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Ogmios, le dieu de l'éloquence

Photo du rédacteur: AnneAnne

Dernière mise à jour : il y a 2 jours



Étymologie :


Étymol. et Hist. 1. 1130-40 (Wace, Conception ND, éd. W. R. Ashford, 43) ; 2. mil. xviie s, p. ext. « expressivité », ([Pascal], Discours sur les passions de l'amour, éd. L. Lafuma, Seuil, 1963, p. 288). Empr. au lat. class. eloquentia « facilité d'expression, art de la parole ».


Lire également la définition du nom éloquence afin d'amorcer la réflexion symbolique.




Attestation grecque :


Voici le texte de Lucien de Samosate, Discours, Hercule, 1-7, (traduction de : Ch.-J. Guyonvarc'h, dans Magie, Médecine et Divination chez les Celtes, 1997, Paris, Payot) qui nous offre une description assez précise de l'Ogmios gaulois tardif :


Dans leur langue nationale les Celtes appellent Hercule Ogmios et le représentent sous une forme singulière. C'est un vieillard très avancé, dont le devant de la tête est chauve; les cheveux qui lui restent sont tout à fait blancs : la peau est rugueuse, brûlée jusqu'à être tannée comme celle des vieux marins, on pourrait le prendre pour un Charon ou Japhet des demeures souterraines du Tartare, pour tout enfin plutôt qu'Hercule. Mais tel qu'il est, il a l'aspect d'Hercule : il porte suspendue la peau de lion et il tient dans sa main droite la massue ; le carquois est fixé à ses épaules, la main gauche présente un arc tendu : ce sont tous les détails d'Hercule. Je croyais que c'était par haine des dieux helléniques qu'on avait pensé à un pareil outrage aux formes du dieu, qu'on voulait se venger, par la représentation figurée, de son invasion dans ce pays et de ses rapines, alors qu'en quête des troupeaux de Geryon, il visitait en vainqueur la plupart des pays occidentaux.

Et je n'ai cependant pas révélé ce qu'il y a de plus étrange dans cette représentation : cet Hercule vieillard attire un grand nombre d'hommes attachés par les oreilles et ayant pour liens des chaînettes d'or et d'ambre qui ressemblent à de très beaux colliers.

En dépit de leurs faibles liens, ils n'essaient pas de fuir, bien que cela leur soit facile ; loin de résister, de se raidir et de se renverser en arrière, ils suivent tous, gais et contents, leur conducteur, le couvrant de louanges, cherchant tous à l'atteindre et, en voulant le devancer, desserrent la corde comme s'ils étaient étonnés de se voir délivrés. Ce qui me parut le plus singulier, je vais vous le dire immédiatement. Le peintre, qui ne savait où placer le début des chaînes - car la main droite tient déjà la massue et la gauche l'arc, a perforé le bout de la langue et la fait attirer les hommes qui suivent ; le dieu se retourne vers eux en souriant.

À cette vue je restai longtemps debout, regardant étonné, embarrassé et irrité. Un Gaulois qui se tenait près de moi et n'était pas ignorant de notre littérature, comme c'était visible à la justesse des termes grecs dont il usait, très versé, je pense, dans les sciences nationales, me dit : " Je vais vous donner le mot de l'énigme, car je vois que cette figure vous jette dans un grand trouble. Nous autres, Celtes, nous représentons l'éloquence, non comme vous, Hellènes, par Hermès ! mais par Hercule car Hercule est beaucoup plus fort. Si on lui a donné l'apparence d'un vieillard, n'en soyez pas surpris car seule l'éloquence arrive dans sa vieillesse à maturité, si toute fois les poètes disent vrai : " L'esprit des jeunes gens est flottant mais la vieillesse s'exprime plus sagement que la

jeunesse. "

" C'est pour cela que le miel coule de la bouche de Nestor et que les orateurs troyens font entendre une voix fleurie de lis car il y a des fleurs du nom de lis si j'ai bonne mémoire.

" Ne vous étonnez pas de voir l'éloquence représentée sous forme humaine par un Hercule âgé, conduire de sa langue les hommes enchaînés par les oreilles ; ce n'est pas pour insulter le dieu qu'elle est percée. Je me rappelle d'ailleurs que j'ai appris chez vous certains iambes comiques :

" Les bavards ont tous le bout de la langue percé. "

" Enfin, c'est par son éloquence achevée, pensons-nous, qu'Hercule a accompli tous ses exploits et par la persuasion qu'il est venu à bout de tous les obstacles. Les discours sont pour lui des traits acérés qui portent droit au but et blessent les âmes : vous-mêmes dites que les paroles sont ailées. "

C'est là tout ce que dit le Celte.

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Symbolisme :


Dans Le Dictionnaire de mythologie celtique (Éditions Imago, 1985) Jean-Paul Persigout propose la notice suivante :


OGMIOS. Gaule. Équivalent du Dagda irlandais ; l'équivalence qu'on lui prête avec Héraklès fait apparaître chez lui une personnalité plus complète, complexe et étendue.

De sa langue, il conduit une humanité enchaînée par les oreilles ; les enchaînés le suivent avec enthousiasme ; il est l'éloquence, l'inventeur de l' alphabet oghamique, le père de la Parole, du Verbe, et c'est cet aspect essentiel qui le fait transcender son « aspect Héraklès ».

