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La Jusquiame



Étymologie :


  • JUSQUIAME, subst. fém.

Étymol. et Hist. xiiie s. (Simples medicines, ms. Ste-Geneviève, f°36b ds Gdf. Compl.). Empr. au b. lat. jusquiamos, jusquiamus, du lat. hyoscyamos, hyoscyamum, gr. υ ̔ ο σ κ υ ́ α μ ο ς de même sens, littéralement « fève de porc », v. aussi André Bot.


Lire aussi la définition du nom pour amorcer la réflexion symbolique sur cette plante.


Autres noms : Hyoscyamus nigra - Hanebane - Herbe au mal de dents - Herbe au somme - Herbe au sommeil - Herbe de Sainte Apolline - Herbe ès chevaux - Herbe sainte Apolline -

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Botanique :


Selon Elena Ciobanu, Cătălina Croitoru, Gheorghe Ostrofeţ, Ala David et al. auteurs d'un cours magistral intitulé Fondements de l'hygiène alimentaire (Chișinău • 2018) :


Jusquiame noire est une plante herbacée bisannuelle. En médecine, sont utilisées seulement les feuilles de jusquiame noire, à partir desquelles sont obtenus des remèdes à action spasmolytique et analgésique. Les premières manifestations d’une intoxication sont les suivantes : maux de tête, battements de cœur (fréquents), respiration difficile, excitation, mouvements soudains parfois nerveux, alarmants, sécheresse de la bouche, enrouement. Tous ces signes apparaissent environ une heure après avoir consommé les différentes parties de cette plante.

 

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Propriétés médicinales :


Selon Alfred Chabert, auteur de Plantes médicinales et plantes comestibles de Savoie (1897, Réédition Curandera, 1986) :


La Belladonne, la Jusquiame, la Stramoine et la Digitale à grandes fleurs, digitalis grandifloris, ont parfois aussi administrées pour provoquer le sommeil, mais c'est presque toujours ans un but criminel.

 

D'après Marc Questin, auteur de La Médecine druidique (1990, nouvelle édition identique à la première 1997),


"La jusquiame noire (Hyoscyamus niger) est de la famille des solanacées. C'était la hannebane gauloise, mais la plante a encore bien d'autres noms populaires.

Les propriétés de la jusquiame furent connues il y a bien longtemps. en Assyrie-Babylonie, on l'employait comme hallucinatoire, tandis que les Hindous s'en servaient comme anesthésiant, ainsi que le précise le livre de Susruta. Les druides l'utilisaient pour troubler la raison des patients et pour plonger les sorciers qui recouraient aux incantations dans une espèce d'état second. C’était pour eux une plante maudite, mais aussi l'accessoire indispensable aux rites magiques : en période de sécheresse, par exemple, il suffisait qu'une vierge entre dans l'eau et se fasse asperger d'une décoction de jusquiame par ses compagnes pour que tombe la pluie...

De nos jours, on utilise les feuilles, les racines et les semences de la plante sous forme de poudre de feuilles, d'extrait et de teinture. On l'associe à la valériane dans les pilules de Meglin et elle entre dans la composition du baume tranquille et de l'onguent populeum. C'est un narcotique analogue à la belladone et d'une toxicité semblable. On l'utilise plus particulièrement comme antispasmodique et comme hypnotique dans les affections nerveuses.

En usage externe, les feuilles cuites et broyées enveloppées dans une feuille de chou sont parfois utilisées en cataplasmes dans les douleurs aiguës de la goutte ou des rhumatismes.

Belenountiam serait le nom gaulois de cette plante que les latins appelaient Apollinaris. Comme le note le Scouëzec, ce n'est sans doute pas une coïncidence si la plante porte en latin le nom du dieu solaire Apollon et en gaulois celui de Belenos, son équivalent.

La jusquiame est un parasympatholytique d'action notamment bronchique qui agit par ses trois alcaloïdes : l'atropine, l'hyosciamine et la scopolamine. Cette plante, hallucinogène et hypnotique, qui faisait partie au Moyen Âge de l'arsenal des sorciers, n'était pas ignorée des Bretons, qui la tenaient pour l'herbe du sommeil, louzaouenn ar c'housked. dans l'Antiquité celtique, c'était la plante du soleil.

Un autre nom de la jusquiame est louzaouenn santez Apollina, l'herbe de sainte Apolline.

Au Moyen Âge, cette plante entrait souvent dans la composition des potions des sorcières et d'autres préparations toxiques provoquant des hallucinations visuelles et la sensation de voler. Elle a depuis longtemps une importance médicale comme sédatif et somnifère.

