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Le Calice de la Mort



Étymologie :

  • AMANITE, subst. fém.

Étymol. ET HIST. − 1611 bot. (Cotgr. : Amanite. The name of a wholesome toadstoole). Empr. au gr. α ̓ μ α ν ι ́ τ η ς « sorte de champignon », Galien, 6, 370 ds Bailly. − Amanitine, 1838 chim. (Ac. Compl. 1842).

  • PHALLOÏDE, adj.

Étymol. et Hist. 1. 1823 subst. fém. plur. « stalactites en forme de phallus » (Boiste Hist. nat.) ; 2. 1842 adj. (Ac. Compl.) ; 1874 amanite phalloïde (Lar. 19e, s.v. oronge). Comp. des élém. phallo-* et -ide 2*. Cf. lat. sc. phalloides (1694, Tournefort Bot., p. 440 : Boletus Phalloides).


Lire également les définitions des noms amanite et phalloïde pour amorcer la réflexion symbolique.


Autres noms : Amanita phalloïdes ; Agaric bulbeux ; Amanite phalloïde ; Chapeau de la mort ; L'Empoisonneuse ; Oronge ciguë ; Oronge ciguë verte ; Oronge verte ;

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Mycologie :


Dans Les Langages secrets de la nature (Éditions Fayard, 1996), Jean-Marie Pelt s'intéresse à la communication chez les animaux et chez les plantes, et en particulier à la toxicité des poisons qu'ils produisent :


L'évocation des toxines végétales renvoie d'emblée aux champignons toxiques ou mortels, un club somme toute assez fermé où trône en majesté la fameuse amanite phalloïde, si aisée à reconnaître par sa volve, son anneau, ses lamelles blanches, ainsi que par la couleur souvent verdâtre de son chapeau. D'autres amanites, notamment en Amérique du Nord, font concurrence à la phalloïde et sont tout aussi dangereuses, beaucoup d'entre elles entretenant avec l'homme des interactions chimiques pour le moins délicates. L'intoxication par les amanites est d'autant plus redoutable que ses symptômes n'apparaissent que tardivement, alors que d'importantes lésions du foie et des reins se sont déjà produites, entraînant la mort. La découverte des facteurs toxiques de l'amanite est relativement récente : elle remonte à des travaux publiés par Theodor et Otto Willand en 1972. En moyenne, un champignon de 50g contient environ 7mg des deux principales familles de toxines contenues dans les amanites : les amanitoxines et les phallotoxines, dont la redoutable phalloïdine. Cette dose est suffisante pour tuer un homme. L'amanitine est mortelle à la dose de 0.1 mg/kg et vient ainsi se ranger parmi les plus grands toxiques végétaux. A noter que l'amanite phalloïde contient aussi une antitoxine, laquelle, à condition d'être ingérée en quantité suffisante (0, 005 mg/g pour la souris) et en même temps que ces toxines, protège l'animal à cent pour cent. Le contrepoison n'est donc actif qu'à titre préventif et avant que ne se manifestent les symptômes, ce qui en limite l'emploi en thérapeutique.

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D'après Jean-Baptiste de Panafieu, auteur de Champignons (collection Terra curiosa, Éditions Plume de carottes, 2013), l'amanite phalloïde (Amanita phalloïdes) est appelée l'empoisonneuse.


Un tueur séduisant : De tous temps, l'amanite phalloïde a été le principal responsable des empoisonnements dus aux champignons. C'est toujours le cas aujourd'hui, dans le monde entier ! Ce champignon est originaire d'Europe (et peut-être aussi d'Amérique du Nord et d'Asie), mais a été introduit dans de nombreux pays, de l'Afrique du Sud à la Californie et à la Nouvelle-Zélande ! La mortalité causée par cette espèce a même tendance à augmenter, du fait de l'attrait exercé par la récolte de champignons sauvages. L'amanite phalloïde est courante et son aspect est engageant. Elle est souvent grignotée par les limaces, ce qui est parfois considéré comme un signe de comestibilité, à tort bien entendu. Son odeur de rose fanée est plutôt agréable et n'incite pas à l'écarter du panier. Et si l'on s'aventure à en goûter un petit morceau (ce qui est une très mauvaise idée), on lui trouve alors une saveur douce qui achève de convaincre l'amateur imprudent (et ignorant).


Expérimentations : Au début du XIXe siècle, les premiers mycologues ont réalisé de nombreuses expérimentations destinées à évaluer la toxicité de l'amanite phalloïde : "Paulet cite cinq observations sur l'espèce humaine et plusieurs expériences sur les animaux, desquelles il résulte que le suc, l'extrait, le résidu de la distillation, la chair desséchée, l'alcool, le vinaigre, l'eau salée dans lesquels on a fait macérer ces champignons, ont fait périr les chiens qui en ont avalé." Comme antidote, Jean-Jacques Paulet conseillait l'éther, qui, selon lui, avait prolongé la vie des animaux soumis à ses expériences (mais qui est également très toxique !). Un autre célèbre mycologue, Pierre Bulliard, préconisait "les vomitifs, l'huile, le lait et la thériaque" (une sorte de contrepoison universel). Depuis cette époque, des médecins ont suggéré d'innombrables traitements, qu'ils testaient parfois eux-mêmes. Au début des années 1970, le docteur Pierre Bastien a ainsi plusieurs fois consommé des amanites phalloïdes afin de prouver l'efficacité de la technique qu'il proposait, à base de vitamine C et d'antibiotiques. Il publia un livre sur ses essais. Son traitement fut adopté dans certains centres antipoison, mais il devait être administré avant l'ingestion des champignons, ce qui en réduisait la portée !


Apoplexie : Dans ses Mémoires, Voltaire rapporte que "l'empereur Charles VI du Saint Empire mourut, au mois d'octobre 1740 d'une indigestion de champignons qui lui causa une apoplexie ; et ce plat de champignons changea la destinée de l'Europe". Sa mort fut en effet à l'origine de la guerre de succession d'Autriche, qui toucha une grande partie du continent. Pourtant, le délai entre le repas et le décès peut aussi faire penser à une intoxication de type phalloïdien. Mais rien ne prouve qu'il s'agirait d'un assassinat et non d'une simple erreur de cueillette !

