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La Mauve




Étymologie :


Étymol. et Hist. A. Ca 1256 subst. bot. (Aldebrand de Sienne, Régime du corps, 165, 10 ds T.-L.). B. 1. 1804 subst. « couleur de la fleur de cette plante » (Berthollet, Art de la teinture, II, 321) ; 2. 1829 adj. Nœuds oranges et mauves (Journal des dames et des modes, p.339). C. 1841 (Phys. du parapluie ds Larch. 1872: Sa forme conserve une certaine ressemblance avec la feuille de mauve [...] La mauve est toujours en coton rouge ou vert). Du lat. malva désignant cette plante (cf. André Bot.).


Lire également la définition de mauve afin d'amorcer la réflexion symbolique.


Autres noms : Malva sylvestris ; Coumajon ; Fouassier ; Fausse Guimauve ; Fromageon ; Grande mauve ; Haute Malbé ; Herbe à fromage ; Mauve verte ;

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Botanique :






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Phytothérapie traditionnelle :


Paul Sébillot, auteur de Additions aux Coutumes, Traditions et superstitions de la Haute-Bretagne (Éditeur Lafolye, janv. 1892) rapporte que :


On guérit les inflammations en les lavant avec une infusion de mauve.

 

J. Bouquet dans "L'art de conserver la santé, extrait du "Messager boiteux "." (In : Revue d'histoire de la pharmacie, 20ᵉ année, n°77, 1932. pp. 54-56) relève quelques extraits du Véritable Messager boiteux de Berne pour l'année 1817 :

DES MAUVES

La mauve, emollient fourni par la Nature,

Des intestins aide la fonction.

Moyennant sa décoction,

D'un pauvre constipé, la délivrance est sûre.

De ses racines la raclure

Au ventre rend la liberté,

Sert au beau sexe, et lui procure

Le retour de ses fleurs, d'où dépend sa santé.

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Selon Alfred Chabert, auteur de Plantes médicinales et plantes comestibles de Savoie (1897, Réédition Curandera, 1986) :


La toux, les rhumes, les maladies de poitrine sont combattues par les tisanes émollientes bien connues : mauve, [...].

 

Dans Des hommes et des plantes (Éditions Opéra Mundi, 1970), son autobiographie, Maurice Mésségué évoque le savoir ancestral de son père sur lequel il a construit ses connaissances :


[...] Je vais surtout insister sur la mauve; J'aime beaucoup cette plante qui a l'avantage de pouvoir être utilisée toute l'année. Quand elle n'a plus de fleurs, on prend les feuilles et quand elle les a perdues on se sert de la racine. Vos apprécierez aussi qu'on l'utilise souvent dans le biberon des bébés pour clamer leur toux. Et si l'histoire des plantes vous amuse, Monsieur le Président [Winston Churchill], les Anciens mangeaient les jeunes pousses de mauve cuites ou en salade. Cicéron en parle dans ses lettres. Quant à Horace, il chante dans ses odes : les olives, la chicorée et la mauve légère.

- N'en croyez rien les Romains se nourrissaient de bonnes viandes plus que d'herbes.

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Croyances populaires :


Dans Le Folk-Lore de la France, tome troisième, la Faune et la Flore (E. Guilmoto Éditeur, 1906) Paul Sébillot recense nombre de légendes populaires :


Dans la Vienne quand on veut forcer un garçon à aimer une fille, et réciproquement, on leur offre séparément à chacun, un bouquet de feuilles de mauves avec des fleurs de muguet au milieu.

[...] Dans la médecine populaire, l'urine est en relation fréquente avec les plantes ; au XIVe siècle, elle intervenait dans une épreuve relative à la fécondité : Pour savoir si la famé peut concevoir, fêtez la pissier sur la malve par iij jourz ; se ele est morte, el' est brehaigne, se ele remaint verte et vive, si pourra concevoir.

[...] Les mauves poussent fréquemment dans les cimetières on dit dans la Nièvre de quelqu'un qui est mort ; il est sous les fromageots en Provence, il est allé fumer les mauves.

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Symbolisme :


Dans Les Fleurs naturelles : traité sur l'art de composer les couronnes, les parures, les bouquets, etc., de tous genres pour bals et soirées suivi du langage des fleurs (Auto-édition, Paris, 1847) Jules Lachaume établit les correspondances entre les fleurs et les sentiments humains :


Mauve - Sincérité. Parce qu’elle croit sans culture.

