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La Couleuvre



Étymologie :


  • COULEUVRE, subst. fém.

Étymol. et Hist. 1. 1121-35 culovre (Ph. de Thaon, Bestiaire, 2641 ds T.-L.) ; 1174-1200 « insulte à l'adresse d'une personne déloyale » (Renart, éd. M. Roques, br. 5, 6071) ; 2. 1667, 23 mai fig. faire avaler des couleuvres à quelqu'un (Bussy Rabutin, Lettre ds Mme de Sévigné, Lettres, éd. M. Monmerqué, t. 1, p. 491). Du lat. vulg. colobra (TLL, s.v. colubra, 1727, 15) altération du lat. class. colubra « couleuvre femelle », masc. coluber « couleuvre, serpent (en général) ».


Lire aussi la définition du nom couleuvre pour amorcer la réflexion symbolique.

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Expressions populaires :

Claude Duneton, dans son best-seller La Puce à l'oreille (Éditions Balland, 2001) nous éclaire sur le sens d'expression populaires bien connues :


Avaler des couleuvres c'est subir un affront, une vexation sans être en mesure de protester. Accepter bouche cousue est le lot de tous ceux qui sont en position d'infériorité et qui jugent plus utile, ou plus prudent, de se taire, soit par esprit courtisan, soit pour leur sécurité. L'accession à tous les pouvoirs suppose naturellement une forte consommation de ces reptiles ; "Il faut savoir regarder d'un œil sec tout événement, avaler des couleuvres comme e la malvoisie", dit Chateaubriand qui s'y connaissait.

Mais pourquoi ces serpents particuliers ?... L'expression semble dater du XVIIe siècle où Furetière la définit ainsi :

"On dit qu'un homme a bien avalé des couleuvres, lorsqu'on a dit ou fait devant lui plusieurs choses fâcheuses qu'il se peut appliquer, ayant été cependant obligé de se cacher le déplaisir qu'il en avait." Mme de Sévigné fait un grand usage de la tournure : "Il faut que le goût qu'il a pris pour elle soit bien extrême, puisque ce goût lui fait avaler, et l'été et l'hiver, toutes sortes de couleuvres."

Je pense pour ma part qu'il y a là quelque part "anguille sous roche". L'anguille, poisson d'eau douce à forme de serpent, constituait, du temps qu'elle foisonnait dans nos pures rivières, un mets courant et particulièrement apprécié. Il est probable que c'est par opposition à elle que la couleuvre, considérée comme répugnante et même dangereuse, intervient. Des hôtes mauvais plaisants auraient-ils servi des couleuvres en lieu d'anguilles pour éprouver la docilité de leurs convives ?... Le coup du chat à la sauce lapin ? Après tout la couleuvre est comestible, et de chair fine au dire de certains. On l'appelle aussi anguille de haie.


Sotte ignorance et jugement léger

Vous ont jadis, on le voit par vos œuvres,

fait avaler anguilles et couleuvres.

dit T.B Rousseau.

Evidemment à force d'avaler de tels plats l'estomac le plus solide finit par s'aigrir. En d'autres termes : qui avale trop de couleuvres finit toujours par cracher du venin !

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Croyances populaires :


Paul Sébillot, auteur de Additions aux Coutumes, Traditions et superstitions de la Haute-Bretagne (Éditeur Lafolye, janv. 1892) relève des croyances liées aux cycles de la vie et de la nature :


Aux environs de Rennes, on dit que les couleuvres s'accouplent avec les anguilles. [...]


Dans quelques fermes au bord des bois, les vaches, lorsqu'on va les traire au matin, donnent du lait mêlé de sang ; on dit que les couleuvres ont passé et ont bu du lait jusqu'au sang.

 

Selon Ignace Mariétan, auteur d'un article intitulé "Légendes et erreurs se rapportant aux animaux" paru dans le Bulletin de la Murithienne, 1940, n°58, pp. 27-62 :


[…] Dans certaines fermes au Clos-du-Doubs, dans le Jura-Bernois, on prépare encore pour le Mardi-Gras, un pot-au-feu dont une partie du bouillon est réservée pour une coutume très originale. La fermière remplit une écuelle de ce bouillon et en asperge la maison et ses abords avec un rameau de buis, de houx ou de sapin, en disant à haute voix : Serpent, Serpent, va-t-en, voici le bouillon de carnaval.

