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La Vieille Femme

Dernière mise à jour : 28 oct.






Étymologie :


  • VIEUX, VIEIL, VIEILLE, adj., subst. et adv.

Étymol. et Hist. I. Adj. A. 1. a) ca 1050 velz « qui existe depuis longtemps », ici en parlant du monde (Alexis, éd. Chr. Storey, 9) ; b) 1re moit. xiiie s. (Aucassin et Nicolette, éd. M. Roques, XII, 34 : tor vieille) ; c) 1385 vieulz loups (Eustache Deschamps, Miroir de Mariage, éd. G. Raynaud, t. 9, p. 34) ; d) ca 1393 en parlant de végétaux (Ménagier de Paris, éd. G. E. Brereton et J. M. Ferrier, p. 201) ; 2. 1357 vieilles debtes (Guillaume de Machault, Œuvres, éd. E. Hoepffner, t. 3, p. 122) ; 3. a) 1385 en tes vieulx jours (Eustache Deschamps, op. cit., p. 17) ; b) ca 1485 (Mystère Viel Testament, éd. J. de Rothschild, t. 1, p. 738 : vielz ans ; t. 2, p. 196: viel age) ; c) 1612 sur ses vieux jours (H. d'Urfé, L'Astrée, éd. H. Vaganay, t. 1, p. 281) ; 4. 1400 etre de trop vieille date (Christine de Pisan, Mutacion de Fortune, éd. S. Solente, t. 1, p. 77) ; 5. a) 1421 vins vielz (Clément de Fauquemberge, Journal, éd. Tuetey, t. 2, p. 193) ; b) 1615 vieilles couleurs, ici au fig. (Montchrestien, Traicté d'œconomie pol., éd. Th. Funck-Brentano, p. 276) ; 6. 1464 avec nuance dépréc. (Pathelin, éd. R. T. Holbrook, 946 : Tu ne vaulx mie une vielz nate) ; 7. a) 1480 le vieil droit p. oppos. à droit nouveau (Guillaume Coquillart, Œuvres, éd. J. Freeman, p. 145) ; b) 1579 vieil Francois (H. Estienne, Precellence du langage fr., éd. E. Huguet, p. 84) ; c) 1565 (Ronsard, Abrégé de l'Art poëtique françois ds Œuvres, éd. P. Laumonier, t. 14, p. 9 : Tu ne rejetteras point les vieux motz de noz Romans) ; d) 1610 (Deimier, L'Académie de l'Art poétique, éd. J. de Bordeaux, p. 105 : terme vieux) ; e) 1619 à la vieille mode (Sigogne, Satires ds Cabinet satyrique, éd. Fleuret et Perceau, p. 478) ; 8. a) 1547 (N. Du Fail, Propos rustiques, Epistre, éd. J. Assézat, t. 1, p. 2 : en ce bon vieux temps qu'aucuns appellent l'aage doré) ; b) 1585 vieilles querelles (Id., Contes d'Eutrapel, t. 1, p. 286) ; 9. 1676 faire vieux os (quelque part) (Mme de Sévigné, Corresp., éd. R. Duchêne, t. 2, p. 399). B. 1. a) Ca 1100 en parlant d'une personne (Roland, éd. J. Bédier, 524 : Il est mult vielz, si ad sun tens uset) ; b) 1385 les vieilles gens (Eustache Deschamps, op. cit., p. 6) ; c) 1461 (Jean du Bueil, Jouvencel, éd. L. Lecestre, 1repart., p. 166 : le vieil cappitaine de Crathor) ; d) 1461 p. métaph. (Id., ibid., p. 219 vous estes un viel regnart) ; e) 1530 les vielz peres (Songecreux, Prenostication, éd. P. Lacroix, 2 r) ; 2. a) 1174-77 renforçant un terme injurieux (Renart, éd. N. Fukumoto, t. 1, p. 97 : Pute vielle orde) ; b) 1498-1515 vieille bigotte (Gringore, Œuvres, t. 2, p. 76) ; 3. a) mil. xve s. (Charles d'Orléans, Poésies, éd. P. Champion, t. 2, p. 324 : Vieulx suis pour a l'escolle aller) ; b) ca 1485 (Mystère Viel Testament, t. 3, p. 292 : De trois ans suis plus viel que Moyse) ; c) 1627 être vieux devant le temps (Guez de Balzac, Lettres, éd. H. Bibas et K. T. Dutler, t. 1, p. 20) ; d) 1782 (Mme de Genlis, Adèle et Théodore, éd. M. Lambert, p. 271 : je sais bien qu'un homme n'est pas vieux à trente-sept ans) ; 4. a) 1505 (Gringore, Œuvres, t. 1, p. 137 : Asnes blasment vielz clercs prudens, lettrez) ; b) 1547 ce bon vieux praticien (N. Du Fail, Baliverneries, t. 1, p. 198) ; c) 1585 les deux vieux compagnons, les vieux amis (Id., Contes, t. 2, p. 98, 354) ; 5. a) 1610 vieille fille (H. d'Urfé, op. cit., t. 2, p. 226) ; b) 1627 vieil garçon (Sorel, Berger extravagant, éd. H. Béchade, p. 68) ; 6. a) 1867 se faire vieux « s'ennuyer, trouver le temps long » (Delvau) ; b) 1899 id. « vieillir » (France, P. Nozière, p. 131). II. Subst. A. 1. a) ca 1100 « âgé », ici empl. avec un nom propre, comme un surnom [v. J. Bédier, Commentaire] avec une nuance de respect (Roland, 970: Carles li velz, a la barbe flurie) b) 1160-74 les veilles (Wace, Rou, III, 1095, éd. A. J. Holden, t. 1, p. 201) ; 2. a) 1160-74 (Id., ibid., II, 136, t. 1, p. 20 : Mout y ont d'ambe pars viex et geunes ocis) ; b) 1846 les vieux de la vieille (Balzac, Cous. Bette, p. 326) ; c) 1896 p. ext. un vieux de la vieille « un vieillard, un invalide » (Delesalle, Dict. arg.-fr. et fr.-arg.) ; 3. a) 1828-29 mon vieux terme d'amitié (Vidocq, Mém., t. 2, p. 44) ; b) 1862 ma vieille id. (s'adressant à un homme) (Larchey, Excentr. lang.) ; 4. a) 1862 arg. avoir son vieux « être entretenue par un amant d'âge mûr » (Id., ibid.) ; b) 1881 vieux « père », vieille « mère » (Rigaud, Dict. arg. mod.) ; c) 1901 les vieux « les parents, les grands-parents » (Bruant). B. Subst. neutre 1. a) mil. xve s. (Charles d'Orléans, op. cit., p. 490 : Et y boit on du viel et du nouveau) ; b) av. 1615 (Pasquier, Recherches de la France, p. 824) ; c) 1878 (Rigaud, Dict. jargon paris. : recevoir un coup de vieux. Toucher à la quarantaine) ; 2. 1859 vieille « vieux cognac » (Larch.). Du lat. vetulus « id. », dimin. de vetus « id. » dont le représentant viez a vécu du xiie au xive s. (viés att. encore une fois en 1517 dans le Nord, v. Gdf. et FEW t. 14, p. 364).