L'alcaloïde principal de la jusquiame est l'hyoscyamine, mais on y trouve aussi, en assez grande quantité, la scopolamine dont les propriétés hallucinogènes sont plus intenses.


Les druidesses de l'île de Sena (Sein), renommées pour leur science considérable (elles guérissaient les maux incurables, pouvaient apaiser ou soulever les tempêtes, savaient prendre l'apparence des animaux et deviner l'avenir) se livraient à la recherche de la belinuncia (jusquiame) afin d'obtenir la pluie. L'une de ces vierges s'en allait, nue, chercher la plante, l’arrachait avec le petit doigt de la main droite et l'attachait à ses chevilles par un cordon. Rejointe par ses compagnes, elle était alors conduite à la rivière d'où l'on devait l'asperger copieusement à l'aide de rameaux : on la ramenait ensuite au village "à reculons"."

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Croyances populaires :


Dans Le Folk-Lore de la France, tome troisième, la Faune et la Flore (E. Guilmoto Éditeur, 1906) Paul Sébillot recense nombre de légendes populaires :


Dans les Vosges pour attirer !e gibier, il faut mélanger du jus de jusquiame avec de la graisse et du sang provenant d'un animal de l'espèce qu'on veut tuer, partager cette sorte d'onguent en autant de parties que l'on veut, et enfouir chacune d'elles peu profondément à diverses places une heure après on voit accourir le gibier que l'on a désiré. Pour les oiseaux, on fait bouillir une poignée de graine de jusquiame, et, après l'avoir séchée au soleil, on la jette dans une terre franchement remuée tout aussitôt toutes sortes d'oiseaux viennent s'abattre sur ce champ.

[...] En Haute-Bretagne, la graine de jusquiame, connue sous le nom d'herbe de sainte Apolline, fait passer le mal de dents.

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Historique des empoisonnements dus à la stramoine :


Nicolas Simon, dans une thèse intitulée Le poison dans l’histoire : crimes et empoisonnements par les végétaux et soutenue à la faculté de pharmacie de Nancy, (Sciences pharmaceutiques. 2003. ffhal-01732872f) nous rappelle les cas d'empoisonnement les plus fameux dus à cette plante :


La jusquiame noire est une mauvaise herbe qui croît sur les décombres et dans les lieux analogues riches en azote. Souvent, nous la trouvons dans nos jardins où elle s'établit surtout sur les tas de compost. Les anciens appelaient ses fleurs « l'œil du diable ».

Elle est moins toxique que la stramoine ou la belladone, et l'empoisonnement par la jusquiame se traduit plutôt par un assoupissement accompagné d'hallucinations parfois terrifiantes.

De tout temps d'ailleurs, on a tenté de faire un usage abusif de la jusquiame comme drogue hallucinogène. Prêtres et devins se plongeaient dans des états extatiques avec l'aide de la jusquiame. Selon des croyances populaires médiévales, les sorcières s'enduisaient le corps d'huiles et de pommades végétales (c'est l'une des " herbes maudites " de la sorcellerie européenne) avant de s'élever dans les airs.

Certaines personnes, après avoir avalé une potion à base de jusquiame, croyaient sentir leur tête se détacher de leurs épaules et leur corps se mettait à flotter comme s'il se trouvait en apesanteur. La plante déclenchait des visions colorées ou des points lumineux se succédaient à une cadence de plus en plus rapide pour terminer en une pluie d'étincelles et de paillettes d'or; c'était un phénomène que l'on appelait autrefois la berlue-danae.

L'exemple suivant illustre bien les symptômes ressentis lors d'une intoxication à la jusquiame :


« Plusieurs religieux firent collation avec des racines de chicorée sauvage, auxquelles on avait mêlé par mégarde deux racines de jusquiame. Quelques heures après s'être couchés, ils éprouvèrent un malaise général, des douleurs d'entrailles, des vertiges, une ardeur brûlante dans la bouche et le gosier. A minuit, heure de matines, l'un des moines était tout à fait fou et si mal qu'on lui donna le viatique. Parmi les autres qui étaient allés au chœur, les uns ne pouvaient ni lire ni ouvrir les yeux; d'autres mêlaient à leurs prières des paroles désordonnées, se livraient à des actions ridicules; ils croyaient voir des fourmis courir sur leurs livres. Le matin, le frère tailleur ne pouvait enfiler son aiguille, il en voyait la pointe triple. Tous guérirent par l'usage de l'eau de genièvre. »


On voit que les symptômes produits par la jusquiame présentent la plus grande analogie avec ceux de la belladone et du datura. Mais l'hyoscyamine de la jusquiame ne détermine que très rarement un érythème, la rougeur scarlatiforme de la peau; elle ne produit pas, comme l'atropine, un délire furieux, mais plutôt la tendance au sommeil.

