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Bleu


Lors du soin reçu hier soir pendant la séance de massage spirituels, je me suis retrouvée d'un bout à l'autre de l'expérience, baignée, noyée, lessivée dans le bleu et une infinité de ses nuances ; une sorte d'œuvre au bleue dont je n'avais jusqu'alors aucune idée... Ce bleu m'a reconnectée au Petit Peuple des fées bleues, elfes et autres lutins schtroumphesques... Petit clin d’œil aussi de la Sylphide bleue qui habite dans le grand séquoïa de Rochasson.

Un bleu qui pour finir s'est évanoui dans la couleur argentée de mon corps sublimé...



Étymologie :


  • BLEU, BLEUE, adj. et subst. masc.

Étymol. ET HIST. − A.− Adj. 1. a) ca 1121 « de couleur pâle, blanchâtre, livide » rocheit blef « liais » (S. Brandan, éd. E. G. R. Waters, 264) ; 1226 face bleve (G. Le Clerc, Trois Mots, 196 dans T.-L.) ; b) 1718 (Ac. : Bleu. En parlant De certains espanchements de sang qui surviennent à la peau, se prend quelquefois pour livide, plombé), d'où subst. infra ; 2. ca 1150 blef « qui est de la couleur du ciel quand il est pur » (Thèbes, 4061 dans Gdf. Compl. : Li paisson qui tienent le tref Sont de color vermeil et blef) ; 1164 blöe (Chr. de Troyes, Erec et Enide, éd. W. Foerster, 1601 dans T.-L.) ; xiie-xiiie s. bleu (Lapidaire de Modène, éd. P. Pannier, Paris, 1889, vers 106). B.− Subst. 1. 1180-1200 « couleur bleue » (Mort Aym. de Narb., 174 dans Gdf. Compl. : Tote la char li revertist en blef); 1577 « matière colorante » (Privil. des .XXXII. bons mét. de Liège, II, 321, 35, ibid. : Bois de Provence, qu'on dist bois de bleu) ; d'où a) 1718 art culin. au bleu (Ac.) ; b) 1851 « vin rouge de mauvaise qualité », supra ; c) 1928 « sorte de fromage » (Lar. 20e) ; 2. 1254 « tissu bleu » dans FEW t. 151, s.v. *blāo ; d'où 1791 « conscrit » (d'apr. Brunot t. 9, p. 994) ; 3. 1863 « marque livide sur la peau, consécutive à un coup » (Littré : Il lui fit des bleus en le pinçant fortement). De l'a.b.frq. *blāo « id. » (Brüch, pp. 32-33; Walt., p. 80 ; REW3, n°1153 ; Bl.-W.5 ; Dauzat 1968 ; FEW t. 15, 1, pp. 146-150 ; EWFS2), à rapprocher de l'a.h.all. blāo, blāwēr, a. sax. blāo, a. nord. blār (Kluge 20, s.v. blau) cité au vie s. sous la forme du b. lat. blavus par Isidore, Orig., 19, 28, 8 dans TLL s.v., 2052, 36. Les formes a. fr. blo(e), blou s'expliquent à partir de la forme primitive blāo, la forme bleu provient du type *bláwu par l'intermédiaire de *blę̄wu. Blef est une forme masc. refaite sur le fém. a.fr. blève (de *blę̄wa).


Lire aussi la définition pour amorcer la réflexion symbolique.

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Expressions populaires :


Claude Duneton, dans son best-seller La Puce à l'oreille (Éditions Balland, 2001) nous éclaire sur le sens d'expressions populaires bien connues :


Passer au bleu : « Mon augmentation est passée au bleu », cela veut dire qu'on me l'avait laissé espérer, puis qu'il n'en a plus été question. Elle « est passée à la trappe », comme peuvent le faire des vacances annulées, ou tout autre gratification promise et supprimée ensuite. Cela se dit aussi parfois d'une chose indésirable qui ne s'est heureusement pas réalisée : « Mon amende est passée au bleu ».

L'expression était relativement nouvelle en 1867 : « Supprimer, vendre, effacer ; manger son bien. Argot des faubouriens. On disait il y a cinquante ans : Passer ou Aller au safran. Nous changeons de couleur, mais nous ne changeons pas de mœurs. » (Alfred Delvau, Dictionnaire de la langue verte).

Il semble donc qu'il y ait eu dans ce changement de couleurs un simple transfert de motivation ; l'utilisation du safran, c'est-à-dire de la couleur jaune, datait du XVIIe siècle parce que dans des temps anciens on « safranait (peignait en jaune) les maisons des banqueroutiers ou de ceux qui avaient été condamnés en justice » (Furetière).

Le passage au bleu de la locution viendrait, selon l'explication donnée par plusieurs commentateurs, de l'habitude qu'avaient les lavandières d'utiliser le bleu anglais ou azur, afin de faire disparaître les dernières taches d'un linge blanc. « En termes de blanchisseuse passer du linge au bleu, le tremper, après le blanchissage, dans une eau imprégnée d'une couleur bleue » (N. Landais, 1836). Le succès de cette technique aurait donc « déteint » sur le jaune traditionnel chez les faubouriens, puis fait oublier le safran métaphorique d'antan, comme un clou chasse l'autre. Pourtant une chose ne colle pas tout à fait : l'effacement des taches sur le linge est un résultat désiré et volontaire tandis que dans la plupart des cas l'annulation d'un avantage promis est désolant (prime, congé, etc.) ; il se constate sur un ton de regret, voire de contestation : « Ah les salauds ! ma prime est passée au bleu ! » A mon avis, il devait y avoir à « bleu » une valeur supplémentaire, attachée à la disparition des choses...

Il y a peut-être un rapport avec une expression mal expliquée que l'on trouve au XVIIIe siècle : faire des coups bleus « Pour dire, faire des efforts inutiles, des tentatives qui ne réussissent point. » (Le Roux, 1752, repris en 1786). Ce sémantisme du bleu, « échec et perte », sous-tend notre expression ; on le trouve dans un dialogue de 1816, cité par Pierre Enckell :


« La Fidélité : Ah ! Ah ! quel singulier hazard ! et vous avez abandonné les munitions de guerre, de bouches ; armes, bagages, en le laissant maître du champ d'bataille ? […]

Rapin : Je me suis cru une baleine aux trousses, et j'ai lâché mes joncs ; mes hameçons, mes lignes, mes vers, tout est bleu.

La Fidélité : C'est bien noir ce qu'il vous a fait là. »

(Cottenet et Carmouche, Les Poissons d'avril, 1816, in DDL 38)


Dans cet exemple, « tout est bleu » signifie tout est perdu, a disparu… Aussi je subodore que notre Passer au bleu tien d'abord de cette valeur-là - que l'on trouve également dans n'y voir que du bleu (en 1837 selon le même document). Une valeur d'escamotage qui se sera croisée avec le « bleu anglais » des lavandières, au prix d'un calembour de hasard...

Car il n'est pas vraisemblable qu'une technique de lessivage, pratiquée entre femmes en des lieux hautement féminins, comme le lavoir ou le bord de l'eau, ait pu fournir à elle seule, tout à coup, une expression populaire aussi courante que passer au bleu. là encore il semble y avoir eu un jeu déterminant sur les mots.

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Symbolisme :


Frédéric Portal, auteur de l'ouvrage intitulé Des couleurs symboliques dans l'antiquité : le moyen-âge et les temps modernes. (Treuttel et Würtz, 1857) explore le symbolisme du bleu :


LANGUE DIVINE. L'air est dans la Bible le symbole de l'Esprit saint, de la vérité divine qui éclaire les hommes. « Le jour de la Pentecôte, les apôtres étaient réunis, alors il se fait tout-à-coup un bruit qui venait du ciel, comme le bruit d'un vent qui souffle avec impétuosité ; et il remplit toute la maison où ils étaient. Et ils virent paraître des langues séparées les unes des autres, qui étaient comme de feu, et qui se posèrent sur chacun d'eux. Et ils furent tous remplis du Saint-Esprit.

Jésus s'entretient avec Nicodème et lui dit : « Le vent souffle où il veut, et tu entends le bruit, mais tu ne sais d'où il vient, ni où il va ; il en est de même de tout homme qui est né de l’Esprit. »

Le Saint-Esprit est Dieu en nous, comme amour et comme vérité ; ces deux attributs réunis avaient pour symbole la colombe. Quand Jésus eut été baptisé, Jean vit l'esprit de Dieu descendant comine une colombe et venant sur lui.

Le symbole de l'Esprit est l'air, ainsi que sa couleur l'azur ou le bleu céleste. Dans le chapitre précédent nous avons apporté plusieurs preuves de ce fait qu'il serait inutile de reproduire ici.

Dans la théologie chrétienne le Saint Esprit procède du Père et du Fils ; Dieu est amour, le Christ est vérité ; le symbole de Dieu comme amour est le rouge, le symbole du Christ comme vérité est l'azur, le Saint-Esprit procédant des deux fut représenté par le rouge et le bleu.

L'antiquité figurait ce dogme par le feu éthéré ; on le retrouve dans l'Hindoustan : le dieu du feu, Agni (Ignis), a deux faces, symboles du feu céleste et du feu terrestre, il est monté sur un bélier de couleur : azurée avec des cornes rouges. Nous retrouvons des attributs semblables dans le Jupiter-Ammon, représenté de couleur bleue, avec des cornes de bélier.

Dans les langues orientales le mot azur signifie le feu, et dans le blason il désigne la couleur bleue ; le Jupiter Axur ou Anxur fait comprendre cette double signification. Suivant les Grecs, dit saint Clément, c'est le feu éthéré qui est leur dieu Zeus (Jupiter). Ils en ont fait le Dieu-suprême, à cause de sa nature ignée. Les fragments de Phérécyde témoignent de ce dogme.

Le feu éthéré, ou le rouge et le bleu réunis, figuraient l'identification de l'amour et de la sagesse dans le père des dieux et des hommes. Nous verrons ce symbole représenté et développé sur les monuments chrétiens par la couleur violette.

Dans les cosmogonies la sagesse divine créę le monde ; le Dieu créateur est toujours de couleur bleue. Vischnou, d'après les livres sacrés de l'Hindoustan, naquit de couleur bleue. N'est-ce pas dire que la sagesse, émanée de Dieu, trouve son symbole dans l'azur ? Sur les monuments indiens publiés par Langlès, Vischnou est deux fois représenté créant le moude : son corps est bleu céleste.

En Égypte, le Dieu suprême, le créateur de l'univers, Cneph, était peint de la couleur du ciel. En Grèce, l'azur est la couleur de Jupiter, père des dieux et des hommes. En Chine, le ciel est le Dieu suprême, et dans la symbolique chrétienne la voûte azurée est le manteau qui couvre et voile la Divinité.

L'homme, créé parla sagesse divine, succombe aux tentations du mal ; la vérité éternelle s'incarne sur cette terre pour le ramener dans la voie du salut. L'azur est encore le symbole affecté au Dieu sauveur des hommes, au rédempteur de l'humanité.

Le dieu indien Vischnou est le soleil divin, la pensée éternelle, le Verbe de Dieu ; il est le principe conservateur, la sagesse divine qui s'incarne dans la per sonne de Krichna pour sauver les hommes. Il naquit, dit le Bagavadam, avec une tache noire à la poitrine, il parut couvert de pourpre royale ; la couleur bleue céleste était celle de son corps ; de là vient le nom de Krichra ou Crisnen. Cette incarnation a ceci de remarquable qu'elle présente l'Être suprême descendu sur la terre et revêtu d'une forme humaine, en conservant la plénitude de son étre divin.

La légende de Krichna a les plus grands rapports avec la vie du Christ ; la naissance dans une étable, le massacre des enfans , se retrouvent dans le Bagavadam ; mais ce ne sont pas seulement les Évangiles, c'est l'Apocalypse qui est reproduit dans les traditions religieuses de l'Hindoustan. « Le Messie n'est pas attendu chez les Juifs, dit M. Langlès, avec plus de sécurité ni d'impatience que la dixième incarnation de Vischnou (Kalki Avatara) chez les trop crédules Hindous ; ils s'attendent chaque jour à voir paraître Vischnou monté sur un cheval, armé d'un cimeterre brillant comme une comète ; il reviendra clore l'âge présent (Kali-Youga), et commencera un âge de vertu et de pureté. On voit que les Hindous, comme la plupart des peuples, ont la tradition prophétique d'un rédempteur, et surtout d'un juge futur. Ce cheval, nommé Kalki, nous rappelle involontairement le cheval blanc dont il est parlé dans l'Apocalypse. »

Prétendre que ces croyances ont été empruntées au christianisme, serait trancher la question au lieu de la résoudre ; les partisans du système de Dupuis pourraient, d'après les mêmes motifs, avancer que notre religion est une secte de vischnouvistes.

