Arduinna, l'Eminente
- Anne

- 1 oct.
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Dernière mise à jour : 28 oct.
Étymologie :
Selon Benoît de Pierpont, auteur de Les Enfants de la Déesse. (Éditions Publibook, 2007) :
Au Pays de Galles la Déesse / Sorcière se nomme Ceridwen (prononciation : Keridwen), en Bretagne Gwrach (prononciation : Gurëx). En Gaule, dans la forêt des Ardennes, elle est comme Ceridwen associée à la sanglière (la laie) et s'appelle Arduinna (Ar Duinna : la Sombre).
Au Moyen-Âge, elle réapparaît dans le personnage de Morgane, demi-sœur d'Arthur, élève de Merlin, Fée, magicienne, guérisseuse et maléfique à la fois.
Jacques Lacroix, auteur d'un article intitulé "Le suffixe -enn- à l'origine de noms de lieux en France." (In : Nouvelle revue d'onomastique, n°43-44, 2004. pp. 137-151) :
Deux noms autochtones de massifs montagneux, cités par César dans son évocation de La Guerre des Gaules, ont établi l'utilisation gauloise de ce suffixe : Arduenna (V, 3 ; VI, 29, 3 1, 33) et Cebenna (VII, 8, 56). Le premier a fait naître notre appellation d'ARDENNE(S) (ARDENNE belge, ARDENNES françaises) ; le second, celle de CÉVENNES, toutes deux ayant gardé fidèlement la forme du suffixe originel.
Le conquérant romain nous dit que « la forêt des ARDENNES [était] la plus grande de toute la Gaule » (Arduennam silvam, quae est totius Galliae maxima) (VI, 29). Ces propos ont accrédité l'idée que le nom signifiait étymologiquement "forêt", "hauteur boisée" (sens retenu par exemple dans Nègre, 1977, p. 35 ; 1990, p. 128). Certes, l'ARDENNE belge et les ARDENNES françaises correspondent à des zones richement boisées. De nombreux hameaux et lieux-dits en France (en particulier dans le Massif central, les Alpes, le Languedoc-Roussillon et la Provence) portent la même appellation d'ARDENNE(S), et correspondent fréquemment à des sites forestiers (Vincent, 1937, p.98 ; Nègre, 1977, p. 35 ; FEW, XXV/ 1, p. 158 ; Nègre, 1990, p. 128 ; Arsac, 1991, p. 103-104).
Cependant le nom d'ARDENNE(S) est sans conteste à relier étymologiquement à l'idée exclusive d'éminence : il est formé à partir d'un gaulois ardu-, "pentu", à comparer à l'ancien irlandais ard, "haut", au gallois ardd, "colline", au vieux-breton ardi art, "élevé" (Vendryes, 1959, A-87 ; Fleuriot, 1964, p. 72 ; Delamarre, 2003, p.51-52). On a affaire à un massif montagneux, dont les élévations - certes limitées - existent bel et bien (crêtes de 400 à 500 m). Avant de s'appliquer à des zones boisées, le nom d'ARDENNES servait certainement en Gaule à désigner des hauteurs, sens encore perceptible dans certains toponymes disséminés en France (Lacroix, 2003, p. 107) ; l'évolution sémantique a pu venir de ce que les pentes se couvrent fréquemment d'arbres. La déesse gauloise ARDUINNA, qui protégeait toute la contrée et au-delà (son culte étant attesté par l'épigraphie en pays rémois et en Rhénanie-Palatinat), était donc dénommée l'"Escarpée", l'"Éminente" (Lacroix, à paraître) ; et les ARDENNES représentaient les "Hautes-Côtes".
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Attributs :
Selon Amédée Faider auteur d'une Histoire du droit de chasse et de la législation sur la chasse en Belgique, en France, en Angleterre, en Allemagne, en Italie et en Hollande. (Vol. 27. F. Hayez, 1877) :
La forêt des Ardennes paraît avoir été consacrée à la déesse de la chasse , Arduinna ou Arduenna. Là, dans ses vastes clairières, était célébré ce culte singulier, qui nous est rapporté par la tradition. Les chasseurs formaient ce qu'ils appelaient le Trésor d'Arduinna. Pour chaque lièvre qu'ils prenaient ils y versaient deux oboles, pour chaque loup deux drachmes et quatre pour chaque chevreuil. Tous les ans, au jour consacré à la déesse, on ouvrait ce trésor et, selon l'importance de la sonıme qui s'y trouvait , on achetait une brebis, une chèvre ou un jeune veau, dont on offrait, après un sacrifice solennel, les prémices à la déesse et dont le reste servait à faire un festin pour le maître et pour ses chiens. Ceux-ci, pendant la fête, étaient couronnés de fleurs, afin qu'on pût voir que la solennité se célébrait à cause d'eux.
