Étymologie :
BERMUDIEN, IENNE, adj. et subst.
Étymol. et Hist. 1792 adj. mar. bâtiment bermudien « sloop des Bermudes » (Beaumarchais, Epoques, 28 dans IGLF Litt. : quatre petits bâtiments bermudiens que j'[...] avais fait acheter [...] ont été tous pris) ; 1831 subst. (Will.). Empr. à l'anglo-amér. bermudian d'abord attesté au même sens (1777, J. Adams dans DAE), dér. du nom des îles Bermudes.
Lire également la définition du nom et adjectif bermudienne afin d'amorcer la réflexion symbolique.
Autres noms : Sisyrinchium ; Bermudienne ; Sisyrinque ;
Sisyrinchium montanum ; Bermudienne des montagnes ; Herbe aux yeux bleus ;
Note : le nom latin de cette plante, Sisyrinchium, provient du grec « sys » qui désigne le cochon et « rhynchos », le nez, le groin en l'occurrence. En effet, dans les pays où la bermudienne est spontanée, les cochons sauvages raffolent de ses racines et fouissent activement le sol à la recherche de cette gourmandise pour eux.
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Botanique :
Christelle Robinet, autrice de "Un ver à l’assaut des pinèdes." (Pour la Science. Dossier, Belin, 2009, p. 46) signale l'arrivée de la bermudienne en France :
En France métropolitaine, des formations herbacées réellement naturelles ne se développent que dans des conditions de climat ou de sol bien particulières, par exemple dans des étages alpins ou sur des sols tourbeux. La plupart des prairies de l’Hexagone sont donc des formations secondaires : créées par l’homme pour l’alimentation d’herbivores domestiques, elles remplacent la végétation d’origine.
Des prairies peu touchées : Ces milieux prairiaux secondaires sont exploités, et en même temps stabilisés, par la fauche ou le pâturage. Toutes les espèces ne résistent pas à ces perturbations sévères. En particulier, très peu d’espèces végétales exotiques ont colonisé les prairies fauchées. Celles qui ont tout de même réussi à s’y implanter, comme la bermudienne ou « herbe aux yeux bleus » (Sisyrinchium montanum), venue d’Amérique du Nord et signalée dans le Nord de la France, ne s’étendent pas ; pour l’instant, elles ne sont donc pas invasives.
Selon Stéphanie Jacquemot, autrice d'un article intitulé « Regard archéologique sur les villages martyrs de la Grande Guerre en Lorraine », (In : Archéopages, 40 | 2015, pp. 140-147) :
L’héritage bioculturel du village détruit de Fey-en-Haye : Depuis longtemps, la prospection archéologique s’intéresse à la valeur indicatrice de la végétation pour détecter les vestiges. Les anomalies du tapis végétal trahissent la nature et la composition des sols anthropisés. Les sites en forêt de guerre illustrent particulièrement bien cette relation étroite entre la communauté végétale et l’occupation humaine. Ce sont des milieux privilégiés pour les études paléobotaniques qui visent à reconstituer l’histoire écologique des forêts (Steinbach, Husson, 2004). Malgré les destructions massives qui ont bouleversé le sol en profondeur, les études botaniques menées ces dernières années ont permis d’identifier la présence de plantes rudérales (colonisatrices des ruines) ou obsidionales (introduites par l’occupation militaire). C’est le cas étonnant de « l’herbe aux yeux bleus », ce Sisyrinchium originaire de l’archipel des Bermudes qui aurait été propagé par les armées à l’occasion du fourrage fourni aux chevaux (Vernier, 2014).
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Usages traditionnels :
Selon Ellen Wynne Larsen et Betty Ida Roots, autrices de Petite flore pour les longues fins de semaine dans l'est du Canada et le nord-est des États-Unis. (NRC Research Press, 2005) :
Les Amérindiens employaient plusieurs espèces de bermudiennes comme laxatif. En 1633, on écrivait que les cormes d'une espèce européenne apparentée étaient consommée pour provoquer « désir et lubricité »
Dalila Abdessemed, dans son Etude phytochimique de gladiolus segetum. (2014, Thèse de doctorat ; Université de Batna 1), rapporte des vertus médicinales de la Bermudienne :
Sisyrinchium angustifolium est utilisé en Amérique du nord pour le traitement de la constipation et l’ulcère gastrique en infusion dans l’eau des racines et des feuilles.
