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Le Vérâtre




Étymologie :


  • VÉRATRE, subst. masc.

Étymol. et Hist. 1564 (Ch. Estienne, L'Agriculture et Maison rustique, l. II, chap. 33). Empr. au lat. veratrum « ellébore ».

Lire également la définition du nom vérâtre afin d'amorcer la réflexion symbolique.


Autres noms : Veratrum album ; Hellébore blanc ; Varaire ; Varaso ; Vraire ;




Botanique :


Selon Stéphane Bonnamour, auteur de "Les propriétés vénéneuses du Veratrum album." (In : Annales de la Société linnéenne de Lyon, tome 61, Année 1914. 1915. pp. 51-58) :


Le Veratrum album L., ou Vérâtre blanc, est encore désigné sous les noms de Varaire, et, très improprement, d'Hellébore blanc, car il ne ressemble à l'Hellébore ni dans sa forme, ni dans les caractères de ses fleurs ; il ne s'en rapprocherait que par les propriétés que lui avaient attribuées les anciens médecins. C'est une plante de la famille des Colchicacées, qui croît dans tous les pâturages des montagnes, les Vosges, le Jura, le Plateau Central, les Cévennes, les Pyrénées et les Alpes, ainsi qu'en Espagne et en Suisse.

La tige est herbacée, atteint o m. 60 à o m. 80 de hauteur. Les feuilles sont alternes, fort grandes, ovales, lancéolées, glabres, munies de nervures nombreuses et parallèles, rétrécies à leur base en une gaine allongée qui embrasse la tige. Les fleurs apparaissent de fin juillet à fin août suivant les loca¬ lités. Elles sont disposées en une ample panicule terminale, accompagnée de bractées membraneuses, lancéolées, d'autres plus petites, un peu concaves, à la base de chaque pédicelle. La corolle est d'un blanc verdâtre, à six découpures profondes, ovales, médiocrement étalées ; les étamines, au nombre de six, sont un peu plus longues que la corolle. Les ovaires distincts, au nombre de trois, avortent dans plusieurs fleurs ; ils sont terminés par des styles très courts. Le fruit consiste en trois capsules allongées, droites, un peu acuminées, légèrement comprimées, s'ouvrant à leur base en deux valves, contenant un grand nombre de semences presque imbriquées, membraneuses, attachées par un court pédicelle le long de la suture inférieure. Les racines sont épaisses, un peu charnues, com¬ posées d'un grand nombre de fibres blanches, réunies en touffes.

La racine, à l'étal frais, exhale une odeur nauséeuse. Sa saveur est très amère, très acide ; elle agit tout particulièrement sur les lèvres, et lorsqu'on la mâche, elle excite la salivation et détermine dans la bouche une impression brûlante.

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Vertus médicinales :


Charles-Henri Godert, auteur d'une Description des plantes vénéneuses du canton de Neuchatel à l'usage des écoles et des gens de la campagne. (Henri Wolfrath, 1845) nous apprend que :


La racine est la seule partie de cette plante employée en médecine : elle est âcre et amère ; lorsqu'on la mâche, elle excite la salivation et détermine sur la langue une impression brûlante qui passe difficilement ; elle est tellement vénéneuse qu'elle fait périr les lapins, les chats et les chiens sur les plaies desquels on en applique l'extrait ; les feuilles aussi purgent violemment les brebis et même les chevaux, et les semences sont funestes aux oiseaux de basse-cour.

[...]

Les femmes du peuple se servent souvent de la poudre de Vérâtre pour débarrasser de vermine la tête de leurs enfants, et on a quelques exemples d'accidents causés par la substitution de cette poudre au poivre ou à telle autre substance en poudre. Les effets, quoique rarement mortels, donnent lieu à des vomissements pénibles, des vertiges, des défaillances et des convulsions, etc. Dans ces cas, il faut favoriser les vomissements par un émétique ou avec du thé de mauve miellé.

