L'article du 5 mars 2017 ayant mystérieusement disparu dans les méandres inconnus d'Internet, me voici contrainte de le recommencer... sans plus savoir quelles étaient mes sources...
Étymologie :
HERBE, subst. fém.
Étymol. et Hist. 1. Ca 1100 « plante à tige non ligneuse » (Roland, éd. J. Bédier, 2871 : De tantes herbes el pré truvat les flors); en partic. a) ca 1160 « plante qui a des propriétés médicinales » (Enéas, 7969 ds T.-L.) ; b) xiiie s. male herbe « plante nuisible à la culture » (FEW t. 4, p. 404b) ; 1316 mauvaises herbes (G. de Paris, Chron. métr., éd. A. Diverrès, 1579) ; c) 1306 « herbes employées comme assaisonnement » lait de jument confist en herbes (Joinville, St Louis, éd. N. L. Corbett, § 487) ; 1540 fines herbes (ds Bull. soc. hist. Paris et Ile de France, XXX-106) ; d) 1414 [date trad.] au plur. « certaines herbes potagères et des champs propres à la consommation » salades d'herbes (Decameron, B.N. 129 [ms. du xve s.], f°16c ds Gdf. Compl., s.v. salade) ; 2. ca 1100 « ensemble des herbes qui forment une végétation (au sing. collectif) » (Roland, éd. J. Bédier, 671 : Sur l'erbe verte estut devant sun tref) ; d'où 1572 [éd.] expr. couper l'herbe sous le pied de qqn (Jacques Yver, Le Printemps, 3e histoire, éd. P. Jourda, p. 1202) ; 3. 1225-30 en herbe « état des céréales qui sont encore toutes jeunes et vertes » (G. de Lorris, Rose, éd. F. Lecoy, 3935) ; 1558 fig. en herbe, ou en gerbe (B. Des Périers, Œuvres françoises, Nouv. récréations, 32 [Jannet, 1856] ds Quem. DDL t. 9) ; 4. mil. xiiie s. en composition, désigne un grand nombre de plantes herbe Jehan, herbe Robert (Voc. plantes, 140a et 140b ds T.-L.) ; 1547 herbe-aux-chats (R. Estienne, De Latinis et graecis nominibus arborum...). Du lat. class. herba « herbe ; mauvaises herbes ; jeune pousse, en partic. en parlant des céréales ; plante en général » ; entre en composition avec d'autres mots pour désigner diverses plantes dès le lat. imp. : herba Proserpinae « camomille » (André Bot.) ; cf. pour le sens 4 en lat. médiév. herba Roberti xiiie s. (Voc. plantes, 140 ds T.-L.), herba gattarum xve s. (J. Camus, Op. sal., p. 134 ds Roll. Flore t. 9, p. 9).
Lire également la définition du herbe afin d'amorcer la réflexion symbolique.
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Botanique :
Francis Olivereau auteur de "Les plantes messicoles des plaines françaises." (Le Courrier de l'environnement de l'INRA, Paris : Institut national de la recherche agronomique Délégation permanente à l'environnement, 1996, 28 (28), pp.5-18) précise les termes de mauvaises herbes et plantes adventices :
1. Un peu de terminologie : des mauvaises herbes aux plantes messicoles
Le terme mauvaise herbe est couramment employé pour désigner toute plante indésirable là où elle se trouve (Bailly, 1980). Les plantes messicoles sont souvent ainsi nommées et même par les botanistes, qui ont confronté leurs idées à leur sujet lors de réunions telles que des « Colloques sur la biologie des mauvaises herbes ». Soulignons l'existence d'une science de l'étude des mauvaises herbes : la malherbologie. A un degré de précision supérieur se trouve le qualificatif de « plante adventice », qui, en agriculture, sert à désigner tous les végétaux qui se développent accidentellement dans les cultures (Boullard, 1965) ; ainsi en feront partie aussi bien les plantes « sauvages » (dont celles des moissons) que les plantes cultivées indésirables (par exemple un tournesol levant dans un champ de blé). Le botaniste en donne une autre définition : est adventice toute plante qui, pour des raisons diverses, se répand brusquement et spontanément dans une nouvelle région en s'y avérant parfois indésirable pour l'homme.[...]
Plus simplement, une « plante adventice » est étymologiquement (du latin adventium : supplémentaire) une plante qui s'ajoute à un peuplement végétal auquel elle est initialement étrangère » (Bournerias, 1969).
La notion de plante messicole (étymologiquement : habitant les moissons) est plus précise mais autorise encore diverses approches. François (1943) précise : « On désignera du nom de messicoles les commensales de nos moissons ». Pour Aymonin (1962) : « les messicoles sont des plantes annuelles ayant un cycle biologique comparable à celui des céréales et sont très inféodées au milieu "moisson" ». Si la première définition semble trop vaste, la seconde en exclut les plantes vivaces.
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Proverbes et dictions :
“Si l’herbe en janvier déjà pousse, Reste de l’année ne sera que mousse.”
“L’herbe est toujours plus verte ailleurs.”
“Année d’herbe, Jamais superbe.”
“Le champ du paresseux est plein de mauvaises herbes.” “Il ne faut pas laisser croître l’herbe sur le chemin de l’amitié.”
“À chemin battu, ne croît point l’herbe.”
“Patience, avec le temps l’herbe devient du lait.”
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Usages traditionnels :
Dans La Cuisine paysanne de Savoie : La Vie des fermes et des chalets racontés par une enfant du pays (Éditions La Fontaine de Siloé, 2004), Marie-Thérèse Hermann transmet les connaissances des anciens :
Quand ma grand-mère faisait des épinards pour le dîner, ou des feuilles de bettes préparées de la même façon, elle disait qu'elle faisait des herbes. Le terme d'herbes en Savoie, désigne en effet un certain nombre de plantes dont la caractéristique est avant tout la couleur verte. Parmi les surnoms plus ou moins agréables que se donnent les uns aux autres les villages, nous trouvons celui de péla d'herba pour les habitants de Cluses. Une légende raconte qu'(autrefois les gens de cette ville avaient l'habitude de se réunir chaque année pour un repas collectif à l'occasion duquel ils apportaient les meilleurs produits de leurs fermes et de leurs jardins, qu'ils mettaient en commun et accommodaient ensuite. Une année de grande disette, pas une pomme de terre, pas un légume, pas un grain à Cluses, et, par voie de conséquence, ni une volaille, ni un œuf, ni lait, ni viande. Les pauvres Clusiens apportèrent au repas communautaire les seules herbes sauvages récoltées dans les champs et bois environnants. D'où leur resta le fameux sobriquet de « péla d'herba », par analogie au manger des cochons appelé en patois régional la péla. Nous pouvons penser que le surnom peut dater de l'année 1817, année d'une terrible famine en Savoie. Non seulement Cluses, mais toute la province souffrit durement de la faim. Les gens erraient dans les prairies, le long des torrents, dans les forêts, à la recherche de feuillages, tiges ou racines susceptibles de les nourrir. C'est probablement grâce à la tradition orale et peut-être au savoir des guérisseurs locaux, que l'on put cueillir des herbages et racines dont l'usage s'était perdu depuis le moyen âge et qui permit à certains d'échapper à une mort horrible. [...]
