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La Vache (suite)




Suite de l'article initial, trop long pour ne pas être scindé, à lire ici.




Symbolisme celte :


Selon Robert Ambelain dans Les Traditions celtiques (1ère édition 1945, Dangles 2011) :


"Comme le char d'Apollon, le char de HU KADARN est éternellement entouré de rayons de lumière, d'où son aspect solaire. L'arc-en-ciel lui sert de ceinture. Il est le "patron" des Druides, et le chef des Bardes. C'est là le double aspect d'Apollon, philosophe et musicien. C'est Hu qui modère et règle les EAUX. Les bénédictions de toute nature l'accompagnent et celles de la Vache céleste qui, sans cesse, l'accompagne. Cette Vache sacrée, c'est la personnification de la Nature naturante, l'Isis couronnée de cornes de l'ancienne Égypte, la même qu'on rencontre dans les temples de l'Inde. Près du Dieu Soleil elle est l'image de la Lune (le croissant des cornes), et si on a choisi un animal c'est pour montrer son rôle inférieur auprès de son parèdre".

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Pour Philip et Stephanie Carr-Gomm dans L'Oracle des Druides, Comment utiliser les animaux sacrés de la tradition druidique (édition originale 1994 ; traduction française Guy Trédaniel 2006),


La vache est associée à trois mots-clefs :


la Nourriture - la Mère - la Déesse.


La carte représente une vache de Haute Écosse, placide, près des eaux calmes d'un lac écossais. Au premier plan, poussent des airelles et du coucou, qu'on appelle respectivement en anglais "baies à la vache" et "lèvres de vache", et à droite, se trouve "l'herbe au lait" (gentiane des champs).

La vache nous révèle la présence de la déesse. Sa générosité, force nourricière et régénératrice, nous entoure. On la retrouve partout : chez nos amis, nos enfants, dans nos repas, nos rêves et dans la nature où nous avons tant de chance de pouvoir vivre. Elles vous protégeront contre tous les dangers et veilleront pour vous permettre de bénéficier d'un sommeil profond. Avec la vache, manifestation de la déesse et de ses qualités sacrées, vous serez toujours nourri par l'énergie divine destinée à répondre aux besoins de chacun d'entre nous. Attendez paisiblement ; elle viendra à vous.


Renversée, la carte vous incite à examiner la générosité dont vous faites preuve face au monde qui vous entoure. Si vous pensez que vos ressources sont limitées, vous ne pourrez pas donner de bon cœur. Par contre, si vous êtes conscient de ne faire qu'un avec l'ensemble de la création, il vous sera facile de donner. Souvenez-vous qu'on ne donne vraiment que lorsqu'on a appris à recevoir : acceptez-vous facilement l'amour et l'intérêt des autres ?


La Vache dans la tradition

Les abeilles fragiles transportent sous leurs pattes

la moisson des fleurs ;

Les sabots du bétail arpentant la montagne apportent l'abondance

Poème irlandais du IXe siècle

L'importance du bétail est telle dans la vie des sociétés qu'on le considérait autrefois comme un don des dieux. Les légendes concernant des troupeaux blancs sacrés abondent. On racontait que le bétail était arrivé en Irlande avec trois vaches sacrées, émergées de la mer à Baile Cronin ; l'une blanche, l'autre rousse et la troisième noire. Ainsi réunies, elles représentaient les trois aspects de la déesse, nous montrant que la vache est la déesse elle-même, vierge, mère et vieille femme (blanche, rousse et noire). Les dieux possédaient des vaches - Manannan avait du bétail marin et le dieu-père, Dagda, une génisse nommée "Océan", mais les vaches étaient surtout associées aux déesses, comme Boann (la Vache Blanche) qui donna son nom à la rivière Boyne.

Brighid, déesse de la tribu des Brigantes dans le nord de l'Angleterre, était l'une des divinités les plus importantes de la tradition druidique. En Irlande, elle faisait partie des déesses les plus couramment vénérées et évolua en Sainte Bridget à l'époque chrétienne. Élevée au lait d'une vache de l'Autre Monde, elle prit cet animal pour totem et devint la patronne du bétail.

Sacrée en Inde et révérée dans les pays celtiques, la vache est l'un des éléments renforçant la théorie d'une origine indo-européenne commune aux deux civilisations. Donnant son lait, son cuir, ses cornes et sa viande, on l'associait généralement à la nourriture et à la production. Sur le plan médical, l'haleine douce de la vache était recommandée dans les cas de phtisie et sa bouse comme cataplasmes pour soigner les brûlures et les inflammations. Il fallait dormir au milieu des vaches pour guérir et se réchauffer, et si on avait besoin de se protéger du diable, il suffisait de trouver un coin de champ où une vache avait dormi, d'en tracer trois fois le tour dans le sens des aiguilles d'une montre et de s'y coucher en sécurité.

Trois des quatre fêtes druidiques du feu étaient liées aux vaches. Le 1er novembre, Samhuinn marquait le retour des bêtes dans les vallées pour l'hiver et l'abattage du bétail en vue des provisions de viande. le 1er mai, Beltane, annonçait le début de l'été et de la transhumance, avant laquelle on conduisait les bêtes entre les deux feux de Beltane pour les purifier et les revigorer. Enfin, Imbolc, le 1er février, marquait la saison des naissances de veaux et d'agneaux.

Le sentier des Vaches astral

La bonté de la déesse s'inscrit dans le ciel nocturne sous la forme de la Voie Lactée, qu'on appelle dans le Friesland et le Lancashire le "Sentier des Vaches". On peut, aujourd'hui encore, observer comment les principales routes entre les centres d'habitation suivaient les chemins empruntés par le bétail.

Les Celtes jugeaient la richesse d'une personne d'après le nombre de têtes de bétail qu'elle possédait, permettant de régler les loyers, les dots, les enterrements et même les honoraires des bardes. en Irlande, la rançon demandée pour un fils de comte pouvait atteindre cent quarante têtes et bétail et un millier pour un roi. Les vols de bétail étaient considérés en Ecosse comme une "honorable occupation de gentilhomme. " Le mot irlandais tain indique les diverses significations associées au bétail dans la pensée celte : il signifie à la fois le troupeau, le butin mais aussi les talents intellectuels. Le vol des vaches de Cooley, écrite sur une peau de vache, était chanté par les laitières lors de la traite car le chant les aidait à travailler tout en augmentant la production de lait.

La vache, animal sacré de la déesse, entretenait un lien étroit avec l'Autre Monde. Les légendes écossaises parlent de vaches féeriques (Crodh Shith) qui vivaient sous la mer en se nourrissant d'algues et apparaissaient sur la terre ferme à différents endroits - on compte, par exemple, dix lieues de prédilection à Skye. On racontait aussi qu'un taureau d'eau avait engendré des vaches magiques. L'offrande de lait était une coutume bien enracinée : en Irlande, on faisait gicler les premières gouttes de lait de la traite sur le sol pour les donner aux fées, alors qu'en Ecosse on remplissait de lait certains creux des rochers pour la même raison. En août, les Écossais versaient du lait sur le sommet des collines à l'intention des dieux. Et le Bretons en aspergeaient régulièrement les menhirs. On pensait qu'une fée, la gruagach, prenait soin du bétail si on lui réservait sa part de lait.


La protection de la Vache

En raison de la valeur nutritive de son lait et son association avec le lait de la mère, la vache devait être protégée des esprits malins. On pensait qu'une vache qui tombait malade avait été frappée par la flèche d'une fée ; pour la soigner, il fallait porter les cendres d'un feu de joie, en faisant trois fois le tour dans le sens des aiguilles d'une montre. On fabriquait de préférence la trique servant à la conduire avec du bois de sorbier des oiseleurs et du crin de cheval. Sa corde, connue sous le nom de "sceau", était toujours comprise dans son prix de vente pour que la protection magique du sceau ne soit pas interrompue lors de la transaction. Si le beurre ne prenait pas ou que le lait contenait du sang, on disait que la vache avait "l’œil" - que des forces malveillantes la possédaient ; on prenait alors immédiatement des mesures de protection. De la jacobée [Le séneçon de Jacob ou séneçon jacobée (Jacobaea vulgaris)] conservée sous un bol dans la laiterie, servait la plupart du temps à empêcher de telles attaques.

Le lait avait lui aussi des propriétés médicinales. Perdant beaucoup d'hommes sous les flèches empoisonnées des Anglais, les Irlandais suivirent le conseil du druide picte Trosdane : ils remplirent une fosse du lait de cent cinquante vaches au museau blanc et y baignèrent les blessés qui guérirent instantanément."

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Veaux à Clavans en Haut Oisans.

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Selon Sabine Heinz, auteure de Les Symboles des Celtes, (édition originale 1997, traduction française Guy Trédaniel Éditeur, 1998),


"Parmi les bêtes à cornes, la vache a une position particulière qu'elle doit surtout au fait que la société celtique resta, plus longtemps que d'autres en Europe, attache au matriarcat, tradition qu'elle transmet aujourd'hui encore dans ses légendes. La vache est une personnification de la déesse-mère. Elle est un animal de sacrifice symbolisant renaissance et force.

