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Vert



Étymologie :


  • VERT, VERTE, adj. et subst. masc.

Étymol. et Hist. A. 1. a) Ca 1100 désigne la couleur (Roland, éd. J. Bédier, 1612: herbe verte), fém. vert att. jusqu'au xvie s. 1532 (Rabelais, Pantagruel, éd. V.-L. Saulnier, XXI, 59, p. 168) ; 1549 subst. verd (Est.), forme encore ds Boiste 1847 ; b) 1393 vert + adj. désigne une nuance de vert vergay (Ménagier de Paris, éd. G. E. Brereton et J. M. Ferrier, 219, 7) supplanté par verd clair 1606 (Nicot, s.v. verdbrun) ; 2. ca 1185 adj. se dit de ce qui n'est pas assez mûr pour être consommé (Aliscans, éd. E. Wienbeck, 7585 : verdes feves) ; ca 1350 loc. fig. entre deux vertes mie meure « entre deux mensonges une vérité » (Gilles le Muisit, Poésies, éd. Kervyn de Lettenhove, t. 1, p. 90, 13) ; 1283 bles vers (Philippe de Beaumanoir, Coutumes Beauvaisis, éd. A. Salmon, 1401) ; 1486 fig. menger son blé en vert « manger ses revenus d'avance » (Guillaume Alexis, Passetemps des deux Alecis freres, éd. A. Piaget et E. Picot, t. 2, p. 14, vers 36) ; 3. a) 1260 vers adj. se dit d'un végétal coupé qui a encore de la sève (Estienne Boileau, Livre des métiers, éd. G.-B. Depping, 104) ; 1460-83 bois verd (J. de Roye, Chron., éd. B. de Mandrot, p. 105) ; 1784 volée de bois vert, v. volée ; b) 1282 loc. en vert et en sec « sur pied et en grange (d'une récolte) » (Sept., C'est dame Piernain Laikebroke, chirog., S.-Brice, Arch. Tournai ds Gdf. [déjà 1281 fig. en vert et en seich « absolument » (Déc., Affranchissem. par Clarin de Namèche, Arch. de l'Etat à Namur, ibid.)]) ; 1586 loc. proverbiale employer le vert et le sec « employer tous les moyens » (20 janv., Lett. miss. de Henri IV, t. II, p. 183, Berger de Xivrey, ibid.) ; ...


Lire la suite de l'article et également la définition du mot vert afin d'amorcer la réflexion symbolique.

 

Selon Michel Pastoureau auteur de Vert, Histoire d'une couleur (Éditions du Seuil, 2013),


Si les Grecs n'ont pas de vocable précis pour désigner le vert, au moins avant la période hellénistique, "le latin n’éprouve aucune difficulté pour nommer la couleur verte. Il possède un terme de base dont le champ sémantique et chromatique est étendu : viridis, d'où sont issus tous les mots qui désignent la couleur verte dans les langues romanes, à commencer par le français vert, l’italien verde, le castillan verde. Étymologiquement, viridis se rattache à une nombreuse famille de mots qui évoquent la vigueur, la croissance, la vie : virere (être vert, être vigoureux), vis (force), vir (homme, individu masculin), ver (printemps), virga (tige, verge), peut-être même virtus (courage, vertu). Au 1er siècle avant notre ère, l'encyclopédiste Varron, "le plus savant des Romains" aux dires de son ami Cicéron, propose dans son histoire de la langue latin une étymologie qui sera reprise jusqu'à l'époque moderne : viride est id quod habet vires, "est vert ce qui a de la vigueur" (mot à mot "ce qui possède des forces).

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Expressions populaires :


Serge Schall, auteur de Histoires extraordinaires de plantes et d'hommes (Éditions La Source Vive, 2016) consacre un article à l'expression bien connue : "avoir la main verte" :


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Symbolisme :


Dans son Traité du langage symbolique, emblématique et religieux des Fleurs (Paris, 1855), l'abbé Casimir Magnat propose une version très catholique dix-neuviémiste des équivalences symboliques, ce qu'on ne saurait évidemment lui reprocher :

COULEUR VERTE.


EMBLÈME : Espérance.

Après un hiver long et rigoureux , chacun se réjouit de voir revenir le printemps : alors les arbres à fruits se revêtent d'une douce verdure, qui donne l'espérance des beaux jours et d'une prochaine récolte. C'est à cela sans doute qu'il faut attribuer le symbole attaché à la couleur verte.

En Chine, le vert désigne l'orient, le printemps et la charité. Dans l'antiquité il était consacré à Vénus, à Neptune et aux nymphes marines ; c'était aussi la couleur des bandelettes des victimes offertes aux dieux marins. Le christianisme a fait aussi du vert le symbole de la charité ; Saint-Jean est presque toujours représenté avec une robe verte. Chez les Maures le vert désignait l'espérance, la joie et la jeunesse. De même dans l'art héraldique le sinople signifie civilité, amour, joie et abondance.

 

Frédéric Portal, auteur de l'ouvrage intitulé Des couleurs symboliques dans l'antiquité : le moyen-âge et les temps modernes. (Treuttel et Würtz, 1857) explore le symbolisme du vert :


LANGUE DIVINE. Il est nécessaire, en commençant ce chapitre, de rappeler les principes que nous avons établis ; dans la génération symbolique des couleurs il existe trois degrés : 1° l'existence en soi ; 2° la manifestation de la vie et 3° l'acte qui en résulte. Dans le premier, domine l'amour ou la volonté, marqué par le rouge ; dans le second, apparaît l'intelligence désignée par le bleu ; enfin dans le troisième, l'acte trouve son symbole dans la couleur verte.

D'après les prophètes, de Dieu émanent trois sphères qui remplissent les trois cieux ; la première, ou sphère d'amour, est rouge ; la seconde, ou sphère de sagesse, est bleue ; la troisième, ou sphère de création, est verte. Dans la Bible, l'Éternel est représenté environné de la sphère enflammée, et reposant sur un trône d'azur. Dans l’Apocalypse, il apparaît au centre d'un arc-en-ciel vert. Ces sphères, nommées limbes, furent imitées sur les peintures indiennes, comme sur celles du moyen-âge.

Trois degrés de régénération correspondent aux trois sphères célestes, ils se retrouvent dans l'initiation antique, avec leurs couleurs symboliques, le rouge, le bleu et le vert. Nous exposerons ce fait important en traitant des mystères du paganisme par les monuments peints. La mythologie offre des preuves nombreuses de l'universalité du dogme des sphères célestes ; la philosophie des Hindous le reproduit dans l'explication de la syllabe mystique ôm, composée de trois éléments d'articulation ; « si la dévotion est restreinte au sens indiqué par un des éléments, l'effet ne va pas au-delà de ce monde ; si elle est bornée au sens indiqué par deux des éléments, l'effet s'étend jusqu'à l'orbe lunaire, d'où cependant l'âme retourne à une nouvelle naissance (dans un corps matériel) ; si la méditation est plus compréhensible et qu'elle embrasse le sens complet des trois éléments du mot, l'ascension de l'âme va jusqu'à l'orbe solaire, d'où étant purifiée de tout péché, et délivrée comme un serpent qui a rejeté sa dépouille, l'âme parvient au séjour de Brahma, et à la contemplation de celui qui réside dans une forme corporelle humaine. » Ainsi il existe trois degrés de régénération marqués par la terre, l'air et le feu, et traduits dans la langue des couleurs par l'azur et le rouge. ·

Les Hindous, comme les Perses, les Scandinaves et tous les peuples dont l'origine se perd dans la nuit des temps, représentaient la divinité sous la forme humaine ; un dessin du Brahme-Sami, déposé à la Bibliothèque Royale et publié par M. Langlès dans les monuments de l'Inde, reproduit la doctrine des sphères célestes, et donne la clé de la symbolique des divinités de ce peuple. Vischnou ou l'homme universel porte sur la face l'effigie de Siva ; sur la poitrine celle de Krichna ; sur l'estomac celle de Brahma, et sur les parties génitales celle de Ganėsa ; or nous retrouvons dans la symbolique des membres du corps humain la même signification que dans les couleurs affectées aux sphères célestes et à ces quatre divinités indiennes. La tête représente le royaume céleste où règne le Dieu, créateur et destructeur, Siva, représenté par la couleur rouge, comme Dieu du feu, c'est-à-dire de l'amour diyin .

Sur la poitrine, symbole de la respiration, de l'esprit (spiritus), paraît Krichna : sa couleur est bleue, car il est la vérité divine incarnée sur cette terre.

Sur l'estomac, qui représente le monde intermédiaire où se fait le départ des bons et des méchants, règne Brahma, créateur spirituel ou régénérateur de l'humanité par l'amour et la sagesse ; les couleurs qui lui sont affectées sont le rouge et le bleu.

Enfin Ganèsa est préposé à la troisième sphère, celle de Brahma n'étant qu'un passage où les âmes subissent leur dernière purification. Ganèsa est le dieu de la sagesse et du mariage ; le vert est consacré à Ganesa, comme à Janus, comme au Jannės égyptien, comme à saint Jean l’évangéliste, et à toutes les divinités du paganisme qui représentent l'union du bien et du vrai dans les actes de la vie.

Les deux bras du Dieu-homme montrent sur ce même dessin la puissance créatrice par l'amour et la sagesse, en suivant également les trois degrés qui se re trouvent dans l'entendement humain : la volonté, le raisonnement et l'acte.

La volonté est figurée sur l'épaule droite par un homme et sur l'épaule gauche par une femme.

Au milieu des bras on voit des fers de lance, emblèmes de la puissance du raisonnement qui est l'arme spirituelle de la volonté.

Enfin la fleur de lotus, inscrite sur les poignets, désigne l'acte divin ou la création du monde qui est le dernier degré.

Vischnou, dans la première sphère divine, est le créateur par le feu ou par l'amour, il est représenté de couleur rouge ; d'après un passage du Bagavadam déjà cíté, Vischnou apparut d'abord avec un corps revêtu de pourpre, plus éclatant que le soleil et semblable au feu. Telle est la manifestation primitive ou dans la première sphère. Dans la seconde Vischnou se révèle dans son éternelle sagesse et s'incarne dans Krichna dont la couleur est bleue. Enfin dans la troisième sphère, celle des actes et des usages de la vie, Vischnou-Krichna est peint en vert ; sur un monument du musée Borgia à Velitri, il est de cette couleur et paraît au milieu de bois et de prés ; non loin est un marais où nagent des poissons et les crocodiles qu'il dompta. La régénération extérieure était figurée par les eaux, les poissons et la couleur verte. Ce premier degré était encore représenté par le singe Hanouman, de couleur verte, qui transporta Vischnou-Rama sur ses épaules en traversant la mer ; enfin, dans son incarnation en tortue, Vischnou a le visage vert. La tortue est le symbole de la stabilité dans la création de l'univers et la régénération de l'homme ; dans l'Inde et au Japon le monde est représenté posant sur une tortue ; ce symbole reparaît en Grèce dans la Vénus de Phidias ; Vénus avait la couleur verte pour attribut, elle était le symbole de la régénération.

Il serait trop long de poursuivre cette enquête en Perse et en Égypte ; qu'il me suffise de remarquer que le hiéroglyphe de la triade divine, mentionné plus haut, reproduit les trois couleurs dans l'ordre des sphères auxquelles elles correspondent. Enfin sur l'obélisque de Paris, Amon, le soleil spirituel, le Verbe divin, est qualifié de Dieu, Seigneur des trois Zones de l'univers.

Passons au christianisme : héritier des antiques symboles auxquels il rendit la vie, il nous les transmit souvent avec une pureté que l'on ne retrouve pas dans les plus anciens monuments.

Denis l’Aréopagite, converti au christianisme par l'apôtre saint Paul, écrit, dans son Traité des hiérarchies célestes, que toutes les intelligences angéliques sont divisées en trois ordres, en essence, en vertu et en action ; il existe trois cieux, et chacun est de même divisé par trois.

Le géographe arménien Vartan enseigne la même doctrine qu'il explique avec plus de précision et de netteté ; décrivant les trois cieux il dit :

« D'abord est le tabernacle impénétrable où est le trône de la Divinité qui est au-dessus de tout ce qui existe. Aucun être créé ne peut entrer ni même voir dans ce tabernacle : la Sainte Trinité seule y habite dans une lumière inaccessible. Après sont les demeures des anges : d'abord sont les ordres des séraphins, des chérubins et des trône , perpétuellement occupés de glorifier Dieu. Ils voient la gloire de la Divinité, ils lui sont enchaînés par l'amour et ils ne veulent pas s'en éloigner : ce n'est pas par stabilité, mais par attachement et par amour. Comme ils sont incorporels, on ne peut pas dire qu'ils sont dans un lieu ; mais les désirs et les amours sont comme leurs lieux, et c'est parce qu'ils le veulent qu'ils sont là. Ces trois ordres n'en font qu'un par le rang et la gloire. Après eux sont les dominations, les vertus et les puissances, qui forment les hiérarchies moyennes. Enfin, après ceux-ci, sont les principautés, les archanges et les anges qui forment les dernières hiérarchies. Ces six ordres ont des places et des degrés de gloire différents, de même que les hommes, tous d'une même nature, sont de divers rangs que l'un est roi, tandis qu'un autre est prince, chef de ville et ainsi de suite. Les cieux lumineux, fixes et sans mouvement, sont leur demeure. Ensuite est une ceinture aqueuse, placée par la volonté du Créateur, qui est toujours en mouvement, et qui, pour cette raison, est connue sous le nom de premier mobile. Après cela on rencontre les cieux du firmament, où se trouvent une grande quantité d'astres qui se meụvent circulairement comme la meule qui écrase des olives. Au-dessus sont les deux pôles des astres qui tournent entièrement en vingt-quatre heures et ne sont pas semblables à la ceinture aqueuse. Ensuite est la zone des sept planètes placées l'une au-dessus de l'autre. »

« On trouve ensuite les quatre éléments, qui s'enveloppent les uns les autres sphériquement. D'abord est la sphère du feu, qui environne tous les autres éléments ; on trouve ensuite l'air, puis l'eau et enfin la terr , qui est le dernier des quatre et qui est au milieu de tous les autres. » (Saint-Martin, Mémoires sur l'Arménie, tome II, p. 407).