Il porte une peau de lion, un arc, un carquois, une massue et représente la puissance de la parole pour entraîner les hommes dans leurs nombreuses activités ; sa peau rugueuse est burinée comme celle des gens de mer. Vieillard à la peau « parcheminée », le devant de sa tête est rasé - conformément à la tonsure druidique - et les cheveux qui lui restent sont longs et blanchis.

On peut penser qu' il est celui que les Gaulois nomment Teutates, le Père de la Tribu ; père du peuple celte, il a parcouru l'Europe et, après avoir terrassé les Monstres, il parcourt de ses pas de géant toute la Celtie, fonde Alésia ; la fille du roi lui donne un fils : Celtos.

Il est un dieu de justice, et c' est lui qui montre le chemin au peuple.

 

Paul Marie Duval, auteur d'un article intitulé "Cultes gaulois et gallo-romains. 3. Dieux d'époque gallo-romaine."( In : Travaux sur la Gaule (1946-1986) Rome : École Française de Rome, 1989. pp. 259-273. (Publications de l'École française de Rome, 116) fait notamment d'Ogmios le dieu de l'éloquence :


Ogmios : Dieu gaulois et sans doute plus largement celtique, connu par un texte du philosophe Lucien de Samosate qui écrivait au IIIe siècle et voyageait en Occident, en Italie et probablement sur les côtes de la Gaule, séjournant peut-être à Marseille. Il relate dans son écrit intitulé Propos : Héraclès une conversation qu'il eut avec un Celte (il emploie ce mot et non celui de Galate qu'il réserve aux Celtes de Galatie en Asie Mineure : la scène se passe donc bien en Occident et non, comme on l'a dit parfois, en Galatie). Celui-ci lui explique une peinture mythologique représentant un vieillard à la peau tannée, équipé comme Héraclès (dépouille du lion, massue, arc et carquois). Mais il « attire une foule considérable d'hommes, tous attachés par les oreilles à l'aide de chaînettes d'or et d'ambre » passant à l'autre bout dans la langue percée du héros qui entraîne ce cortège : cet Ogmios est le symbole, dit le Gaulois, de l'éloquence éprouvée, devenue sûre de ses moyens. Cet Hercule gaulois, ce charmeur, que les auteurs de la Renaissance française ressusciteront avec enthousiasme dans leurs écrits, est donc un symbole, presque une allégorie.

Ogmios est un nom gaulois à l'origine, qui est cité sur deux tablettes de conjuration (à Bregenz, Autriche) et dont les Irlandais on fait Ogma, « le (dieu) fort, le champion », et l'inventeur de l'écriture oghahhhue : même alliance de force athlétique et de culture.

Il n'y a pas lieu de reconnaître ce dieu sur les monnaies armoricaines où figure la tête d'un homme imberbe autour de laquelle sont attachées ensemble (et non à sa langue) de petites « têtes coupées ». En revanche, on peut évoquer des légendes parallèles, signalées par des auteurs grecs : d'après Eunapios, Porphyre possédait une chaîne « comme celle d'Hermès » pour lier ses auditeurs par voie de magie ; Lucien lui-même, dans son Damis, dit que ce dernier entraînait contre les dieux des hommes attachés par les oreilles. Le lien magique aboutissant aux oreilles d'individus charmés existe donc ailleurs que dans le récit concernant Héraclès, mais c'est là qu'il est décrit le plus complètement.

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Laurence Doucet Picano dans sa thèse intitulée Ecritures secrètes, écritures magiques : imaginaire de la cryptographie dans la matière de Bretagne des XIIème et XIIIème siècles. (Littératures. Université Grenoble Alpes, 2017) précise le lien entre Ogmios et la parole :


L’histoire commune des runes et des ogams montre que leur impact est renforcé par la parole (Zumthor, 1987, p. 113). Gilbert Durand analyse cette relation en rappelant les origines des runes. Odhin, le dieu borgne qui maîtrise l’écriture, est aussi appelé le « dieu du bien dire ». Il y a une importance primordiale à savoir dire les formules (souvent sacrées) ou appeler correctement les choses (d’où l’importance du nom, de savoir nommer). Ogme, dieu de l’éloquence, de la guerre et de la magie (qui lie par l’écriture) est celui à qui, traditionnellement, on doit l’invention des ogams. Ogmios, théonyme gaulois dont on retrouve le nom dans le panthéon irlandais sous la forme ogme/ogma, a été représenté par Lucien de Samosate. Il le fait figurer34 en vieux guerrier ridé, vêtu d’une peau de lion entraînant à sa suite des gens reliés entre eux par des chaines attachés par leurs oreilles. Les chaînes relient les oreilles des dévots à la langue du dieu et les Gaulois entendent symboliser ainsi l'éloquence (Le Roux, 1960, p. 209-210).

[...]

Ogmios ou Ogme n’est pas que le dieu de l’éloquence ; c’est aussi celui qui est présenté par les Irlandais comme l’inventeur de l’écriture : les ogams. L’écriture ogamique est la propriété du dieu de la magie, de la guerre et son pouvoir est indissociable de la qualité du support (les bois sacrés comme le coudrier par exemple) et de celui qui la manie ; mais c’est aussi une langue qui est « tournée vers l’efficacité de la parole, soit parlée soit vivante, soit écrite soit figée dans le bois » (Guyonvarc’h, 1997, p. 202).