 

Selon Pierre Zaccone, auteur de Nouveau langage des fleurs avec la nomenclature des sentiments dont chaque fleur est le symbole et leur emploi pour l'expression des pensées (Éditeur L. Hachette, 1856) :


KETMIE - VOUS ÊTES JOLIE.

Plante de la famille des mauves, originaire de l'Italie et de l'Afrique, et remarquable par la beauté de ses fleurs.


MAUVE - DOUCEUR MATERNELLE.

La mauve est une jolie plante, dont on connaît au jourd'hui au moins cent espèces. Autrefois, elles étaient cultivées avec soin dans les jardins, et on les servait sur les tables diversement apprêtées. De nos jours encore, les Chinois mangent les feuilles de mauve, apprêtées comme chez nous la laitue et les épinards. Pythagore a dit :

Semez la mauve, mais ne la mangez pas.


C'est-à-dire, ayez de la douceur pour les autres, et non pas pour vous.

 

Emma Faucon, dans Le Langage des fleurs (Théodore Lefèvre Éditeur, 1860) s'inspire de ses prédécesseurs pour proposer le symbolisme des plantes qu'elle étudie :


Mauve - Douceur.

Les anciens avaient pris la mauve comme symbole de la douceur et de la facilité de caractère. Pythagore disait : « Semez la mauve, mais n'en mangez pas ; » c'est- à- dire soyez doux, bon et facile pour les autres, mais non pas pour vous. Ils plantaient aussi la mauve à côté de l'asphodèle sur les tombeaux de leurs amis, croyant ainsi rendre le calme à leurs maux. « Je me nourris de mauve et d'asphodèle, » dit une ombre apparaissant aux regards de celui qui l'avait évoquée.

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Pour Scott Cunningham, auteur de L'Encyclopédie des herbes magiques (1ère édition, 1985 ; adaptation de l'américain par Michel Echelberger, Éditions Sand, 1987), la Mauve (Malva sylvestris) a les caractéristiques suivantes :

Genre : Féminin

Planète : Lune

Élément : Eau

Pouvoirs : Retour d'affection ; Exorcisme ; Divination.


Les Égyptiens et les Grecs mangeaient comme légume les jeunes pousses tendres de la grande Mauve. Les Romains de la décadence buvaient une potion à base de suc de Mauve pour être moins malades après les orgies.


Utilisation rituelle : Les pythagoriciens voyaient en elle une plante sacrée ; ils lui attribuaient le pouvoir de libérer l'âme des contraintes de la densité. Les disciples de l'Institut de Crotone utilisaient la Mauve dans leurs jeûnes et leurs rites d'ablutions.

Charlemagne avait une passion pour cette plante. On connaît les fameuses relations de ce prince avec le calife de Bagdad, Haroun-al-Rachid. La première ambassade de l'empereur d'Occident date de 797. Ces relations furent à l'origine des établissements francs en Terre sainte. Charlemagne y fonda plusieurs monastères et des hôpitaux pour les pèlerins. Il faisait bénir par le pape Léon III les pieds de Mauve qu'il envoyait expressément pour être plantés dans les jardins de ces établissements.


Utilisation magique : Les sommités fleuries entrent dans les charmes de retour d'affection.

Un onguent destiné au même but est préparé de la façon suivante : on plonge trois Mauves entières - tiges, feuilles, sommités fleuries, racines, - dans une ratatouille de légumes mélangés. Le tout doit bouillir plusieurs heures jusqu'à réduction du liquide. On porte la marmite dehors et, pendant toute une nuit, il faut la laisser exposée sans couvercle au décroît de la lune. Le lendemain on passe le tout au tamis fin et on mélange intimement avec du sang de pie. On se frotte le corps avec cette purée et, si possible, on met à même la peau un vêtement qui a été porté par celle ou celui que l'on souhaite voir revenir (beaucoup de régions d'Angleterre).

Des fumigations de Mauve font partie des rituels d'exorcisme. La pulpe des racines broyées rougit par les acides et verdit par les alcalis ; en ajoutant un peu de terre de jardin, de l'eau du puits, de la poussière récoltée dans la maison, etc., les devins utilisent cette propriété pour prédire l'avenir en fonction de la coloration prise par la mixture.