D'après la théosophie de Vartan, il existe trois cieux : le ciel suprême où règne l'amour divin ; le ciel intermédiaire où les hiérarchies angéliques ont la puissance que donne la sagesse ; enfin apparaît la ceinture aqueuse spirituelle que l'on retrouve dans l'arc-en-ciel vert de l'Apocalypse. Les sphères du feu, de l'air et de l'eau, correspondent dans le monde matériel aux trois cieux. Les douze mondes célestes de la philosophie grecque offraient le même dogme ; le ciel le plus éloigné est, d'après Aristote, la résidence du Dieu suprême et des autres divinités, d'après Piaton ; c'est le monde des idées ; au-dessous roulent les sept planètes, et successivement apparaissent la sphère du feu, celle de l'air, de l'eau, et enfin de la terre.

L'influence de cette doctrine se fit ressentir dans la moyen-âge ; on la retrouve, dans le curieux ouvrage de Rabartus Maurus sur les louanges de la croix, et nous pouvons en constater l'existence sur les monuments de cette époque.

Les personnages saints, représentés sur les peintures chrétiennes, ont, ainsi que Dieu, Jésus-Christ et les anges, des auréoles de différentes couleurs ; mais Dieu et Jésus-Christ paraissent seuls au centre de sphères ou limbes qui les enveloppent en entier ; quelquefois une seconde sphère paraît au-dessous de la première et environne le marche-pied de la Divinité. Sur la Bible latine du dixième siècle, Jésus-Christ est entouré du limbe rouge bordé d'une bande bleue, son auréole est rouge, des chérubins et des anges l'environnent, leurs auréoles sont les unes rouges, les autres bleues, et les troisièmes vertes. Sous les pieds de Jésus-Christ est une sphère pourpre, et le marche-pied de la Divinité séparé en trois bandes, rouge, bleue et verte.

Sur une miniature du onzième siècle, qui représente la Pentecôte, le Saint-Esprit est au centre d'une triple sphère bleue, rouge et verte ; il darde des rayons rouges sur les apôtres. Enfin ces trois sphères célestes paraissent deux fois sur le manuscrit latin des emblèmes bibliques du treizième siècle.


LANGUE SACRÉE. Quatre couleurs sont attribuées aux quatre éléments ; le rouge représente le feu ; l'azur, l'air ; le vert, l'eau ; et le noir, la terre : mais ces éléments étaient-ils des dieux ou des symboles ? Le plan céleste des Indiens, des Grecs et des chrétiens, fournit la réponse ; les sphères des éléments correspondent aux sphères célestes.

C'est ainsi que l'initiation figurait ce mystère par quatre épreuves : Ayant foulé au pied le seuil de Proserpine, dit Apulée, j'en suis revenu à travers tous les éléments. Le néophyte devait être purifié par la terre, par l’eau, par le feu.

La terre représentait le chaos et les ténèbres des profanes ; l'eau ou le baptême était l'emblème de la régénération extérieure par le triomphe des tentations ; l'air désignait la vérité divine éclairant l'entendement du néophyte, comme le feu ou le suprême degré ouvrait le coeur à l'a mour divin .

Ces épreuves symboliques étaient purement extérieures ; elles figuraient les quatre sphères matérielles que le néophyte devait parcourir avant de s'élever aux trois cieux représentés sur cette terre par les trois degrés d'initiation ou de r génération spirituelle.

Le premier degré d'initiation, accordé après l'accomplissement des épreuves, s'acquérait par le baptême d'eau et la réformation des moeurs ; le myste était alors régénéré dans ses actes et dans sa vie extérieure ; il avait franchi la porte de la mort spirituelle, marquée par les ténèbres et la couleur noire.

Les symboles de ce premier degré étaient les couleurs noire et verte ; le noir rappelait les eaux primitives ou le chaos, comme le vert figurait la création ; le noir était consacré aux divinités marines, et elles étaient revêtues de costumes verts. La terre avait également les mêmes couleurs pour symboles ; comme matière ténébreuse, on lui attribuait le noir ; et comme principe de la végétation, elle était verte.

Le motif qui fit assigner ces deux couleurs à l'eau et à la terre existe dans la loi de la nature ; la végétation se produit par l'action de ces deux éléments, le vert indiquait leur union féconde, comme le noir leur état de séparation et de mort.

Le baptême était le symbole du mystère de la création ; le profane représentait la matière inerte et ténébreuse ; les eaux répandues sur sa tête figuraient le principe fécondant qui devait le régénérer.

Ainsi la parabole du semeur enseigne aux chrétiens que la régénération est semblable au germe de la plante qui renaît au sein de la mort et reverdit dans une vie nouvelle. Dans l’Apocalypse, il est ordonné aux sauterelles de ne faire aucun mal à l'herbe de la terre, ni à aucune verdure, ni à aucun arbre ; et de n'en faire qu'aux hommes qui n'auraient pas le sceau de Dieu sur leurs fronts. Cette opposition de la verdure et des profanes démontre que l'herbe verte était le symbole des régénérés.

Le second degré d'initiation, figuré par la couleur bleue, indiquait la régénération spirituelle ; le néophyte recevait le baptême d'esprit, marqué sur les anaglyphes égyptiens, par les eaux bleues.

Enfin le troisième degré était le baptème de feu ; sur les peintures des temples de Thèbes, les mânes qui entrent dans la vie éternelle, reçoivent sur la tête les eaux baptismales rouges et bleues.

Ce triple baptême se retrouve dans l'évangile : pour moi, dit saint Jean-Baptiste, je vous baptise d'eau, pour vous porter à la repentance, mais celui qui vient après moi est plus puissant que moi ; c'est lui qui vous baptisera du Saint-Esprit et du feu.

L'Inde nous fournit les plus anciennes traditions sur la symbolique de la couleur verte ; la régénération fut représentée sous l'emblème de combats entre le Dieu suprême Vischnou et le chef des génies du mal ; ce fut dans la guerre de Lanca que Vischnou, incarné dans Rama, lutta contre les géants et les dompta. Les géants représentent dans l'Inde l'esprit des ténèbres comme dans la Genèse, comme dans la mythologie des Scandinaves et des Grecs. Les couleurs attribuées à Rama et au chef des géants donnent la clé de ce mythe.

« Dans les temples dédiés à cette incarnation, dit Sonnerat, on représente Viscbnou de couleur verte, sous la figure d'un jeune homme d'une parfaite beauté, tenant en main un arc et des flèches ; Hanouman est à ses côtés, dans l'attente de ses ordres ; on y met aussi le tableau du géant, peint avec dix têtes de couleur bleue, et vingt bras, tenant dans chaque main des armes différentes, emblèmes de sa force et de sa puissance.

Hanouman, le général de l'armée des singes, représente, d'après William Jones, les hommes sauvages des montagnes, civilisés par Rama ; il est ici question des profanes régénérés, puisque les Indianistes s'accordent à dire que le singe est dans l'Inde le symbole de l'âme.

Rama ne peut soumettre les géants qu'en traversant la mer ; les singes forment une digue par un travail prodigieux ; Rama, représenté de couleur verte, est le symbole du premier degré de régénération ; la mer désigne l'ablution baptismale ; le travail des singes ou des âmes ne peut s'entendre que des travaux pénibles de la régénération. Enfin les géants, personnifiés dans leur chef, portent pour marque distinctive la couleur bleue ; ce symbole de la sagesse divine affecté à l'esprit du mal, indique la fausse sagesse humaine qui combat contre l'action du Dieu régénérateur ; ainsi les armes du géant n'ont point de portée, tandis que celles de Vischnou portent au loin et ne manquent jamais leur but.

Rama s'identifie avec Bacchus, le conducteur des âmes, et le chef des géants avec Pluton.

Rama est le symbole des trois degrés de régénération. Dans le premier, il est de couleur verte et il combat contre les géants ; dans le second, il est peint en bleu, et prend le surnom de corps bleu, dénomination de Vischnou et de Krichna, représentants de la sagesse divine ; enfin, dans le troisième, on lui donne un corps couleur hyacinthe, des yeux et des lèvres couleur de sang ; c'est le maître du monde, une moitié de Vischnou lui-même. En Égypte, le suprême degré d'initiation, celui qu’on acquérait en entrant dans l'autre vie, était représenté par le baptême des eaux rouges et bleues ; la couleur hyacinthe de Rama est formée par l'union du rouge et du bleu.

Les religions de l'antiquité, comme le christianisme, considéraient la Divinité dans son double attribut d'amour et de sagesse ; la langue des couleurs donne la traduction de ce dogne universel dans le rouge et le bleu. Les mystères de vaient reproduire cette dualité du bien et du vrai ; Vénus et Minerve furent les symboles de cette doctrine révélée dans le premier degré de l'initiation ; la couleur verte de ces deux divinités l'indique et leur histoire le démontre.

La Minerve égyptienne Neith naquit au sein des eaux ; elle était fille du Nil, comme Minerve était fille de Neptune et de la nymphe Tritonisou du lac Triton ; la naissance de cette divinité est l'emblème du premier degré dans les mystères, le baptême.

Pallas-Athené se montre d'abord en connexion et à la fois en opposition avec les eaux ; elle combat Poseidon ou Neptune, avant d'obtenir l'empire de la ville qui porte son nom ; dans les cosmogonies, la sagesse divine combat les eaux primitives et fait naître le monde au sein du chaos, dans les mystères le néophyte combat ses passions charnelles et acquiert par la victoire une nouvelle existence. L'ablution baptismale était en même temps le symbole de la cosmogonie et de l'initiation, de la naissance de l'univers et de la régénération spirituelle ; la sagesse devait dès lors avoir une double origine ; émanée de Dieu, elle trouvait son symbole dans Pallas sortant armée du cerveau de Jupiter ; elle était alors représentée de couleur rouge, comme déesse des combats spirituels ; naissant dans l'homme régénéré, son symbole était la Minerve de couleur verte.

Le néophyte ne peut être régénéré que par le double baptême d'esprit et de feu, que par l’union de la vérité et de l'amour. La Minerve égyptienne Neith, épouse le dieu du feu, le phtha de Memphis et de Saïs ; de ce mariage naît le soleil, symbole de la lumière éternelle comme de la révélation divine ; de même la Minerve grecque s'unit au Vulcain céleste, le dieu du feu pur, elle enfante Apollon ou le soleil.

Homère donne à Minerve des yeux pers, ou vert de mer. Les mythographes lui attribuent des yeux resplendissant d'une triple couleur, symboles des trois degrés d'initiation ; de même son pallium était d'or, de pourpre et d'azur.

Cette déesse reçut l'épithète de musica. La musique ou la science enseignée par les muses, comprenait toutes les connaissances humaines ; Moise, dit Philon, fut initié à toute la musique des Égyptiens ; les muses présidaient aux sources, et Moïse fut sauvé des eaux ou par les eaux baptismales.

Minerve est le symbole de la sagesse et de la vérité dans les mystères ; Vénus re présente l'amour divin. Les Grecs distinguaient deux déesses sous le nom de Vénus, l'une céleste et l'autre terrestre, l'une verte et l'autre noire.

Athor, chez les Égyptiens, était le principe passif, l'emblème du chaos et de la nuit qui avait enveloppé la nature avant la création ; les Grecs formèrent leur Vénus ténébreuse d'après cette divinité.

La seconde Vénus, de couleur verte, émanait de la première ; elle naissait au sein des eaux primitives et prenait le sur nom de Vénus Aphrogenie, née de l'écume de la mer. Alors unie à Hermès, l'initiateur, elle donnait naissance à l'Amour. Nous avons remarqué dans le chapitre précédent les rapports symboliques entre le noir et le vert. Nous les retrouvons encore ici ; la Vénus ténébreuse représentait l'état qui précède la régénération ; la Vénus Aphrogenie, de couleur verte, naissait de la mer, comme l'initiation commence par le baptème. Unie à Hermès, personnification du sacerdoce et des rites sacrés, elle enfante l'amour divin. Cette déesse présidait à la génération charnelle, emblème de la régénération spirituelle. Enfin Vénus régénératrice tendait à s'identifier avec le soleil, symbole de l'amour et de la vérité, émanés de Dieu. C'est ainsi que, d'après les Kabbalistes hébreux, la beauté, une des dix émanations divines (Sephiroth), avait pour syınbole le vert et le jaune. Ces deux couleurs rapprochées nous ramènent au mythe de Mitra-Mithras. Hérodote dit que les Perses nommaient la Vénus céleste Mitra, et Mithras s'identifie avec le soleil.

Nous savons, par un passage de Jean le Lydien, que le vert était consacré à Aphrodite ; une peinture d'Herculanum confirme ce fait ; elle représente Vénus avec une draperie flottante d'une couleur verdâtre . Les trois Grâces, ses compagnes, étaient les symboles des trois sphères célestes, et des trois degrés de régénération que l'âme doit parcourir pour se régénérer. Thalie préside à la végétation dont la couleur est verte ; Euphrosyne règne sur l'empire de l'air ou de l'azur, et Aglaé sur celui du feu ou du rouge. Toutes les divinités marines de la Grèce avaient pour attribut la couleur vert de mer ; « Neptune, dit Winkelmann, si sa figure nous était parvenue en tableau, aurait un vêtement vert de mer ou Celadon, comme on avait coutume de peindre les Néréïdes ; enfin tout ce qui avait rapport aux dieux marins, jusqu'aux animaux qu'on leur sacrifiait, portait des bandelettes d’un vert de mer. « C'est d'après cette maxime que les poètes donnent aux fleuves des cheveux de la même couleur. En général les nymphes, qui tirent leur nom de l'eau, nymphi, lympha, sont ainsi vêtues dans les peintures antiques. »

Jean le Lydien confirme ces observations ; la couleur de mer (Bévetov, venetus color), était, dit-il, consacrée à Poseïdon ou Neptune.

