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La Forêt des Carnutes

  • Photo du rédacteur: Anne
    Anne
  • 21 sept.
  • 18 min de lecture

Dernière mise à jour : 9 nov.



En préparation du stage chamanique de l'équinoxe de printemps, en forêt de Combreux....



Étymologie :


Stéphane Gendron, auteur d'un article intitulé "L'influence de la batellerie ligérienne sur la microtoponymie du Centre." (in : Actes des colloques de la Société française d'onomastique, 1998, vol. 9, no 1, pp. 101-125) relie l'origine du nom de Combreux à l'activité de la pêche :


COMBRE (n. f.), du m fr. combres “pieux, barrages, plantations d’engins fixes, dans le lit des rivières, destinés à arrêter et retenir le poisson, à protéger les rives, à fixer les alluvions" (FEW 2/2, 938a ; JEANSON 1 ,536). NL : Combres. f. Verneuil-sur-lndre (37) attesté en 1626, le ruisseau de Combres l’étant en 1376 et 1422, Combreux corn, du cant, de Châteauneuf-sur-Loire (45), Combrosius au IXe siècle, sur l’adjectif combrosus.

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Toponymie :


Selon Paul Domet, auteur d'une Histoire de la forêt d'Orléans. (Éditions H. Herluison, 1892) :


Noms. Le plus ancien nom connu qu'ait porté la forêt d'Orléans est, suivant M. Cuissard, celui de Leudica, qui remonte à un capitulaire de 854.

Au Xe siècle, dans les diplômes de Hugues et de Robert, on trouve Leodia, Leodica, Leodiga Sylva.

Dès les premières années du XIe siècle, ce nom s'écrase, et une lettre de Fulbert, évêque de Chartres, nomme la forêt Legium ; au XIIe siècle, c'est Logium ; au XIIIe, on disait Foresta Lagii ou simplement Lagium, Ligium, Logium ; en français : la forêt dou Laige ou dou Loige, puis des Loges , parfois la Loge.

Un certain nombre des villages situés dans les parages de la forêt portent, d'ancienneté, l'affixe au Loge ou aux Loges : Choisy ou Soisy-aux-Loges ; Courcy-aux-Loges, Corciacus, Corciacum ; Fay-aux-Loges, Fagatum, Fagetum ; Neuville-aux-Loges ; maintenant aux-Bois ; Novus Vicus, nova Villa ad Logium ; Ouzouer-aux-Loges, maintenant sous-Bellegarde ; Varennes-aux-Leges ; Vitry-aux-Loges, Vitrioria, Victriacum imbrieria, Viiriacum, Victoriacum.

[...]

Quoi qu'il en soit, ce vieux nom tombe tout à fait en désuétude vers la fin du XIVe siècle et ne paraît plus que de loin en loin, au XVe.

Il est remplacé, dès 1156, dans des lettres-patentes de Louis-le-Jeune, par nemoribus nostris Aurelianis ; dans d'autres, de Philippe-le-Bel, de 1292, par in foresta nostra Aurelianensi, mot qui devient, successivement : Orliens, Orlians ; enfin, au XIVe siècle, Orléans.

La forêt avait pris le nom de la ville.

Vitry-aux-loges : Sens du toponyme : domaine gallo-romain (suffixe -acum) appartenant à Victorius.


Sury-aux-bois : Ce patronyme [Sury] porté par 240 foyers en France nous renvoie vers un ancien nom de localité d’origine, comme Sury, Ardennes (dénommée Suiry au XIIIe siècle) d’après le nom de son fondateur, le colon romain Sirius. Il nous oriente aussi vers Sury-ès-Bois, Cher (dénommée Sariacum, au milieu du XIIe siècle) « ancien domaine du germain Saro » ; à rapprocher de plusieurs noms de lieux-dits et de localités « Sury » Cher, Côte-d’Or, Loire, Loiret, Nièvre, Puy-de-Dôme, Bas-Rhin, Saône-et-Loire, Haute-Vienne, etc.