Une association de toxines : Dans ce simple champignon, un cocktail de puissantes toxines. En 1918, dans une école de Poznan, en Pologne, on offrit par erreur aux enfants un plat d'amanites phalloïdes, qui provoqua 31 décès. L'amanite phalloïde intéressait aussi les chimistes. Jean-Baptiste Letellier avait fait des essais sur des grenouilles qu'il avait "fait périr en grand nombre" et des chiens. En 1826, il avait réussi à extraire une substance toxique qu'il avait nommée amanitine, mais qui se révélera plus tard être un mélange de plusieurs éléments différents. On a peu à peu isolé diverses substances : la bulbosine, la phalloïdine, la phalline, l'hémolysine... En fait, le champignon contient de nombreuses toxines, qui sont responsables des divers types de symptômes provoqués par sa consommation. Certaines de ces substances sont détruites à la chaleur, mais pas les amanitines et les phalloïdines qui sont donc les plus dangereuses. Les amanitines provoquent une nécrose du foie et des reins, entraînant en quelques jours coma et mort. Elles agissent dans les cellules en bloquant le métabolisme de l'ADN, un mode d'action que les biologistes utilisent d'ailleurs pour leurs expériences. De même, la phalloïdine, qui touche la structure interne des cellules, est très utile en imagerie scientifique.


Nature mortelle : Aux États-Unis, l'amanite phalloïde n'a vraiment été considérée comme faisant partie de la flore locale que vers 1970. Associée à la vogue des aliments "naturels", l'absence de tradition dans la cueillette des champignons a été à l'origine de nombreux accidents, surtout en Californie. De plus, des immigrants arrivés du Mexique ou de Chine ont confondu cette espèce avec les champignons qu'ils ramassaient dans leur pays d'origine, ce qui a aussi provoqué des décès.


Traitements : Une seule amanite phalloïde contient suffisamment de toxines pour tuer un être humain. Autrefois, le taux de mortalité après ingestion était de l'ordre de 60 à 70%. Il reste aujourd'hui très élevé, environ 25% pour les adultes (le risque est plus élevé pour les enfants). L'empoisonnement provoqué par ce champignon est d'autant plus dangereux que les signes en apparaissent tardivement, en général plus de 6 heures après l'ingestion (et jusqu'à 24 heures après). Quand on commence à s'inquiéter, il est bien souvent trop tard. On tente de traiter certains symptômes par des perfusions et on administre des antioxydants, des antibiotiques, etc. On cherche parfois à détoxifier le sang par un remplacement complet du plasma sanguin. Lorsque se déclare une insuffisance hépatique aiguë, on peut pratiquer une greffe de foie. Mais la plupart des observations viennent d'essais isolés effectués à l'hôpital après l'ingestion des champignons. Il n'existe toujours pas de traitement sûr, ni même de consensus sur les pratiques les plus efficaces !


Pour reconnaître l'amanite phalloïde : Son pied et ses lamelles sont blancs. Le pied émerge d'une volve et est entouré d'un anneau. Tout champignon présentant ces caractéristiques doit être laissé de côté, quelle que soit la couleur du chapeau. Celle-ci est en effet assez variable, souvent vert olive ou vert-jaune, mais parfois brunâtre ou crème. D'autres amanites mortelles entièrement blanches ont également une volve et un anneau."

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Le point sur le syndrome mortel provoqué par l'amanite phalloïde grâce à un schéma très parlant de F. Pons, P. Poucheret et Sylvie Rapior :


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Fiche extraite de la thèse de Nicolas FELGEIROLLES soutenue le 2 Juillet 2018 à Montpellier et intitulée La Mycologie dans le bassin alésien ; enquête auprès des pharmaciens d'officine et solutions apportées pour consolider leurs compétences sur les champignons :


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Lyra Ceoltoir, dans son Grimoire de Magie forestière (Alliance magique Éditions, 2021) nous propose une description précise de l'Amanite phalloïde :


Elle porte à merveille son sinistre surnom de « calice de la mort », car sa toxicité est telle que bien peu lui survivent. Tel un oxymore, on l'appelle aussi « oronge verte », par opposition chromatique à l'oronge vraie (l'Amanite des Césars) dont le nom signifie justement... « orange ». C'est qu'elle est sournoise, notre phalloïde. Est-ce elle qu'Agrippine glissa au milieu des oronges innocentes de son infortuné empereur de mari, Claude, pour l'empoisonner jusqu'à ce que mort s'ensuive ? Nous ne le savons pas avec certitude, mais elle en aurait bien été capable...


Vie de champignon : Son apparence elle-même sonne comme un signal d'alerte : elle est peu appétissante, avec son chapeau jaune verdâtre tirant sur un brun maladif, sa texture gluante et son odeur écœurante de fleur fanée. Pourtant, c'est elle la plus assassine du monde des champignons. On estime qu'elle est encore aujourd'hui responsable de près de 90% des cas de décès par ingestion de champignons en France. La faute aux limaces, qui la grignotent allègrement et font croire à l'imprudent qu'elle est comestible, ou à sa saveur, plutôt agréable en bouche (d'après ses victimes, qui n'en ont pas parlé bien longtemps...). Hélas, un seul petit spécimen suffit pour tuer un homme adulte.

Cette fameuse empoisonneuse est assez versatile. Son chapeau, de taille moyenne -entre 6 et 15 centimètres de diamètre environ), peut être revêtu d'un vaste panel de couleurs, du vert bronze sourd au blanc jaunâtre, en passant par le jaune, le brun, le jaune-vert... Il est généralement strié, et plus sombre au centre. Son pied, comme la plupart de celui des amanites, est blanchâtre, élancé (de 8 à 15 centimètres de haut pour un diamètre de 1 à 3 centimètres), parfois zébré de traces verdâtres, et repose dans une volve blanche membraneuse au niveau du sol. Il présente un anneau, reste de la volve de naissance, blanc avec un pourtour souvent verdâtre, assez ample et fin.