Freya, divinité des Scandinaves, s'identifie avec la Vénus Aphrodite des Grecs, le vendredi lui est également consacré (freytag). Freya est la déesse marine. Un de ses surnoms est Syr, l'amante des eaux.

Dans le Zent-Avesta, le chien Tascher ou Syrius, préside à la pluie et à l'initiation de la mort. En zend, sur signifiait la mer, les eaux. La Vénus scandinave, fille de Niord, dieu de la mer, était déesse de l'amour ; la première elle enseigna l'art magique. Toutes ces traditions se rapportent aux mystères sacrés. Un dernier trait montre les rapports intimes qui existent entre les religions de l'antiquité. Freya, comme Isis, pleure sans cesse le départ de son époux ; elle l'a cherché dans des pays où elle a reçu le nom de Vanadis, déesse de l'espérance. Isis est la Vénus égyptienne d'après Apulée. A l'exemple de ces divinités, Freya, déesse de l'espérance, avait-elle la couleur verte pour attribut ? Aucun monument ne le constate, mais tout semble l'indiquer.

Le christianisme reproduit la doctrine enseignée dans les mystères, si l'homme ne naît de nouveau, dit Jésus-Christ, il ne peut voir le royaume de Dieu. Le symbole de la régénération était la renaissance de la nature au printemps, la végétation des plantes, des arbres, et la verdure des champs ; le Messie, marchant au supplice, consacre ce symbole, comme il l'avait déjà établi dans la parabole, du semeur. Portant la croix, il dit à ceux qui le suivent : « Si l'on fait ces choses au bois vert, que ne fera-t-on point au bois sec ? » Le bois vert désigne l'homme régénéré, comme le bois sec est l'image du profane mort à la vie spirituelle.

En Chine, le vert désigne l'orient, le printemps, le bois et la charité. Dans le christianisme, le vert est le symbole de la régénération dans les actes, c'est-à-dire de la charité. Le Messie rappelle aux hommes les deux commandements de la loi comme les seules bases du salut éternel : l'amour de Dieu et l'amour du prochain. S'offrant en sacrifice, il donne l'exemple de la charité divine qui devient l'espérance de l'humanité. Les peintres chrétiens du moyen-âge représentaient la croix de couleur verte, symbole de régénération, de charité et d'espérance ; quelquefois ils la bordaient d'une bande rouge, comme sur les vitraux de la cathédrale de Chartres. Le sépulcre et les instruments de la passion étaient souvent peints en vert.

L'ami du Christ, celui qui ne lui promit rien, mais qui ne l'abandonna jamais, l'initiateur chrétien, l'écrivain sacré des mystères scellés dans l’Apocalypse, saint Jean est presque toujours représenté avec la robe verte. La tradition consacre aussi la couleur verte à la Vierge et à Jésus enfant, comme un symbole du premier degré de régénération. La couleur des vêtements du Messie, aux différentes époques de sa vie, forme un drame sacré dont nous ferons connaître la symbolique dans l'ouvrage qui suivra celui-ci. Le vert avait la même signification chez les Arabes ; cette couleur devint le symbole de l'initiation à la connaissance du Dieu suprême révélé dans le Coran. La lutte des deux principes bon et mauvais fut, comme dans l'ancienne Perse, représentée par le blanc et le noir ; Mahomet vit combattre des légions d'anges vêtus en blanc ; dans les principales actions de sa vie il fut, disent les traditions musulmanes, secondé par des anges dont les turbans étaient verts . Le blanc et le vert furent et sont encore les couleurs de l'islamisme ; les principales enseignes de l'empire turc sont vertes ou blanches ; le satin blanc forme l'habit de cérémonie du grand visir, comme le drap blanc celui du mouphty : « Tous deux, dit Mouradja, comme vicaires et représentants du souverain, l'un pour le temporel, l'autre pour le spirituel. Le satin vert est aussi l'habit d'ordonnance de tous les pachas à trois queues en qualité de lieutenants du monarque, dans les provinces confiées à leur administration, et le drap vert la robe de cérémonie des woulemas, comme étant les ministres de la justice, de la loi et de la religion, au nom et sous l'autorité du sultan, qui est l'imam suprême ou le premier pontife de l'islamisme. D'ailleurs, le turban vert est a exclusivement réservé à tous les émirs descendants d’Aly...... Enfin, cette couleur est devenue la marque distinctive, non seulement de la nation ottomane, mais encore de tous les peuples musulmans. »

Le rôle de l'islamisme, entre les religions orientales, est celui d'initiateur à la connaissance d'un seul Dieu ; Aly, l'initiateur par la conquête, porte la robe verte comme saint Jean, l'initiateur par les armes spirituelles. Le jour consacré au Dieu de Mahomet est le vendredi, jour de la verte Vénus.

Le vert, comme les autres couleurs, eut une signification néfaste ; si elle était le symbole de la régénération de l'âme et de la sagesse, elle signifia, par opposition, la dégradation morale et la folie.

Le théosophe de la Suède, Swedenborg, donne des yeux verts aux fous de l'enfer. Un vitrail de la cathédrale de Chartres représente la tentation de Jésus ; Satan a la peau verte et de gros yeux verts. Anciennement, en France, d'après La Mothe-le-Vayer, le vert était le blason des fous.

L'oeil, dans la symbolique, signifie l'intelligence, la lumière intellectuelle ; l'homme peut la tourner vers le bien ou le mal. Satan et Minerve, la folie et la sagesse, furent représentés avec les yeux verts.


LANGUE PROFANE. Les légendes populaires conservent les traditions sacrées en les matérialisant ; le vert, symbole de la régénération de l'âme, de la nouvelle naissance spirituelle, fut l'emblème de la naissance matérielle . La superstition attribua longtemps à l'émeraude la vertu miraculeuse de hâter l'enfantement.

Le néophyte devait remporter la victoire sur ses passions figurées dans la Genèse, les livres zends et les eddas par le serpent. Une légende populaire racontait que la poudre d'émeraude guérissait la morsure des animaux venimeux. Dans la langue sacrée, le vert était le symbole de l'espérance dans l'immortalité ; dans la langue populaire, le vert était la couleur de l'espérance dans ce monde. Par inversion les profanes lui attribuerent la signification de désespoir ; dans les représentations scéniques de la Grèce, le vert glauque ou vert de mer était, dans de certaines circonstances, une couleur sinistre.

Le vert était le symbole de la victoire spirituelle ; plus tard il fut celui de la victoire matérielle, et enfin par opposition il désigna chez les Grecs la défaite et les transfuges.

Chez les Maures le vert avait la même signification profane que dans l'antiquité ; il désignait l'espérance, la joie et la jeunesse, parce qu'il est la couleur du printemps, cette jeunesse de l'année, qui ramène l'espérance des récoltes. De même, d'après l'art héraldique, le sinople (le vertdu blason) signifie civilité, amour, joie et abondance. « Les archevêque, dit le Palais de l'Honneur, portent un chapeau de sinople avec des cordons de soie verte entrelacés... Les évêques portent aussi le chapeau de sinople, pour ce qu'étant establis comme bergers sur les chrestiens, cette couleur dénot les bons pasturages, où les sages bergers mènent paistre leurs brebis, et est le symbole de la bonne doctrine de ces prélats. »

Le vert était le symbole de la bonne doctrine chrétienne, comme de la bonne doctrine mahométan, grecque, égytienne et indienne. Le dernier anneau de cette chaîne historique se rattache et se con fond avec le premier. »

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Adolphe de Chesnel, auteur d'un Dictionnaire des superstitions, erreurs, préjugés, et traditions populaires... (J.-P. Migne Éditeur, 1856) propose la notice suivante :


VERT. La couleur verte, qui est celle de prédilection des fées, est aussi, dans la croyance des Ecossais, fatale à plusieurs familles de leur pays, entre autres à celles des Graham ; et l'on ajoute que lorsqu'un Graham reçoit un coup de feu dans une bataille, la balle traverse immanquablement le carreau vert de son plaid.

 

Selon Vassily Kandinsky , auteur de l'ouvrage intitulé Du spirituel dans l'art (1911),


"Le vert absolu est la couleur la plus anesthésiante qui soit. Elle ne se meut dans aucune direction et n'a aucune consonance de joie, de tristesse ou de passion ; elle ne réclame rien, n'attire vers rien. Cette absence permanente de mouvement est certes une qualité bienfaisante pour des âmes et des hommes fatigués, mais devient, après un certain temps de repos très fastidieuse [...]. La passivité est la propriété caractéristique du vert pur, propriété se parfumant cependant d'une sorte d'onction, de contentement de soi. C'est pourquoi, dans le domaine des couleurs, le vert correspond à ce que représente, dans la société des hommes, la bourgeoisie : c'est un élément immobile, satisfait de lui-même, limité dans toutes les directions. Ce vert est semblable à une grosse vache, pleine de santé, couchée, figée, capable seulement de ruminer en contemplant le monde de ses yeux stupides et inexpressifs."

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Dans le Dictionnaire des symboles (1969, édition revue et corrigée Robert Laffont, 1982) de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, on peut lire que :


"Entre le bleu et le jaune, le vert résulte de leurs interférences chromatiques. Mais il entre avec le rouge dans un jeu symbolique d'alternances. La rose fleurit entre des feuilles vertes.


Équidistant du bleu céleste et du rouge infernal, tous deux absolus et inaccessibles, le vert, valeur moyenne, médiatrice entre le chaud et le froid, le haut et le bas, est une couleur rassurante, rafraîchissante, humaine. Chaque printemps, après que l'hiver a convaincu l'homme de sa solitude et de sa précarité, en dénudant et glaçant la terre qui le porte, celle-ci se revêt d'un nouveau manteau vert, qui rapporte l'espérance, en même temps que la terre redevient nourricière. Le vert est tiède. Et la venue du printemps se manifeste par la fonte des glaces et la chute des pluies fertilisantes.

Verte est la couleur du règne végétal se réaffirmant, de ces eaux régénératrices et lustrales, auxquelles le baptême doit toute sa signification symbolique. Vert est l'éveil des eaux primordiales, vert est l'éveil de la vie. Vishnu, porteur du monde, est représenté sous la forme d'une tortue au visage vert et, selon Fulcanelli la déesse indienne de la matière philosophale, qui naît de la mer de lait, a le corps vert, tout comme la Vénus de Phidias. Neptune, écrit Winkermann, si sa figure nous était parvenue en tableau, aurait un vêtement vert de mer ou céladon, comme on avait coutume de peindre les Néréides ; enfin tout ce qui avait rapport aux dieux marins, jusqu'aux animaux qu'on leur sacrifiait, portait des bandelettes d'un vert de mer. C'est d'après cette maxime que les poètes donnent aux fleuves des cheveux de la même couleur. En général les nymphes, qui tirent leur nom de l'eau, Nymphi, Lympha, sont ainsi vêtues dans les peintures antiques.


Le vert est couleur d'eau comme le rouge est couleur de feu, et c'est pourquoi l'homme a toujours ressenti instinctivement les rapports de ces deux couleurs comme analogues à ceux de son essence et de son existence. Le vert est lié à la foudre. Il correspond en Chine au trigramme tch'en qui est l'ébranlement (de la manifestation aussi bien que de la nature au printemps), le tonnerre, signe du début de l'ascension du yang ; il correspond aussi à l'élément Bois. Le vert est la couleur de l'espérance, de la force, de la longévité (celle aussi, par contre, de l'acidité). C'est la couleur de l'immortalité, qu symbolisent universellement les rameaux verts.

La montée de la vie part du rouge et s'épanouit dans le vert. Les Bambaras, les Dogons, les Mossi, considèrent le vert comme une couleur secondaire issue du rouge. On voit souvent dans cette représentation celle de la complémentarité des sexes : l'homme féconde la femme, la femme nourrit l'homme ; le rouge est une couleur mâle, le vert est une couleur femelle. Dans la pensée chinoise c'est le yin et le yang, l'un mâle, impulsif, centrifuge et rouge, l'autre femelle, réflexif, centripète et vert ; l'équilibre de l'un et de l'autre, c'est tout le secret de l'équilibre de l'homme et de la nature.


Face à cette dialectique orientale, nos sociétés fondées sur le culte du principe mâle ont toujours accordé une priorité à l'étincelle créatrice, qu'elle provienne des reins ou du cerveau de l'homme. C'est la chispa espagnole, base de toute une éthique. Elle entraîne en contrepartie le complexe d'Œdipe, c'est-à-dire le culte du refuge maternel. Essentiellement fils et amant, l'homme, au terme d'un galop furieux, revient à la Mère comme à une


oasis ; c'est le havre de paix, rafraîchissant et reconstituant. Il existe de ce fait toute une thérapeutique du vert, basée, même quand elle l'ignore, sur le regressus ad uterum. Verte était au Moyen Âge la toge des médecins - parce qu'ils utilisaient les simples, dit-on ; elle a de nos jours laissé la place au rouge sombre qui, intuitivement, exprime la croyance au secret de l'art médical ; mais le vert est resté la couleur des apothicaires, qui élaborent les médicaments. Et la publicité pharmaceutique a su reconduire une vieille croyance en donnant une valeur mythique de panacée à des mots comme chlorophylle ou vitamines.

L'expression se mettre au vert, née de l'hypertension provoquée par le vie citadine, exprime aussi le besoin d'un retour périodique à un environnement naturel, qui fait de la campagne un substitut de la mère. Le journal d'un schizophrène cité par Durand le montre de façon indiscutable : Je me sentis, écrit le malade, aux approches de la guérison, glisser dans une paix merveilleuse. Tout était vert dans la chambre. Je me croyais dans une mare, ce qui équivalait pour moi à être dan le corps de maman... J'étais au Paradis, dans le sein maternel.