Le premier nom de Sury-aux-Bois « Suriacus » apparaît à la fin de la conquête de la Gaule par Jules César. Le légionnaire romain Surius reçoit en récompense le territoire et y construit sa villa romaine sur un tertre entouré de larges fossés. Cette villa prend le nom de « Suriacus in Bosco » c’est à dire « propriété de Surius dans les bois ». L’évangélisation de cette clairière en forêt d’Orléans pourrait être venue de Pithiviers, dont le patron saint Georges, commun aux deux églises, est très populaire en Palestine et en Syrie.

(dépliant Sury-aux-Bois)

Seichebrières : Il suffit de remarquer d'ailleurs que cette épithète aux bois ne date d'une époque ancienne qu'exceptionnellement ; presque partout elle remonte à peine au seizième siècle ; lorsque Neuville, par exemple, a abandonné son vieux nom de Neuville-au-Loge qu'elle portait encore au dix-septième siècle, pour s'appeler Neuville-aux-Bois, cette ville ne se trouvait certainement pas beaucoup plus rapprochée de la forêt que maintenant, tandis que certains villages qui de tout temps ont été et qui sont encore englobés dans la forêt, tels que Seichebrières n'ont jamais porté aucun qualificatif de ce genre, quoiqu'il leur convînt parfaitement.

[...]

Une des chroniques qui nous rapportent la mort du roi Henri Ier cite, comme théâtre de ce tragique événement, un lieu dit « Victriacum in Brieria. » D'autres textes, notamment l'Obituaire de Saint-Benoît, répètent aussi le nom de Victriacum, mais sans qualificatif. Les historiens n'ont pas manqué de lire Victriacum in Bieria et de faire mourir le roi Henri dans la forêt de Fontainebleau qui n'a jamais possédé l'ombre d'un Vitry. Notre savant maître, M. Quicherat, a relevé cette erreur avec une grande force d'argumentation, et prouvé qu'il s'agissait ici de Vitry, près d'Orléans. Reste à expliquer le qualificatif « in Brieria » et, là, gît la difficulté principale. M. Quicherat ne serait pas éloigné d'admettre que la forêt tout entière, ou au moins la garde de Vitry se serait appelée au onzième siècle forêt de la Brière. Le nom même de l'auteur de cette conjecture avertit de l'autorité qu'elle peut prétendre, bien que nous n'ayons point jusqu'à présent trouvé de texte précis à son appui. Peut-être même suffirait-il de traduire in brieria par ces mots « dans la bruyère, aux bruyères... Vitry-aux-Bruyères. » Il est certain qu'en effet la végétation de genêts et de bruyères a dû former de tout temps un des signes caractéristiques de ce pays et que plusieurs noms tel que Seichebrières, la Petite-Brière, en ont gardé le souvenir.


(René Maulde-La-Clavière, Etude sur la condition forestière de l'Orléanais au moyen âge et à la renaissance. (Éditions Herluison, 1871).


Les parties marécageuses des forêts de l'ouest de la France furent autrefois désignées sous le nom de brières. [...]

Différentes brières de l'Ouest ont formé les noms propres de plusieurs localités avoisinantes, Brières-les-Scellés, Seichebrières, Saint-Mars-la-Brière.


(Edouard Peiffer, Légende territoriale de la France pour servir à la lecture des cartes topographiques.

Delagrave, 1877.)

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Paul Aebischer, auteur d'un article intitulé "Les origines du nom de « Liège »". (In : Revue belge de Philologie et d'Histoire, 1957, vol. 35, no 3, pp. 643-682) revient sur le nom originel de la forêt d'Orléans, qui pourrait être la personnification d'une déesse Leodica :


Avec infiniment de raison, Jullian a dit que, chez les Gaulois, parmi les divinités locales « les plus nombreuses et les plus populaires étaient les eaux courantes : sources, fontaines, ruisseaux et fleuves », et que « chaque canton se figurait à sa manière l'Esprit de sa source », qu'il était homme pour les uns et femme pour les autres, que tantôt il ressemblait à une matrone, tantôt à un jeune lutin et tantôt à un vieux génie, tantôt encore à une déesse accorte ou au contraire à une mère nourrice, grave et paisible ». Et les Maires, Matrae ou Matronae étaient si révérées, en pays gaulois, que ces noms se retrouvent tels quels dans nombre d'hydronymes (··). Rien d'impossible donc — au contraire — que le respect et la reconnaissance d'Albanus s'adressassent à des déesses qu'il connaissait bien, et qui se concrétisaient dans un ruisseau qui lui était familier, la Leudia.