Pour en revenir au terme d'herbes, celui-ci est appliqué en Savoie aux feuilles sauvages utilisées en cuisine dans les campagnes, bien avant que l'épinard soit cultivé dans les jardins et surtout dans les jardins de haute montagne.
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Symbolisme :
Dans Botanique biblique ou Courtes notices sur les végétaux mentionnés dans les Écritures (Genève, 1862), le Comité des publications religieuses propose une synthèse des évocations du végétal dans la Bible :
Toutefois, dans le récit de la création, Moïse divise le règne végétal en trois classes : L'Herbe portant de la semence est distinguée de l'Herbe verte, qui, suivant les anciens, ne produisait pas de graine, du moins de graines utiles à l'homme. (Gen. I, 11, 12, 29, 30.).
La poésie des Saints Livres emprunte ses images à des objets de nature très diverse, mais elle s'occupe si particulièrement des arbres et des fleurs que, selon Michaëlis, on devrait presque l'appeler la poésie botanique. Diverses plantes sont mentionnées dans près de trois cents passages du volume Sacré. Ceux où l'Herbe fournit quelques comparaisons sont nombreux et frappants. Ainsi la Parole divine venant pénétrer le cœur de l'homme et le rafraîchir, est décrite comme la pluie menue sur l'Herbe et comme la grosse pluie sur l'Herbe avancée. (Deut. XXXII, 2.) L'Herbe des champs, l'Herbe verte, croissant le matin, séchée et coupée le soir, est l'image de la brièveté de la vie humaine. (Ps. CIII, 15 ; Es . XL, 6 ; 1 Pierre I, 24.) L'Herbe verte qui se dessèche, et surtout l'Herbe des toits brûlée en été par l'ardeur du soleil, servent à exprimer vivement la nature éphémère de la prospérité de l'homme sur cette terre. (Jacq. I , 10 ; Ps. CXXIX, 6.) La végétation vigoureuse et abondante de l'herbe avait frappé le roi David lorsqu'il déclare que les hommes fleuriront dans les villes comme l'Herbe de la terre. (Ps. LXXII, 16.) Enfin, la germination du blé et d'autres semences est rappelée par saint Paul lorsqu'il expose la doc trine de la résurrection, et des corps glorieux et spirituels dont nous serons revêtus un jour. (1 Cor. XV, 37.)
L'Herbe des pays orientaux est mieux appropriée que celle de nos contrées à quelques-unes des comparaisons de l'Écriture. Elle s'élève souvent à la hauteur de la selle d'un cavalier, mais elle sèche par fois avant d'avoir atteint toute sa croissance. Lors qu'elle est arrivée à maturité, ses sucs ont déjà dis paru à tel point, qu'il est superflu de l'exposer au soleil pour la convertir en foin ; mais cette dessication rapide la rend moins nutritive.
Les frais pâturages qu'on rencontre au printemps, dans les déserts, sont recherchés par les Arabes ; ils y conduisent leurs chevaux dans la saison favorable. En quelques endroits on brûle sur place les longues Herbes sèches, pour permettre aux animaux d'atteindre plus tard les jeunes pousses fraîches qui surgiront à la racine. Burchell, qui a vu ce procédé mis en pratique dans les déserts de l'Afrique (voir aussi l'ouvrage de M. Casalis sur les Bassoutos), rapporte que dans les lieux où l'on détruit l'Herbe sèche , de grandes étendues de terrain prennent la magnifique verdure d'un champ de blé ; mais ailleurs les brins verts restent cachés par le vieux foin sec, et les plai nes conservent leur aspect terne et aride . Le docteur Taylor, dans son appendice au dictionnaire de Cal met, remarque que le passage d'Esaïe XV, 6, devrait être ainsi rendu : Les tendres pousses de l'Herbe sont séchées, les tendres bourgeons de l'Herbe sont entiè rement ruinés, ce n'était pas vert, c'est-à- dire cela n'était jamais parvenu à la verdure. Le mot foin, employé par Osterwald , est moins exact. De même, Prov. XXVII, 25, Taylor paraphrase ainsi : Les tendres pousses de l'Herbe se mettent en mouvement, le bourgeonnement de l'Herbe apparaît et les touffes d'Herbe (provenant de la même racine) se réunissent, et par leur réunion, commencent à revêtir les sommets des montagnes d'une douce verdure.
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Louise Cortambert et Louis-Aimé. Martin, auteurs de Le langage des fleurs. (Société belge de librairie, 1842) nous livrent leur vision de différentes plantes :
Printemps - Mars.
HERBE, GAZON - UTILITÉ.
Un jour d’hiver, fatiguée des plaisirs bruyants de la ville, je m'enfuis au village. Là, chaque soir, ma bonne nourrice rassemblait autour de son foyer les jeunes bergères qui voulaient apprendre à filer le lin ou à tresser avec l'osier des corbeilles et des formes à mettre les fromages. Souvent, au milieu de ces petites assemblées, on agitait, sans s'en douter, les questions les plus intéressantes.
.............................................. Non point sur la fortune,
Sur ses jeux, sur la pompe et la grandeur des rois,
Mais sur ce que les champs, les vergers et les bois,
Ont de plus innocent, de plus doux, de plus rare (La Fontaine).
