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Le Vison

Dernière mise à jour : 24 mars




Étymologie :


  • VISON, subst. masc.

Étymol. et Hist. 1. 1520 Gironde « fourrure d'un genre de martre, de belette d'Europe » cothe ... fourree de vizon gris (Invent., Arch. Gir., Not., Bris-Charrier ds Gdf.) ; 2. 1765 « variété d'Amérique de ce genre de mammifère » (Buffon, Hist. nat., t. 13, p. 305) ; 3. 1849 « fourrure de ce vison d'Amérique » (Le Moniteur de la mode, 1er node nov., p. 170b ds Quem. DDL t. 16) ; 1944 p. méton. désigne un manteau de vison (Giraudoux, loc. cit.). Mot des régions de l'Ouest, notamment de Saintonge (vallée de la Seudre, FEW t. 14, p. 530b) et de la Gironde, supra. Peut-être d'un lat. vulg. *viso, -onis, var. du b. lat. des gl. visio « vesse », vissio « puanteur » (la belette étant un animal puant), formé sur vissire, v. vesser ; Ern.-Meillet ; FEW t. 14, pp. 530b-531a.


Lire également la définition du nom vison afin d'amorcer la réflexion symbolique.


Autres noms : Mustela lutreola - Vison d'Europe -

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Symbolisme :


Pierrette Paule Désy, dans l'édition électronique de son article intitulé “Amérique du Nord. Mythes et rites amérindiens”. (Textes publiés dans Dictionnaire des mythologies et des religions des sociétés traditionnelles et du monde antique, sous la direction d’Yves Bonnefoy, Tome I, pp. 18-31 et pp. 514-520 ; Tome II, 1999-2003) nous explique la place du Vison en tant que personnage décepteur dans les sociétés amérindiennes :


Souvent proche parent du héros culturel par affinité élective apparaît le décepteur. C'est un des personnages le plus populaire dans la mythologie nord-américaine. Peint sous les traits du coyote, du corbeau, du vison, du geai ou de la pie, cet antihéros se donne pour mission de parcourir le vaste monde où il connaît de multiples aventures, souvent folles et érotiques. C'est avant tout un personnage ambigu. Il est dupe et tricheur, humble et prétentieux, altruiste et cupide, créateur et destructeur.

S'il est vrai que les hommes projettent leurs fantasmes sur lui, que penser alors de ce personnage énigmatique qui viole joyeusement les tabous, s'introduit dans les espaces interdits, se travestit en femme ou en homme selon ses appétits ? Toutefois, cet imposteur est doublé d'un philosophe humoristique qui ne s'illusionne guère sur sa condition. Dans un épisode tiré d'une de ses extravagantes équipées, le décepteur (winnebago dans ce cas), se laisse duper par une branche d'arbre qu'il croyait être le bras d'un homme. Après avoir conversé longtemps avec la branche en question, il réalise sa stupidité et fait cette réflexion : « En vérité, c'est bien pour cela que les gens m'appellent wakundkaga, le fol excentrique, et ils ont bien raison. » (Radin, 1976, p. 14.)

Dans une perspective anthropologique, le décepteur s'intègre à la réalité des sociétés amérindiennes. En effet, celles-ci avaient souvent des institutions cérémonielles qui ne craignaient pas l'intrusion d'un clown pendant les activités les plus sérieuses. Prenons le cas du clown navajo qui avait le « privilège de tourner en ridicule, de défier et de parodier les cérémonies les plus importantes et les plus sacrées, les personnages et les coutumes » (Steward, 1930, p. 189).

Si nous rapportons cet exemple, c'est uniquement pour montrer que le clown de la citation ci-dessus, n'en est pas moins un décepteur public qui introduit au cours du rituel les éléments dont se sert l'autre, le démiurge, pour contredire le cours naturel des événements.

Cependant, dans ses grands moments, il arrive au décepteur d'apporter aide et soutien - c'est le cas en particulier de tous les héros qui portent en eux cette ambivalence comme Manabozho (forêts centrales), Iktomé, « Le Vieux » (plaines), le Corbeau (côte nord-ouest) -, en cas de famine, par exemple, bien qu'il soit lui-même le plus souvent aux prises avec ce problème.