[...]

Mais alors, et le « Leodie... silva », la Forêt d'Orléans de 990, et la « sylvae Leodige » de 991, qu'en fait-on? Étant donné que ce Leodica a aboutit à Loge, il est probable que l'évolution phonétique du nom a été légèrement différente de celle de Leudicum* Liège. Tandis que dans ce dernier cas Leu- a passé à Leo-, et que la diphtongue s'est maintenue, dans celui de la forêt de Loge on aura eu, ou bien un passage ancien de Leudicum à Laudicum, où le -au- aura abouti à -o-, ou bien, si l'on admet que les graphies de 990 et de 991 reflétaient de très près la prononciation du temps, une assimilation de Leo- à Loo-. Évidemment, ce Leudicum de l'Orléanais a toutes les chances d'être lui aussi dérivé d'un nom simple, d'un hydronyme peut-être, Leudia, Laudia qui aurait dû donner Luye comme ροdium a donné pui, ou inodiare, ennuyer. Mais, malgré mes recherches, — il n'existe pas, hélas, de dictionnaire topographique du Loiret, — je n'ai pas rencontré de nom de cours d'eau de ce genre, là où s'étendait la Forêt d'Orléans. Tout au plus puis-je mentionner un ruisseau, la Laye, qui a sa source à l'orée nord de la forêt, près de Neuville-aux-Bois, et qui se jette dans l'Œuf près d'Escrennes. Sans doute la forme moderne ne peut-elle remonter au *Leudia que nous postulons. Quelles étaient les formes anciennes de cet hydronyme ? Je ne sais, et je laisse la solution de ce problème aux érudits d'Orléans. Quoi qu'il en soit, du reste, l'existence du Leudicum Orléanais suffit à montrer qu'on ne saurait songer à une base germanique, une fois qu'on a fait bonne justice du fameux adjectif leodicus « appartenant au fisc royal », et qu'il faut s'adresser au gaulois qui, lui, va nous fournir un étymon bien plus satisfaisant et bien plus simple.

Deux chercheurs déjà, d'ailleurs, ont songé à expliquer Leodicum « Liège » par le celtique. Le premier a été Fabry-Rossius qui, conformément à l'habitude de son temps, a fait appel au bas-breton. Partant de l'idée, qui est aussi la nôtre, que le toponyme Liège tire son nom de celui de la Légia, il rapproche ce dernier du « celtique armoricain » leic'h, mot plus précisément vannetais, qui signifie « humide, moite », d'où la conclusion que « Légia doit être interprété par arrosant ». Le second a été M. Schreurs qui, dans sa récente étude sur Liège et Légia, propose de partir d'un thème brittonique lovo, qui exprime une idée de clarté, de lumière et qui, dans les composés, se contracterait en lou- et leu-. Si l'on ajoute à ce thème le suffixe -d-, on aboutit à loudia, *leudia « lumineuse », qualificatif qui pouvait fort bien s'appliquer au filet d'eau claire qui descendait des hauteurs d'Ans. Hypothèse ingénieuse, provoquée en partie, j'imagine, par la ligne consacrée par Holder à un lovo- « lumière » et à la forme Leucamulus pour Leu[co]camulus, mais qui n'a pas de base solide : s'il existe bien un radical indoeuropéen leuk-, d'où louko-, luko- « brillant », louko- « éclairage », leukos- « lumière », il n'y a pas trace de formes contractes en lou-, leu-, ni d'allongement de cette dernière en -d-.