Une plante voisine de notre jusquiame noire, la jusquiame du désert (Hyoscyamus faleslez) est restée célèbre dans les annales militaires avec la mésaventure tragique survenue à la mission Flatters. Fin 1881, cette mission, qui avait pour but d'étudier le tracé d'un éventuel trans-saharien, arriva dans le Hoggar en pays touareg. Ceux-ci voyaient d'un très mauvais œil l'incursion des français dans leur territoire, mais ils réservèrent pourtant un accueil chaleureux à leurs hôtes. Ceci n'avait pour seul but que de mettre en confiance les européens. Les touaregs offrirent des dattes à leurs visiteurs qui s'empressèrent de faire honneur à ce présent. Bien mal leur en pris, car toutes les dattes avaient été savamment empoisonnées avec de la poudre de jusquiame du désert, qu'ils appelaient El bethina. En quelques heures la plupart des membres de la mission moururent et ceux qui avaient mangé peu de fruit étaient tout de même assez atteints pour être incapables de résister à l'assaut des touaregs qui les attaquèrent soudain. Seuls quatre ou cinq hommes en réchappèrent et racontèrent leur histoire, ils dirent qu'après avoir mangé les dattes, ils eurent l'impression de brûler, leurs yeux gonflèrent et des céphalées intenses les prirent soudain puis ils sombrèrent dans un sommeil léthargique.

En Europe, et plus particulièrement au Moyen Âge, on savait quels effets néfastes on pouvait tirer de cette plante. On rapporte, par exemple, que des voleurs s'introduisaient dans les bains publics et projetaient de la poudre de graines de cette plante sur les foyers chauds des étuves : les alcaloïdes, aussitôt volatilisés, intoxiquaient brutalement les personnes présentes qu'il devenait alors facile de détrousser.

Preuve de la mauvaise réputation de cette plante, c'est par elle que Shakespeare fait mourir le roi du Danemark, père de Hamlet, en lui attribuant des pouvoirs dignes des pires poisons qui puissent exister sur terre. Dans la scène V de l'acte I de Hamlet, c'est le fantôme du roi qui vient expliquer à son fils que c'est son oncle, Claudius, qui l'a empoisonné pour prendre sa couronne :


« Comme je dormais dans mon verger, ainsi que c'est toujours mon usage après midi, ton oncle envahit furtivement l'heure de ma sécurité, avec une fiole du suc maudit de la jusquiame, et il répandit dans les porches de mes oreilles cette essence qui distille la lèpre, et dont l'action est telle en hostilité avec le sang de l'homme que, prompte comme le vif argent [ancien nom du mercure, NDA], elle court à travers toutes les barrières naturelles et toutes les allées du corps, et que, par une force subite, comme une goutte acide dans le lait, elle fait figer et cailler le sang le plus coulant et le plus sain. Ainsi du mien; et une dartre toute soudaine enveloppa comme d'une écorce qui me fit ressembler à Lazare, d'une croûte honteuse et dégoûtante, la surface lisse de tout mon corps. »


Cette description n'est évidemment pas réaliste ; le suc de la jusquiame, instillé dans l'oreille, pourrait difficilement provoquer de tels effets, mais elle montre indéniablement combien les pouvoirs quasi magiques de la jusquiame, et des poisons végétaux en général, étaient ancrés dans tous les esprits, même les plus érudits.

Il faut aussi signaler que la scopolamine, alcaloïde que l'on retrouve en quantité remarquable dans la jusquiame, fut utilisée par le régime nazi, dès son arrivée au pouvoir, pour exterminer les handicapés mentaux qui vivaient alors en Allemagne. On les tuait par injection de doses massives de scopolamine et de luminal, un barbiturique. Cette pratique s'amplifia dès le début de la guerre et engloba rapidement d'autres catégories de population pour aboutir au désastre que l'on sait. Les injections de scopolamine ne furent utilisées que très peu de temps, les SS lui préférant les gaz, avec d'abord le monoxyde de carbone puis le terrible Zyklon B.

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Symbolisme :


Louise Cortambert et Louis-Aimé. Martin, auteurs de Le langage des fleurs. (Société belge de librairie, 1842) évoquent rapidement le symbolisme de la jusquiame :

JUSQUIAME - DÉFAUT.