L'apparition de divinités sous forme de vaches ou de génisses, le lien avec la fécondité ainsi que les recherches linguistiques laissent supposer aujourd'hui encore une parenté originelle entre les mots femme et vache.

Les triades galloises connaissent pour la Bretagne trois principaux représentants de cette espèce : la vache pie de Maelgwn Gwynedd, la vache à la peau grise et Cornillo (Petite Corne).

Même après la christianisation, la vache garde son importance : une vache blanche aux oreilles rousses élève Sainte Brigid qui ne supporte d'autre aliment que le lait. Bien que les animaux aux oreilles rousses viennent de l'Autre Monde, il existe aujourd'hui encore en Bretagne des bœufs blancs aux oreilles rousses. L'histoire de Sainte Brigid nous montre également que les croyances païennes survécurent partiellement au début du christianisme.

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Dans Animaux totems celtes, Un voyage chamanique à la rencontre de votre animal allié (2002, traduction française : Éditions Vega, 2015), John Matthews nous propose la fiche suivante :


"Vache = irlandais : bo ; gallois : bu, buwch ; gaélique : bo ; langue de Cornouailles : bugh ; breton : ejen.

Pour les Celtes, la vache était symbole d'abondance, et la richesse se jugeait à l'importance du troupeau que l'on possédait. On trouve également des références à la croyance en les vertus curatives du lait de vache. En gaélique, il y a plus d'une centaine de mots ce qui constitue une indication de l'importance de cet animal dans le monde celte. Quantité d'histoires bien connues, comme Táin Bó Cúailnge, traient du vol de bétail célèbre, entraînant systématiquement une guerre. Les vaches comme les taureaux représentaient l'abondance pour les Celtes et il n'est pas surprenant de trouver des références à l'origine sacrée de ces bêtes. En Irlande, il est dit que trois vaches fabuleuses émergèrent de l'océan : une blanche, une rouge et une noire (Bo-fina, Boruadh et Bo-dhubh).

Tout un pan du savoir traditionnel tourne autour des Crodh Shith ou vaches enchantées. On raconte qu'elles vivaient sous la mer où elles se nourrissaient de meillich, une sorte d'algue. Comme les chevaux et chiens de l'Autre-Monde, elles étaient souvent blanche ou tachetée, avec les oreilles rousses et le plus souvent sans corne. La force et la détermination de la vache, comme du taureau en font des compagnons importants pour un voyage tumultueux - mais gardez à l'esprit que le taureau peut charger sans réfléchir, tandis que la vache sait être calme et ruminer (sa décision).


Préceptes du totem :

Éclaireur : Sois à l'affût d'indices te montrant le chemin.

Protecteur : Méfie-toi de la facilité.

Challenger : Comment cette action peut-elle t'aider à évoluer ?

Aide : Il y a toujours quelque chose d'intéressant à trouver."

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Dimitri Nikolai Boekhoorn, auteur d'une thèse intitulée Bestiaire mythique, légendaire et merveilleux dans la tradition celtique : de la littérature orale à la littérature écrite : étude comparée de l’évolution du rôle et de la fonction des animaux dans les traditions écrites et orales ayant trait à la mythologie en Irlande, Ecosse, Pays de Galles, Cornouailles et Bretagne à partir du Haut Moyen Âge, appuyée sur les sources écrites, iconographiques et toreutiques chez les Celtes anciens continentaux. (Littératures. Université Rennes 2 ; University Collège Cork, 2008) récolte les élements sur le symbolisme de la vache et des déesses qui lui sont associées :

Si nous sommes donc d’accord avec la réfutation probable d'un totémisme « pur » et de la zoolâtrie en tant que tels, le zoomorphisme des dieux est néanmoins une réalité dans le domaine celtique, tout comme dans d’autres civilisations indo-européennes et non-indo-européennes. Le zoomorphisme n’implique pas forcément la zoolâtrie, car on peut vénérer des espèces animales comme des attributs et symboles divins à un moment donné, et consommer la chair de ces mêmes animaux à une autre occasion. Il y avait chez les Celtes sûrement la croyance aux Dieux-animaux, mais les animaux sacrés en revanche n'avaient pas forcément le statut d'êtres divins ! Quand on parle en effet de la Déesse-Vache, ou de la Déesse équine, c'est au symbolisme animalier et à l'aspect principal de la divinité en question que l'on fait référence, et non au prétendu statut divin de l'animal lui-même. Car les animaux ne constituent que le support symbolique des dieux et des déesses, ils ne symbolisent que certains aspects des pouvoirs divins

[…]

Thirona (Dirona, Sirona) : peut-être la ‘Stellaire’. Elle porte fréquemment un chien sur les genoux et des œufs et un serpent en tant que symboles de fertilité. A Cologne, elle a le pied sur une tête de vache. Cette déeese est possiblement identique à Damona, la déesse-vache. […]


Vache : En tant que productrice de lait, la vache symbolise la Terre nourricière. Elle synthétise la fertilité, la richesse, le renouveau et la Mère. En raison de son aspect de fertilité, elle est bien sûr associée à la lune, à la corne et à l'abondance. Les cornes de la vache, comme celle du taureau, rappellent la forme du croissant lunaire. En Egypte, elle est la mère céleste du soleil ; chez les Germains, la vache nourricière Audumla est la première compagne d'Ymir. Le couple Audumla-Ymir est en outre antérieur aux dieux. La vache est donc l'ancêtre de la vie, le symbole de la fécondité. Elle détient ce rôle partout dans le monde indo-européen. Certaines recherches de linguistes font penser à une origine commune des mots indo-européens pour ‘vache’ et ‘femme’. Le bovidé femelle joue souvent un rôle cosmique et divin, mais parfois on lui attribue la fonction de psychopompe. Dans ce cas, on dépeint souvent une vache noire.

Cette espèce bovine détient une place à part dans les mythes celtiques ; il a été suggéré que cela s’explique probablement par le phénomène du matriarcat, qui aurait connu une plus longue histoire chez les Celtes que chez d’autres peuples indo-européens. ‘Das Denken im Rind’, le fait de « penser en bœuf », est un phénomène primordial dans la mythologie celte. L’une des représentations de la déesse-mère est en effet la vache, qui incarne à la fois l’idée de la renaissance, de la fécondité et de la force. Chez les Celtes gaulois, il existait une déesse bovine, Damona.

Le nom de la déesse irlandaise Búanann ‘la continuelle, l’éternelle’ pourrait être issu de Bú Anann, la Vache d’Anu et il est évident que, les déesses mises à part, la vache était une métaphore pour l’Irlande : l’île elle-même fut parfois considérée comme une vache.La plupart des hydronymes celtes sont féminins, et plusieurs sont associés à une déesse-vache. Le nom de la rivière irlandaise Boyne vient de *Bô-uindâ, ‘vache blanche’ et il est peut-être à comparer au nom ancien d’une rivière à côté d’Utrecht aux Pays-Bas : Borvoboendoa. Le nom de la déesse-vache Damona survit dans l’hydronyme Dane qui arrose le Cheshire.

En Irlande, sainte Brigit est nourrie par une vache aux oreilles rouges ; on a là un signe d’un animal provenant de l’Autre Monde selon les légendes pré-chrétiennes, même si l’on trouve en Grande-Bretagne des bovins réels aux oreilles rouges.

Le mythème du vol des « vaches cosmiques » a entre autres été étudié par Claude Sterckx. Ce mythème semble lié au dieu (indo-européen) des troupeaux. Hormis les différents Maîtres et Maîtresses des Animaux que nous avons mentionnés, les traditions insulaires gardent des traces d’un gardien de troupeaux dans le mythe de Tristan par exemple, personnage d’origine mythologique que l’on retrouve dans les Triades galloises sous la forme de Drystan le porcher.