La simple logique conseille de se garder des reconstructions arbitraires, si tentantes qu'elles soient, lorsqu'il existe une possibilité scientifiquement acceptable d'expliquer le nom, le mot dont on veut préciser l'étymologie. Or l'indo-européen connaissait une racine pieu-« couler » (et « chevaucher »), « nager ; voler, flotter », qui est sans doute un développement du thème pel — « couler, nager ». Racine qui a été allongée — nous retrouvons l'allongement postulé par M. Schreurs — par le moyen de -d-, d'où pieu-d-, qui a été connu dans presque toute la partie occidentale du domaine indo-européen, le lithuanien, le letton, le germanique, le celtique. Dans ce dernier groupe, la présence de pleu-d- est attestée par l'ancien irlandais im-lûadi « exagitat », imluad « agitatio », lûaid « agiter, rappeler, s'exprimer », d'où le moyen irlandais loscann « grenouille », mot à mot « sauteuse ». Formes irlandaises qui s'expliquent le plus aisément du monde en partant de cette base pleu-d-, puisque c'est un phénomène bien connu que les langues celtiques font disparaître le p- initial indo-européen et que, par conséquent, dans ce groupe linguistique, notre pleu-d- doit aboutir à leud-. Inutile même d'ajouter que le sens de notre racine « couler, s'écouler » convient parfaitement à un cours d'eau : notre *Leudia serait donc « la coulante, l'eau courante ».

[...]

Gaulois donc, Belge si l'on veut, le qualificatif de Leudinae appliqué aux matronae, aux nymphes de la *Leudia.

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Selon Jacques Lacroix, auteur de "Les toponymes d’origine gauloise à sens sacré et les découvertes archéologiques de sanctuaires." (In : L’Onomastique au carrefour des sciences humaines. Actes du Colloque d’onomastique de Lyon (octobre 2001) Paris : Société française d'onomastique, 2004. pp. 159-176. (Actes des colloques de la Société française d'onomastique, 11) :


À partir du moment, aussi, où les archéologues ont découvert par des fouilles, en 1972-1973, un sanctuaire des eaux à Sceaux-du-Gâtinais (dans le Loiret), et qu’ils ont retrouvé, dans un bassin des eaux sacrées, un disque en marbre portant inscription à la deae Segetae, on a pu relier le théonyme au nom du lieu, et conclure que la localité en tirait son appellation (G.-C. Picard, 1974, p. 304 ; C. Bourgeois, 1992, p. 178-181 ; L Fauduet, 1992, p. 200). Avant cette date, des étymologistes pensaient pouvoir expliquer le nom de SCEAUX comme la "Terre-de-Sedatus" (anthroponyme voire théonyme gaulois). La solution figure encore dans la Toponymie générale de la France d’Ernest Nègre (1990, p. 161) ; cependant Jacques Soyer avait pressenti la vérité du parrainage de la déesse dès les années 1920-1930 (1919 ; 1934, p. 234-236).



Le lieu sacré des Carnutes :


Sophie Krausz, autrice d'un article intitulé « Le locus consecratus des Carnutes ». (in : Monnaies et archéologie en Europe celtique. Mélanges en l’honneur de Katherine Gruel, 2018, vol. 29, pp. 281-285.) rappelle comment la mémoire de ce lieu est parvenue jusqu'à nous :