Lire également la définition de vieille afin d'amorcer la réflexion symbolique.

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Symbolisme celte :


Adolphe de Chesnel, auteur d'un Dictionnaire des superstitions, erreurs, préjugés, et traditions populaires... (J.-P. Migne Éditeur, 1856) propose la notice suivante :


GROAC'H OU GRAC'H. Ce mot breton signitie proprement vieille femme, et on nommait ainsi les druidesses qui avaient leur collège dans une île voisine des côtes de l'Armorique, qui fut appelée pour cela île de Groac'h, et plus tard, par corruption, Groais ou Groix. Dans la suite, on désigna el l'on désigne encore par Groac'h, en Bretagne, une sorte de fée ayant puissance sur les éléments et habitant particulièrement les caux. A Vannes, les Groac'hs sont des nymphes qui fixent leur demeure dans les puits.

Dans son Foyer breton, Emile Souvestre raconte cette tradition d'un Groac'h de l'île du Lok. « Tous ceux qui connaissent la terre de l'église (Lan-illis) savent que c'est une des plus belles paroisses de l'évêché de Léon. Là, il y a toujours eu, outre les fourrages et les blés, des vergers qui donnent des pommes plus douces que le miel de Sizún, et des pruniers dont toutes les fleurs deviennent des fruits.

Dans les temps anciens, il y avait à Lan-illis un jeune homme qui s'appelait Houarn Pogamm et une jeune fille nommée Bellah Postik. Tous deux étaient cousins à la mode du pays, et leurs mères , quand ils étaient tout petits, les avaient élevés dans le même berceau, comme on le fait des enfants que l'on destine à être un jour maris ou femmes, avec la permission de Dieu. Aussi avaient-ils grandi en s'aimant de tout leur cœur. Mais leurs parents étaient morts l'un après l'autre, et les deux orphelins, qui n'avaient pas d'héritage, furent obligés de se mettre en service chez le même maître.