La Jusquiame est malfaisante ; son aspect est repoussant. Les Turcs s'enivrent avec ses sucs dangereux ; mais ceux qui en usent sont regardés comme des débauchés.

 

Dans Les Fleurs naturelles : traité sur l'art de composer les couronnes, les parures, les bouquets, etc., de tous genres pour bals et soirées suivi du langage des fleurs (Auto-édition, Paris, 1847) Jules Lachaume établit les correspondances entre les fleurs et les sentiments humains :


Jusquiame - Défaut.

C’est une plante narcotique qui provoque un sommeil léthargique.

 

Emma Faucon, dans Le Langage des fleurs (Théodore Lefèvre Éditeur, 1860) s'inspire de ses prédécesseurs pour proposer le symbolisme des plantes qu'elle étudie :


Jusquiame – Répulsion.

Le nom botanique de cette plante vénéneuse est tiré du grec et signifie fève de pourceau. Les anciens se servaient de la graine de jusquiame pour empoisonner les sangliers qui dévastaient leurs champs. Ses fleurs, d'un jaune sale, veinées de pourpre vineux, sont disposées en épis et tournées d'un seul côté. Ses feuilles sont d'un vert triste et pâle, et toute la plante exhale une odeur vireuse et désagréable. De plus, elle aime à croître dans les immondices ou les lieux déserts . Tout dans la jusquiame inspire de la répulsion.

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Pour Scott Cunningham, auteur de L'Encyclopédie des herbes magiques (1ère édition, 1985 ; adaptation de l'américain par Michel Echelberger, Éditions Sand, 1987), la Jusquiame noire (Hyoscyamus niger) a les caractéristiques suivantes :


Genre : Féminin

Planète : Saturne

Élément : Eau

Divinité : Héraklès-Hercule

Pouvoirs : Voyage astral

Partie toxique : Toute la plante.


Voici que nous lisons dans Pline au sujet de cette herbe : « On doit à Hercule la plante qu'on nomme Apollinaire. Chez les Arabes, c'est l'altercangenon ; chez les Grecs, hypocyanos (Jusquiame). Il en existe de diverses espèces : le reticulatus a la graine noire, la fleur presque pourpre ; il est épineux. L'espèce vulgaire, une autre, une troisième (aureus) est semblable à celle de l'irion. Une quatrième espèce est molle, lanugineuse, plus grasse que les autres et croît dans les lieux maritimes. Cette plante a, comme le vin, la propriété de porter à la tête et de troubler l'esprit. On se sert de la graine en nature, ou bien encore on en extrait une huile qui est émolhente, mais contraire aux nerfs. Prise en boisson, elle trouble le cerveau. »


Utilisation magique : Aujourd'hui, nous connaissons surtout la Jusquiame noire (Hyoscyamus niger) ; une variété à fleurs blanches (Hyoscyamus alba) ; une autre dénommée H. datura dont on torréfie les semences, qu'on fait ensuite infuser comme le café. Les Arabes appellent les graines de cette espèce benzé ou bizr-bindji. La boisson qu'on en tire, très prisée des Orientaux, exalte les pouvoirs psychiques et stimule également tous les organes. Pour employer une terminologie appartenant aux philosophies de l'Inde, nous dirons qu'elle stimule les chakras. Les Égyptiens employaient beaucoup ce « café de Jusquiasme » qui a des propriétés très proches de celles du kif (chanvre indien).

Il ne faut surtout pas essayer d'employer à cet usage les semences de la Jusquiame noire, qui est, en plus d un puissant narcotique, un poison redoutable : les deux alcaloïdes sécrétés par cette plante, l'hyoscyamine et l'hyoscine, sont aussi forts et aussi mortels que les alcaloïdes de la belladone - ce qui n'est pas peu dire ! C'est d'ailleurs pour cette raison que, en Europe comme en Amérique du Nord, les populations rurales se sont détournées de la Jusquiame, responsable de trop d'accidents mortels.

On prétend que cette plante, originaire de l'Orient, aurait été importée en Europe au Moyen Age par des Roumis (bohémiens) qui l'utilisaient pour leurs sortilèges.

Au siècle dernier, on a signalé plusieurs cas d'ouvriers agricoles qui, s'étant endormis dans le voisinage d'un lieu où les Jusquiames étaient nombreuses, avaient subi les mêmes effets que les personnes qui s'endormaient près des champs de chanvre.