Aujourd’hui dans la région Centre-Val de Loire, la cité des Carnutes constitue sans aucun doute l’un des plus célèbres territoires de la Gaule. Cette célébrité est liée en grande partie à l’intérêt que César a accordé à ce peuple et au rôle mémorable que les Carnutes ont joué dans la guerre des Gaules. C’est en effet dans leur capitale Cenabum (Orléans) que la révolte gauloise prend forme suite à l’assassinat des commerçants romains par deux têtes brûlées carnutes, Cotuatos et Conconnétodumnos (BG VII, 3). Ce coup de force inaugure au début de l’année 52 av. n. è. le dernier épisode de la guerre des Gaules, déclenchant la violente répression de César contre la ligue de Vercingétorix. Au-delà de ces faits militaires bien connus, j’ai choisi d’évoquer pour Katherine la plus prestigieuse des fonctions que César attribue à la cité des Carnutes, celle du lieu de réunion annuel des druides. La célèbre mention du locus consacratus, lieu sacré pour les Gaulois, est aussi l’un des passages les plus énigmatiques du texte de César. La littérature pléthorique que cette courte mention a générée depuis plusieurs siècles est associée en premier lieu aux druides. Mais au-delà de la question druidique largement débattue, je propose d’examiner dans ce court article deux aspects spécifiques du locus consacratus : le thème du bois sacré et la position centrale de la cité des Carnutes en Gaule.

« Hi certo anni tempore in finibus Carnutum, quae regio totius Galliae media habetur, considunt in loco consecrato. Huc omnes undique, qui controuersias habent, conueniunt eorumque decretis iudiciisque parent. » (BG VI, 13) (1).


Locus consecratus : forêts et bois sacrés. [...]

L’existence de sanctuaires forestiers (incolitis lucis) est rapportée par Lucain au Ier s. de n. è. qui indique que les druides habitent dans des bois et qu’ils y pratiquent des sacrifices, pourtant abolis après la guerre des Gaules (La Pharsale I, 450). Le même auteur conte la destruction d’une forêt sacrée (lucus) ordonnée par César à proximité de Marseille (La Pharsale III, 400). Dans cette forêt, des troncs d’arbres sculptés représentaient des divinités et les branches dégoulinaient de sang humain. Selon Lucain, les légionnaires romains étaient si terrifiés que César aurait lui-même montré l’exemple en donnant le premier coup de hache pour détruire cette sinistre forêt.

Au sujet du locus consacratus des Carnutes, César n’indique pas ni ne sous-entend aucunement que celui-ci se trouvait dans un bois ou dans une forêt. Pourtant, le mythe de la “forêt des Carnutes”, atout mystique de l’actuelle région Centre, pourrait avoir été forgé au XIXe ou au début du XXe siècle. Peut-être est-ce sous l’influence de Camille Jullian qui pensait qu’un bois sacré était vraisemblable pour le locus consacratus des Carnutes, tout en reconnaissant que César n’en a pas fait mention (Jullian 1920, p. 97, note 4). L’auteur a pu élaborer cette idée en jouant sur l’ambiguïté des mots locus (lieu) et lucus qui désigne en latin un bois sacré (2), propriété et résidence d’une divinité. Jullian se réfère à différentes sources textuelles : en premier lieu à celle qui se rapporte au bois de chênes sacrés où se tenait le sénat des Galates (Δρυνέμετον, Drunemeton Strabon, Géog. XII 5, 1), puis la forêt consacrée où se réunissaient à date fixe les représentants de tribus Suèves de Germanie (Tacite, Germania 39) ou encore un sanctissimum templum chez les Boïens d’Italie (Tite-Live, Histoire romaine XXIII 24, 11). L’amalgame entre lieux sacrés et bois sacrés est une confusion très ancienne, Strabon l’avait déjà soulignée en se moquant des poètes qui exagèrent tout en nommant “bois sacrés” tous les temples, même ceux qui n’ont aucun arbre (Strabon, Géog. IX 2, 33).

L’évocation des bois sacrés reste toutefois pertinente dans la mesure où ils sont récurrents dans les mythologies grecque et romaine (Scheid 1993). [...] . Quant au locus consecratus des Carnutes, si les connaissances actuelles sur les sanctuaires, archéologiques et textuelles, permettent de considérer qu’il a constitué un important sanctuaire laténien, nous n’avons pas le moindre indice pour affirmer qu’il se trouvait dans une forêt naturelle ou s’il comprenait, comme dans les sanctuaires belges, un éventuel bois artificiel.