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Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont S.A.S., 1995, 2019) proposé par Éloïse Mozzani, on apprend que :


Pline accordait un pouvoir aphrodisiaque à la semence de cette plante à fleurs roses ou violacées. D'où, peut-être, la croyance qu'offrir un bouquet de feuilles de mauve avec des fleurs de muguet à un homme et à une femme les poussera à s'aimer.

Les Anciens connaissaient déjà les vertus thérapeutiques de la mauve. Conseillée par Pythagore pour tenir « le ventre et l'esprit en liberté », la plante (que les pythagoriciens tenaient d'ailleurs pour sacrée) passait, au Moyen Âge, pour un remède à la plupart des maux. On disait alors que la tige de mauve portée autour du cou faisait disparaître les hémorroïdes à mesure qu'elle séchait. S'il s'agissait de soulager une migraine, on prescrivait d'en prendre une feuille au mois de mai, avant le lever du soleil, et d'en aspirer la rosée.

Selon une croyance du XVIe siècle, pour savoir si une femme était féconde, elle devait uriner sur de la mauve une fois par jour et ce, pendant trois jours. Si la plante mourait, elle ne pourrait avoir d'enfant.

Les fumigations de mauve servaient des rituels d'exorcisme. Les devins, eux, mélangeaient à de la terre, de l'eau du puits ou de la poussière, les racines de la plante dont la pulpe a la particularité de rougir ou de verdir au contact des acides et des alcalis, et formulaient des oracles en fonction de la coloration qu'ils obtenaient.

Pour les retours d'affection, on prépare, notamment en Angleterre, l'onguent suivant :


On plonge trois mauves entières - tiges, feuilles, sommités fleuries, racines - dans une ratatouille de légumes mélangés. Le tout doit bouillir plusieurs heures jusqu'à la réduction du liquide. On pote la marmite dehors et, pendant toute une nuit, il faut la laisser exposée sans couvercle au décroît de la lune. Le lendemain, on passe le tout au tamis fin et on mélange intimement ave du sang de pie. On se frotte le corps avec cette pureté et, si possible, on met à même la peau un vêtement qui a été porté par celle ou celui que l'on souhaite voir revenir.

Si on se frotte le corps avec du suc de mauve blanche mêlé à des blancs d'œufs, qu'on laisse le tout sécher avant de se frotter avec de l'alun, on ne craindra rien des flammes et on pourra « paraître tout en feu depuis les pieds jusqu'à la tête sans en être offensé ».


Pour finir, signalons que Charlemagne aimait tant la mauve qu'il demanda au pape Léon III de bénir les pieds plantés dans les monastères et hôpitaux installés en Terre sainte.

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Roger Tanguy-Derrien, auteur de Rudolph Steiner et Edward Bach sur les traces du savoir druidique... (L'Alpha L'Oméga Éditions, 1998) s'inspire du savoir ancestral pour "récapituler de la manière la plus musclée les informations sur les élixirs" :


Cet élixir permet d'accepter mieux les processus de transformation qui interviennent au cours de la vie : puberté, ménopause, la vieillesse et tout son lot d'inconvénients (perte de l'ouïe, perte de la concentration, de l'attention, de la confiance). Tout cela entraîne une certaine tension, un certain stress, un sentiment d'insécurité. La vieillesse est souvent accompagnée d'un phénomène d'introversion, de fermeture sur soi-même. La Mauve développe l'amitié, la chaleur dans les relations, l'ouverture vers les autres. Elle efface le sentiment d'être repoussé par autrui et abat toute barrière dans les relations interpersonnelles. On s'accepte tel qu'on est, on rejette les tendances à la timidité ou à la pudeur. Avec cet élixir, on ne peut plus être mal à l'aise socialement.

Tout cela est dû à la robustesse de la plante qui tout en paraissant fraîche supporte les rayons les plus chauds de l'été. C'est comme l'artiste qui garde toute sa maîtrise alors qu'il est sous les projecteurs à donner le meilleur de lui-même devant des milliers de spectateurs. Ceci est le reflet d'une personne qui malgré ses handicaps, ses préjugés, ses appréhensions, donne cependant une bonne apparence physique.