Des symboles identiques reparaissent en Égypte : Amon est le Verbe divin, le nouveau soleil, le soleil du printemps. Il fait son entrée dans le cercle d'or de l'année en paraissant dans le signe du bélier ; vainqueur des ténèbres de l'hémisphère inférieur, il répand sa chaleur et sa lumière sur la terre ; son image, d'après Eusèbe, était celle d'un homme assis, d'une couleur d'azur, avec une tête de bélier ; c'est ainsi qu'il est représenté sur les peintures égyptiennes.

Jésus est le nouveau soleil, disent les Pères de l'Église, l'agneau divin sacrifié pour effacer les péchés du monde et vaincre l'esprit des ténèbres. Sur les peintures du moyen-âge, la robe du Messie est bleue pendant les trois années de sa prédication de vérité et de sagesse.

Le dieu indien Agni est monté sur un bélier bleu ; Amon a une tête de bélier, son corps est bleu ; Jésus est l'agneau mystique, sa robe est bleue.

Ces rapprochements seront un nouveau sujet de croyance pour les vrais chrétiens, de scandale pour les incrédules ; mais peu importe que l'homme pèse la sagesse de tous les peuples au poids de sa raison.

Ce qui m'étonne dans le christianisme, ce qui captive mon admiration, est l'unité de ce grand drame religieux. Partout les mêmes croyances, les mêmes dogmes, partout la vérité luttant contre l'erreur ; la vérité toujours repoussée, jamais vaincue ; captive dans les sanctuaires de l'Égypte, elle essaie sa puissance en donnant la liberté au peuple hébreu, et lorsque les symboles matérialisés ont abruti tous les cultes ; lorsque le despotisme a brisé de sa main de fer le droit de tous les hommes ; la révélation vient les initier à la vie éternelle et les émanciper à la vie politique et civile. Certes, si le culte du soleil avait produit un semblable phénomène, le soleil serait Dieu.


LANGUE SACRÉE : La symbolique distingue trois couleurs bleues ; l'une qui émane du rouge, l'autre du blanc, et la troisième qui s'unit au noir ; distinguées souvent par des nuances différentes, quelquefois elles sont confondues dans une seule.

Le bleu émané du rouge représente le feu éthéré ; sa signification est Amour cé leste de la vérité. Dans les mystères il se rapporte au baptême de feu.

Le bleu émané du blanc indique les vérités de la foi ; il se rapporte aux eaux vives de la Bible, ou au baptême d'esprit.

Le bleu uni au noir nous ramène à la cosmogonie, à l'Esprit de Dieu planant sur le chaos ; il se rapporte au baptême naturel.

Ces trois aspects de la même couleur correspondent aux trois degrés principaux de l'initiation antique et au triple baptême chrétien : Pour moi, dit saint Jean-Baptiste, je vous baptise d'eau pour vous porter à la repentance ; mais celui qui vient après moi est plus puissant que moi : c'est lui qui vous baptisera du Saint Esprit et du feu.

Ces trois degrés sont plus particulièrement figurés sur les peintures par le rouge, le bleu et le vert.

Le vert, le noir et le bleu foncé indiquent le monde naissant au sein des eaux primitives et le premier degré d'initiation. L'azur représente la régénération ou la formation spirituelle de l'homme, et le rouge la sanctification.

La Genèse mentionne ces trois degrés ; le premier dans le chaos animé de l'esprit divin ; le second dans la création d'Adam, et le troisième dans la sanctification du dimanche, jour où le Seigneur se reposa ; car la régénération de l'homme est complète à ce suprême degré, et Dieu ne combat plus en nous pour vaincre les tentations du mal.

Les divinités du paganisme étaient les symboles des attributs de Dieu et de la régénération humaine ; si cette théorie est vraie, les divinités secondaires sont des émanations des divinités primitives, qui à elles seules doivent représenter tous les éléments de la doctrine religieuse.

Lorsque Vischnou, le Dieu suprême des Indiens, représente le dernier degré de régénération, il est de couleur verdâtre ou bleu foncé ; Paulin de Saint-Barthélemy voit dans ces couleurs les symboles de l'eau qui, dans la doctrine des Brahmes, fut le premier principe de la création du monde ; les anciens, d'après ce savant, confondaient la couleur bleu foncé avec le vert et même avec le noir.

Saturne comme Memnon, comme Osiris Serapis, comme Kneph-Ammon-Agatho démon-Nilus, comme Vischnou-Narayana, Krichna , Bouddha, était noir ou bleu foncé ; et il est certain, dit un savant français, que tous ces dieux ont un rapport quelconque à l'eau.

Krichna est l'incarnation de la vérité divine, son corps est azuré ; mais abaissé à la condition humaine, il s'est soumis aux tentations du mal et la symbolique indienne lui consacre également le bleu foncé et le noir.

Plutarque dit qu'Osiris était de couleur noire parce que l'eau noircit les substances qu'elle imprègne. Sous cette explication vulgaire, il est facile de saisir la pensée primitive, le Dieu agitant le chaos.

La statue de Saturne, exposée dans son temple, était en pierre noiré ; ses prêtres étaient des Éthiopiens, des Abissins, ou choisis parmi d'autres peuples de race noire ; ils portaient des vêtements bleus et des anneaux de fer. Lorsque le roi entrait dans le temple de cette divinité, sa suite était vêtue de bleu ou de noir. L'opposition de ces deux couleurs représente la lutte de la vie et de la mort dans l'état spirituel et dans l'état matériel qui se manifeste dans le temps dont Saturne est le symbole.

Le temple et la statue de Mercure étaient en pierres bleues ; un de ses bras était blanc, l'autre noir ; Macrobe lui donne une aile blanche et une aile bleue, ou noire, d'après d'autres mythographes. Les plumes blanches ouvraient les portes du ciel, et les plumes noires le seuil de l'enfer. On lui donne de même un manteau blanc et noir.

La couleur bleue, associée au noir, est l'attribut de l'initiateur brisant les portes de la mort spirituelle par la puissance de la vérité ; la couleur blanche témoigne de la régénération complète ouvrant les célestes parvis.

Le bleu noir était la couleur que les Grecs nommaient cyanée ; une fable sacrée raconte ce symbole sous une forme dramatique. Entre l'Asie et l'Europe, à l'entrée du Pont-Euxin, s'élèvent deux amas de rochers ; les flots de la mer en fureur s'y brisent et jaillissent en vapeurs qui obscurcissent l'air : ce sont les écueils Cyanées ; les Argonautes, effrayés à leur aspect, lachèrent une colombe qui les traversa heureusement ; la colombe est le symbole de l'amour divin. Ces navigateurs offrirent des sacrifices à Junon qui leur donna un temps serein : Junon est l'air, symbole de la vérité céleste ; ils sacrifièrent également à Neptune qui fixa ces rochers mobiles : Neptune ou l'eau représente la vérité naturelle ; ainsi l'homme qui se régénère ne peut éviter les écueils du mélange du vrai et du faux qu'en passant par les trois degrés de l'amour de Dieu, de la vérité spirituelle et de leur application aux choses naturelles, bases inébranlables de toute régénération.

Neptune était drapé en vert ; on lui sacrifiait des taureaux noirs ; le bleu était consacré à Junon.

Les mêmes dogmes, les mêmes couleurs reparaissent dans le christianisme : le Messie est couvert du manteau d'azur pendant les trois années qu'il initie les hommes aux vérités de la vie éternelle ; mais il porte des vêtements noirs lors qu'illutte contre les tentations. Les peintures byzantines attribuées à saint Luc, représentent la Vierge avec le visage noir ; sur des tableaux plus modernes, elle est drapée de noir ou de bistre, car Jésus, descendu sur cette terre, a revêtu par sa mère les maux de l'humanité (1).

L'azur dans sa signification absolue représente la vérité divine ; ce qui est vrai, ce qui existe en soi est éternel, comme ce qui passe est faux ; l'azur fut le symbole nécessaire de l'éternité divine, de l'immortalité humaine, et, par une conséquence naturelle, devint une couleur mortuaire.

Le grand-prêtre de l'Égypte portait un saphir sur la poitrine : Cette image, dit Élien, se nommait la vérité. Dans les mystères il était revêtu d'une robe bleu céleste parsemée d'étoiles brodées, et rattachée par une ceinture jaune Ces ornements se retrouvent dans le pectoral d'Aaron et sa robe hyacinthe.

Ce costume des souverains pontifes les désignait comme gardiens de la vérité éternelle ; appliqué aux hommes, l'azur était l'emblème de l'immortalité ; dans les tombeaux égyptiens, on trouve un grand nombre de figurines et d'amulettes bleues.

Les pythagoriciens disaient que l'Éther ou Uranus était l'intelligence ou la monade : après la mort l'âme dépouillant son corps matériel, s'élance dans l'éther libre. Hiéroclès avertit qu'il est ici question de la vérité régénératrice. Il est facile, en rapprochant ce passage des monuments égyptiens, de lire dans la couleur du ciel le symbole de l'âme s'élançant dans l'éternité. ·

En Chine le bleu est la couleur affectée aux morts, le rouge désigne les vivants. Le rouge représente le feu, la chaleur qui vivifie tous les êtres animés ; le bleu est le symbole des âmes après la mort.

L'azur conserva les mêmes acceptions dans la symbolique chrétienne ; sur un manuscrit du dixième siècle, Jésus, au tombeau, est entouré de bandelettes bleues, son visage est également bleu ; le sépulcre est rouge ; sur la pierre paraissent deux anges : celui qui est à la droite du sujet a l'auréole bleue et le manteau violet, symboles de la passion et de la mort du Christ. L'ange de gauche porte l'auréole jaune et le manteau pourpre, symbole du triomphe de l'amour divin et de la révélation.

Le bréviaire de Sarisbury contient plusieurs miniatures sur lesquelles on voit des bierres couvertes d'un drap mortuaire bleu ; sur quelques autres, mais plus rares, le drap est rouge ; enfin sur une seule, le drap mortuaire est rouge et le dais qui couvre le catafalque est bleu. Ces deux couleurs superposées indiquent l'amour divin élevant lame à l'immortalité ; le dais est l'emblème du ciel. Le violet, composé de rouge et de bleu, fut également une couleur mortuaire. Sur le même manuscrit un cercueil est orné d'un drap violet. Sans doute ces livrées de la mort n'étaient pas affectées à tous les rangs de la société : nous en avons la preuve pour le violet ; mais ici je recherche la signification de ces couleurs, indépendamment de de l'attribution qu'on en fit à divers personnages.

Suivant M. Mone, la Vierge parait souvent vêtue de bleu après la mort du Christ ; de là, ajoute M. Guigniaut, le prêtre également vêtu de bleu pour la célébration des sacrés mystères durant le carême ; et aux approches de la semaine sainte, les images du Christ couvertes d'un voile de même couleur.

On reconnaît dans ces cérémonies un premier degré de matérialisation, le symbole de l'éternité divine et de l'immortalité humaine devient l'emblème de la mort charnelle.

« La couleur bleue, dit La Mothe-Le Vayer, est tenue pour mortuaire dans une grande étendue du Levant, où l'on ne porte de deuil qu'en bleu, et où l'on n'oserait paraître devant les rois avec un habit de si triste livrée, comme, pour la même raison, on ne prononce jamais en leur présence la fâcheuse parole de la mort. »

Ces coutumes montrent le symbole complètement matérialisé.


LANGUE PROFANE : La couleur de la voûte céleste, l'azur fut dans la langue divine le symbole de la vérité éternelle ; dans la langue sacrée, de l'immortalité ; et dans la langue profane, de la fidélité.

Des scarabées en pierres bleues ornaient les anneaux des guerriers égyptiens, il en existe un grand nombre dans les collections d'antiquités ; ces anneaux étaient les symboles du serment de fidélité que prêtaient les soldats. D'après Horapollon, le scarabée était le symbole de la virilité. L'anneau sur lequel était son effigie, et que les militaires devaient porter, signifiait, d'après Élien, que tous ceux qui combattaient devaient être mâles, c'est-à-dire qu'ils devaient rester fidèles à leur serment.

Dans le blason le bleu signifie chasteté, loyauté, fidélité et bonne réputation.

Ainsi du dogme de l'éternelle sagesse l'homme passe à la contemplation de son immortalité ; le dogme s'oublie, le symbole se matérialise et n'a plus de nos jours que la signification de fidélité.


Note : 1) J'ajouterai ici un passage du philosophe chinois Lao-Tseu : « Le Tao est le principe du ciel et de la terre ; les deux modes d'être du Tao sont sa nature insaisissable et sa nature corporelle phénoménale ; ensemble on les nomme bleues ou incompréhensibles ; bleues et encore bleues ou incompréhensibles au dernier degré. »

« Le bleu, ajoute un commentateur chinois, est une couleur formée de noir et de rouge, mêlés ensemble pour faire une seule couleur, (On retrouve ici le symbole de la cosmogonie dans l'union de l'Amour et de l'Érèbe qui, d'après Hésiode, donna naissance à l'éther.) La couleur du ciel est bleue, ajoute le commentateur chinois, c'est le Jin et le Jang (ou le principe obscur et le principe brillant, le principe passif et le principe actif, le principe femelle et le principe mâle) réunis en un seul.