Les anciens Égyptiens retiraient des graines une huile pour les lampes magiques. Bodin, dans sa Démonologie, raconte « qu'un homme des environs d'Angers, ayant vu une nuit sa femme se lever d'auprès lui, puis sortir par la fenêtre à cheval sur un manche à balai, se précipita affolé à la cuisine où il vit, sur la table, un pot entamé; c'était l'onguent de Jusquiame dont la digne ménagère venait de se frotter ».

L’infusion des graines de la Jusquiame-datura orientale a été, autrefois, employée en Europe pour les voyages astraux ; ses effets étaient si connus à la Renaissance qu'on leur donna le nom de berlue-Danaë. Le sujet commençait par avoir des visions célestes, des points lumineux dansaient, se précipitaient en pluie d'or... Puis la personne avait l'impression que sa tête se détachait des épaules, tandis que le corps partait de son côté et se mettait à errer dans l'apesanteur. Tout se passa relativement bien tant que les magiciens-herboristes furent les seuls habilités à manipuler ces graines que seul un expert peut distinguer des autres. Puis des profanes voulurent faire leurs propres expériences, ils prirent une Jusquiame pour une autre, des accidents de plus en plus nombreux se produisirent, et ces plantes acquirent une réputation telle que personne ne voulut plus y toucher - avec raison

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Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont S.A.S., 1995, 2019) proposé par Éloïse Mozzani, on apprend que :


Cette plante à fleurs jaunes rayées de pourpre, courante dans le Bassin méditerranée ainsi qu'au Moyen-Orient, et qui entre, avec la datura et la belladone, dans la composition de l'onguent des sorcières, est hallucinogène et anesthésiante ; elle provoque, à cause de l'atropine qu'elle contient, visions et délire onirique. D'après Pline, la jusquiame noire, employée dans les repas funéraires et pour fleurir les tombeaux, rendait stériles, fous et querelleurs ceux qui en mangeaient.

En fumigation, elle servait à des opérations de voyance ou de divination puisqu' "on pense que la prêtresse de Delphes prononçait ses oracles sous l'influence de la jusquiame dont elle inhalait la fumée des graines". [...]

Utilisée à bon escient et avec modération, la jusquiame - longtemps en usage dans la médecine magique - recèle des trésors insoupçonnés : la fumée que dégagent ses graines placées sur une pelle rougie, outre son rôle dans la voyance, guérit les engelures, les cors aux pieds, calme les maux de dents, d'où son surnom d' "herbe au mal de dents". Après Aristote, persuadé que porter sur soi une racine de jusquiame blanche soulageait les coliques, Albert le Grand, qui l'appelle la "sixième herbe de Jupiter", signalait son pouvoir contre la goutte, les ulcères et inflammations et ajoutait que 'si l'on boit son suc avec du miel, elle est merveilleuse aux douleurs du foie,, parce que Jupiter le domine". dans le Loiret, les enfants portaient encore il y a peu autour du cou des sortes de chapelets composés de morceaux de racine de jusquiame pour calmer les coliques.

Toujours selon Albert le Grand, la jusquiame "contribue beaucoup à donner de l'amour, et à se servir du coït. ceux qui veulent se faire aimer des femmes, n'ont qu'à la porter sur eux ; car ceux qui en portent sont joyeux et fort agréables" (a contrario, en Italie, la jusquiame sépare les amoureux). Si elle donne de l'ardeur à l'homme, elle rend également fougueux le cheval le plus apathique qui a eu dans son avoine, le premier vendredi de la lune, un nombre de graines de jusquiame équivalent à son âge. Cueillie la veille de la Saint-Jean et placée dans une étable, elle protège les moutons de certaines maladies.

On dit que porter autour du cou des feuilles de jusquiame trempées dans du sang de lièvre donne une "puissance vampirique", dont le lièvre lui-même peut être la victime puisqu'on soutient par ailleurs - et on remarquera la similitude des deux recettes - qu'avoir sur soi cette plante trempée dans du sang d'un jeune lièvre attire tous ceux de son espèce.

D'une manière générale, le jus de jusquiame, mêlé à la graisse et au sang du gibier que l'on veut chasser, puis enterré peu profondément à un ou plusieurs endroits, fut longtemps recommandé. Par ailleurs, il suffisait, pour rassembler les oiseaux, de jeter dans de la terre fraîchement remuée une poignée de graines de jusquiame bouillie puis séchée au soleil.