« Mauve, avez-vous du cœur ? » pourrait s'interroger le poète moderne. En observant cette malvacée, on reconnaît immédiatement les 5 pétales en forme de cœur rose-rouge tirant sur le mauve. Cette fleur brille mais ne s'enflamme pas. Elle n'émet pas spécialement du parfum. Elle est la fleur de l'anti-passion ; la fleur de l'amitié pure et durable. Les Pythagoriciens voyaient en elle une plante sacrée, libérant l'esprit de l'esclavage de la passion. Au XVIe siècle, en Italie, on la nommait omnimorbia « remède à toute maladie ».

Cette popularité, elle la doit en partie aux mucilages et aux anthocyanes qui entrent dans sa composition. Avec les mucilages, les passions de l'âme s'adoucissent car leurs principes sont d'éteindre toute inflammation, toute extension qui conduit inévitablement au durcissement. Cet anti-durcissement sert avantageusement la personne qui vieillit au niveau de sa cellule ou qui subit des agressions cellulaires. On conseillera spécialement cet élixir contre les affections de l'axe astrologique Gémeau-Vierge [ce n'est pas un acte] qui concerne les bronches et le colon ; ainsi que celui du Taureau-Scorpion concernant la bouche et les organes génitaux (les centres du plaisir en général). Ainsi cet élixir sera particulièrement efficace en cas de bronchite aiguë, de rhume, de grippe, de pharyngite, de colite, d'entérocolite, de constipation chronique, d'aphtes dans la bouche, de maux de dents, de glossite, de gingivite, de vaginite. Mais encore contre les piqûres d'insectes, les dermatoses, les vergetures, les furoncles, les abcès, les tumeurs.

Quand on parle du poumon ou de la peau (considérons la comme le troisième poumon), on est toujours obligé de faire le lien entre le poumon et le carbone. Le carbone est véhiculé dans les tissus grâce aux hydrates de carbone. Le processus des hydrates de carbone oscille de l'amidon au sucre et du sucre à l'amidon aussi bien dans les végétaux que dans le corps de l'homme. Dans cette famille des Malvacées, les mucilages produisent des celluloses transformées et de première qualité. Il suffit d'examiner les fibres du Cotonnier pour évaluer le travail des mucilages : ils ne sont ni cassants ni fragiles. Ceci montre que le processus mucilagineux joue un rôle important contre la lignosité des plantes ; mais encore contre toutes espèces de scléroses et de calcifications dans l'organisme humain. L'élixir de Mauve permet de donner à l'organisme une meilleure qualité d'hydrate de carbone facilitant ainsi le travail du pancréas, mais encore d'améliorer la vie cellulaire, la vie des tissus, voire même la vie du tissu social. Par là, elle empêche la dessication de l'organe cœur, mais encore la sécheresse du cœur mental, c'est-à-dire des sentiments.

La moëlle est la vie, et l'os est la mort (la partie la plus rigide du corps physique). La Mauve détient une double raison de triompher de la mort : grâce à ses mucilages mais grâce encore à sa vitamine P anthocyanique. Cette vitamine est capable de traverser la barrière osseuse afin de véhiculer les nutriments jusqu'au cœur même de la vie, c'est-à-dire la moëlle. Sa première propriété est donc de défier et de triompher des formes pétrifiées du squelette (considérons également le kyste dans cette catégorie). Sa deuxième propriété est de renforcer et de protéger les parois et l'endothélium du système vasculaire (artères, capillaires, veines). On comprend maintenant pourquoi l'élixir peut être considéré comme l'antidote du vieillissement. Pourquoi elle est la plante apte à guérir toutes les maladies comme disaient les Italiens du XVIe siècle. Par la présence de la vitamine P, elle détient un avantage supplémentaire sur l'élixir de Cotonnier qui donne aux personnes vieillissantes une bonne qualité de tissus. On ne le recommandera jamais assez au type neuro-arthritique.


Mots-clés : la mauve est Malva en latin. Avec l'élixir de Mauve le mal va et passe car il trouve devant lui une équipe (mucilage et vitamines P) solide et garante de nombreuses défectuosités.

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Nicolette Brout dans un article intitulé "La mauve ou l'asphodèle ou comment manger pour s'élever au-dessus de la condition humaine" paru In : Dialogues d'histoire ancienne, vol. 29, n°2, 2003. pp. 97-108 explique comment Hésiode considère la mauve :


Il est deux plantes, la mauve et l'asphodèle, qu'Hésiode tient en grande estime et dont il accuse les rois "dévoreurs de dons" et son frère de méconnaître la qualité [v. 40-41 des Travaux] :

[...]