Ils auraient pu s'y trouver heureux ; mais les amoureux ressemblent à la mer qui se plaint toujours.

« Si nous avions seulement de quoi acheter une petite vache et un pourceau maigre, disait Houarn, je louerais à notre maître un morceau de terre, le curé nous marierait, et nous irions demeurer ensemble.

- Oui, répondait Bellah, avec un gros soupir ; mais nous vivons dans des temps si durs ! Les vaches et les porcs ont encore renchéri à la dernière foire de Ploudalmezeau ; pour sûr, Dieu ne s'occupe plus comment le monde va.

- J'ai peur qu'il ne faille attendre longtemps, reprenait le jeune garçon, car ce n'est jamais moi qui finis les bouteilles, quand je bois à l'auberge avec des amis !

- Bien longtemps, répliquait la jeune fille ; car je n'ai pu réussir à entendre le Coucou chanter.

Ces plaintes recommencèrent tous les jours, jusqu'à ce que Houarn eût enfin perdu patience. Il vint trouver un matin Bellah qui vannait du blé dans l'aire, et lui annonça qu'il voulait partir pour chercher fortune. La jeune fille fut bien affligée à cette nouvelle, et fit tout ce qu'elle put pour le retenir ; mais Houarn, qui était un garçon résolu, ne voulut rien écouter.

- Les oiseaux, dit-il, vont devant eux, jusqu'à ce qu'ils aient rencontré un champ de grain, et les abeilles jusqu'à ce qu'elles trouvent des fleurs pour faire leur miel ; un homme ne peut avoir moins de raison.

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VIEILLE DU BASSIN DE LA SEILLE, On nomme ainsi , dans le Jura , une fée à laquelle on attribue les fâcheuses variations atmosphériques qui se manifestent durant l'époque que les cultivateurs appellent la lune rousse. On désigne cette période par la dénomination de jours de la vieille.

 

L'état de la question sur la Cailleach en 1936 :

lire l'article d'Alexander Haggerty Krappe : "La Cailleach Bheara. Notes de mythologie gaélique." (In : Etudes Celtiques, vol. 1, fascicule 2, 1936. pp. 292-302) =>

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François-Joseph Onda, auteur d'une thèse intitulée Le féminin dans les paysages pré-chrétiens irlandais. (Archéologie et Préhistoire. Université Rennes 2, 2012. Français.) nous renseigne sur la triplicité de la Déesse Mère :


[...] Les rituels peuvent aussi être considérés comme une régression vers le chaos initial, à partir duquel la création est répétée. Dans le cadre de la souveraineté, le chaos correspond à une nation sans chef, c'est-à-dire sans contrôle, sans organisation sociale et sans règles, et qui, par conséquent, ne permet pas la prospérité, et encore moins la survie du peuple. La création primordiale répétée correspond à l’inverse à l’instauration d’un nouvel ordre social et spirituel. Les trois aspects physiques que peut revêtir l’une des figures féminines mytho-folkloriques de la souveraineté appelée Cailleach, et plus précisément son passage de l’état de « Vieille femme » à celui de « Jeune fille » au moment de l’union entre elle et son consort, symbolise dans le mythe ce passage du chaos à l’ordre caractéristique de la période de flottement, de vide apparent propre à l’entre-deux règnes, mais symbolise également la difficulté à instaurer un nouveau règne. Le changement d’apparence de cette figure féminine mytho-folklorique reflétait tantôt la prospérité du royaume, tantôt la destitution du roi, qui entraînait la dégradation de son royaume, c’est-à-dire deux situations liées à la légitimité et à la bonne marche de la royauté ou à leurs contraires.

[...]

La première apparence sous laquelle la déesse peut se manifester, correspond au sens irlandais du terme « Cailleach » qui signifie « vieille sorcière ». L’aspect repoussant sous lequel elle se montrait aux rois potentiels est assimilable à une épreuve de sélection au même titre que celles mentionnées dans la partie précédente. Sa laideur était un moyen de mettre à l’épreuve l’homme auquel elle se présentait sous ce visage, afin de trouver celui qui allait lui permettre d’apporter ses bienfaits à la terre et aux hommes. Le but de cette rencontre apparemment ordinaire était bien de tester les qualités morales du prétendant au trône et de choisir le meilleur roi possible, c’est-à-dire celui qui saurait voir au-delà des apparences, qui saurait faire preuve de générosité et de compassion et qui saurait privilégier l’intérêt de la terre et des « enfants » de la déesse.

[...]