L'Amanite phalloïde n'est pas très regardante sur son environnement. Elle pousse un peu partout, aussi bien auprès des conifères que des feuillus, du début de l'été jusqu'à la fin de l'automne. Comme elle aime la compagnie, elle est rarement seule dans les sous-bois où elle s'installe. A l'image des autres représentantes de sa famille, elle commence sa vie sous une forme ovoïde, blanche, qui s'allonge progressivement au fil de sa croissance, évoquant une forme phallique qui lui donna son nom scientifique.

S'il est un champignon qu'il faut absolument apprendre à reconnaître, c'est bien celui-ci, ne serait-ce que pour éviter un drame irréversible. L'Amanite phalloïde ne pardonne pas, et seuls trente petits grammes, soit à peu près la moitié du chapeau d'un spécimen adulte, suffisent à envoyer le gourmand imprudent ad patres. Ses toxines sont si virulentes qu'elles peuvent, comme celles de l'Aconit napel (Aconitum napellus), passer la barrière cutanée (1). Même le séchage ne réduit en rien sa dangerosité, la cuisson encore moins. Et l'empoisonnement est loin d'être une partie de plaisir, car l'Amanite phalloïde est une tueuse lente et méthodique : les symptômes commencent par des troubles digestifs sur deux à trois jours, ayant une brève période de rémission, pendant laquelle la victime se croit sauvée... puis, le poison s'attaque au foie, aux reins, auxquels il cause une nécrose irrémédiable, avant de s'étendre au reste du corps. Hépatite, coma, épilepsie, hémorragies intracrâniennes, septicémie, arrêt cardiaque... Un charmant programme en perspective, qui dure de six à seize jours. Le plus terrible. On ne lui connaît aucun véritable antidote. Certains patients ont pu être sauvés in extremis par des greffes de foie, mais les dégâts sur les autres organes ne disparaissent jamais. Seuls certains protocoles d'extrême urgence, notamment celui du docteur Pierre Bastien, élaboré à base de vitamine C et d'un cocktail d'antibiotiques dans les années 1970, parviennent parfois à éviter le décès, mais il faut les administrer dans les heures qui suivent l'ingestion... et qui sont souvent asymptomatiques.

L'Amanite phalloïde est une vraie tueuse en série ! Parmi ses supposées victimes les plus célèbres, nous avons évidemment parlé de l'empereur Claude, mais nous retrouvons aussi le pape Clément VII, qui en aurait mangé, accidentellement ou non, en septembre 1534, ou encore Charles VI, empereur du Saint-Empire romain germanique. Ce dernier mourut à 29 ans des suites de l'ingestion d'un plat de champignons qui mit dix jours à causer son décès, en octobre 1740. Comme il n'avait pas encore d'héritier, sa mort entraîna la guerre de Succession d'Autriche. Comme l'a dit Voltaire dans ses Mémoires, « ce plat de champignons changea la destinée de l'Europe »). Décidément, on ne plaisante pas avec l'Amanite phalloïde.


Note : 1) Il faut donc éviter autant que possible de la manipuler, ou alors le faire avec des gants et se laver soigneusement les mains après.

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Histoire et faits-divers :


Dans Les Langages secrets de la nature (Éditions Fayard, 1996), Jean-Marie Pelt revient sur la disparition de l'empereur Claude :


L'amanite phalloïde est entrée dans l'Histoire bien avant que le grand botaniste suédois Linné ne lui donne un nom. Elle fut en effet à l'origine d'un des plus célèbres empoisonnements de la Rome antique. L'empereur Claude avait un fils nommé Britannicus ; sa femme Agrippine avait de son côté un fils d'un autre lit : Néron. De peur de voir le trône échoir à Britannicus à la mort de l'empereur, elle décida de précipiter les événements. Avec l'aide de son "âme damnée", la sorcière et empoisonneuse Locuste, fameuse dans toute l'Antiquité romaine, elle prépara à l'intention de Claude un plat de champignons censés être de l'amanite dite des césars, en raison de la fréquente présence de ce champignon agréable et comestible sur les tables impériales. Mais elle y ajouta quelque amanites phalloïdes. L'empereur fit bon accueil à ce qu'il considérait comme une gourmandise, mais, fidèle aux mœurs de l'époque, il alla se faire vomir pour raviver sa faim, éliminant ainsi une partie appréciable des champignons mortels qu'il avait consommés. Cela n'empêcha pas de fortes douleurs intestinales de se manifester au bout de quelques heures, Angoissée de voir son stratagème ainsi déjoué, Agrippine réussit à convaincre l'empereur de consulter son médecin, dont elle avait eu soin de faire préalablement son complice. Celui-ci décida de lui administrer un "traitement" radical sous la forme de coloquintes broyées. La coloquinte est une petite cucurbitacée, abondante dans les zones désertiques et particulièrement irritante. En ingérant de son jus, et par voie orale et par lavements rectaux, l'empereur fit subir à son tube digestif les pires avanies. Claude finit par décéder, la coloquinte parachevant en quelque sorte, par le haut et par le bas, le travail initié par l'amanite phalloïde...

Néron avait été mis dans la confidence par sa mère et la mort de Claude lui ouvrit l'accès au trône. Quelque temps plus tard, au cours d'un banquet, un convive lui ayant dit que les champignons, délicieux, étaient décidément la nourriture des dieux, il rétorqua non sans humour : "La preuve en est qu'ils ont fait de mon père un dieu !", allusion à la déification des empereurs de Rome durant leur vie mais surtout après leur mort, et à la manière dont celle-là avait été rondement menée.

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Selon Frédéric Duhart, auteur d'une « Contribution à l’anthropologie de la consommation de champignons à partir du cas du sud-ouest de la France (XVIe -XXIe siècles) », (Revue d’ethnoécologie [En ligne], 2 | 2012) :


Le rejet dans l’immangeable des espèces vénéneuses provoquant une intoxication mortelle ou entraînant une perturbation de l’organisme plus ou moins violente est des plus naturels. Les accidents faisant suite à de regrettables confusions se chargent d’ailleurs de rappeler régulièrement leur dangerosité et de maintenir vivace la peur du mauvais champignon. En septembre 1884, par exemple, la présence de morceaux d’amanite phalloïde (Amanita phalloides) dans un plat de champignons servi à quinze élèves d’un établissement agricole de la région bordelaise coûta la vie à onze d’entre eux (Gillot 1900 : 70-71). Un bon siècle plus tôt, le curé du village périgourdin de Marsac était tombé malade à la suite d’un « repas d’oronges fricassées » vraisemblablement parce qu’une partie au moins des champignons qu’il avait dégustés étaient des sujets d’Amanita muscaria (Beaudry 1976 : 49 ; Michelot & Melendez-Howell 2003 : 132-142).