Enfin, signalons que la fleur de jusquiame servait dans la Drôme de moyen de consultation : une femme qui peut faire "claquer" en une seule fois cette fleur sur son front est nécessairement une femme trompée par son mari. Selon d'anciens traités, la cérémonie de la récolte de la jusquiame doit se dérouler pendant plusieurs jours, et de préférence un dimanche, quand la lune se trouve dans le signe du Verseau ou du Poisson. l'herboriste, après avoir prononcé prières et conjurations, la recueille soit à minuit, soit à l'aurore.

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Symbolisme celte :


Philippe Gignoux, auteur d'une "Conférence de M. Philippe Gignoux". (In : École pratique des hautes études, Section des sciences religieuses. Annuaire. Tome 86, 1977-1978. 1977. pp. 195-205) met la jusquiame sous la tutelle de Bélénos :


L'étude de Grantowskij [E.A. Grantowskij, Rannjaja istorija iranskix plemen perednej Azii, p. 286 sv.] a aussi l'intérêt de mettre en lumière, dans cette famille de termes relatifs aux narcotiques, le nom du démon Kunda, qui a dû être à l'origine une divinité iranienne dont le culte était lié à la pratique de l'extase ; tout comme le celte Belenus a donné son nom au jusquiame (belinuntia), [...].

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Selon Philip et Stephanie Carr Gomm dans L'Oracle druidique des plantes (1994, traduction française 2006), la jusquiame est associée à l'aconit et à la ciguë. Les mots clefs correspondant à ces plantes cataloguées dans les "poisons" sont :


en "position droite : Pouvoir - Aide inattendue - Soulagement

en position inversée : Malveillance - Difficulté - Trahison.


Il s'agit de plantes mortelles qui, si elles sont utilisées avec sagesse, offrent par ailleurs des bénéfices. Originaire de Grande-Bretagne, l'aconit (appelé aussi capuchon-de-moine) et la ciguë (à ne pas confondre avec le sapin-ciguë) pousse sur es terres humides et ombragées, tandis que la jusquiame aime le sol plus sec, sablonneux. La ciguë et la jusquiame ont une odeur fétide.


La carte montre l'aconit poussant sous l’éclat de la pleine lune. A droite, on voit la ciguë, à gauche, la jusquiame. Des flèches brisées sont jetées sur le sol.


Sens en position droite. La vie semble parfois presque insupportable. Si vous avez choisi cette carte, vous êtes soumis aux pressions et aux difficultés. Mais la vie est en essence mystérieuse, et quelque chose peut survenir tout d'un coup, qui agira comme catalyseur du changement. Nous sommes si habitués aux "histoires" des films et de la télévision que nous oublions l'immense pouvoir des choses infimes. La remarque d'un ami ou d'un étranger, une ligne dans un livre, une simple idée qui surgit peut induire une nouvelle direction dans votre vie ou un virage décisif dans vos affaires. Un tel don peut arriver d'une direction totalement inattendue, vous soulageant à un point que vous n'aurez jamais imaginé. Le consumérisme nous a habitués à chercher le plus grand, alors qu'on devrait chercher le meilleur.


Sens en position inversée. Chacun des poisons peut avoir un effet mortel. Si vous avez choisi cette carte inversée, vous devez être conscient des conséquences nuisibles de vos paroles ou de vos actions. Il se peut que vous ayez trahi quelqu'un ou une valeur qui vous tenait à cœur. Au lieu d'affronter ouvertement la personne ou le problème, vous avez œuvré dans l'obscurité des motifs inexplorés - en compagnie des sentiments de blessure et d'un désir de revanche que vous n'avez jamais osé s'exprimer. Au lieu d'éprouver maintenant du désespoir, il est important de réaliser que vos actions ont créé une difficulté susceptible de devenir un défi pour vous : montrer la force de caractère nécessaire pour régler un problème, réparer des torts ou avancer dans la vie avec sagesse et compassion. L'âme crée des expériences dont nous devons tirer les leçons.

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Baume vert et pointes de flèche en silex

En Grande-Bretagne, les plantes toxiques étaient appelées "banes", mot germanique et vieux norrois signifiant destruction et mort. Toute personne désirant travailler avec les plantes ou simplement se rapprocher de la nature doit connaître les plantes toxiques qui, malgré le danger qu'elles présentent, sont souvent précieuses. Par exemple, la pulicaire était brûlée pour débarrasser les maisons des puces - on sait maintenant que la plante contient un insecticide, le pyrèthre. L'aconit, qui content de l'acotinine, poison mortel, est très utilisé en homéopathie, la jusquiame et la ciguë ont été utilisées en dose infime pendant des siècles pour la guérison.