Enveloppant, calmant, rafraîchissant, tonifiant, le vert est célébré dans les monuments religieux que nos ancêtres dressèrent sur le désert. Verte est demeurée pour les Chrétiens l'Espérance, vertu théologale. Mais le christianisme s'est développé dans les climats tempérés, où l'eau et la verdure se sont banalisées. Il en va tout autrement de l'Islam, dont les traditions se sont créées comme des mirages, au-dessus de l'immensité hostile et brûlante des déserts et des steppes. Le drapeau de l'Islam est vert ; et cette couleur constitue pour le musulman l'emblème du Salut, et le symbole de toutes les plus hautes richesses, matérielles et spirituelles, dont la première est la famille : vert était, dit-on, le manteau de l'Envoyé de Dieu, sous lequel ses descendants directs - Fatma, sa fille, Ali, son gendre, et leurs deux enfants Hassan et Hussein, venaient se réfugier à l'heure du danger, ce pour quoi on les appelle les quatre sous le manteau : les quatre, c'est-à-dire aussi les quatre piliers surs lesquels Mohammad bâtit son église. Et le soir, les nomades, après avoir fait leur dernière prière, évoquent l'histoire merveilleuse de Khidr, Khisr ou Al Khadir, L'Homme Vert. Khisr est le patron des voyageurs, il incarne la providence divine. La tradition veut qu'il ait construit sa maison au point extrême du monde, là où se touchent les deux océans céleste et terrestre : il représente donc bien cette mesure de l'ordre humain, équidistant du Haut et du Bas. Celui qui rencontre Khisr ne doit pas lui poser de question, il se soumettra à ses conseils, quelque extravagants qu'ils puissent paraître. Car Khisr, comme tout véritable initié, indique le chemin de la vérité sous des apparences parfois absurdes. Khisr est, en ce sens, proche parent du Compagnon de route d'Andersen, et, comme lui, il disparaît, service rendu. Son origine est incertaine. Selon les uns il serait le propre fils d'Adam, le


premier des prophètes, et aurait sauvé du déluge le cadavre de son père. Selon d'autres, il serait né dans une grotte - c'est-à-dire du vagin de la terre elle-même - et aurait subsisté et grandi grâce au lait d'un animal, avant de s'engager au service d'un Roi - qui ne peut vraisemblablement être autre que Dieu ou l'Esprit. On le confond parfois avec saint Georges, et plus souvent avec Elie - ce qui réaffirme la parenté du vert et du rouge, de l'eau et du feu. On raconte qu'il découvrit un jour une source, alors qu'il cheminait dans le désert, un poisson sec à la main. Il plongea dans l'eau ce poisson, qui, aussitôt, reprit vie ; Khisr comprit alors qu'il avait atteint la source de vie ; il s'y baigna lui-même, et ce fut ainsi qu'il devint immortel, tandis que son manteau se colorait en vert. on l'associe souvent à l'océan primordial ; on dit alors qu'il habite une île invisible, au milieu de la mer. Il est devenu par conséquence le patron des navigateurs, que les marins de Syrie invoquent lorsqu'ils sont surpris par la tempête. En Inde, où on le révère sous le nom de Khawadja Khidr, il est représenté assis sur un poisson, et on l'assimile aux dieux des fleuves. Mais il règne nécessairement sur la végétation comme sur les eaux. Certains chroniqueurs arabes disent qu'il s'assied sur une fourrure blanche, et que celle-ci devient verte ; cette fourrure, ajoute un commentateur, c'est la terre. Les Soufis disent que Khisr assiste également l'homme contre la noyade et l'incendie, les Rois et les Diables, les serpents et les scorpions. Il est donc pleinement le médiateur, celui qui réconcilie les extrêmes, qui résout les antagonismes fondamentaux, pour assurer la marche de l'homme. Dans l'islam, le verte est encore la couleur de la connaissance, comme celle du Prophète. Les saints, dans leur séjour paradisiaque, sont vêtus de vert.


Bénéfique, le vert prend donc une valeur mythique, qui est celle des green pastures, des verts paradis des amours enfantines : verte comme la jeunesse du monde apparaît aussi la jeunesse éternelle promise aux Élus. La verte Érin, avant de devenir le nom de l'Irlande, était celui de l'île des bienheureux du monde celtique. Les mystiques allemands (Mechtilde de Magdeburg, Angelus Silesius) associent le vert au blanc pour qualifier l'Épiphanie et les vertus christiques, la justice du vert venant compléter l'innocence du blanc.

Le sinople, ou vert du blason, a la même origine pastorale : selon Sicille, Le Blason de couleurs (XVe siècle) cité par Littré, il signifie boys, pres, champs et verdure, c'est-à-dire civilité, amour, joie et abondance. Les archevêques portent un chapeau de sinople avec des coauDRAFTJS_BLOCK_KEY:3oih5ons verts entrelacés... les évêques potent aussi le chapeau de sinople, parce qu'estant establis comme bergers sur les Chrestiens, cette couleur dénote les bons pasturages, où les sages bergers mènent paistre leurs brebis, et est le symbole de la bonne doctrine de ces prélats (Anselme, Palais de l'Honneur).

Ces merveilleuses qualités du vert amènent à penser que cette couleur cache un secret, qu'elle symbolise une connaissance profonde, occulte, des choses et de la destinée. Le mot sinople vient du bas-latin sinopis qui désigne d'abord la terre rouge de Sinope, avant de prendre, au XIVe siècle, le sens de vert pour des raisons inexpliquées et qui signifiait à la fois rouge et vert. Et telle est vraisemblablement la raison pour laquelle les anonymes codificateurs du langage des armes parlantes choisirent ce mot. La vertu secrète du vert vient de ce qu'il contient le rouge, de même que, pour emprunter le langage des hermétistes et alchimistes, la fertilité de toute œuvre provient de ce que le principe igné - principe chaud et mâle - y anime le principe humide, froid, femelle. Dans toutes les mythologies, les vertes divinités du renouveau hibernent aux enfers où le rouge chthonien les régénère. De ce fait, elles sont extérieurement vertes et intérieurement rouges, et leur empire s'étend sur les deux mondes. Osiris le vert a été dépecé et jeté dans le Nil. Il ressuscite par la magie d'Isis la rouge. Il est un Grand Initié, parce qu'il connaît le mystère de la mort et de la renaissance. Aussi préside-t-il simultanément, sur la terre au renouveau printanier, et sous la terre au jugement des âmes. Perséphone apparaît sur terre au printemps, avec les premières pousses des champs. En automne, elle retourne aux enfers, auxquels elle est liée pour toujours depuis qu'elle a mangé un grain de grenade. Ce grain de grenade, c'est son cœur, parcelle du feu intérieur de la terre qui conditionne toute régénérescence : c'est le rouge interne de Perséphone la verte. Le mythe aztèque de la déesse Xochiquetzal, comme Perséphone enlevée aux enfers pendant la saison hivernale, présente une troublante analogie avec le mythe grec ; elle disparaît dans le jardin de l'Ouest, c'est-à-dire, au pays des morts, pour reparaître au printemps, où elle préside à la naissance des fleurs. On la reconnaît dans les manuscrits au double panache de plumes vertes, l'omoquetzallî, qui lui sert d'ornement de tête. Le vert et le rouge, dans la pensée des Aztèques, c'est aussi les chalchhuatl, ou eau précieuse, nom que l'on donnait au sang jaillissant du cœur des victimes que les prêtres du Soleil immolaient chaque matin à l'astre du jour pour nourrir sa lutte contre les ténèbres nocturnes et assurer sa régénération.

On retrouve nécessairement la même complémentarité du vert et du rouge dans les traditions relatives aux divinités de l'amour. Aphrodite, jaillie de l'écume des ondes, est partagée entre l'appel de deux principes mâles - son époux Héphaïstos, le feu chthonien - son amant. Arès, le feu ouranien ; et le jour où Héphaïstos surprend les amants enlacés, c'est Poséidon, dieu des eaux, qui intervient en faveur d'Aphrodite.


Les peintres du Moyen Âge ne peignaient sans doute pas pour d'autres raisons en vert la croix, instrument de la régénération du genre humain, assurée par le sacrifice du Christ. A Byzance, selon Claude d'Ygé, la couleur verte était symbolisée par le monogramme du Christ Rédempteur, formé des deux consonnes du mot vert. La lumière verte acquiert de ce fait une signification occulte. Les Égyptiens craignaient les chats aux yeux verts et punissaient de mort qui tuerait un tel animal. Dans la tradition orphique, verte est la lumière de l'esprit qui a fécondé, au début des temps, les eaux primordiales, jusque là enveloppées de ténèbres. Pour les alchimistes c'est la lumière de l'émeraude, qui perce les plus grands secrets. On comprend dès lors l'ambivalente signification du rayon vert : s'il est capable de tout transpercer, il est porteur de mort aussi bien que de vie. Car, et c'est ici que s'inverse la valorisation du symbole, au vert des pousses printanières s'oppose le vert de la moisissure, de la putréfaction : il y a un vert de mort, comme un vert de vie. Le teint vert du malade s'oppose à la pomme verte, et si grenouilles et chenilles vertes sont amusantes et sympathiques, le crocodile ouvrant sa gueule verte est lui aussi une vision de cauchemar, celle de la porte des enfers bâillant à l'horizon pour aspirer le jour et la vie. Le vert possède une puissance maléfique, nocturne, comme tout symbole femelle. Le langage le connote, on peut rire vert, être vert de peur, comme vert de froid. L'émeraude, qui est une pierre papale est aussi celle de Lucifer avant sa chute. Si le vert en tant que mesure était le symbole de la raison - les yeux pers de Minerve - ce devint aussi au Moyen Âge le symbole de la déraison et le blason des fous. Cette ambivalence est celle de tout symbole chthonien : Satan, sur un vitrail de la Cathédrale de Chartres, a la peau verte et de gros yeux verts. A notre époque où le fantastique retrouve par les découvertes de la science une signification cosmique, on représentera tout naturellement les Martiens, c'est-à-dire l'envers de notre humanité, sous la forme de diables ou d'homoncules verts, ou dotés d'un sang vert, ce qui prend instinctivement, l'homme veut que jamais ne s'inversent les rôles de ce qui est fait pour être vu et ce qui est fait pour être caché.


Mais notre époque célèbre aussi le vert, symbole de la nature naturiste, avec une particulière véhémence, depuis que la civilisation industrielle menace cette nature de mort. Le vert des mouvements écologistes ajoute ainsi au symbolisme premier de cette couleur une nuance nostalgique, comme si le printemps de la terre devait inexorablement disparaître sous un cauchemardesque paysage de béton et d'acier. Et le peintre écologiste Uriburu, après avoir coloré en vert les canaux de Venise et les fontaines de Paris, expose des tableaux verts représentant les espèces animales aujourd'hui menacées de disparition. Ici encore se devine la sous-jacente inversion symbolique : car la verte nature ne fut pas toujours une image de douceur apaisante ; l'Amazonie poumon du monde que défendent, à juste titre, Uriburu et les mouvements écologistes, était traitée, il n'y a pas bien longtemps, d'enfer vert.

Les Alchimistes, dans leur recherche de la résolution des contraires, sont allés plus loin peut-être que ne va aujourd'hui notre imagination. Ils définissent leur feu secret, esprit vivant et lumineux, comme un cristal translucide, vert, fusible comme la cire ; c'est de lui, disaient-ils, que la nature se sert souterrainement, pour toutes choses que l'Art travaille, car l'Art doit se borner à imiter la nature. Ce feu est bien celui qui résout les contraires : on en dit qu'il est aride, mais faisant pleuvoir, humide, mais qui toujours dessèche.

Et finalement, dans tous les ésotérismes, le principe vital lui-même, secret des secrets, apparaît comme un sang profond, que contient un récipient vert. C'est, pour les alchimistes occidentaux, le sang du Lion Vert qui est l'or, nom du vulgaire mais des philosophes. Dans la philosophie et la médecine chinoises c'est le non moins mystérieux sang du dragon. C'est aussi le Graal, vase d'émeraude ou de cristal vert et donc du vert le plus pur, qui contient le sang du Dieu incarné, dans lequel se fondent les notions d'amour et de sacrifice qui sont les conditions de la régénération exprimée par la lumineuse verdeur du vas où crépuscule et aube mort et renaissance, se confondent en s'équilibrant. Nul doute que le Moyen Âge, dans ce mythe, ne se soit inspiré des textes les plus ésotériques du Nouveau Testament. Saint Jean, dans l’Apocalypse (4, 3), décrit ainsi sa vision du Dieu suprême, qui, comme celle d'Ezéchiel, n'est qu'une épiphanie de Lumières, sans forme ni visage : Celui qui siège est comme une vision de jaspe vert ou de cornaline ; un arc-en-ciel autour du trône est comme une vision d'émeraude. Cette vision d'émeraude est vraisemblablement l'origine du Graal ; elle entoure, elle est contenant, vase femelle. Et la lumière divine qu'elle contient comme l'essence même de la divinité, est double en une, à la fois d'un vert jaspé et du rouge sombre et profond de la cornaline. Interprétant ces deux aspects essentiels du vert, couleur naturante et femelle, les modernes spécialistes de la communication et du marketing en sont venus à conclure après tests et sondages, que le vert était la couleur la plus calme qui soit, une couleur sans joie, ni tristesse, ni passion, qui n'exige rien. Et de conclure : le vert est, dans la société des couleurs, ce qu'est la bourgeoisie dans celle des hommes : un monde immobile, satisfait, qui calcule ses efforts et compte son argent. C'est son oscillation entre jour et nuit, germination et putréfaction, le pendule arrêté au point zéro de la balance : la paix du vert serait celle de la neutralité. C'est aussi retrouver le vert de justice d'Angélus Silésius, évoqué plus haut. Mais les mêmes spécialistes de la publicité précisent qu'il s'agit là du vert pur, que toute adjonction, si légère fût-elle, d'un pigment étranger, fait sortir de sa neutralité, pour le ramener vers l'agitation de notre société : une pointe de jaune lui apporte une force active, un aspect ensoleillé. Si le bleu domine, le vert devient sérieux et chargé de pensée. Clair ou foncé, le vert conserve son caractère originaire d'indifférence et de calme ; dans le vert clair, l'indifférence l'emporte, tandis que le calme se ressent davantage dans le vert foncé.