Les interprètes d'Hésiode considèrent généralement que les plantes mentionnées désignent l'alimentation du pauvre qui sait se contenter de peu et mentionnent comme parallèle le v. 544 du Ploutos d'Aristophane où la mauve remplace le pain pour le miséreux. La référence à ces végétaux serait entièrement redondante avec le vers précédent, les deux vers prêchant la frugalité, ou plutôt le renoncement à la quête de la richesse par des voies déshonnêtes. Cette interprétation repose en grande partie sur la conception d'un Hésiode valorisant la vie modeste mais honnête du petit paysan. C'est là, pensons-nous, réduire considérablement la portée de son œuvre. Sans vouloir nier que la mauve et l'asphodèle étaient effectivement consommées par les pauvres, nous pensons que le choix de ces plantes par le poète d'Ascra ne peut être indépendant des valeurs symboliques qu'elles véhiculaient en tant qu'aliments en Grèce et ne peut être séparé du contexte du poème où l'alimentation est un critère essentiel de définition des catégories d'êtres.

Pour éclairer le sens de la référence à la mauve et à l'asphodèle de la part d'Hésiode, il convient donc d'adopter une double approche : 1) une analyse du contexte, sous-tendu par une thématique alimentaire, 2) un examen du rôle dévolu en Grèce à la mauve et l'asphodèle dans le cadre de pratiques religieuses, ou philosophico-religieuses où elles sont associées, en particulier leur consommation en tant qu'alima, c'est-à-dire de substitut de nourriture permettant de ne pas manger et leur offrande à Délos à Apollon Génétôr.

[...]

Telle est la règle pour les hommes. Le mythe des races qui définit, en complément au mythe de Pandore, la condition humaine, montre comment une plus grande proximité avec le divin permet d'y échapper. L'antique race d'or, antérieure à l'humanité actuelle et proche des dieux, qui, après la mort, devient des démons garants de la justice, ne travaille pas et consomme une nourriture produite spontanément par la terre (v. 109-126). De même les héros justes, non guerriers, jouissent après leur mort de trois récoltes par an portées par une terre fertile, loin des peines (v. 171-173). Eux aussi sont justes et forment une race divine, celle des demi-dieux (v. 158-160). Les êtres supérieurs aux hommes, plus proches des dieux, les démons et les héros des îles de bienheureux, ont donc une nourriture céréalière comme les hommes actuels mais qui ne demande pas de travail.

L'homme se trouve donc au carrefour entre une animalité sans justice et allélophage, et des êtres divins, justes, consommant des céréales spontanées. Lui-même, consommateur de céréales, peut soit tendre vers la bestialité en pratiquant l'injustice, en ne travaillant pas et en mangeant la production d'autrui, soit assumer sa condition et par là-même favoriser une remontée par le travail et la justice. Il en résulte un accroissement de la fertilité de la terre et un rapprochement avec les dieux, c'est-à-dire un retour partiel vers l'âge d'or (v. 225-237)9. C'est là la voie que prêche Hésiode au commun des mortels.

Suivant cette définition des êtres en fonction notamment de leur alimentation, quelle place occupent donc la mauve et l'asphodèle ? Ce sont des plantes sauvages dont la consommation évite la condamnation au travail à laquelle est soumise l'humanité. Tandis que Perses et les rois, pour échapper au travail, à la bonne éris, pratiquent la mauvaise éris et s'abaissent au rang d'animaux qui s'entre-dévorent, ceux qui savent l'évitent en mangeant des plantes spontanées, comme les céréales consommées par la race d'or, la mauve et l'asphodèle. Par là, ils échappent en partie à la condition humaine dont le mythe de Pandore, qui suit immédiatement l'apostrophe dans le texte, raconte l'avènement. Ces plantes seraient donc le signe du dépassement de la condition humaine par le haut, en direction du divin, par des hommes d'exception, comme Hésiode lui-même. Ce régime alimentaire est par conséquent l'exact opposé de celui pratiqué par Perses et les rois, vu qu'il s'écarte aussi de la norme imposée par Zeus mais en direction de la divinité et non en direction de l'animalité. Ce régime est le fait de ceux qui savent : Hésiode traite en effet ses interlocuteurs de sots qui ne savent pas la valeur de la mauve et de l'asphodèle. Lui-même se présente comme détenteur du savoir, qui dit des vérités (v. 10) avec compétence, en homme averti (v. 107), lui qui, initié par les Muses de l'Hélicon, a gagné un trépied lors d'un concours (v. 655-659). Dans le poème en particulier, les paroles qu'il adresse à Perses sont placées en parallèle avec le chant des Muses qui célèbrent Zeus (v. 1-2 et 10).

