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L'Épée





Étymologie :


Étymol. et Hist. Ca 880 spede (Eulalie, 22 ds Henry Chrestomathie, p. 3). Du lat. impérial spatha « battoir ; spatule ; épée longue ».


Lire également la définition du nom épée afin d'amorcer la réflexion symbolique.




Symbolisme :


Dans le Dictionnaire des Symboles, Mythes, Rêves, Coutumes, Gestes, Formes, Figures, Couleurs, Nombres (Éditions Seghers, 1969) Jean Chevalier et Alain Gheerbrant proposent la notice suivante :


ÉPÉE : 1. L'épée est d'abord le symbole de l'état militaire et de sa vertu, la bravoure, ainsi que de sa fonction, la puissance. La puissance possède un double aspect : destructeur, mais la destruction peut s'appliquer à l'injustice, à la malfaisance, à l'ignorance et, de ce fait, devenir positive ; constructeur : elle établît et maintient la paix et la justice. Tous ces symboles conviennent littéralement à l'épée, lorsqu'elle est l'emblème royal (épée sacrée des Japonais, des Khmers, des Chans, cette dernière aujourd'hui conservée par le Sadet du Feu tic la tribu Jaraï). Associée à la balance, elle se rapporte plus spécialement à la justice : elle sépare le bien du mal, elle frappe le coupable.


2. Symbole guerrier, l'épée est aussi celui de la guerre .sainte (et non celui, comme on le prétend à propos de l'iconographie hindoue, des conquêtes aryennes à moins qu'il ne s'agisse de conquêtes spirituelles). La guerre sainte est avant tout une guerre intérieure, ce qui peut être aussi la signification de l'épée apportée par le Christ (Matthieu 10, 34). Et c'est encore — sous son double aspect destructeur et créateur — un symbole du Verbe, de la Parole. Le khîtab musulman tient en main une épée de bois pendant la prédication ; l'Apocalypse décrit une épée à deux tranchants sortant de la bouche du Verbe. Les deux tranchants sont en rapport avec le double pouvoir. Elles peuvent aussi signifier un dualisme sexuel : ou les tranchants sont mâle et femelle (c'est ce qu'exprimé un texte arabe), ou les épées sont fondues rituellement par couples et par un couple de fondeurs, au cours d'opérations qui sont des mariages (ainsi dans les légendes chinoises).


3. L'épée, c'est aussi la lumière et l'éclair : la lame brille ; elle est, disaient les Croisés, un fragment de la Croix de Lumière. L'épée sacrée japonaise dérive de l'éclair. L'épée du sacrificateur védique, c'est la foudre d'Indra (ce qui l'identifie au vajra). Elle est donc le feu : les anges qui chassèrent Adam du Paradis portaient des épées de feu. En termes d'alchimie, l'épée des philosophes est le feu du creuset. Le Bodhisattva porte l'épée flamboyante dans le monde des asuras : c'est le symbole du combat pour la conquête de la connaissance et la libération des désirs ; l'épée tranche l'obscurité de l'ignorance ou le nœud des enchevêtrements (Govinda). Semblablement, l'épée de Vishnu, qui est une épée flamboyante, est le symbole de la pure connaissance et de la destruction de l'ignorance. Le fourreau est la nescience et l'obscurité : ce qu'on ne peut sans doute séparer du fait que l'épée sacrée du Sadet du feu jaraï ne peut être tirée du fourreau par un profane, sous peine des pires dangers. En symbolique pure, ces dangers devraient s'exprimer par l'aveuglement ou la brûlure, l'éclat ou le feu de l'épée ne pouvant être supportés que par les individus qualifiés.

Si l'épée est l'éclair et le feu, elle est encore un rayon du soleil : le visage apocalyptique d'où sort l'épée est brillant comme le soleil (c'est effectivement la source de la lumière). En Chine, le trigramme li, qui correspond au soleil, correspond aussi à l'éclair et à l'épée.