La plupart des figures divines féminines qui se manifestent sous l’aspect de « La jeune fille » sont assimilables à Cailleach et sont toutes des femmes qui viennent de l’Autre Monde dans le but d’épouser un mortel. Une fois mariées, elles agissent de la même manière que des épouses mortelles, du moins jusqu’à ce que leur consort agisse contrairement à leurs attentes. Lorsque c’est le cas, elles apportent la destruction, soit en semant la mort, soit en causant la misère et le chagrin, soit en contribuant à leur défaite.

[...]

Il est apparu que le terme « Cailleach » en lui-même ne faisait clairement référence qu’à l’une des trois apparences physiques que cette figure féminine peut revêtir, celle de « La vieille femme » (les autres aspects étant ceux de « La mère » et de « La jeune fille/La vierge »). Cette triplicité physique se retrouve dans la figure de Cailleach Bheara et fait écho au fonctionnement en triade des autres divinités féminines de la mythologie celte.

[...]

On voit bien que ces trois aspects de Cailleach illustrent les trois âges de la femme : vieillesse/sagesse, maturité/maternité et jeunesse/virginité. La terre d’Irlande étant très fortement associée au corps de la déesse, nous pouvons dès lors déduire que ces trois phases correspondent également aux changements visibles qui s’opèrent dans la nature au fil des saisons. De ce fait, on peut établir un lien entre les phases de Cailleach/la femme/la terre d’Irlande et l’alternance cyclique des phases biologiques du monde végétal et animal. Ceci montre clairement les similitudes qui existent entre la déesse et la nature, au sens le plus large du terme, et nous permet de les rapprocher l’une de l’autre. En effet, ces trois phases, qui transforment de la même façon l’aspect du paysage et celui de la femme, correspondent aux trois étapes du cycle de la vie : une période de latence et de gestation en automne/hiver, une période de jaillissement de la vie au printemps et enfin, une période de maturation en été. L’ordre dans lequel apparaissent les différents aspects de Cailleach, tel qu’il nous est donné à lire par exemple dans le mythe mettant en scène Niall aux neuf otages, et qui est relaté par Patricia Monaghan, (d’abord « La vieille femme », suivie de « La jeune fille » et de « La mère »), reflète la façon dont les Celtes envisageaient le monde qui les entourait. Cette conception particulière se retrouve dans leur façon d’appréhender la vie, et plus précisément le lien étroit qu’ils lui reconnaissaient avec la mort. Elle se retrouve également dans leur façon de mesurer le temps, puisque la nuit était pour eux le commencement, l’origine et la source de toute forme de vie, et c’est pourquoi ils la considéraient comme une phase clef, et le point de repère absolu.

[...]

Cailleach elle-même reflète symboliquement ce fonctionnement cyclique car, elle a la capacité de se régénérer et de se perpétuer sous la forme de « La jeune fille », qui elle-même devient « La mère » puis « La vieille femme » et ainsi de suite. Nous voyons ainsi que les trois phases de Cailleach se superposent au découpage de l’année en fonction des quatre fêtes rituelles célébrées par les Celtes insulaires. Le découpage que nous proposons ici montre que la phase de « La vieille femme » correspond à la période qui commence à Lughnasagh et qui se termine à Imbolc ; la phase de « La jeune fille » commence alors, pour se terminer à Bealtaine. A ce moment-là commence la période qui correspond à celle de « La mère », qui prend fin à Lughnasagh, fête rituelle qui correspond au point culminant de la maturation (« et donc l’ouverture de la période d’abondance »), mais également au début du déclin. [...] Cette vieille femme préside aux moissons et laisse mourir ce qui n’est plus productif, rappelant ainsi son lien avec la mort et la rapprochant de son essence hivernale. [...] Cailleach nous apparaît sous cette forme comme la gardienne des forces vitales de la nature et de ce fait, comme protectrice de la fertilité et de l’abondance, ce qui nous permet de la rapprocher des déesses de la triade d’Ériu. Elle préside au changement, au renouveau de la vie issue de l’obscurité gestatrice.

[...]

Cailleach est ainsi la maîtresse des mois d’hiver et nimbe la terre de son voile comme le suggère l’étymologie de son nom, « celle qui est voilée ». Le long sommeil de l’hiver prend fin lorsque revient la phase suivante qui débute à Imbolc et dure jusqu’à Beltaine, le début de l’été. La vieille femme se mue alors en jeune fille, et lorsque le règne de la première s’achève, la deuxième vient prolonger son œuvre. La fête rituelle d’Imbolc correspond à l’arrivée du printemps, période où la vie rejaillit. [...]