Hélas, si le décepteur est héros magicien, il ne peut rien contre la mort. Il va même jusqu'à se venger sur ceux qui lui demandent l'immortalité en les transformant en statue de pierre. Il est pris à son propre piège, lorsqu'après avoir voté allégrement pour une mort sans résurrection, il voit son fils trépasser.

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Mythologie :


Mircea Eliade dans un compte-rendu de lecture intitulé " W. Müller. Weltbild und Kult der Kwakiutl-Indianer" (In : Revue de l'histoire des religions, tome 154, n°1, 1958. pp. 119-120) résume un mythe relatif au vison :


Selon le mythe qui raconte l'origine des Cérémonies d'Hiver, le premier possesseur du rituel était le Loup. Mais son frère, le Vison, avait trouvé un jour dans la forêt les enfants du Loup, qui attendaient là, enfermés dans les huttes initiatiques, tout comme le font, de nos jours, les postulants à l'initiation — et les avait tués. Le Vison devint donc le possesseur du rite et prit le nom de « Loup ». Les cérémonies pratiquées actuellement sont la répétition de cet événement primordial. L'antagonisme entre le Loup, le premier possesseur du rite, et le Vison, est réactualisé dans les Cérémonies d'Hiver. Durant le temps des Cérémonies, l'organisation en clans disparaît, remplacée par celle des Sociétés secrètes. Et c'est à l'occasion de ces Cérémonies d'Hiver que les novices sont initiés. De même que leur séjour dans la forêt, la pénétration des novices dans la maison cultuelle symbolise* leur mort initiatique. Les novices « meurent » parce qu'ils s'identifient avec la divinité. Ils sont engloutis par la divinité et finalement dégorgés — mais ils reviennent à la vie « initiés », c'est-à-dire des êtres nouveaux (p. 88).

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Dans une thèse intitulée Cosmologie, mythologie et récit historique dans la tradition orale des Algonquins de Kitcisaldk (soutenue à l'Université de Montréal en 2003), Jacques Leroux analyse le mythe du Vison :


Fable du vison (version rapportée par J. A. Cuoq [1893])


Le vison, nommé en algonquin cangweci, est l’emblème de ceux qui sèment partout la discorde dans le dessein de profiter ensuite des dépouilles des ennemis vaincus.


CANGWECI ayant rôdé dans le bois sans rien prendre à la chasse, espéra être plus heureux à la pêche. Il se rend donc au bord d’un lac, et trouvant une auge au pied d’un érable, il s’y embarque, et le voilà voguant sur l’eau, quand, tout à coup, il rencontra Oka, c’est-à-dire le Doré, excellent poisson, objet de sa convoitise. “Oh ! pauvre ami, qu’as-tu donc fait à kinonjé (le brochet) pour le fâcher ? Il veut te tuer, tu es perdu s’il te rencontre” — “Je ne le crains pas, ce vilain museau pointu ; s’il ose m’attaquer, je saurai bien le raccourcir.” — “Oh non, camarade, il ne faut pas se battre ; calme-toi, je vais voir kinonje, j’arrangerai son esprit, et vous serez bons amis.” À ces mots, le vison prend congé du doré, et va à la recherche du brochet. L’ayant trouvé, il lui dit : “Ah ! camarade, éloigne-toi vite d’ici. Vois-tu là-bas le doré ? Il est furieux contre toi ; il parle de te couper le museau. Il veut, dit-il, t’épointer.” — “Qu’il vienne, répond aussitôt le brochet, qu’il essaie de m’épointer, il aura vite ses gros vilains yeux crevés.” 11 avait à peine fini de parler, que te doré paraît devant lui, et le combat commence. Le vison contemple avec une joie cruelle l’acharnement des deux combattants, et tout en feignant de vouloir les séparer, il les excite au contraire en les mordant lui-même avec une exécrable perfidie. “Oh ! mes amis, arrêtez-vous, je vous prie, vous allez vous détruire l’un l’autre, vous voilà tout meurtris, vous perdez votre sang, ayez donc pitié de vous-mêmes.” Et disant cela, il continue à donner des coups de dents tantôt à l’un tantôt à l’autre, si bien qu’à la fin, il ne reste plus que deux cadavres. Alors le vison, tout fier de sa pêche, se saisit des poissons, et, les ayant mis dans son canot, il s’en retourne chez lui pour faire un bon souper. (Cuoq 1893 : 154).