Tous les êtres corporels sont les produits de la nature insaisissable émanée du Tao ; c'est pourquoi il est dit : le bleu et encore bleu est la porte de toutes les natures insaisissables ou subtiles. » (Paulthier, specimen d'une traduction du Tao-te-king, à la suite de la Philosophie des Hindous, par Colebrooke.)

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Dans son Traité des couleurs (1ère édition 1810 ; Triades-Editions, 1973) Goethe affecte des caractéristiques particulières au bleu :


"778 - Le jaune apporte toujours une lumière, et l'on peut dire que que même, le bleu apporte toujours une ombre.

779 - Cette couleur fait à l’œil une impression étrange et presque informulable. En tant que couleur, elle est une énergie ; mais elle se trouve du côté négatif, et dans sa pureté la plus grande, elle est en quelque sorte un néant attirant. Il y a dans ce spectacle quelque chose de contradictoire entre l'excitation et le repos.

780 - Nous voyons bleus le ciel dans les hauteurs, les montagnes au loin, et de même une surface bleue semble reculer devant nous.

781 - Comme nous suivons volontiers un objet agréable qui fuit devant nous, nous regardons volontiers le bleu, non parce qu'il se hâte vers nous, mais parce qu'il nous attire.

782 - Le bleu nous donne une impression de fraîcheur, et aussi nous rappelle l'ombre. Nous savons qu'il est dérivé du noir.

783 - Des chambres tapissées uniquement de bleu paraissent dans une certaine mesure grandes, mais en fait vides et froides.

784 - Un verre bleu fait voir les objets dans une lumière triste.

785 - Le bleu qui participe quelque peu du Plus n'est pas désagréable. Bien plus, le vert de mer est une couleur aimable."

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Dans son Traité du langage symbolique, emblématique et religieux des Fleurs (Paris, 1855), l'abbé Casimir Magnat propose une version très catholique dix-neuviémiste des équivalences symboliques, ce qu'on ne saurait évidemment lui reprocher :

COULEUR BLEUE.


EMBLÈME : Sagesse - Pureté de sentiments - Respect - Piété - Loyauté - Fidélité.

L'azur fut le symbole de l'immortalité humaine. Le grand -prêtre de l'Égypte était revêtu, dans les mystères, d'une robe bleu-céleste, parsemée d'étoiles d'or ; les mêmes ornements se retrouvent dans le pectoral d'Aaron et sa robe hyacinthe. Le costume des souverains pontifes les désignait comme les gardiens de la vérité éternelle. En Chine, le bleu est la couleur affectée aux morts. Des scarabées en pierres bleues ornaient les anneaux que devaient porter les guerriers égyptiens ; ces anneaux étaient l'emblème du serment de fidélité prêté par les soldats. Dans le blason, le bleu signifie chasteté, loyauté, fidélité et bonne réputation.

Les anciens donnaient une écharpe bleu-de-ciel à Junon quand elle représentait l'air. Comme le ciel est bleu et qu'ils le regardaient comme le séjour de la sagesse éternelle, ils paraient Minerve d'un manteau de la même couleur.

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Dans le Dictionnaire des symboles (Robert Laffont, 1969 ; édition revue et corrigée 1982) de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, on apprend que :


"Le bleu est la plus profonde des couleurs : le regard s'y enfonce sans rencontrer d'obstacle et s'y perd à l'infini, comme devant une perpétuelle dérobade de la couleur. Le bleu est la plus immatérielle des couleurs : la nature ne le présente généralement que fait de transparence, c'est-à-dire de vide accumulé, vide de l'air, vide de l'eau, vide du cristal ou du diamant. Le vide est exact, pur et froid. Le bleu est la plus froide des couleurs, et dans sa valeur absolue la plus pure, hors le vide total du blanc neutre. De ces qualités fondamentales dépend l'ensemble de ses applications symboliques.

Appliquée à un objet, la couleur bleue allège les formes, les ouvre, les défait. Une surface passée au bleu n'est plus une surface, un mur bleu cesse d'être un mur. Les mouvements et les sons, comme les formes, disparaissent dans le bleu, s'y noient, s'y évanouissent comme un oiseau dans le ciel. Immatériel en lui-même, le bleu dématérialise tout ce qui se prend en lui. Il est chemin de l'infini, où le réel se transforme en imaginaire. N'est-il pas la couleur de l'oiseau du bonheur, l'oiseau bleu, inaccessible et pourtant si proche ? Entrer dans le bleu c'est un peu comme Alice au Pays des Merveilles, passer de l'autre côté du miroir. Clair, le bleu est le chemin de la rêverie, et quand il s'assombrit, ce qui est conforme à sa tendance naturelle, il devient celui du rêve. La pensée consciente y laisse peu à peu la place à l'inconsciente, de même que la lumière du jour y devient insensiblement lumière de nuit, bleu de nuit.


Domaine, ou plutôt climat de l'irréalité - ou de la surréalité - immobile, le bleu résout en lui-même les contradictions, les alternances - telle celle du jour et de la nuit - qui rythment la vie humaine. Impavide, indifférent, nulle part ailleurs qu'en lui-même, le bleu n'est pas de ce monde ; il suggère une idée d'éternité tranquille et hautaine, qui est surhumaine - ou inhumaine. Son mouvement, pour un peintre comme Kandinsky, est à la fois un mouvement d'éloignement de l'homme et un mouvement dirigé uniquement vers son propre centre qui, cependant, attire l'homme vers l'infini et éveille en lui le désir de pureté et une soif de surnaturel. On comprend dès lors et son importante signification métaphysique, et les limites de son emploi clinique. Un environnement bleu calme et apaise, mais à la différence du vert, il ne tonifie pas, car il ne fournit qu'une évasion sans prise sur le réel, qu'une fuite à la longue déprimante. La profondeur du vert, selon Kandinsky, donne une impression de repos terrestre et de contentement de soi, tandis que la profondeur du bleu a une gravité, solennelle, supra-terrestre. Cette gravité appelle l'idée de la mort : les murs des nécropoles égyptiennes, sur lesquels se détachaient en ocre rouge les scènes de jugement des âmes, étaient généralement recouverts d'un enduit bleu clair. On a dit aussi des Égyptiens qu'ils considéraient le bleu comme la couleur de la vérité. La Vérité, la Mort et les Dieux vont ensemble, et c'est pourquoi le bleu céleste est aussi le seuil qui sépare l'homme de ceux qui gouvernent, de l'au-delà, son destin. Ce bleu sacralisé - l'azur - est le champ élyséen, la matrice à travers laquelle perce la lumière d'or qui exprime leur volonté : Azur et Or, valeurs femelle et mâle, sont à l'ouranien ce que sont Sinople et Gueules au chtonien. Zeus et Yahvé trônent les pieds posés sur l'azur, c'est-à-dire sur l'autre côté de cette voûte céleste que l'on disait en Mésopotamie faite de lapis-lazuli et dont la symbolique chrétienne a fait le manteau qui couvre et voile la divinité. D'azur aux trois fleurs de lys d'or, le blason de la maison de France proclamait ainsi l'origine théologale, supra-terrestre, des Rois Très Chrétiens.

Avec le rouge ou l'ocre jaune, le bleu manifeste les Hiérogamies ou les rivalités du ciel et de la terre. Sur l'immense steppe asiatique, que n'interrompt aucune verticale, ciel et terre sont depuis toujours face à face ; aussi leur mariage préside-t-il à la naissance de tous les héros de la steppe : selon une tradition non éteinte, Gengis Khan, fondateur de la grande dynastie mongole, naît de l'union du loup bleu et de la biche fauve. Le loup bleu, c'est encore Er Töshtük, héros de la geste khirghizen qui porte une armure de fer bleue et tient en main un boulier bleu et une lance bleue. Les lions bleus, les tigres bleus, qui abondent dans la littérature turco-mongole, sont autant d'attributs cratophaniques de Tangri, père des Altaïques qui siège au-dessus des montagnes et du ciel, et qui est devenu Allah avec la conversion des Turcs à l'Islam.

Paolo Uccello, Saint-Georges et le dragon, v. 1470.

Dans le combat du ciel et de la terre, bleu et blanc s'allient contre rouge et vert, comme en témoigne souvent l'iconographie chrétienne, notamment dans ses représentations de la lutte de saint Georges contre le dragon. A Byzance, les quatre factions de chars qui s'affrontent sur l'hippodrome portaient de rouge ou de vert d'une part, de bleu ou de blanc de l'autre. Et tout invite à croire que ces jeux de la Rome d'Orient revêtaient une aussi haute signification religieuse et cosmique que les jeux de pelote que célébraient à la même époque les Mezo-Américains. Les uns comme les autres constituaient un théâtre sacré, où l'on représentait la rivalité de l'immanent et du transcendant, de la terre et du ciel. Notre histoire en a fait des combats bien réels et meurtriers, où factions opposées continuent à porter les mêmes couleurs emblématiques, au nom du droit divin et du droit humain que chacune prétend incarner : les chouans étaient bleus, les révolutionnaires de l'An II étaient rouges, et telles sont aussi les couleurs politiques qui s'affrontent aujourd'hui, de par le monde.

L'expression sang bleu est ainsi expliquée par un lecteur : "Au Moyen Âge, jurer était un péché mortel, les manants ne s'y risquaient guère mais les seigneurs ne s'en privaient pas, jusqu'au jour où un jésuite, en faveur auprès du roi, leur interdit d'employer le nom de Dieu dans leurs jurons favoris. Ils tournèrent la difficulté en remplaçant Dieu par Bleu. C'est ainsi que "par la mort de Dieu" devint "morbleu", "Sacré Dieu" devint "sacrebleu", "Par Dieu" devint "parbleu", "par le Sang de Dieu" devint "palsembleu", etc... La domesticité, qui entendait fréquemment ce dernier juron, n'en retenait que "sang bleu". Comme l'emploi de ces jurons était un privilège de la noblesse, les valets disaient, pour distinguer un noble d'un roturier : "C'est un sang bleu !" (P.G. Villeneuve Saint-Georges).


Le bleu et le blanc, couleurs mariales, expriment le détachement des valeurs de ce monde et l'envoi et l'envoi de l'âme libérée vers Dieu, c'est-à-dire vers l'or qui viendra à la rencontre du blanc virginal, pendant son ascension dans le bleu céleste. On y retrouve donc, valorisée positivement par la croyance à l'au-delà, l'association des significations mortuaires du bleu et du blanc. Les enfants que l'on voue au bleu et au blanc sont impubères,, c'est-à-dire non encore sexués, non encore pleinement matérialisés ils ne sont pas tout à fait de ce monde ; et c'est pourquoi ils répondront plus aisément à l'appel bleu de la Vierge.

Or, le signe de la Vierge, dans la roue zodiacale, correspond à la saison des moissons où l'évolution printanière s'est achevée, et va laisser la place à l'involution automnale. Le signe de la Vierge est un signe centripète comme la couleur bleue, qui va dépouiller la terre de son manteau de verdure, la dénuder, la dessécher. C'est le moment de la fête de l'Assomption de la Vierge-Mère, qui s'opère sous un ciel sans voiles, où l'or solaire se fait de feu implacable, et dévore les fruits mûrs de la terre. Cet azur, c'est, dans la pensée des Aztèques, le bleu turquoise, couleur du Soleil, qu'ils appelaient Prince de Turquoise (Chalchihuitl) ; il était signe d'incendie, de sécheresse, de famine, de mort. Mais Chalchihuitl est aussi cette pierre vert-bleu, turquoise, qui ornait la robe de la déesse du renouveau. Quand un prince aztèque mourait, on mettait à la place de son cœur une de ces pierres avant de l'incinérer ; comme en Égypte avant de le momifier, on mettait un scarabée d'émeraude à la place du cœur du pharaon défunt. Dans certaines régions de Pologne, la coutume subsiste de peindre en bleu les maisons des jeunes filles à marier.


Selon la tradition hindoue, la face de saphir du Meru - celle du Midi - réfléchit la lumière et teinte de bleu l'atmosphère. Luz, dont nous avans parlé à propos de l'amandier, le séjour d'immortalité de la tradition juive, est aussi appelé la Cité bleue.

Dans le bouddhisme tibétain, le bleu est la couleur de Vairocana, de la Sagesse transcendante, de la potentialité - et simultanément de la vacuité, dont l'immensité du ciel bleu est d'ailleurs une image possible. La lumière bleue de la Sagesse du Dharma-dhâtu (loi, ou conscience originelle) est d'une éblouissante puissance, mais c'est elle qui ouvre la voie de la Libération.