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Quelques affaires dramatiques offrent des témoignages remarquables sur ces usages populaires liés à la consommation de champignons. Le huit septembre 1862, la famille de Lescure, un ouvrier puisatier de Talence, consomma des champignons au déjeuner et au dîner. Ceux qui furent servis à treize heures trente ne figuraient pas initialement dans le menu prévu par la maîtresse de maison. En l’absence de son compagnon de travail, Lescure n’avait pas pu creuser le puits qu’il aurait dû et avait passé sa matinée à chercher des champignons dans les bois voisins. Fier de l’abondante récolte qu’il venait de faire, il demanda à sa femme de la préparer pour le déjeuner et invita même leur propriétaire à se joindre à eux pour profiter de ce plat. Ce dernier ne mangea qu’un champignon, laissant ainsi l’ensemble du plat à Lescure, qui en mangea énormément, et à son épouse. Les oronges qui furent consommées au dîner étaient entrées dans la cuisine familiale par un tout autre circuit : Madame Lescure les avaient achetées au marché en prévision de ce repas. Tel choix pouvait avoir des conséquences sur l’orientation d’un budget populaire, car l’argent employé pour acquérir des champignons manquait notamment pour se procurer de la viande. S’il est vrai qu’au milieu du XIXe siècle, les bouchers d’Auch abattaient chaque semaine un bœuf de moins qu’à l’ordinaire durant la pleine saison des cèpes, cela était le fait d’un comportement temporaire propre aux classes populaires et non à l’élite qui pouvait consommer des champignons sans renoncer à la viande (Macquart 1853 : 219). Cette tranche de vie de la famille Lescure révèle un goût marqué pour les champignons largement répandu dans les milieux populaires bordelais et plus largement citadins. Âgé de trente-huit ans, Lescure avait pu ramasser des champignons des dizaines de fois avant ce jour-là. Mais celle-ci fut la dernière, car il rejoignit la cohorte des amateurs de champignons bordelais emportés par les conséquences douloureuses de la confusion d’un agaric avec une amanite mortelle dès le lendemain (Lafargue 1863 : 74-78). Quatre ans plus tard, Catherine Miremont et François Grazillier connurent le même sort après avoir dîné d’un plat de champignons cuits à la graisse et assaisonnés d’ail et de persil procédant d’une cueillette qu’ils avaient effectuée aux abords du champ de manœuvre de Mérignac (Sentex 1867 : 254)…

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Marie Rampin, fait le point sur l'affaire du meurtre de l'empereur Claude dans Champignons "médicinaux" : de l'usage traditionnel aux compléments alimentaires. (Thèse d'exercice en Pharmacie, Université Toulouse lll - Paul Sabatier, 2017) :


Dès l'Antiquité les >Romains avaient accumulé de nombreuses connaissances sur les champignons. Ils connaissaient les espèces comestibles qu’ils savaient apprécier comme l'amanite des césars par exemple et celles étant toxiques qu'ils utilisaient comme poison. A cette époque l'amanite phalloïde était un poison de premier choix. On lui attribue notamment la mort de l'empereur Claude et du pape Clément VII.

Selon les écrits de Tacite (55-120 ap. J.C) et Suétone, qui remontent à une soixantaine d'années après la mort de l'empereur, celui-ci aurait été assassiné par sa quatrième épouse Agrippine, avec la complicité de l'empoisonneuse Locuste et du goûteur Halotus qui auraient placé le poison dans le plat favori de Claude : un ragoût de champignons, dans le but de placer Néron, le fils d'Agrippine sur le trône. Une question se pose néanmoins sur l'implication de l'amanite phalloïde dans la mort de Claude. En effet, celui-ci serait mort moins de 24 heures après le banquet où il aurait consommé ces champignons, ce qui semble bien court pour une intoxication phalloïdienne qui se décompose en trois phases : une phase de latence qui dure entre 6 et 24 heures, suivi d'une phase d'atteinte gastro-intestinale avec diarrhée et vomissements importants et enfin une phase d'atteinte hépatique apparaissant au alentour de la 36ème heures suivant la consommation entraînant souvent la mort 6 à 14 jours après. Tacite nous apporte peut être la réponse dans ses écrits. Il précise que l'empereur aurait été pris de vomissements et de diarrhée importants le soir suivant le banquet servi au déjeuner. Sa femme Agrippine aurait alors dépêché auprès de son mari le médecin Xénophon qui aurait achevé le malade sous son ordre en lui enfonçant dans la gorge une plume trempée dans du poison. D'autres auteurs privilégient l'utilisation de l'amanite tue-mouche dont les effets sont plus rapides (diarrhée et vomissement une demi-heure à 4 heures après l'ingestion). Même si il est rare que l'ingestion d'amanites tue-mouche entraîne la mort, les symptômes provoqués combinés à la santé fragile de l'empereur auraient pu entraîner sa mort. A l'heure actuelle la mort par empoisonnement avec des champignons de l'empereur Claude n'est pas confirmée, même si c'est l'hypothèse la plus répandue (Daninos, 2014).

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Symbolisme :


Selon Franck Daninos, auteur de l'article "Champignon : l'empoisonneuse avait un goût exquis", extrait de la revue Sciences et Avenir, Hors-série de l'automne 2014 :


DOUBLE POISON. Avec quel poison Claude aurait-il été supprimé ? L'amanite phalloïde reste souvent mentionnée. Les Romains connaissaient ses propriétés toxiques, comme en témoigne un texte de Sénèque, le précepteur de Néron. Le problème, c'est que le décès est survenu en moins de vingt-quatre heures, trop rapidement pour une intoxication phalloïdienne. Robert Gordon Wasson donne donc crédit à Tacite : Claude aurait bel et bien ingéré des amanites phalloïdes (ce qui expliquerait les premiers symptômes), avant que son médecin ne l'achève avec un autre poison – peut-être la coloquinte (plante qui peut être utilisée comme puissant laxatif et létale à fortes doses) bien connue des Romains.