Pour autant, cette écriture particulière n’est pas utilisée dans un contexte de transmission et d’enseignement général et cela d’ailleurs est sujet de discussion sur l’emploi ou non d’une écriture propre aux celtes. César fait référence à leur position face à l’écriture (De Bello Gallico, VI, 13 cité dans Le Roux, 1995, p. 15).

[...]

On retrouve alors la place essentielle du dieu lieur dans les différentes mythologies : ces liens et procédés magiques souvent associés à la mort et à un aspect néfaste, peuvent, dans certains cas, être annexés par des puissances bénéfiques (Durand, 2008, p. 118). On connaît la grande figure du liage dans la mythologie indo-européenne : Varuna, divinité terrible et sombre qui manipule les liens et les nœuds pour pratiquer la magie. Odin, dieu magicien et guerrier, vainc ses ennemis avec des sortilèges qu’il lance grâce à ses liens magiques. (Hily, 2007, p. 311-312). Cela ouvre la voie du rapprochement avec la figure du dieu Ogmios dépeinte par Lucien de Samosate (Le Roux, 1960, p. 209-210). Ogmios est un dieu complexe ; son équivalent irlandais Ogme est en relation directe avec l’écriture magique ogamique qui permet, entre autre de lier. Il est aussi connu pour être le créateur de cette écriture magique (Benoit, 1952, p. 108) tout en ayant une force exceptionnelle qui lui permet d’accomplir des exploits extraordinaires. Françoise le Roux relie Ogme à un mot grec qui signifie « ligne, rangée, sillon, chemin ». Cette forme d’écriture secrète a donc le pouvoir d’agir sur les personnes et on en trouve des exemples dans les textes mythologiques irlandais où ogam et magie sont en symbiose (Guyonvarc’h, 1980 et 1994).

[...]

Merlin écrit sur des supports en rapport avec sa nature d’homme de la forêt : sur des piliers, de la pierre et du bois. Les figures effrayantes de l’homme sauvage ne sont pas sans rappeler l’Ogmios celtique, dieu aux lieux et fondateur des ogams. La compréhension de ces traces et de ces supports prend de multiples chemins à l’image de Merlin protée.

[...]

Le thème de la disparition des lettres montre alors un nouveau regard sur l’écriture si on les compare aux messages classiques : elle n’est plus permanente, elle peut disparaître comme la parole. Cette temporalité de l’écriture se comprend mieux quand on se rapproche des écrits ogamiques. Une fois que l’avertissement a eu lieu, les écrits peuvent s’effacer. L’écrit dans la culture druidique n’a pas pour fonction de garder en mémoire un message mais plutôt d’avoir un pouvoir magique en relais d’objet ou de parole. On constate qu’il y a eu christianisation des charmes antérieurs à l’avènement de ce que les clercs du Moyen-Âge appellent la « vraie foi ».

Les écrits de Merlin sur les pierres évoquent les défixiones (1) ou malédictions : on a retrouvé sur des tablettes de plomb des inscriptions : « ce qu’on [y] demande à Ogmios, c’est en somme de gêner considérablement quelqu’un dans son existence, ou, mieux, Ogmios est requis de l’intégrer au nombre des sujets qui le suivent, enchaînés par les oreilles, ad patres » (Leroux, 1960, p. 214). La défixion est le contraire de l’amulette (2) (Lecouteux, 1996, p. 53).


Note : 1)  Tablette de plomb découverte à Bregenz en 1965. La disposition et la mise en forme de l’écriture magique se révèlent en effet importantes. M. Lejeune a analysé une inscription gauloise trouvée sur une tablette de plomb dans le Larzac : l’étude menée montre qu’il « s’agit d’une forme de défixion émanant de personnes en conflit et deux d’entre elles semblent avoir joui d’une réputation de sorcières ». Il apparaît également des notions religieuses propres au monde celtique. Le support lui-même et la manière de graver les caractères dans le plomb peuvent évoquer la représentation symbolique d’une autre action « consistant à mutiler avec une pointe la langue de l’ennemi » (Lejeune, 1985, p. 163-164). La tablette serait une forme de contre-magie, destinée à stopper l’agissement d’un certain nombre de femmes, en ensorcelant ses victimes.

2)  Les romains l’utilisaient entre autre pour protéger les tombeaux de toute profanation.

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Marie-Noëlle Anderson, autrice de L'Oracle des Bardes * 36 mythes et légendes de nos ancêtres (Éditions Contre-dires, 2019) explore les mythes celtes pour nous aider à "reconnaître le scénario dans lequel nous évoluons" et tenter de le dépasser :


Le Héros terrestre - Peuplier


Dis était le père des hommes et des dieux. Un jour qu'il se sentait un peu seul, il élabora le plan suivant : Il allait choisir une belle mortelle qui lui donnerait un fils. Le destin de ce garçon n'aurait rien de banal : il aurait à affronter un certain nombre d'épreuves hors du commun. S'il en sortait vainqueur, il recevrait l'immortalité en récompense. Ayant ainsi la possibilité d'accéder au rang de dieu, il deviendrait le protecteur des dieux et des hommes. La relève serait assurée !