4. Inversement l'épée est en rapport avec l'eau et avec le dragon : la trempe de l'épée est mariage de l'eau et du feu ; étant feu, clic est attirée par l'eau. L'épée sacrée nippone fut extraite de la queue du dragon ; celle du Sadet du Feu fut trouvée dans le lit du Mékong. En Chine, les épées se précipitent d'elles-mêmes dans l'eau où elles se transforment en dragons brillants ; les épées plantées donnent naissance à des sources. On sait que l'éclair est lié à la production de la pluie.


5. L'épée est encore un symbole axial et polaire : ainsi de l'épée s'identifiant à l'axe de la balance. En Chine, l'épée, symbole du pouvoir impérial était l'arme du Centre ; chez les Scythes, l'axe du monde, l'activité céleste, étaient représentés par une épée plantée au sommet d'une montagne. L'épée plantée produisant la source n'est pas non plus sans rapport avec l'activité productrice du Ciel.


6. Dans la tradition biblique, l'épée fait partie des trois fléaux : guerre-famine-peste. Cette trilogie se trouve en particulier dans Jérémie, (21, 7 ; 24, 10) et dans Ezéchiel (5, 12—17 ; 6, 11—12 ; 12, 16, etc.) ; ici l'épée symbolise l'invasion des armées ennemies.

L'épée de feu désigne, suivant Philon (De cherublm, 25, 27) le logos et le soleil.

Quand Dieu chasse Adam du Paradis, il établit deux chérubins munis d'une épée de feu tournoyante, afin de garder le chemin conduisant à l'arbre de vie (Genèse, 3, 24). Selon Philon, les deux chérubins représentent le mouvement de l'univers, le déplacement éternel de l'ensemble du ciel, ou encore des deux hémisphères. Selon une autre interprétation du même auteur, les chérubins symbolisent les deux attributs suprêmes de Dieu : la bonté et la puissance. L'épée se réfère au soleil dont la course fait le tour, en un jour cosmique, de l'univers entier. L'épée se rapporte encore à la raison qui réunit à la fois les deux attributs de bonté et tic puissance : c'est par la raison que Dieu est à la fois généreux et souverain (De cherubim, 21— 27).


7. Dans les traditions chrétiennes, l'épée est une arme noble appartenant aux chevaliers et aux héros chrétiens. Elle apparaît souvent mentionnée dans les chansons de geste. Roland, Olivier, Turpin. Charlemagne., Ganelon et Ternir Baligant possèdent des épées individualisées portant un nom. Parmi ceux-ci, retenons Joyeuse, Durandal, Hauteclaire. Corte, Bantraine, Musaguine etc. Les noms prouvent la personnalisation de l'épée. À l'épée est associée l'idée de luminosité, de clarté ; la lame est dite scintillante (cf. Jeanne Wathelet-Willem. "L'épée dans les plus anciennes chansons de geste. Etude de vocabulaire", dans Mélanges René Croizet, Poitiers, 1966 pp. 435-441).

L'épée symbolise aussi la puissance ; étant l'instrument du massacre, de la mort, elle est synonyme de guerre, de force. Ses deux tranchants distincts opèrent une division profonde. C'est pourquoi la parole, l'éloquence sont parfois désignées par l'épée.


8. Dans l'art de la Renaissance, l'épée est souvent utilisée, avec des significations très différentes, pour représenter la justice, le vice, la renommée, la victoire, la colère, le métier des armes, l'adresse dans la rhétorique et la dialectique, le dieu de la guerre, etc.

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Henry Soulard, auteur d'une « Alchimie occidentale et alchimie chinoise » (In : Bulletin de l'Association Guillaume Budé, 1970, vol. 1, no 1, pp. 185-198) mentionne le symbolisme alchimique de l'épée :


L'immortalité, pour les taoïstes, est le résultat d'une extraordinaire ascèse spirituelle et corporelle ; il faut entrer en contact avec le principe premier ; uni au Tao éternel, on participe alors à son immortalité. Pour le plus grand nombre, il s'agissait seulement de préserver, prolonger la vie, éviter la mort. Nourrir le corps, pour qu'il dure éternellement.