D'autres auteurs penchent pour un empoisonnement à l'amanite tue-mouches (Amanita muscaria). Ses effets sont bien plus rapides (de trente minutes à quatre heures), et s'accompagnent aussi de forts maux de ventre et de vomissements. Elle contient de l'acide ibotonique, qui provoque une tachycardie et des troubles neurologiques (délire onirique, agitation psychomotrice). Mais il est extrêmement rare qu'on y succombe. On ne saura donc jamais le fin mot de l'histoire...


MEURTRES. Combien recense-t-on d'intoxications criminelles de ce genre ? "Quasiment... aucune, répond Philippe Jaussaud, historien des sciences pharmaceutiques à l'université Lyon-1. Ni dans l'histoire de la médecine légale, ni dans celle de la littérature – policière notamment, qui reflète pourtant les pratiques des sociétés." De nombreux livres de mycologie mentionnent, certes, les mêmes personnages célèbres terrassés par des amanites phalloïdes et autres espèces apparentées : le pape Clément VII (1478-1534), ou encore l'empereur du Saint-Empire Charles VI (1685-1740). Mais, à chaque fois, les preuves manquent. "Les mycologues ont toujours eu tendance à exagérer l'importance des empoisonnements dans l'Histoire, relevait Robert Gordon Wasson. Ils se sont copiés l'un l'autre, sans vérifier ces allégations."

De l'Antiquité jusqu'à la période contemporaine, les empoisonneurs ont donc préféré d'autres substances aux champignons. À cause de leur trop faible efficacité, tout d'abord. Même l'amanite phalloïde ne tue pas à coup sûr. L'action des toxines fongiques est en outre assez lente. Les parois des cellules qui les renferment sont difficiles à digérer, car elles contiennent de la chitine sous forme polymérisée – une structure moléculaire très rigide.


Le Landru des champignons : L'inoculation présente aussi de gros inconvénients. "Tuer avec des champignons n'est pas chose facile, précise Olivier Lafont, président de la Société d'histoire de la pharmacie. Il faut préparer un plat qui sera consommé uniquement par la victime et qui requiert souvent la complicité d'un cuisinier. Ce n'est pas aussi simple que de verser quelques gouttes d'une solution d'arsenic dans une assiette !

CULTURE. De plus, on ne fait pas manger n'importe quoi à n'importe qui, surtout quand il s'agit de champignons. Certaines sociétés les ont en horreur, comme les Grecs et les Anglais, et ils sont entrés tardivement dans les habitudes alimentaires de nombreux pays. C'est d'ailleurs à cause de cette méfiance qu'on a vite fait d'accuser une main criminelle après une intoxication."

Enfin, l’assassin doit être capable de distinguer une multitude d’espèces. L’assureur parisien Henri Girard l’a appris à ses dépens. Ses crimes auraient connu un écho bien plus important s’il n’avait été arrêté en 1918, quelque temps avant la fin de la Grande Guerre. Pour empocher des primes d’assurance, il a tué plusieurs de ses amis avec des amanites phalloïdes cueillies dans la forêt de Rambouillet. Mais certains ont survécu, et la police a été alertée. Elle a découvert qu’Henri Girard avait manqué ses derniers coups en raison d’un livre de mycologie... erroné, où l’amanite citrine (Amanita citrina) était décrite comme aussi mortelle que sa cousine phalloïdienne. Voilà pourquoi ses dernières cueillettes ont été sans effet. Le "Landru des champignons" a terminé sa carrière sous les verrous !"

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Dans Les champignons mortels d'Europe (Éditions Klincksieck, collection De Natura Rerum, 2015), Xavier Carteret nous explique que :


"Malheureusement, l'amanite phalloïde (Amanita phalloides), responsable d'environ 90% des décès par consommation de champignons supérieurs, fait partie de cette poignée [de tueurs et tueuses]. S'il fallait désigner « la Grande Sophiste » au royaume des Fungi, la « phalloïde » l'emporterait haut la main. Pour bien saisir ses perfidies, enfilons un instant la peau du premier sophiste venu, Protagoras évidemment, car l'épitaphe idéale à graver sur la tombe de toutes les victimes du « Calice de la Mort » , l'un des innombrables noms vernaculaires de l'amanite en question, est : L'homme est la mesure de toutes choses (Platon, Théétète, 151 c.).

Ainsi, à la mesure du lapin ou de la limace, la phalloïde est parfaitement comestible. A la mesure du ramasseur de champignons, et dans l'éventail de ses perceptions sensibles et mentales, ce même champignon est tout autre, au point que l'on pourrait défendre, en bon sophiste, qu'il s'agit d'une espèce totalement différente. Pour nous, d'abord elle est belle. Élégamment profilée, d'un vert olive charmant, presque moelleuse voire pulpeuse au toucher, exhalant un parfum enchanteur de rose en fin de vie, elle ne peut que plaire. Rappelons-le, le poison, au moins chez les champignons, n'exhibe aucun signe extérieur et il n'existe - que cela soit répété une bonne fois pour toutes - aucun "truc" pour savoir si un champignon est vénéneux ni aucun caractère propre, tel le fameux bleuissement des bolets, devant engendrer la suspicion. Si l'on ajoute un soupçon freudien d'étymologie, en rappelant que « phalloïde » exprime une certaine ressemblance de l'amanite avec un phallus, alors il faudra bien avouer que l' « oronge verte » a réuni l'arsenal rêvé pour exécuter, en séries, ses crimes parfaits. En somme, elle s'est hissée bien au-delà de la « mesure de l'homme », dont l'horizon, dans les sous-bois, est plutôt bas. De la mise au panier à la mise en bière, l'atroce scénario débute invariablement par une exclamation de gourmandise : « Qu'elle est belle ! Elle est douce, elle sent bon... Impossible donc qu'elle soit toxique, celle-là ! Allez, au panier, ça donnera de la couleur aux cèpes ! ». La suite, en pages 82 et 87, les détails cliniques proprement abominable du syndrome dit « phalloïdien ». Je ne sais si Socrate lui-même était un sophiste, comme on le dit parfois, mais il est presque certain que la philosophie platonicienne a su élever le « faire passer pour » (devise du sophisme) au rang d'art sacré. Faire, bien sûr, passer le monde réel pour un mirage ; aménager, sur la route menant de la "Terre" au "Ciel", quelques pernicieux raccourcis. Ainsi de l'assimilation du Beau avec le Bon. Le modèle, nous le trouvons aisément dès la fin de l'été ou en automne dans toutes sortes de bois : l'amanite phalloïde, le « Beau en soi ». Pour l'atteindre dans l'au-delà, il faut, dans l'ici-bas, cultiver la vertu, le « bon », et ne faire que cela. Le programme prévoit l'aide indispensable de la culture du beau en toute occasion. Bref, consommer du beau, c'est consommer du bon. Le pas à franchir pour convertir la consommation philosophique en consommation gastronomique dut être quasi-automatique.