Elle est présentée comme étant à l’origine du paysage, créant montagnes, îles et autres reliefs, ainsi que certains monuments mégalithique, ce qui renforce son rôle structurant. [...] Martin Byrne précise que le nom de ce mégalithe, « Le siège de la sorcière », est lié au récit selon lequel Garavogue (nom local de Cailleach), aurait choisi de le placer en un lieu qui domine toute la région environnante, ce qui lui permettait de la contempler ainsi que de contempler les étoiles. La place qu’occupe le siège permet donc à Cailleach d’établir un lien entre la terre et le ciel. Situé à 276 mètres au dessus du niveau de la mer, cette position élevée atteste aussi de la nature sacrée du site. Cailleach apparaît ainsi comme un Axis Mundi, qui met en relation le profane/mortel et le divin/immortel.


N. B. nom local de la Cailleach = Garavogue p. 188 [remarque personnelle : bien que repéré dans un récit irlandais, nom qui autant par sa graphie -gue que sa racine Gar / Car rappelle le continent et mettrait sur la piste d'une filiation avec un autre géant : Gargantua... D'ailleurs le nom de la rivière irlandaise homonyme est récent puisqu'il date approximativement du XIIIe siècle et a supplanté le nom plus clairement irlandais Sligeach].

[...]

L’analyse qui nous avons proposée de Cailleach dans cette partie montre que cette figure féminine mytho-folklorique est la créatrice divine de la terre et de ses reliefs. Elle est aussi l’énergie et la force chtonienne qui sculptent et modèlent la terre. Elle est également les quatre éléments : le vent des tempêtes ; l’eau des lacs, des rivières, de la mer/l’océan et de la pluie ; le feu du « petit » et du « grand » soleil ; la terre de l’Irlande ancienne, la roche elle-même, le sommet des montagnes, tantôt terre nue couverte d’un manteau de neige, tantôt terre fertile revêtue de son manteau vert, dissimulée sous le voile du temps. L’étude de l’incidence de Cailleach sur la topographie nous permet de mieux cerner les enjeux de la représentation qu’avaient les Celtes de la déesse-mère. La figure de Cailleach correspond à la terre vierge par opposition aux figures d’Ériu et des autres composantes de sa triade qui représentent la terre cultivée. Nous avons envisagé la terre d’Irlande non seulement comme l’œuvre de Cailleach, mais encore comme son corps et sa chair, puisque plusieurs rochers ou promontoires sont censés être Cailleach. C’est le cas de la roche nommée Cailleach Bheara, située dans la péninsule éponyme, ou encore celle de « La tête de la sorcière » aux falaises de Moher dans le comté de Clare. La figure de Cailleach correspond à la terre vierge par opposition aux figures d’Ériu et des autres composantes de sa triade qui représentent la terre cultivée.

[...]

Le fait que dans le récit [de création des lacs], les seuls survivants soient dans les trois cas les jeunes amants est significatif, car ils sont non seulement porteurs de vie future, mais encore source de vie. De ce fait, il est possible d’établir un parallèle entre le corps des jeunes filles et la terre non cultivée, qui sont toutes deux « vierges », la première n’ayant jamais porté la vie, la seconde n’ayant qu’un puits comme source d’eau, ce qui ne permet pas les cultures. Cette assimilation entre jeune fille et terre non cultivée se retrouve dans l’une des trois phases de Cailleach (celle de « La jeune fille/La vierge »), avant que ne s’amorce le glissement vers l’une des autres phases de Cailleach, celle de « La mère ». En effet, toutes deux reçoivent l’élément fertilisant et fécondateur symbolisé par l’eau de source, qui est décrite dans l’un des récits de façon très suggestive, sortant de la terre dans un jaillissement quasi-sexuel donnant ainsi naissance à un lac. Le jaillissement de l’eau chtonienne apparaît à première vue destructeur mais possède au demeurant un rôle fertilisant, ce qui favorise la naissance de nouvelles formes de vie. Ainsi la mort de toutes les jeunes filles associée à la naissance d’un lac, symbolise-t-elle (comme dans le cas des fleuves) l’union de l’esprit de la déesse de la terre avec l’un de ses éléments vitaux : l’eau.

[...]

Cailleach, ancienne déesse de la terre, comporte également un élément de fécondité, illustrée par les récits de Maeve et de Derbforgaill, où elle est présentée aussi comme déesse-mère, du fait du fonctionnement en prisme des différents mythes constitutifs de la mythologie pré-chrétienne irlandaise. En effet, les lacs que Cailleach a créés sont source de vie, cette fécondité tient au fait que les lacs sont créés de son urine, fluide féminin à connotation sexuelle. C’est pourquoi, pour les Celtes, fleuves, rivières et lacs étaient traditionnellement associés à des figures divines féminines, qui symbolisaient le rapprochement entre les fluides féminins et l’eau vitale.