La racine fraîche de cette plante, ainsi que la poudre de la racine séchée, sont aussi employées dans quelques endroits de notre pays contre la gale des hommes et du bétail. On la prépare en la faisant cuire avec du beurre ou en la mélangeant avec une substance grasse quelconque. Ce moyen n'est pas sans danger ; on a vu des cas où des moutons soumis à ce traitement ont enflé et péri.

Cette poudre sert encore à faire éternuer, et entre dans la composition du tabac connu sous le nom de Schneeberg ou tabac céphalique. Ce remède, rarement utile, ne doit être employé qu'avec prudence et discernement.

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Pascal Luccioni, dans "Asclepios montagnard. (re-) Cueillir la montagne", (Octobre 2008, Saint-Etienne, France. pp .211-225) explique la valeur ajoutée que la montagne apporte aux plantes médicinales :


On sait que l'ellébore des anciens regroupe deux taxons bien différents, d'ailleurs distingués chez les médecins, l'ellébore noir (correspondant à plusieurs espèces du genre Helleborus des modernes) et l'ellébore blanc, notre vératre (Veratrum album L.). L'une et l'autre espèce étaient utilisées pour des purgations plus ou moins violentes. Pour l'ellébore blanc, Dioscoride précise qu'il pousse "dans les lieux montagneux" (De materia medica, IV, 148, 1.). Théophraste confirme cette notule : "Le meilleur de tous, c'est celui de l'Oeta". Le vératre est en effet un orophyte strict, au sens des floristes modernes. Notre médecin souligne aussi l'importance de cette espèce dans la tradition pharmaco-botanique savante, et cite l'un des auteurs qui ont contribué à en parfaire la connaissance et le dosage, Philonide d'Enna. On sait que le dosage de l'ellébore était une question étudiée depuis le Ve siècle au moins, grâce à un témoignage de Ctésias de Cnide (chez Oribase, Coll. med., VIII, 8).

[...]

Mais, pour rester avec Pausanias, nous voyons ici qu'au-delà d'une valorisation que j'ai envie d'appeler banale de l'environnement montagneux, et que nous connaissons par ailleurs (je pense aussi, par exemple, aux montagnes qui entourent si souvent la scène de l'échange bucolique etc.) ce qui a surtout intéressé le voyageur, ce sont les habitants animaux de cet environnement.

Ainsi, la montagne est le lieu non pas tant d'une pureté originelle des simples que de ce que l'on pourrait appeler un triangle vertueux ; non plus celui que l'on appelle ordinairement le triangle hippocratique, mais un triangle médecin/ animal/ remède : le remède pousse dans un environnement particulier qui lui permet d'acquérir éminemment certaines vertus, les animaux le connaissent (et en acquièrent à leur tour certaines vertus) et cette connaissance est ensuite transmise aux hommes, pour autant qu'ils observent les animaux. La figure du centaure médecin Chiron, hantant les forêts du Pélion, prend un autre relief si l'on comprend que ce qui est à l'œuvre dans cette valorisation positive de la montagne par les anciens, c'est en somme une sorte de synécologie rudimentaire.

[...]

On doit donc cueillir plutôt les simples, les pharmaka de montagne. La raison n'est pas qu'ils poussent dans un environnement préservé, mais qu'ils poussent dans un espace du sauvage où les animaux, notamment les serpents, sont présents. Il me paraît difficile de dire si la relation entre plantes et animaux est toujours dans le sens d'une sorte de contamination de l'animal par la plante, ou bien si à l'occasion les serpents contaminent les plantes en retour, comme le texte de Dioscoride cité tout à l'heure invite à le penser. Mais ce qui me paraît certain, à l'issue de cette enquête, c'est que l'un des critères importants qui permet de déterminer l'intensité de la vertu médicinale de telle ou telle plante, et à l'occasion de toutes les plantes d'un lieu, c'est la présence d'animaux, surtout si ces derniers ont eux-mêmes des vertus médicinales, s'ils sont un poison ou un remède. Je ne sais pas s'il faut voir dans cette perception du voisinage entre l'animal et le remède, parfois voilée par les tentatives d'explication des philosophes de la nature, le reste de visions du monde très anciennes, archaïques, voire de pratiques chamaniques, comme certains ne manqueront pas de le penser.