La Civitas des Carnutes : centre d'une entité géopolitique ? Contrairement à ce que César indique (BG VI, 13), le territoire des Carnutes n’est pas au centre de la Gaule, en tous cas pas de la Gaule telle qu’il la définit lui-même (BG I, 1). Il ne s’agit probablement pas d’une erreur d’appréciation ni de calcul de la part du proconsul, d’autant que cette information a toutes les chances d’avoir été puisée dans Posidonios d’Apamée qui est précisément venu en Gaule pour réaliser des mesures astronomiques et topographiques (Brunaux 2006, p. 279). En examinant la carte de la Gaule, on peut observer que le territoire des Carnutes se situe exactement au centre d’un espace réunissant deux des trois parties de la Gaule de César, la Celtique et la Belgique. C’est dans cette zone géographique que les druides sont attestés, alors qu’ils ne le sont pas, ni en Aquitaine ni dans la province romaine. L’entité Celtique-Belgique pourrait correspondre à une communauté «  ethnique, culturelle et spirituelle »  qui organise de grands rassemblements religieux, judiciaires et politiques dans un lieu consacré  (Brunaux 2006, p. 289). Aux mentions de druides, on peut associer plusieurs citations textuelles d’autres personnages qui ont joué, comme les druides, un rôle social et politique capital. Il s’agit des rois supérieurs qui relèvent du degré confédéral des systèmes monarchiques gaulois. Ces rois des rois caractérisent un modèle politique probablement très ancien qui était en voie d’extinction, voire avait déjà disparu au moment de la guerre des Gaules. Dans une précédente publication, j’ai montré que les rois suprêmes sont mentionnés dans les sources textuelles uniquement en Celtique et en Belgique (Krausz 2016, p. 315‑321). En effet, aucun nom n’est connu, ni en Aquitaine ni en Transalpine. Le plus ancien roi évoqué dans un texte latin est Ambigatus (Tite-Live, Histoire romaine V, 34) qui aurait vécu au VIe s. av. n. è. Ce roi des Bituriges gouvernait également la Celtique. César révèle que d’autres rois ont détenu ce pouvoir suprême comme l’Arverne Celtillos, le père de Vercingétorix (BG VII, 4) ce que confirme Strabon en faisant référence à la suprématie des Arvernes sur la Gaule (Géog. IV, 3, 3). C’est cette royauté suprême que les Éduens ont disputé aux Séquanes dans une lutte acharnée (BG I, 31  ; VI, 12). Enfin, Orgetorix, un noble riche et influent auquel César attribue l’idée de la migration des Helvètes, aspirait lui aussi à cette fonction suprême (BG I, 2).

En Belgique, on connaît le nom d’un roi suprême chez les Suessions qui aurait régné au début du I er s. av. n. è., précédant le roi Galba, contemporain de César. Le Suession Diviciacos (3) aurait occupé la fonction de roi suprême sur la Gaule ainsi que sur l’île de Bretagne (BG II, 4). La très convoitée charge royale a été conquise au prix de grandes pertes humaines, en particulier au cours des luttes qui ont opposé Éduens et Séquanes dans les décennies précédant la guerre des Gaules. Cette lutte trouve un parallèle avec une autre compétition pour une fonction suprême, celle de la succession du chef des druides, l’autre facette du pouvoir (BG VI, 13). À l’époque où la monarchie celtique comportait ce degré confédéral, le roi des rois régnait probablement aux côtés de son alter ego sacerdotal, incarné par le chef des druides. Cette dualité constituait les deux facettes du pouvoir traditionnel, le politique associé au religieux. Alors que le chef des druides n’est pas mentionné en tant que tel dans la mythologie irlandaise, en revanche la fonction du roi suprême gaulois s’apparente à celle de l’ardrí, le haut roi de l’Irlande celtique (Vries 1975, p. 244 ; Ramnoux 1989). Celui-ci régnait sur cinq provinces et siégeait à Tara, capitale de la province centrale de Midhe (Guyonvarc’h, Le Roux 1991,  p.  123). Le haut roi d’Irlande pourrait être issu d’une ancienne tradition continentale bien que la situation politique que César décrit au milieu du Ier s. av. n. è. ne semble déjà plus compter de roi des rois en Gaule. Cette fonction confédérale et prestigieuse, liée intimement à l’ancienne monarchie celtique a disparu avec les mutations politiques qui ont provoqué la mise en place de systèmes oligarchiques dans certaines civitates gauloises probablement au début de La Tène finale.