Les herboristes classiques connaissaient bien les propriétés toxiques de ces plantes et exploitaient leurs pouvoirs curatifs, tout comme l'ont fait par la suite leurs homologues saxons et les médecins de Myddfai.

La jusquiame, apparentée à la mandragore et à la belladone, est l'une des plus anciennes plantes toxiques à réputation magique connues. Les Égyptiens anciens l'utilisaient, tout comme la médecine populaire d'Europe, pour ses propriétés apaisant la douleur et induisant le sommeil. Au XVIIè siècle, au Sussex, les bébés se faisaient les dents sur un collier de jusquiame, de grand orpin et de racines de verveine macérées dans du vin rouge. Les graines de jusquiame étaient fumées pour alléger les symptômes de la névralgie, des maux de dent et du rhumatisme. Au XXè siècle, elle a servi de sérum de vérité lors des interrogatoires. La phytothérapie moderne s'en sert comme sédatif.

L'aconit est si toxique qu'il s'était acquis une réputation terrible. On raconte que les chasseurs celtes plongeaient la pointe de leurs flèches dans son jus. A l'époque médiévale il était associé au meurtre et à la sorcellerie. On pensait que les sorcières plongeaient des silex dans de l'aconit et les lançaient contre leurs victimes. Ces "têtes de flèche" en silex administraient les poisons simplement en égratignant la peau.

Les médecins grecs et arabes utilisaient la ciguë contre les tumeurs, tout comme les Écossais du XIIè siècle. L'un de ses noms populaires écossais est "mort de mère", car on disait aux enfants que leur mère allait trépasser s'ils osaient ramasser cette plante.

La ciguë, l'aconit et la jusquiame font tous partie des ingrédients des recettes de "baumes d'envol" hallucinogènes ou de "baumes verts" utilisés par les sorcières. Certains experts pensent que ces recettes, notées pour la première fois au XVè siècle, témoignent d'une tradition magique ou chamanique des plantes en Grande-Bretagne et en Europe occidentale remontant à l’époque des druides anciens. D'autres experts s'interrogent sur la validité des informations données par la chasse aux sorcières des XVIè et XVIIè siècles, et soulignent que la sensibilité d'un individu à la toxicité et aux taux de substances chimiques significatives d'une plante varie tellement que cette pratique semble peu probable."

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Éloïse Mozzani, dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont S.A.S., 1995, 2019) précise que :


[…] Les druides eux aussi utilisaient ce pouvoir de l' "herbe au sommeil" ou belinuncia (car consacrée à Belénus, dieu gaulois de la Lumière) ; ils lui attribuaient également le pouvoir de faire pleuvoir : "On cueillait cette herbe avec de grandes cérémonies. Les femmes des druides choisissaient une jeune vierge qui déposait ses vêtements et marchait à la tête des autres femmes cherchant l'herbe sacrée ; quand elle l'avait trouvée, elle la déracinait avec le petit doigt de la main droite en même temps que ses compagnes coupaient des branches d'arbres et les portaient à la main en la suivant jusqu'au bout d'une rivière voisine ; là, on plongeait dans l'eau l'herbe précieuse, on y trempait aussi les branches que l'on secouait sur le visage de la jeune fille. Après cette cérémonie, chacun se retirait dans sa maison ; seulement la jeune vierge était obligée de faire à reculons le reste du chemin". (Collin de Plancy, article "Belinuncia").

 

Dans les Leçons d'elficologie, Géographie, Histoire, Leçons de choses (2006) de Pierre Dubois, Claudine et Roland Sabatier, on peut lire la notice suivante :


"La jusquiame noire (Hyoscyamus niger) ou herbe au somme : son magnifique bouquet de clochettes de teinte isabelle, veinées de brun pourpré, suggère un vénéneux mystère. La jusquiame est la fleur des sorcières. Ses vapeurs et émanations font sortir de son corps et dévoilent au regard la vision d'autres mondes ; son onguent passé sur le manche d'un balai entraîne à travers ciel qui l'enfourche et, frotté sur le corps, il invite à toutes les débauches, à toutes les orgies."