Nourrir le corps, nourrir le principe vital ; d'où les recettes, les formules, la diététique, les procédés respiratoires, la doctrine des souffles, l'alchimie. Lorsqu'on absorbe le cinabre parfaitement pur, les os deviennent d'or, la chair de jade, et le corps est incorruptible. En même temps, nourrir l'esprit par la méditation et la vision intérieure. « Ce qui ne veut pas dire que l'adepte vit indéfiniment dans sa maison parmi les siens, sans être atteint par la mort ; on sait trop que cette immortalité n'existe pas ; l'immortel ne peut vivre longtemps parmi les hommes ordinaires ; son corps est léger, il ne fait pas d'ombre, il peut voler sur les nuages ; il souffrirait sur terre des effluves impures exhalées par les hommes ordinaires. Alors il part vers le royaume des Immortels ; et, pour ne pas troubler le monde, il fait semblant de mourir et laisse derrière lui un sabre ou un bâton auquel il a donné toutes les apparences d'un cadavre que les siens pleurent et enterrent » (H. Maspero).

Cette étrange doctrine de la « dissolution du cadavre et de l'épée » serait la dissolution du corps humain par voie alchimique et sa reconstitution ou sa résurrection sous une forme extrêmement épurée, visible ou invisible. L'épée est le symbole du rayon lumineux qui peut désintégrer et ressusciter toute chose. Nous arrivons au summum de la réalisation alchimique, à une sublimation du corps et de l'esprit, disons de l'âme, qui retournent à la lumière éternelle.

 

Paul-Georges Sansonetti (que j'ai eu comme professeur de sociologie à Grenoble), auteur de « L'épée merveilleuse dans la littérature arthurienne. » (In : Annuaires de l'École pratique des hautes études, 1974, vol. 87, no 83, p. 339-340 résume le travail effectué à propos de l'épée médiévale :


[...] L'auteur montre quelle progression et transformation du thème conduit de l'arme outil symbolique (la hache fulgurante des divers dieux de l'orage en constituant le prototype), en passant par le « foudre », aux différentes armes magiques ou divines dont l'épée. Ces armes, également en rapport avec l'eau, le serpent et la double spirale, figurent l'énergie ignée ou la lumière en tant que manifestation de la puissance céleste (le « Xvarnah » de la tradition iranienne) ; puissance qui, par l'intermédiaire de l'épée, sera communiquée au corps du héros, produisant ainsi une sanctification de ce dernier. Tous ces éléments vont être utilisés dans la suite du travail.

Ainsi, dans la deuxième partie, intitulée : « L'Epée Merveilleuse et le Chevalier Rouge dans la littérature arthurienne », l'auteur évoque le thème de l'« épée-foudre divine » et son rapport avec la couleur vermeille symbolisant le feu du St Esprit. Puis il est montré que ces mystérieux chevaliers à l'armure rouge, survenant dans les aventures arthuriennes, figurent l'obtention par certains êtres exceptionnels (sinon surnaturels) de l'énergie divine signée dont le lion est parfois l'emblème.

Dans la troisième partie, « L'Epée pont entre la terre et le ciel », l'auteur précise comment, dans diverses traditions, l'épée peut être prise comme symbole d'une jonction entre le monde humain (la Terre) et celui des puissances divines (le Ciel). Les sources arthuriennes sont mises en parallèle avec celles des mondes celtique et Scandinave afin de montrer les rapports unissant l'épée à l'arbre « axis-mundi ». Ensuite, il est question du symbolisme de l'épée brisée et des épreuves qu'implique le fait de tenter de souder les deux tronçons de la lame ; épreuves déterminant le passage de la chevalerie terrestre à la chevalerie « célestielle ».

Pour conclure, l'auteur résume les principales idées exprimées par son travail en rapprochant le symbolisme de l'épée de celui de l'arc-en-ciel.