Analyse du récit du Vison :

[...]

... les rapports entre le brochet et le doré connotent pour te vison, qui se substitue ici à l’esturgeon du mythe précédent, les rapports entre le beau-père éventuel et le (ou la) fiancé(e). On se rappelle que les personnes désignées comme «fiancé(e)» par les missionnaires et « sweetheart » par Hallowell se trouvaient autrefois en position de cousin(e) croisé(e) et qu’on les désignait en employant le terme NIMOCENJ. Si le vison se substitue ici à l’esturgeon, c’est précisément parce que dans le mythe précédent, l’allié était non pas fiancé mais marié à la fille de Brochet (et même père de deux enfants), alors qu’ici, le vison représente plutôt un visiteur qui feint d’avoir des relations « familières » avec les deux habitants du 1ieu en prétendant avoir recueilli les confidences désobligeantes qu’il colporte faussement. Du reste, les rapports de similarité entre le brochet et le doré ressortiront d’autant mieux aux yeux du vison que celui-ci est un mammifère terrestre, ce qui le place dans une position radicalement plus « étrangère » que ne l’est l’esturgeon par rapport à eux, et cela l’« excuse » d’autant mieux de semer aussi impunément la zizanie en montant en épingle les petites différences morphologiques qui différencient les deux espèces de poissons, lesquelles sont importantes pour eux mais dérisoires pour lui. De même, la proximité de leurs habitats s’amalgame en un même territoire de chasse pour lui, puisque c’est sur le site de leur combat qu’il les ramassera avant de les ramener pour son « souper ».

Alors que l’esturgeon non prédateur fut longtemps la victime des manigances de Brochet dans le mythe précédent, le vison prédateur est celui qui manigance l’art du subterfuge et de la tromperie pour faire mourir d’autres poissons comme Brochet faisait mourir ses gendres. Cela explique aussi sans doute que le narrateur insiste sur le fait que, dans la réalité, le vison ne mange que la tête du brochet en délaissant le reste (1), comme s’il continuait à mettre de l’insistance sur cette partie du corps si fortement marquée dans l’énoncé du mythe précédant.

Dans celle structure à trois termes, le brochet et le doré forment donc une paire d’espèces semblables par rapport à un tiers en position d’étranger (2), le code zoologique étayant des corrélations qui sont reprises au niveau du code rhétorique et qui correspondent alors à une corrélation d’alliance reliant le vison au brochet (en tant que beau-père) et au doré (en tant qu’amant[e]) (3) lesquels sont, l’un par rapport à l’autre, « parents proches » en tant que père (brochet) et fils ou fille (doré) au sein d’une corrélation que l’on pourrait définir comme la corrélation de filiation. En reprenant ces problèmes lorsqu’il s’agira de traiter de la figuration du vison dans le prochain mythe à l’étude, nous verrons que ce petit récit dissimule encore beaucoup de significations latentes.


Notes : 1) : « [Le vison] est facile à piéger, car il ne peut résister à l’attrait d’une tête ou même d’une petite cervelle d’oiseau. » (ibidem : 57)

2) : Le rapprochement entre le vison et les poissons peut néanmoins s’établir sous le rapport « aquatique » quand on tient compte du fait que celui-ci est très à l’aise dans l’eau et que les Montagnais (comme les Algonquins, peut-être) assignent un même esprit-maître aux poissons et aux animaux semi-aquatiques comme le vison et le castor dits «animaux avec namesh» (Clément 1995 : 438 et sq.) 3) : En tant que substitut de l’esturgeon, le vison est probablement envisagé par la pensée mythique comme étant de sexe masculin et l’individu en position de NIMOCENj serait alors logiquement de sexe féminin, mais comme une certaine ambiguïté persiste, je préfère conserver la possibilité d’une référence à la femme en mettant la modalité du féminin entre parenthèses.