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Symbolisme :
Par sa caractéristique obsidionale, la Bermudienne semble liée à la conquête militaire, et plus particulièrement à l'arrivée des troupes américaines lors de la Grande Guerre. C'est donc une plante martienne....
Ainsi, dans un article intitulé "Ces plantes de la guerre que l’on nomme obsidionales" (In : Études touloises, 2015, n°151, pp. 7-19) François Vernier nous raconte de manière très précise les circonstances historiques de l'implantation de la Bermudienne en France :
L’adjectif obsidional signifie « qui concerne le siège militaire ». Les botanistes utilisent ce terme, par extension, pour les végétaux qui ont été propagés lors des conflits armés ou des occupations militaires.
[...]
Bermudienne, Herbe aux yeux bleus (Sisyrinchium montanum Greene)
Cette petite plante de la famille de l’iris, à fleurs bleues au cœur jaune, tient son nom des Bermudes, premier lieu où elle a été observée par un disciple de Carl von LINNE. Elle ne figure pas dans la Flore de Lorraine de GODRON ni dans la Flore analytique de Lorraine de GODFRIN et PETITMENGIN.
C’est une bien jolie fleur mais les circonstances de son arrivée dans notre région n’ont pas été des plus joyeuses. Le 31 janvier 1917, l’Allemagne déclare une guerre sous-marine à outrance. Trois navires de commerce américains sont envoyés par le fond. Le Président WILSON, réélu en novembre 1916, demande, le 2 avril 1917, de déclarer la guerre à l’Allemagne. Le 6 avril, le Congrès vote « la reconnaissance de l’état de guerre entre les États-Unis et l’Allemagne ». L’armée américaine n’est, à ce moment, composée que de 250 000 militaires professionnels.
Le 13 juin 1917, le général John PERSHING commandant en chef du Corps expéditionnaire, débarque à Boulogne-sur-Mer accompagné de 177 soldats. Il a pour mission de mettre sur pied une armée américaine indépendante et de terminer l’instruction militaire commencée sur le continent américain. En tout, 59 divisions américaines sont engagées pour cette guerre, soit un total de plus de quatre millions d’hommes. La plupart des soldats U.S. qui arrivent sur le sol français sont des civils volontaires pour participer à la défense de la patrie de Lafayette.
Le complément d’instruction se fera essentiellement dans le sud du département de la Meuse et dans le département des Vosges avec l’aide de l’armée française. « The Big Red One » s’installe dans le secteur de Gondrecourt-le-Château au sud-est de la Meuse le 10 juillet 1917. D’autres divisions investissent ensuite d’autres secteurs meusiens ou vosgiens. Pershing installe son état-major à Chaumont. Dès octobre 1917, la 26e Division d’Infanterie U.S. organise son quartier général à Neufchâteau.
D’autres communes servent de bases à l’armée américaine : en Haute-Marne Bourmont, en Meurthe-et-Moselle, Baccarat, Brouville, en Meuse, Vaucouleurs, dans les Vosges, Arches, Bains-lès-Bains, Ban-de-Laveline, Bazoilles-sur-Meuse, Brouvelieures, Bruyères, Bussang, Celles-sur-Plaine, Chamagne, Châtel-sur-Moselle, Châtenois, Contrexéville, Cornimont, Éloyes, Épinal, Fraize, Gérardmer, Gironcourt, Grandvillers, Granges-sur-Vologne, La Bresse, La Salle, Lamarche, Le Ménil, Raon-l’Étape, Remiremont, Saint-Dié, Saint-Jean-d’Ormont, Ventron, Vittel.
Dans le département des Vosges, la Bermudienne n’est connue que dans la région de Saint-Dié où les botanistes vosgiens l’ont observée encore récemment dans la forêt communale sur les terrains dolomitiques, sur quelques bermes de chemins forestiers, ce qui n’est pas étonnant, car cette espèce aime les terrains neutres à basiques et la lumière.
Á Baccarat, lieu de passage de la 42e Division d’Infanterie U.S., au lieu-dit Les Bingottes se trouve l’herbe aux yeux bleus. Les troupes installées à Baccarat vont étendre leur action jusqu’à Herbéviller, où se trouve une très belle station de cette espèce américaine, dans la forêt du Haut-Bois. Les troupes américaines relèvent les lignes de front dans le Lunévillois le 21 octobre 1917. Le 3 novembre 1917 tombent, sur la hauteur nommée « Artois », aujourd’hui Haut des Ruelles, les trois premiers Sammies : le Caporal James Bethel Gresham, 24 ans et les Soldats Merle David Hay, 21 ans et Thomas Francis Enright, 20 ans, du 16e régiment d’Infanterie US. Un monument que l’on peut voir au cimetière de Bathelémont-lès-Bauzemont leur a été dédié.