La démonstration archéologique de la réalité d’une entité culturelle constituée de la Celtique associée à la Belgique reste à faire. Pour le moment, cette théorie repose uniquement sur les mentions textuelles de druides et de rois suprêmes et induit l’existence une communauté spirituelle et politique. Dans ce cadre, le locus consecratus a pu constituer le centre sacré et symbolique de cet espace géopolitique à une époque où tous les degrés monarchiques gaulois fonctionnaient encore. Ce centre politico-religieux n’est pas unique dans le monde celtique. On trouve en effet un centre analogue en Asie Mineure où le Drunemeton fédérait les trois peuples galates. Plus tard, Tara la capitale du haut-roi d’Irlande constitue également le grand sanctuaire central des Celtes pré-chrétiens (Raftery 2006, p. 63-68).


Notes : 1) « Chaque année, à date fixe, ils tiennent leurs assises en un lieu consacré, dans le pays des Carnutes, qui passe pour occuper le centre de la Gaule. Là, de toutes parts affluent tous ceux qui ont des différends, et ils se soumettent à leurs décisions et à leurs arrêts » (BG VI, 13). César, Guerre des Gaules, Traduction L.-A. Constans, 1926.

2) Lucus désigne plus exactement une clairière dans un bois sacré.

3) 5 Ce Diviciacos est un homonyme du druide des Éduens.

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Jean-Louis Brunaux, auteur de La Cité des Druides (Éditions Gallimard, 2024)  et spécialiste universitaire des Gaulois commence son ouvrage par ces mots :


Les vrais philosophent sont ceux qui commandent et légifèrent.

Nietzsche, Par-delà le bien et le mal


Chaque année, les druides tenaient une « assemblée nationale » au centre géométrique de la Gaule, entre Chartres et Orléans. Cette institution, décrite par César dans son célèbre ouvrage la Guerre des Gaules, - « Là, de toutes parts affluent tous ceux qui ont des différends, et ils se soumettent à leurs décisions et à leurs arrêts » -, était ancienne, très antérieure à la conquête romaine. Son existence heurte de front la conviction générale de bien des historiens, pour qui la Gaule ne fut qu'une vaste contrée primitive, dernier vestige de la préhistoire en une période que les archéologues nomment désormais improprement « protohistoire ». Or, les druides, dès le IVe siècle avant notre ère, étaient des savants et dénommés tels : le mot gaulois composé de deux racines, dru- et *vid ou *weid, signifie « celui qui voit très loin, celui qui possède la connaissance dans ce qu'elle a de plus puissant ». Ladite assemblée des druides ne peut donc être tenue pour l'une de ces bizarreries, l'un de ces divertissements, qu'on accole aux Gaulois depuis Montaigne. Elle est la partie émergée de tout un système social, politique et religieux, passablement complexe, qui reste en grande part à découvrir. Tel est l'objet de cet ouvrage : retrouver ce monde disparu, en comprendre les caractères originaux, la rationalité, les finalités.

L'intérêt des historiens pour cette assemblée nationale ne constitue par notre ère, avait déjà entrepris une véritable enquête sur ces hommes qu'il considérait comme des juges-philosophes, connus en Grèce au moins depuis le temps d'Aristote. Il avait décrit très clairement leur rôle au sein de la société gauloise, les tâches qu'ils accomplissaient, particulièrement celle ayant trait à l'exercice d'une justice qui échappait au ressort des familles. mais l'œuvre de Poseidonios a disparu dans sa quasi-totalité, à l'exception de rares passages recopiés, de résumés rédigés par ses lecteurs.

[...]