[...]

Le mythe d'Ayacawe

[...]

Le lecteur aura peut-être déjà associé l’interposition du sac en peau de vison à la manœuvre du vison de la fable qui excite l’un contre l’autre le brochet et le doré en les trompant par des propos fallacieux. Si ces deux espèces de poisson constituent aux yeux du vison deux êtres semblables qu’il peut monter l’un contre l’autre, la rivalité duelle entre proches parents ou entre corésidents nous est donc présentée dans les mythes que nous étudions comme effet de leurre et de tromperie, absence de discernement et furie absurde, or il est évident que c’est à pareille symétrie de relation violente que le fils d’Ayacawe échappe en introduisant entre lui et les doubles de son père le vison trompeur. Et s’il s’agit d’introduire un troisième terme en apparence, le vison représente sans doute mieux, en fait, le double violent du père, fantoche que le héros manipule adroitement en l’exposant aux coups des vieilles, car, en effet, l’animal réel dont s’inspire le mythe attaque son congénère — et se fait donc attaquer par lui — quand il ne peut se défendre: « Des trappeurs affirment qu’il enterre son congénère mort dans un piège. Il est certain qu’il lui saute à la gorge s’il le rencontre vivant. » (Mélançon 1972 : 57) Maïs ce n’est pas tout, car le vison se montre parfois comme le plus effroyable des pères : « Les petits qui naissent en avril, aveugles et faibles, ne tardent pas à recevoir leurs premières leçons de chasse. Ils demeurent avec leur mère qui souvent doit les défendre contre la cruauté paternelle jusqu’à l’automne. » (St-Denys et al. 1969 : 90).

Si ces caractéristiques comportementales du vison expliquent que la pensée mythique s’en soit servi pour exprimer la violence potentielle d’un père contre ses enfants, elles expliquent aussi sans doute que cet animal ait été très souvent retenu dans la fabrication des sacs magiques qu’utilisaient les chamanes de la Midéwiwin, institution probablement née après les contacts avec les Européens pour discipliner l’exercice de la pratique dans un contexte de migrations incessantes et de recomposition continuelle des groupes (Hickerson 1962). [...]

Bien que cette institution fut construite dans les cadres d’un remodelage des anciennes cosmologies traditionnelles, on voit bien cependant que les degrés d’initiation spécifiquement liés «à la destruction des ennemis» impliquent une symbolique animale qui fait intervenir des MANITCOCAK comme les serpents et les salamandres, mais aussi des animaux réputés agressifs comme la loutre et le vison. Les sacs de loutre servaient d’ailleurs d’instrument symbolique fondamental lors de la cérémonie d’initiation du chamane, puisque les descriptions qu’en ont données l’ethnologue américain W. Hoffman (1885-1886) et Skinner indiquent un recours constant à cet objet, le procédé n’étant pas sans rappeler le mouvement du fils d’Ayacawe jetant son sac au-devant de lui, entre les ogresses.

[...]

Dans le présent mythe, la peau de vison connote indubitablement les « sacs à médecine » qui servaient de talismans voués à préserver le souvenir d’une rencontre onirique entre te rêveur et les « grands-pères » représentant les esprits-maîtres des espèces animales qui promettaient de lui envoyer des animaux pour le nourrir. En tant qu’objet préservant le souvenir de cette promesse, le talisman « garantit » en quelque sorte l’assurance de pouvoir se trouver à manger comme le feraient les ossements dans la scapulimancie, maïs, ici, la peau de vison qu’aperçoit Ayacawe est sur une mousse où elle « sèche » comme l’enveloppe vide et inerte d’un serment mort ou d’une promesse retombée et laissée sans vie. Entre le père et le fils, il n’y a donc que cette « membrane »