Faudrait-il alors conclure, comme Hervé Fisher dans sa réflexion sur l'œuvre d'Uriburu : Entre l'intégration au système idéologique dominant (un vert compensateur de l'artifice urbain), la contestation idéologique et le marché, je me demande si le vert ne va pas perdre son ancienne signification symbolique religieuse qui l'identifiait à l'espérance ?

Il est certain que le vase, même s'il contient la plus précieuse ivresse, est en lui-même neutre, pour une raison de protection, peut-être comme le ventre à l'intérieur du quel se développe l'embryon, principe vital. Cela rejoindrait toutes les traditions ésotériques, dans lesquelles le principe vital, secret des secrets, apparaît comme un sang profond, que contient un récipient vert.

Le langage des symboles, à la fois vivant et ésotérique comme la langue verte, n'est pas fait pour fermer les portes, mais pour les ouvrir à la réflexion. Il est intimement mêlé à l'infinitude de la vie des sentiments et des pensées, c'est ce qui différencie nos tentatives de tout travail de psychologie appliquée, qui, lui, répond à une finitude bien précise. Bien souvent ce que dit cette langue profonde se perçoit à posteriori, créant à travers siècles et civilisations, d'inattendus dialogues. Les guérisseurs aztèques, pour guérir des maux de poitrine, prononçaient cette invocation : Moi le prêtre, Moi le Seigneur des enchantements, je cherche la douleur verte, je cherche la douleur fauve. Bien des siècles plus tard Van Gogh écrira : J'ai cherché à exprimer avec le rouge et le vert les terribles passions humaines (Lettres à Théo, sur le café de nuit, du 8 septembre 1888). Saint Jean l’Évangéliste, le prêtre aztèque et Van Gogh n'ont en commun qu'une qualité : celle d'inspiré.

Le vert garde un caractère étrange et complexe, qui tient de sa double polarité : le vert du bourgeon et le vert de la moisissure, la vie et la mort. Il est l'image des profondeurs et de la destinée."

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Langage des couleurs (recherche de Marie-Claire) :

La couleur vert forêt, quelquefois appelée vert émeraude, vert perroquet ou tout simplement vert est la couleur que l'on retrouve le plus souvent dans la nature et dans l'environnement naturel. C'est la couleur des arbres et particulièrement celle de leur feuillage, des feuilles grasses de nombreuses plantes, des mousses, des moisissures et de certains champignons.

Le vert est une couleur sans exagération qui évoque une sensation de neutralité et de détachement, elle ne montre pas facilement l'exubérance de ses sentiments et elle tente de se préserver de toute manifestation extrême de ses émotions. Le vert forêt, couleur médiatrice par excellence, est le point exact de neutralité sur lequel repose l'axe de la balance chromatique.


Tempérament :

  • Naturel

  • Équilibré, neutre

  • Libre, indépendant

  • Autonome, détaché

  • Distant, solitaire

Les besoins essentiels en relation avec la couleur vert forêt sont des besoins d'équilibre, d'espace, de prendre du recul et de pouvoir vivre dans un environnement naturel préservé. C'est aussi le besoin de liberté, d'indépendance et d'autonomie.


Propriétés :

  • Équilibrant

  • Neutralisant

  • Homéostatique

  • Déparasitant

  • Antibiotique

Le vert est aussi la couleur du 4ème chakra ou chakra du cœur situé au centre de la poitrine au niveau du cœur. Ce chakra est au centre du système des chakras parce qu'il fait le pont entre les trois chakras situés au-dessous qui se rapportent au plan physique et les trois chakras situés au-dessus qui se rapportent au plan spirituel. C'est la couleur de la guérison liée au centre de l'Amour inconditionnel.

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Selon Reynald Georges Boschiero, auteur du Nouveau Dictionnaire des Pierres utilisées en lithothérapie, Pour tout savoir sur les Pierres et les Énergies subtiles (Éditions Vivez Soleil 1994 et 2000, Éditions Ambre 2001),


Le vert "est composé de bleu et de jaune. Si le jaune domine, c'est un vert olive, un vert pomme ou un vert feuille de printemps. S'il y a plus de bleu, c'est un vert turquoise.

Profondément humain, c'est la couleur de l'espoir et de la destinée. Il est rafraîchissant, apaisant. Comme les feuilles au printemps, il est le symbole du renouveau. Il apporte beaucoup de douceur, de sincérité, d'harmonie et d'équilibre. C'est le paradis mythique des "verts pâturages" et de la "Verte Erin" (l'Irlande), l'île des bienheureux des légendes celtiques.

Couleur dominante des drapeaux du monde islamique, le vert symbolise pour les musulmans les plus hautes richesses matérielles et spirituelles, la cohésion familiale et le salut de l'âme du croyant.

Le vert est aussi la couleur des connaissances secrètes, occultes, ayant un rapport avec le destin de chacun. Les alchimistes ne disaient-ils pas que l'émeraude est capable de percer les plus grands secrets ? Selon les anciens écrits, leur "feu secret" est un cristal translucide et vert.

Quant aux "Verts" (les écologistes), ne cherchent-ils pas aux travers du nom qu'ils se sont choisi à se poser en sauveurs espérés d'un monde envahi par une grisaille d'acier, de béton et de fumées industrielles ? Car le vert est le lien de l'homme au végétal. Il guérit de l'anxiété. Bien que réputé plein de modestie, il donne le courage d'aller vers autrui, d'engager la conversation, de susciter l'affection, d'avoir une vie plus sociale.

Lorsqu'il se nuance de bleu, le vert devient plus égocentrique et incline à la fois à l'affirmation de soi et à un repli sur soi. Cependant, il permet aussi une certaine volubilité car il est la couleur dominante du Chakra de la Gorge. A contrario, lorsque le vert est nuancé de jaune, il est plus dirigé vers les autres, plus extraverti et plus détendu.


Les pierres vertes les plus significatives : l'émeraude ; la tourmaline (pour toutes ses nuances du jaune au bleu, du sombre au clair) ; l'aventurine ; l'amazonite ; certaines aigues-marines à dominante verte ; le péridot ; le diopside ; ..."

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Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont, 1995 et 2019), Éloïse Mozzani nous propose la notice suivante :


Le vert, qui est associé à l'élément eau, est la couleur du printemps, de la renaissance de la nature et de la terre redevenue nourricière : il symbolise non seulement la régénération, la vie, la jeunesse, l'espérance mais également l'immortalité qui est la signification universelle accordée aux rameaux verts. Dans le monde gréco-latin, on déposait des branches au vert feuillage sur la tombe des vierges et des enfants tandis que les torches utilisées pendant la cérémonie funèbre avaient leur base teinte en vert. Cette couleur était en effet dédiée à ceux qui mouraient jeunes. Minerve, déesse romaine de la Raison, était représentée avec les yeux verts. En outre, « le vert teinte parfois de noir Osiris », dieu égyptien de la Vie végétale, de l'Éternel Recommencement, garant de la renaissance spirituelle après la mort : « Osiris le vert » jeté dans le Nil, dépecé et ressuscité grâce à Isis, « est un Grand Initié, parce qu'il connaît le mystère de la mort et de la renaissance ». En raison de la portée occulte du vert dans l'ancienne Égypte, les chats aux yeux de cette couleur étaient craints (mais respectés). Pour les alchimistes, verte est « la lumière de l'émeraude, qui perce les plus grands secrets ».

La couleur verte joue un grand rôle dans les pays islamiques (où eau et verdure sont particulièrement précieuses) : elle représente

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Selon Didier Colin, auteur du Dictionnaire des symboles, des mythes et des légendes (Larousse Livre, 2000) :


"Qui dit vert dit pâturage, herbe, campagne, nature. Et pourtant, depuis les temps les plus reculés, cette couleur est associée à l'eau, notamment à celle des mers et des océans, qui ne sont bleus que lorsque le ciel sans nuage s'y reflète. Le vert est-il donc la couleur de la terre ou celle de l'eau ? De l'une et de l'autre, en vérité : de la terre régénérée qui se recouvre d'herbes gorgées d'eau du ciel au printemps, et de la mer avec ses algues et ses coraux. En analogie avec l'herbe qui renaît au printemps, elle est un symbole d'espérance, de jeunesse, de renouveau. En correspondance avec la surface des mers, elle est un signe de force, de puissance et de longévité. Le vert est une couleur à la fois rafraîchissante et tonifiante. De nombreuses expressions populaires illustrent les caractéristiques et propriétés du vert, comme par exemple " se mettre au vert", c'est-à-dire se retirer pour se reposer, ou "être vert de rage", c'est-à-dire se mettre en colère, ou encore "être vert", c'est-à-dire jeune et fort, le latin viridis, d'où est issu le mot vert, signifiant aussi frais et vigoureux. C'est de cette façon que l'on peut interpréter un rêve dans lequel cette couleur joue un rôle important."

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Dans Vert, Histoire d'une couleur (Éditions du Seuil, 2013) Michel Pastoureau s'attache à retracer l'histoire de la perception visuelle, sociale, culturelle de cette couleur en Occident, de l'Antiquité au XIXe siècle. Dans son introduction, il pose d'emblée les enjeux de cette couleur :


"Longtemps difficile à fabriquer, et plus encore à fixer, le vert n'est pas seulement la couleur de la végétation ; il est aussi et surtout celle du destin. Chimiquement instable, tant en peinture qu'en teinture, il a au fil des siècles été associé à tout ce qui était changeant, versatile, éphémère : l'enfance, l'amour, l'espoir, la chance, le jeu, le hasard, l'argent. Ce n'est qu'à l'époque romantique qu'il est définitivement devenu la couleur de la nature, et, par la site, celle de la liberté, de la santé, de l'hygiène, du sport et de l'écologie. Son histoire en Occident est en partie celle d'une renversement de valeurs. Longtemps discret, mal aimé ou rejeté, on lui confie aujourd'hui l'impossible mission de sauver la planète. [...]


Une couleur incertaine : des origines à l'an mille


[...] Nommer le vert en grec ancien n'est donc pas facile. Non seulement les frontières du vert avec d'autres couleurs (bleu, gris, jaune, brun) sont floues, mais le vert apparaît comme peu dense, pâle, terne, presque incolore. Ce n'est qu'à l'époque hellénistique qu'il prendra davantage de force et qu'un terme jusque-là discret jouera un rôle lexical de plus en plus grands, au point de concurrencer glaukos et chlorus : prasinos. Étymologiquement, cet adjectif signifie "de la couleur du poireau", mais dans son usage ordinaire, à partir des IIIe-IIe siècles avant notre ère, prasinos désigne tous les tons de vert bien marqués, spécialement des verts foncés. [...]

S'appuyant sur ce lexique imprécis des bleus et des verts, plusieurs historiens, philologues, médecins et ophtalmologues de la seconde moitié du XIXe siècle se sont en effet demandé si les Grecs [comme les Gaulois, c'est moi qui ajoute] n'étaient pas aveugles à ces deux couleurs et même, d'une manière plus générale, s'ils n'éprouvaient pas des difficultés à percevoir la plupart des colorations. [...] Aujourd'hui, les enquêtes sur les relations que les Grecs entretiennent avec la couleur se sont déplacées : l'étude du vocabulaire a cédé la place à celle de la polychromie architecturale et sculptée. Celle-ci est au cœur des travaux les plus récents et les plus pertinents et confirme que les Grecs non seulement voyaient parfaitement les couleurs mais avaient aussi un goût bien marqué pour les teintes vives et contrastées. [...]

Les Romains ne connaissent pas les difficultés des Grecs pour dire le vert. [... Pourtant], ni dans la vie de tous les jours, ni dans les rituels civiques et religieux, ni dans les circonstances les plus festives ou solennelles, le vert ne joue un rôle de premier plan.

Ce faisant, Rome se différencie beaucoup des mondes barbares, où le vert abonde sur l'étoffe et le vêtement, et même de l’Égypte, où il est souvent considéré comme bénéfique et par là même très recherché, voire protégé. Les animaux verts, tels les crocodiles, sont des animaux sacrés. Quant aux artisans, ils savent fabriquer des pigments verts artificiels à base de limaille de cuivre mélangée à du sable et à de la potasse. En les chauffant à très haute température, ils en obtiennent de splendides tons bleu-vert que l'on peut voir sur le petit mobilier funéraire (statuettes, figurines, perles), souvent revêtu d'une glaçure qui lui procure un aspect vitreux et précieux. Pour les Égyptiens comme pour plusieurs autres peuples du Proche- et du Moyen-Orient, le vert et le bleu sont des couleurs bienfaisantes qui éloignent les forces du mal. Associés aux rituels funéraires, ils passent pour protéger le défunt dans l'au-delà. Le vert lui-même est la couleur d'Osiris, dieu funéraire mais aussi dieu de la terre et de la végétation ; son visage est souvent représenté de cette couleur, symbole de fertilité, de croissance et de résurrection. Quant au hiéroglyphe qui représente la couleur verte, il a en général la forme d'une tige de papyrus, dont la symbolique est toujours positive.

Rien de tel à Rome, du moins sous la République. Mais la situation change quelque peu sous l'Empire. [...] Ont-ils pratiqué pour la première fois - comme le faisaient, semble-t-il, les Celtes et les Germains - le mélange du bleu et du jaune ? Nous ne le savons pas,. mais nous constatons qu'à partir du règne de Tibère le vert fait son entrée dans le vestiaire féminin et que sa place va croissant.

Pour les Romains, en effet, le vert - et le bleu peut-être plus encore - est une couleur "barbare". [...]