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Mythologie :


D'après Angelo de Gubernatis, auteur de La Mythologie des plantes ou les légendes du règne végétal, tome 2 (C. Reinwald Libraire-Éditeur, Paris, 1882),


JUSQUIAME. — (apium), de deux espèces, la noire et la blanche ; d’après Pline, la noire était une plante sinistre ; on l’employait dans les repas funéraires ; on en entourait les tombeaux. On prétendait aussi qu’en mangeant de cette plante, on devenait stérile, que les enfants à la mamelle de la femme qui en avait mangé étaient pris de convulsions ; enfin, l’apium rendait stupide et fou. D’après Scribonius, la jusquiame s’appelait aussi altercum, parce que ceux qui en mangeaient perdaient la tête et se querellaient. D’après Plutarque on couronnait d’apium non seulement les morts et leurs tombeaux, mais aussi les vainqueurs aux jeux olympiques. Hercule lui-même est représenté avec une couronne d’apium. C’est à quoi fait allusion Macer Floridus, De Viribus Herbarum :


Est Apium dictum, quod apex hanc ferre solebat

Victoris, veterum fieret dum more triumphus.

Ipse sibi talem prior imposuisse coronam

Dicitur Alcides, morem tenuere sequentes.

Ast alii dictum credunt, quod apes vehementer

Illius soleant avide decerpere flores ;

Hanc herbam Selinon attica dicere lingua.


Le même Macer Floridus nous assure que la jusquiame est bonne contre toute espèce de morsure venimeuse :

Tota venenatis occurrit morsibus herba


On prétendait que la jusquiame était née du sang de Cadmilos, et on défendait aux prêtres d’en manger les racines ; les chevaux d’Héra cependant et, en général, tous les chevaux homériques en mangeaient. C’est pourquoi on recommande encore la jusquiame contre certaines maladies des chevaux. En sanscrit, on appelle l’apium involucratum « ag’amodâ », c’est-à-dire « joie des chèvres ». En Piémont, on en verse le jus sur une peau de lièvre, et on prétend que, par ce moyen, on peut faire accourir tous les lièvres. On dit aussi en Piémont que le chien enragé meurt, dès qu’il goûte de la jusquiame. Ceci tient peut-être au caractère funéraire que l’on attribue depuis l’antiquité à cette plante. Les anciens employaient ce proverbe « indiget apio » (il a besoin de jusquiame), pour indiquer un malade qui ne peut plus guérir, faisant allusion ainsi à la jusquiame qui devait bientôt orner son tombeau. En Piémont, on prétend aussi qu’une tasse d’argent, dès qu’on y verse de la jusquiame, se brise. D’après Nork, en Allemagne, la jusquiame est censée attirer la pluie. Le livre de Virtutibus Herbarum, attribué à Albert le Grand, appelle la jusquiame la sixième herbe de Jupiter, et il la recommande spécialement pour les maladies de foie, « quoniam Jupiter tenet hepar ». Contrairement à l’opinion des anciens qui donnaient à la jusquiame le nom d’altercum, Albert le Grand en fait une herbe sympathique : « Similiter confert volentibus multum coire. Est et utilis ut eam déférant secum volentes diligi a mulieribus. Facit enim deferentes laetos et delectabiles. »

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Tony Goupil, dans un article intitulé "Croyances phytoreligieuses et phytomythologiques : plantes des dieux et herbes mythologiques" (Revue électronique annuelle de la Société botanique du Centre-Ouest - Evaxiana n°3 - 2016), cherche à déterminer les plantes associées par leur dénomination aux divinités antiques :


Si beaucoup de plantes ne sont attribuées qu’à un seul dieu, en revanche, d’autres ont la particularité d’être placées sous plusieurs divinités. C’est le cas de la jusquiame par exemple. Tout d’abord elle portait chez les Anciens le nom de tifonion, en référence au monstre Typhon. Pourquoi une telle mise en relation ? Possiblement car la jusquiame est une plante dangereuse à l’image du géant créateur de tempêtes. La jusquiame portait aussi le nom de pythonion (en référence au serpent mythique), peut-être en fonction de l’utilisation oraculaire de cette plante à Delphes. Jovis faba (Jupiter’s bean) est également un autre nom de la jusquiame. On retrouve dans certains traités latins l’allusion aux deux noms gréco-latins de la jusquiame : Hyosciamos seu Jovis Faba. En effet dans hyosciamos, nom de la plante toxique on retrouve le mot kuamos qui signifie fève en grec, d’où l’apparition du mot latin faba dans le phytonyme théonymique. D’ailleurs l’un des noms originels de la jusquiame était dioscyamos (fève de Zeus). Enfin la jusquiame, plante à vocation magique et religieuse, était vouée à Apollon. C’est pourquoi la jusquiame, toxique et hallucinogène, lui était consacrée sous le nom d’Apollinaris au même titre que la mandragore.

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