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Littérature :


Maurice Émond, dans un article sur le roman de Yves Thériault intitulé "Ashini ou la nostalgie du Paradis perdu" (paru dans Voix et images du pays Volume 9, Issue 1, 1975, p. 35–62) mentionne le vison :


À sa naissance, il y eut une migration de visons noirs et on le crut déjà l'envoyé des dieux : « L'année de ma naissance, hors le retour des porcs-épics partis depuis cinq ans, il y eut une migration de visons noirs et mon père en tira un augure ».

Le vison noir prend figure d'animal totémique. Ashini possède donc son génie tutélaire qui jouera d'ailleurs un rôle important, comme nous le verrons plus loin, lors de son initiation rituelle. « Dans une partie des tribus californiennes et de celles du Sud-Est de l'Amérique du Nord, chez les Algonkins du Nord-est et les Eskimos, la possession de génies tutélaires est le privilège du chaman... ». [Ake Huitkrantz, Les Religions des Indiens primitifs de l'Amérique, essai d'une synthèse typologique et historique, Stockholm, Almqvist et Wiksell, 1963, p. 75.]

Et l'auteur ajoute un peu plus loin :

  • Ce qui est en tout cas certain, c'est que la croyance en des génies tutélaires et le totémisme traduisent l'un et l'autre une tendance à identifier l'homme ou les groupes humains à des espèces animales déterminées — tendance qui semble s'inspirer de l'apparition thériomorphe des puissances surnaturelles dans le monde des sociétés de chasseurs. Le totémisme a donc un aspect religieux fondamental... .

[...]

Ashini veut se rendre cligne de son nouveau rôle et être fidèle à l'appel des dieux. Il décide de poser un geste propitiatoire, véritable rite de purification, mais en même temps prolongement d'une expérience mystique qui débouchera sur l'extase et le retour in ilIo tempore :

Quand se fut pris le premier vison noir en mes pièges et le premier de tous les visons de cette année-là, j'ai cru louable d'accomplir un rite honorant ce qui bouge et domine invisiblement au-delà elle mes cieux, par-delà mon monde à moi que je touche et que je vois. Ainsi l'hommage était rendu, le geste propitiatoire accompli.

Il procède au dépeçage du vison, non seulement le premier vison noir pris en ses pièges, mais le « premier de tous les visons de cette année-là ». Ne fait-il pas allusion au premier des visons noirs de tous les temps, au vison primordial des légendes mythologiques ? « Les animaux vivants descendent également de ces animaux mythiques et c'est pourquoi les hommes sont apparentés aux animaux dont ils ont adopté le totem [...]. Les animaux totems sont vénérés et invoqués dans le privé en divers cas de détresse, et ils sont « adorés » publiquement dans certaines danses de la cérémonie du nouvel an ». [Ake Hultkrantz, op. cit., p. 69. ]

Le vison n'est pas un animal ordinaire, mais bien plutôt, comme nous l'avons vu, un animal totémique. L'année de la naissance d'Ashini avait été marquée par une migration de visons noirs. L'offrande revêt une signification particulière qu'Ashini entrevoit : « Un symbole, peut-être, la marque du temps nouveau ? Le sceau de promesse ? ». La présence au début du rite de l'animal totémique rejoint ce que dit Mircea Éliade : « Ces esprits auxiliaires de forme animale jouent un rôle important dans le préambule de la séance chamanique, c'est-à-dire dans la préparation du voyage extatique aux cieux ou aux enfers ». [Mircea Eliade, Le chamanisme et les techniques archaïques de l'extase, Paris, Payot, 1968, p. 88.]