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Usages traditionnels :


Selon Pierre Antoine Renaud, auteur d'une Flore du département de l'Orne. (Malassis, 1804) :


Les anciens peuples de l'Europe se servaient de cette plante pour empoisonner leurs flèches : cette plante est un émétique très violent. [...]

Enfin, Mathiole rapporte que la plupart des animaux meurent des plus légères blessures causées par des instruments imprégnés du suc de Veratrum. Les anciens Espagnols avaient, paraît-il, recours à cette plante pour empoisonner les flèches qu'ils destinaient à la chasse des bêtes sauvages.

 

Selon Alfred Chabert, auteur de Plantes médicinales et plantes comestibles de Savoie (1897, Réédition Curandera, 1986) :


On tâche de préserver les bêtes à corne des mouches et des taons et de les débarrasser des poux qui parfois de multiplient sur eux en quantité effrayante, par les lotions d'une décoction de rhizôme de varaire, Veratrum album, ou d'ellébore vert, de feuilles de noyer et de poivrette, Polygonum hydropiper mélangés.

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Frédéric Surmely, auteur de "Les poisons de chasse dans les sociétés préhistoriques des pays des latitudes tempérées." (in : Environnement et peuplement de la moyenne montagne, du Tardiglaciaire à nos jours. Actes de la table ronde de Pierrefort, juin 2003, 2006, pp. 51-59) confirme cet usage préhistorique :


Le second poison de flèche le plus cité est le vératre (Veratrum album, Liliacées), aussi appelé ellébore blanc. Cette plante vivace, qui affectionne également les prairies de montagne, est très toxique, surtout au niveau de son rhizome qui contient environ 0,5 à 1,5 % d’alcaloïdes (vératrine). Des sources écrites signalent son usage fréquent, pour la chasse et la guerre, chez différents peuples, jusqu’à l’époque moderne (Delavau, 1974 ; Babikian, 1985 ; Esquirol, 1986). Il est ainsi fait mention de « chasseurs espagnols s’étant servi pour la chasse à la grosse bête de traits d’arbalètes dont la pointe était plongée dans un suc ayant pour base la substance de l’ellébore blanc » (Chauvet, 1888 ; Delaveau, 1974). Le mode d’action du poison sur l’organisme est proche de celui de l’aconit. Les alcaloïdes, qui agissent sur les centres nerveux, provoquent des contractions, des vomissements, des vertiges, puis la paralysie et la mort.

Sa toxicité, certes redoutable, est moins forte que celle de l’aconit. Sa dose létale n’est que d’environ 0,2 mg de vératrine par kilo, soit environ 20 mg de racine, ce qui représente 2 g de racine pour un animal de 100 kg (avec les méthodes d’extraction actuelle des alcaloïdes, cf remarque sur l’aconit napel). Toutefois la dose toxique est 6 fois moindre, à savoir 0,3 g pour une bête de 100 kg. Sa thermodégrabilité est moins rapide que l’aconit, du fait de la nature différente des constituants toxiques (Babikian, 1986), ce qui implique de plus grandes précautions lors de la consommation du gibier, car le vératre est lui aussi toxique par ingestion.

[...]

L’aconit et le vératre sont des espèces résistantes qui ont pu vivre dans des environnements périglaciaires, ce qui suppose leur présence, durant le paléolithique supérieur, dans nombre de régions des latitudes tempérées. A partir de l’holocène, le retour au climat actuel a modifié la zone de peuplement. Aujourd’hui, vératre et aconit se rencontrent principalement dans les terroirs de montagne. Les études sur la provenance des matières premières lithiques montrent que des objets (notamment des matières premières lithiques) ont circulé, de façon régulière et fréquente, sur plusieurs centaines de kilomètres, dès les débuts du paléolithique supérieur et même peut-être auparavant. Ces transports ont pu concerner des poisons (denrées peu pondéreuses et non périssables, compte tenu de leur longue durée de conservation) qui auraient pu ainsi parvenir dans des régions où les plantes étaient absentes. Il ne faut donc pas restreindre l’utilisation possible des poisons aux seules régions où les plantes étaient présentes aux différentes époques considérées. [...]