Le bleu est la couleur du yang, celle du Dragon géomantique, donc des influences bienfaisantes. Huan (bleu), couleur du ciel obscur, lointain, évoque comme ci-dessus le séjour d'immortalité, mais aussi, si on l'interprète d'après Tao-te-king (ch. 1), le non-manifesté. Le caractère ancien serait en rapport avec le déroulement du fil d'un double cocon, ce qui rappelle le symbolisme de la spirale. [paragraphe sur les Celtes, voir ci-dessous]

Le langage populaire, qui est par excellence un langage terrestre, ne croit guère aux sublimations du désir et ne voit donc que perte, manque, ablation, castration, là où d'autres voient une mutation et un nouveau départ. Aussi le bleu y prend-il le plus souvent une signification négative. La peur métaphysique y devient une peur bleue, et l'on dira je n'y vois que du bleu, pour dire je n'y vois rien. En allemand être bleu signifie perdre conscience par l'alcool. Le bleu, dans certaines pratiques aberrantes, peut même signifier le comble de la passivité et du renoncement. Ainsi une tradition des bagnes de France voulait que l'inverti efféminé fasse tatouer sa virilité d'une uniforme calotte bleue, pour exprimer qu'il y renonçait. A l'opposé de sa signification mariale, le bleu, ici, exprimait aussi une castration symbolique ; et l'opération, l'imposition de ce bleu au prix d'une longue souffrance, témoignait d'un héroïsme à rebours non plus mâle mais femelle, non plus sadique mais masochiste."

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Dans l'Encyclopédie des symboles (1989, trad. française 1996) établie sous la direction de Michel Cazenave, on peut lire que :


"Parmi toutes les couleurs, le bleu est celle qui est le plus souvent associée au domaine spirituel. C'est une couleur froide, au contraire du rouge et elle incite la plupart des hommes à la réflexion. La psychanalyse l'associe à un état de "détachement de l'âme", à un "mode de vie doux, léger et supérieur". C'est la couleur du ciel et le bleu était ainsi associé dans l’Égypte ancienne au dieu du Ciel Amun, tandis que Gengis-Khan était considéré par son peuple comme l'enfant d'une biche qui symbolisait la terre, et d'un loup bleu qui représentait les forces célestes. G. Heinz-Mohr voit dans le bleu "la couleur la plus profonde et la moins matérielle, le medium de la vérité, la transparence du vide futur : elle est dans l'air, dans l'eau, dans le cristal et dans le diamant. C'est pourquoi le bleu est la couleur du firmament. Zeus et Yahvé posent le pied sur l'azur". Les amulettes de couleur bleue sont censées neutraliser le "mauvais œil". C'est la couleur du manteau du dieu Odin chez les Germains du Nord et de celui de la

Vierge Marie, parfois appelée de façon poétique le "lys bleu". Dans la mythologie de l'Inde ancienne, Vishnou prend une couleur bleue lorsqu'il apparaît sous l'avatar de Krishna tandis que, dans le bouddhisme tibétain, le bleu est la couleur qui correspond à la sagesse transcendante, vairocana, qui s'est délivrée de toutes les illusions et qui atteint à la vacuité que symbolise alors cette couleur. Parce qu'il annonce la vérité et parce qu'il incarne la transcendance. Jésus est aussi représenté avec un habit bleu lorsqu'il prêche la Bonne Nouvelle. "Le bleu, symbole de la vérité et du caractère éternel de Dieu (car ce qui est vrai est éternel) sera toujours le symbole de l'immortalité humaine" (P. Portal). Les habitants de la Chine ancienne avaient une position ambiguë par rapport au bleu. Dans l'art traditionnel, les êtres au visage bleu représentent soit des démons ou des revenants, soit le dieu des lettres K'uihsing, qui se serait suicidé après que ses ambitions avaient été déçues. Il n'existait à l'origine en chinois aucun mot pour désigner la couleur bleue : ch'ing correspondait à toutes les couleurs allant du gris foncé au vert en passant par le bleu, et évoquait également le chemin du savant qui s'adonnait à l'étude la la lumière de sa lampe. Le mot actuel lan signifie en réalité indigo - la couleur des habits usuels de travail. Les fleurs, les yeux, les rubans et les tissus rayés bleus étaient considérés comme des choses affreuses et source de malheur tandis qu'en Europe, la "fleur bleue du romantisme " est liée à l'idée d'un envol de la pensée. En tant qu'élément, le bois était associé en Chine à l'Orient et à la couleur bleue cependant que, dans les ouvrages illustrés du Mexique ancien, le turquoise et l'eau étaient rendus par un bleu-vert clair.

Dans la symbolique populaire d'Europe Centrale, le bleu est la couleur de la fidélité, mais aussi du mystère (conte de "La Lumière bleue"), de l'illusion et de l'incertitude. On ne s'explique guère pourquoi le bleu est associé à l'ivresse (en allemand, blau sein - "être bleu" - signifie "être saoul") : cela tient peut-être à la teinte bleuâtre que prennent au fil des ans le nez et les joues des grands alcooliques, à moins que ne perce dans cette expression la signification négative du bleu que l'on retrouve, par exemple en français , dans "avoir une peur bleue" ou "n'y voir que du bleu", qui renvoient à l'idée que ce qui relève du ciel, comme tout ce qui est sacré en général, peut aussi se montrer destructeur (mysterium tremendum) - ou, selon une morale finalement cynique, ne relever que de l'illusion et de l'inexistence.

Dans la symbolique politique, le bleu est la couleur des libéraux (et des libéraux nationalistes). En France, on appelle "Chambre bleu horizon" le parlement élu à la sortie de la première guerre mondiale, particulièrement nationaliste et conservateur. Il était ainsi fait allusion à la couleur des uniformes de l'armée française, mais l'antithèse y était introduite aux options politiques des "rouges".

Le bleu est peu utilisé dans l'art préhistorique, comme dans l'art des peuples qui ne connaissent pas l'écriture, car peu de matériaux permettent d'en obtenir la couleur. Les étoffes bleues sont particulièrement recherchées dans le Sahara occidental et dans les pays situés au sud du Sahel, ainsi par exemple chez les nomades Reguibat du Sahara occidental autrefois espagnol, chez les Touaregs et en Mauritanie. Il n'est d'ailleurs pas rare qu'on les désigne sous le nom générique d'"hommes bleus", nom par ailleurs associé à la fois à la noblesse de leur attitude et à la crainte que nourrissaient à leur égard les autres populations, particulièrement sédentaires. On retrouve la même notion dans l'expression française qui désignait l'appartenance à l'aristocratie : "avoir du sang bleu".

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Selon Reynald Georges Boschiero, auteur du Nouveau Dictionnaire des Pierres utilisées en lithothérapie, Pour tout savoir sur les Pierres et les Énergies subtiles (Éditions Vivez Soleil 1994 et 2000, Éditions Ambre 2001),


"Le bleu est immatériel, profond, porteur de mystères, d'intuitions, de spiritualité. Se fondre dans le bleu c'est, comme Alice au Pays des merveilles, passer de l'autre côté du miroir, dans le pays des rêves. Le bleu est le domaine de l'irréalité. Apaisant, il fournit une évasion déconnectée du réel, des soucis du quotidien. Cependant, en Égypte Antique, on considérait le bleu comme la couleur de la Vérité. Dans le Bouddhisme tibétain, c'est la couleur de la Sagesse, révélatrice du potentiel des capacités de l'être humain à se transcender.

On différencie nettement les propriétés des bleus soutenus denses, intenses, avec les propriétés des bleus pâles, de même qu'on différencie les bleus francs des bleus violacés ou à tendance verte.


Bleu franc soutenu ou sombre : C'est la couleur de l'esprit transcendé, de l'intuition. Propice à la méditation, à l'introspection, à la recherche de la vérité et de la connaissance. C'est la couleur du Chakra du Troisième Œil, celle qui ouvre le voie à la spiritualité, aux choses de l'esprit. Couleur généreuse, il est sociable, aime le contact spirituel avec autrui, ouvre à l'écoute et au dialogue. Équilibre, il donne un grand sens de la justice, du devoir, de la rigueur, de la loyauté et de la persévérance. Il est sobre et reposant. Conservateur, le bleu l'est dans le respect des traditions et du savoir des ancêtres.

Parmi les bleus soutenus remarquables, on notera : le saphir, le lapis-lazuli, l'azurite, certaines topazes bleues, l'haüyne, la sodalite...


Bleu franc clair : C'est aussi une couleur apaisante qui permet de se dégager de la réalité pour se réfugier dans le spirituel. Elle est féminine, douce, parée de toutes les qualités maternelles. c'est la couleur des idéalistes parfois un peu introvertis et quelque peu émotifs. Les timides et les jeunes filles pré- pubères en font leur couleur de prédilection.

Les plus belles pierres bleu clair : topaze bleue, aigue-marine, disthène...


Bleu nuancé de violet (indigo, lavande, mauve) : C'est encore une couleur très spirituelle, intuitive, qui cache derrière une apparente sociabilité une réserve quelque peu vaniteuse. Elle incline à la culture, au savoir-vivre, au bon goût, au sens artistique, cependant moins à la création artistique qu'au discours sur l’œuvre. c'est la couleur de la civilité dans les relations sociales avec une touche de préciosité, un charme et une élégance irrésistibles. elle permet de se détacher du matériel, de s'éloigner du sordide, de la saleté.

La plus merveilleuse des pierres indigo est la tanzanite, mais certains saphirs revêtent les mêmes nuances.


Bleu nuancé de vert : Couleur intellectuelle par excellence, le bleu turquoise exerce un attrait certain. Il donne une meilleure opinion de soi et permet de trouver équilibre et stabilité. Il facilite les relations sociales, engage au dialogue. Il permet de se discipliner, d'être plus exigeant vis-à-vis de soi, plus méthodique. Il donne aussi beaucoup d'imagination et de rigueur mentale dans l'analyse d'un problème ou d'une situation. C'est une couleur moins introvertie, plus bavarde, plus convaincante, plus à l'écoute des autres et de soi-même.

La plus turquoise des pierres : la turquoise. La chrysocolle et l'amazonite sont aussi de magnifiques pierres parées de ces nuances bleues-vertes."

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Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont, 1995 et 2019), Éloïse Mozzani nous propose la notice suivante :


Le bleu, couleur de l'azur de l'air, de la voûte céleste et du paradis, symbolise la sagesse et la vérité divines,. Consacré à Jupiter, il est associé aux dieux créateurs : « La peau d'Amon, dieu d'air, se teinte de bleu pur ». D'après les livres sacrés, Vishnu naquit de cette couleur. Le bleu foncé (ou quasi noir), qui est la couleur d'Osiris, est également celle de Krishna et de Bouddha.

Le bleu, qui, pour Kandinsky, « attire l'homme vers l'infini et éveille en lui le désir de pureté et une soif de surnaturel », est la plus immatérielle et la plus profonde des couleurs : « Le regard s'y enfonce sans rencontrer d'obstacle et s'y perd à l'infini ». Il représente d'ailleurs l'immortalité et fut une couleur funéraire : en Égypte, les murs des nécropoles étaient généralement enduits de bleu clair tandis que dans la tradition juive, Luz ou « séjour d'immortalité » est appelé la « Cité bleue ». En Chine, c'est la couleur des morts car le bleu symbolise les âmes.

On retrouve ces deux significations principales dans le christianisme : les peintres du Moyen Âge figuraient en bleu la robe du Messie pendant les trois années de sa prédication de vérité et de sagesse. Après la mort du Christ, la Vierge paraît souvent vêtue de bleu. Dès le XVe siècle, le bleu est devenu la couleur de la mère de Jésus. D'où la tradition de « vouer un enfant en bleu », c'est-à-dire de le vêtir de cette couleur, surtout pendant ses trois premières années mais parfois jusqu'à l'âge de sept ans, pour le protéger des maladies (notamment des maux de poitrine) ou du mauvais sort.

Couleur du saphir, de la turquoise, du lapis-lazuli, le bleu est l'emblème de l'amour, de la fidélité et de la pureté des sentiments : la croyance populaire en fait une couleur très bénéfique, qui en outre « suscite la sagesse et la prudence, développe le sens des relations et des initiatives, aide à surmonter les problèmes d'argent ». Celui qui porte du bleu à un procès a toutes les chances de le gagner. La tradition veut qu'une mariée porte quelque chose de bleu pour attirer la chance. Il est la couleur privilégiée des Sagittaires, Poissons et Balances. Sachez également que cultiver dans son jardin des fleurs bleues apporte la quiétude.