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Symbolisme onirique :


Selon Georges Romey, auteur du Dictionnaire de la Symbolique, le vocabulaire fondamental des rêves, Tome 1 : couleurs, minéraux, métaux, végétaux, animaux (Albin Michel, 1995) :


Un animal qui apparaît dans plus de 5% des scénarios de rêve éveillé, que les inspirateurs des rites sacrés de l’Égypte et de l'Inde antiques proposèrent à la vénération des prêtres et du peuple ne peut pas être un symbole négligeable. Pourtant, la discrétion, presque la fadeur, de l'image impressionne l'observateur qui vient d'explorer un nombre important de rêves dans lesquels il a rencontré la vache. Au cours de nos recherches, portant sur des centaines de symboles, nous avons pu constater que chaque image est appelée à jouer des rôles d'importance variable suivant les besoins des situations oniriques. Parfois, le symbole ne fait l'objet que d'une évocation, souvent il devient l'élément principal d'une séquence de rêve et, plus rarement, il tient le premier rôle dans l'ensemble du scénario. Nous produisons des exemples de ces projections emphatiques dans les articles consacrés au cercle, à l'araignée, à l'aigle, au mur et dans beaucoup d'autres. Quel que soit le symbole étudié, il se trouve toujours un rêveur pour le placer ainsi sous un éclairage intense. La vache échappe à cette règle. Tout se passe comme si l'image ne prenait sens qu'en fonction de son caractère discret, détaché, comme lointain. Elle ressemble à ces acteurs de cinéma auxquels on ne confie jamais que des rôles très secondaires, de simples silhouettes, mais avec une telle fréquence qu'ils deviennent aussi familiers pour le public que les plus grandes stars. Bien souvent même, dans les rêves, avant d'être une actrice, la vache est un élément du décor. D'un décor familier, champêtre. Les corrélations sont exceptionnellement révélatrices : plus de la moitié des associations se répartissent entre trois familles de symboles : les parties du corps humain, les personnages familiaux et les animaux domestiques.

La vache imaginée est un complément du paysage. La prairie, le ruisseau, la montagne aux pentes douces et vertes, composent le tableau dans lequel elle s'insère. Le personnage de la mère, personne ne s'en étonnera, est très souvent évoqué dans les scénarios où vient paître la vache. Hathor, que les Égyptiens représentaient munie d'oreilles et de cornes de vache, est la mère-nature, la mère cosmique, origine de tout ce qui est. Même le soleil est né du principe féminin maternel.

Dans les articles consacrés au temps et au rythme, nous démontrons l'étroite association entre la notion de rythme et la mère. C'est dans le ventre maternel que l'enfant enregistre les impressions qui engendrent ultérieurement les concepts d'éternité et de temps séquentiel, de temps rythmé, de temps mesuré. Les rythmes respiratoires et cardiaques de la mère induisent les premières divisions du temps absolu.

La vache est l'animal dont le rythme respiratoire est le plus lent. Elle est l'image de la vie paisible. Elle suggère un rythme si profondément, si naturellement lent, qu'il devient l'antithèse de la cadence. La mamelle généreuse de la vache, le sein maternel gonflé du lait de vie et la montagne arrondie offrant ses verts pâturages, sont unis par la forme, par le don et par un rythme aux cycles tellement naturels, tellement amples, qu'ils se confondent avec l'éternité.

La vache onirique renvoie le rêveur à ses impressions les plus lointaines. Elle se place dans un paysage d'orée de la vie, dans le lieu de l'expérience première, fusionnelle, où le Toi et le Moi n'étaient pas encore séparés. Nombreux sont les rêves dans lesquels le patient ou la patiente évoquent l'image de la vache, comme pour s'armer de la conviction d'avoir connu un temps réellement paisible, avant d'affronter des zones de turbulence de leur problématique. A l'époque de son onzième rêve, la relation entre Armelle et sa mère s'organisait autour d'une hostilité réciproque et ouvertement manifestée. Dès les premiers mots du scénario, la vache est placée dans son ambiance onirique type :

« Je vois un troupeau de vaches, avec des clochettes qui tintent. C'est un paysage de montagne, avec un ruisseau, de l'eau qui coule... l'air est frais... j'aperçois un paysan qui garde le troupeau. Il a un bâton et, près de lui, un chien. Il a la démarche lente et régulière. C'est paisible parce que c'est la campagne... c'est rythmé... les vaches aussi broutent l'herbe d'une façon lente et régulière... et puis... c'est pareil... quand il les trait, c'est aussi d'une façon régulière, rythmée et avec souplesse... et, en même temps, je vois un homme avec un fouet qui harcèle des animaux... des animaux qu'il fait courir en rond, comme au cirque... »

Ainsi, la vue d'un troupeau de vaches suffit à communiquer aux images une rythmique rassurante, paisible, régulière.

Une problématique du rythme, chez une femme, renvoie généralement aux engrammes douloureux du temps de la gestation ou de celui de la naissance. Elle rappelle une dysharmonie entre les rythmes du corps de l'enfant et de celui de sa mère. Dans presque tous les cas, l'appréhension d'une rupture rythmique engendre un refus du partenaire sexuel dont l'approche prend une tonalité d'agression.

C'est la peur du rythme étranger, du rythme imposé de l'extérieur, du rythme dérangeant, qui provoque la double image d'un vacher à la démarche lente et régulière et d'un homme qui harcèle les animaux avec un fouet. Un autre rêve d'Armelle va montrer la pertinence de cette traduction. Ici l'association entre la vache et la mère est transparente ! Les images témoignent crûment de ce qu'il faut bien appeler un souvenir de la chair ! Le scénario commence par ces mots :

« J'ai une image affreuse : une vision de diarrhée !... L'idée de quelque chose qui s'évacue... j'associe ça à ma mère... une porte qu'on enfonce, qu'on franchit... et après... il y a le vide, comme après une diarrhée il y a le vide aussi... le vide dans le ventre ! Une poche d'eau qui crève... ça me fait penser à la naissance... puis je vois un ventre, le ventre d'une femme enceinte, gonflé... dans son corps, y a pas beaucoup de place... ça me fait penser à un enfermement... et je vois un anus... c'est un anus de vache... alors je suis coincée dans cette situation... je ne sais pas comment en sortir... c'est comme si j'étais dans un ventre et que me mère ne poussait pas... et que j'arrive pas à sortir seule... là, j'ai l'image d'une poule qui pond un œuf... et un sein gonflé de lait... c'est pareil, il faut que le lait sorte... »

Une corrélation étroite existe entre la montagne et la vache. Il s'agit toujours de la montagne douce, arrondie, couverte de prairies. Cette montagne-là est comme un sein de la terre qui allaiterait la vache. Une chaîne symbolique s'esquisse ainsi, dans laquelle le mammifère devient un prolongement naturel de la terre-mère. Hathor, déesse-mère, est la vache céleste qui couvre la terre de son ventre étoilé. Ces rappels permettront d'apprécier une séquence du sixième scénario de Véronique :

« … J'ai l'impression d'être un personnage de dessins animés, dans un paysage de dessins animés, avec des fées... un beau paysage quoi ! Comme quand il n'y avait pas encore de sorcière ni reine comme cela... j'aperçois la lune maintenant... là, je suis transformée en papillon... c'est la nuit... y a plein d'étoiles... sous moi, y a un paysage de montagne... enfin de montagnes à vaches plutôt !... Avec un chalet... les montagnes en pente douce, avec de l'herbe... des vaches... enfin.... j'ai l'impression que ce n'est pas la montagne de la terre... c'est la montagne du ciel, puisque je suis dans les étoiles... c'est très agréable cela... c'est la calme d 'une nuit de Noël... » Armelle associe clairement la vache à sa mère terrestre, Véronique donne à l’image sa dimension cosmique, sublimante. L'une et l'autre pourtant expriment l'inconfortable relation à leur mère. Les modes réactionnels varient, le symbole est stable. Le rythme est le diviseur du temps. Le rythme sépare de l'éternité. Il ancre l'âme au temps de la terre et lui confisque le temps du ciel. Une image de vache est une horloge qui restitue l’heure éternelle. Une psychologie qui a perdu ses repères chronologiques est plus profondément affectée que celle qui a perdu ses références spatiales.

Nous souhaitons montrer, à travers le troisième scénario de Noëlle, que les abstractions philosophiques les plus audacieuses trouvent une résonance spontanée dans les produits de l'imaginaire. Noëlle manifeste dans son existence quotidienne une agitation mentale qui accapare l'essentiel de ses énergies. Son état d'esprit pourrait être résumé par l'expression de désarroi temporel :

« Je suis dans le noir... ça me rappelle un souvenir d'enfance... ma mère dormait... je me suis levée... je suis allée dans la forêt.. là, je suis dans des pâturages un peu jaunis, c'est l'été... une herbe tendre et jaune à la fois... j'ai envie d'avancer dans ces collines... je ne sais pas où je vais... je me sens toujours pas adulte... à quarante ans, je suis une enfant-grande ! Comme j'aimerais que tout soit simple ! Comme la lumière qui éclaire l'herbe et lui donne la vie... j'aimerais que ma vie soit au rythme de la nature... Ah ! Être dans le temps, dans le temps juste ! Saisir en même temps le commencement et la fin... c'est dur, de ne pas être dans le temps, quand on est pas juste. Là, je vois une mare... c'est pas une eau très vivifiante hein ? Un coin où les vaches viennent boire. C'est pas très propre... comment font le vaches pour boire ça ? Bon ! Je ne veux plus rester là... adieu les vaches, elles n'ont qu'à rester dans leur état de vache... boire de l'eau sale si elles veulent, moi je ne suis pas une vache ! Les vaches ne m'intéressent plus !.. Je vois des corbeaux maintenant... et ça me fait penser à un gros oiseau de proie que j'ai vu en allant chez ma mère... je ne me laisserai pas manger ! Y a une montagne maintenant... ça sent bon l'herbe et les sapins, mais il peut y avoir des vipères... ma mère poussait des cris d'horreur quand elle voyait une vipère ou une araignée... […] Va falloir que je cesse de me raconter des histoires ! Je ne sais pas du tout ce que c'est d'être une grande personne, quelqu'un qui contrôle un peu les phénomènes extérieurs et intérieurs... il faut être dans le temps juste ! Quarante-deux ans ! J'ai tellement pas quarante-deux ans ! Où allons-nous ? Il est temps que je regagne ma planète chronologique... chez moi tout est désaccordé !... »

S'il fallait illustrer la chaîne symbolique formée par la vache, la montagne, la mère et le temps, cet exemple nous paraît particulièrement convaincant. « Tout est désaccordé ! » Cette dysharmonie transmet ses vibrations négatives à chacun des maillons de la chaîne. Un seul bonheur fait défaut : celui qu'engendrerait une relation sereine à l'image maternelle. Aussitôt, le mal s'étend. A la montagne, qui abrite rapaces et vipères, au temps, qui n'est plus le temps juste, à la vache, vouée à boire de l'eau sale et « qui ne m'intéresse plus ».