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Christine Ferlampin-Acher., autrice de “L’épée du perron et la Croix dans la Queste del Saint Graal”. (In : Méthode ! : Revue de littératures française et comparée [Nous t’affirmons méthode !], 2004, 7, pp. 17-32)relie le symbolisme de l'épée à celui de la croix, ce qui ouvre des perspectives en lien avec les mystères du Cobra :


[...] Si l’écu fait de Galaad un chevalier « croisé », portant sur son flanc la croix sanglante du Christ, l’épée peut être le pendant profane, l’arme terrienne que compléterait, qu’accomplirait l’écu celestiel. Cette gradation expliquerait le caractère profane de l’épisode du perron dans la Queste, caractère qui ressort particulièrement si on le compare avec l’aventure du Merlin, présenté comme un miracle16 et glosée par un sermon de l’archevêque, alors que l’aventure du perron flottant se joue dans une atmosphère nettement plus curiale. Dans cette perspective deux hypothèses peuvent être proposées :

  • Soit il y a opposition entre l’épée solidement fichée dans le roc et symbolisant, dans la continuité de la fondation du royaume arthurien le pouvoir terrien, et l’écu, ostensiblement christique et associé à la Passion : le passage de l’un à l’autre préfigurerait l’élévation finale du Graal et le discrédit de la chevalerie.

  • Soit les deux armes de Galaad illustrent l’ambivalence essentielle de la chevalerie sans qu’il y ait dévalorisation de l’épée.

La deuxième hypothèse paraît vraisemblable, en particulier parce que l’épée n’est que superficiellement profane et qu’il n’y a pas solution de continuité entre l’épée et l’écu : l’épisode du perron, comme celui de l’écu, est marqué par la Croix ; d’un épisode à l’autre, celle-ci est devenue plus évidente, comme si de l’épée à l’écu, une épiphanie avait eu lieu, confirmant Galaad comme chevalier croisé par la Grâce de Dieu.

[...]

L’épée du perron serait une préfiguration, antérieure et curiale, donc moins évidente, de la Croix de l’écu :

  • fichée pointe en bas, elle a la forme d’une croix : le vocabulaire courant parle d’ailleurs de la croix des quillons (1) ; la garde et la lame se croisent ;

  • l’épée porte une inscription à un emplacement équivalent à celui du titulus ;

  • un attroupement est présent pour la contempler.

[...]

Saisissant l’épée puis l’écu, Galaad, doublement croisé, est confirmé comme élu de la quête et s’annonce déjà comme une figure christique. Certaines modifications par rapport à l’épisode du Merlin sont éclairées par cette perspective, comme par exemple le jeu de balance a priori étonnant entre l’épisode du Merlin, qui est présenté comme un miracle alors que l’enjeu premier est le pouvoir royal, terrien, et celui de la Queste, simple aventure qui se joue en l’absence du clergé et qui est néanmoins chargée d’un puissant symbolisme chrétien. L’auteur de la Queste a pris l’exact contre-pied du Merlin : le perron du Merlin se manifeste à Noël et termine le roman ; celui de la Queste aborde à la Pentecôte, au début du récit. Peut-être que la christianisation du monde arthurien tentée par le Merlin n’a pas convaincu l’auteur de la Queste, qui, à l’hypothétique rédemption d’un devin païen promu évangéliste a préféré le retour aux origines chrétiennes et la promotion de la classe chevaleresque.

D’autres détails deviennent significatifs dans la perspective d’une lecture cruciale de l’épée. Dans le Merlin, la matière dont est constitué le perron est incertaine : et ne sorent onques conoistre de quel pierre il estoit, si distrent qu’il estoit de marbre (p. 268). Dans la Queste, il est de marbre vermeil (p. 5, l. 19) : la matière qui le constitue étant identifiée, il échappe à l’imprécision inquiétante et potentiellement diabolique de son prototype. D’autre part, si sa couleur n’est pas mentionnée dans le Merlin, dans la Queste, il est vermeil, couleur du sang du sacrifice du Christ. De plus, il est débarrassé de la pesante enclume qui lors de l’élection d’Arthur (p. 268) renvoie au monde de la forge et souligne la puissance toute terrestre de l’arme. Si l’inscription dans le Merlin figure sur la lame (p. 269), elle occupe dans la Queste la place du titulus. L’épée dans le perron aurait été transformée en Croix, en symbole chrétien, comme si, finalement, l’eau bénite que l’archevêque lançait sur l’épée dans le Merlin, avait opéré une conversion…