Le bleu, qui, depuis le XIIIe siècle, est la couleur de la fonction royale (il fut également l'emblème des Capétiens), convient aux hommes puissants : le bleu clair ou vif sera choisi par les hommes jeunes et les grands sportifs, le bleu sombre par les hommes d'âge mûr et par tous ceux et toutes celles qui détiennent un pouvoir politique ou financier.

Il a des propriétés curatives : les Anglais prescrivent le port d'un ruban bleu pour lutter contre les maladies, l'anémie, la fièvre, les abcès ou les érythèmes. Contre la goutte, un ruban bleu, sur lequel étaient enfilées des coquilles d'escargot, était parfois porté en jarretière. Outre-Manche toujours, encore au siècle dernier, les femmes qui allaitaient se suspendaient autour du cou des brins de laine bleue afin d'éviter les fièvres. Les colliers de perles bleues protègent des bronchites. Dans les années 1910, un médecin des écoles observa qu'à Wimbledon, de nombreux élèves qu'il avait examinés portaient de tels colliers censés les mettre à l'abri des angines et des rhumes de cerveau.

Selon une croyance signalée dans le monde de la corrida, les toreos considéraient qu'il était de mauvais augure que la couleur bleue dominât dans la cocarde du taureau.

En Orient, le b leu conjure le mauvais œil (on y trouve d'ailleurs des graines de cette couleur appelées buchuks qui protègent individus, enfants, maisons, bateaux, etc.). En Inde, il éloigne démons, sorciers, mauvaises influences. Dans les pays du bassin méditerranéen, notamment en Égypte, en Syrie, en Grèce et au Liban, le bleu a fréquemment une valeur amulettique (pierres ou œil de verre bleus). En même temps, selon un dicton arabe : « Méfie-toi de l'œil bleu ». Peu répandus dans ces contrées et par conséquent suspects, les yeux bleus sont assimilés au mauvais œil.

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D'après Didier Colin, auteur du Dictionnaire des symboles, des mythes et des légendes (Hachette Livre, 2000) :

Par son analogie avec l'eau, le bleu est lui aussi associé à la vie spirituelle, à l'âme, à la pureté, à la profondeur et au cristal. Par ailleurs, le bleu est aussi en rapport avec l'azur, le firmament, le ciel, l'infini, l'absolu et le diamant. C'est ainsi que le blanc et le bleu présentent de nombreux points communs, à la différence que le bleu est vraiment une couleur.

A ce sujet, il est amusant de souligner que les lavandières d'antan se seraient d'une matière de couleur bleue, la poudre de cobaltine que l'on surnommait le bleu d'azur ou le bleu de lessive, pour donner plus d'éclat au linge blanc. Ce produit s'utilise d'ailleurs encore aujourd'hui. Le lien entre le bleu et le blanc se retrouve encore dans la racine étymologique néerlandaise de bleu, blàr, qui signifiait aussi bien "bleu" que "livide" ou "blême".

De même, si les revenants apparaissent souvent revêtus de blanc, les dieux mythiques éternels et les démons immortels sont fréquemment représentés avec une tête et un corps bleu, notamment en Inde. D'où l'expression toujours en usage chez nous : avoir "une peur bleue". Quoi qu'il en soit ,l'apparition du bleu dans un rêve est presque toujours un heureux présage, en ce sens qu'il révèle souvent un état de grâce, une relation avec l'esprit supérieur qui sommeille en chacun de nous et les aspirations spirituelles dont nous sommes plus ou moins conscients ou préoccupés à l'état de veille. Le bleu doit toujours être associé au bien-être, à la douceur, à l'harmonie, aux sentiments purs et profonds. Il apaise la fièvre, les passions, les tensions. Il conjure les mauvais sorts. Il absorbe le mal. Le bleu est donc bénéfique et c'est la couleur de l'amour. D'ailleurs, ne dit-on pas : "Yeux bleus, yeux d'amoureux"... ?

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Dans Une Histoire symbolique du Moyen Âge occidental (Éditions du Seuil, collection La librairie du XXIème siècle, 2004), Michel Pastoureau nous explique l'histoire du bleu :


"Dans l'Occident de la fin du Moyen Âge, la diffusion matérielle des armoiries est telle que ces couleurs tombent sous le regard en tous lieux et en toutes circonstances. Elle font partie du paysage quotidien, y compris au village car n'importe quelle église paroissiale, à partir du milieu du XIIIe siècle, devient un véritable "musée" d'armoiries. Et ces armoiries sont toujours porteuses de couleurs : même lorsqu'elles sont sculptées (sur les clefs de voûte ou les pierres tombales , par exemple) elles sont peintes, car les couleurs sont un élément indispensable pour les lire et les identifier. De ce fait, il est probable que l'héraldique a joué un rôle considérable dans l'évolution de la perception et de la sensibilité chromatiques des hommes et des femmes à partir du XIIIe siècle. Elle a contribué à faire du blanc, du noir, du rouge, du bleu, du vert et du jaune, les six couleurs "de base" de la culture occidentale (ce qu'elles ont restées jusqu'à nos jours, du moins dans la vie quotidienne).


Histoire du bleu : Enfin, à partir des années 1140, le vêtement médiéval n'est pas à l'abri de phénomènes de vogue et de mode, et ceux-ci portent fréquemment sur la couleur. En ce domaine, le fait marquant, constituant presque une "révolution" par rapport aux siècles précédents, c'est le triomphe des tons bleus dans toutes les classes de la société. Cette "révolution bleue" naît en France dans les années 1140, s'intensifie dans la seconde moitié du XIIe siècle et triomphe partout, y compris dans les pays d'Empire, au siècle suivant.

Cette promotion du bleu dans l'étoffe et le vêtement entraîne un recul des autres couleurs. Non pas tant du rouge, auquel le bleu fait désormais une forte concurrence mais qui reste néanmoins très présent dans le vêtement (pour voir vraiment décliner les tons rouges dans le costume et dans la vie quotidienne, il faut attendre le XVIe siècle), que du vert et, surtout, du jaune. Rares sont, après les années 1200, les hommes et les femmes qui en Europe occidentale s'habillent de jaune, et ce aussi bien dans le monde des princes que dans celui des roturiers. De même, si certaines associations de couleurs connaissent, à partir de cette date, une vogue sans précédent : bleu et blanc, rouge et blanc, noir et blanc et même rouge et bleu, d'autres régressent : jaune et rouge, jaune et vert, rouge et noir et surtout rouge et vert, association bichrome qui était la plus en vogue dans le vêtement aristocratique depuis l'époque carolingienne. [...]

Il s'agit d'un fait de société et de sensibilité d'une portée considérable qui introduit dans la culture occidentale un nouvel ordre des couleurs, ordre sur lequel nous vivons encore partiellement aujourd'hui. Le bleu, qui comptait peu dans les sociétés antiques et que les Romains n'aimaient guère (pour eux c'était la couleur des Barbares), était resté relativement discret pendant le haut Moyen Âge. Or, soudainement, à partir des années 1140, il envahit toutes les formes de la création artistique, devient une couleur christologique et mariale, puis une couleur royale et princière, et, dès la fin du XIIe siècle, commence même à faire concurrence au rouge dans de nombreux domaines de la vie sociale. Le siècle suivant est le grand siècle de la promotion du bleu, si bien qu'à l'horizon des années 1300 on peut admettre qu'il est déjà devenu, à la place du rouge, la couleur préférée des populations européennes. Il l'est resté jusqu'à aujourd'hui."

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Symbolisme celte :


Selon Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, dans le Dictionnaire des symboles (1ère édition, 1969 ; édition revue et corrigée Robert Laffont, 1982) :


"Les langues celtiques n'ont pas de terme spécifique pour désigner la couleur bleue (glas en breton, en gallois et en irlandais signifie bleu ou vert, ou même gris, selon le contexte, et, quand la distinction est indispensable, on utilise des substituts ou des synonymes. Glesum est, en celtique ancien latinisé, le nom de l'ambre gris). Le bleu est la couleur de la troisième fonction, productrice et artisanale. Mais il ne semble plus avoir, dans les textes moyen-irlandais et gallois, de valeurs fonctionnelles comparables à celles du blanc et du rouge. César relate toutefois que les femmes des Bretons paraissent nues, le corps enduit de couleur bleue, dans certaines cérémonies religieuses, et un ancêtre mythique des Irlandais s'appelle Goedel Glas Goidel le bleu : c'est lui l'inventeur de la langue gaélique (assimilée à l'hébreu)."

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Symbolisme onirique :

Selon Georges Romey, auteur du Dictionnaire de la Symbolique, le vocabulaire fondamental des rêves, Tome 1 : couleurs, minéraux, métaux, végétaux, animaux (Éditions Albin Michel, 1995),


"Pour situer d'un trait la symbolique du bleu, il suffirait de rappeler que, par ses principales manifestations naturelles, cette couleur s'offre au regard et se refuse à la main. Un regard s'emplira de la profondeur d'un ciel d'azur, il s'émerveillera devant les reflets bleutés jouant dans les cristaux de neige, il réagira à la candeur ou à la froideur d'un œil bleu. La main n'atteindra jamais le bleu du ciel, le bleu de lamer, le bleu des yeux !

Couleur de l'infini, le bleu est, de ce fait, celle d'un mystère. C'est la couleur d'un vide plein de rien ! Plein de tout ce qui est inaccessible aux lois sensibles du monde manifesté. Il est la marque d'un univers dont l'approche requiert l'abdication préalable des repères sensoriels.

Le sens de chacune des couleurs de base, dans l'imaginaire, se trouve éclairé - quand ce n'est pas révélé - par une autre couleur. Celle-là prend rang d'association dominante, joue le rôle d'opposant et, donc, de faire-valoir. Ainsi du noir pour le blanc, du blanc pour le rouge, du rouge pour le bleu.

Le rouge onirique ouvre violemment un devenir terrestre, l'implication dans les joies et les tourments d'un rapport charnel et matériel au monde. Il est le support d'un élan de réalisation, d'un appel des sens, qui impliquent le rapport à l'objet. Le bleu est promesse d'une paix qui n'est pas compatible avec les exigences de l'incarnation. Il est un chemin ouvert sur un accomplissement froid. D'un froid qui n'est pas appréciable par rapport aux chaleurs de la terre. D'un froid que nulle échelle de mesure ne permettra de situer puisqu'il s'inscrit dans le rien ! Le bleu est profondeur, éloignement, renoncement, repos.

Les vertus apaisantes, démobilisantes, d'un décor bleu sont aujourd'hui bien connues. Le bleu qui s'étend sur le rêve agit aussi comme un baume qui calme les douleurs trop vives, prépare les cicatrisations. Une psychologie atteinte par une souffrance intolérable, non réductible, peut demander au bleu, nous le montrons dans l'article consacré au bleu et au blanc associés, d'être l'accompagnateur dans le passage vers la paix ultime. Comme pour toutes les autres couleurs, on sera justement tenté de s'interroger sur les propriétés oniriques particulières de plusieurs nuances de bleu. Du bleu azuréen au bleu marine, en passant par le bleu roi et quelques autres, l'interprétation ne trouverait-elle pas matière à quelques orientations spécifiques ? La réponse tient dans une autre question : pourquoi faudrait-il exiger plus de précisions que celles qui conviennent à l'imaginaire ? L'exploration des scénarios montre que les rêveurs éprouvent rarement le besoin de qualifier le type de bleu qu'ils voient. La spécification intervient dans moins de 10 % des documents étudiés. Encore est-ce, le plus souvent, pour évoquer un souvenir tel que "là, je me revois, au collège, avec ma jupe bleu marine et mon chemisier blanc..." Les grands rôles du bleu se jouent tous dans la même couleur : celle d'une libre inspiration.


Teintes mariales, le bleu et le blanc s'associent, se complètent, se confortent. Une aile d'ange, le plus petit nuage blanc suffisent à modifier la tonalité onirique d'un ciel bleu. Pour ne prendre en observation que les rêves dans lequel intervient un bleu pur, un bleu fort, un bleu solitaire, le chercheur est entraîné dans deux régions opposées de la profondeur bleutée. L'imaginaire propose deux façons de se perdre, ou de se retrouver, dans le bleu.

Les corrélations les plus fortes se répartissent à égalité entre les images du ciel et celles de l'eau. Les unes comme les autres sont présentes dans plus de 60 % des scénarios. C'est dire que bien des rêves exposent la double expérience du départ dans le ciel et de la plongée dans les fonds marins. D'une part on relève le ciel infini, l'autre monde, l'immensité de l'espace, de l'autre l'immersion. La chaîne d'associations dans laquelle s'intègre le leu possède d'autres maillons. Le froid, la glace, la neige apparaissent dans 50 % des scénarios pris en référence, puis l'autre côté, le passage, dans 43 %, la paix, le clame, le repos, la tranquillité, l'indifférence, dans 37 %, enfin la mère et le moi lumineux chacun dans 30 % des rêves.