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Les séquences reproduites dans cet article sont extraites des rêves dans lesquels le symbole affiche une certaine présence. Le plus souvent, la vache imaginée ne fait l'objet que d'une évocation, parmi les autres éléments composant un paysage de pâturages montagnards.

Il y aurait incompétence à prendre pour banalité cette discrétion qui tient à la nature de l'image. Celle-là renvoie un temps éternel, aux rythmes originels, au ventre maternel.

La présence de la vache dans un scénario, si modeste soit-elle en apparence, sera toujours entendue par le praticien avisé comme un appel pathétique du rêveur ou de la rêveuse. Ces patients sont à la recherche d'un temps perdu, d'une harmonie oubliée. En observant les images qui entourent la vache imaginée, on relèvera le plus souvent les signes d'une relation conflictuelle vis-à-vis de la mère. A sa manière, à son rythme, la vache prépare, sur ce plan, l'apaisement.

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Contes et légendes :


Lutz Röhrich et Jean Courtois, auteurs de "Le monde surnaturel dans les légendes alpines." (In : Le Monde alpin et rhodanien. Revue régionale d’ethnologie, n°1-4/1982. Croyances, récits & pratiques de tradition. Mélanges d'ethnologie, d'Histoire et de Linguistique en hommage à Charles Joisten (1936-1981) pp. 25-41) montrent l'importance de la vache dans la culture alpine :


Tout l'univers culturel est envisagé en fonction de l'élevage et de l'exploitation laitière. A la limite on pourrait dire : la vache est le centre d'intérêt prédominant dans la vie des bergers alpins. On décrit avec prédilection la profanation du lait et du fromage, et c'est surtout le lait répandu par mégarde qui est cité comme la raison pour laquelle les âmes pécheresses errantes attendent leur délivrance. De leur vivant, des bergers, des vachers ou des chevriers ont renversé du lait ou ont laissé du fromage se gâter ; devenus esprits errants, ils doivent expier leur méfait en fabriquant lait et fromage sur l'alpage où ils étaient autrefois. Les revenants sont en majorité des bergers sans conscience qui ne se sont pas assez occupés du bétail qui leur était confié, ont laissé périr les vaches et doivent expier leurs manquements après leur mort. Et c'est toujours le mythe de Sisyphe qui est rattaché à leur punition : le berger doit après sa mort ramener inlassablement, et au prix d'indescriptibles efforts, la vache perdue au sommet de la montagne. Mais avant de parvenir en haut il voit à chaque fois la vache dévaler dans l'abîme (Texte n° 10) :


10. Le berger errant (Sisyphe) : Sur la montagne dépouillée, non loin de la Fourche de Màdele il y avait autrefois un berger à gages qui était très négligent et si peu consciencieux, qu'un jour, une vache qui, de surcroît, appartenait à une pauvre veuve, fut perdue. Mais au lieu de considérer cet accident, dont il était responsable, comme une mise en garde, le berger rit à gorge déployée lorsqu'il vit la vache dévaler la pente abrupte et culbuter plusieurs fois. En punition, le berger sans conscience ne put trouver de repos après sa mort et il dut, esprit errant, remonter la vache tout au long de la pente abrupte, au prix d'efforts indescriptibles et la traîner jusqu'au sommet. Mais dès qu'elle parvenait en haut, elle redescendait et culbutait dans l'abîme, et alors le berger devait à nouveau rire aux éclats, si bien qu'on l'entendait au loin. Puis il redescendait d'un bond de la montagne pour tirer de nouveau la vache hors de l'abîme. Les choses continuèrent ainsi, et comme, pour cette raison il n'y avait plus de calme sur l'alpage, aucun berger ne voulait plus y rester. L'esprit se mit à rôder dans la bergerie également, et on finit par faire venir un capucin de Immenstadt pour qu'il le conjure. Après avoir longuement lu dans ses livres et prononcé ses bénédictions, le religieux réussit à conjurer l'esprit qui, cependant, avant qu'on puisse le chasser, demanda qu'on lui livre le « curieux ». Mais à la place on lui donna une vieille bique qu'il « déchira aussitôt en lambeaux ». Ensuite le capucin l'envoya sur les parois sauvages et inaccessibles de la Trettachspitze. Qui était en fait ce « curieux » que l'esprit avait demandé, nul ne le sait ; mais certains ont pensé que c'était peut-être « Kaspar Hatscherle », car celui-ci avait été un « spectateur indiscret » lors de la conjuration et pour cette raison, il avait été « rempli de sagesse », si bien qu'on le nommait souvent le « curieux » . (REISER, 1. 1, pp. 340 sq.)


Les revenants et les âmes pécheresses apparaissent souvent sous les apparences d'un bœuf ou d'une vache. Un « ventre de vache » est la forme qu'a prise une sorcière ; « l'Homme dans la lune » est celui qui a volé du lait et qui, le seau de lait à la main a été transformé en lune. Et le diable lui-même peut devenir un personnage central de l'économie alpine (Texte n° 11).


11. Le diable apprend aux paysans à foire le fromage : Un jour le diable monta à un alpage. (L'enquêteur : « Le diable ? — Gie, al giaved, oui, le diable ! ») Ils avaient là-haut toujours beaucoup de lait. On en séparait la crème, on barattait, mais on ne savait plus que faire du résidu. Le diable est apparu un jour, vêtu comme un étranger. Les paysans n'eurent pas peur de lui. Il leur demanda plein d'étonnement pourquoi ils utilisaient le lait battu seulement pour le boire ou le donner aux veaux. « Sch ins capess... si on savait, on pourrait en faire autre chose », répondirent les paysans. Alors le diable dit qu'il voulait leur montrer comment s'y prendre. Et il leur a montré, en faisant comme ci et comme ça, comment on fabrique la pâte à fromage. Et puis il est encore resté du petit-lait et le diable leur a à nouveau demandé si l'on pouvait faire quelque chose de ce qui restait ; alors ils dirent : « Bien sûr, si seulement on savait comment s'y prendre ». Alors le diable leur a montré comment on fabrique du sérac. Et puis il est resté la recuite, et le diable a alors demandé à toute cette équipe s'ils pensaient que de cette recuite on puisse encore faire quelque chose. Un paysan a répondu : « Quai é tuppandad ! Quai é aua a rest' aua ; do dad aua so ins fi nuet plé ! » ( Quelle stupidité ! C'est de l'eau et de l'eau restera toujours de l'eau ; avec de l'eau on ne peut plus rien faire). Alors le diable répondit : « Mais si. On peut encore faire quelque chose de la recuite ». Mais comme le paysan avait dit que, penser cela, c'était une stupidité et que ce n'était que de l'eau, il ajouta qu'on en resterait là et que la recuite resterait de la recuite, puisque les paysans l'avaient voulu ainsi. En fait le diable aurait encore pu leur montrer comment, avec de la recuite, on peut faire de la cire. (BÜCHLI, p. 45)


Le diable a bien sûr dans cette légende le rôle du séducteur qui pousse les hommes à être de plus en plus exigeants, mais il est intéressant de noter que son champ d'action est l'économie laitière. Il enrichit en quelque sorte le patrimoine culturel des hommes ; il apprend aux paysans à fabriquer le fromage. Mais cette légende est aussi révélatrice de leur secret désir d'utiliser totalement le lait.

Parmi les légendes spécifiques du monde alpin figure également celle du tabouret utilisé pour la traite et qui a été oublié, des bergers-fantômes et du jeune garçon qui apprend à iodler (Texte n° 12).