Ainsi fut fait, Dis n'eut aucun problème à trouver la créature de rêve qui allait devenir la ère du futur Héros. Neuf mois après que Dis se fut uni à elle, un magnifique bébé, vit le jour. Ses parents le nommèrent « Ogmios », le Héros terrestre.

Sa première action extraordinaire fut de parler dès qu'il émergea du ventre de sa mère. Peu après, il inventa l'écriture. Par la suite, il accomplit douze travaux que nul autre n'aurait pu mener à bien.

Depuis lors, les hommes, et même les dieux, li vouent un grand respect et font appel à lui dès qu'ils sont confrontés à une situation critique.


Personnalité : Le Héros terrestre ne recule devant aucun effort Il pourrait même avoir tendance à rechercher l'exploit comme un moyen de se flageller et d'accéder ainsi au paradis !

Vécu de façon positive, l'archétype du Héros terrestre pousse sans cesse au dépassement de soi. Il ne prend pas ses propres limites au sérieux, ce qui lui vaut parois de passer pour un être utopique ou exalté.

Consciemment ou non, il connaît l'étincelle divine qui vit en lui. Par tout ce qu'il entreprend dans la vie, c'est elle qu'il cherche à nourrir, à embellir et à faire grandir. pas pour son propre profit, cela s'entend, mais pour le bien-être de la collectivité.

Au négatif, le Héros terrestre se contentera de valeurs bien matérielles et peu innovatrices d'une part et, de l'autre, ne s'intéressera qu'à sa petite personne. Il fera tout pour être vu des autres, même les pires excentricités gratuites et provocatrices !

Il finira par renier autant son père divin que sa mère mortelle et par se retrouver isolé de tous.


Défi : La voie spirituelle du Héros terrestre n'est pas dans la contemplation, mais bien dans l'action. Il s'agit donc de ne pas rechigner devant l'effort !

D'autre part, il est important que la motivation de ses actions vienne d'un élan du cœur, et non d'un calcul intéressé. Comme tout mortel, le Héros terrestre connaît les passons, les tristesses et les angoisses de la vie. Son père céleste lui enjoint, cependant, de faire abstraction de tous ses états émotionnels personnels lorsqu'il œuvre pour la collectivité. Il aura le grand bonheur de s'apercevoir qu'en travaillant pour les dieux et les hommes, ses problèmes personnels disparaîtront petit à petit, sans qu'il ait dû s'en occuper !

En tant que porte-parole du verbe divin, le Héros terrestre a une grande responsabilité. Il doit veiller à être un bon canal pour recevoir et faire passer le message des dieux. Une certaine dose d'abnégation et de rigueur va être nécessaire, ainsi que des règles éthiques strictes.


Structure : Le dieu Dis s'unit à une mortelle (inconscient). Le résultat de cette idylle est la naissance d'Ogmios (conscient) qui invente le verbe (attribut divin, manifestation de l'énergie de vie). En accompagnant les douze travaux héroïques en faveur des dieux et des hommes, il acquiert l'immortalité et passe ainsi au niveau du Soi.

Pour qu'il y ait création, le Soi doit l'ni à l'inconscient. Le conscient qui en est issu a le choix entre deux dynamiques : soit il récupère son origine divine à son propre profit et reste alors un conscient égotique, voué à l'échec, soit il met cette origine divine au service des dieux et des hommes. Il est alors en accord avec sa mission de vie.

D'après Alice Bailey qui a consacré tout un ouvrage aux travaux d'Hercule - l'alter ego de notre Héros terrestre -, la constellation appelée « Hercule » représente l'aspirant dont le regard peut se porter soit sur la Couronne, soit sur l'Aigle -les deux constellations voisines. S'il se tourne vers la Couronne, on peut l'entendre dire : « Je traverse une période difficile ; mon entourage est contre moi, mes conditions familiales sont mauvaises, mais, un jour, j'aurai la couronne. » Tandis que, tourné vers l'Aigle, il regarde le sacré et découvre ce merveilleux symbole de lumière qui émerge et qui rend toute victoire possible. On retrouve la même notion que dans le mythe du Héros terrestre et son défi : le choix entre la gloire personnelle et la fonction de porte-parole des dieux auprès des humains.


Voir aussi : Peuplier.

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Dans L'Oracle de la sagesse gauloise (Éditions Le Courrier du Livre, 2021) Caroline Duban et Lawrence Rasson propose une carte spécialement dédiée à Ogmios :


Ogmios

Le dieu « conducteur » ?


L'étymologie du nom est encore incertaine, bien que des tablettes de defixio, des céramiques et autres documents comportent des mentions associées à Ogmios. IL est tout à fait possible que son nom soit un dérivé de -ogmos, « chemin », « sentier » ou « sillon », si l'on met en relation le grec ôgmos. Le dieu serait donc un « conducteur » vers le royaume des morts.