Cette cérémonie doit éloigner les « grandes Serpents », c'est-à-dire les Couleuvres, qui pourraient, pendant la bonne saison, pénétrer dans l'étable pour y téter les vaches.

[…] La crainte des Serpents a cependant ses exceptions : en Lithuanie, à l'époque du paganisme, chacun gardait une Couleuvre dans sa maison. On s'adressait à des sorciers spéciaux qui l'introduisaient dans la demeure, où un lit lui était réservé dans un coin ; les habitants la soignaient et la nourrissaient avec amour et un respect religieux, car la Couleuvre était considérée comme la protectrice de la maison.

Les Romains appréciaient beaucoup la Couleuvre d'Esculape, ils la protégeaient et l'introduisaient volontiers aux abords de leurs thermes.

[…] Chez les Grecs, le dieu de la médecine était Asclépios, ou, de son nom latinisé, Esculape. 11 avait pour symbole le Serpent, moins sans doute à cause de ses propriétés venimeuses, que parce que cet animal changeant chaque année de peau, était considéré comme le symbole de la force vitale qui se renouvelle sans cesse. En Valais où la Couleuvre d'Esculape est fréquente elle n'inspire que de la crainte et de la répulsion.

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Jean-Jacques Barloy, dans un article intitulé "Rumeurs sur des animaux mystérieux." In : Communications, 52, 1990. Rumeurs et légendes contemporaines. pp. 197-218 rapporte des anecdotes relatives à des couleuvres géantes :

[...]

Dans une région relativement voisine, l'Oisans, l'écrivain bien connu Samivel évoque une énorme couleuvre à collier longue de plus de 3 mètres et dont le diamètre dépasse celui d'une cuisse humaine {Le Grand Oisans sauvage, Arthaud, 1978, p. 112).

De très nombreuses autres observations nous viennent des Bouches-du-Rhône. Selon Raphaël Imbert, les habitants croient volontiers à l'existence de couleuvres longues de 4 à 5 mètres, et de 15 centimètres de diamètre. Un ami de M. Imbert aurait vu une couleuvre de 3 mètres traverser une route. Selon un autre témoignage, un long « tuyau » traverse une route devant une voiture... avant de se dresser face à une portière. Le propriétaire d'un club hippique des environs de Rognes assure que des serpents d'assez grande taille traversent parfois devant les chevaux.

En Charente, dans le nord de la Charente-Maritime et dans le sud de la Vendée, il est traditionnellement question d'un serpent de forte taille, le dar ou silan. De couleur noire ou marron foncé, il mesurerait 2,50 mètres à 3 mètres, habiterait les marais et serait dangereux, d'autant plus qu'il serait constricteur... Quand il traverse la route, sa tête et sa queue disparaissent dans la végétation, de chaque côté.

Près d'Angoulême, à Puyrajoux, un cultivateur, M. Gauthier, se serait un jour battu à coups de bâton contre un silan qui pendait d'un arbre. Celui-ci l'ayant chargé, l'homme lui coupa la tête.

Selon les herpétologistes, le dar n'est autre que la couleuvre verte et jaune (Coluber viridiflavus).

Dans l'est de la Bretagne, les prairies marécageuses voisines de Fougères seraient le domaine du suston, une grosse couleuvre dépassant une longueur de 2 mètres. Son diamètre serait celui d'une bouteille. Le suston a la réputation (couramment prêtée aux serpents à travers la France) de téter les vaches, d'où peut-être son appellation (« suce-téton » ?). Il est considéré comme inoffensif.

Des serpents ordinaires grossis par l'imagination, des spécimens exotiques échappés, de grosses couleuvres de Montpellier (dans le Midi), expliquent bon nombre de ces affaires.