[...]

Malgré tous les efforts de prévention, la consommation des champignons continue à faire plus d'un millier de cas d'intoxication chaque année en France, et toujours quelques morts. Comme si l'on faisait mine d'entendre ; comme si les sophistes n'étaient pas cachés dans les sous-bois, mais à l'écoute des médias. En somme, comme si l'hybris en question comportait la dimension paranoïaque qui exclut, aux limites de l'irrationalité, la possibilité que l'autre ait raison. Si quelqu'un a décidé de manger des amanites phalloïdes (ou quelque autre espèce mortelle), même le plus grand spécialiste de la mycotoxicologie sera incapable de l'en dissuader. « Un de mes amis mycologue, rapporte Guy Fourré, vérifiant un jour un panier de grandes Coulemelles, eut la surprise d'y découvrir des amanites phalloïdes très typiques. Il conseilla vivement de jeter le tout, mais s'attira cette réponse stupéfiante : "Monsieur, vous vous trompez, je connais l'amanite phalloïde, elle est rouge !" »

 

Selon les recherches de Carole Chauvin-Payan qu'elle communique dans le préprint de l'article intitulé "Les noms populaires des champignons dans les populations européennes mycophobes" (Quaderni di Semantica, 2018, Perspectives de la sémantique, pp. 159-189) :


[...] La forme linguistique Cacaforra attestée en Galice est construite à partir de CACĀRE et de forrar "tapisser un mur", peut être comprise comme « fourreau de merde ». Cette forme est utilisée pour désigner l’ensemble des amanites. Ainsi, l’amanite panthère AMANITA PANTHERINA est nommée Cacaforra marxa ; l’amanite jonquille AMANITA GEMMATA est nommée Cacaforra dourada ; l’amanite printanière AMANITA VERNA se nomme Cacaforra branca ; l’amanite phalloïde est nommée Cacaforra da morte. Ces différentes désignations nommant les champignons par le terme ‘merde’ sont très péjoratives et sont, à notre sens, le reflet d’une attitude très mycophobe. Selon Pavlovna et Wasson [in Lévi-Strauss, 1973 : 265], nos attitudes d’attraction ou de répulsion vis-à-vis des champignons reflèteraient de très anciennes traditions, remontant aux temps néolithiques, voire même aux temps paléolithiques. Ces anciennes traditions auraient d’abord été refoulées par les invasions celtiques et germaniques, puis par l’arrivée du christianisme. Ces changements successifs ont très certainement amené l’apparition de nouvelles dénominations faisant intervenir les démons, les sorcières ou le diable.

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Dans son Grimoire de Magie forestière (Alliance magique Éditions, 2021) Lyra Ceoltoir rend compte de son expérience magique avec les champignons :


Dans le chaudron : Cette aura mortelle associe sans surprise l'Amanite phalloïde à la mort, à l'au-delà et aux inframondes. Elle est au monde des champignons ce que l'Aconit napel est au royaume végétal : un pouvoir chtonien, en lien avec les divinités de la mort et des enfers. On pense naturellement aux grecs Hadès et Hécate, au romain Pluton, mais aussi à la complexe déité scandinave Hel, à l'Annwn gallois, au Dispater gaulois, à l'Ankou breton, à l'égyptien Anubis, etc.

Pour cette raison, ses usages en agie sont assez limités et se cantonnent généralement aux pratiques du spiritisme et de la nécromancie, qui nécessitent une précaution aussi infinie que celle induite par sa toxicité. Prudence et respect sont les maîtres mots quand on tente de l'approcher, tant physiquement que spirituellement : on ne la manipule que brièvement, si possible avec des gants, on se lave soigneusement les mains juste après, on désinfecte méticuleusement tout ce qui a été en contact avec elle et on ne l'emploie qu'en cas de réelle nécessité. Pas question de jouer impunément avec la mort, au risque de s'en mordre sévèrement les doigts.


Le Message de l'Autre Monde : « Je suis la mort. Pas celle qui vient te cueillir tranquillement dans ton lit quand tu es arrivé au terme d'une longue vie, non, mais celle qui t'en arrache avec violence, sans prévenir, prématurément, alors que tu croyais avoir encore de longs jours devant toi. Je suis l'accident qui fauche, la maladie qui frappe. La Parque qui taille d'un coup de ciseau implacable le fil d'une destinée trop courte. Tu me détestes ? Tu me redoutes ? Tu évites de m'évoquer, de ne serait-ce que m'effleurer de ta simple pensée ? Beaucoup sont dans ton cas. Pourtant, je ne suis pas mauvaise. Ni bonne non plus, d'ailleurs. Je suis, c'est tout. Me craindre, me haïr, me nier ne sert à tien. Me rechercher encore moins. Je ne demande que du respect et du bon sens. Si tu penses à moi, plutôt que de trembler d'effroi, mesure le cadeau que le destin a placé entre tes mains : profite de chaque instant, de chaque jouissance, comme si je devais te les enlever demain. »


Sortilège : Descente aux Enfers : Séance de Samhain

Avec mille précautions, les mains protégées par des gants, cueillez une Amanite phalloïde que vous placerez dans un sachet hermétique destiné à ne contenir qu'elle pour le ramener à la maison. Faites une libation de vin rouge, d'absinthe ou d'hydromel à l'esprit du champignon pour le remercier de son sacrifice.