A dire vrai, le vert en tant que couleur est pratiquement absent du texte biblique. Quand il en est fait mention (yereq en hébreu ; viridis en latin), il s'agit presque toujours de l'herbe ou de la végétation, jamais d'un objet, d'une étoffe ou d'un vêtement. Seule l'émeraude fait honneur à la couleur verte elle est mentionnée deux fois dans une liste de douze pierres précieuses, celles qui ornent le pectoral du grand prêtre (Exode, XXVIII, 17-0) et celles qui servent d'assise aux murs de la Jérusalem céleste (Apocalypse, XXI, 19-21). Mais ce sont là deux exceptions. Le vrai vert se limite à la verdure, celle des champs, des bois et des pâturages, lieux de paix et de repos ; lorsqu'il se décline en "verdâtre", il est associé aux cadavres et à la mort. [...]

Quoi qu'il en soit, cerner la symbolique du vert chez les Pères de l’Église se révèle une tâche malaisée. Tout au plus peut-on remarquer qu'ils ne lui attribuent pas la plupart des vertus ni des vices que l'on associera plus tard à cette couleur : la jeunesse, la vigueur, l'espérance d'un côté ; le désordre, l'avarice, la folie de l'autre. Le vert est surtout pour eux la couleur de la végétation. Quelques-uns en font la couleur du bois de la Croix et le dotent d'une symbolique positive, liée à la Résurrection. [..]

Mais c'est à propos du vert que [Lothaire] se montre le plus original. Il en fait la couleur de l'espérance en la vie éternelle - c'est là une nouveauté - et prononce une phrase importante pour notre propos :


"Le vert doit être choisi pour les fêtes et les jours où ni le blanc ni le rouge ni le noir ne conviennent, parce que c'est une couleur moyenne entre le blanc, le rouge et le noir."


[...] Non seulement le vert est présenté comme la quatrième couleur du culte chrétien - d'où le jaune et le bleu, remarquons-le, sont absents -, mais il se place au milieu d'un système (un triangle ?) dont le blanc, le rouge et le noir sont les trois pôles. D'un côté, le cardinal Lothaire, futur Innocent III, se fait l'héritier des traditions anciennes qui, dans de nombreuses sociétés, à commencer par celles de la Bible et du monde gréco-romain, accordaient la primauté à ces trois couleurs. Mais, de l'autre, il accorde au vert, autrefois très discret, une place désormais bien marquée et nécessaire au bon fonctionnement de l'ensemble. Sous sa plume, couleur "moyenne" ne veut pas dire couleur sans importance. Associé aux fêtes et jours ordinaires, le vert devient de facto la couleur la plus souvent sollicitée au long de l'année liturgique. [...] Par la suite, les documents figurés se font plus nombreux, du moins pour l'aristocratie. Ils tendent à montrer une fusion des usages gallo-romains et des modes "barbares" : les formes sont restées romaines, les couleurs sont devenues germaniques. La supériorité des techniques tinctoriales des Germains explique en partie ce changement, notamment dans la gamme des verts et, à un degré moindre, des bleus [....]

Charlemagne et ses successeurs ont donc porté plus de vert que les empereurs du Bas-Empire ; non pas un vert isolé mais un vert fréquemment associé au rouge, couleur du pouvoir. [...] Ce vert germanique est aussi un vert scandinave. Plusieurs chroniqueurs ont noté que les pirates normands qui attaquent les côtes, remontent les fleuves, pillent les églises et les monastères pendant presque trois siècles, portent souvent une tunique verte. Teindre en vert est un exercice relativement facile dans l'Europe du Nord : l'ortie, la fougère, le plantain, les feuilles du frêne et l'écorce du bouleau donnent une grande variété de tons. La teinture, en revanche, pénètre difficilement dans les fibres du tissu, et la plupart de ces verts ne sont ni vifs ni solides. Mais cette couleur verte, attestée par de nombreux documents, semble avoir été pour les pirates et les marins du Nord - ceux que la tradition qualifie maladroitement de "Vikings" - une couleur porte-bonheur. Lorsqu'un peu avant l'an mille, une troupe de colons islandais conduite par Erik le rouge (c'est-à-dire le Roux) accoste au Groenland, elle juge la région habitable, y fonde deux colonies et donne au pays le nom qui lui est resté : "Terre verte". Non pas tant parce que la végétation y pousse alors en abondance, mais parce que, pour ces hommes du Nord, une terre verte, verdoyante, est signe d'espérance, de bonheur et de prospérité.


Le vert de l'Islam : [...] Après la mort de Mahomet en 632, il semble bien que le vert soit devenu non pas tant la couleur de la nouvelle religion que la couleur dynastique de sa famille, ou du moins de ceux qui se présentaient comme ses descendants directs. [...] Au x environs de l'an mille, le vert n'est donc pas encore la couleur religieuse de l'Islam, mais seulement une couleur familiale. A partir du XIIe siècle, il en va autrement. Peu à peu le vert prend un caractère sacré et, après la chute des Fatimides, il représente moins une couleur politique, revendiquée par une dynastie particulière, qu’une couleur religieuse, celle de l'Islam dans son ensemble. Le noir des Abbassides, le blanc des Almoravides et plus tard, le rouge des Almohades continuent de s'opposer, parfois violemment, mais le vert devient fédérateur : il réunit tous les peuples arabes de l'Islam. A cela différentes raisons dont la principale est peut-être liée aux croisades. Aux bannières et aux marques vestimentaires blanc et rouge des croisés, il a fallu opposer une couleur différente, une couleur unitaire, tant en Espagne et en Afrique du Nord qu'au Proche-Orient : ce fut le vert. Il n'est pas interdit de penser que le regard des chrétiens eux-mêmes a pu jouer un rôle dans cette promotion du vert dans les rangs de l'adversaire. [...] Alors que dans toutes les sociétés chaque couleur possède des aspects positifs et des aspects négatifs, en terre musulmane le vert est constamment pris en bonne part. C'est là un cas presque unique. Sa symbolique est associée à celle du paradis, du bonheur, des richesses, de l'eau, du ciel et de l'espérance. Le vert est devenue une couleur sacrée.

Une couleur courtoise : XIe-XIVe siècle


A partir des années 1100, le vitrail, l'émail, la miniature lui accordent une attention nouvelle, spécialement dans le monde germanique où la récente promotion du bleu se fait moins sentir qu'ailleurs. Quelques décennies plus tard, la littérature courtoise fait du vert non seulement la couleur emblématique du monde végétal mais aussi celle de la jeunesse et de l'amour, tandis que la chevalerie lui réserve une place originale sur les chemins de l'aventure et sur les champs de tournoi. Seule l'héraldique naissante hésite encore à lui confier le rôle de premier plan dans sa palette restreinte et contraignante : beaucoup de vert dans le décor courtois mais peu de vert dans les écus. [...] Le vert fortifie l’œil et équilibre la vision. Cette dimension sanitaire du vert traversera les siècles : il deviendra peu à peu la couleur emblématique de la médecine et de la pharmacopée. [...]

Le vert est une couleur moyenne ! [...] Le vert est tempérant, équilibré, convenable. Par là même, il est beau. [...] Pour beaucoup d'auteurs, le vert est également une couleur joyeuse, "riante" (color ridens : l'expression est de saint Bonaventure), entendons une couleur qui égaye et illumine les surfaces sur lesquelles elle prend place. [...]

Dans cette période remplie d'allégresse et de verdure, une journée joue un rôle plus important que toutes les autres : le 1er mai. Ce jour-là, il faut s'esmayer, c'est-à-dire porter et planter le mai pour fêter l'arrivée du plus beau mois de l'année. "Porter le mai" consiste à afficher sur soi un élément de verdure : couronne ou collier de fleurs ou de feuilles, chapeau végétal, fougères ou rameaux accrochés aux vêtements. Ces derniers doivent être verts ou à dominante verte. Être pris sans verd, c'est-à-dire ne montrer sur soi aucun élément de cette couleur, ni végétal ni textile, conduit à être l'objet de brimades ou de moqueries. [...] Associé au sentiment amoureux, le vert apparaît ainsi comme la couleur de la jeunesse, de l'impatience des corps et des intermittences du cœur. C'est bien souvent une couleur changeante, inconstante et frivole, à l'image de la jeunesse elle-même. [...] La jeunesse médiévale est donc constamment emblématisée par la couleur verte. Elle porte des habits verts, signes de fraîcheur et de vigueur, et a "du vert derrière les oreilles", comme le dit de manière imagée un proverbe allemand déjà attesté au Moyen Âge et qui a encore cours aujourd'hui. [...]

Le vert est en Occident la couleur de l'espérance, et ce depuis longtemps. Dans la Rome du Bas-Empire, on enveloppait parfois de vert le corps d'un nouveau-né pour lui souhaiter longue vie. Mais c'est au Moyen Âge qu cette importante dimension symbolique de la couleur verte - qui survit de nos jours - prend son véritable essor. Les jeunes filles à marier, nous l'avons dit, portent fréquemment une robe verte ou une pièce de vêtement de cette couleur. Le fameux chapeau vert que les "catherinettes" portent pour leur fête, le 25 novembre, tient ici sa lointaine origine. Mais lorsque l'espérance de trouver un mari s'est enfin réalisée, le vert vestimentaire des jeunes femmes prend alors une autre signification : l'attente d'un heureux événement. Le vert devient en effet, surtout à la fin du Moyen Âge, la couleur des femmes enceintes. [...]


Dans le domaine francophone, beaucoup d'auteurs semblent avoir une attirance particulière pour le mot vert ainsi que pour tous les termes qui du point de vue sonore lui font écho : vair (la fourrure), verre (le matériau), ver (le printemps) et même l'adjectif vere (latin, verus, "vrai") et le verbe voir conjugué à différentes temps. Ils ne se privent pas de jouer sur ces voisinages phoniques pour opérer des glissements sémantiques autour de la symbolique du vert, du vair, du verre, du vrai et du vu. [...]


Si le vert (sinople) est peu abondant dans les armoiries, il est en revanche fréquemment mis en scène dans le décor courtois et chevaleresque. C'est la couleur de la jeunesse, de la beauté et de l'amour. Voilà pourquoi les chevaux - les seuls animaux, avec les faucons, que le Moyen Âge habille - portent souvent des housses vertes dans les parades, les joutes et les cérémonies.

[...] Dès la seconde moitié du XIIe siècle, les textes littéraires mettent en scène quelques-uns de ces "chevaliers verts" qui deviennent plus nombreux au siècle suivant. [...] Parmi les héros littéraires que l'imagination médiévale a dotés d'armoiries vertes ou à dominante verte, il en est un qui l'emporte sur tous les autres : Tristan. [...]

A de nombreux titres, Tristan entretien avec la couleur verte des relations privilégiées. D'abord par le biais du monde végétal, présente tout au long de son histoire. [...] Plus tard, sorti de son exil en forêt, Tristan ajoute au vert du chasseur et à celui du magicien d'autres attributs liées à la fonction symbolique de cette couleur. [...] Nul doute que dans l'esprit du public, Tristan déguisé en jongleur, en musicien puis en fou de cour porte un habit vert ou à dominante verte. [...] Tristan est devenu lui aussi un "chevalier vert", mais un chevalier vert à nul autre pareil. Certes, la couleur de son écu est bien celle de l'amour et de la jeunesse - c'est là une signification obligée - mais c'est aussi celle de la chasse et de la forêt, de la musique et de la folie, du désordre et de la transgression, et, sans doute plus encore, celle du désespoir et du destin tragique.

Couleur chimiquement instable, le vert est en effet souvent associé, dans les derniers siècles du Moyen Âge, à tout ce qui est symboliquement instable : non seulement l'enfance et la jeunesse, l'amour et la beauté, mais aussi la chance, l'espérance, la fortune, la destinée. Par là même, il apparaît comme une couleur ambiguë, inquiétante et même dangereuse.


Une couleur dangereuse : XIVe-XVIe siècle


A la fin du Moyen Âge, le vert, tant admiré à l'époque de la chevalerie et de la courtoisie, commence à se dévaluer. [...] Il tend à se dédoubler : d'un côté le bon vert, celui de la gaîté, de la beauté, de l'espérance, qui n'a pas disparu mais qui se fait plus discret ; de l'autre, le mauvais vert, celui du Diable et de ses créatures, des sorcières, du poison, qui étend son empire et porte désormais malheur en de nombreux domaines.

La plupart des animaux verts qui prennent place dans le bestiaire du Diable vivent dans l'eau ou fréquentent le monde des eaux. Il n'est pas impossible que cette couleur rappelle non seulement leur caractère malfaisant, mais aussi ce lien avec l'univers aquatique. Au Moyen Âge, en effet, l'eau est généralement pensée et représentée verte. [...]

Aqueux, visqueux, désaturé, ce vert négatif est parfois aussi un verdâtre. La couleur n'est alors ni vive ni franche mais plus ou moins grisée, éteinte, blanchâtre. Dans les images comme dans la réalité, cette tonalité verdâtre - que le latin médiéval exprime par l'adjectif subviridis - est toujours inquiétante, sinon mortifère. C'est la couleur de la moisissure, de la maladie, de la putréfaction et surtout des chairs décomposées. Par là même, c'est aussi celle des cadavres et, par une relation analogique dont le Moyen âge est coutumier, celle des revenants qui quittent le pays des morts pour venir sur terre tourmenter les vivants et réclamer leur droit à la vie éternelle. [...]


Chimiquement instable, le vert est symboliquement associé à tout ce qui est mouvant ou éphémère - la jeunesse, l'amour, la beauté et l'espérance, dont nous avons déjà parlé - et à tout ce qui est mensonger, perfide, hypocrite. Dans les images de la fin du Moyen Âge, plusieurs personnages négatifs sont ainsi vêtus de cette couleur. Tous ont à voir avec l'inconstance, la fausseté, la trahison. Le moyen français les qualifie volontiers de divers, terme très péjoratif qui forme un jeu de mots avec le nom de la couleur. Entre vert et divers la frontière sonore est mince et la frontière symbolique, plus mince encore : être vêtu de vert, c'est être prêt à trahir, à "retourner sa veste" comme dirait vulgairement le français moderne. [...]