L'indifférence ! Comment empêcher la pensée de rebondir sur ce mot ? L'indifférence résonne ici de son sens le plus radical, qui renvoie à l'Unique, à l'Indifférencié dont émaneront les principes composant la matrice d'un monde encore à l'état virtuel.

Le bleu-principe pourrait bien être apparenté à l'animus, ce qui fournirait une explication plausible des fréquentes interventions de l'homme-bleu, de la figure hiératique du touareg, venu de nulle part, dans les rêves féminins. Dans l'article consacré à l'Arabe, on trouvera la confirmation de cette proposition. Deux courtes séquences vont illustrer les réflexions qu précèdent.

Geneviève, dans son quatrième rêve, est dans un désert : "... Sur une dune apparaît un Touareg, un homme bleu, debout... il est très beau, dans sa grande robe bleue ou blanche... il a le visage caché... ce Touareg est très sage, chaleureux, mais il ne manifeste pas beaucoup. Il se dégage de lui une impression de tranquillité... j'ai maintenant envie de regarder l'eau... les yeux du Touareg étaient noirs, ils sont devenus bleus, bleus et assez doux, je crois... i:pression qu'il est privé de tout mais qu'il n'a besoin de rien... là... j'ai le sentiment de communion avec l'espace, avec l'immensité..."

La conviction qu'un bleu donne accès à la connaissance venue d'un au-delà de la conscience objective est accentuée dans un passage du quinzième scénario de Maud. La rêveuse, dans cette séquence du rêve, est accompagnée par une petite fille "qui est peut-être mon double !". "C'est un vieil homme, barbu, avec des yeux très bleus... je n'ai pas réussi à parler avec la petite fille... je crois qu'on aimerait bien, toutes les deux... elle doit avoir sept ou huit ans... c'est une petite fille qui vient d'un autre monde... et qui... oui... elle connaît déjà les choses ! Elle a une connaissance que n'ont pas même les adultes... elle pose ses mains sur les miennes et dit doucement : "Je suis là... je te dirai tout si tu veux, mais, pour l'instant écoute ! Écoute le bruit de la mer, le bruit du vent... le temps du silence... le vieil homme nous dira des choses, sur la mer, le ciel, la profondeur... ce que j'ai à te dire, tu peux l'entendre en écoutant autour de toi... en te laissant imprégner... de ce quelque chose qui existe et que tu n'entends pas... qui est invisible et à la fois très présent... "Le vieux monsieur est dans la barque, les yeux baissés comme s'il était autant à l'intérieur qu'à l'extérieur... il est très calme, très paisible... l'espace, autour de nous, est complètement infini... j'ai envie que la barque se renverse, qu'on aille explorer sous l'eau... je me vois sous l'eau, les corps sont souples, le vieil homme n'a plus d'âge... c'est bleu... très bleu... très lumineux..."

La nature immatérielle du bleu, la distance à laquelle il se tient des passions humaines, en font le contrepoint idéal du rouge, de cette couleur du sang, si terrestre, si engagée. C'est par rapport à celle-là que le bleu s'affirmera souvent comme l'agent d'une dynamique d'apaisement. Une psychologie emportée dans les tourments de la compétition, de réactions passionnelles et souvent conflictuelles, un rêveur prompt à "voir rouge" trouveront dans le bleu le chemin du retour à l'équilibre, à la sérénité.


Les scénarios dans lesquels le bleu assume une fonction onirique déterminante peuvent être classés en trois groupes :

  • celui dans lequel le symbole, parfois accompagné du blanc, révèle une aspiration aux altitudes azuréennes, ou aux vertiges du "grand bleu". Il est alors quête de l'unité d'être, de la paix que procurera l'union, en soi, du sacré et du terrestre ;

  • celui dans lequel le bleu s'oppose ostensiblement au rouge. Dans la presque totalité des rêves de ce groupe, le mouvement perceptible s'accomplit dans le sens d'un itinéraire qui mène du rouge au bleu. Il arrive cependant que la proposition soit inversée. Une psychologie qui s'est placée hors d'atteinte des souffrances du passionnel peut éprouver, après un temps, le besoin de rétablir un équilibre en se rapprochant du rouge. Le cinquante-troisième scénario de Cédric propose une bonne illustration de ce type de situation ;

  • celui, enfin, dans lequel le bleu et le rose apparaissent ensemble ou en alternance et qui mettent l'emphase sur la valeur animus du bleu.

Dans l'article "bleu et blanc", on trouvera les images dramatiques du cinquième scénario d'Arsène, multirécidiviste de la tentative de suicide. Le rêveur affirme son désir de ne plus vivre. Il se voit, au bord d'une baignoire, se vidant de son sang dans l'eau qui devient rouge. Quelques minutes plus tard, Arsène est dans l'église de son village natal. Il voit une splendide coupole bleue, lumineuse, sur laquelle sont peints des anges blancs. Le jeune homme dit son impression de pouvoir atteindre ce bleu, le toucher avec la main. Ici la symbolique devient cruelle : le corps se déleste de son sang pour que l'esprit accède à la pureté ultime. L'abandon du rouge est la condition pour atteindre le bleu.

Le cinquante-troisième scénario de Cédric exprime une évolution de sens diamétralement opposé. Il s'agit là d'une dynamique de réconciliation avec le terrestre, de reconnaissance du besoin de relation vivante, rouge, au corps maternel : "... Je vois un liquide bleu qui tombe, goutte à goutte, et qui, très progressivement, colore l'eau d'un aquarium. Cet aquarium, complètement hermétique, repose sur la pointe d'une pyramide... l'eau devient presque toute bleue, d'un bleu profond et la pyramide se met à enfler et devient une poitrine de femme, sur laquelle repose toujours l'aquarium bleu. Une fois que l'aquarium est devenu très très bleu, le verre finit par éclater... le sein qui est dessous se fait asperger devient tout bleu... je vois une bouche de bébé qui s'approche... pour téter... mais il ne peut pas, à cause de la couleur bleue !... Il est repoussé par ce bleu... (très long silence)... le cordon ombilical qui le relie à ce sein l'empêche de trop s'éloigner, alors qu'il en a envie... il finit par prendre des ciseaux et par couper le cordon... il regarde dans le cordon... le sang arrive, par à-coups et, comme dans les comédies, comme quand l'enfant regarde par l'orifice, il reçoit en pleine figure le sang maternel..."

Il serait difficile de mieux exprimer que par ces images le double effet d'un retour au rouge qui signe la réalisation de l'autonomie et la réhabilitation du sentir. Le goutte-à-goutte d'un liquide bleu répandu sur un sein de mère est de même nature que ce liquide bleu par lequel la publicité expose l'efficacité des protections féminines. Il est un non-dit du rouge ! Il me faut préciser que ce rêve a été produit il y a bien des années, avant que la concurrence publicitaire ait répandu sur les écrans de la surabondance de cet étrange sang bleu.

*

Le bleu du rêve reproduit la fascination multi-millénaire des créatures vivantes par le bleu du ciel. Le bleu est la couleur de l'inaccessible, de la profondeur. De la profondeur du ciel u de la profondeur marine. Il est appel de l'esprit, révélation de l'immatériel mais aussi distance, séparation, fin.

Le praticien qui reçoit des images colorées de bleu portera d'abord son observation sur l'environnement du symbole, pour déterminer la couleur qui lui donne la réplique. S'il s'agit du rouge, l'analyse s'engagera vers le rapport entre les turbulences affectives du rêveur et son attitude consciente vis-à-vis des choses de l'esprit. S'il s'agit du blanc, on soupçonnera une infinie nostalgie qui se rapporte, dans la confusion, à la fois au souvenir d'une origine spirituelle et à celui du ventre maternel. on se reportera utilement à ce propos, aux développements exposés dans l'article consacré au bleu et au blanc associés. S'il s'agit du rose, l'orientation pertinente de la traduction ira dans le sens d'une évolution du positionnement des valeurs animus et anima.

Nous ne saurions mieux conclure qu'à travers les mots d'une rêveuse, Anne. La jeune femme vient d'évoquer sa relation de bébé au corps maternel. Elle voit la Mort, armée de sa faux, qui la précipite du haut d'une falaise : "... mon corps est écrasé sur le sol... quelque chose sort de moi... c'est une hirondelle... et je la vois qui vole, qui remonte, donc... elle a une couronne... maintenant, je ne vois pas vraiment quelque chose ! c'est une sensation... intense... celle d'un bleu qui se lève, comme on dit "le soleil se lève"... c'est lumineux... comme le soleil... et ça éclaire... je vois ces grands rayons bleus qui montent... c'est fini..."

Qui exprimera par les images plus pures le désir de résurrection dans l'esprit ?


Le bleu et le blanc


A regarder défiler les images qui s'offrent dans les rêves où le bleu et le blanc sont réunis dans une même vision, l'observateur éprouve d'abord une relative désorientation. Ces couleurs, en effet, apparaissent dans des scénarios auxquels il est, en première approche, difficile d'attribuer une signification commune. L'analyse des corrélations montre que ces dernières se concentrent, pour plus de la moitié d'entre elles, sur des symboles de la famille des couleurs. Les autres associations qui retiennent l'attention concernent, dans l'ordre, la Vierge, la couronne et la petite fille.

Le rapprochement entre le bleu et le blanc et le personnage de la Vierge Marie ne surprend pas. Faut-il aller jusqu'à penser que le voile et le manteau des représentations naïves de la Vierge participent à la formation de la symbolique du couple de couleurs ? Même si la proposition est en harmonie avec la synthèse qui se dégage de l'investigation approfondie, à la considérer de façon trop hâtive, l'analyste prendrait le risque de passer à côté de l'essentiel.

Un ciel bleu dit la profondeur, le devenir infini. Le bleu du ciel est un lieu sans limite. La touche blanche d'un petit nuage ou d'une aile d'ange s'inscrit sur le fond bleu comme pour mieux souligner la vertigineuse profondeur d'un ciel infini. Le bleu et le blanc sont les couleurs du Mystère dans sa manifestation apaisante.

Le rouge et le noir forment un couple qui désigne des turbulences névrotiques. Présents dans nombre de scénarios où se réunissent le bleu et le blanc, ils apparaissent comme le contrepoint infernal de ces couleurs d'espérances. Le Satan noir s'activant parmi les flammes rouges de l'enfer se superpose, dans le rêve d'un patient, à la vision de l'intérieur d'une église éclairé par des vitraux bleu et blanc. Ainsi, aux rouge et noir, emblème des tourments de la terre ou de l'âme lourde d'une violence refoulée, s'opposerait le bleu et blanc, message de pureté, de vérité, de légèreté et d'amour.

Cette voie d'interprétation mérite l'attention. Elle est d'autant plus crédible qu'à proximité du bleu et du blanc reviennent presque systématiquement des images de têtes sculptées, de statues, voire de crânes ou de squelettes. Ces témoins de la matière, ces rappels obstinés de ce qu'un être est de moins volatil, sont les dignes compagnons du rouge et du noir. Ceux-là sont de la chute, le bleu et le blanc sont d'envol.

Dans l'article consacré au crâne le lecteur trouvera des informations qui accréditent les conclusions auxquelles conduira la présente étude.

Ce serait égarer la recherche que de laisser supposer que toutes les images réunissant le bleu et le blanc sont des visions de ciels parcourus de blancs nuages ou de sommets enneigés sur fond de ciel bleu ! Pour réunir ces couleurs, les rêves font souvent appel des compositions imaginaires ou à des souvenirs nettement plus prosaïques. Canapé bleu sur moquette blanche, rideaux ou nappes à carreaux bleus et blancs et, surtout, petite fille habillée d'une robe bleu et blanc, sont des représentations très fréquentes.

La petite fille ! Cette dernière image placera la traduction dans son axe principal. Celui-là s'organise autour de la révélation d'une intense souffrance et de l'effort du rêveur pour s'en libérer. Le bleu et le blanc pourraient créer l'impression d'un accomplissement bienheureux de l'âme épanouie dans la pureté et la profondeur, dans une élévation réussie. L'analyse oblige à reconnaître que cette vision correspond plus souvent à une aspiration qu'à une réalisation. La psychologie qui s'investit dans des images bleu et blanc tend avant tout à se placer hors d'atteinte d'une douleur intolérable.

Le blanc exprime la pureté, mais aussi l'isolement, le besoin d'absolu, le refus d'implication, la peur de la blessure affective. En ce sens, il tourne le dos à la vie. Lorsqu'on a reconnu la propriété de ce couple de couleurs de s'offrir comme un refuge d'infini et d'éternité, l'interprétation du symbole s'impose avec clarté.