12. De celui qui apprit à iodler : Lorsqu'à la fin de l'été, en redescendant d'un alpage du Canton de Uri, on eut oublié là-haut un tabouret pour la traite, l'un des jeunes commis dut aller le rechercher. H n'ar¬ riva que très tard le soir à l'alpage. Et lorsqu'il pénétra dans le chalet abandonné, il y vit à son grand étonnement trois bergers assis autour de l'âtre. L'un d'entre eux occupait le tabouret qu'il devait venir chercher. Le chaudron à fromage était accroché au-dessus du feu aux flammes vives, et on lui demanda s'il voulait boire du petit-lait. Il accepta, car il pensait qu'il ne devait pas refuser ; mais en même temps la terreur le saisit. On écréma le lait et il vit, nouvel étonnement, que trois sortes de petit-lait étaient versées dans les récipients : l'un était rouge, le second blanc et le troisième noir. Il lui demandèrent duquel il voulait boire et il dit : « Le blanc ». Les trois bergers lui expliquèrent alors la signification des trois couleurs : le rouge était le lait qui avait été mal utilisé et souillé pendant l'été ; le blanc, celui que l'on avait convenablement trait et utilisé, et le noir indiquait que les bergers avaient souvent proféré des jurons sur l'alpage. Finalement ils lui demandèrent ce qu'il préférait des trois arts suivants : bien chanter, bien siffler ou bien iodler. Il demanda de savoir bien iodler. Ce vœu lui fut accordé et le lendemain matin, lorsqu'il partit, il commença à iodler ; et, à l'étonnement de tous, il savait si bien le faire que, lors de son retour, tout le monde était stupéfait de la qualité de son art. Le berger qui était à la maison brûla de curiosité et voulu apprendre lui aussi à iodler. Il monta donc aussitôt à l'alpage. Mais lorsqu'il y parvint, il fut déchiré et broyé par les trois bergers fantômes qui nécessité. lui signifièrent dans leur colère que c'était là sa punition pour être monté là-haut sans nécessité. (JECKLIN, pp. 43 sq.)


Ce dernier se voit offrir, au chalet d'alpage, du lait de différentes couleurs par un ou plusieurs esprits des Alpes : le lait rouge signifie que les bergers ont répandu du lait sans consoler les âmes du Purgatoire, le lait noir qu'ils ont en même temps profané le nom de Dieu et le lait blanc qu'ils ont, en le renversant, consolé les âmes pécheresses. Le jeune garçon ne doit pas refuser l'invitation, mais il faut qu'il choisisse la bonne variété, c'est-à-dire le lait blanc. En récompense de sa conduite juste il reçoit le don de iodler si bien que même la vache la plus farouche s'adoucit et accepte de se laisser traire par lui. Un autre berger qui aurait voulu aussi apprendre à iodler ne reviendra plus jamais de l'alpage.

De telles légendes montrent avec une netteté particulière l'importance écrasante que revêt comme centre d'intérêt et comme milieu de vie le monde de l'économie laitière et de l'élevage, sur lequel est également centrée l'activité de tous les êtres surnaturels : les esprits errants, les morts, les âmes pécheresses mais aussi les gé¬ nies. Le jeune qui apprend à iodler enrichit en fait le patrimoine culturel : il révèle aux hommes le don de la musique ou du chant. Et le ranz des vaches n'est pas une mélodie quelconque, mais le chant du berger par excellence. Le garçon est aussi le plus jeune, le plus bas dans l'échelle sociale, un personnage maladroit et un objet de dérision qui, comme dans le conte, jouit ensuite d'un succès durable. Mais surtout il est le seul à adopter l'attitude qui convient face aux puissances dangereuses.

Un autre récit représentatif du monde alpin est l'histoire de la vache consommée par des esprits nocturnes — ou tout autre groupe de fantômes — et qui ressuscite le matin. Un fromager ou un berger, témoin de cet événement, finit par participer au repas, mais le lendemain il doit constater que la bête ressuscitée est blessée à l'endroit du corps dont il a lui-même mangé le morceau (Texte n° 13).


13. Le festin nocturne : En redescendant de l'Alpe de la Vallée (à l'ouest du Glacier Durand), une vache manquait. Le berger fit demi-tour pour aller la chercher. Lorsqu'enfin il l'eut retrouvée, il alla avec elle au chalet d'alpage pour y passer la nuit. Mais à minuit il s'éveilla. Un vacarme et un tapage de plus en plus forts se firent entendre ; finalement une foule d'hommes et de femmes pénétra dans le chalet. Le berger, terrorisé, osait à peine respirer. Pendant deux ou trois heures, ce furent des danses et des cris d'allégresse, puis l'un des visiteurs dit : « J'ai faim, que pourrions-nous manger ? — Il y a là-bas une vache qui nous conviendrait très bien », s'écria un second. L'angoisse saisit le berger et il n'osa plus bouger. On abattit la vache, on la rôtit au feu et on la mangea. Pendant le repas, un troisième montra le berger et dit : « Donnez-lui donc aussi un morceau à celui-là qui est dans son lit ». On offrit au berger tremblant un morceau qu'il refusa. « Mange ou malheur à toi », lui dit-on, et il obéit. Et puis on tendit la peau de la vache, quelqu'un rassembla les os et les jeta dans la peau, la noua pour en faire un ballot et s'écria ensuite : « Rosine, lève-toi ! » La vache se leva et les esprits disparurent. Au petit matin le berger conduisit la vache au village, mais elle boitait car il lui manquait à la patte arrière le morceau qu'il avait lui-même mangé. Cependant la blessure guérit très vite. (JEGERLEHNER, p. 171)


La vache a été en fait durant des siècles un fondement essentiel de la subsistance de la population pastorale alpine. Du point de vue strictement économique elle a incarné la valeur suprême aux yeux de l'éleveur de bétail. Un élément important de cette légende est la participation au festin des esprits (tout comme dans le récit des trois « sortes de lait », (texte n° 12).

Il s'agit, selon Gotthilf Isler, d'un véritable repas de communion au cours duquel les hommes, tout comme les esprits, consomment la vache qui représente la valeur suprême. On trouve un tel repas sacré pris en communion avec la divinité dans la plus ancienne version de cette légende, dans l'Edda en prose, où l'un des boucs du dieu Thor est abattu, consommé et ressuscité de ses os.

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Mythologie :


Le Glossaire théosophique (1ère édition G.R.S. MEAD, Londres, 1892) d'Helena Petrovna Blavatsky propose plusieurs entrées relatives à la vache :


AUDUMBLA (scandin.). Le symbole de la nature dans la mythologie nordique ; la vache qui lèche le bloc de sel, d'où naît le divin Buri avant la création de l'homme. La Vache de la Création, la "Nourrisseuse" de qui coulaient quatre courants de lait qui nourrissaient le géant Ymir ou Orgelmir (matière en ébullition) et ses fils, les Hrimthurses (Géants de la Glace) avant l'apparition des dieux ou des hommes. N'ayant rien à paître, elle léchait le sel des rochers de glace et produisit ainsi Buri, le "Producteur", qui, à son tour, eut un fils, Bdr (le né) qui épousa une fille des Géants de la Glace et en eut trois fils, Odin (l'Esprit), Wili (la Volonté) et We (la Sainteté). La signification de cette allégorie est évidente. C'est l'union pré-cosmique des éléments, de l'Esprit ou Force Créatrice, de la Matière, rafraîchie et encore bouillante, qu'il forme en accord avec la Volonté universelle. Puis les Ases, "les piliers et soutiens du Monde" (Gouverneurs du Monde), entrent en scène et créent, comme le Père-de-Tout veut qu'ils le fassent.


CULTE DE LA VACHE. L'idée d'un tel "culte" est aussi fausse qu'injuste. Aucun Egyptien n'a adoré la vache, et aucun hindou n'adore maintenant cet animal, quoiqu'il soit vrai que la vache et le taureau étaient sacrés alors, comme ils le sont aujourd'hui, mais seulement comme le symbole naturel physique d'un idéal métaphysique, tout comme une église faite de briques et de mortier est sacrée pour les chrétiens civilisés à cause de ce à quoi elle est associée et non en raison de ses murs. La vache était consacrée à Isis, la Mère universelle, la Nature, et à Hathor, principe féminin de la Nature, les deux déesses étant alliées à la fois au Soleil et à la Lune, comme le prouvent le disque et les cornes (croissant) de vache. (Voir "Hathor" et "Isis"). Dans les Védas, l'Aube de la Création est représentée par une vache. Cette aube est Hathor, et le jour suivant, c'est-à-dire lorsque la Nature est déjà formée, est Isis, car toutes les deux sont une, sauf en ce qui concerne le temps. L'aînée, Hathor, est la "maîtresse des sept vaches mystiques" et Isis, la Mère Divine, est la déesse aux "cornes de vache", la vache de l'abondance (ou la Nature, la Terre), et, comme mère d'Horus (le monde physique) – la "mère de tout ce qui vit". Le outa était l'œil symbolique d'Horus, le droit étant le Soleil et le gauche la Lune. L' "œil" droit d'Horus était appelé "la vache de Hathor" et servait comme puissante amulette, comme la colombe dans un nid de rayons, ou gloire, avec ou sans la croix, est un talisman pour les Chrétiens, latins ou grecs. Le Taureau et le Lion qu'on trouve souvent en compagnie de Luc et de Marc sur le frontispice de leurs évangiles respectifs dans les textes latins et grecs, sont expliqués comme des symboles, ce qui est juste. Pourquoi ne pas admettre la même chose dans le cas des Taureaux, Vaches, Béliers et Oiseaux sacrés égyptiens ?