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D'après Danielle Musset, auteure de l'article intitulé « Serpents : représentations et usages multiples », Ethnologie française, 2004/3 (Vol. 34), p. 427-434 :


Les usages culinaires des serpents sont peu répandus et semblent a priori le fait de marginaux ou d’hommes entretenant une relation privilégiée à la nature (chasseurs, charbonniers, bergers). Il reste cependant que de grosses couleuvres ont été consommées en Provence, sous le nom d’anguilles de terre [Harant et Jarry, 1982 : 122]. Mangée grillée, en plein air, la couleuvre est un met réservé aux hommes. Un relatif secret entoure cette consommation. Les personnes interrogées qui avouent en avoir mangé présentent le fait comme une expérience personnelle et sans suite, due à leur curiosité, jamais comme une habitude. Pourtant, on peut imaginer une pratique plus répandue qu’il n’y paraît, vraisemblablement à caractère initiatique : initiation au monde sauvage par l’absorption d’un aliment à connotation sexuelle forte.

[...]

Un témoignage rend compte de ce jeu autour du secret et de l’initiation : « Un jour, j’ai fait cuire une couleuvre et j’ai invité tous les jeunes du village dont mon futur gendre : “je vous fais manger ça et le premier qui devine, je lui paye une glace !”. Tout le monde a dit n’importe quoi, mais personne a dit de la couleuvre [...] ». Il est surtout intéressant de noter que la personne qui témoigne ainsi a consommé régulièrement de la couleuvre en famille et qu’elle en donne la recette précise : « Alors, mon père l’espillait (l’écorchait), puis ma mère la découpait en morceaux, ensuite on la fait tremper dans du vinaigre. Après, on la sèche, on la fait revenir avec de l’oignon, un peu de farine, un petit peu de tomate et on la couvre de vin blanc. C’est tout ». Il existait donc une préparation culinaire domestique du serpent. Un livre de cuisine du Var donne aussi une recette de daube de couleuvre qui était connue dans le sud de ce département [Domenge, 1993 : 86]. La daube, met familial par excellence, cuisinée longuement par les femmes, ouvre sur les préparations à vertus médicinales de pot-au-feu et autres bouillons de serpent, et s’oppose aux pratiques masculines du « sauvage ». La médecine traditionnelle a, en effet, largement mis à contribution le serpent, qu’il s’agisse de couleuvre ou de vipère. Une dame, atteinte d’une pleurésie rapporte : « Quand j’avais vingt ans, j’ai été très malade. On me donnait des bouillons de serpent comme un pot-au-feu [...]. On l’écorche, on le fait sécher ; on faisait bouillir la viande avec carottes, céleri ; je buvais comme un bouillon. J’avais une tante, en face, qui en avait toujours. Elle allait chercher des couleuvres et elle les faisait sécher. Quand on mange ça, ou le bouillon, on tombe des gouttes comme ça, ça fait suer... » [Amir, 1998 : 125]

[...]

La graisse ou l’huile de serpent est le remède des rhumatismes, des entorses. Mais c’est surtout sa peau qui est utilisée pour aider aux accouchements : « On faisait boire une infusion de peau de serpent à l’accouchée pour faciliter l’accouchement [...]. À l’époque, on ramassait les peaux de serpent, la mue, et on les gardait pour faire des infusions [...]. On s’en servait pour diverses circonstances. Je me rappelle, ma mère en avait dans la maison, dans une boîte, ça se conservait bien. Lorsqu’on les trouvait dans la campagne, c’était sec »21. En ceinture, la peau de serpent favorise l’accouchement difficile. On en ceignait l’enfant au moment du sevrage, pour éviter la montée de lait [Benoît, 1975 : 132]. Pour empêcher la mule d’être en chaleur, il fallait lui faire manger de la peau de serpent dans du son(vallée du Jabron). Portée sur soi, la peau de serpent servait aussi à conjurer les sorts, à écarter les sorciers [Provence, 1937 : 270]. Ces recettes, décrites par la plupart des folkloristes, avec leurs nombreuses variantes, montrent que le champ thérapeutique couvert par le serpent était très large, avec un rôle particulier concernant l’accouchement et la maternité. [...]

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Selon Grażyna Mosio et Beata Skoczeń-Marchewka, auteurs de l'article "La symbolique des animaux dans la culture populaire polonaise, De l’étable à la forêt" (17. Mars 2009) :


"Le savoir du peuple comptait dans le groupe des serpents aussi bien les vipères que les couleuvres et les orvets, qui en réalité sont des lézards. [...]

Des descriptions confirment l’élevage dans la maison ou dans la ferme de serpents, le plus souvent de couleuvres, qu’on nourrissait et abreuvait. [...]

Franciszek Gawełek, folkloriste, rappelait que dans son jeune âge il avait, avec d’autres garçons, tué une couleuvre, qu’il aurait prise pour une vipère : “un vieux pâtre qui l’avait remarqué les gronda, les instruisit d’avoir commis un péché, ramassa le serpent tué et l’embrassa” (Moszyński 1967 : 562). [...]

On croyait entre autres “qu’il est défendu de prendre une couleuvre avec la main, car la main pourrira ; Qui prendra dans sa main l’herbe ou la terre sur laquelle la couleuvre est passée, sa chair se détachera à tel point que même les médecins n’y pourront rien” (Udziela 1886 : 21). On l’employait dans de nombreuses pratiques magiques. Des parties de son corps pouvaient être une protection contre les puissances maléfiques, mais aussi servir à jeter des sorts ou à causer la mort (Moszyński 1967 : 341). Il existait des prescriptions permettant de produire des poisons efficaces, mais aussi des médicaments."

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Symbolisme :


Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont, 1995 et 2019), Éloïse Mozzani nous propose la notice suivante :


La couleuvre, pourtant inoffensive mais dont la morsure passait pour aussi dangereuse que celle de la vipère, a longtemps suscité haine et frayeur à cause de son appartenance à la famille des serpents. Elle peut d'ailleurs, selon les Bretons, se transformer en serpent si elle ne voit âme qui vive pendant sept ans. les Bretons, toujours, attribuaient sa création au diable, lorsque celui-ci tenta d'imiter l'anguille, d'essence divine ; ils l'apparentaient aussi parfois à une âme damnée. Certains évitent même de prononcer son nom : cela porterait malheur.

Un peu partout en France, on accusait la couleuvre d'empoisonner la source où elle avait bu et de prendre la nuit le lait des vaches. Elle était réputée également pénétrer dans la bouche des enfants endormis afin de déposer ses œufs dans leur estomac, le seule remède à cette « invasion » étant de suspendre l'enfant la tête en bas au-dessus de lait chaud sur lequel les petits de la couleuvre devaient se précipiter. Méfait aussi grave : le mâle de la couleuvre verte et jaune peut féconder une poule qui, non seulement se mettra à chanter comme le coq, caractéristique considérée comme un des plus funestes présages, mais de plus pondra le « coquatrix » ou œuf de coq, qui ne bénéficie pas d'une meilleure réputation.

Ce qui n'empêche pas que dans plusieurs récits les couleuvres soient considérées comme des princesses ou des fées métamorphosées, plus rarement comme des sorcières. A ce propos, dans le Luxembourg belge, on soutenait, à titre de plaisanterie probablement, que la condition indispensable pour être un bon sorcier était d'voir vu une couleuvre à poils. Ce qui indique assez bien que ce reptile est rarement associé aux suppôts de Satan, d'autant plus que par son seul regard, croit-on dans la Vienne, il est capable de tuer un crapaud, lequel est un familier de la sorcellerie.

La couleuvre respecte deux choses : la virginité et la nudité. Elle ne s'attaque jamais à une jeune fille vierge et, comme d'ailleurs la vipère, ne s'en prend pas plus à un homme tout nu. De couleur blanche, elle porte chance à la maison où elle pénètre. De plus, rêver qu'on se bat contre des couleuvres est signe qu'on vaincra ses ennemis et trouver un œuf de couleuvre dans du fumier est de bon augure dans la Vienne : « Il indique qu'il périra une douzaine de serpents dans les bois ».

Selon Pline, le voyageur qui glissait une langue de couleuvre dans le fourreau de son épée se mettait à l'abri de toute mauvaise rencontre. Dans la France moderne, où cette croyance avait toujours cours, il fallait arracher la langue à l'animal sans le faire mourir. La peau ou mue de couleuvre a également une vertu bénéfique, d'où l'expression « il a de la peau de couleuvre dans sa poche » pour désigner quelqu'un de chanceux. La porter quelques jours en guise de cravate soigne le mal de gorge (Lorraine), l'appliquer sur le côté opposé où poussent des furoncles les fait disparaître (Wallonie). En Bretagne on l'utilise pour soigner les blessures et extraire les épines entrées dans la chair tandis que dans le Languedoc, la peau de couleuvre bouillie dans de l'eau pendant trente minutes guérir d'un refroidissement le patient qui avale la décoction en trois fois.

Dans les Deux-Sèvres, on croit charmer les couleuvres en enroulant son mouchoir en forme de serpent et en chantant doucement : « Je t'endors, belle demoiselle, je t'endors ».

Une couleuvre qui traverse une route ou « qui se fait entendre dans les buissons et au bord des marais » annonce un orage ou de la pluie dans les heures qui viennent.

 

Philippe Charlier, auteur de Zombis, Enquête sur les morts-vivants (Éditions Taillandier, 2015) a entrepris une vaste enquête sur les zombis dans la religion haïtienne du vaudou qui l'a conduit à rencontrer de nombreux adeptes et prêtres. Parmi eux, Erol Josué :


"Au bout d'une ruelle minuscule se trouve une porte en fer forgé décorée du vévé (dessin rituel) de Baron Samedi. Derrière se dissimule, dans la végétation, le hounfor (temple vaudou) de cet homme fascinant. Sur le côté, le péristyle a été fraîchement reconstruit après le tremblement de terre de 2010 : couvert d'n toit de béton, et de forme quadrangulaire, il est aux normes antisismiques - peut-être le seul bâtiment en Haïti ! Sur les fresques en partie repeintes, on lit "Société Lafrique Guinin", référence directe à ce territoire mythique d'Afrique noire d'où sont partis les esclaves dès le XVe siècle, et où reviennent les âmes de leurs descendants après la mort.

Médor, le chien d'Erol - qui ne devait pas être très inspiré au moment de lui donner un nom -, erre dans ces lieux, s'allongeant avec prédilection au pied du potomitan (ou poteau-mitan), au centre du péristyle : en relief, il figure deux couleuvres vertes entrelacées comme un caducée (symbole de Damballa, le dieu de la créativité, avec ses parts masculine et féminine), tenant dans leurs gueules un œuf blanc (figure de la vie, de la réussite). C'est ce pilier qu'empruntent les loas pour descendre sur terre."

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Symbolisme celte :


Pierre Malrieu, auteur d'un ouvrage intitulé Le bestiaire insolite : l'animal dans la tradition, le mythe, le rêve (Éditions La Duraulié, collection "Les Fêtes de l'irréel", 1987) propose la notice suivante :


Couleuvre :

La couleuvre change de peau tous les sept ans. On reconnaît son âge au nombre de ses anneaux. Si elle est blanche, c'est signe de bonheur à la maison.

Sa langue sert à aiguiser sa faulx. Sa peau guérit les furoncles si on l'applique sur la partie du corps opposée où le furoncle se trouve.

(Belgique).

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Selon Gilles Wurtz, auteur de Chamanisme celtique, Animaux de pouvoir sauvages et mythiques de nos terres (Éditions Véga 2014),


"La couleuvre à collier femelle peut mesurer jusqu'à 1, 5 mètres et exceptionnellement 2 mètres. Le mâle ne dépasse pas 1 mètre.

La couleuvre peut vivre jusqu'à trente ans, elle s'établit généralement à proximité de zones humides, elle est aussi à l'aise et rapide sur terre que dans l'eau, et peut tenir une trentaine de minutes en immersion.

La couleuvre à collier n'a pas de venin et mord rarement, elle préfère se défendre à coups de museau, la bouche fermée. Quand elle est en danger ou capturée, elle tente de s'enrouler autour de son assaillant et secrète une odeur nauséabonde pour le décourager. Dans certaines situations, elle simule la mort, immobile sur le dos, la gueule ouverte et la langue pendante et libère même un liquide fétide qui parfait la mise en scène.


Applications chamaniques celtiques de jadis : Les Celtes voyaient en la couleuvre à collier le pacifiste exemplaire. Elle n'attaque pas, mais se contente de se défendre en donnant des coups de boutoir avec son museau fermé. Elle ne mord que très rarement. Elle évite la confrontation et préfère simuler parfaitement la mort en attendant que le danger soit passé. Un des mythes celtiques de la création met en avant le serpent "Fleuve de Vie", serpent géant à tête de bélier. Il s'agit d'une couleuvre métamorphosée, la tête de bélier témoignant de sa prédilection à donner des coups plutôt qu'à mordre.

Un des enseignements de la couleuvre à collier est qu'il ne faut pas se fier aux apparences : un serpent, malgré la phobie ou la répulsion qu'il inspire, peut être pacifiste. Un être dont l'aspect nous effraie peut se révéler quelqu'un de très doux et paisible.

A travers leur pratique chamanique, nos ancêtres celtiques rendaient visite à l'esprit de la couleuvre en cas de conflit, elle dispensait ses conseils en ce qui concernait l'attitude à adopter et le travail à faire sur soi face à la situation précise, et remplissait ainsi un véritable rôle de médiatrice. L'esprit de la couleuvre pouvait également être sollicité pour résoudre des conflits collectifs qui touchaient des familles, des groupes, des clans, des communautés. Elle était alors officiellement contactée lors de cérémonies chamaniques ou l'un ou plusieurs chamans se faisaient porte-parole entre l'esprit de la couleuvre et les personnes concernées pour trouver la solution la plus pacifique possible.

La couleuvre était aussi une alliée intime des personnes qui vivaient des conflits intérieurs ; colères, jalousie, sentiment d'injustice, et autres commotions qui les affectaient et généraient une dissension interne.

Elle était également un puissant esprit aidant dans tout travail de développement personnel et spirituel. A ce titre, elle comptait parmi les animaux sacrés et occupait souvent une place éminente auprès des sages.


Applications chamaniques celtiques de nos jours : Aujourd'hui plus que jamais, l'esprit de la couleuvre peut dispenser ses conseils pour aider à résoudre les conflits qui génèrent souffrances et tourments à travers le monde. A tous les niveaux où le collectif est concerné, les suggestions pacifiques de l'esprit de la couleuvre sont très bénéfiques pour tous. Et dans le domaine personnel, chacun peut toujours aller rejoindre l'esprit de la couleuvre dans un voyage chamanique pour demander son aide par rapport aux conflits intimes qui le troublent.

Tout praticien chamanique celtique peut contacter régulièrement l'esprit de la couleuvre et bénéficier de son accompagnement vers une issue pacifique et libératrice hors des écueils du quotidien - petits tracas ou profonds tourments - et participer à son développement personnel et spirituel pour asseoir sa propre sagesse dans la paix la plus profonde.


Mot-clef : Le pacifisme."

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Littérature :


Dans ses Histoires naturelles (1874), Jules Renard brosse des portraits étonnants des animaux que nous connaissons bien qui se résument quelquefois à une formule bien sentie :


La couleuvre

De quel ventre est-elle tombée, cette colique ?

 

Jean Giono, dans le troisième roman de La Trilogie de pan, à savoir Regain (Éditions Bernard Grasset, 1930) évoque brièvement la couleuvre :


Il est venu dans le petit pré une ondulation d'herbe et il ne faisait pas de vent ; à cause de ça, Panturle a vu la couleuvre qui s'en allait sa route, toute frétillante, vêtue de neuf; Quand elle a été au bout du pré, elle s'est retournée ; on voyait qu'elle n'avait rien d'autre à faire que de nager de tout son corps dans la fraîcheur verte. Il y a maintenant, sous l'auvent des tuiles, un petit essaim qui cherche un abri.

[...]