Un soir, j'assistai à une de ces veillées ; après nous avoir conté une histoire de revenant qui nous avait fait transir, ma nourrice demanda à ses aimables disciples quelle était, à leur avis, la plante la plus utile. Mon père, dit la vive Ernestine, assure que c'est la vigne, parce que son jus réchauffe en hiver, que ses berceaux rafraichissent en été, que son bois est utile, que les troupeaux se nourrissent de son feuillage, et qu'on peut sculpter ses racines, car le patron de notre village est fait d'une racine de vigne. Oh ! si vous aviez été dans mon pays, reprit avec feu une jeune blonde, vous préféreriez comme moi le pommier, car son fruit, qui est très beau, se conserve frais quand tous les autres ont disparu. D'ailleurs, la pomme ressemble à une fleur, elle nourrit l'homme, lui donne une boisson fort agréable, et l'arbre qui la produit prête son ombre au laboureur et alimente son foyer. Tous ces biens, le pommier les accorde, sans demander comme la vigne de pénibles travaux. Très bien, dis-je à la jeune fille, mais je crois deviner à votre partialité pour ce bel arbre, à vos yeux bleus, à votre teint délicat, que vous êtes née en Normandie. Pour moi, qui n'ai guère observé nos campagnes, j'ai lu que dans un pays bien loin d'ici, qu'on appelle les Indes, un arbre superbe donne aux hommes un vin fort agréable, des fruits délicieux, un abri impénétrable à la pluie et aux rayons du soleil, et des feuilles dont on fait sans peine une infinité de jolis ouvrages, et dont on pourrait se vêtir : cet arbre, c'est le palmier. On voit bien, ma chère fille, me dit ma nourrice avec un doux sourire, que tu as étudié dans les livres les bienfaits de Dieu ; pour moi, qui les vois dans la nature, je crois que le blé, qui nourrit tant d'hommes, est de toutes les plantes la plus utile ; sa paille couvre nos toits, on en fait des nattes et des chapeaux, et les peuples meurent quand sa récolte vient à manquer ; mais avant de décider si le blé est le plus utile des biens, dites-nous votre pensée, chère Élise, vous qui parmi toutes les fleurs donnâtes l'autre jour le prix à la simple violette. A quelle plante accordez-vous le prix de l'utilité ? Je ne crois pas, reprit en rougissant la modeste Élise, qu'il y ait de plantes plus utiles que l'herbe des prairies. A toutes celles que vous avez nommées, il faut des soins et de la culture, au lieu que l'herbe vient sans travail. Elle donne à l'homme de quoi se reposer, elle croit également par toute la terre ;d'ailleurs les petits oiseaux mangent ses graines, les animaux la paissent, et l'homme peut vivre du laitage des animaux. Je crois aussi l'herbe la chose la plus utile, parce que j'ai entendu assurer à un sage qui a pris soin de ma jeunesse, que les choses les plus utiles étaient toujours les plus communes, et qu'y a-t-il au monde de plus commun que l'herbe des champs ? Nous applaudîmes toutes à ce discours, qui nous pénétra d'estime pour la modeste Élise et d'admiration pour la Providence, qui, dans une si petite plante, a su cacher de si grands bienfaits.
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Dans Les Fleurs naturelles : traité sur l'art de composer les couronnes, les parures, les bouquets, etc., de tous genres pour bals et soirées suivi du langage des fleurs (Auto-édition, Paris, 1847) Jules Lachaume établit les correspondances entre les fleurs et les sentiments humains :
Gazon - Utilité.
Le gazon croît partout sans culture ; il nourrit les troupeaux et sert de lit de repos à l’homme fatigué.
Emma Faucon, dans Le Langage des fleurs (Théodore Lefèvre Éditeur, 1860) s'inspire de ses prédécesseurs pour proposer le symbolisme des plantes qu'elle étudie :
Graminées — Dévouement - Utilité.
On connait plus de deux mille espèces de graminées. Ces plantes se rencontrent sur toute la surface du globe, depuis les contrées les plus brûlantes, jusqu'aux limites de la végétation. Parmi les plus utiles on compte le blé, l’orge, l'avoine, le millet, le seigle, l'alpiste, le sorgho, le riz, le bambou, la canne à sucre, etc. Non seulement l'homme leur doit sa principale nourriture, mais encore les animaux ruminants et une foule d'oiseaux.
Familles bienfaisantes, aimables graminées,
De vos modestes fleurs, les humbles hyménées
Devraient être bénis par tout le genre humain ,
Car c'est à leurs amours que l'homme doit son pain.
Verdure - Espérance - Joie.
La verdure paraît, ce présent le plus beau
Que fasse la nature en sortant du tombeau.
La couleur verte est le symbole de l'espérance, et chaque année, quand la verdure reparaît aux arbres et dans les plaines, cette messagère du printemps est accueillie avec joie. De même aussi, quand vient le souffle de l'automne et que les feuilles desséchées voltigent, emportées par la brise froide et humide, il semble que l'espérance s'enfuit avec elle .
Arbres dépouillés de verdure,
Malheureux cadavres des bois,
Que devient aujourd'hui cette riche parure
Dont je fus charmé tant de fois ? J.-B. ROUSSEAU.
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Édouard Grimard, auteur de L'esprit des plantes, silhouettes végétales. (Éditions Mame, 1875) propose sa vision des Herbes :
Herbes, Bruyères, Forêts, voilà les trois grands éléments du tapis végétal. L'herbe est une dénomination vague qui désigne toutes sortes de plantes, et s'applique à plusieurs familles. Mais qui ne comprend tout de suite et ne se représente immédiatement cette partie basse des paysages, ce premier plan du tapis végétal ? L'herbe, c'est le gazon qu'on foule aux pieds ; c'est la prairie qui sourit au fond de la vallée ou verdoie aux flancs des montagnes ; c'est la mousse qui, dans les bois, sous les feuilles mortes, capitonne le sol et assourdit les pas ; c'est bien moins encore : c'est la bordure verte ou jaunâtre que ronge sans cesse le sable ou la poussière du sentier ; ce sont ces Graminées charmantes qui, aux premiers soleils de mars, percent le sol de leurs fines aiguilles, ou les Draves lilliputiennes qui, à peine sorties de terre, se hâtent de fleurir et puis de se couvrir de graines, comme pour indiquer la voie à toutes ces grosses plantes engourdies que devance leur précocité. L'herbe, c'est le vêtement de la terre tout entière ; car il n'est pas de surface, si peu fertile qu'elle soit, qui, sauf obstacle invincible, ne se couvre aussitôt d'une couche verdoyante.