SURABHI (sans.). La "vache d'abondance" ; une création fabuleuse, une des quatorze choses précieuses produites par l'océan de lait lorsqu'il est baratté par les dieux. Une "vache" qui rapporte à son possesseur tout ce qu'il désire.

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Pour Myriam Phillibert, dans L'Alphabet des Arbres (2006),


"La vieille lune s'éteint, laissant la place à la nouvelle. Et l'on se doit d'évoquer Boan... Voici l'épouse du Dagda. Son nom signifie "Vache blanche". Le dieu suprême d'Irlande arrête le temps pour avoir le loisir de s'unir à cette simple mortelle. Elle met au monde, sur une pierre, un fils divin prénommé Œngus ou Mac Oc.

 

François-Joseph Onda, auteur d'une thèse intitulée Le féminin dans les paysages pré-chrétiens irlandais. (Archéologie et Préhistoire. Université Rennes 2, 2012. Français.) nous renseigne précisément sur le rapport des Celtes à cet animal sacré et notamment, son lien à la Voie lactée :


La vache comme Axis Mundi : Le lien entre le monde des hommes et le reste du cosmos est exprimé symboliquement à travers certains mythes celtes que nous allons étudier à présent, notamment ceux mettant en scène des vaches, animal qui avait une place privilégiée chez les Celtes. On les évoquera ici pour préciser une autre dimension symbolique significative de l’élément liquide, en l’occurrence l’aspect nourricier, essentiel pour des communautés dont la survie dépendait exclusivement de la nature, et plus précisément de l’agriculture.

Revenons tout d’abord sur l’un des principaux fleuves d’Irlande, la Boyne, dont le nom trouve son origine dans celui de Bόann, qui fut élevée, suite aux éléments mentionnés supra, au statut de déesse. L’étymologie de son nom souligne l’ancienne croyance selon laquelle les eaux du fleuve étaient considérées comme le lait nourricier de la vache, animal qui représentait la déesse. En effet, Patricia Monaghan précise que le nom « Bόann » est composé d’une première syllabe « bό » qui signifie « vache » en gaélique, tandis que la seconde signifie à la fois « blanche », « illuminée », « brillante », « sacré » et « sage ». Les différentes acceptions de ce dernier terme mettent l’accent sur des aspects différents du fleuve et de la déesse éponyme, ainsi que sur la façon dont les Celtes considéraient la Boyne. Cette vision met en relief l’aspect nourricier du fleuve, qui est attesté par l’étymologie même du nom. En effet, le fait que le terme « vache » soit présent dans le nom de la déesse, et par conséquent dans celui du fleuve, appelé abhann bό Finn en gaélique, est tout particulièrement chargé de sens. La vache était considérée comme un puissant symbole de maternité, d’abondance, de fertilité et de prospérité. C’est également un animal indissociable de l’aspect nourricier, car le lait qu’elle produit était un élément central à la survie des hommes.

De nombreux mythes mettent en scène des vaches extraordinaires, comme par exemple celui de la vache blanche appelée « The Maol Flidais » relatée dans Táin Bó Flidais ou « The Cattle Raid of Flidais » (La razzia des vaches de Flidais), dont le nom signifie « The hummel/hornless cow of Flidais » (« La vache sans cornes de Flidais »), déesse de la fertilité et de l’abondance appartenant à la tribu des Tuatha Dé Danann. D’après le mythe, cette vache était capable de nourrir plus de trois cents hommes tous les soirs, rien qu’avec son propre lait : cette particularité illustre l’idée d’abondance attachée à la vache. La même idée est également illustrée dans le mythe de Glas Ghaibhleann – dont le nom signifie littéralement « La vache blanche de Goibhniu », qui était lui-même une divinité solaire souvent présenté dans les mythes comme le forgeron des Tuatha Dé Danann. Patricia Monaghan précise que l’animal était également tellement robuste qu’il pouvait parcourir trois des cinq provinces de l’Irlande en un seul jour et ce faisant, il donnait du lait à quiconque en avait besoin, remplissant tous les récipients que les hommes lui apportaient.

On peut établir un lien entre la course de la vache à travers le pays et les méandres du fleuve à travers l’Irlande. En souvenir de ce mythe, de nombreux lieux à travers l’île incluent le terme « Glas » qui rappellent la vache blanche de Goibhniu, comme par exemple Glaslough (« Le lac de la vache blanche ») dans le comté de Monaghan ; Tober na Glaise (« Le puits de la vache blanche ») sur l’île d’Inisbofin, dont le nom signifie lui-même « L’île de la vache blanche », située à l’ouest de l’Irlande ou encore Port na Glaise (« Le port de la vache blanche ») sur l’île de Tory, pour rappeler ses pérégrinations à travers l’île. Toujours selon Patricia Monaghan, la vache est une image ancienne associée à la terre d’Irlande même, qui est parfois appelée « The Faithful Brown White-Backed Cow » (« La fidèle vache brune au dos blanc »). Le fait que le surnom de l’Irlande inclue le terme « vache » vient renforcer l’image de la déesse-mère qui a, elle aussi, entre autres rôles, celui de veiller à la prospérité et au bien-être de ses enfants, en leur prodiguant de la nourriture en abondance. Le lait est un symbole particulièrement fort, dans la mesure où il constitue le premier breuvage de tout mammifère, y compris de l’homme. Cette première nourriture contient donc potentiellement toutes les autres. De plus, le lait de la vache divine est aussi symbole de connaissance suprême. En effet, s’abreuver du lait de la vache, qui est l’une des formes que revêt la déesse-mère, donne aux hommes l’accès à la connaissance de celle-ci, au même titre que l’eau des puits sacrés, qui sont à l’origine de certains fleuves ou lacs. Patricia Monaghan ajoute aussi que plusieurs manuscrits (sans toutefois préciser lesquels) rapportant cet épisode font apparaître un détail significatif : partout où la vache pose son sabot, l’herbe pousse plus verte, plus tendre et ainsi les fermiers s’enrichissent à son passage, ce qui souligne métaphoriquement les vertus de la déesse-mère.

Les Celtes projetaient leurs croyances sur l’environnement terrestre, mais ils les projetaient aussi sur leur environnement cosmique. Ceci se retrouve dans le nom gaélique qu’ils avaient donné à la Voie Lactée (bóthar/bealach na Bó Finne). Il contient le nom même de la vache magique Bó Finn que l’on retrouve dans le mythe cosmogonique qui sera étudié ultérieurement et fait référence à la fois à la Boyne et à la déesse éponyme, Bóann. Ceci montre que les Celtes voyaient le monde cosmique comme un prolongement de leur monde terrestre, et inversement. Ainsi la Voie Lactée, qui est nommée « The Way of the Illuminated Cow » (« La voie de la vache illuminée »), suggère une assimilation entre le céleste et le terrestre. Elle apparaît comme le pendant de la Boyne qui elle, retrace la course de la fuite de Bóann devant les eaux déchaînées du puits de Ségais, comme vu supra. Les Celtes pensaient vraisemblablement que la Boyne coulait du ciel vers la terre. Peut-être avaient-ils conçu cette croyance de façon empirique, basée sur la contemplation de la réflexion de la Voie Lactée sur les eaux du fleuve. Le mythe rapporté par Anthony Murphy et Richard Moore dans Island of the Setting Sun, In Search of Ireland’s Ancient Astronomers, présente la Voie Lactée comme une giclée de lait laissée par la vache magique/lunaire Bó Finn. Ce récit met clairement en évidence le lien que les premiers hommes établissaient entre l’univers céleste et l’univers terrestre. Il constitue un exemple éloquent de ce que Mircea Eliade appelle un Axis Mundi, c’est-à-dire, rappelons-le, un lieu où communiquent les trois niveaux cosmiques, à savoir le monde céleste, la terre des hommes et le monde inférieur (ou « The Underworld ») qui constituent un tout indissociable.

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Citons un autre récit fondateur de la mythologie pré-chrétienne irlandaise qui met en scène les vaches Bό Finn (« La vache blanche »), Bό Ruadh (« La vache rouge »), et Bό Dubh (« La vache noire ») afin d’illustrer le symbolisme fondamental de l’océan comme source de vie. En effet, toutes trois ont émergé de l’Océan Atlantique, comme mises au monde par lui. Selon ce mythe, ces trois vaches étaient pourvues d’imposantes cornes, et une fois sorties de l’eau, chacune d’entre elles se dirigea vers une partie différente de l’Irlande, laissant sur son passage une terre riche et féconde aux habitants : la rouge vers le nord, la noire vers le sud et la blanche vers le centre, où cette dernière donna naissance aux deux veaux dont tout le bétail d’Irlande est issu, assurant ainsi une source inépuisable de subsistance (qu’il s’agisse de lait, de viande ou encore d’engrais pour fertiliser les terres).