Ici, on se basera surtout sur les écrits du rhéteur grec Lucien de Samosate (IIe siècle après J.-C.). Celui-ci voyagea dans les Gaules et eut l'occasion d'échanger avec un Gaulois, dont on ignore l'identité et le peuple d'appartenance. On sait, toutefois, que ce dernier parlait fort bien le grec et était instruit de la littérature méditerranéenne. peut-être s'agissait-il d'un druide... Qui qu'il en soit, l'informateur de Lucien tint à s'approcher de lui, visiblement attiré par l'insistance que l'auteur avait à fixer une représentation peinte d'Ogmios ; une fresque peut-être. La ressemblance avec Hercule, le héros demi-dieu grec, semblait évidente pour notre voyageur ; mais, plongé dans un état d'« admiration mêlée d'embarras et de colère », il lui était énigmatique qu'Ogmios ait la langue percée par des chaînes d'or et d'ambre, rattachées à des captifs par l'une de leurs oreilles. La scène apparut grotesque à Lucien qui ne comprenait pas pourquoi des humains accrochés comme des marionnettes semblaient paisibles, ni comment « l'Hercule gaulois » arborait les traits d'un vieillard, des cheveux blancs clairsemés et une peau brunie et ridée par le soleil, alors qu'il portait fièrement la peau de lion, la massue et l'arc, tous trois attributs d'hercule. il crut voir là une parodie du dieu grec. C'est alors que le druide (nous l'appellerons ainsi à défaut d'autres informations à son sujet), le lui décrivit en ces mots :

« Étranger, (...) je vais vous expliquer l'énigme de cette image qui semble si fort vous troubler. Nous autres Gaulois, nous ne pensons pas comme vous Grecs, que Mercure soit le dieu de l'éloquence. Nous l'attribuons à Hercule, qui l'emporte sur Mercure par la supériorité de ses forces. Si nous le représentons sous la forme d'un vieillard, n'en soyez pas surpris. Ce n'est que dans un âge avancé que le talent de la parole se montre avec le plus d'éclat et de maturité, si toutefois vos poètes disent vrai :


La jeunesse, en sa fougue, est toujours incertaine.

Le vieillard est plus froid, plus sage en ses discours.

(...)

Ne soyez pas surpris non plus de ce qu'Hercule, emblème de l'éloquence, conduit ave sa langue des hommes enchaînés par les oreilles. Vous savez la parenté qui existe entre les oreilles et la langue. Ce n'est pas pour insulter au dieu qu'on les lui a percées.

(...)

Enfin nous croyons que c'est par la force de son éloquence qu'Hercule a accompli ses exploits. c'était un sage qui faisait violence par la puissance de sa parole. Les traits que vous lui voyez sont ses discours, qui pénètrent, volent droit au but, et blessent les âmes. Ne dites-vous pas vous-mêmes des paroles ailées ? » [Préface ou Hercule, II? LIV]


C'est donc un Ogmios jeune qui est représenté sur la carte que vous venez de tirer, un dieu de l'éloquence acerbe et à la langue trempée dans le vitriol.

Cette divinité est considérée comme l'équivalent irlandais d'Ogma, inventeur de l'écriture oghamique, autre pouvoir qui, s'il est mal utilisé, peut aussi bien faire de gros dommages collatéraux qu'une mêlée armée. La parole est aussi symbolisée par les prières émises par les dévots, entendues par le dieu qui les lie grâce à la magie incantatoire. On parle alors de « dieu lieur », dont les chaînes matérialiseraient l'envoûtement. Il est un parallèle à Odin, le dieu scandinave, lui-même associé à la magie de la vie et de la mort, et à celle de l'écriture. Odin n'est-il pas également appelé Galdrafôor, le « Père des Incantations » ? Il est le seul à créer les galdrar - incantations magiques qui sont chantées - à partir des runes. Certes, Ogmios fait partie d'un panthéon gaulois, ce qui implique que les peuples qui le vénéraient n'avaient pas leur propre alphabet. Néanmoins, les lettres latines, grecques et étrusques leur permirent de graver des textes mémorables, y compris des plaques de malédictions à destination des divinités. Les deux plaques mises au jour à Bregenz (dans le Vorarlberg, mitoyen de l'Autriche) participent à ces témoignages. On a utilisé l'alphabet latin pour notamment demander à Ogmios et aux dieux complices de déverser leur colère contre un mortel dont seules les initiales sont connues : AMC.

Sur l'autre plomb aujourd'hui disparu, mais dont le texte a été retranscrit, il est question d'un règlement de compte au sujet d'un procès entre deux parties. On demande à Ogmios, avec l'aide d'un autre démon non identifié, de refroidir par la mort tous les adversaires qui se mettraient en travers du requérant.

C'est un dieu magique qui personnifie et souligne les qualités violentes de la souveraineté, et concourt aux passages de la vie à trépas.