Cette analyse interne aux Travaux permet de voir dans la mauve et l'asphodèle la nourriture d'hommes privilégiés, qui savent et sont proches des dieux, notamment en raison de leur activité poétique. Cette alimentation leur permet de dépasser la condition humaine, condamnée au travail, et de devenir semblables aux hommes divins, qu'il s'agisse des hommes de la race d'or du temps de Cronos, ou des héros des îles des Bienheureux. Cependant, pour comprendre pourquoi Hésiode choisit parmi toutes les plantes sauvages comestibles ces deux plantes-là, il nous faut considérer d'autres sources, qui en retour étayeront les conclusions de l'analyse des Travaux.

La mauve et l'asphodèle apparaissent en particulier en relation avec le culte d'Apollon Génétôr à Délos. Elles sont également associées à des hommes "divins", Pythagore et Épiménide, les sources établissant d'ailleurs des ponts entre ces deux personnages et entre Pythagore et le culte délien.

À Délos, Apollon Génétôr reçoit des offrandes de gâteaux et de céréales sur son autel non sanglant qui se trouve derrière l'autel de cornes où, en revanche, on immolait des victimes animales. Dans le Banquet des sept sages 158A, Plutarque mentionne la mauve et la fleur d'asphodèle comme offrande dans le sanctuaire du dieu sans préciser qu'il s'agit de cet autel, mais il est vraisemblable que c'est là qu'elles étaient déposées. Selon cet auteur, ces plantes sont "des souvenirs et des spécimens de la nourriture primitive présentés en même temps que d'autres (aliments) simples et spontanés". Le terme qui est utilisé par Théophraste pour désigner des plantes sauvages, fait songer à l'adjectif employé par Hésiode pour qualifier la terre qui fournit d'elle-même à la race d'or des récoltes abondantes ; chez Théophraste, ces deux termes sont synonymes. Le statut de nourriture primitive fait également songer à l'âge d'or. [...}

Les traditions déliennes attestent donc conjointement un culte à Apollon Génétôr qui refuse le sacrifice sanglant et à qui la mauve et l'asphodèle sont offertes en tant que nourriture primitive et spontanée, et des figures mythiques qui assurent une abondance de nourriture sans travail, comme durant l'âge d'or, à savoir les Oinotropes. Ces figures divines sont d'ailleurs mises en relation par leur généalogie : Apollon est appelé Génétôr en tant que père d'Anios dont les Oinotropes sont les filles. C'est donc avec cet Apollon-là, différent de l'Apollon Délien qui reçoit des sacrifices sanglants sur l'autel de cornes, qu'elles sont en rapport. La mauve et l'asphodèle se trouvent par conséquent associées à des puissances de l'âge d'or qui assurent la production de nourriture sans la médiation du travail agricole. M. Détienne précise à juste titre le fait que c'est aussi le cas des céréales offertes à Apollon Génétor mais qu'à une époque où les céréales sont le fruit du labeur, ce sont la mauve et l'asphodèle, c'est-à-dire des plantes spontanées, qui sont les plus aptes à être investies de la valeur de nourriture de l'âge d'or. Ce statut en fait une nourriture antérieure à la définition de la condition humaine opérée par le conflit et le sacrifice prométhéens. Rappelons à ce propos qu'Apollon Génétôr a un autel non sanglant qui reçoit des apura, des offrandes non consacrées par le feu. Le culte qui lui est rendu ne se fait donc pas l'écho de la séparation des hommes et des dieux instaurée par Prométhée lors du premier sacrifice, impliquant à la fois la mise à mort d'un animal domestique et l'usage du feu qui brûle la part revenant aux dieux. Or Hésiode mentionne la mauve et l'asphodèle juste avant de rapporter le conflit entre Zeus et Prométhée et de raconter la création de Pandore qui en est la conséquence.