La Gaule, observe Hotman, ne fut jamais dirigée par un seul souverain : les peuples constituaient autant de « Citez, ou Republiques, lesquelles ne se gouvernaient pas toutes d'une mesme sorte ». L'unité de ces différentes entités politiques, ces « cités », était seulement assurée par leur « assemblée nationale » annuelle. Dans la plupart de ces cités gauloises, le pouvoir se trouvait aux mains d'hommes élus et contrôlées par un conseil des nobles et une assemblée du peuple.

[...]

Rappelons brièvement la pratique judiciaire dont usaient les druides. Un siècle avant l'arrivée de César, de puissants chefs, mais aussi des cités entières, se rendaient auprès d'une assemblée des sages qui réglaient en toute indépendance leurs différends territoriaux, commerciaux et politiques. Et chaque année ce tribunal national se réunissait avec la même régularité et ce pendant deux, peut-être trois, siècles.




Symbolisme :


Dans L'Oracle de la sagesse gauloise (Éditions Le Courrier du Livre, 2021) écrit par Caroline Duban et illustré par Lawrence Rasson, une carte est consacrée à la Forêt des Carnutes :


La Forêt des Carnutes

La forêt des « Cornus »


Les Carnutes vivaient au centre de la Gaule avec pour principal oppidum* Autricum-Chartres, et pour agglomération économique Cenabum-Orléans. La forêt sacrée des Carnutes est indubitablement associée aux Druides rassemblés sous la coupe d'un grand maître, d'après César, dont « l'autorité est sans bornes » [La Guerre des Gaules, VI, XIII]. Lorsque celui-ci venait à mourir, le plus digne lui succédait, à moins que plusieurs prétendants ne fussent sur un pied d'égalité, auquel cas, il était prévu une élection réalisée au sein des druides. La forêt était un point central pour toute la Gaule, et les druides s'y recueillaient une fois par an, en un lieu consacré se tenant à la frontière de leur territoire. On y venait de toutes parts pour régler les litiges qui n'avaient trouvé aucun arrangement d'une autre manière.

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Carnutes renvoie à carnon qui signifie « cornes » ou « trompe ». La racine indo-européenne *Ker(n)- désigne la tête, ou la corne. Le latin rappelle que cornù et cornum veulent également dire « la corne ». La signification du nom de cette tribu demeure incertaine, mais leur forêt est restée légendaire et représente à elle seule toute la magie ancestrale des druides gaulois et de la nature.


Interprétation : Véritable ombilic de la sagesse druidique, la forêt des Carnutes vous conseille la concertation par rapport à votre question. Haut lieu de « recueillement » et de vibration, l'espace consacré symbolise un lieu sain et neutre dans lequel il faut vous rendre, physiquement ou mentalement, afin de prendre conseil soit de vous-même, soit auprès d'une personne experte ou expérimentée qui saura vous guider et apaiser vos doutes ou vos rancœurs. C'est un lieu d'enseignement où les blocages trouvent toujours une solution, car César témoigne bien du fait que tous se plient à la décision des druides de la forêt des Carnutes. Le choix ne sera pas forcément celui qui vous plaira le plus, mais celui qui sera le plus juste, le mieux équilibré et le plus judicieux possible. Lorsque l'avis, le conseil ou le choix vous aura été donné, murmuré ou inspiré, il faudra vous y tenir, même si vous êtes tenté de le contourner. Si vous-même ne comprenez pas pourquoi cette voie est bien celle qui vous conviendra le mieux, ou sera la plus équitable entre deux parties opposées, sachez que près de vous, quelqu'un de plus âgé, ayant vécu avant vous ce dilemme (ou tout simplement de plus sage), est plus apte à vous guider sur le chemin qui vous préoccupe. Vous pourrez le constater aussi par la suite, car ce qui est le plus approprié coule de manière fluide, tandis qu'une tentative dans une autre direction amène des obstacles, des retards ou des abandons ; tout devient poussif, épuisant. La joie et l'excitation laissent rapidement place à l'amertume et aux regrets. Faites confiance à la sagesse abritée au cœur de la forêt des Carnutes. Elle vous conduira sur la bonne voie.

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