Félix Rousseau, auteur d'un article intitulé "Les carolingiens et l'Ardenne." (In : Bulletins de l'Académie Royale de Belgique, 1962, vol. 48, no 1, pp. 187-221) nous raconte l'histoire d'un haut-lieu de vénération de la déesse :
On peut déclarer que, depuis l'époque romaine, la notion chasse apparaît intimement liée à la notion Ardenne ; l'une demeure inséparable de l'autre.
La forêt d'Ardenne fut divinisée, probablement dès les temps gaulois. Plusieurs inscriptions lapidaires de l'époque romaine nous révèlent qu'elle était le domaine d'une divinité : Dea Arduinna, qui fut identifiée, alors et tout naturellement, avec Diane, la patronne de la chasse. Un des meilleurs connaisseurs de la religion gauloise, Henri Hubert, écrit à son propos : « Les gaulois avaient des animaux sacrés affectés à certains dieux, comme le cheval d'Epona, le chien du dieu au Maillet, l'ours de la déesse Artio, le sanglier de la Diana Arduinna. »
La Diane classique a, comme animal sacré, d'ordinaire, la biche ou le cerf. Chez nous, c'est le sanglier : « le maître des solitudes ardennaises », l'animal qui occupe la plus grande place dans le folklore de l'Ardenne.
Le haut-lieu où était vénéré la Diana Arduinna s'appelle aujourd'hui le Mont-Saint-Walfroy. On le reconnaît au loin, car il commande un horizon immense. Comment la déesse fut elle détrônée et comment son culte fut-il remplacé par un culte chrétien ? Nous le savons par un texte étonnant, dont on n'a pas toujours tiré le parti qu'il mérite. Il ne s'agit rien moins qu'un passage de Grégoire de Tours, le plus long que le célèbre écrivain ait consacré à une région de chez nous. L'épisode peut être daté avec précision : 585.
Cette année, l'évêque de Tours et un autre évêque avaient été envoyés en qualité d'ambassadeurs auprès du roi Childebert II, qui séjournait alors à Coblence. A leur retour, en suivant la chaussée romaine de Trêves à Reims, ils s'arrêtèrent à Yvois (aujourd'hui Carignan), où ils entendirent parler d'un pieux ascète d'origine lombarde, le diacre Vulfolaicus. C'était un fervent de saint Martin, aussi Grégoire de Tours tint-il à l'interroger et il a noté, avec soin, son récit, absolument extraordinaire. Quand Vulfolaicus arriva dans le pays, il existait sur la cime d'une montagne voisine d'Yvois, une immense statue de Diane, objet d'une grande vénération. A côté de la gigantesque idole, le diacre éleva une colonne, au sommet de laquelle il s'établit, comme stylite, vivant de pain, de légumes et d'eau. L'hiver il endurait les pires tourments, les ongles lui tombaient des pieds, l'eau gelée pendait à sa barbe en forme de chandelles. Quantité de gens des villages voisins accouraient pour être témoins de ce spectacle. Le diacre en profitait pour prêcher contre Diane et enseigner le Christianisme. Sa prédication eut du succès. Quand ses disciples furent suffisamment nombreux, il se joignit à eux pour renverser la statue au moyen de cordes ; ce ne fut pas sans peine qu'ils l'abattirent le sol. Là, elle fut mise en pièces, réduite en morceaux à l'aide de marteaux de fer.
Le diacre édifia sur la montagne une basilique en l'honneur de saint Martin. Pour parfaire son apostolat, il voulut persévérer dans sa vie de stylite, malgré l'avis des évêques. Ceux-ci draient que vouloir imiter Simon d'Antioche, qui vécut sur une colonne, n'était pas de mise dans nos climats. Afin de vaincre son obstination, son évêque le mande près de lui et, pendant son absence, envoie des ouvriers qui renversent et détruisent la colonne ; Vulfolaicus dut se soumettre.
A noter qu'il est le seul stylite, qui ait été signalé au delà des Alpes.