Interprétation : Ogmios vous met en garde contre des paroles et des pensées toxiques, soit celles que vous matérialisez, soit celles auxquelles on vous expose. De mauvaises langues n'hésitent pas à écorner votre réputation ou vos compétences pour mieux briller, et s'attirer les bonnes grâces de vos supérieurs, de vos proches, ou de la personne chère à vos yeux. Une langue de vipère crache en ce moment son venin par jalousie et/ou colère, souhaitant agir à distance et vous atteindre par des moyens détournés. Désormais, vous êtes prévenu, vous devez bien avoir un ou plusieurs nom(s) en tête qui vous emblent évidents en y songeant. N'avez-vous pas déjà eu de semblables accrocs avec ces gens-là, ou votre instinct concernant ces derniers ne vous a-t-il pas déjà alerté sur de potentielles rumeurs ? Pensez-y, vous avez sans doute la réponse, même si vous avez du mal à y croire. Le masque porté ne dissimule pas les vibrations. Comme les animaux parviennent à ressentir nos émotions malgré un stoïcisme relatif devant eux, la peur, la colère ou la tristesse transpirent de nos pores et de nos formes-pensées. Ce sont ces émanations qui vous ont fait vous méfier de celui ou celle à qui vous pensez. Sans être paranoïaque, il faut bien admettre que vous dérangez la tranquillité malsaine de ce jaloux. Que faire alors ? Dan ce cas précis, il vous sera donné l'occasion de vous justifier et de montrer que vous n'avez rien à voir avec ce pour quoi on essaie de vous faire passer : un homme ou une femme facile, un(e) idiot(e), de petite constitution, incapable de suivre les rythme, une personne instable... Votre détracteur choisira un ou plusieurs thèmes sur lesquels il insistera. Attention ! Ne tombez pas dans le piège de vouloir user des mêmes armes que l'adversité, car il se peut que ce soit justement ce qu'il espère. Préférez mettre en avant votre rigueur au travail, la sincérité de vos sentiments, restez naturel, constant, droit et mettez de cœur à l'ouvrage s'il s'agit de travail. On reconnaîtra très vite les faux-semblants et les grimaces auxquels on ne prêtera bientôt plus attention.

Selon votre question, on vous demande d'être attentif aux propos que vous tenez, aux pensées que vous générez, car elles pourraient bien faire du tort à quelqu'un, ou envenimer une situation. Si vous évoluez dans le milieu public, menez votre discours de façon pondérée, car s'il y a une façon de le délivrer, il y a autant d'interprétations qu'il y a d'oreilles qui vous écoutent. On pourrait le déformer et en faire un autre usage qui vous desservirait, à moins que cela ne soit préjudiciable pour une tierce personne qui restera inconnue à vos yeux. Nous sommes tous et toutes responsables de nos actes, mais aussi des mots que nous prononçons. Ils sont l'antichambre de l'action et doivent être préalablement pesés au lieu de fuir par votre bouche.

Dans un autre contexte, si vous êtes directement visé, ne vous laissez surtout pas bercer par de jolis compliments vides de sens, des propositions alléchantes qui n'ont pas de fondement et ne sont que des paroles en l'air. Demandez des preuves, des confirmations par rapport à cette collaboration, ce contrat, ce service ou quoi que ce soit d'autre. On pourra parfois vous donner quelques pièces justificatives, et dans ce cas il faudra bien lire les petites lignes ! Pas question de signer n'importe quoi sans avoir bien assimilé tous les points, tous les commentaires en marge et les notes de bas de page. Vous vous êtes peut-être déjà fait avoir comme cela, alors ne foncez pas tête baissée, même si cela vous semble très attirant. En outre, on vous respectera d'autant plus si l'on constate que vous avez la tête sur les épaules et restez lucide en toute circonstance. Difficile de vous désarçonner dans ces conditions, mais cela n'implique pas qu'on n'essaiera pas. N'ayez pas peur de passer pour quelqu'un d'insistant à poser toutes ces questions, à vous assurer d'avoir bien compris en reformulant les réponses qui vous sont données. C'est aussi la mission de votre interlocuteur et vous êtes dans votre droit.

Pour résumer l'idée de cette carte : il existe un risque de passer, non pas dans le royaume des morts à proprement parler, mais plutôt symboliquement d'une situation à une autre, et cette dernière n'est pas la plus agréable. Ce n'est pas irréversible, mais il vaut toujours mieux prévenir que guérir. Restez vigilant concernant votre comportement et vos paroles, mais aussi par rapport à vos liens avec l'entourage familial, amical ou professionnel. La plume est souvent plus forte que l'épée, c'est pourquoi il faut savoir doser l'usage de l'un et de l'autre.

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Lien symbolique avec l'Arcane du Pendu :


Aurélie Valtat, autrice de Arbres sacrés du monde : Science, légendes et usages autour de 25 essences. Une merveilleuse exploration anthropologique pour se relier à la sagesse des arbres. (Editions Eyrolles, 2024) évoque l'arcane XII en lien avec la posture du pendu :


Un dernier exemple [de la symbolique des arbres qui peuple notre quotidien] : le cochon pendu est un jeu auquel s'adonnaient nombre d'enfants autrefois pour montrer leur agilité. Être pendu à l'arbre est un rite initiatique, un passage vers une nouvelle étape de vie : le dieu Odin se pend neuf jours et neuf nuits à l'arbre cosmique Yggdrasil pour acquérir des connaissances mystiques, et il « découvre » à cette occasion les runes ; Jésus se sacrifie en étant (sus)pendu à la croix ; et dans le tarot de Marseille, la douzième lame représente un Pendu retenu par une branche d'arbre. Dans tous les cas, il s'agit d'un sacrifice volontaire qui permet de renverser notre perspective sur le monde, d'atteindre une forme d'éveil. Une petite mort qui rappelle fort l'expérience chamanique et qui a un rapport étroit avec les arbres.