Ce mythe est particulièrement riche d’enseignements symboliques. Tout d’abord, le fait que les trois vaches surgissent de l’eau, suggère d’emblée leur appartenance à « The Underworld » (ou « The Otherworld », l’Autre Monde), terme dont la première partie, under, met l’accent sur le fait qu’elles ont émergé de l’océan (1). D’autre part, nous pouvons assimiler l’eau de la mer à l’eau de la mère, à savoir le liquide amniotique. Vu sous cet angle, toutes trois apparaissent donc comme des embryons émergeant d’eaux abyssales, qui recèlent un capital de vie. Ici encore, l’eau de la mer ou de l’océan est à la fois l’origine et le véhicule de toute vie.

Examinons à présent un autre élément de la symbolique de ce mythe, à savoir la couleur des vaches. Elle est très significative : le blanc, le rouge et le noir de leurs robes attirent l’attention sur la dimension magique de ces créatures, étant donné que dans la culture celte, ces couleurs sont généralement associées à l’Autre Monde et à la déesse-mère. En effet, le noir de la robe de Bό Dubh renvoie à la symbolique traditionnelle de la substance universelle et au chaos originel des eaux inférieures d’où naît la vie. Dans ce mythe, l’émergence de la vache noire de l’océan représente le mystère vital caché dans les profondeurs sombres des océans. Il rappelle aussi la noirceur des eaux abyssales desquelles les trois vaches émergent, en un mouvement qui évoque une naissance, autrement dit, la fin de l’obscurité qui correspond au temps de gestation. Le rouge de la robe de Bό Ruadh évoque quant à lui le sang (le sang menstruel et celui de la naissance) qui symbolise la force vitale, le jaillissement de la vie et son mystère. Enfin, le blanc de la robe de Bό Finn fait référence aux changements qu’elle va opérer sur la terre d’Irlande. La couleur blanche, celle de l’aube, correspond à un moment d’absence de toute couleur qui peut être rapproché du moment liminaire d’avant l’arrivée de la vie : le mythe explique que la lignée des veaux issue de Bό Finn assurera désormais la survie des hommes et la prospérité du pays.

L’analyse symbolique des couleurs des trois vaches permet une interprétation cohérente du mythe mais si l’on envisage les autres traductions possibles du terme finn, on peut voir dans Bó Finn l’image de la déesse-mère. En effet, finn peut également être traduit par des termes tels que « brillant » et « rayonnant » car dans la plupart des cas, comme le précise Patricia Monaghan, le terme en question fait davantage référence à la qualité de la lumière qu’à une absence de couleur. L’association des qualificatifs utilisés dans les Dindshenchas pour décrire la déesse Bóann (« White bright Boand ») nous conforte dans cette précision de terminologie, en insistant sur l’une des caractéristiques associées à la couleur blanche. Ce terme se rencontre le plus souvent dans le nom des divinités celtiques faisant donc davantage référence à leur caractéristique et à leur influence qu’à leur apparence. Envisagée de cette façon, Bó Finn ne serait pas simplement « la vache blanche » mais plutôt « la vache blafarde », ce qui fait référence à la lune, astre céleste féminin par excellence. Le terme « blafarde » nous semble le plus approprié et ce, en dépit d’une connotation a priori négative, car il tient compte de la qualité particulière de la lumière de la lune, couramment qualifiée de blafarde.

L’association du nom de la déesse-vache, de l’hydronyme (la Boyne), et de l’astre lunaire semble justifiée par le fait qu’ils portent tous une forte empreinte féminine. En effet, le cycle féminin de la menstruation, intimement lié à la procréation, semble renvoyer à celui de la lune qui, lorsqu’elle est pleine, est le symbole de la femme féconde. Par voie de conséquence, ceci confère aux eaux terrestres une dimension féminine qui renvoie à l’image et au rôle de la déesse-mère. De plus, le mythe relaté par Patricia Monaghan qui met en scène Goibhniu (divinité solaire) et sa vache Glas Ghaibhleann (figure associée à la lune) démontre le lien intime qui existe entre les deux astres, c’est-à-dire entre les deux pôles féminin et masculin. Le symbolisme de chacun des astres ne prend tout son sens que lorsqu’il est en relation avec l’autre. En effet, la lune ne brille pas de sa propre umière mais reflète simplement celle du soleil : elle est littéralement « illuminée » par ce dernier comme le montre bien la traduction anglaise « illuminated ». Ceci justifie notre choix de traduction du terme Bó Finn par « la vache blafarde ». Bien que les irlandais pré-chrétiens n’aient pas eu la connaissance scientifique susceptible d’expliquer le mouvement des planètes, l’interaction entre les différents astres et le phénomène d’ombre, de lumière, de réflextion de lumière et de l’alternance du jour et de la nuit, il leur était cependant possible de percevoir de façon empirique l’essentiel de ces phénomènes.

La complémentarité féminin/masculin est indispensable quand il s’agit de fécondité et de procréation. Les différentes phases de la lune, ainsi que le mois sidéral d’une durée d’environ vingt-huit jours, rappellent également le cycle menstruel féminin (que l’on retrouve dans le rouge de Bó Ruadh) et de ce fait, la lune et la femme symbolisent toutes deux la périodicité et la régénérescence. L’aspect cyclique se retrouve également dans la ronde des saisons et le renouvellement de la nature. Du fait de ce fonctionnement cyclique, la lune, la nature et la femme changent perpétuellement d’aspect : la lune passe par différentes phases au cours du cycle, la nature se métamorphose de saison en saison de même que la femme au cours de la grossesse. La lune est ainsi le symbole des rythmes biologiques. De plus, elle apparaît comme passive et réceptive, car elle réfléchit la lumière émanant du soleil, tout comme la femme reçoit la semence de l’homme pour que la vie apparaisse. Le réseau d’images associées au féminin découle ainsi des similitudes que les Celtes remarquaient entre la femme, la lune et la nature.

L’analyse de Bó Finn que nous venons de proposer fait ressortir le « symbolisme [qui] relie entre eux la lune, les eaux, la pluie, la fécondité des femmes, celle des animaux, la végétation [et] le destin de l’homme » qui peut également s’appliquer à Bóann (et donc à la Boyne) du fait de son étymologie. Ceci confirme les différents aspects de la déesse : celui de déesse-mère, de déesse de la Boyne et de déesse-vache, mais aussi comme une déesse lunaire. La forme des cornes de la vache et celle du croissant de lune renforce encore les similitudes (voire l’identification) entre Bó Finn et Bóann. Gaël Hily conforte ce rapprochement par les propos suivants :


En histoire des religions, il existe une homologie fréquente entre la déesse et la vache, qui se fonde sur le fait que toutes deux dispensent la vie. En tant que donneuse de lait, la vache incarne ce principe maternel qui nourrit le monde. Chez les Celtes anciens, plusieurs déesses nourricières ont justement un nom construit sur celui de la “vache”, comme la divinité irlandaise Bóinn ou Böand qui s’explique par un *bow-winda “Vache Blanche”, que nous retrouvons chez Ptolémée avec βουουινδα.

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L’introduction de bovidés dans des mythes visant à expliquer l’origine de la société constitue une démarche compréhensible pour un peuple insulaire venu d’ailleurs et désireux d’expliquer et de comprendre ses origines. En faisant jaillir de l’océan les premiers bovidés qui ont donné naissance au bétail de l’île, le mythe permet de répondre à la question de l’origine de sa première implantation en Irlande de façon à la fois imprécise et exacte car le bétail est venu, tout comme le peuple, d’au-delà des mers.

De plus, si l’on se penche à nouveau sur la signification du mythe qui figure les trois vaches magiques (aspect tripliqué zoomorphe de la déesse), et que l’on met en corrélation la symbolique des couleurs des robes des trois vaches magiques et la théorie de Georges Dumézil concernant l’organisation tripartite de la société, alors on peut considérer aussi l’émergence des trois vaches comme celle, symbolique, des trois classes constitutives de la société celte. En effet, la première classe, qui a une fonction sacerdotale et qui est en rapport avec le sacré, est représentée par Bό Finn (« La vache blanche »), la deuxième, qui a une fonction guerrière et qui est liée à la défense du peuple, est représentée par Bό Ruadh (« La vache rouge »), enfin la troisième, qui a une fonction nourricière et qui se rapporte à la fécondité, est représentée par Bό Dubh (« La vache noire »). On peut avancer que leur émergence simultanée des eaux abyssales représente l’harmonie indispensable entre les trois classes de la société dont l’unité était garante de la productivité de la terre et de la prospérité du groupe, conditions sine qua non pour assurer la naissance et le maintient de la vie.