La transformation la plus évidence est cependant ailleurs : dans la Queste, le perron, défiant la pesanteur, flotte. C’est d’ailleurs ce qui a retenu l’auteur de la Suite Merlin post Vulgate quand il a inventé une origine à ce roc lancé sur les flots par Merlin (maître es pierres, depuis le Merlin de Robert de Boron). Cette pierre insubmersible évoque la flottille d’auges qui promenèrent les pabu (2) et les saintes bretonnes (saluons Enora) ; par ailleurs cette épée qui arrive par voie d’eau rappelle les épées jetées ou trouvées dans un lac, fréquentes dans les textes arthuriens. La suite du roman conduit de plus le lecteur à associer cette épée venue par le fleuve aux navigations mystiques des élus. L’épée dans le perron, en passant du Merlin à la Queste, quitte la terre ferme pour des eaux que l’on imagine rédemptrices et qui, les chevaliers abandonnant (provisoirement) les chemins de l’aventure pour des nefs (3), accompagnent la promotion de la chevalerie. L’itinéraire de Galaad s’en trouve éclairé.

[...]

 Galaad change d’épée et accède aux mystères du Graal : le roman se construit au fils des épées, de l’épée du perron à celle de David. Lors de sa navigation dans la nef de Bohort et Lyonnel, le Bon Chevalier ôte ses armes (p. 200), et dans l’embarcation de la sœur de Perceval, il trouve l’Epée aux Estranges Renges. L’auteur évoque rapidement la substitution entre les deux épées (p. 238). Même si l'expression l'espee que Galaad avoit lessiee (p. 236) n'est pas sans ambiguïté, il est vraisemblable qu'elle renvoie à l'arme du perron dont Perceval se saisit et dont Galaad ne se soucie plus guère. De l'amnésie associée à l'épée qui n'évoque aucun souvenir à Arthur malgré la similitude des aventures et que Galaad abandonne et oublie, semble-t-il, nous passons à l'Epée aux Estranges Renges, dont le fourreau s'appelle Memoire de Sanc (p. 227).

D’une épée à l’autre, les lacunes sont comblées. L’absence de digression concernant l’épée du perron, par opposition à l’écu, nous avait surpris ; l’histoire et la description de la nouvelle épée seront au contraire longuement développées (p. 202-210). Le rapport entre la Croix et l’épée du perron n’était qu’implicite: il devient explicite dans le cas de l’épée de la nef. Grâce à cette substitution, l’épée (dont l’histoire remonte à quarante ans après la Passion p. 206) devient la contemporaine de l’écu (dont l’origine remonte quarante-deux ans après la Passion p. 32). L’épée n’est plus un simple symbole de la Croix, elle est désormais associée à de véritables reliques, à côté d’une couronne d’or, qui exalte la couronne d’épines, sur un lit somptueux, qui remonte à l’arbre de Vie et à l’arbre de la Croix : elle n’est cependant pas relique elle-même, et ne saurait avoir la dignité de la lance de Longin ou de l’écuelle qui recueillit le sang du Christ. La digression sur l’histoire de l’épée, sans qu’il soit possible de développer ici, confirme Galaad comme descendant de David, sans pour autant résoudre explicitement le problème de l’origine. L’épée est en effet celle de David, mais le roman ne précise pas d’où il la tient. Or l’intertexte biblique renvoie le lecteur à Goliath. En effet, David est d’abord celui qui porte un bâton, une fronde, une pierre (premier livre de Samuel, 17 40-51), mais pas d’épée : « il n’y avait pas d’épée entre les mains de David » (Samuel, 17 50) : ce n’est qu’après sa victoire sur le Philistin qu’il s’empare de l’arme de celui-ci. L’épée de David est en fait celle de Goliath. Salomon dans la Queste n’en garde que la lame : dotée d’un pommeau et d’une garde merveilleuses par le sage, de renges d’étoupe par sa femme, puis de cheveux et de soie par la sainte sœur de Perceval, l’épée est « convertie » et semble raconter la difficile histoire de l’alliance entre Dieu et les hommes. Si Galaad ne change guère, il porte en lui, à travers cette épée, l’histoire de l’humanité. A l’opposé de l’épée du perron qui surgissait brutalement, dont l’origine était tue et qui n’était pas décrite, l’Epée aux Estranges Renges s’inscrit dans un continuum, et chacune de ses parties, dotée d’une histoire, peut donner lieu à une évocation circonstanciée. La lecture faite par la Suite du Merlin confirme notre parallèle entre les deux épées : transférant certaines caractéristiques de l’Epée aux Estranges Renges vers l’épée du perron, l’auteur aurait associé cette dernière à la lutte fratricide de deux frères, Balaan et Balain, en souvenir d’Abel et Caïn, le thème de la lutte fratricide étant dans la Queste introduit en amont par le combat entre Bohort et Lyonnel.