Précisons toutefois, et parlons le langage botanique ; ce n'est pas herbes qu'il faut toujours dire, mais bien Graminées. Les Graminées forment une des plus vastes associations végétales. Forêts au petit pied, elles protègent à leur naissance quantité de végétaux qui, dans les bois, périraient faute de lumière, et qui trouvent asile dans la communauté des herbages. Elles font plus encore : par le gazon touffu qui les forme, les prairies ombragent le terrain, y entretiennent l'humidité, et peuvent ainsi, sans le concours d'aucune autre plante, produire et alimenter des sources.
Ces sources, ce sont encore les Graminées qui les protègent contre l'ardeur du soleil, qui les accompagnent lorsqu'elles sont devenues ruisseaux, rivières, fleuves ; depuis le marécage jusqu'à l'Océan, tous les amas d'eau sont entourés par un encadrement de hautes herbes et surtout de Roseaux qui, autant qu'il dépend d'eux, les rafraîchissent et vivifient leurs rivages.
Les Graminées sont partout, depuis les vallées les plus basses et les ravins les plus profonds, jusqu'aux derniers sommets, sous la neige fondue ; depuis les pavés de nos villes et les allées de nos jardins, jusqu'aux lisières du désert. Mais leur véritable royaume, ce sont ces vastes plaines qui, sous différents noms, savanes dans l'Amérique du Nord, llanos et pampas dans l'Amérique du Sud, steppes dans la Russie méridionale, s'étendent sans limite et sans horizon, et couvrent des centaines de lieues carrées de leur vaste manteau moucheté. C'est là que règnent les Graminées, là qu'elles s'imposent à la nature, en quelque sorte, en faisant paysage, c'est-à-dire en donnant à d'immenses étendues de terre l'aspect, le cachet qui leur est propre.
Ce n'est plus comme dans la prairie, où de grands tapis feutrés dérobent entièrement la terre aux regards. Les Graminées des savanes ne sont pas traçantes, elles se réunissent par touffes distinctes, en sorte que, si elles ne donnent pas à la plaine le riant aspect de la verte prairie, elles rompent d'autre part l'uniformité du tableau, par les bouquets isolés dont elles parsèment l'étendue. Ce tableau est parfois splendide, et l'on pourrait même dire solennel, selon les alternatives des saisons.
Aussi loin que va le regard, s'étendent, sans limites et d'un horizon à l'autre, ces surfaces incommensurables où quelques arbres rares et solitaires parviennent à peine à couper les grandes lignes du paysage. Alors, nous raconte Humboldt dans une de ses descriptions de l'Amérique méridionale, alors que sous les rayons d'un soleil que nulle vapeur ne voile pendant des mois en tiers, la couverture herbacée se dessèche au point de tomber en poussière, le sol durci s'entr'ouvre et se crevasse à une profondeur telle, que l'on dirait qu'il a été disloqué par quelque convulsion volcanique. Des tour billons de sable calciné volent à sa surface, comme ces trombes que l'électricité fait tournoyer sur les mers intertropicales ; le ciel semble s'abaisser sur la terre, qu'il recouvre comme d'un couvercle de cuivre ardent ; d'étranges reflets fauves remplacent la lumière du jour ; l'horizon embrasé se resserre autour du malheureux voyageur en un cercle où il étouffe comme dans une fournaise ; le vent le brûle, la poussière l'aveugle, et les dernières Graminées crépitent et se brisent sous ses pieds comme des chalumeaux de verre. Plus une goutte d'eau dans le vaste désert ; les mares, vainement protégées par quelques Roseaux que dominent de rares Palmiers d'un jaune pâle, se sont desséchées successivement.
Comme aux zones glaciales, tant il est vrai que les extrêmes se ressemblent, - certains animaux s'engourdissent et dorment pendant des mois d'un sommeil léthargique. Les Serpents et les Crocodiles, profondément enfouis dans la vase crevassée, attendent la fin des chaleurs torrides ; les troupeaux haletants, qu'aveuglent des nuages de poussière, que dévore une soif ardente, beuglent sourdement et courent au hasard, essayant d'aspirer dans les courants atmosphériques quelques atomes d'humidité et comme la vague senteur des eaux lointaines.
Puis voici que la scène change. Lorsque, après des mois de sécheresse, arrive enfin la saison des pluies, l'azur généralement si foncé du ciel blanchit insensiblement ; un nuage isolé apparaît tout à coup au sud, et monte à l'horizon comme une fantastique montagne ; avec lui s'élèvent des vapeurs, qui de toutes parts s'étendent et atteignent bientôt jusqu'au zénith, tandis que de sourds roulements de tonnerre annoncent la tempête et les pluies. Rien de magique alors comme la transformation de la savane. Le désert disparaît comme si la baguette d'un puissant génie le faisait rentrer au néant ; son manteau fauve se fond, pour ainsi dire, dans les riches teintes vertes qui de tous côtés se développent avec une incroyable rapidité, si bien qu'il suffit de quelques jours pour qu'aux tourbillons de poussière ardente et aux tiges de chaume calciné succèdent de délicates Graminées, de grandes Cyperacées, et le mobile feuillage des Mimosas brodés. Partout se manifeste une vie luxuriante ; les troupeaux repus et gras errent lentement des hauts herbages, où en marchant ils disparaissent à demi, aux vastes mares que parfument de larges fleurs aquatiques ; et lorsqu'au lever du soleil des torrents d'une lumière rosée viennent s'épanouir à la face de ce monde transformé, l'œil ébloui du voyageur chercherait en vain à reconnaître, dans la savane verte et fleurie, le redoutable désert où, quelques semaines auparavant, il avait failli succomber de fatigue, de chaleur et de soif.
Dans Les Plantes magiques (1901 ; réédition : Symbiose Éditions, 2020) Paul Sédir rappelle notamment comment fonctionne la théorie des signatures astrologiques des plantes :
Le verset II du premier chapitre de la Genèse s'énonce ainsi : « Continuant à déclarer sa volonté, il avait dit, Lui-Les-Dieux : la Terre fera végéter une herbe végétante et germant d'un germe inné, une substance fructueuse, portant son fruit propre, selon son espèce, et possédant en soi sa puissance sémentielle ; et cela s'était fait ainsi. »
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Dans le Dictionnaire des symboles (1ère édition, 1969 ; édition revue et corrigée Robert Laffont, 1982) de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant on peut lire la notice suivante :
Symbole de tout ce qui est curatif et revivifiant, les herbes redonnent la santé, la virilité et la fécondité. Ce sont les dieux qui auraient découvert leurs vertus médicinales. Mircea Eliade rattache leur symbolique à celle de l'Arbre de vie.