Très souvent, dans nos régions, saint Martin prenait la place de la divinité païenne vaincue et lui succédait dans le populaire. Ce ne fut pas le cas en ce qui concerne la montagne sacrée de Diane, que l'on pouvait s'attendre être dénommée le Mont Saint-Martin. Il est probable que l'ascète avait produit sur la foule une impression singulièrement profonde. C'est son nom qui a supplanté celui de Diane. Vulfolaicus a donné en roman : Walfroy.
Jusqu'à nos jours la montagne est restée un lieu de pèlerinage. On y vient, on y venait surtout, tant de l'Ardenne française que de l'Ardenne belge. Je ne sais pourquoi, depuis 1914, le pèlerinage multiséculaire a perdu beaucoup de sa vogue. Cependant tous les vieux Ardennais de France et de Belgique connaissent encore le Mont-Saint-Walfroy.
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Symbolisme :
Laura Tuan, autrice d'un livret d'accompagnement intitulé Les Tarots celtiques (Éditions De Vecchi S.A., 1998) propose un article sur Arduinna :
Tout comme Artio et Epona, Arduinna est elle aussi une divinité de la nature, maîtresse de la forêt et des forces instinctuelles, mère des animaux et des plantes.
Elle porte un habit de chasseresse et, à l'instar de Diane, la déesse lunaire (à noter que la chasse et la pêche sont intimement liées à la Lune), elle tient un arc et a un carquois en bandoulière. Elle brandit en outre une épée de la main droite, dans un geste propre à ceux qui entendent exercer la justice, et chevauche un sanglier, l'un des totems les plus importants parmi les animaux des Celtes.
Les guerriers gaulois s'identifiaient tellement au sanglier qu'ils enduisaient leurs cheveux de choux pour qu'ils ressemblent à des piquants et soient suffisamment raides pour, raconte la légende, y planter des noisettes ou de petites pommes sans les faire rouler par terre.
Le dieu-sanglier s'avère absent du panthéon irlandais : il y a seulement un sanglier blanc qui tue Dermot-au-désir-d'amour, compagnon d'Œngus Mac Og, lors d'une battue.

La carte : Chevauchant triomphalement un sanglier hirsute, la belle et sauvage Arduinna serre un arc dans une main, et son épée dans l'autre. Telle un trophée, elle porte sur son bras la tête d'un animal abattu, signe de son habileté de chasseresse. Mais, attention ! En tant que maîtresse de la chasse et de la forêt, Arduinna pourrait s'emparer d'autant de proies qu'elle le désire, seulement le respect des lois de la nature, de l'harmonie et de la justice auxquelles toute la création se plie la conduit à ne tuer que le strict nécessaire.
Signification ésotérique : La justice des hommes, dont les règles changent en fonction des bizarreries du temps, n'a rien à voir avec la justice cosmique grâce à laquelle chaque personne, animal ou chose joue un rôle et suit le parcours tracé par le destin, qu'il soit bon ou mauvais.
C'est pourquoi il s'avère excessivement difficile de juger le bien et le mal, et de cataloguer selon ses propres critères ses actions ainsi que celles d'autrui. C'est uniquement en s'écartant d'un concept de justice individuelle et circonscrit pour accéder à une sphère universelle et composite, où tout est relatif, que l'on acquiert la certitude de ne pas se tromper.
Mots-clés : Justice - Equilibre - Sérénité - Sagesse - Correction.
A l'endroit : Sérénité - Stabilité - Sévérité - Paix - Justice - Harmonie - Impartialité - Discipline - Règle -
Respect des traditions - Méthode - Organisation -
Réparation - Prix - Récompense - Dédommagement public - Victoire juridique -
Diplomatie - Politique -
Réalisation lente mais sûre - Retard justifié à l'issue positive - Résultat favorable -
Mariage - Harmonie au sein du couple - Grossesse désirée -
Libération d'un lien étouffant -
Contrat de travail - Etudes appropriées au consultant -
Achat d'immeubles - Héritage - Augmentation de salaire - Bonnes récoltes - Vie de couple.
A l'envers : Procès - Querelles - Complications juridiques -
Intolérance - Condamnation injuste - Abus -
Retards - Difficultés - Indécision - Vol - Piège - Folie - Excès -
Grosse déception - Divorce -
Examens ajournés - Dettes -
Maladie des voies urinaires - Faiblesse - Anémie - Caries- Asthme - Rhumatismes.
