérialisées par les rangées de gemmes, pour former l'heptade des vertus du christianisme.

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Joëlle Ricordel, dans un article intitulé "Des vertus et couleurs de quelques minéraux dans les écrits des médecins de langue arabe (IXe-XIIIe siècle). (In :Pallas. Revue d'études antiques, 2021, no 117, pp. 219-233) explique la place du saphir dans la pharmacologie arabe :


L’échantillon de pierres de couleur rouge prononcé que nous avons choisi dans cette étude, pierres précieuses ou fines, inorganique ou organique, met en lumière une relation analogique basée sur la couleur entre le sang et les gemmes. Ces dernières semblent bien posséder une qualité particulière, ḫawaṣṣ, leur permettant d’être efficaces contre toute maladie en relation avec le flux sanguin (hémorragies, épanchements sanguins) et en rapport avec le muscle contrôlant le sang, le cœur, sur lequel ils agissent en le fortifiant au propre comme au figuré. On note aussi, que par effet d’opposition à la couleur blanche, certaines sont utiles dans les cas de leucorrhées.

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Contes et légendes :


Paul Berret, dans Sous le signe des Dauphins, Contes et légendes du Dauphiné (Éditions des Régionalismes, 2008/2010), raconte le roman d'une saint-marcellinoise, Marie-Thérèse d'Avancourt :


"Le docteur Pâris, pensai-je, a dû faire quelque trouvaille intéressante et ce discours est, sans doute, un préambule, je ne me trompai point.


"Tenez, continua-t-il, regardez cette bague. C'est un saphir, un de ces saphirs d'azur, un corindon qui a eu jadis la couleur de nos glaciers alpestres. D'ordinaire le corindon conserve l'éclat de cet azur à travers les siècles. Mais celui-ci s'est éteint, comme fait le topaze ; et déjà cette mort de la pierre précieuse est un mystère. Cette bague est du commencement du dix-huitième siècle ; aucun doute possible. Considérez la manière dont le corindon est serti : il a été enchâssé dans un cercle d'or finement ciselé, un entrelacs de feuillages ; au dix-septième siècle, le cercle était uni et plein, plus tard ce furent des griffes. Il a été trouvé dans le jardin des anciennes Visitandines de Bellevue. Mais continuons à monter".

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Littérature :


Pendant que le marin


Pendant que le marin, qui calcule et qui doute,

Demande son chemin aux constellations ;

Pendant que le berger, l’œil plein de visions,

Cherche au milieu des bois son étoile et sa route ;

Pendant que l'astronome, inondé de rayons,


Pèse un globe à travers des millions de lieues,

Moi, je cherche autre chose en ce ciel vaste et pur.

Mais que ce saphir sombre est un abîme obscur !

On ne peut distinguer, la nuit, les robes bleues

Des anges frissonnants qui glissent dans l'azur.

Avril 1847.

Victor Hugo, Les Contemplations, Livre IV : Pauca meae, poème X, 1856.

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