[...]

L’océan, organe vital de la déesse : Nous avons remarqué que les eaux des fleuves et rivières étaient considérées respectivement comme le sang et les veines de la déesse. Mais nous pouvons aller encore plus loin dans l’élaboration de ce tableau métaphorique, jusqu’à « reconstituer » le corps de la déesse, et plus précisément ce que l’on peut considérer comme étant son « système circulatoire » symbolique, au travers de l’association d’un élément topographique (l’océan) et de l’influence de l’astre lunaire. L’interaction de ces deux éléments donne naissance au phénomène naturel des marées, dont nous allons analyser la symbolique corporelle pour les populations pré-chrétiennes de l’île dans son ensemble. En effet, les fleuves (les veines) se dirigent vers l’océan où les eaux (le sang) se régénèrent. Selon cette configuration, l’océan, symbole des eaux abyssales, de l’origine de la vie ainsi que de la régénérescence, est assimilable au cœur, organe vital par excellence. De ce fait, tout ce réseau aquatique constitue symboliquement le système cardio-vasculaire de la déesse-mère.

[...]

Conclusion : [...] Pour ce qui est des Celtes, nous avons montré que la matrifocalité s’exprimait aussi au travers des figures de plusieurs déesses transfonctionnelles (majoritairement organisées en triades) qui sont la mère du monde mortel (incluant les hommes, les animaux et les végétaux), mais également la mère du monde divin. Rappelons à cet égard l’exemple d’Anu, qui est la mère du peuple divin des Tuatha Dé Danann, comme l’indique le nom de la tribu. Citons également l’exemple de Brigid donné par Françoise Le Roux et Christian-Joseph Guyonvarc’h qui précisent qu’elle « est présentée dans le Glossaire de Cormac sous l’appellation mater deorum Hibernensium ou “la mère des dieux de l’Irlande” ». Ajoutons enfin que la déesse était conçue comme celle qui engendre également la terre même (naturelle ou mégalithique), complétant ainsi son portrait de « mère cosmique ». Les déesses celtes éponymes (ou celles représentant une même fonction) déclinent donc les diverses facettes d’une seule et même déesse trivalente qui serait la déesse-mère. Celle-ci ne se manifeste jamais de façon concrète ni dans sa plénitude mais toujours sous son aspect fragmenté qui correspond à la situation ou au thème abordé. La multiplicité des figures divines celtes reflète la complexité du monde, chacune d’entre elles symbolisant des concepts abstraits tels que la fécondité, l’abondance, la vie, la mort, mais aussi les activités humaines ou avancements technologiques (l’agriculture, la guerre, la ferronnerie par exemple), les éléments naturels constitutifs du paysages, qui peuvent se révéler effrayants car parfois destructeurs (à savoir la mer, les rivières et les lacs). Toutes ces figures divines sont unifiées et regroupées en une seule entité qui fonctionne comme un prisme, ce qui la rend intelligible et plus accessible à l’homme. La déesse-mère, quel que soit l’aspect sous lequel elle apparaît ou le domaine dans lequel elle intervient, est une force vitale, une dynamique, une source de changement et de prospérité.

La conception d’une déesse-mère unique tripliquée, dont chaque composante symbolise les trois fonctions primordiales inhérentes à la mère, explique le caractère féminin de la projection mythique effectuée par les Celtes sur le paysage insulaire. La « triple triplicité » de la construction mythologique propre à un grand nombre de sociétés archaïques indo-européennes (dont celle des Celtes), représente « la perfection de la perfection, l’ordre dans l’ordre, l’unité dans l’unité, […] la plénitude, […] le symbole de la multiplicité faisant retour à l’unité et, par extension, celui de la solidarité cosmique » [Chevalier et Gheerbrant]. La symbolique du chiffre neuf met ainsi l’accent sur la fonction structurante de l’ensemble des déesses qui, toutes, influent sur chacun des domaines de la vie. Cette fonction, on l’a vu, se répercutait sur la formation géophysique du territoire, l’organisation sociale, politique, militaire et magico-religieuse du peuple. Elle permettait la répétition infinie et par conséquent la permanence infinie de toute chose. C’était ce rapprochement de l’éternité qui donnait accès au divin. Ceci est résumé par une autre symbolique du neuf que rappellent Jean Chevalier et Alain Gheerbrant. Ils précisent que ce chiffre,

étant le dernier de la série des chiffres, annonce à la fois une fin et un recommencement, c’est-à-dire une transposition sur un nouveau plan. On retrouverait ici l’idée de nouvelle naissance et de germination, en même temps que celle de mort. […] Dernier des nombres de l’univers manifesté, il ouvre la phase des transmutations. Il exprime la fin d’un cycle, l’achèvement d’une course, la fermeture de la boucle.