La fausseté et la trahison ne sont pas les seuls vices que le Moyen Âge finissant associe à la couleur verte. Dans le système des sept péchés capitaux, souvent mis en scène par le texte et par l'image, c'est l'avarice qui est verte et qui le restera longtemps. La palette de ce septénaire, relativement stable à partir du milieu du XIVe siècle, ne change guère à l'époque moderne : l'orgueil et la luxure sont rouges ; la colère, noire ; la paresse, bleue ou blanche ; l'envie et la jalousie, jaunes ; l'avarice, verte. Quelquefois, la jalousie et l'envie peuvent également avoir pour couleur le vert, mais cela relève plus des faits de langue ("être vert de jalousie") que de la symbolique des couleurs. [...]

Il est plus pertinent de voir dans ce vert celui de l'inconstante déesse Fortune, évoquée plus haut : sa roue tourne et entraîne avec elle tous ceux qui lui ont fait confiance. De la Fortune vêtue de vert aux affaires d'argent, le pas a été franchi à la fin du Moyen Âge ou au début de l'époque moderne, et le vert est peu à peu devenu la couleur de l'argent, des dettes, du jeu. Dès le XVIe siècle, à Venise et ailleurs, les tables de jeu se couvrent d'un tapis vert, couleur qui symbolise tout ensemble le hasard, l'enjeu, la mise et l'argent que l'on va gagner ou perdre. Au siècle suivant, le français qualifiera de "langue verte" le jargon rude et imagé des joueurs de cartes, assis autour d'une table verte. Plus tard, au XIXe siècle, cette expression s'applique aux différentes formes d'argot, soulignant le lien entre cette couleur et la grivoiserie, voire la trivialité. La "verdeur" désormais ne concerne plus seulement le monde végétal mais aussi les personnes, leurs comportements, leurs façons de s'exprimer. Elle devient l'antichambre de la grossièreté. [...]


Pourquoi, dans la langue du blason, vers 1350, le mot sinople a-t-il pris le sens de "vert" ? [...] Dans l'état actuel de nos connaissances il est impossible de répondre.


Une couleur secondaire : XVIe-XIXe siècle


La dévalorisation du vert, déjà bien réelle à la fin du Moyen Âge, se poursuit à l'époque moderne. D'abord sur le plan moral et religieux : tant pour les décrets vestimentaires émanant des autorités civiles que pour les sermons moralisants des grands réformateurs protestants, le vert est une couleur frivole, immorale, dont tout bon citoyen, tout chrétien vertueux doit se dispenser. Seul est digne et respectable le vert de la nature parce qu'il est l'œuvre du Créateur ; tous les autres verts sont plus ou moins condamnables. Ensuite sur le plan artistique : les peintres sont nombreux qui délaissent ou méprisent le vert, abandonné à la représentation des paysages et aux scènes de genre ; la grande peinture, qu'elle soit religieuse ou mythologique, en fait un usage restreint, jamais central, toujours périphérique. Enfin sur le plan scientifique : le vieil ordre des couleurs, hérité de l'Antiquité grecque, laisse désormais la place à de nouveaux classements ; ceux-ci ne font plus du vert une couleur de base mais une couleur de second rang, une couleur mixte, produite par l'union du bleu et du jaune. Ce recul du vert dans la généalogie chromatique savante est le reflet de son déclin dans la vie quotidienne et dans le monde des arts et des symboles.

Il faut attendre la seconde moitié du XVIIIe siècle et l'éveil du sentiment romantique pour que la couleur verte retrouve une certaine dignité. Le goût se transforme, la nature redevient attirante, on aime se promener dans les prés et dans les bois, au cœur des forêts, sur les sentiers des montagnes. La mode est aux herbiers et à la peinture de paysage, la mélancolie devient une vertu, et les âmes tourmentées trouvent dans le vert et la verdure un repos salvateur et des aspirations nouvelles.[...]

Dans la généalogie chromatique, il a régressé au second rang, voire au troisième, et il est permis de se demander si cette régression sur le plan artistique et scientifique est la cause ou la conséquence de son recul dans la vie quotidienne, la culture matérielle, le monde des symboles. Partout, à la fin du siècle, le vert semble en repli. [...] Il entre dans une nouvelle phase de son histoire, une phase régressive de longue durée puisqu'elle va se prolonger jusqu'au XXe siècle. Désormais - et pour longtemps- le vert est une couleur "secondaire". [...]


Pour plusieurs poètes et romanciers contemporains (Voiture, Scarron, Furetière) et pour les gens d'esprit, le vert est surtout malvenu, sinon ridicule : c'est la couleur des bourgeois enrichis, avides de s'élever sans connaître les usages du monde, ou bien des provinciaux ignorants et rustiques, cherchant maladroitement à imiter les modes de la capitale. [...]


Selon plusieurs historiens du théâtre, ce discrédit du vert serait lié à l'éclairage : les dispositifs alors utilisés auraient laissé dans l'ombre les tissus et les costumes teints de cette couleur. D'où son rejet par les comédiens, spécialement par les femmes, le vert ne les mettant pas suffisamment en valeur. Cela n'est pas faux, mais, à y regarder de plus près, la suspicion portant sur le vert semble plus ancienne. On la devine déjà en Angleterre à l'époque de Shakespeare [...] Mais sans doute faut-il remonter plus haut, peut-être jusqu'aux représentations des mystères à la fin du Moyen Âge. La légende, en effet, raconte comment plusieurs acteurs seraient morts après avoir joué le rôle de Judas, traditionnellement vêtu de vert, de jaune ou de vert et jaune. Ce qui serait en cause alors ne serait pas l'éclairage mais la teinture. Teindre dans un vert bien vert, nous l'avons vu, est longtemps resté un exercice difficile. Or, au théâtre, pour bien identifier les personnages, les couleurs des vêtements doivent être vives et franches. Il est possible qu'aux teintures végétales ordinaires, produisant des tons grisés ou délavés, on ait préféré le verdet, matière colorante fortement toxique, obtenue à partir de différents acétates de cuivre. Sur l'étoffe et les vêtements, plus peints que teints, la couleur est éclatante mais dangereuse, les vapeurs et les dépôts du verdet (sorte de vert-de-gris) pouvant entraîner l'asphyxie puis la mort. [...]


Du bleu, du noir, mais peu de vert chez les Romantiques. A moins de chercher plus en amont, chez leurs précurseurs : les préromantiques, à l'horizon des années 1760. Ici, en effet, le vert retient l'attention des poètes et des artistes. C'est le vert de la nature, ou plutôt celui du monde végétal, que les âmes sensibles aiment contempler et auquel les cœurs solitaires se confient. Ce vert-là, apaisant et protecteur, est à lui seul un refuge, une source d'inspiration, une couleur divine qui donne au poète des leçons de sagesse et d'infini.| [...] Un autre vert, en revanche, fait son apparition un peu plus tard et joue un rôle important dans les mouvements idéologiques des années 1800 : le vert de la liberté. Lui aussi, est , à sa manière, un vert romantique, même s'il est difficile d'en dire l'origine précise. Certes, dans la symbolique ancienne du vert, couleur instable, agitée, rebelle, il y a toujours eu une certaine dimension transgressive et libertaire, mais cela ne suffit pas pour en faire, dans les années 1790-1800, la couleur des idées nouvelles et de la révolution en marche. La vertu chrétienne d'espérance, associée à cette couleur depuis le Moyen Âge, conviendrait mieux dans ce rôle. Mais peut-être faut-il chercher ailleurs, du côté des théories et des classements de la couleur. La distinction progressive, chez les peintres puis chez les savants, de couleurs "premières" et de couleurs "secondaires", avait en effet peu à peu conduit à faire du vert un des contraires du rouge. Ce dernier étant depuis longtemps la couleur de l'interdiction, le vert, son contraire, est tout naturellement devenu au fil des décennies la couleur de la permission. [...


Une couleur apaisante : XIXe-XXIe siècle


L'histoire du vert à l'époque contemporaine est faite de hauts et de bas. Tantôt à la mode, tantôt plus discret, parfois admiré, souvent méprisé, le vert doit attendre les périodes les plus récentes pour faire l'objet d'une véritable promotion. Longtemps déconsidéré par les savants qui ne voient en lui qu'une couleur "complémentaire" - c'est-à-dire une couleur de deuxième ordre -, délaissé par les peintres qui se plaignent de l'instabilité ou de la médiocrité des pigments nécessaires pour l'obtenir, refusé par les élégantes qui lui reprochent de ne pas les mettre suffisamment en valeur, redouté par le commun des mortels qui continue de penser qu'il porte malheur, devancé en tous domaines par le bleu, le rouge, le noir et même le blanc ou le jaune, le vert occupe une place modeste dans la vie quotidienne et dans la création artistique. Cette situation commence à changer timidement dans la seconde moitié du XIXe siècle. Le vert se revalorise lentement lorsque les habitants des villes se sentent de nouveau attirés par la campagne, la nature, la végétation. Mais c'est surtout le siècle suivant qui découvre ou redécouvre ses vertus. Au fil des décennies, on attribue au vert de plus en plus de bienfaits, on renoue ses liens avec la médecine et l'hygiène, on va le chercher au loin pour se rafraîchir, se rétablir, se ressourcer, on l'introduit abondamment au cœur des villes ou dans les faubourgs pour y rompre l'écrasante domination des gris, des bruns, des noirs. Le sport, les vacances et les activités de plein air font le reste, transformant peu à peu la vie des Européens en une frénétique quête de vert et de verdure : espaces verts, classes vertes, vacances vertes, nourritures verts, énergies vertes, révolution verte. Le vert n'est plus seulement la couleur de la nature, de l'espérance et de la liberté, c'est aussi celle de la santé, de l'hygiène, des loisirs, de l'agrément et même du civisme. Plus récemment, ces vertus prêtées au vert ont été portées au paroxysme et ont pris une dimension éthique. Tout se doit désormais d'être vert, couleur apaisante et salvatrice. Dans plusieurs pays, l'adjectif est devenu un substantif servant à désigner un courant ou un parti politique faisant de la défense de l'environnement une des lignes directrices de ses combats. Le lien entre le mot "vert" et l'écologie politique est devenu tellement fort qu'il est aujourd'hui impossible de le prononcer sans qu'il prenne aussitôt une connotation liée à cette dernière. Le vert n'est plus tant une couleur qu'une idéologie. [...]


Dans ces associations entre une couleur et un concept, une triade se dégage nettement et représente la véritable force symbolique de la couleur verte dans les sociétés occidentales contemporaines : la santé, la liberté, l'espérance. Cela n'est pas neuf mais a pris aujourd'hui une dimension considérable, influençant de nombreux domaines de la culture matérielle, de la vie quotidienne, de la création artistique et de l'imaginaire. Le vert est sain, tonique, vigoureux. Il est libre et naturel, prêt à lutter contre tous les artifices, toutes les entraves, tous les autoritarismes. Surtout, il est riche de multiples espérances, tant pour l'individu que pour la société. Autrefois délaissé, rejeté, mal aimé, le vert est devenu une couleur messianique. Il va sauver le monde."

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Symbolisme onirique :

Selon Georges Romey, auteur du Dictionnaire de la Symbolique, le vocabulaire fondamental des rêves, Tome 1 : couleurs, minéraux, métaux, végétaux, animaux (Albin Michel, 1995),


"Au fil de nos recherches sur la symbolique telle qu'elle se manifeste dans le rêve éveillé, nous n'aurons rencontré qu'un petit nombre d'images dont la traduction se superpose à toutes les propositions des interprétations traditionnelles. Le vert est de celles-là. C'est dire qu'il serait vain d'espérer que le présent article projette un éclairage original sur le symbole. L'analyse objective des conditions d'apparition du vert onirique impose cette constatation. L'exploration des rêves dans lesquels surgit la couleur verte ne conduit à aucune découverte susceptible de provoquer l'étonnement. Par contre, elle offre un intérêt certain : celui de démontrer que l'imaginaire de chaque rêveur est dépositaire d'une connaissance subtile, qui dépasse considérablement les acquis de la conscience. A suivre le vert dans les scénarios de rêve éveillé, on trouverait bien des arguments pour justifier la notion jungienne d'inconscient collectif.

Présent dans 37% des rêves, ce qui lui assure la sixième place dans le classement des 1 700 symboles constituant le répertoire par ordre décroissant de leurs fréquences d'apparition, le vert n'est pourtant pas une couleur envahissante. En dépit de la fréquence de ses interventions, elle demeure remarquablement discrète.


Personne ne l'ignore, le vert expose les valeurs d'espérance. Lié au renouvellement de la végétation, à l'eau, au printemps, le symbole est porteur des notions de croissance, de renaissance, d'épanouissement. L'imaginaire crée parois quelque mise en scène insolite pour exposer le vert, mais, dans la très grande majorité des situations, celui-là doit se satisfaire d'une évocation d'herbe, de prairies, de forêt. Le symbole exprime la puissance de la nature, la force d'une vie végétale qui se renouvelle à travers des cycles immuables. Dans l'article consacré au rouge et au vert associés, couple que nous proposons comme les couleurs du trésor intérieur, nous développons l'idée que l'onirisme superpose, jusqu'à les confondre, un flux de sang rouge et une circulation de sève verte. Toutes les traductions classiques établissent un rapport étroit entre ces deux couleurs qui, à l'origine, étaient désignées par un même mot : sinopis. Les corrélations observées dans les rêves montrent aussi que le vert onirique, lorsqu'il souhaite un accompagnement coloré, ne tolère pas d'autres partenaire que le rouge ! L'analyse statistique permet de constater la présence simultanée des deux couleurs dans 40% des scénarios pris en référence pour l'étude du vert.

