Étymologie :
ORANGE, subst. et adj.
Étymol. et Hist. 1. a) Ca 1200 [ms. du xiii e s.] agn. pume orenge désigne l'orange amère ou bigarade (A. Neckam, Comment. sur le Cantique des cantiques, ms. Brit. Mus. ms. