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Le Sérapias



Autres noms : Serapias ; Sérapie ;



Botanique :


Pierre Lieutagui, auteur d'un article intitulé "Du lis à l’orchidée, du nénuphar au ginseng, d’Aphrodite à Saint Valentin : écologie végétale du territoire amoureux" (Huitième séminaire annuel d'ethnobotanique du domaine européen du Musée départemental ethnologique de Haute-Provence, 2009) permet d'identifier un sérapias parmi les orchidées utilisées par les Anciens :


Même si toutes les orchidées des Anciens sont apparemment des plantes aphrodisiaques à tubercules jumeaux, et que leurs noms principaux orchis et satyrion (grec orkhis et saturion) les désignent d’emblée et de manière groupée comme telles, les auteurs n’en distinguent pas moins plusieurs espèces pour lesquelles on a parfois proposé des identifications plus précises sans qu’elles soient, la plupart du temps totalement certaines. Ces identifications ont été faites à partir des descriptions antiques. Pline l’Ancien, comme Dioscoride, distingue une orchidée à feuille de poireau et à fleur pourpre, appelée orchis (grec orkhis) ou serapias (grec serapias) ; elle désignerait l’orchis bouffon (orchis morio L.)

[...]

Se trouve aussi, peut-être, dans les textes anciens, une orchidée qui, dans notre classement, appartient au genre des Serapias. Le satyrion erythraïcon de Pline et de Dioscoride, cacherait, derrière son nom, selon J. André, le serapias en cœur (Serapias cordigera L.) même si cette espèce peut présenter de 2 à 5 tubercules dont les plus jeunes sont rattachés à la souche par un long pédoncule.

[...]

Pline accorde au satyrion des propriétés excitantes (concitatrix vis), ajoutant qu’il provoque l’érection dans du lait de brebis et la détumescence dans de l’eau. Il affirme même que la « racine » du satyrion erythraïcon des grecs doit simplement être tenue dans la main pour stimuler l’appétit vénérien. Théodore Priscien propose de « réparer la fonction virile » (virile officium reparare) avec le satyrion, lui aussi.

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Usages traditionnels :


François Couplan, dans Le Régal végétal, plantes sauvages comestibles (Éditions Sang de la Terre, 2009) mentionne le fait que :


Les tubercules de plusieurs espèces sont utilisées en Turquie pour la fabrication du salep dont le Serapias vomeracea.

 

Symbolisme :


Valérie Bonet, autrice de "Les orchidées dans le monde gréco-romain." (In : Vita Latina, 2016, vol. 193, no 1, pp. 151-177) rapporte un rite ancien associé au sérapias :


Théophraste, quant à lui, cependant, rapporte un rite de cueillette à propos de l’« herbe à rasoir » (ξι´ρι) en laquelle Suzanne Amigues a reconnu une orchidée du genre Serapias (Serapias vomeracea [Burm.] Briq.). Il faut circonscrire trois fois la plante avant de l’arracher, couper sa racine d’une manière particulière, et offrir à la terre à qui on l’a dérobée des gâteaux de blé trémois au miel, en guise de paiement. Chez Pline, pourtant friand de ce genre de détails, on ne trouve mentionnée qu’une seule amulette à base d’orchidée et donc qu’un seul remède faisant appel au principe magique de contiguïté : la racine du satyrion des Grecs, dit-il comme en passant, seulement tenue à la main stimule l’appétit vénérien. Pline rapporte aussi que le satyrion orchis, espèce femelle de la plante est utilisé pour les maléfices. Rien de plus.

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Mythologie :


Jean-Baptiste Saint-Lager, dans ses Recherches historiques sur les mots plantes males et plantes femelles. (J.-B. Baillière, 1884) propose une explication non dénuée d'un ton moralisateur :


Il en est de même en ce qui concerne le Serapias. De L'Obel suppose que la forme plurilobée des tubercules de certains Orchis n'a pas pu échapper à l'observation des botanistes grecs ; mais au lieu d'admettre avec Tragus, Brunfels, Dodoens, Lonicer, Dalechamps et Gaspard Bauhin que les Orchis à tubercules lobés sont les Satyria , il pense qu'ils étaient rangés par les Grecs dans le groupe du Serapias. Pour justifier son opinion, de L'Obel soutient que la phrase de la Matière médicale de Dioscoride, dans laquelle il est question du Serapias, a éprouvé de la part des copistes une altération qui la rend inintelligible, et que pour lui rendre sa véritable signification il suffit de remplacer l'adjectif polychreston (propre à plusieurs usages) par polyschiston (plusieurs fois fendu). Voici cette phrase de Dioscoride : « Il existe aussi un autre Orchis que quelques botanistes, notamment Andreas, appellent Serapias, à cause des nombreux usages de sa racine (suivant de L'Obel à cause de ses tubercules fendus en plusieurs lobes). Il a des feuilles pareilles à celles du Poireau, allongées, mais plus larges et plus épaisses, recourbées, des fleurs purpurescentes et une racine suspendue au-dessous de deux tubercules en forme de petits testicules. On lui attribue les mêmes vertus aphrodisiaques qu'au Cynosorchis », III, 132 (1).

Il est certain que polyschiston serait incomparablement plus expressif sous le rapport botanique que polychreston, cependant il resterait à démontrer quel rapport existe entre l'idée de tubercules fendus en plusieurs lobes et les emblèmes religieux du culte de Sérapis qui auraient fait donner à une Orchidée le nom de Serapias. Dans le cas où l'on n'y parviendrait pas, il faudrait expliquer quelle est la véritable origine du mot Serapias. C'est ce que nous allons essayer de faire à l'aide des indications fournies sur la mythologie égyptienne par Hérodote (Hist., II, 48 et 49), Strabon (Géogr., XVII), Plutarque (Isis et Osiris), Apulée (Métamorphoses, XI.), et par tous les archéologues qui ont étudié les monuments du pays des Pharaons.

La Trinité égyptienne se compose de trois personnes divines : Sérapis , nommé aussi Osiris , créateur de tout ce qui existe ; Isis représentant la fécondité , et enfin Horos, leur fils. Ce n'est pas ici le lieu d'examiner si , comme le veut Plutarque, l'enseignement des prêtres égyptiens a inspiré à Platon l'idée de sa trinité philosophique, non plus que de rechercher quelle a été son influence sur les doctrines des néo-platoniciens de l'École d'Alexandrie ainsi que sur la formation des dogmes chrétiens.

Les prêtres de l'Égypte avaient une doctrine secrète, dont la connaissance était réservée à quelques rares initiés , mais estimant qu'une religion abstraite et purement philosophique ne saurait convenir à la foule ignorante, ils avaient institué un culte comprenant non seulement les hommages rendus au Dieu infini et éternel sous ses trois formes symboliques, mais encore des honneurs rendus à des divinités subalternes personnifiant les forces de la nature, et même aux animaux utiles à l'homme.

Sérapis-Osiris, tout-puissant créateur, est représenté sous la forme d'un homme d'âge mûr, à figure sévère entourée d'une épaisse barbe, la tête couverte d'une abondante chevelure et coiffée du Calathos en forme de corbeille ou d'une mitre, le front orné d'une fleur de Lotos, tenant dans la main gauche une corne d'abondance ou un phallus et dans la droite un gouvernail ou un fouet, vêtu d'un chiton plissé qui couvre la poitrine et s'entr'ouvre à la partie inférieure pour laisser voir un phallus trois fois plus long que nature, symbole de la puissance génératrice. Dans quelques statues, déjà connues de Plutarque, et dont on peut voir les reproductions dans la Description de l'Égypte (planches tome 1V, texte III, 10, Antiquités) , ainsi que dans le tome IV du Denderah par Mariette-Bey, Sérapis porte l'ithyphallus. Quelquefois il a une tête d'animal, de bœuf, de bélier, d'épervier ou d'ibis.

Isis, mère féconde, est figurée sous la forme d'une femme dans tout l'éclat de la beauté, le corps recouvert d'une robe de couleurs variées et d'un manteau noir bordé de franges, jeté en travers depuis l'épaule droite jusqu'au côté gauche et noué par un bout au-devant de la poitrine. D'une main, elle tient un sistre ; de l'autre, la situle. Elle porte sur la tête tantôt un trône, tantôt un disque avec des cornes de vache. Horos, produit de la force génératrice et de la fécondité, est représenté sous la forme d'un enfant nu, portant le doigt à la bouche. Ces trois divinités sont souvent accompagnées de leur ministre, Anubis, à tête de chacal ou de chien, vêtu d'une tunique à manches courtes qui s'arrête au-dessus du genou et qui est serrée à la taille par une ceinture. Anubis remplit, dans la religion égyptienne, le rôle de messager des Dieux, attribué, dans les mythologies grecque et romaine, à Hermès ou Mercurius. Celui-ci est coiffé du petaso, il a des ailes aux épaules et aux talons et tient à la main un caducée.

Laissant de côté les mystères d'Isis qui ne nous offriraient aucune circonstance se rapportant à la question de l’Orchis Serapias, nous allons rappeler, d'après Hérodote, la principale cérémonie du culte rendu en l'honneur de Sérapis : « C'est Melampus qui , à mon avis , a introduit chez les Grecs les cérémonies du culte de Bacchus et, notamment, la procession du Phallus (Hist., II, 49). Il est fort curieux de constater que les Égyptiens observent dans les fêtes de Bacchus (Hérodote aurait dû dire de Sérapis) les mêmes rites que les Grecs, à l'exception des chœurs de musique et des phallus séparés. Chez eux, les femmes portent, dans les villages, des statuettes d'une coudée de hauteur munies d'un très long phallus qu'elles mettent en mouvement. Un joueur de flûte précède cette procession que les autres femmes suivent en chantant des hymnes en l'honneur du Dieu. (Hist., II, 48. Voyez aussi Plutarque, Isis et Osiris, 31).

Hérodote et Plutarque n'ajoutent à leur récit aucun commentaire, cependant il nous semble qu'ils auraient dû faire remarquer le peu de clairvoyance des prêtres égyptiens qui, sous prétexte d'honorer le pouvoir créateur de Dieu , ont imaginé une cérémonie supposant, de la part de ceux qui l'accomplissent, une innocence digne de l'âge d'or chanté par les poètes. Il était facile de prévoir que la procession du phallus dégénérerait promptement en un dévergondage effréné. Nous savons, en effet, par le témoignage de plusieurs historiens, que les fêtes de Sérapis étaient l'occasion du libertinage le plus éhonté, particulièrement à Canope, où se trouvait le plus célèbre des quarante- trois temples élevés en l'honneur du Dieu égyptien.

L'exposé historique du culte de Sérapis, dont nous aurions voulu pouvoir cacher l'obscène nudité au moyen d'un euphémisme quelconque, était indispensable pour expliquer l'origine, si souvent controversée, du nom de Serapias appliqué à un groupe de la famille des Orchidées. Il nous paraît fort probable que l'inventeur de cette appellation a eu le dessein de comparer la susdite Orchidée à l'attribut impudique des statues du dieu Sérapis ; de sorte que la phrase de Dioscoride qui a tant embarrassé les commentateurs, « le Serapias, ainsi nommé à cause des nombreux usages de sa racine, [en grec] », doit être ainsi restituée : [idem].

La substitution de l'adjectif polychreston à phallomorphon est, sans doute, une innocente supercherie de quelque copiste pudibond et bien intentionné qui à cru pouvoir, d'un trait de plume, supprimer une page peu édifiante de l'histoire. Ah ! si cela était possible, que de faits malpropres, odieux et abominables nous aimerions à effacer de nos Annales, pour le plus grand honneur de l'humanité !

[...]

Aetius et Paul d'Ægine n'ayant donné aucune explication sur leur Triorchis, il est impossible de prendre parti pour l'une ou l'autre hypothèse ; d'autre part, la description du Serapias, donnée par Dioscoride étant tout à fait insuffisante, nous croyons qu'il faut définitivement renoncer à une détermination de cette Orchidée énigmatique et s'en tenir à l'interprétation générale que nous avons donnée du sens phallique de son nom. Inutile d'ajouter que l'attribution qui en a été faite par Linné à un genre d'Orchidées est entièrement arbitraire et conventionnelle.


Note : 1) ) Suivant une tradition rapportée par Dioscoride, la propriété aphrodisiaque appartient au tubercule mou dont la fécule est peu à peu absorbée pour la nutrition de la plante. L'autre tubercule plein et dur est, au contraire, anaphrodisiaque. En outre, si un homme mange celui-ci, il engendre des garçons, et si une femme mange le premier, elle enfante des filles. III, 131.

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Selon Jean-Louis Moret, auteur de l'article intitulé "Etymologie onomastique ou les noms de genres de la flore suisse dédiés à des personnes. Complément." (in : Bulletin du Cercle vaudois de botanique n°39 : pp. 103-108, 2010) :


Serapias L. (Sp. Pl. 2: 949. –Linné 1753), Orchidaceae. Sans dédicace.

Le nom serait dédié à Sérapis (gr. Σεραπιάς), nom grec d’une divinité de l’ancienne Egypte (Le Maout et Decaisne 1855, Gentil 1923, Fournier 1946, Ferrari 1984). Ce dieu de la fertilité, dont le culte a été importé en Egypte depuis l’Asie Mineure par Ptolémée Ier, était aussi célébré en Grèce, et à Rome depuis le Ier siècle av. J.-C.

Dans cette ville, son temple, où se déroulait un culte orgiaque, était surtout fréquenté par le demi-monde. Le nom de l’orchidée lui a probablement été dédié en raison des prétendues propriétés aphrodisiaques prêtées aux bulbes d’orchidées en général (Genaust 2005).

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Voir aussi : Ophrys ; Orchidée ; Sabot-de-Vénus ;



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