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Odin : le pendu du frêne

Odin est l'une des principales divinités du panthéon scandinave, en plus d'être le dieu du savoir, de la guerre et de la mort. L'histoire qui l'associe à l'arbre cosmique Yggdrasil va nous éclairer sur les rapports symboliques et sacrés qu'entretiennent les humains et les arbres dans les civilisations animistes, dont la plupart pratiquaient le chamanisme. L'histoire d'Odin est celle d'un sacrifice pour obtenir la sagesse et la connaissance des choses cachées (c'est-à-dire la magie). En sacrifiant son premier œil dans la source Mimir, il acquiert la sagesse. Il perd son deuxième œil en le transperçant avec sa lance, puis se pend tête à l'envers 9 jours et 9 nuits à Yggdrasil. Odin a des visions et il revient de cette expérience avec l'alphabet runique et des connaissances magiques. Lorsqu'il entre en transe, il peut se transformer en un animal et faire voyager son âme hors de son corps.

Cette description est celle d'un chaman, qui a des pouvoirs insoupçonnés des humains et qui communique avec le monde des esprits. Cette interprétation est renforcée par la présence du 9, le nombre chamanique. L'autosacrifice fait penser aux rites initiatiques que subissent les initiés chamans et qui les forcent à affronter symboliquement leur mort. Un processus similaire est à l'œuvre lors de la prise de certaines drogues telles que l'ayahuasca ou le soma.

 



Contes et légendes :


Jean Mabire, auteur des Légendes de la mythologie nordique. (Ancre de Marine Editions, 1999) donne sa propre version de la découverte des runes par Odin - dont on peut supposer qu'une version similaire a pu exister dans l'ère celtique :


Dieu de la guerre, Odin reste aussi — et surtout — un dieu de la magie.

Il va inventer l’écriture, imaginant les caractères sacrés qui permettent de fixer la pensée, de la réaliser, de la transmettre.

Mais tous ne doivent pas comprendre les signes inventés par le dieu borgne et que ses fidèles vont graver, en traits anguleux, sur l’os, la pierre ou le bois. Aussi ces lettres portent-elles le nom de « rune », c’est-à-dire de Secret.

L’écriture doit rester mystère. Les étrangers, les infidèles et les impies n’ont pas le droit de connaître le message du dieu aux corbeaux. Ils ignorent au prix de quelle souffrance le père des dieux a créé ces caractères, qui vont désormais permettre aux croyants de se reconnaître et de s’accorder.

Pour inventer les runes, Odin a résolu de se sacrifier. Il s’est suspendu dans l’arbre sacré, l’if Ygdrasil, dont les racines plongent dans les trois mondes de Niflheim, de Jotunheim et de Asaheim.

L’arbre se dresse sur un rocher, exposé à tous les vents. Et sur l’arbre, comme crucifié non pas pour le salut de tous les hommes, mais pour la garde de ses seuls fidèles — souffre le dieu Odin. Il s’est percé le flanc de sa propre lance. S’offrant en sacrifice au Père-de-Tout.


Je me suis offert à Odin,

Moi-même à moi-même.


Il n’y a pas d’autre dieu que lui, pour recevoir et comprendre ce sacrifice. Et de même chaque homme n’a, pour le connaître et le justifier, pas d’autre homme que lui-même. Le dieu est seul comme l’homme est seul. Mais sa grandeur vient de sa solitude. Que serait le sacrifice s’il était offert à un autre dieu ? Que serait la fidélité si elle était donnée à un autre homme ? Chacun ne doit répondre que devant lui-même.

Et le coup de lance d’Odin est d’autant plus cruel et plus juste que c’est à Odin qu’il est offert.

Neuf nuits entières, le dieu borgne, qui a déjà offert un œil à la fontaine de Mimir — va rester suspendu à l’if Ygdrasil. Neuf nuits de tourment. Car rien n’est donné sans la sueur et sans le sang, sans le courage et sans la fatigue, sans la volonté et sans le mépris. Neuf nuits sur cet arbre solitaire. Neuf nuits, comme il faut neuf mois pour faire un homme.

Odin est seul. Nul ne lui donne un morceau de pain. Nul ne lui apporte une corne à boire. La faim et la soif le torturent. Et sa blessure lui ronge le flanc, comme un animal sauvage dévorant sa chair avec ses crocs. Mais il veut dépasser cette douleur. De toute sa force, il s’applique à créer les runes. Il les découvre et il les retient dans une indicible souffrance.

Dans les hautes branches de l’if Ygdrasil, le vent souffle en tempête et les racines gémissent sous la morsure des serpents. Odin, pendu sur le tronc qu’il a teint de son sang, tremble, du tremblement même de l’arbre sacré. Ses corbeaux, Hugin et Munin croassent au-dessus de sa tête et ses loups, Freki et Geri hurlent à ses pieds. Toute la nature gronde dans le grand bruissement des feuilles et l’immense gémissement du vent. Le monde entier souffre avec le dieu blessé. L’énigme s’affirme douleur. Le mystère s’exalte dans le tragique. Au bout de neuf nuits, les ténèbres vont-elles se dissiper ? Tout l’esprit d’Odin se concentre sur les runes. De leur secret jaillira sa lumière.