[...]

La transformation de la graine en plante représente le processus de régénérescence et on peut émettre l’hypothèse que les Celtes ont représenté par la figure de Cailleach ce qui semble avoir été la croyance des bâtisseurs : les os ou les cendres des défunts portaient vraisemblablement en eux le germe d’une vie nouvelle, à laquelle ils pouvaient accéder en réunissant symboliquement les éléments indispensables à la germination. Nous pouvons ainsi rapprocher le processus symbolique qui se déroule au sein du monument au cycle naturel représenté par la déesse, puisque tous les éléments nécessaires au renouveau y sont présents : la terre (la tombe), l’eau (le quartz), les graines (les os et/ou les cendres) ainsi que le soleil (qui peut interagir avec les autres éléments en pénétrant par les couloirs).


Note : 1) Selon les propos de Françoise LE ROUX et Christian-Joseph GUYONVARC’H, « l’Irlande a situé ou localisé [l’Autre Monde] à trois niveaux : par delà la mer, à l’ouest ; sous la mer ou au fond des lacs ; dans des collines et sous des tertres » (La civilisation celtique, p.122

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Littérature :


Dans ses Histoires naturelles (1874), Jules Renard brosse des portraits étonnants des animaux que nous connaissons bien :

La Vache


Las de chercher, on a fini par ne pas lui donner de nom. Elle s'appelle simplement " la vache " et c'est le nom qui lui va le mieux. D'ailleurs, qu'importe, pourvu qu'elle mange ! Or, l'herbe fraîche, le foin sec, les légumes, le grain et même le pain et le sel, elle a tout à discrétion, et elle mange de tout, tout le temps, deux fois, puisqu'elle rumine. Dès qu'elle m'a vu, elle accourt d'un petit pas léger, en sabots fendus, la peau bien tirée sur ses pattes comme un bas blanc, elle arrive certaine que j'apporte quelque chose qui se mange. Et l'admirant chaque fois, je ne peux que lui dire : " Tiens, mange ! " Mais de ce qu'elle absorbe elle fait du lait et non de la graisse. A heure fixe, elle offre son pis plein et carré. Elle ne retient pas le lait, - il y a des vaches qui le retiennent, généreusement, par ses quatre trayons élastiques, à peine pressés, elle vide sa fontaine. Elle ne remue ni le pied, ni la queue, mais de sa langue énorme et souple, elle s'amuse à lécher le dos de la servante. Quoiqu'elle vive seule, l'appétit l'empêche de s'ennuyer. Il est rare qu'elle beugle de regret au souvenir vague de son dernier veau. Mais elle aime les visites, accueillante avec ses cornes relevées sur le front, et ses lèvres affriandées d'où pendent un fil d'eau et un brin d'herbe. Les hommes, qui ne craignent rien, flattent son ventre débordant ; les femmes, étonnées qu'une si grosse bête soit si douce, ne se défient plus que de ses caresses et font des rêves de bonheur. Elle aime que je la gratte entre les cornes. Je recule un peu, parce qu'elle s'approche de plaisir, et la bonne grosse bête se laisse faire, jusqu'à ce que j'aie mis le pied dans sa bouse.

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J.M.G. Le Clézio, propose une analogie intéressante dans L'Extase matérielle (1967) :


"les siècles et les siècles qui avancent, pareils à des vaches guidées, aux cornes et aux mufles semblables."

 

"Vache"


On ne mène pas la vache À la verdure rase et sèche, À la verdure sans caresses.

L’herbe qui la reçoit Doit être douce comme un fil de soie, Un fil de soie doux comme un fil de lait.

Mère ignorée, Pour les enfants, ce n’est pas le déjeuner, Mais le lait sur l’herbe

L’herbe devant la vache, L’enfant devant le lait.

Paul Eluard, Les Animaux et leurs hommes, Les hommes et leurs animaux, 1920

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Yves Paccalet, dans son magnifique "Journal de nature" intitulé L'Odeur du soleil dans l'herbe (Éditions Robert Laffont S. A., 1992) s'interroge sur les mystères de la vache :

17 juillet

(Fontaine-la-Verte)


La vache rumine. Race Holstein... J'essaie d'imaginer par mon ventre les sensations qu'elle éprouve. Comment perçoit-elle la remontée des aliments dans sa bouche ? Goûte-t-elle deux fois la verdeur acidulée de l'herbe, ou jouit-elle d'une seconde dégustation plus sucrée, plus capiteuse ? A-t-elle une conscience interne (proprioceptive) des poches de son estomac ? Lui arrive-t-il, en avalant de travers, de faire tomber dans la caillette ce qui était promis au bonnet ?

La vache est un sphinx qui parle en se tordant la bouche. Elle détient des secrets extrêmes, qu'elle explore du bout de la langue dans les trous de son nez. Son regard idiot est une ruse de la vie. Qui devient vache accède à la Connaissance.

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Dans La Citrouille a besoin de vous (Anatolia Editions, 1994 pour la traduction française) P. G. Wodehouse dépeint un Lord anglais dont la tête est constamment dans les nuages :


- Milord ?

- Je me suis fait rouler. Ce fichu engin ne marche pas.

- Monsieur le comte n'y voit pas bien ?

- Je n'y vois rien du tout, parbleu ! c'est le noir complet.

Le majordome était un homme observateur.

" Peut-être que si j'ôtais le capuchon qui couvre l'extrémité de la lunette, milord, il serait possible d'obtenir de meilleurs résultats.

- Hein ? Le capuchon ? Il y a un capuchon ? C'est ma foi vrai. Enlevez-moi ça, Beach.

- Fort bien, milord.

- Ah !"

La voix de lord Emsworth dénotait à présent une vive satisfaction. Il tournicota et ajusta différentes parties de l'appareil, et la satisfaction se fit plus intense.

"Oui. Voilà qui est beaucoup mieux. Voilà qui est parfait. Beach, je vois une vache.

- Vraiment, milord ?

- Là-bas, dans la prairie qui borde le lac. C'est remarquable. On dirait qu'elle est à deux pas. Très bien, Beach. Je n'ai plus besoin de vous. [...]

Assez vite, l'attrait qu'exerçait la vache commença à faiblir. Physiquement parlant, c'était un fort beau spécimen, mais comme tant de ses congénères, elle était incapable de soutenir l'intérêt dramatique. Au bout d'un moment, lassé de la regarder ruminer, ses deux yeux vitreux perdus dans le vague, lord Emsworth décida de faire pivoter son appareil dans l'espoir de tomber sur quelque chose d'un peu plus excitant.

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Dans son roman policier Sous les Vents de Neptune (Éditions Viviane Hamy, 2004), Fred Vargas modernise le concept nourricier associé à la vache :


« Adamsberg croisa Violette Retancourt au distributeur à café. Il resta en recul, attendant que le plus solide de ses lieutenants ait tiré son verre des mamelles de la machine – car, dans l'esprit du commissaire, l'appareil à boissons évoquait une vache nourricière lovée dans les bureaux de la Criminelle, comme une mère silencieuse veillant sur eux, et c'est pour cela qu'il l'aimait. Mais Retancourt s'éclipsa dès qu'elle le vit. Décidément, songea Adamsberg en disposant un gobelet sous le pis du distributeur ce jour ne lui était pas favorable. »

 

Si les vaches partaient en vacances

elles iraient voir le Mont-Blanc

et visiteraient Paris la Tour Eiffel et le Moulin-Rouge

ou peut-être diraient :

Non, nous sommes si bien

à regarder les boutons d’or.

Les vacances c’est pour les hommes.

Nous ne voulons rien que le ciel

et un coin d’herbe

pour abriter nos yeux.


Dominique CAGNARD, Une vache dans ma chambre, Møtus, 2008.

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Dans L'Armée furieuse (Éditions Viviane Hamy, 2011) de Fred Vargas, le commissaire Adamsberg entraîne à sa suite en Normandie son fils Zerk, récemment découvert et organise la cavale de Mo, un petit délinquant pris au piège :


- [...] Autour, les champs sont peints avec toutes les nuances de vert, et sur ce vert, on a posé des quantités de vaches immobiles. Je n'ai pas vu une seule vache y bouger. Je me demande pourquoi.

- C'est parce qu'il faut les regarder longtemps.

- Sûrement. [...]

- C'est joli, dit Mo, qui n'avait vu la campagne qu'une seule fois dans sa vie et très rapidement, et jamais la mer. Je peux voir des arbres, le ciel et les champs. Merde, dit-il subitement, ce sont des vaches ? Là ? ajouta-t-il en se collant à la vitre.

- Recule, Mo, éloigne-toi de la fenêtre. Oui, ce sont des vaches.

- Merde.

- Tu n'en avais jamais vu ?

- Jamais en vrai.

-Tu vas avoir tout le temps de les regarder, et même de les voir se déplacer. Mais reste à un mètre en arrière des fenêtres.

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    it."

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