[...]

Les anciens ont insisté sur les honneurs rendus par Pythagore à l'autel d'Apollon Génétôr, en tant qu'autel pur, non souillé par des sacrifices sanglants. Or, Pythagore a accordé à la mauve un statut particulier. On lit en effet dans Élien le symbolon suivant : "ce qui est le plus sacré est la feuille de mauve"- La forme même du symbolon en atteste l'ancienneté comme l'a bien montré W. Burkert : en effet il reprend le schéma de la poésie archaïque. Cette sacralité de la mauve explique l'interdiction de la consommer signalée par Jamblique dans le Protreptique "Transplante la mauve mais ne la mange pas" et dans la Vie de Pythagore "De même, il leur ordonnait de s'abstenir de la mauve". Jamblique explique dans ces mêmes ouvrages cet interdit en disant que "ces plantes tournent avec le soleil" et que "la mauve est le premier messager et le premier indice de la sympathie entre ce qu'il y a dans les cieux et ce qui se trouve sur terre". Il propose donc une interprétation allégorique de l'interdit qui contiendrait sous forme énigmatique un savoir inaccessible au non initié. Comme W. Burkert l'a écrit, il s'agit là d'un processus secondaire visant à légitimer des propos qui sinon apparaîtraient insensés. Les interdits exprimés dans les symbola sont, selon ce savant qui reprend Alexandre Polyhistor et Jamblique, des interdits rituels semblables à ceux observés dans les cultes à mystère ; il s'agirait donc de tabous religieux très anciens. Nous pouvons donc supposer que le statut particulier assigné à la mauve par les pythagoriciens avait une origine plus ancienne.

La valeur religieuse de la mauve associée à l'asphodèle est attestée également par la tradition, en partie pythagoricienne, relative aux alima et adipsa, qui permettent de ne pas manger ni boire. Plutarque dans le Banquet des sept sages consacre un passage à cette drogue (157D-158A) ; il précise en effet qu'il ne s'agit pas d'une nourriture mais d'une drogue (157F). Elle comprend entre autres ingrédients la mauve et l'asphodèle (157E). La discussion à ce propos est introduite par le comportement alimentaire d'Épiménide qui peut rester toute une journée sans manger en portant une petite quantité de son anti-faim à sa bouche (157D).

Il est intéressant de relever qu'il existe une autre tradition relative à l'alimentation d'Épiménide selon laquelle il aurait été nourri par les nymphes et gardait cette nourriture, qu'il absorbait en petite quantité, dans un sabot de bœuf. Cette nourriture n'en était pas vraiment une puisqu'il n'a jamais été vu en train de manger et qu'il ne rejette pas d'excrément. Les alimoa où entrent la mauve et l'asphodèle alternent donc dans la tradition avec une super nourriture divine, dont ils constituent un équivalent. Ce statut de nourriture divine peut d'autant plus légitimement être attribué aux alima que, suivant la tradition pythagoricienne, Héraclès en a appris la recette de Déméter quand il se dirigeait vers le désert de Libye. Pythagore lui-même recourait à ces préparations où entrent parmi d'autres ingrédients les fleurs d'asphodèle et les feuilles de mauve quand il devait passer un certain temps dans un sanctuaire.

[...]

La mauve et l'asphodèle s'avèrent donc des aliments riches de diverses valeurs symboliques. Elles figurent comme nourriture primitive de l'âge d'or à Délos ; la mauve est l'objet d'un tabou rituel chez les Pythagoriciens et les deux plantes apparaissent comme ingrédients des alima qui permettent de s'élever au-dessus de la condition humaine. Il convient peut-être de suivre les anciens en reconnaissant qu'Hésiode les a nommées en raison de ces particularités religieuses, et plus précisément en tant que nourriture qui permet de se rapprocher des dieux.