De retour chez vous, laissez-la sécher sur un papier absorbant et jetez le sachet ayant servi à la transporter. Lavez-vous les mains et assurez-vous qu'elle n'est pas à la portée d'une main ou d'une patte innocente.

Quand elle est bien sèche, enveloppez-la dans une longue bande de soie noire, en l'enroulant neuf fois (le nombre « 9 » est lié à la vie et à la mort, à l'image des neuf mois de gestation humaine et des neuf cercles de l'Enfer décrits dans la Divine Comédie) jusqu'à ce qu'elle soit entièrement recouverte Nouez ce paquet d'un ruban noir en fibres naturelles, en faisant là encore neuf nœuds.

Le jour de Samhain (1), enterrez le paquet dans un endroit où vous ne serez pas dérangé. Ce peut être dans la terre d'un bois, au croisement de plusieurs chemins ou même d'un cimetière, si vous en avez l'opportunité (et l'envie).. Plantez une bougie noire à l'emplacement de la tombe de votre champignon, ou utilisez une bougie dans un bocal (c'est encore plus pratique en extérieur), et appelez l'esprit avec lequel vous souhaitez communiquer, en étant clair dans votre demande. Précisez son nom complet, avec ses surnoms éventuels, sa date et son lieu de naissance et de mort, une brève description physique et quelques anecdotes le concernant. Offrez-lui une oblation appropriée et formulez votre demande à haute voix. Vous pouvez opter pour sa boisson et son aliment préférés si vous les connaissez, ou jouer la carte de la sécurité de l'alliance vin rouge / pain. Asseyez-vous un instant, en silence, fermez les yeux, faites le vide dans votre esprit et accueillez la réponse. Elle peut surgir sous la forme d'images mentales, d'un pressentiment ou d'une intuition brusque, d'une sensation, d'une impression, ou pas du tout si l'esprit ne souhaite pas (ou ne peut pas) vous répondre. Quoi qu'il en soit, remerciez-le et ordonnez-lui de se retirer, avant de souffler la bougie d'un seul coup.

Partez sans vous retourner et ancrez-vous solidement : allez voir un ami, remplissez votre feuille d'impôts, passer l'aspirateur, regarder un film amusant, ou mangez et buvez quelque chose (après vous être lavé les mains, bien entendu). Notez vos rêves dans les neuf nuits à venir, ils peuvent receler des détails supplémentaires.


Note : 1) Sabbat hérité des traditions celtiques, honorant la mort et le début de l'hiver et se tenant traditionnellement le 31 octobre ou le 1er novembre.

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Antoinette Charbonnel et Lyra Ceoltoir, autrices de L'Oracle de la Magie forestière (Éditions Arcana sacra, 2021) nous en apprennent davantage sur la dimension magique de l'Amanite phalloïde (Amanita phalloides) :


Mots-clés : Fin de quelque chose - Mort (symbolique, parfois physique) - Perte - destruction - Changement brutal et implacable - Destin inéluctable - mais aussi : Soulagement - Renouveau - Fin d'un cycle mouvementé avant le début d'un autre, plus profitable.


Promenons-nous dans les bois : Son chapeau jaune verdâtre évoque une teinte maladive renforcée par sa surface gluante et son odeur désagréablement écœurante, sonnant le signal d'alarme : c'est l'un des champignons les plus toxiques qui soient. Le poison est si virulent qu'il peut même traverser la barrière de la peau (1). Même cuite, séchée ou congelée, elle ne perd rien de sa virulence. Méthodiquement, elle tue en six à seize jours.

Il n'est donc guère étonnant de la retrouver, en magie, associée à la mort, à l'au-delà et aux infra-mondes. Elle est en quelque sorte le pendant mycologique de l'Aconit napel, chtonienne, connectée aux déités de la Mort et des Enfers (Hadès, Hécate chez les Grecs, Pluton chez les Romains, Hel pour les peuples scandinaves, Annwn chez les Gallois, Dispater pour les Gaulois...). Son utilité se borne essentiellement à la nécromancie et au spiritisme, et, plus que toute autre, elle ne devrait être employée qu'avec une extrême prudence et un profond respect. On ne joue pas impunément avec la mort.


L'Oracle du champignon : La voir dans un tirage peut être effrayant, mais sa neutralité est absolue, dénuée de sentiments, implacable, violente. Pour nos esprits qui aiment se rassurer en classant toute chose dans des cases « bonne » et « mauvaise », c'est une notion difficile.

L'Amanite phalloïde annonce en effet toujours une mort, symbolique la plupart du temps : quelque chose que vous croyiez établi, solide et sûr va s'effondrer et disparaître. Rupture, perte d'un emploi, des repères liés à un changement... Et vous ne pourrez rien y faire.

Mais son apparition est comme une alerte avant une tornade : ce qu'elle annonce ne peut certes pas être empêché, mais il ne tient qu'à vous de vous y préparer. Si l'on vous annonce une tempête, ce n'est pas pour vous désespérer : c'est pour vous donner le temps de tout mettre en œuvre pour résister et minimiser les dégâts. Telle est notre Amanite : une alerte cosmique pour vous encourager à vous armer, à tenir bon, le temps que la crise passe.

Car elle passera ! Et les ruines qu'elle laisse accueilleront de nouveau la vie, l'espoir, le renouveau, sous une forme différente, mais souvent plus solide, plus profitable, car enrichie d'avoir survécu. Courage : bientôt, vous pourrez panser vos blessures et songer avec fierté que vous avez tenu bon et que cela vous a permis de grandir, si vous savez tirer les leçons qui s'imposent.


Note : 1) Il faut donc éviter autant que possible de la manipuler, ou alors le faire avec des gants et se laver soigneusement les mains après.

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Chansons :


Sweet Amanite Phalloïde Queen

Pilote aux yeux de gélatine Dans ce vieux satellite-usine, Manufacture de recyclage Des mélancolies hors d'usage, Ô sweet amanite phalloïde queen.