[...] Chez Cailleach, c’est l’aspect cyclique qui prédomine de par sa représentativité symbolique des différents cycles naturels. Quant à l’idée de régénérescence, elle est récurrente dans les mythes et inhérente au concept structurant de la souveraineté. La déesse-mère est polyvalente, car elle réunit les attributs nécessaires pour présider à chacun des trois domaines qui correspondent aux trois fonctions duméziliennes, à savoir au sacré, à la guerre et à la production. Tous étaient liés à la terre que la déesse représentait, gouvernait, défendait et dont elle assurait la prospérité. C’est de cette polyvalence que découlait son omnipotence.

[...]

Annexes :


Bronach : Nom local de Cailleach aux Falaises de Moher.


Buí : Terme irlandais qui signifie « jaune » et fait référence à l’une des deux épouses de Lug, Cailleach sous la forme de « La vieille sorcière ». Les Celtes l’ont associée à la tombe mégalithique de Knowth. En effet, le nom gaélique du tumulus, cnogba, est composé à partir des deux termes Cnoc Buí qui signifient « The Hill of Buí » (« La colline de Buí ») où elle est censée être enterrée.


Cailleach : Déesse ancienne de la littérature irlandaise, elle porte différents noms selon les régions auxquelles elle est attachée : Cailleach Bheara (dans la péninsule éponyme, dans le comté de Cork), Cailleach Bolus (à Bolus, dans le comté de Kerry), Cailleach Corca Duibhna ou Mish (dans la péninsule de Dingle, également dans le comté de Kerry), Bronach (aux falaises de Moher), Mal (à l’extrémité sud des falaises de Moher exclusivement) et Garavogue sur le site de Loughcrew. Elle apparaît dans la mythologie sous trois aspects différents qui correspondent au cycle des saisons : « La vieille femme » pour l’hiver, « La jeune fille » pour le printemps et « La mère » pour l’été. Elle est également fortement associée à la souveraineté et cette dernière l’a confère généralement sous l’aspect repoussant de « La vieille femme ». Cette divinité est la gardienne des forces vitales de la nature et de ce fait, peut être considérée comme protectrice de la fertilité et de l’abondance. Elle a donc un rôle structurant au niveau temporel cyclique, mais également au niveau spatial puisqu’elle apparaît dans plusieurs récits comme une figure gigantesque créatrice du paysage naturel d’une part, et comme un architecte mythique du paysage mégalithique d’autre part. La mythologie l’associe fortement à la tombe mégalithique de Knowth où elle apparaît sous le nom de Buí. En effet, le nom gaélique du tumulus, cnogba, est composé à partir des deux termes Cnoc Buí qui signifient « The Hill of Buí » (« La colline de Buí ») où elle est censée être enterrée.


Garavogue : Nom local de Cailleach aux alentours de Loughcrew.


Mish : Nom local de Cailleach dans la péninsule de Dingle.

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Lee Fossard, auteur d'un article intitulé « Le motif « vieille » dans la toponymie de l’aire celtique », (In : La Bretagne Linguistique [En ligne], 21 | 2017) complète le portrait de la Déesse sous son aspect de Vieille :


[...] le principe est de savoir si des légendes existent autour d’un lieu comportant le motif « vieille » et si elles peuvent fournir des informations intéressantes quant à la description de ce personnage. dans les mythes et légendes, la vieille est parfois connue sous le nom de Cailleach Beinn-a-Bhric (Alexander robert Forbes, 1905 : 129) ou Beira (Mackenzie, 1917) en écosse et Cailleach Bheara en Irlande (hull, 1927). la première vit dans la montagne nommée Beinn a’ Bhric et la dernière est originaire de la péninsule de Beara (sud-ouest de l’Irlande). En écosse, elle est décrite sous la forme d’une géante façonnant le paysage avec son marteau (Mackenzie, 1917). Elle incarne également le cycle des saisons puisqu’elle devient vieille et laide en hiver et jeune et belle en été, son apparence se dégradant au fil des saisons (Mackenzie, 1917 : 24). Son châle est tellement grand qu’elle doit le laver dans la mer – plus précisément dans le corryvreckan, un gigantesque tourbillon situé entre les îles de Scarba et de Jura – et le faire sécher sur les montagnes : il symbolise ainsi la neige (Mackenzie, 1917 : 30-31).

la vieille est également une géante bâtisseuse. Elle construit des montagnes (Little Wyvis, 764 mètres d’altitude) ou encore des îles (les Hébrides) en transportant des rochers et de la terre dans son panier de pêche ou son tablier (Hull, 1927). En Irlande, dans la zone mégalithique de Tara, à Loughcrew (comté de Meath), elle aurait involontairement créé un grand tumulus en laissant tomber des pierres de son tablier alors qu’elle sautait d’une colline à une autre (Hull, 1927 : 246). Ce tumulus – appelé Hag’s Carn, le « cairn de la vieille » – est situé sur la plus haute colline du comté de Meath, elle-même appelée Slieve na Calliagh, la « colline de la vieille ».