Le vératre, utilisé comme poison de flèche pour la chasse et la guerre jusqu’à une époque récente, était employé comme purgatif, analgésique, insecticide, mais aussi comme poudre à éternuer jusqu’à ces dernières décennies (Babikian, 1986) ! La découverte de pollens ou de graines de plantes toxiques dans un gisement, en admettant qu’elles n’aient pas été transportées là fortuitement (dans une litière, voire par le biais de la fourrure d’un animal), ne prouve donc pas qu’elles aient été utilisées comme poisons de flèches. Enfin, il resterait à établir que les poisons ont pu servir pour la chasse, car il y avait aussi les poisons de guerre, ce dernier cadre d’utilisation favorisant une bien plus grande diversité de substances et de préparations.

[...]

Conclusion : L’utilisation de poisons pour la chasse aux animaux à sang chaud doit être considérée comme très probable pour nos ancêtres de la préhistoire et ce facteur mérite d’être pris en compte dans la reconstitution des techniques utilisées à cette époque, notamment en ce qui concerne la chasse, qui était une des activités principales.

Deux plantes redoutablement toxiques se prêtaient particulièrement bien à cet emploi : le vératre et surtout l’aconit napel. L’usage du poison pouvait permettre d’augmenter de façon très importante le pouvoir vulnérant des armes utilisées et notamment des armes de jet, tout en écourtant la fuite du gibier blessé, facteur appréciable dans les forêts denses qui couvraient les latitudes tempérées à certaines époques. Bien évidemment, compte tenu des substances toxiques utilisables, il était nécessaire de prendre certaines précautions lors de la consommation de l’animal abattu.

Dans le même ordre d’idées, l’acquisition de substances toxiques a pu avoir être à l’origine d’expéditions, pour la collecte directe ou l’échange même à longue distance. Nous pensons donc que la recherche de plantes doit être prise en considération dans les motivations qui ont pu pousser les populations préhistoriques à fréquenter certains territoires, notamment en moyenne et haute montagne.

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Mythologie :


Foucaud André, Reveillère Henri-Pierre, Mahé Maryvonne. "Quelques réflexions sur le « moly » d'Homère (Botanique et mythologie)." (In : Revue d'histoire de la pharmacie, 56ᵉ année, n°199, 1968. pp. 181-183) :


S'il nous fallait personnellement donner une désignation au « moly », nous ne repousserions pas la possibilité d'un vérâtre (du latin vere, vraiment, et atrum, noir, par allusion à la couleur noire de sa tige hypogée) et notamment de l'ellébore blanc, le Veratrum album, L., aux fleurs blanches groupées en une grappe composée, drogue réputée dans l'Antiquité et utilisée par Hippocrate. Une autre hypothèse admissible pourrait concerner la mandragore qui correspond assez bien à la description d'Homère ; cette suggestion pourrait se trouver renforcée par le fait que le nom de Circé a pour origine le mot kirkaia désignant, en grec, la mandragore. Le caractère mystérieux de la mandragore serait, de cette façon, en rapport avec celui, non moins ésotérique, de la plante d'Homère, le « moly » représentant, d'après Schmiedeberg, une sorte d'entité végétale qui n'aurait été connue que des dieux, nommée ainsi par eux et accessible à eux seuls. On se souviendra à ce sujet que c'est le dieu Hermès qui avait donné le « moly » à Ulysse quand celui-ci fut informé par Euryloque que ses compagnons étaient entrés dans la demeure de Circé, mais qu'ils n'en étaient pas ressortis. Nous pourrions en conclure qu'Homère, ayant besoin d'une plante magique, l'a décrite d'une manière volontairement un peu floue et a choisi pour elle le nom de « moly », la réputation de celui-ci rendant ainsi plus vraisemblable la légendaire histoire d'Ulysse le rusé et de Circé l'enchanteresse.

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Voir aussi : Gentiane jaune ; Hellébore ;

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