D'une façon générale, les herbes sont souvent l'occasion de théophanies des divinités fécondatrices.
Ô Herbes, ô vous, mères, c'est vous que je salue comme des déesses !
Les herbes facilitent l'accouchement, accroissent le pouvoir génétique, assurent la fertilité et la richesse. C'est pour cela que l'on va jusqu'à recommander de sacrifier des animaux aux plantes.
[...] Courber les herbes sur la terre signifie anéantir les ennemis, dans les épopées des Esquimaux d'Asie.
A l'entrée simples : Pour les Chrétiens, les herbes médicinales devaient leur efficacité au fait d'avoir été trouvées pour la première fois sur le Mont du Calvaire. Pour les anciens, les herbes devaient leur vertus curatives à ce qu'elles avaient été découvertes pour la première fois par les dieux.
Selon Mircea Eliade, les simples tirent leur valeur d'un archétype céleste, qui est une expression de l'arbre cosmique. Le lieu mythique de leur découverte, de leur naissance, par exemple le Golgotha, est toujours un centre.
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Dans Des hommes et des plantes (Éditions Opéra Mundi, 1970), son autobiographie, Maurice Mésségué rencontre Jean Cocteau en se promenant près de sa propriété sans le savoir :
- N'est-il pas merveilleux, Maurice Mésségué, que vous entriez ici, sans vous savoir appelé, pour m'y trouver peignant vos bonnes herbes, celles que vous allez me donner. Peut-être que les hiéroglyphes de votre ordonnance sont déjà inscrits sur ces murs en toute ignorance, ne connaissant d'elles que le plaisir que j'avais à les aimer. Parlez-m'en.
J'ai dit tous les noms que mon père leur donnait : herbe aux gueux, herbe aux sorcières, herbe à mille trous...
- Quelle miraculeuse litanie, écoutez :
Herbe aux chutes,
Herbes à coupures,
Herbe à fièvre,
Guérissez-nous.
Herbe aux sorcières,
Herbe aux chats,
Préservez-bous.
Herbe de gagne
Herbe de chance,
Soyez pour nous.
Herbe sainte
et herbe vierge,
Soyez à nous.
Couronne de saint Jean,
Herbe aux cent goûts,
Aimez-nous.
- J'aimerais que ce poème soit chanté dans cette chapelle le jour de ma mort.
- Ecrivez-le.
- Non, il s'est inscrit sous ses voûtes. Elles me le chanteront et je serai seul à l'entendre.
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Pour Scott Cunningham, auteur de L'Encyclopédie des herbes magiques (1ère édition, 1985 ; adaptation de l'américain par Michel Echelberger, Éditions Sand, 1987), les Graminées ont les caractéristiques suivantes :
C'est l'herbe des prairies. De très nombreuses variétés de graminées (Laiche ; Fétuque ; Pâturin ; Ray-Grass ; Houque ; Ivraie, etc.) composent les gazons, les herbages, pâturage, prés naturels ou artificiels. Il faut couper l'herbe par temps frais et couvert, mais pas après une averse car, mouillée ou même humide, elle pourrirait très vite et formerait alors autant de foyers générateurs d'ondes négatives.
Pouvoirs : Pouvoirs psychiques ; Protection.
Utilisation magique : Suspendez une balle d'herbe bien verte devant une fenêtre exposée au nord ; votre maison sera protégée de tout mal. Les paysans des Alpes piémontaises obtenaient un résultat analogue en disposant plusieurs gerbes de foin coupé autour de leur logis.
Porter sur soi un brin d'herbe à l'arête tranchante aiguise vos facultés intuitives.
Frottez une grosse pierre avec des poignées d'herbe fraîchement coupée ; renouvelez l'opération jusqu'à ce que la pierre soit uniformément verte. Asseyez-vous devant, faites le vide en vous, puis fixez intensément la surface verte en visualisant le vœu que vous avez en tête. En même temps, humez la puissante odeur dégagée par l'herbe écrasée. A la fin de l'opération, vous devez vous sentir un peu ivre et le vert de la pierre est devenu si intense qu'il en est presque aveuglant. Enterrez la pierre ou, si une rivière ou un étang se trouve à proximité, jetez-la dans l'eau. Rentrez chez vous par le chemin le plus court, et ne lavez surtout pas le suc d'herbe dont vos mains sont enduites.
Les jeunes Liégeoises se réunissaient le 1er mai, au lever du soleil ; elles se rendaient dans une prairie, du côté où l'herbe était la plus touffue. Elles en choisissaient trois brins (trois failles d'erbe, comme dans la chanson des Loherains). Elles ne coupaient pas ces menues tiges, mais les taillaient de façon à leur donner exactement la-même hauteur. Puis, à chaque brin était attaché un fil de soie de couleur différente : le noir représentait le célibat ; le rouge un amant inconnu; le vert l'objet des vœux secrets. Après dix jours d'attente, l'oracle se prononçait par celui des trois brins qui avait surpassé les autres, en hauteur.
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Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont S.A.S., 1995, 2019) proposé par Éloïse Mozzani, on apprend que :
Une tradition veut aussi que les mauvaises herbes viennent d'une malédiction de Dieu lorsque Adam lui désobéit : l'homme aura beau les arracher, il n'en sera jamais délivré.
Le folklore mentionne des herbes maudites, appelées « herbes d'égarement », « herbes de fourvoiement » ou « herbes de la détourne » : celui qui la foule ne peut retrouver son chemin (voir fougère, lycopode, mandragore, plantain). En Normandie, la « malherbe » (espèce non déterminée) rend maussades les personnes qui ont été en contact avec elle : à un homme de mauvaise humeur, on demandait encore au début du siècle : « Sur quelle herbe avez-vous marché ? »
[...] Pour qu'une blessure cesse de saigner, on recommande de couper en deux un brin d'herbe et d'appliquer les morceaux, en forme de croix, sur la plaie. Selon un rite du Tarn, le fiévreux doit se lever de bon matin et, en marchant à reculons, se rendre dans un pré, y arracher, sans la regarder, une poignée d'herbe et la jeter derrière lui. S'il part en courant sans se retourner, « sa fièvre passe au diable ».