Tonique, le vert est cependant apaisant. Il possède une vertu médiatrice. Les rêves apportent la confirmation de ce que propose la symbolique traditionnelle : la couleur verte est capable de concilier le haut et le bas. Dans 75% des scénarios examinés se déploient non seulement les évocations des pôles de la verticalité, mais les images d'une relation dynamique, d'une liaison animée, entre le haut et le bas. Le vert est à à la gamme chromatique ce que la mouette est au monde des oiseaux. Dans l'article consacré à l'oiseau de mer, nous montrons que celui-là, dont le vol est caractérisé par des évolutions montantes et descendantes alternées, s'est inscrit dans la psyché collective comme le signe du rétablissement d'une relation vivante entre les aspirations de l'esprit et les besoins de la terre. Cependant, quand la mouette apparaît sur la scène onirique, elle expose toujours une souffrance. Son vol est toujours quelque peu un acte douloureux. Le vert, lui, apporte la paix. Dans son treizième scénario, en peu de lignes,, Armelle rassemble, autour des deux symboles, la plupart des thèmes qui composent la constellation psychologique du vert. Le vert, signe d'eau, féminin, s'oppose au rouge, signe de la terre et du feu, mâle. Indice de régénérescence, la couleur verte est étroitement lié au processus de la métamorphose. Dans 40% des cas, à proximité de cette coloration, rêveurs et rêveuses parlent explicitement du changement de forme, de la déformation, de la transformation : "... Je vois un feu qui crépite, là... comme la chaudière d'un forgeron, rouge, avec le bruit des flammes... la chaudière se transforme... en locomotive... c'est comme une locomotive humaine, comme dans les bandes dessinées... une ancienne locomotive à vapeur... elle a un visage, souriant... c'est une locomotive qui change de forme, qu'a pas des formes rigides... c'est comme des formes en mouvement... y a des couleurs... en fait, je vois du vert !... Des prés verts... et puis un grand 8, une sorte de circuit en boucle... maintenant, c'est les montagnes russes... ça monte, ça redescend, ça remonte... l'image du montagnard qui monte, redescend, remonte, dans un mouvement naturel de descente et de remontée... je sens un peu ce mouvement... c'est agréable de se laisser aller dans le mouvement, d'accepter la descente, qui fait peur et de se laisser remonter dans l'élan... c'est arrondi... il y a un besoin d'équilibre entre haut et bas, comme la vague qui monte et qui descend... maintenant, je vois une mouette,, dans les airs, je la vois voler... elle monte et elle descend, traverse des nuages... elle peut aussi se poser sur les rochers mais elle a plus de liberté quand elle vole... "

Intermédiaire actif entre le ciel et la terre, le vert, que la tradition désigne aussi comme une couleur tiède, attire effectivement dans le rêve une abondance inhabituelle des mots chaleur et froid. Une infime touche de vert posée sur le décor onirique et le rêveur réunit dans une même phrase, l'hiver et l'été, la neige et les blés mûrs, le froid et la chaleur. Une valeur verte, apte à promouvoir les échanges entre l'esprit et l'instinct, la rigidité froide et la flexibilité chaleureuse, doit être admise parmi les agents de médiation. Comme telle, elle apporte, avec la vie, l'espérance et, avec l'espérance, la paix. Le vert onirique est générateur de calme, d'apaisement.

Le deuxième scénario de Maud est l'une des nombreuses illustrations de ce qui précède. Il confirme aussi l'association intime de l'eau et du vert : "... J'ai vu une pâquerette, il y a une montagne derrière et un soleil couchant... derrière la montagne. Il fait assez frais... y a une lumière rouge, de coucher de soleil... il avance... il fait de plus en plus froid... il y a d'immenses sapins, très très hauts... je devine qu'il y a un ruisseau car j'entends le bruit de l'eau... je n'ose pas bouger, j'ai peur de tomber... je regarde le ciel étoilé... j'ai l'impression de m'enfoncer doucement, de descendre... ça glisse, comme sur un toboggan... je me retrouve dans l'eau... y a une grande falaise... c'est curieux... impression inhabituelle... impression que mes jambes veulent monter, s'élever... j'ai fait un saut, je me retrouve sur le haut de la falaise... cascade en dessous de moi, au-dessus, c'est plat, vert... y a de l'herbe... c'est immense, à perte de vue... la forêt est au-dessus de moi cette fois, c'est très vert... je regarde d'en haut... je voudrais voler... mon corps change de consistance... il rebondit, il fait des sauts sur l'herbe, comme un ballon, comme avec des ressorts aux fesses... des bonds de plus en plus hauts... je suis entre ciel et terre..."

L'élasticité d'une animation sur l'axe vertical, évidente dans cet extrait, se retrouve chez une autre rêveuse qui rebondit longuement sur un "trampolino" jusqu'à se heurter la tête au plafond du chapiteau. Le plafond est un des maillons de la chaîne d'associations qui se constitue autour de la couleur verte. Il apparaît dans 55% des séances étudiées.

A la fin de son rêve, Maud s'installe confortablement dans un nid douillet situé à la cime d'un sapin. Le nid et le sapin renvoyant l'un et l'autre à l'image maternelle, cette séquence renvoie aux nombreuses observations qui apparente le vert au regressus ad uterum de la psychanalyse. Une mentalité qui s'est trop fougueusement déployée dans une intention de maîtrise volontaire, virile, des choses de la vie, subit tôt ou tard l'attraction compensatoire de l'utérus maternel. Ce fantasme de repli dans la mère tend à restituer la capacité d'accueillir, de recevoir, par opposition au désir exacerbé de prendre, de conquérir.

Un lieu vert, dans le rêve, rétablit des équilibres, réajuste des valeurs. Tournée vers la vie, vers le devenir, cette couleur contient l'espérance pure. Un espoir vert n'a pas besoin d'argument. Il est oniriquement sûr. Deux exemples établiront cette propriété du symbole. Le premier tire sa force de son caractère tragique. Cette séquence apporte une preuve par inversion du rapport entre le vert et l'espérance. Nous avons développé ailleurs le cas d'Arsène, multirécidiviste de la tentative de suicide et qui devait ultérieurement atteindre l'objectif de paix définitive auquel il aspirait. Son troisième scénario est impressionnant. Dans une première séquence le rêveur évoque le cadre de chacune de ses tentatives d'autodestruction. Dans la seconde partie, il soigne un veau qui se laisse mourir parce qu'il est séparé de sa mère. Arsène brise la clôture qui séparait la vache de son veau. Cette scène ne laisse aucun doute sur la nature de l'insurmontable souffrance éprouvée par cet homme de trente ans. A partir de cet instant, le rêve va proposer une série d'images qui, toutes, exposent une inversion de la dynamique salvatrice dont témoigne habituellement la production onirique. Arsène traverse un étang en marchant sur l'eau. Il éprouve le besoin de préciser qu'il ne produit pas les cercles concentriques qu'on provoque habituellement en touchant la surface de l'eau. Il évolue dans le sens sud-nord. Il rencontre un vieux sage qui possède un seau vert dans lequel nagent des poissons. Ce sont des carpes. Le vieil homme en donne un à Arsène qui le laisse s'échapper. Le poisson retourne dans l'eau boueuse parmi les roseaux. Le rêveur, qui ignore tout de la signification des symboles, produit, autour du seau vert, tous les signes d'une négation de l'espérance. Ce rêve, inspiré par un psychisme résolument engagé dans un processus d'autodestruction, est peut-être la démonstration la plus convaincante de la rationalité des manifestations de l'imaginaire.


Un dernier exemple rétablira le vert dans sa fonction naturelle d'agent de régénérescence. Olga s'engage dans la cure de rêve éveillé, surprotégée par des résistances mentales à la mesure d'une remarquable intelligence. Pourtant, dès la deuxième séance, un flot de souvenirs d'enfance lui permet d'exprimer une vision extrêmement négative de ses parents. Le scénario s'achève par des mots durs : "... Je ne supportais pas leur vulgarité... j'espérais toujours sortir de quelque chose qui me retenait prisonnière, mais, en fait, j'étais toujours ficelée, avec ces deux boulets aux pieds !... Maintenant, je n'ai plus d'images, ni rien, si ce n'est ce noir, ces mouvements de blanc et de noir, un halo blanc avec une masse noire au milieu... par contre, je me vois, moi, en vert, émergeant de ce bourbier... j'ai encore les deux pieds dedans, mais je monte, je me dégage, debout... j'ai l'impression que j'ai été très fatiguée... là je me repose... et je vais arrêter."

Quand la rêveuse elle-même émerge du bourbier comme un rameau vert, toutes les promesses de tous les printemps qui furent depuis la première aurore du monde sont tout à coup rassemblés pour composer la symphonie de l'espérance. Combien en avons-nous recueilli, de ces visions généreuses d'une petite branche dénudée, encore tout enrobée du noir de l'hiver, à l'extrémité de laquelle une simple feuille naissante faisait éclater la joyeuse certitude de la valeur verte ? Le vert accompagne souvent les visions féminines de ces "naissance de Vénus", dans lesquelles l'image de la femme jaillit d'un coquillage, à proximité de l'eau.

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Lorsqu'elle paraît dans le rêve, la couleur verte est immanquablement liée à la féminité, à l'eau, à l'anima. Le traducteur qui reçoit les images ne se trompera pas s'il s'en tient aux interprétations primaires qui font du symbole un révélateur de régénérescence, d'évolution, d'espérance. Son apport sera infiniment plus fécond s'il se souvient que le vert assume une fonction médiatrice, qu'il rétablit un équilibre entre des valeurs opposées du psychisme. Le vert dénonce une disproportion. Le regard du praticien avisé se portera en tout premier examen sur le rapport animus /anima . Il constatera le plus souvent l'hypertrophie de l'une de ces composantes de la psyché et l'atrophie de l'autre.

C'est peut-être cette observation qui permet de comprendre pourquoi le vert onirique s'environne de tant d'images de liaison dynamique entre le haut et le bas. Le mouvement alterné de montées et de descentes, qui s'impose si souvent près du symbole, n'est-il pas simplement, dans le langage des signes, une incitation à réduire la grandeur d'une composante emphatique du psychisme et à augmenter la taille de sa contre-valeur défavorisée ? Bien des séquences de rêve éveillé structurées autour du vert autorisent à considérer sérieusement cette hypothèse.

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Ritournelle :


Paul Sébillot, auteur de Additions aux Coutumes, Traditions et superstitions de la Haute-Bretagne (Éditeur Lafolye, janv. 1892) rapporte cette ritournelle étrange :


Le pré vert. 327. - Je te vends mon pré vert vert,

Tout couvert de vert vert.

Dans mon pré vert vert,

Tout couvert de vert vert,

Il y a un arbre vert vert

Tout couvert de vert vert.

Dans l'arbre vert vert,

Tout couvert de vert vert,

Il y a un nid vert vert,

Tout couvert de vert vert.

Dans le nid vert vert,

Tout couvert de vert vert,

Il y a un oeuf vert vert,

Tout couvert de vert ver .

Dans l'oeuf vert vert,

Tout couvert de vert vert,

Il y a écrit :

Au choix de la personne qui récite ; si elle se trompe, elle donne un gage. (D.)

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Littérature :


"Dieu dit : Que la terre verdisse de verdure, d'herbes portant semence et d'arbres donnant du fruit, chacun selon son espèce. Il en fut ainsi. La terre verdit de verdure, les herbes portèrent semence et les arbres donnèrent du fruit, chacun selon son espèce. Et Dieu vit que cela était bon. Il y eut un soir, il y eut un matin : ce fut le troisième jour."

Genèse, I, 11-13.

 

Georges Sand, dans une pièce intitulée Le Diable aux champs (1869), met en scène une petite troupe de baladins, procédé du théâtre dans le théâtre qui permet de réfléchir aux conditions du spectacle :


JEAN. — J’entends bien, j’entends bien ! mais si vous faites les maisons si petites, vos arbres ne devraient pas être si verts ; quand on regarde des arbres au loin, ils paraissent plutôt comme bleus ou comme gris que comme verts.

DAMIEN, à Eugène. — Mordu ! Il a raison, notre sergent ! Tes arbres sont trop verts !

EUGÈNE. — Ils paraîtront bleus quand l’éclairage y sera.

JEAN. — En attendant, vous les avez faits avec du vert. Je vous les ai vu faire !

EUGÈNE. — Pour faire du bleu en détrempe qui soit bleu à la lumière, il faut du vert, du vert Véronèse, maître Jean !

JEAN. — J’entends bien ; mais…

MAURICE, à Eugène. — Si tu ergotes avec lui, nous en aurons jusqu’à demain matin, et il faut que tout soit prêt cette nuit. Nous n’aurons pas trop de la journée de demain pour faire la pièce. Allons, allons, enfants, à l’ouvrage !

JEAN. — Je vas me coucher ; mais c’est égal, les maisons sont trop petites ou les arbres sont trop verts.

(Il sort.)

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Vers quel verre, œil vert, diriges-tu tes regards

chaussés de vair ?


Robert Desnos, Corps et Biens (Éditions Gallimard, 1930)

 

Yves Paccalet, dans son magnifique "Journal de nature" intitulé L'Odeur du soleil dans l'herbe (Éditions Robert Laffont S. A., 1992) évoque la verdeur de la verdure :

30 octobre

(La Bastide)


A travers le miroir magique des baguenaudiers, derrière la maison, j'aperçois des palais de branches et des tentures de feuilles - la fumée grise des oliviers, les gros derrières des chênes verts, l'encre de Chine des pins... Les nuances les plus subtiles, les fondus, les halos répondent aux couleurs pures. Toutes les espèces de verts participent de ce congrès chlorophylliens : pâles, moyens, foncés, aqueux, lactescents, citrins, presque bruns, presque bleus, ocracés, rougeâtres, purpurins...

J'essaie d'imaginer quelle symphonie cela ferait si chaque flux photonique était transposé en onde sonore. Aucune composition humaine ne pourrait lui être comparée. Aucune ne dirait si justement la cohérence et l'harmonie de cet indescriptible fouillis de milliards de milliards de molécules.

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