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Mythologie :


Françoise Bader, autrice de "Les Sirènes et la poésie." (Collection de l'Institut des Sciences et Techniques de l'Antiquité, 1994, vol. 515, no 1, pp. 17-42) établit un lien entre Ulysse, Odin et Ogmios :


 [...] "liens" par lesquels Ulysse se fait "lier" pour résister par un "contre-liage" au "ligotage" des Sirènes. A tous ces "liens", le poète ajoute deux maillons de la "chaîne" de savoir qui lui ont été transmis, car ils ont tous deux des correspondants en Occident : un mythe de pendaison pour l'initiation au savoir, qui rapproche Ulysse et Odinn ; un mythe de torpeur née de la poésie, qui oppose Ulysse aux prisonniers d'Ogmios.

[...]

Et le mythe odysséen des Sirènes unit deux thèmes qui ont fait l'objet de réflexions de la part des poètes de langues indo-européennes ; dans le déroulement de l'acte poétique et de sa communication, les [...] en somme, l'un prend place au début de l'une des activités poétiques les plus intenses, l'initiation du poète, l'autre, en fin de communication, traite de la possibilité de torpeur que peut produire le langage poétique sur celui qui l'écoute : s'étant constitué prisonnier volontaire en se faisant lier par un supplice initiatique qui est celui d'Odinn. Ulysse a refusé les apparentes délices de la torpeur qui sont celles des prisonniers d'Ogmios. Dieu gaulois de la poésie, à nom tiré, comme celui de l'écriture ogam, d'une racine propre à la transmissibilité du langage, h2eg-, cf. lat. aiô, axarre, etc. (*h20g-s- + *mio- pour le dieu, *-mo- pour l'écriture), Ogmios est un dieu lieur, non dans son nom au contraire des Sirènes, mais par une magie verbale comparable à la leur, aussi bien par les deux tablettes de defixiônés trouvées à Bregenz (Lévêque, 1959, 41), qui sont les seules sources directes qui nous le font connaître, que par la description figurée que dépeint Lucien dans son Héraklès : par une contre-partie du mythe des Sirènes, le dieu y tire, par une chaîne qui rattache leurs oreilles à sa langue, des prisonniers, ravis d'avoir cédé à sa magie verbale, et qui ne cherchent pas à se délier, alors qu'ils le pourraient facilement, parce qu'ils ont succombé à la torpeur du langage. Ulysse, lui, a appris que l'effort opposé au langage engourdissant, si douloureux soit-il, est le fait de qui sait résister, en sachant que la résistance est le prix de la liberté l

 

Valéry Raydon, auteur de Le mythe de la Crau. Archéologie d'une pensée religieuse celtique, volume 1 (Éditions Terre de Promesse, 2013) établit un lien étroit entre Ogmios et Oghma, l'inventeur irlandais de l'ogam :


L'honnêteté du témoignage de Lucien est définitivement démontrée par le fait que les éléments composant son portrait d'Ogmios coïncident précisément avec les caractéristiques prêtées à Oghma, l'homologue homonyme de ce même dieu dans le panthéon goïdélique. Dans les quelques bribes christianisées des anciennes croyances païennes concernant Oghma qui nous ont été enregistrées dans la littérature médiévale irlandaise, ce dernier est considéré comme une des principales divinités célestes irlandaises Tuatha Dé Danann, et sa personnalité est définie par un certain nombre de traits particuliers :


  • il est un maître de la parole sacrée, qu'elle soit exprimée oralement - il est reconnu « savant en éloquence et en poésie » ou par écrit puisqu'on lui attribue l'invention des "ogham", un système d'écriture alphabétique à vocation magique qui porte son nom, apparu en Celtique insulaire au Bas-Empire et inspiré de l'alphabet latin, et qui selon toute vraisemblance était une forme modernisée de l'ancienne technique divinatoire et incantatoire par les "bois de sort" attestée déjà chez les Gaulois de l'Antiquité (Pline l'Ancien, HN, XXV, 105) ;

  • il est un dieu-lieur capable d'enchaîner à lui les individus ;

  • il est le violent champion (trénfer) du roi des Tuatha Dé Danann disposant d'une force guerrière sans équivalence qui en fait le champion des champions ;

  • il est le gardien potentiel de la pierre de Fâl, un des quatre talismans de souveraineté irlandaise qui désignait par un cri tout nouveau ard di Erenn « haut roi d'Irlande ».


Cette personnalité qui mêle la compétence druidique et celle guerrière au plus haut grade, et qui le crédite d'un rôle de garant et de protecteur du pouvoir royal [...] constitue en réalité un ensemble organique des plus cohérents : une telle codification fonctionnelle répond en effet au modèle du dieu incarnant la souveraineté magico-guerrière de la théologie indo-européenne que Georges Dumézil  a jadis brillamment mis en évidence à partir de l'exemple du dieu védique Varuna, roi primordial de l'Univers, incarnant le ciel nocturne. [...] L'exploitation du même prototype divin a été identifié dans les panthéons de plusieurs sociétés indo-européennes : on peut le voir à l'œuvre pour la religion germanique dans la personnalité du dieu Wodan/Odhinn qui est défini comme le dieu magicien maître du savoir poétique et créateur des runes et le patron des guerriers ; [...].

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