[...] Selon une croyance du XVe siècle, « si on s'abstient de torcher son derrière avec des herbes, des feuilles ou des verdures qui ont poussé sur terre, on n'aura jamais mal au dos ni aux reins. Celui qui agit ainsi n'aura jamais de coliques en sa tête mais en ce lieu il aura souvent sa chemise dorée ».
[...] Quand les chiens et les chats mangent de l'herbe, il va pleuvoir (Angleterre).
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Selon Michel Aufray, auteur d'un article intitulé « Note sur les messages de végétaux : quelques exemples océaniens », (Journal de la Société des Océanistes [En ligne], pp. 114-115 | Année 2002) :
La réalité langagière d’une culture ne concerne pas seulement la communication linguistique ; elle recouvre aussi les modes de communication non verbaux, ceux-ci pouvant utiliser divers supports : langage du corps, objets, marques, icônes et signes. Leur existence dans les sociétés océaniennes a souvent été signalée mais, généralement, ces systèmes d’information n’ont suscité qu’un simple intérêt documentaire. Ils mériteraient à notre avis d’être inventoriés et étudiés car ils participent aux échanges sociaux au sein d’une communauté.
Les messages de végétaux, en particulier, tiennent un rôle non négligeable. À la différence de la communication verbale, ils permettent de transmettre une information sans limitation de temps et d’espace. [...]
Les marques de souvenir, de serment, de propriété ou d’interdit [...]
Les plantes nouées mais non déracinées, souvent attachées à une perche, signalent généralement des interdits : lieu de pêche réservé, jardin à ne pas traverser, nourriture à ne pas consommer, etc.. [...]
À Houailou, pour indiquer qu’il est défendu de récolter de la nourriture sur une propriété, on place des interdits, mââyöö, qui sont généralement faits d’une touffe d’herbe non arrachée et nouée. Ils peuvent aussi être confectionnés avec des végétaux attachés à une perche ou avec une palme de cocotier nouée sur elle-même. À Maré, aux îles Loyauté, co tha cebul signifie « jeter l’interdit sur » :
« On plante une grande perche dans l’endroit interdit avec un échantillon de l’objet défendu. Ainsi sur un rivage, si le maître veut garder l’herbe pour son usage et éviter qu’on ne la brûle, il attache une gerbe à environ un mètre du sol » (Dubois, 1981 : 17).
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Claude Harmelle dans un article intitulé « Jadis l'herbe était bonne aux fous et hostile au bourreau », (Chimères, vol. 82, no. 1, 2014, pp. 227-232) exprime toute son admiration envers les herbes :
Dans les belles cages de nos bocages, rumine vachement, à nous rendre chèvre ou agneau de lait, l’herbe de nos prairies fleuries. Elle fait rhizome dans les borderlines onctueusement parfumés de nos mille plateaux à fromages. On sait que dans diverses contrées les douaniers veillent au grain de ces invasives symphonies pastorales : prière de pasteuriser ! L’herbe est l’amie des pâtres et des civilisations nomades ; elle s’ébroue dans les estives, les savanes, les tourbières, les fagnes, les steppes, les pampas, les estuaires. Ses routes sont de soie ; toutes les drailles, si dures au sabot, conduisent à son repos et à son opulence; ses rêves et ses nuits sont voiries et féeries lactées; ses ciels voûtés lapis-lazuli à chapeaux turquoise. La flèche est la ponctuation de ses silences, le vent lui va comme un gant et promesses de caresses à goût de miel et de sel. La pluie et les ruissellements lui sont allégresses et les frimas un repos où renaître. Butineuse et butinée elle est en amours féconds avec des milliards et des milliards d’êtres vivants dont aucune échelle n’est par elle négligée et tous les voyages bienvenus. Les limites mêmes du vivant et du minéral sont parfois indiscernables dans ces migrations. Partout où le nomade, le pâtre et le paysan se clochardisent sous la poussée des grapacités à-gros-business, les paysages se referment ou, pire, se profile une mort lente de sols épuisés.
Par un soir bleu d’été, dans le jardin des simples de l’abbaye de Vauclair (Aisne), une voix amie m’a glissé à l’oreille ces mots de René Char (une œuvre que je n’ai guère cessé de lire depuis lors) : « Jadis, l’herbe connaissait mille secrets qui ne se divisaient pas. Elle était la providence des visages baignés de larmes. Elle incantait les animaux, elle donnait asile à l’erreur… Jadis l’herbe était bonne aux fous et hostile au bourreau. »
J’ai vécu près de deux décennies dans une province, la Picardie, où l’herbe ne manque pas de bourreaux. Sous la poussée de l’a-gros-business à prospérités subventionnées sans guère de retenue et aussi d’une multitude d’acteurs décentralisés sur l’espace public comme privé, obsédés de prurits hygiénistes véhiculés par la réclame à tambours et trompettes (« faire propre », mot d’ordre dont l’efficacité morbide et purement pavlovienne semble paralyser les neurones de beaucoup), le bocage et les prairies reculent au profit des cultures industrielles (filière des carburants de synthèse qui n’ont de « bio » que l’étiquette) et culture de maïs fourrager pour l’élevage en « batteries ». La crise de la filière lait qui n’a été que très timidement et tardivement encouragée à réorienter sa production vers la qualité plutôt que vers la quantité pèse aussi d’un bon poids dans ce processus qui n’est pas sans conséquence sur la santé humaine. Un ami psychiatre travaillant en Bretagne m’avait dit à la fin des années 1980 que de son point de vue le ratiboisage du bocage breton dans les années 1970 avait aussi sévèrement « ratiboisé » les vieux paysans bretons qui, sévèrement déboussolés emplissaient, me disait-il, les consultations psychiatriques.
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Symbolisme celtique :
Dans le Dictionnaire des symboles (1ère édition, 1969 ; édition revue et corrigée Robert Laffont, 1982) de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant précise le sens des herbes pour les Celtes :
[...] Un des noms de l'herbe, en breton louzaouenn, a encore au pluriel le sens archaïque de remède. La médecine celtique primitive se servait beaucoup des herbes médicinales et l'origine de la tradition est mythique puisque les herbes sont à la base (les incantations n'étant qu'un moyen auxiliaire) des vertus curatives de la fontaine de santé (Slante) des Tùatha Dé Dànann, dans le récit de la Bataille de Mag Tured. Le symbolisme de l'herbe rejoint celui de la fontaine.