Le vent est dans sa chemise, contre sa peau, tout enroulé, tout frétillant comme une couleuvre.

[...]

Il semble qu'on a étiré le ruisseau, il semble qu'il y en a un, là-haut sur le plateau qui tire sur la queue du ruisseau et un autre, en bas dans les plaines qui tire sur la tête comme quand on veut écorcher une couleuvre.

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Yves Paccalet, dans son magnifique "Journal de nature" intitulé L'Odeur du soleil dans l'herbe (Éditions Robert Laffont S. A., 1992) évoque plusieurs fois la Couleuvre avec affection :

23 septembre

(La Bastide)


Couleuvre, ma sœur, aux ondulations sensuelles, as-tu quitté tes herbes aux frissons inquiétants ? As-tu rejoint ton hypogé séjour, et te reverrai-je au soleil échauffée, nue, noire longue, offerte et sinueuse, dans l'arc frangé de graminées sèches de notre vieux lit de pierres ?

C'est le 28 janvier dernier que j'ai rencontré, dans le domaine, cet exemplaire de couleuvre de Montpellier. J'écrivais ceci :

« Une ogive d'herbes sèches dans un cirque de pierres blanches. Elle est là, longue de deux mètres, le ventre comme le poignet... Dos noir, dessous gris-jaune, "sourcils" proéminents : telle est la seule couleuvre à venin d'>Europe de l'Ouest. Opisthoglyphe. Poison curarisant... J'approche. Elle dresse la tête et se balance à la façon d'un cobra. Puis elle se crispe et coule dans la végétation, incroyablement liquide, jusqu'à son refuge. Tandis qu'elle remet son corps au fourreau de la terre, elle fait vibrer l'extrémité de sa queue - comme un crotale. Je n'ai trouvé décrit nulle part, dans mes livres savants, ce comportement remarquable. »

Durant le printemps qui vint ensuite, je ne cessais de la visiter. Je la trouvais parfois dans son lit minéral, mais elle s'installait le plus souvent au milieu d'un sentier abandonné, d'où elle sautait littéralement au bas du talus quand elle était effrayée. Vers le soir, elle se lovait sur une dalle calcaire qui lui faisait office de radiateur, et elle me contemplait sans grande crainte.

Elle n'a pas reparu cet automne. Je suppose qu'elle est morte. Je n'imagine pas qu'elle ait choisi de rompre.

[...]

17 octobre

(La Bastide)


La couleuvre à échelons regarde à la fenêtre-triangle du vieux mur. Le long cordon de son corps, aux écailles d'une infinie douceur dans la lumière d'automne, se déroule et s'enroule avec volupté parmi les pierres.

Serpent qui retourne à la terre : éternel désir de mère.

[...] 9 novembre

(La Bastide)


Je l'ai rencontrée ce matin, sous la maison - deux secondes, à travers la broussaille. Une couleuvre, mais de quelle espèce ? Énorme, en tout cas, et la plus colorée qu'il m'ait été donné de voir. Un corps brun-rouge, avec sur le dos une frise de losanges beiges et noirs.

Ce n'était probablement qu'un jeu de lumière sur une couleuvre à échelons. Mais ma cervelle envahie de jungles tropicales y a reconnu l'épaisse et dangereuse vipère du Gabon. toute une faune de reptiles africaine sous ma fenêtre, pour me plaire...

24 février

(La Bastide)

[...] Une couleuvre de Montpellier mue dans l'herbe : elle a sur les yeux la peau décollée de sa face ; son regard aveugle est bleu pâle.

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Dans le roman policier intitulé L'Armée furieuse (Éditions Viviane Hamy, 2011) Fred Vargas met Adamsberg face à un amateur de mots croisés particulièrement retors :


"- Je comprends, dit Adamsberg.

Le vieux lui rappelait Félix, qui taillait des vignes à huit cent quatre-vingt kilomètres de là. Il avait apprivoisé une couleuvre avec du lait. Un jour, un type avait tué sa couleuvre. Alors Félix avait tué le type. Adamsberg retourna à la chambre où le lieutenant Justin veillait la morte en attendant le médecin traitant."

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