Note : Les alima sont généralement mis en relation avec le "chamanisme grec", et le lien avec Hésiode établi par les anciens ne se voit réservé aucune attention, par exemple E.R. Dodds, Les Grecs et l'irrationnel, trad, de l'anglais par M. Gibson, Paris, 1965 (éd. originale, 1959), p. 146 et G. Casertano, "Che cosa ha veramente detto Epiménide", p. 369-370 dans Epiménide Cretese, Naples, 2001, p. 357- 390. W. Burkert, op. cit, reconnaît plutôt pour Épiménide un rituel initiatique crétois, p. 150-151 et pour Pythagore un rituel mystérique, p. 159 mais n'exclut pas l'influence du chamanisme nordique. Nous n'avons pas considéré ce volet de la question, préférant examiner les emplois attestés en Grèce pour la mauve et l'asphodèle en dehors de la question de leur origine.

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Mythologies :


D'après Angelo de Gubernatis, auteur de La Mythologie des plantes ou les légendes du règne végétal, tome 2 (C. Reinwald Libraire-Éditeur, Paris, 1882),


MAUVE. — L. G. Gyraldi comprend la mauve au nombre des plantes symboliques de Pythagore ; les Grecs et les Latins ont également observé sa tendance à suivre la direction du soleil : « Molochen, écrit Gyraldi, cum sole circumagi cum Graeci tradunt, tum suo carmine Modestus Columella cecinit :


Et moloche prono sequitur quae vertice solem.


Pline, en citant Xénocrate, attribue une puissance aphrodisiaque à la semence de la mauve. Macer Floridus, De Viribus Herbarum, ajoute :


Dixerunt Malvam veteres quod molliat alvum

. . . . . . . . . . . . . . . venerem sumtilare refertur

Haec eadem, femori si lino adnexa geratur.

In lana nigra tectam si gesserit illam

Femina, mammarum dicunt occurrere morbis ;

Scripsit abortivam Thebana Olympias illam,

Si resolutus adeps miscebitur anseris illi

Et sic subdabitur, veluti pessaria vuivae.


Le Libellus De secretis mulierum, attribué à Albert le Grand, va plus loin, et recommande la mauve comme un moyen sûr pour juger si une jeune fille est encore vierge : « Fac eam mingere super quandam herbam quae vulgo dicitur malva de mane ; si sit sicca, tunc est corrupta. » (Cf. Lis, Laitue).

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Contes et légendes :


Charles Thuriet, auteur de Traditions populaires du Doubs (Librairie historique des Provinces, Emile Lechevalier, 1891) rapporte la légende locale suivante :


LA MAUVE MIRACULEUSE (Canton de Besançon)


La sœur de l'illustre évêque saint Grégoire de Tours voyait depuis quatre mois son mari gravement malade, et lentement miné par une fièvre qui résistait à toute les ressources de l'art . Elle entreprit un pèlerinage au tombeau des saints Ferréol et Fer jeux , pour demander par leur intercession le rétablissement d'une santé qui lui était si chère. En s'agenouillant dans la grotte sacrée, la douleur lui causa une sorte de défaillance ; elle se prosterna , les yeux baignés de larmes, sur le pavé du sanctuaire. Ses mains en tombant s'attachèrent à une touffe de mauve fleurie, qui avait été déposée sur le sépulcre des saints apôtres. Dans le trouble dont elle était saisie, elle crut d'abord que c'était un lambeau détaché de son voile, ferma la main , se releva et sortit de la grotte. Quand elle eut reconnu son erreur, elle ne put s'empêcher de regarder cette touffe de mauve comme un remède que la Providence lui indiquait dans l'intérêt du malade. Elle revint auprès de lui avec une joie pleine d'une douce confiance, lui raconta ce qui s'était passé, et lui offrit un breuvage composé avec l'herbe miraculeuse. La foi de son mari égalait la sienne : il en fut récompensé aussitôt en recouvrant le bienfait de la santé.


(Saint Grégoire de Tours raconte lui-même ce fait miraculeux.)

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Littérature :


Yves Paccalet, dans son magnifique "Journal de nature" intitulé L'Odeur du soleil dans l'herbe (Éditions Robert Laffont S. A., 1992) évoque une mauve bien particulière :

20 juillet

(Fontaine-la-Verte)


La fleur de la mauve musquée est un égipan rose qui joue dans la lumière. Ses cinq sépales de soie verte soutiennent cinq pétales teintés comme des aurores homériques L'axe fertile ressemble à celui de l'hibiscus de Chine, avec un manchon d'étamines argentées et un bouquet de styles dégoulinants de bave amoureuse.

Surgeon de fleur tropicale dans la glèbe normande - mauve musquée.

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