C'est le cinquième et avant-dernier scénario d'Arsène qui placera la traduction dans la plénitude de sa dimension tragique. Les premiers rêves d'Arsène ont dévoilé l'origine de sa souffrance : entre autres images de même nature, celle d'un veau étendu sur le sol, malade d'être séparé de sa mère par un grillage que le patient s'efforçait de supprimer, était l'expression touchante d'un vif sentiment de frustration d'amour maternel. Ce ressenti n'était sans doute qu'un des aspects de la problématique d'Arsène, mais il en constituait indéniablement l'axe majeur. Arsène était habité par l'idée de mettre un terme définitif à sa souffrance et avait, à quatre reprises, tenté de se suicider. Le cinquième rêve va montrer la promesse de consolation, l'ultime espérance, contenue dans un bleu et un blanc qui s'offrent, ensemble, comme un recours, lorsque sont perdus les espoirs de la terre : "... je suis sur une route en lacet... je traverse un village, je découvre une vallée. Dans le fond de cette vallée, y a une rivière... je descends auprès de la rivière... j'ai envie de mettre fin à mes jours en me taillant les poignets parce que la vie me semble insurmontable. Je ne suis plus au bord de la rivière... j'ai envie de mettre fin à mes jour. Je suis dans ma salle de bains, au bord de la baignoire... mon sang coule dans la baignoire... je tombe à genoux sur le sol... je suis sans force... Là, je suis à mon travail, les murs sont tristes, les gens aussi... maintenant, je suis sur une plage... le sable n'est pas joli... il est noir... le vent est froid. Maintenant, je suis dans une église... je vois la coupole... qui est au-dessus du chœur, qui est très jolie... elle est pente en bleu clair, avec des anges dessus, en blanc... il me semble que je peux la toucher, cette coupole, du bout des doigts... l'église est très belle... il y a des vitraux merveilleux... je marche à reculons... je sors de l'église... je suis dans mon village natal..."

Une semaine après ce rêve, à la suite d'un incident survenu sur le lieu de son travail, Arsène réussissait le geste irréversible auquel il aspirait depuis des mois. Du lieu natal aux lieux infinis, du sable noir au ciel bleu, de la mère terrestre à la mère universelle, Arsène avait accompli l'itinéraire imposé par le plus incurable des chagrins d'amour. Le treizième scénario d'Hervé expose sans la moindre ambiguïté le secours que peuvent apporter le bleu et le blanc à ceux ou à celles qui souffrent de ne pouvoir trancher le cordon ombilical psychologique qui les tient encore enchaînés à l'image maternelle. A trente-quatre ans, Hervé occupe une fonction d'ingénieur. Sa problématique a pour noyau la culpabilité qu'il ressent chaque fois qu'il établit une relation affective avec une femme. Il ressent inconsciemment ce lien comme une trahison vis-à-vis de sa mère. Le rêve commence sur une vision macabre. Sur une route mouillée, la nuit, Hervé voit un amoncellement de crânes, d'ossements, qui évoquent les camps où étaient entassés "ces gens coupés de leurs racines, de leurs familles". Un squelette s'anime, s'agite et conduit le rêveur. Ensemble, ils traversent un tabernacle et débouchent dans une cathédrale dans laquelle une musique s'élève, s'amplifie, tandis qu'Hervé, qui a pris la place du prêtre, prononce des paroles rituelles : "... c'est une musique fantastique, c'est une symphonie... c'est démesuré, parce que, là, je m'imagine dans une cathédrale extrêmement haute et tout le volume est enveloppé et pris par la musique... puis, c'est la fin et tous les gens partent et il reste deux personnes : ma mère et Sylvie B. L'allégresse est tombée d'un coup ! Il commence à faire froid parce que nous ne sommes que trois dans cette basilique ! Des corbeaux sont entrés par le portail ouvert... des chouettes hululent... ça devient sinistre... on pourrait imaginer des toiles d'araignées partout... les deux femmes sont agenouillées. Sylvie vient vers moi... maintenant, on s'enlace, on se retrouve... on avait dû se perdre... on est serrés dans les bras l'un de l'autre... ma mère sort... elle quitte l'église en pleurant et je me mets à pleurer aussi... tous les trois on doit pleurer ! ... Ma mère pleure parce que je vais partir pour toujours... elle part en sachant qu'on ne se reverra plus !... Là, elle est sortie... les portes de l'église se referment... et on s'envole !... On se transforme en anges... nous avons des ailes blanches dans le dos et je sais qu'on traverse le dôme de la basilique et, là, on est à l'air libre... et tout est devenu soudain très très bleu... nous volons, blancs dans le ciel bleu... plus tard, nous descendons vers une petite ville... en fait nous sommes arrivés chez moi et, là, on s'endort..."

Quel exemple prétendrait illustrer plus clairement ce drame de la rupture que vit l'adulte osant le geste qui coupera le lien à la mère ? Cet acte symbolique reproduit, en les transposant sur le plan de la conscience, les ressentis cruels du nouveau-né séparé du corps maternel. Nous avons choisi ces rêves d'Arsène et d'Hervé en raison de leur évidence et de leur intensité. Le fait qu'il s'agisse de deux hommes pourrait laisser supposer que ce qui se joue dans ces cas relève d'abord des entraves œdipiennes. Nous aurions été enclin à retenir une telle conclusion si de nombreux scénarios produits par des femmes ne développaient pas les mêmes thèmes qu'Arsène et Hervé, autour du bleu et du blanc réunis.

Ce double symbole renvoie souvent la rêveuse à l'image de la petite fille habillée de ces couleurs. "La petite fille sage", la petite fille modèle, en robe bleu et blanc, sont des expressions qui témoignent du besoin de la femme de retrouver le temps de l'innocence. Un temps lointain où la psychologie de l'enfant n'était pas encore polluée par la rivalité œdipienne vis-à-vis de sa mère. Un temps où la seule blessure de l'âme provenait de la séparation du corps maternel.

*

Le bleu et le blanc inscrivent dans les rêves les deux directions de l'éternité. Ils dénoncent une nostalgie infinie, celle d'un paradis perdu qui se confond avec le souvenir confus du sein maternel et suggèrent une promesse infinie qui suscite un sentiment d'harmonie vis-à-vis de l'imprévisible devenir.

Réunis, le bleu et le blanc imaginés sont les révélateurs d'une souffrance, celle qui accompagne l'inéluctable rupture par rapport à la mère terrestre et d'une espérance qui atteint la dimension d'un accueil illimité, celui que peut seul assumer la mère universelle. Cet accueil est à l'échelle d'un ciel bleu parsemé de blancs nuages, d'un ciel infini, d'un ciel profond, qui se confond avec le manteau de la Vierge couronnée, reine d'amour et de compassion.

Le praticien qui reçoit des images véhiculant ces deux couleurs développera la plus grande vigilance. Par-delà le réel apaisement qui se dégage du symbole, il devra déceler la souffrance cachée et s'efforcer d'ne prendre la mesure. Pour le moins, il aidera le patient à réaliser la prise de conscience concernant l'origine de son inconfort. Parfois, face à la dangereuse désespérance que le rêve d'Arsène a mise à nu, il orientera le patient vers un prise en charge médicale qui peut constituer une précaution nécessaire et, peut-être, suffisante.


Le bleu et le jaune


Le bleu et le jaune ! D'entrée de jeu, l'exploration des rêves vient contrarier cette formulation de l'objet de la recherche : près de 80% des images oniriques qui associent les deux couleurs proposent leur inversion. L'imaginaire semble donc préférer placer le jaune avant le bleu. Qu'on se garde de classer trop rapidement cette observation au rang des futilités. il se pourrait qu'à son terme l'investigation lui confère de l'importance !

Le bleu et le jaune, la couleur la plus froide et la couleur la plus chaude. Le psychologue et le peintre s'accordent sur ce point. Le bleu, chemin froid qui engage dans la profondeur de l'esprit, le jaune, voie chaleureuse de l'Amour. Le bleu, couleur d'infini, chargé d'invisible et que sa nature insaisissable apparente au vide, puisqu'il est le lieu de l'abstraction, de la non-manifestation. Le lieu du rien contenant tout. Il invite au vertige glacé de la mort. Il est mâle dans son principe. Le jaune, représentation lumineuse de la relation, induit le vertige créateur de l'amour. il est sentiment, féminin dans son principe.

Nous avons montré, à propos du rouge et du jaune que la chaîne d'associations soleil-or-jaune n'est recevable que par un symbolisme superficiel. Les couches profondes de l'imaginaire reconnaissent la nature féminine-maternelle du jaune. L'étude des couples de couleurs apporte des éclairages enrichissants sur chacune de leurs composantes. Le noir et le blanc s'opposent. Ils sont même le prototype des opposés. Mais il n'est pas rare qu'ils occupent la presque totalité d'un rêve, avec pour fonction évidente de suggérer l'union des contraires. Le blanc et le rouge s'affrontent par la manifestation de deux attitudes opposées dans le rapport à la vie : préservation et implication. Le rouge et le vert s'additionnent pour engendrer le flux créateur, résultat de l'union de l'implication et de la croissance. Ils sont les couleurs du trésor intérieur. Le bleu et le jaune, dans les rêves, consentent une alliance. Une alliance quelque peu trompeuse dans laquelle chacun reste sur ses gardes. Ils sont comme ces couples dont l'un des membres croyait faire un mariage d'amour quand l'autre avait choisi une alliance de raison ! Unis, ils donneraient le vert, valeur de croissance. Mais ils se montrent ici séparés, simplement associés. Les images oniriques rapprochant les deux couleurs sont extrêmement variées. A quelques exceptions près, ce sont des compositions de circonstances dont la seule utilité paraît être de réaliser ce rapprochement. On ne retrouve pas, comme c'est le cas pour d'autres couples de couleurs, d'images types, répétitives, comme la pie et les dominos pour le noir et le blanc, le sang sur la robe pour le rouge et le blanc, le rubis et l'émeraude pour le rouge et le vert. Dans les rêves examinés, le roi, le soleil, la couronne sont suffisamment présents pour attirer l'attention sur la relation du patient ou de la patiente à leur père. La mère est aussi explicitement présente dans beaucoup de ces scénarios. Ces observations conduisent à soupçonner un rôle que joueraient les liens œdipiens dans la production du double symbole. A ce stade, aucune corrélation satisfaisante n'existe, entre les différentes séquences comparées, pour assurer une traduction reposant sur cette base.

Le bleu et le jaune, dans le rêve, au lieu de porter le sens, comme le font la plupart des symboles, paraissent lui faire barrage. Au terme de l'exploration de nombreux scénarios contenant ces couleurs associées, on serait tenté d'écrire qu'elles n'adhèrent pas à la dynamique de l'imaginaire mais qu'elles la servent à contrecœur ! Nous en étions arrivés à considérer qu'ensemble, le bleu et le jaune pouvaient être les couleurs de la résistance à l'analyse, lorsqu'il nous est apparu qu'ne telle supposition s'oppose à l'hypothèse d'une fonction toujours positive de la symbolique vivante. C'est à ce moment que l'objectivité implacable de la méthode d'investigation allait mettre en évidence un indice décisif pour l'orientation de l'interprétation.

Le bleu et le jaune, signes de l'Esprit et de l'Amour, auraient-ils vocation à représenter l'Invisible ? Ce dernier mot apparaît dans les scénarios pris en référence avec une fréquence inhabituelle. Un bref passage du huitième rêve de Sabine fournit un exemple particulièrement démonstratif : "Je vois un bébé dans son berceau... garçon ou fille ? Je ne sais pas trop ! Il représente quelque chose qui est de l'ordre de la vie... un peu la réconciliation des deux forces (féminine et masculine)... [...] Au centre de la table... il y a un récipient invisible et, dedans, il y a une palpitation d'or liquide.. Il a la forme d'un récipient... c'est une structure invisible, d'un très beau bleu... bleu cobalt clair..."

Une palpitation aune contenue dans une invisible structure bleue ! Quelle image prétendrait mieux exprimer la profondeur du mystère de l'Esprit et de l'Amour ? Cette vision paraît hors de protée de toute explication analytique. Plusieurs autres rêveuses prononcent des phrases qui non seulement se ressemblent, mais qu'on retrouve rarement en dehors des rêves qui font l'objet de cette étude. "Moi, elle ne me regarde pas, car je suis invisible", "Moi, je suis une personne invisible, comme un esprit, on ne voit pas mon corps."