La susbtitution entre les deux épées invite le lecteur à utiliser l’Epée aux Estranges Renges pour interpréter a posteriori l’aventure du perron. Associée à la longue amplification consacrée à l’arbre de Vie, l’épée de Salomon renvoie à Eve. Le rôle des femmes, femme de Salomon et sœur de Perceval, dans l’histoire de cette arme, est essentiel : elles rachètent Eve (non sans ambiguïté pour la femme de Salomon). La Queste, cistercienne comme l’a vu A. Pauphilet, célèbre la chasteté et se méfie des femmes, même si le lys marial et le sacrifice de la sœur de Perceval sont rédempteurs. Or les romanciers médiévaux, comme de nombreux clercs, à la suite, entre autres, d’Isidore de Séville, font jaillir la vérité de la sonorité des mots. Il n’est pas impossible (ce n’est là qu’une hypothèse, une des multiples lectures que la polyphonie merveilleuse ne manque pas de susciter) que pour l’auteur de la Queste l’association du perron et de l’eau soit symbolique : eve renverrait par homophonie à la faute première, tandis que le perron correspondrait à la fois à la pierre, symbole de l’Eglise (« Tu es pierre et c’est sur cette pierre que je bâtirai mon Eglise » Matthieu, 16,18 »), et, en relation avec l’épée de David, aux expressions qui dans le psaume de David (Samuel, 22, 23) désignent Yahvé comme le rocher d’Israël. D’une épée à l’autre, nous sommes passés de la merveille énigmatique, elliptique, libre de toute description et de toute digression explicative, à une épée décrite et « historiée » : l’amnésie d’Arthur semble conjurée.

L’épée, la Croix et Galaad se superposent finalement : l’épée a été desirree (p. 228), tout comme le chevalier ; quand il la saisit, il la trouve si claire tant come len s’i poïst mirer (p. 228) : elle lui renvoie son image. Désormais la Croix est manifeste : les trois élus assistent à la messe où la Crucifixion leur apparaît, glosée par le preudon (p. 235). Galaad, armé de l’épée, massacre les habitants du château de la lépreuse : avec elle, il fet tiex merveilles qu’il n’est hons qui le veist qui cuidast qu’il fust hons terriens, mes aucuns monstres (p. 238). Le terme monstre, que le glossaire d’A. Pauphilet ne traduit pas et qu’E. Baumgartner rend par « monstre », me semble correspondre, non à la monstruosité au sens moderne du terme, mais, en opposition avec terriens, à la manifestation, à la demostrance, prodigieuse, miraculeuse, du Christ et de la Croix, amorcée dès l’épisode du perron.

[...]


Plus qu’un Graal qui remonte au ciel, la Croix se manifeste partout, à chacun, à chaque croisée de chemin, à travers chaque épée où la lame croise les quillons. A tout moment elle est, sur terre, l’instrument du salut le plus accessible, surtout au chevalier armé de son épée cruciforme. La multiplication des croix et des épées, alors que l’écu de Galaad, après l’aventure de l’abbaye, se fait très discret dans le roman, est significative. A l’épée du perron s’ajoutent celle de David et celle qu’apporte Elyezer à Galaad (p. 266), dont la brisure fait un double de celle de la nef et que l’auteur emprunte à la tradition romanesque du Graal. L’épée, comme les croix (de pierre, de bois, peintes, faites de la main35), est un substitut de la Croix christique.