Croyances populaires :
Dans Le Folk-Lore de la France, tome troisième, la Faune et la Flore (E. Guilmoto Éditeur, 1906) Paul Sébillot recense nombre de légendes populaires :
A Guernesey pour qu'une plate-bande de petites herbes réussisse, il faut en les plantant jurer quelque peu.
[...] En Basse-Normandie la malherbe est funeste à celui qui la foule. Des proverbes qui visent des espèces non déterminées supposent qu'elles peuvent modifier la disposition d'esprit des gens qui ont été en contact fortuit avec elles. On dit couramment d'un homme maussade qu'il a marché sur une mauvaise herbe. Au XVIIe siècle, comme de nos jours, on demandait par raillerie à un homme, pour lui reprocher la bonne ou mauvaise humeur où il était : « Sur quelle herbe avez-vous marché ? »
[...] Dans la Charente, la personne qui, le premier mai, va de grand matin, imbiber un linge de la rosée du pré de son voisin, doit avoir le double de foin, tandis qu'il ne restera rien et sa victime.
[...] Celui qui coupe une brassée d herbe dans un pré qui ne lui appartient pas, le matin de ce jour [la Saint-Jean], fait tarir les vaches de celui auquel il l'a dérobée, et le lait pousse dans le pis des siennes.
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L'heure de la cueillette, les phases de la lune et diverses autres circonstances influent sur l'efficacité des plantes : au XIIe siècle une sorcière, à laquelle une jeune femme demandait par quel moyen elle pourrait vivre en paix avec son mari et se faire aimer de lui, lui conseille de se lever avant le jour, et d'entrer dans le jardin de la vieille, en ayant soin de ne parler ni à l'aller ni au retour elle devait fléchir le genoux vers l'Orient, dire trois Pater, cueillir un brin d'averone et lui demander par trois fois pourquoi son mari la maltraitait, et que l'herbe donnerait la réponse.
[...] Au moyen âge on chassait un démon du midi en liant des herbes et en prononçant des formules magiques.
[...] Dans les communes rurales de Provence, on passe sur des reliques appelées Vertus enfermées dans un coffre, des herbes et du blé que l'on donne aux bêtes de somme, dans la persuasion qu'elles les préservent de la colique.
[...] Dans le Tarn, le fiévreux levé de bon matin marche à reculons et arrache dans un pré une poignée d'herbes, sans se retourner ni la voir ; il la jette derrière lui et court toujours sans se retourner alors sa fièvre passe au diable.
[...] Les herbes qui croissent au bord des fontaines miraculeuses empruntent à cette circonstance des vertus spéciales : Dans le Maçonnais on mêle au breuvage formé par l'eau de la source sacrée des plantes recueillies dans son voisinage immédiat. Les pèlerins ramassent dans les joints des pierres de la Fontaine de Saint-Martin à Dettey, une plante, la Marchantia polymorpha, employée contre les hydropisies, el la font boire en infusion aux femmes en couchés, pensant ainsi activer le dénouement.
[....] Vers le milieu du siècle dernier les jeunes liégeoises se réunissaient le premier mai, au lever du soleil, pour « lier te jonc » elles cheminaient vers les contins d'une prairie, du côté où un buisson d'églantier abritait le mieux un gazon frais et touffu ; chacune d'elles choisissait trois brins d'herbe dont elle coupait les extrémités pour leur donner la même longueur, puis elle attachait à chacun d'eux un fil de soie de couleur différente. Le noir représentait le célibat, le rouge l'amant inconnu, Je vert l'objet secret des vœux après dix jours d'attente, l'oracle se prononçait par celui des trois brins qui avait surpassé les deux autres en hauteur. Cette pratique avait lieu aussi la veille de l'Ascension, et les trois brins d'herbe étaient liés par des cordons de couleur différente. Ces couleurs représentaient, trois amoureux (ou amoureuses) de la personne qui liait le jonc. Le lendemain, le brin d'herbe qui avait grandi plus que lés autres désignait le futur mari ou la future femme si les trois brins étaient lestés de la même longueur, aucune des trois personnes ne devait épouser l'opérateur.
[...] On raconte dans les Ardennes belges qu'un garde-champêtre ayant aperçu une femme qui ramassait de l'herbe dans le champ d'autrui, se dirigea vers elle pour la surprendre ; à la place où il l'avait vue se dressait un chardon énorme ; il en coupa une feuille, et aussitôt, au lieu de la plante, il vit une vieille femme, réputée sorcière, qui portait à l'oreille la trace de la blessure qu'il lui avait faite en coupant la feuille.
[...] C'est ainsi qu'une fée, d'un coup de baguette, métamorphose en touffes d'herbes un jeune homme, son cheval et son chien.
[...] Quelques, courts récits, tous recueillis eu Basse Bretagne, parlent de plantes qui sont en quelque sorte des incarnations des trépassés dans le Morbihan breton et dans le Finistère le corps des enfants morts sans baptême se transforme en gazon verdoyant ; le parfum qu'il répand, c'est l'odeur du baptême qui les attend au jour du Jugement dernier. L'âme apparaît quelquefois sous l'aspect d'une grande fleur blanche : elle est plus belle à mesure que l'on s'approche d'elle et s'éloigne quand on veut la saisir.
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Contes et légendes :
Dans Le Folk-Lore de la France, tome troisième, la Faune et la Flore (E. Guilmoto Éditeur, 1906) Paul Sébillot recense nombre de légendes populaires :
Un conte de l'Ille-et-Vilaine parle du temps où les gens de Bécherel coupaient leur foin avec des ciseaux de tailleur.
Galina Kabakova, autrice de D'un conte l'autre. (© Flies France, 2018) étudie les contes d'origine qui mettent les plantes à l'honneur :
Un autre motif étiologique qui va impacter le destin de la plante, c’est la vantardise. Elle peut se réaliser dans un dialogue entre une plante et un personnage sacré ou, plus fréquemment, sous forme de joute ou de « dialogues comparatifs », comme les définit Marie-Louise Ténèze, entre les plantes. [...]
Le pari sur la force peut également se jouer entre l’herbe et la fourmi : ils se mettent au défi d’arrêter le laboureur (Slovénie, Kropej Telban 2015 : 433).