Il nous faut ici associer cette scène à celle du nouveau-né que l'auteur décrit à la page précédente. Il s'agit à nouveau d'un rite initiatique durant lequel le retour symbolique au chaos originel doit précéder toute nouvelle cosmogonie. La mort du vison offert en offrande est aussi la mort symbolique d'Ashini, le retour au chaos primordial. Ashini veut se purifier de toute faute. En retournant à la grande nuit cosmique d'avant la Création, il pourra renaître à une vie nouvelle, à une sensibilité plus aiguisée, plus apte à percevoir le sacré. Il veut abolir l'expérience profane pour mieux vivre son expérience mystique. Il a « le désir effrayant de ne pas périr sans avoir laissé des marques profondes en ce pays des hommes ».

Ashini élève la bête morte au-dessus de tout ce qui l'entoure en un geste d'offrande au Tshe Manitout et danse autour du feu avec le vison, comme la mère autour de l'enfant nouveau-né :

  • Plutôt, j'ai pris sur mes mains étendues cette bête morte pour moi et je l'ai élevée au-dessus de ce qui m'entourait, l'abri de branchages, le feu ardent, les bosquets de cèdre rampant. J'ai tendu en offertoire Ia dépouille au plus grand de mes dieux, le Tshe Manitout, puis aux autres [...]. Tenant sur mes mains le vison mort, j'ai cerné le feu d'une danse apprise en mon enfance, j'ai inventé une musique et sur cette musique j'ai prononcé les mots d'imploration.

Ashini devient lui-même l'arbre du monde, le lieu possible d'une apparition du sacré. « On pourrait presque dire, que grâce à toutes ces épreuves, l'activité sensorielle de l'« élu » tend à devenir une hiérophanie : à travers les sens étrangement aiguisés du chaman, le sacré se manifeste ». [Mircea Eliade, Mythes, rêves et mystères, p. 105. ] Le rite de la danse, le chant, les mots d'imploration prononcés dans un langage ignoré des profanes prolongent la phase initiatique et préparent l'extase. La danse, selon Mircea Eliade, est une « technique mystique qui, sans être exclusivement chamanique, joue [...] un rôle décisif dans la préparation extatique du chaman ». [ Mircea Eliade, Le Chamanisme et les techniques archaïques de l'extase, p. 257]. Finalement, les dieux se manifestent : « Quand j'ai jugé l'hommage pleinement rendu et que j'ai senti en moi se manifester le plaisir des dieux, c'était le temps de la deuxième étape ».

L'irruption du sacré annonce la renaissance du héros.

Ashini, comme l'enfant nouveau-né, retrouve Ie monde à ses origines, au moment fort et plein de la cosmogonie que symbolisent déjà la perfection et la beauté de la peau de vison sur laquelle il s'endort et qui devient « le signal même des dieux accordés à [son] projet ». Ashini, l'élu, entrevoit le Paradis premier : « Il n'est de paradis que pour les élus ». Effectivement, au chapitre suivant, nous sommes transportés avec Ashini aux temps premiers où les animaux civilisateurs posaient les gestes exemplaires qui furent imités par les autres animaux et les hommes eux-mêmes : « Bien des centaines et des milliers d'années auparavant, ma forêt n'était habitée que par les bêtes. L'homme n'y était pas encore venu ».

[...]

À nouveau, lors du rite du dépeçage, Ashini, en offrant aux dieux le vison noir, son animal tutélaire, s'est sacrifié lui-même et est mort symboliquement avant de réintégrer les temps exemplaires des héros civilisateurs.

[...]

Il nous décrit alors la mort du vieux loup Kaya qui symbolise Ashini lui-même : « Remonte en arrière plutôt, songe que le vieux loup, c'est moi. Moi qui suis pour ainsi dire rejeté par la meute. Moi qui lèche mes plaies béantes, ce mal en moi que me fait la vie ». Il est intéressant de noter que la blessure mortelle au flanc de Kaya a été faite par un vison jeune et fort. Cette fois, c'est l'animal totémique qui prépare le sacrifice. Puis, Ashini vit les douleurs du loup attaqué et rongé par une belette qui vient se jeter sur la plaie béante. Il assiste à son propre morcellement, à sa mort rituelle qui ne se terminera qu'après le combat avec Kimla et lorsque la meute viendra le dévorer.

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