Dans ce secteur, nous avons aujourd’hui trois localités d’herbe aux yeux bleus, Athienville, Bathelémont-lès-Bauzemont, Valhey.
Les troupes américaines s’installent à l’avant du saillant de Saint-Mihiel qui forme une avancée des troupes allemandes sur le front formé depuis 1914. Á Boucq où elles préparent l’attaque, une station de Bermudienne est indiquée par PARENT ( 1990 ). Les plans de la réduction du saillant de Saint-Mihiel ont été fixés le 2 septembre 1918 et il a été décidé que l’opération se mettrait en place vers le 10 septembre sur les flancs sud et ouest du saillant. L’attaque s’étendrait du fleuve Meuse à l’est jusqu’à la forêt d’Argonne incluse à l’ouest. Cette dernière opération serait portée par la Première Armée Américaine vers les 20-25 septembre. Á 1 heure du matin, le 12 septembre 1918, la Première Armée Américaine commence l’offensive de Saint-Mihiel. Le 12 septembre, le 2e Corps d’Armée colonial, placé sous le commandement du général Ernest Joseph Blondlat, envoie ses chars et ses hommes à l’assaut du saillant qui coupe le ravitaillement de Verdun. Ce sont 34 000 coloniaux qui s’élancent accompagnés de 216 000 Américains, le tout appuyé par 1 444 avions, 3 100 canons et 267 chars légers.
Á midi le 13 septembre, l’objectif de cette opération est pratiquement réalisé. La stabilisation du front a commencé et s’étend de la rivière Moselle au Nord de Pont-à-Mousson en passant par Thiaucourt, Vigneulles-lès-Hattonchâtel jusqu’aux Eparges.
Sur le plan botanique, on trouve encore aujourd’hui pas moins de huit localités d’herbe aux yeux bleus aux alentours de Saint-Mihiel. Les territoires concernés sont ceux de Buxières-sous-les-Côtes, Chaillon, Dompierre-aux-Bois, Lamorville, Saint Maurice-sous-les-Côtes et Vigneulles-lès-Hattonchâtel, Martincourt et Fresnes-au-Mont.
Ayant fait reculer la ligne Hindenburg et délivré Saint-Mihiel, une autre bataille commence en forêt d’Argonne. La Première Armée américaine toujours sous le commandement de Pershing appuyée cette fois par la 4ème Armée française sous le commandement du Général Henri Gouraud va contribuer au nettoyage de ce territoire d’Argonne. Ce sont 500 000 Américains, 100 000 Français, 2 780 pièces d’artillerie, 380 chars et 840 avions qui s’emploient en Argonne pour le reconquérir. Le 26 septembre, les combats s’engagent. Cette fois-ci, la tâche est plus difficile que la précédente. Elle est conduite en trois étapes. La première permet, après de rudes combats, de libérer Montfaucon d’Argonne. Le 3 octobre, les combats sont stoppés, Français et Américains sont fatigués, ayant été copieusement bombardés et manquant de ravitaillement. Seulement deux lignes de défense allemandes sur trois sont tombées dans le secteur français.
Après une réorganisation des forces, Pershing supervise la Première armée américaine commandée par le général Hunter Liggett et la Deuxième sous les ordres de Robert Lee Bullard. Les hostilités recommencent le 14 octobre par la bataille de Vouziers-Grand-pré.
Sur ce territoire, neuf localités de bermudienne sont connues : Beaulieu-en-Argonne, Boureuilles, Lachalade, Les Islettes, Laneuville-sur-Meuse, Montblainville, Montfaucon d’Argonne, Neuvilly-en-Argonne, Varennes-en-Argonne.
Á l’arrière de ce front, zones de préparation de l’attaque, aux alentours de Verdun, la bermudienne se trouve dans les localités suivantes : Dieue, Dugny-sur-Meuse, Moulainville, Récourt-le-Creux et Rupt-en-Woëvre. En bordure du département des Ardennes, une très belle station orne les bermes de la route forestière qui traverse du nord au sud de la forêt domaniale de la Croix-aux-Bois et également sur la commune de Boult-aux-Bois.
Toutes ces localités se trouvent en forêt, généralement sur le bord de chemins ou de routes empruntées par les troupes américaines.
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