[...]

L’épée du perron n’est pas qu’un double de l’épée d’Arthur: double de l’écu, de l’épée de Salomon, de celle d’Elyezer, elle s’insère au contraire dans un réseau complexe, qui structure l’ensemble de l’œuvre. A travers elle s’exprime l’obsession cruciale de la Queste, où l’espace est structuré par des carrefours, par des errances horizontales, terriennes, que croisent des rêves d’élévation (qui peuvent aller jusqu’au ravissement d’Enoch et Helye p. 102 et qu’accImage par Monika de Pixabayomplit le Graal, qui est emporté tot amont el ciel p. 279), par l’excellence arthurienne, qui se manifeste a cest jor qui si est hauz (p. 1), au milieu des hauz hommes, dont le salut sera de convertir cette hauteur terrienne en excellence celestiel, au fil des entrelacements qui amènent les chevaliers à se croiser. L’aventure du perron n’est pas qu’une épreuve de sélection, marquant l’élimination des chevaliers terriens : elle introduit surtout, voilée, la croix, qui assure le salut de tous. Comme le montre E. Baumgartner, la chevalerie est à la croisée de la terre et du ciel ; le roman n’est pas une allégorie qui exalterait le monde espirituel en s’élevant à partir d’un monde terrien qu’il renierait ; à l’inverse il montre la voie pour une incarnation des valeurs chrétiennes Dans cette perspective, l’épée, plus que le Graal qui constitue un horizon onirique et idéal, est le signe du compromis que représentent et la chevalerie, et le roman, entre fable et Evangile. Entre l’épée, métaphore de la Croix, et le Graal, qui en est l’expression métonymique (par le lien du sang), la Queste del Saint Graal établit une complémentarité.

Notes : 1) On notera que l’évolution de la forme de l’épée au XIIIe siècle, marquée par l’allongement des quillons, n’a pu que favoriser l’assimilation.

2) Voir A. Le Braz, Magies de la Bretagne, rééd. Paris, Bouquins, 1994, p. 40 et p. 944.

3) Lancelot arrive en bateau au château du Graal (p. 252) ; les trois élus, Galaad, Bohort et Perceval, après avoir navigué, finissent par voie terrestre.

 

Alberto Villoldo, Colette Baron-Reid et Marcela Lobos ont imaginé un jeu de cartes intitulé L'Oracle du chaman mystique (Éditions Véga, 2019) dans lequel une carte concerne l'Épée :


La signification : L'Épée représente la finesse du corps et de l'esprit. Lorsqu'elle pointe vers le haut, elle invoque la puissance du Ciel. Lorsqu'elle est dirigée vers le sol, elle ancre la puissance des cieux sur Terre. La lame peut être un outil de guérison ou une arme. Utilisez-la à bon escient, et elle transmettra la puissance, accordera des initiations, coupera des cordons énergétiques du passé ou brisera des relations toxiques. Utilisez-la avec colère, et elle lacérera, transpercera et tuera.


L'interprétation : Vous êtes invité à dégainer votre épée et à vous en servir. Il n'est pas recommandé d'hésiter, de perdre son temps à bavarder ou de se cacher de l'inévitable. le Ciel et la Terre sont alignés pour vous aider à revendiquer votre pouvoir, alors entreprenez les actions qui s'imposent. Surmontez votre peur de blesser les autres, dégainez votre épée et utilisez-la à bon escient !


La stratégie : Il est temps de poser l'épée et de la ranger dans son fourreau. Ne mettez pas votre épée au service des émotions toxiques ! Vous serez aux prises avec un avenir encore plus désagréable avec les personnes ou les situations que vous essayez de chasser. N'utilisez pas votre épée tant que votre feu intérieur n'est pas calmé. Ensuite, utilisez-la avec l'intention irréfutable de couper les cordons énergétiques qui vous lient au drame dont il est question. Libérez-vous !

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