On retrouve en Bretagne, à Plouarzel (Finistère), la même caractéristique au sujet du grand menhir de Kerloas : une femme l’aurait apporté dans son tablier (Georges Guénin, 1910). ce même mégalithe, pourvu de deux bosses à sa base, faisait l’objet d’une coutume : les nouveaux mariés venaient se frotter le ventre nu contre l’une de ses bosses (Chevalier de Fréminville, 1832). On peut peut-être y voir les traces d’anciens rites de fécondité.

En outre, D. A. Mackenzie ajoute au gigantisme de la vieille Beira qu’elle était « the mother of all the gods and goddesses in Scotland » (1917 : 22) mais aussi déesse de la nature, et tout particulièrement du climat, des rivières, des lacs et des montagnes (1917 : 16). On rencontre également ce lien entre la vieille et le climat dans l’aire linguistique romane. En effet, dans les Asturies (nord de l’Espagne), près des montagnes appelées Picos de Europa, quand il commençait à neiger, les bergers avaient pour habitude d’interpeller la vieille pour lui demander : « ¿ Qué traes, Vieya ? », c’est-à-dire « Qu’apportes-tu, la vieille ? » (Cristobo de Milio carrín, 2008 : 18). En Sardaigne, par temps de sécheresse, lors de processions, les enfants imploraient la vieille (tsia bezza en sarde) pour qu’elle apporte la pluie (Michel Contini, 2012 : 377). [...]

D’une manière générale, on peut expliquer cette profusion de référents extra-linguistiques par deux arguments pouvant se combiner. Le premier argument tend à montrer qu’il existe des caractéristiques morphologiques et/ou comportementales communes à tous ces référents. On remarque cependant qu’il est parfois compliqué, voire périlleux, de trouver une telle ressemblance entre un oiseau, une plante et une avalanche. De plus, cela n’explique pas pourquoi on a affaire au terme « vieille » et non au terme « vieux » par exemple. Le deuxième argument permet de combler les lacunes du premier puisqu’il vise à démontrer, à la lumière des données recueillies en ethnologie, littérature orale ou mythologie, que ces référents sont les traces linguistiques de croyances en une divinité. On peut donc faire le lien avec deux caractéristiques divines de la vieille présentées précédemment : déesse du climat et déesse de la nature. De plus, Mario Alinei et Francesco Benozzo nous informent que « ces dénominations identifient une ancêtre totémique matrilinéaire […] à l’origine dominatrice des animaux et de la nature [...] » (2012 : 69).

Les deux auteurs précités (2012) rappellent que ces différents signifiés participent d’une vénération et/ou d’une sacralisation des animaux, plantes et phénomènes atmosphériques datant, pour les premiers, du paléolithique (au moins 9000 avant J.-c.) et, pour les derniers, du Mésolithique final (environ 6000 avant J.-C.). On peut supposer que cette part de religieux du lexique est due à la fascination suscitée par les caractéristiques, les propriétés et l’apparence (1) de ces référents extra-linguistiques. Les premiers peuples qui les ont nommés « vieille » l’ont certainement fait en référence à la divinité éponyme. Ces animaux, plantes et autres phénomènes naturels appelés ainsi sont autant de traces ethnolinguistiques des liens étroits entre l’homme et la Nature.

[...]

Concernant le motif « vieille », il correspond, selon mon hypothèse, à des vestiges culturels et linguistiques témoignant de la vénération d’une divinité appelée la vieille. Contrairement à ce que peut laisser penser son nom, cette divinité est l’incarnation de la toute-puissance de la Nature considérée comme une grande déesse-mère nourricière, symbole de fécondité et de fertilité et maîtresse du climat. Le terme « vieille », comme l’a rappelé Marie-Barbara Le Gonidec, fait référence à la femme d’expérience, celle qui est source de savoirs notamment en matière de fécondité et de sexualité.


Note : 1) L’arc-en-ciel est attribué à la vieille (cf. tableau précédent) et certains poissons labres, appelés « vieille », ont des écailles couleur arc-en-ciel.

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