Le temps : Soir - Vendredi- Octobre.
Signe du zodiaque : Balance.
Le conseil : même indésirable, un retard se révélera extrêmement productif ; asseyez-vous et attendez que les événements suivent leurs cours ; vous obtiendrez ce qui est vraiment juste pour vous.
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Dans Des Dieux gaulois, Petits essais de mythologie (© ARCHAEOLINGUA Foundation, 2008) Patrice Lajoye s'interroge sur le sens du mot gaulois Arduinna :
Arduinna : déesse gauloise ou sanctuaire divinisé ?
Il existe à Rome une inscription fort intéressante du fait qu’elle mentionne plusieurs divinités gauloises :
ARDVINNE CAMVLO IOVI MERCVRIO HERCVLI M QVARTINIVS M
F(ilius) VIVES SABINVS NN REMVS MILES COH(ortis) VII PR(aefectoriae)
ANTONINIANE P(iae) V(indicis) V L S (1)
Le dédicant est un Rème, donc originaire de la région de Reims, qui faisait partie sous l’Empire de la Belgique. On retrouve parmi ses dieux Camulos, que nous aurons à traiter plus tard, mais surtout Arduinna, seule déesse de l’inscription, dans laquelle on reconnaît aisément le nom des Ardennes.
Une étrange localisation géographique : La cité des Rèmes est effectivement située au sud immédiat du massif des Ardennes. Cependant il peut sembler curieux qu’aucune dédicace à cette déesse n’existe dans le massif lui-même, et même que l’unique autre inscription connue se trouve près d’Aix-la-Chapelle (Aachen) à Gey en Allemagne (2) !
Si nous sommes toujours en Gaule du Nord, nous nous éloignons sérieusement des Ardennes.
Il y a plusieurs décennies fut découverte dans les Ardennes une statuette de divinité féminine montée sur un sanglier. Celle-ci fut immédiatement identifiée à Arduinna. On voit bien à quel point ceci peut paraître abusif.
Le sens du nom : Les toponymistes ont depuis longtemps résolu le problème du sens du nom de la déesse. En effet le massif des Ardennes n’est pas unique en France : il en existe plusieurs dizaines, le plus souvent réduits à de simple micro-toponymes (3). Ardenna désigne quasi-systématiquement une « Hauteur Boisée ». Mais Ardenna n’est pas Arduinna / Ardbinna, et on peut se demander si on ne doit pas reconnaître dans le suffixe de ce nom la racine indo-européenne *gwen : « blanc », puis par dérivation dans les langues celtiques « sacré ». Arduinna serait alors, primitivement, la « Hauteur Sacrée ».
Voilà qui oblige à penser que l’Ardbinna de Gey ne correspond pas nécessairement au massif des Ardennes.
Un sanctuaire ? Les sanctuaires primitifs des Celtes se trouvaient dans des bois, les nemeton, attesté jusqu’à la période carolingienne. Plus tard, l’archéologie a révélé que dans les derniers sanctuaires de la Gaule indépendante, le bois se trouvait intégré, sous forme de simple bosquet, dans l’enceinte sacrée306. Mais ce n’est pas le seul type de sanctuaire naturaliste. La colline a aussi été utilisée. Cela n’a pas encore clairement été mis en évidence en Gaule, mais le fait est bien connu pour les Celtes de la côte ouest de l’Ibérie. On connaît à Freixiosa (Portugal) une dédicace à Crouga, et à Santa Maria de Ribeira (Espagne), une autre à « Crougintoudadigoe ». Dans croug-, on reconnaît un équivalent de l’irlandais cruach : « colline ». L’inscription de Santa Maria serait alors dédiée « à la Colline de Toutatis ».
En Irlande, la plupart des dieux du panthéon sont sensés vivre dans des collines, les sidh, le plus connu étant le Brug na Boyne, résidence d’Elcmar puis d’Oenghus. Ces collines se révèlent bien souvent être, archéologiquement parlant, des tumuli protohistoriques.
Il n’est donc pas impossible que les Arduinna des inscriptions gallo-romaines ne soient, à l’origine, non pas le massif forestier bien connu, mais la personnification de sanctuaires boisés sur tumulus.
En conséquence, il se peut que le jour où on trouvera une nouvelle inscription portant le nom d’Arduinna, celle-ci se trouve loin de la Belgique gallo-romaine.