Je suis le captain "M'acchab" Aux ordres d'une beauté-nabab Prima belladona made in Moloch-city destroy-machine, Ô sweet amanite phalloïde queen.


Amour-amok et paradise Quand elle fumivore ses "king-size" Dans son antichambre d'azur Avant la séance de torture,

Ô sweet amanite phalloïde queen.


Je suis le rebelle éclaté Au service de Sa Majesté, La reine aux désirs écarlates Des galaxies d'amour-pirate, Ô sweet amanite phalloïde queen.


Hubert-Félix Thiéfaine, "Sweet amanite phalloïde queen", Paroles de Hubert-Félix Thiéfaine, musique de Claude Mairet, © LILITH EROTICA, DIMANCHE - 1986.

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Littérature :


André Dhôtel dans Rhétorique fabuleuse (Paris, Éditions Garnier, 1983) consacre un chapitre entier au "Vrai mystère des champignons". L'Amanite phalloïde n'échappe pas à son œil amusé par les classifications des mycologues :


Voyez donc les champignons verts.

Par exemple, le chapeau de l’Amanite phalloïde est « typiquement vert ». C’est-à-dire ? Tout simplement un vert olive caractéristique lequel ne peut au pis-aller que devenir « jaune olive, brun olive, ou brun verdâtre, mais aussi brun ou presque blanc ».

C’est cela qu’on appelle typiquement vert. Le seul champignon dont le vert est tenace et immuable serait, d’après les flores, la russule fourchue. Mais la russule fourchue est un champignon fantôme. Trop vrai pour exister.

 

Quatrième de couverture du roman policier de June Thomson, intitulé de manière assez peu originale Champignons vénéneux (Éditions Le Livre de Poche, 1986) :


Amanite phalloïde : champignon vénéneux qui, à son premier stade de croissance, ressemble à s’y méprendre à la boule-de-neige ou champignon de rosée…

Pauvre Mrs. King ! Elle n’avait pas su faire la différence… et elle en était morte. Un tragique accident qui endeuillait le village. Car ici, à Abbots Stacey, tout le monde aimait beaucoup Mrs. King. Oui, vraiment, une bien triste affaire… qu’on aurait fini par oublier s’il n’y avait eu cette lettre anonyme adressée à la police.

Ainsi, l’empoisonnement n’était pas accidentel.

Ainsi, une main criminelle avait placé les champignons vénéneux parmi les inoffensives boules-de-neige

Mais pourquoi ? Mrs. King était une femme tellement charmante…

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Yves Paccalet, dans son magnifique "Journal de nature" intitulé L'Odeur du soleil dans l'herbe (Éditions Robert Laffont S. A., 1992) évoque ainsi l'amanite phalloïde :

13 août

(Fontaine-la-Verte)

Voici la plus dangereuse des amanites. Pourquoi « phalloïde » ? Certes, elle a l'air d'un phallus lorsqu'elle sort de terre ; mais pas davantage que ses cousines. Remarquons que l'amanite « vaginée » est comestible. Psychanalysons les naturalistes nomenclateurs d'espèces.

Les trois amanites phalloïdes que je contemple ont un air de Parques cruelles. Volve, anneau, lamelles blanches, phallotoxines cachées... Leur chapeau vert à reflets de cuivre est un concentré de traîtrise. Frisson sensuel : la mort est là, née de la terre, avec sa référence au sexe.

 

Sue Grafton, autrice de I comme innocent (Un innocent aux mains pleines) (Éditions Sang d'encre, 1993) :

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Incipit du roman policier Nous avons toujours vécu au château (Éditions Payot & Rivages, 2012 pour la traduction française) de Shirley Jackson :


Je m'appelle Mary Katherine Blackwood. J'ai dix-huit ans, et je vis avec ma sœur, Constance. J'ai souvent pensé qu'avec un peu de chance, j'aurais pu naître loup-garou, car à ma main droite comme à la gauche, l'index est aussi long que le majeur, mais j'ai dû me contenter de ce que j'avais. Je n'aime pas me laver, je n'aime pas les chiens, et je n'aime pas le bruit. J'aime bien ma sœur Constance, et Richard Plantagenêt, et l'amanite phalloïde, le champignon qu'on appelle le calice de la mort. Tous les autres membres de ma famille sont décédés.


Autre extrait :


Avant de venir à table, j'avais bien vérifié ce que j'avais l'intention de dire. "L'amanite phalloïde", commençai-je en m'adressant à lui, "contient trois poisons différents. D'abord, il y a l'amanitine, le plus lent des trois mais aussi le plus puissant. Ensuite, la phalloïdine, à effet immédiat, et enfin la phalline, qui dissout les globules rouges, même si c'est le moins vénéneux. Les premiers symptômes n'apparaissent qu'entre sept et douze heures après l'ingestion, dans certains cas pas avant vingt-quatre heures, voire quarante. Les symptômes commencent par de violentes douleurs stomacales, des sueurs froides, des vomissements...

- Ecoute", fit Charles en reposant le morceau de poulet, "tu arrêtes ça tout de suite, tu m'entends ?"

Constance gloussait. "Oh, Merricat", fit-elle, un rire étouffé entrecoupant ses paroles, "quelle petite bécasse tu fais. Je lui ai montré, dit-elle à Charles, qu'il y avait des champignons près du ruisseau et dans les prés, et je lui ai appris à reconnaître ceux qui sont mortels. Oh, Merricat !

- La mort survient entre cinq et dix jours après l'ingestion, dis-je.

- "Je ne trouve pas ça drôle", fit Charles.

"Petite folle de Merricat", dit Constance.

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Marcus malte, Le Fils de l'étoile (2015)


Des événements bien mystérieux se déroulent au château qui accueille la traditionnelle colonie de vacances. L'an dernier, une chambrée avait dû être hospitalisée, victime d'une intoxication à l'amanite phalloïde. Un mort. Cette année, c'est une monitrice qui disparaît sans laisser de trace. Y aurait-il un lien entre les deux ? Quel point commun entre ces adolescents peu sympathiques et la jeune femme... diablement antipathique ?Un récit en clair-obscur, bien éloigné des paradis de l'enfance.


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