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Littérature :
Dans La Curée (1871) d'Emile Zola, la contemplation de l'herbe renvoie le personnage féminin au sentiment intérieur et existentiel d'ennui :
À droite, les taillis, les futaies basses avaient cessé ; le Bois s’était ouvert en larges pelouses, en immenses tapis d’herbe, plantés çà et là d’un bouquet de grands arbres ; les nappes vertes se suivaient, avec des ondulations légères, jusqu’à la Porte de la Muette, dont on apercevait très loin la grille basse, pareille à un bout de dentelle noire tendu au ras du sol ; et, sur les pentes, aux endroits où les ondulations se creusaient, l’herbe était toute bleue. Renée regardait, les yeux fixes, comme si cet agrandissement de l’horizon, ces prairies molles, trempées par l’air du soir, lui eussent fait sentir plus vivement le vide de son être.
Au bout d’un silence, elle répéta, avec l’accent d’une colère sourde :
– Oh ! je m’ennuie, je m’ennuie à mourir.
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George Sand dans Nouvelles Lettres d'un voyageur (1877) avoue son amour pour la nature sauvage et libre :
Voilà pourquoi je préfère aux jardins arrangés et soignés ceux où le sol, riche par lui-même de plantes locales, permet le complet abandon de certaines parties, et je classerais volontiers les végétaux en deux camps, ceux que l'homme altère et transforme pour son usage, et ceux qui viennent spontanément. Rameaux, fleurs, fruits ou légumes, cueillez tant que vous voudrez les premiers. Vous en semez, vous en plantez, ils vous appartiennent : vous suivez l'équilibre naturel, vous créez et détruisez ; — mais n'abîmez pas inutilement les secondes. Elles sont bien plus délicates, plus précieuses pour la science et pour l'art, ces mauvaises herbes, comme les appellent les laboureurs et les jardiniers. Elles sont vraies, elles sont des types, des êtres complets. Elles nous parlent notre langue, qui ne se compose pas de mots hybrides et vagues. Elles présentent des caractères certains, durables, et, quand un milieu a imprimé à l'espèce une modification notable, que l'on en fasse ou non une espèce nouvellement observée et classée, ce caractère persiste avec le milieu qui l'a produit. La passion de l'horticulture fait tant de progrès, que peu à peu tous les types primitifs disparaîtront peut-être comme a disparu le type primitif du blé. Pénétrons donc avec respect dans les sanctuaires où la montagne et la forêt cachent et protègent le jardin naturel. J'en ai découvert plus d'un, et même assez près des endroits habités. Un taillis épineux, un coin inondé par le cours égaré d'un ruisseau, les avaient conservés vierges de pas humains. Dans ces cas-là, je me garde bien de faire part de ces trouvailles. On dévasterait tout.
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Victor Marie Hugo dans L'Archipel de la Manche. (1883) décrit l'herbe de l'île de l'exil :
L'HERBE
L'herbe à Guernesey, c'est l'herbe de partout, un peu plus riche pourtant ; une prairie à Guernesey, c'est presque le gazon de Cluges ou de Géménos. Vous y trouvez des fétuques et des paturins, comme dans la première herbe venue, plus le brome mollet aux épillets en fuseau, plus le phalaris des Canaries, l'agrostide qui donne une teinture verte, l'ivraie raygrass, la houlque qui a de la laine sur sa tige, la flouve qui sent bon, l'amourette qui tremble, le souci pluvial, la fléole, le vulpin dont l'épi semble une petite massue, le stype propre à faire des paniers, l'élyme utile à fixer les sables mouvants. Est-ce tout ? non, il y a encore le dactyle dont les fleurs se pelotonnent, le pannis millet, et même, selon quelques agronomes indigènes, l'andropogon. Il y a la crépide à feuilles de pissenlit qui marque l'heure, et le laiteron de Sibérie qui annonce le temps. Tout cela, c'est de l'herbe ; mais n'a pas qui veut cette herbe ; c'est l'herbe propre à l'archipel ; il faut le granit pour sous-sol , et l'océan pour arrosoir.
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L'Herbe
L'herbe : sur l'herbe je n'ai rien à dire
mais encore quels sont ces bruits
ces bruits du jour et de la nuit
Le vent : sur le vent je n'ai rien à dire
Le chêne : sur le chêne je n'ai rien à dire$mais qui donc chantonne à minuit
qui donc grignote au pied du lit
Le rat : sur le rat je n'ai rien à dire
le sable : sur le sable je n'ai rien à dire
mais qu'est-ce qui grince ? c'est l'huis
qui donc halète ? Sinon lui
Le roc : sur le roc je n'ai rien à dire
L'étoile : sur l'étoile je n'ai rien à dire
c'est un son aigre comme un fruit
c'est un murmure qu'on poursuit
La Lune : sur la lune je n'ai rien à dire
Le chien : sur le chien je n'ai rien à dire
c'est un soupir et c'est un cri
c'est un spasme un charivari
La ville : sur la ville je n'ai rien à dire
Le cœur : sur le cœur je n'ai rien à dire
du silence à jamais détruit
le sourd balaye les débris
le soleil : ô monstre, ô Gorgone, ô Méduse
Ô soleil.
Raymond Queneau, "L'Herbe"
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Brin d’herbe
Est-ce un mot d’amour Oublié La petite herbe verte Entre les pavés De la cour
Quel jardinier de l’absence Œuvre en silence Dans les dédales du jour
Seule sans amie La petite herbe verte Dans les vestiges de l’oubli Tremble et s’ennuie
Personne pour cueillir
L’herbe folle L’usine va mourir Le souvenir s’envole
Demain On fermera l’école
Est-ce un mot d’enfant Oublié La petite herbe verte Entre les cahiers du dernier écolier.
Serge Féchet, "Brin d'herbe" in Les jardins oubliés (Bucdom Édition Culturelle, 2000).
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Marie-Claire Bancquart auteure du recueil intitulé Violente vie (Éditions Le Castor astral, 2012) nous propose le poème suivant :
Toi, l’herbe
Toi, l’herbe toi ligneuse, tête lourde de graines, que le hasard a fait germer en pot sur un balcon,
je te merveille, je t’espérance
tu sauvage tu secrète tu parles d’une grande terre semée de toi
sur elle je caresse ma figure civilisée, mes livres verticaux, l’espace tout entier : sa vieille histoire, sa fatigue.
Nous nous faisons une origine
dans l’odeur de ta sève.
Babel n’est pas encore construite et nous non plus.
Ce sont les jours d’avant l’homme et la femme.
Tout est possible encore.
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