Notes : 1) CIL VI 46. Selon une étude récente citée par Sterckx, 1998, p. 33–34, cette inscription aurait été remaniée pour faire apparaître ce nom, qui serait donc un faux.
2) CIL XIII 7848 : DEAE ARDBINNAE T IVLIVS AEQVALIS S L M. La graphie Ardbinna résulte sans doute d’une différence de prononciation. L’inscription se trouve entre deux figurations d’arbres.
3) Pour la seule Normandie, on peut donner, à titre d’exemple : Ardenne (com. de Beaumont-en-Auge, Calvados, Ardena en 1247 : Fournier 2004) ; Les Ardennes (com. de Saint-Pierre-du-Mont, Calvados : Hippeau 1883) ; Le Champ d’Ardennes (com. d’Asnelles, Calvados : Fournier 2004) ; Abbaye d’Ardennes (com. de Saint-Germain-la-Blanche-Herbe, Calvados : Hippeau 1883) ; Ardenne ou Ardennes (com. de Chavigny-Bailleul, Eure : Blosseville 1877) ; Ardenne (com. de Lhosme, Eure : Blosseville 1877) ; Les Ardennes (com. de Ronsey, Manche : Fournier 2004) ; Ardennes (com. de Offranville, Seine-Maritime, Campus de Ardena en 1226 : Beaurepaire 1982) ; Bois des Ardennes (com. de Grandcourt, Seine-Maritime, Nemus quod vocatur Ardamia en 1277 : Beaurepaire 1982) ; Les Ardennes (com. de Montivilliers, Seine-Maritime, Nemus de Ardanneia en 1256 : Beaurepaire 1982). On voit que très régulièrement, le mot est accolé aux termes nemus ou bois.
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Littérature :
Dans Trois Noëls en forêt (Éditions École des Loisirs, ) une des nouvelles de Jean-Loup Trassard, intitulée "Noël aux loups" évoque deux représentations de la déesse des forêts :
Quand tous les chemins bordés d’ajoncs eurent vidé à Jublains les familles, les sacs et les mioches gaulois, un sanglier qui marchait et grognait en fouillant devant lui la terre noire et les racines arriva près du dolmen. De ses petits yeux, sans le laisser paraître, il surveillait tout.
Le dolmen, c’est la Table Grande, ce qu’on appelle une allée couverte, un ensemble de pierres très épaisses plantées dans la boue et recouvertes par d’autres pierres. La lune se levait, en quartier. Le sanglier rencontra en ce lieu un ours brun, plutôt sale, qui sortait de cette construction au sol creusé comme s’il s’agissait de sa tanière et se grattait sans gêne contre la pierre.
Il ne faut pas s’y tromper, ce n’étaient point vraiment là un ours à tête dure et un sanglier noir. Mais Artio et Arduinna plutôt. Deux déesses gauloises qui dès les premiers temps de l’invasion romaine avaient dû se résigner à vivre cachées, Artio dans un corps d’ours, Arduinna dans celui d’un sanglier, puisque ces animaux étaient leurs familiers. Les gaulois autrefois leur rendaient un grand culte. Ils vénéraient aussi quelques chênes tourmentés qui reliaient le ciel à la terre et avaient grande expérience du vent, quelques sources secrètes révélées au printemps par des touffes de fleurs roses. Mais les romains conquérants avaient recommandé à leur crainte des dieux à face humaine, qu’ils assuraient meilleurs, et surtout qu’ils soutenaient par la puissance de leurs armes. Les dieux et les déesses qui régnaient sur la Gaule ne s’étaient pas courbés sous les fourches des intrus, ils avaient choisi de disparaître, inutiles dans un temps où les regards craintifs des gaulois montaient vers de nouveaux temples.
La déesse Artio s’était retirée donc sous la peau peu enviable d’un ours qui cherche toujours où se gratter. La déesse Arduinna s’était mise au secret sous les soies poussiéreuses d’une mère sanglier, une laie dirait-on maintenant. Et personne n’aurait pu soupçonner la flamme qui habitait ces têtes de gibier. Cependant les chasseurs, qu’ils fussent gaulois ou romains, n’auraient pu vaincre leur fuite ni leur capacité de dissimulation. Ils auraient gardé de la course un souvenir décevant, mystérieux à faire peur.
Cette nuit-là, quelques paroles furent d’abord échangées sous forme de grognements brefs par l’ours et le sanglier à l’abri de la roche.
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