On ne voit pas mon corps ! Dans l'article consacré au moine, nous développons le thème suivant lequel la robe de bure et son capuchon, dans les scénarios de rêve éveillé, trahissent un désir de dissimulation du corps. Pas dans l'intention de se rendre plus disponible pour l'accomplissement spirituel, mais par rejet de l'apparence physique. Ces images sont presque toujours produites par des rêveurs ou des rêveuses qui n'acceptent pas leur corps, qui ne l'aiment pas. On pourrait admettre qu'il est simplement logique qu'un symbole - le bleu et le jaune - ayant vocation de représenter l'Esprit et l'Amour, valeurs invisibles, induise l'intention de se libérer du corps, encombrante manifestation de la matière. Un indice troublant impose cependant d'envisager une autre traduction de la dissimulation du corps, qui s'exprime si souvent autour du bleu et du jaune associés?. La corrélation la plus forte avec le double symbole est la robe. Il ne s'agit pas, bien entendu, de la banale évocation d'une femme vêtue d'une robe. Les exemples montreront que lorsqu'il s'agit d'une femme portant une robe, ce détail vestimentaire est souligné de telle façon que l'importance de son rôle ne peut échapper à l'observateur. Dans 60% des situations, la robe imaginées est portée par un homme et, même dans ce cas, le rêve utilise un stratagème pour placer l'emphase sur le vêtement. La robe ! La robe qui cache le corps sans doute mais aussi qui marque la féminité. L'originalité et la variété des visions obligent à reconnaître qu'il ne peut s'agir de compositions fortuites. Au fil des scénarios passeront la robe de bure du moine, celles de l'abbé, du cardinal, de l'avocat, la toge romaine, la djellaba du touareg, la robe de fée, la crinoline, etc.

Un bref extrait du septième rêve d'Hélène illustrera le caractère intentionnel de la composition : "... Je suis devant une grille, comme une prison... oui .... c'est un cachot... et je vois Gérard Philipe, dans La Chartreuse de Parme... je le vois, dans ce cachot... il a une robe... tiens ! c'est curieux d'ailleurs... il a déjà la robe d'ecclésiastique, alors qu'à ce moment-là il n'était pas encore ecclésiastique !... Je suis à l'intérieur aussi, mais invisible... je vois Fabrice del Dongo, mais lui ne me voit pas... je suis une présence invisible ! ... C'est bizarre, à cette époque mon héros c'était Fabrice del Dongo, je m'identifiais à lui... mais j'aurais voulu m'appeler Célia... je m'identifiais à l'un et à l'autre..."

Qu'on se rappelle que la courte séquence du huitième rêve de Sabine, produite ci-dessus, commence par ces mots : "Je vois un bébé dans son berceau... garçon ou fille ? Je ne sais pas trop !..." Dès lors, le bleu et le jaune ou, plutôt, le jaune et le bleu, comme nous l'avons précisé au commencement de cet article, valeurs féminine et masculine, s'affirment clairement comme représentation de l'anima et de l'animus. Dans l'article consacré à l'Arabe, nous démontrons que le Touareg, l'homme bleu, est l'une des plus belles expressions de l'animus. La robe devient alors le signe d'une incertitude, voire d'un désarroi du rêveur ou de la rêveuse par rapport à l'intégration de sa composante complémentaire, potentiellement forte et consciemment négligée. Il devient aisé de comprendre le désir de dissimulation du corps, témoin trop visible du sexe. L'esprit et l'âme étaient, il n'y a guère, dogmatiquement confondus. L'imaginaire qui associe l'image de la robe au double symbole jaune et bleu tendrait à se situer là où l'anima et l'animus peuvent coexister sans la marque apparente, visible, de l'une ou de l'autre.

L'affirmation virile de Lionel dépend, la suite de la cure le prouvera, de l'acceptation de sa force féminine. Lionel, au cours du vingtième scénario de sa cure, développe des images qui ne laissent aucun doute sur la pertinence de l'axe de traduction proposé. Le jaune et le bleu sont ici explicitement fondus pour engendrer le vert, mais la symbolique de castration qui précède et la comparaison des deux femmes sont au cœur d'un débat conduisant à la réhabilitation de l'anima.

"... Je pense à un film où il y avait une scène de torture... un sacrifice humain en l'honneur d'un dieu... et je vois des hommes, genre Cro-Magnon, avec de grosses massues sur l'épaule... armes de chasse ou de défense... impression de force physique importante.... ils ont un langage extraordinairement primitif, plutôt des cris d'animaux... je ne sais pas pourquoi, ça amène l'image d'une femme aux cheveux courts, à la garçonne, vêtue d'une robe rouge à mailles... et puis il y a comme une rupture... je suis descendu très profondément et il n'y a plus d'image du tout... [long silence]... là, je vois une autre femme, très longue, avec une robe très longue... elle est penchée au-dessus d'un lavabo de nacre et nettoie son épaule... maintenant je suis très très bien... plus de tension du tout... la robe est d'un superbe vert... vert clair, associé à l'idée de paix intérieure... ça évoque l'eau, la plongée... impression que c'est complètement à l'opposé de... de la robe rouge de tout à l'heure... ce vert, c'est le mélange des deux autres couleurs : le bleu et le jaune... c'est compliqué à expliquer.. cette femme au-dessus de la vasque, c'est une image parfaite de la féminité... celle à la robe rouge n'est pas féminine, c'est une fausse femme... comme... plutôt un travesti... un androgyne... pas une femme femme ! Je la relie au sacrifice humain du début... là aussi il s'agit d'un mauvais rituel, d'une fausse tradition maintenue.... la femme en vert c'est la force et la pureté originelles..."

Ces principales phrases d'un long rêve rejoignent pour l'essentiel ce qu'on peut observer dans presque tous les scénarios autour du bleu et du jaune.

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Le bleu et le jaune. L'Esprit et l'Amour. Tant que le regard du praticien se maintient à cette altitude où rayonnent les valeurs désincarnées, il demeure aveugle par rapport à la compréhension des images et, partant, de la problématique.

Qu'il change de niveau. Lorsque l'Esprit devient pensée et l'Amour sentiment, les valeurs se font plus humaines, plus accessibles aussi. Devant des images réunissant le bleu et le jaune, le praticien orientera son analyse vers les indices susceptibles de le renseigner sur l'état des rapports du rêveur ou de la rêveuse à leur animus et à leur anima. Sur cette piste, il ira rarement à la rencontre de la déception."

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Littérature :


"Les femmes aux yeux noirs ont le regard bleu.


Bleue est la couleur du regard, du dedans de l'âme et de la pensée, de l'attente, de la rêverie et du sommeil.


Il nous plaît de confondre toutes les couleurs en une. Avec le vent, la mer, la neige, le rose très doux des peaux, le rouge à lèvres des rires, les cernes blancs de l'insomnie autour du vert des yeux, et les dorures fanées des feuilles qui s'écaillent, nous fabriquons du bleu.


Nous rêvons d'une terre bleue, d'une terre de couleur ronde, neuve comme au premier jour, et courbe ainsi qu'un corps de femme.


Nous nous accoutumons à n'y point voir clair dans l'infini, et patientons longtemps au bord de l'invisible. Nous convertissons en musique les discordances de notre vie


Ce bleu qui nous enduit le cœur nous délivre de notre condition claudicante. Aux heures de chagrin, nous le répandons comme un baume sur notre finitude. C'est pourquoi nous aimons le son du violoncelle et les soirées d'été : ce qui nous berce nous endort. Le jour venu, l'illusion de l'amour nous fermera les yeux.

***

Ne croyez pas que tout ce bleu soit sans douleur.


La mer n'est pas une image naïve épinglée dans la chambre au-dessus du lit parmi les peluches et les bijoux d'un sou.


Lorsque le cœur ne nous bat plus, nous guettons le grand large dans les flaques de la rue afin d'y laper notre misère et d'offrir à notre désir un semblant de ciel. Parfois, nous regardons intensément les yeux de nos semblables, espérant y trouver la mer et y sombrer brièvement.


[...] Le bleu ne fait pas de bruit.


C'est une couleur timide, sans arrière-pensée, présage ni projet, qui ne se jette pas brusquement sur le regard comme le jaune ou le rouge, mais qui l'attire à soi, l'apprivoise peu à peu, le laisse venir sans le presser de sorte qu'en elle il s'enfonce et se noie sans se rendre compte de rien.


Le bleu est une couleur propice à la disparition.


Une couleur où mourir, une couleur qui délivre, la couleur même de l'âme après qu'elle s'est déshabillée du corps, après qu'a giclé tout le sang et que se sont vidées les viscères, les poches de toutes sortes, déménageant une fois pour toutes le mobilier de ses pensées.


Indéfiniment, le bleu s'évade.


Jean-Michel Maulpoix, "Le regard bleu", Une Histoire de bleu (Éditions, Mercure de France, 1992).

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Christian Bobin dans L'Homme-Joie (Éditions Gallimard, 2012), évoque la couleur bleue :


« Partons de ce bleu, si vous voulez bien. Partons de ce bleu dans le matin fraîchi d'avril. Il avait la douceur du velours et l'éclat d'une larme. J'aimerais vous écrire une lettre où il n'y aurait que ce bleu. Elle serait semblable à ce papier plié en quatre qui enveloppe les diamants dans le quartier des joailliers à Anvers, ou Rotterdam, un papier blanc comme une chemise de mariage, avec à l'intérieur des grains de sel angéliques, une fortune de Petit Poucet, des diamants comme des larmes de nouveau-né.

Nos pensées montent au ciel comme des fumées. Elles l'obscurcissent. Je n'ai rien fait aujourd'hui et je n'ai rien pensé. Le ciel est venu manger dans ma main. Maintenant c'est le soir mais je ne veux pas laisser filer ce jour sans vous en donner le plus beau. Vous voyez le monde. Vous le voyez comme moi. Ce n'est qu'un champ de bataille. Des cavaliers noirs partout. Un bruit d'épées au fond des âmes. Eh bien, ça n'a aucune importance. Je suis passé devant un étang. Il était couvert de lentilles d'eau - ça oui, c'était important. Nous massacrons toute la douceur de la vie et elle revient encore plus abondante. La guerre n'a rien d'énigmatique - mais l'oiseau que j'ai vu s'enfuir dans le sous-bois, volant entre les troncs serrés, m'a ébloui.

J'essaie de vous dire une chose si petite que je crains de la blesser en la disant. Il y a des papillons dont on ne peut effleurer les ailes sans qu'elles cassent comme du verre. L'oiseau allait entre les arbres comme un serviteur glissant entre les colonnes d'un palais. Il ne faisait aucun bruit. Il était aussi simplement vêtu d'or qu'un poème. Voici, je me rapproche de ce que je voulais vous dire, de ce presque rien que j'ai vu aujourd'hui et qui a ouvert toutes les portes de la mort : il y a une vie qui ne s'arrête jamais. Elle est impossible à saisir. Elle fuit devant nous comme l'oiseau entre les piliers qui sont dans notre cœur.

Nous ne sommes que rarement à la hauteur de cette vie. Elle ne s'en soucie pas. Elle ne cesse pas une seconde de combler de ses bienfaits les assassins que nous sommes.

L'étang fleurissait sous le ciel et le ciel se coiffait devant l'étang. L'oiseau aux ailes prophétiques enflammait la forêt. Pendant quelques secondes j'ai réussi à être vivant. J'ai conscience que cette lettre peut vous sembler folle. Elle ne l'est pas. Ce sont plutôt nos volontés qui sont folles. Je veux ici parler simplement de ce qu'on appelle une "belle journée", un "ciel bleu". Ces expressions désignent un mystère. Un couteau de lumière dont la lame fraîche nous ouvre le cœur. Nous sommes enfouis sous des milliers d'étoiles. Et parfois nous nous en apercevons, nous remuons la tête, oh juste quelques secondes. C'est ce que nous appelons du "beau temps".

J'imagine quelqu'un qui entre au paradis sans savoir que c'est le paradis. Il a des inquiétudes, des projets. Il est très occupé. Un bruit de fer, un cliquetis d'épées l'accompagne. C'est si banal, la guerre. Et puis tout d'un coup il y a une lumière de neige sur un étang, et un oiseau aux ailes d'or fracasse les murailles du monde. C'est quelque chose d'inespéré. Quelques secondes suffisent, n'est-ce pas, pour vivre éternellement. "Nous sentons et nous éprouvons que nous sommes éternels" : cette pensée de Spinoza a la douceur d'un enfant endormi à l'arrière d'une voiture. Nous avons, vous et moi, un Roi Soleil assis sur son trône rouge dans la grande salle de notre cœur. Et parfois, quelques secondes, ce roi, cet homme-joie, descend de son trône et fait quelques pas dans la rue. C'est aussi simple que ça.

Je n'aime que les livres dont les pages sont imbibées de ciel bleu - de ce bleu qui a fait l'épreuve de la mort. Si mes phrases sourient c'est parce qu'elles sortent du noir. J'ai passé ma vie à lutter contre la persuasive mélancolie. Mon sourire me coûte une fortune. Le bleu du ciel, c'est comme si une pièce d'or tombait de votre poche et qu'en l'écrivant je vous la rendais. Ce bleu en majesté dirait la fin définitive du désespoir et ferait monter les larmes aux yeux. Vous comprenez ?

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Arts visuels :




Yves Klein, La Grande Anthropophagie bleue, 1960 :








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Pour en apprendre davantage encore en s'amusant : un Mooc intéressant proposé par la fondation Orange...


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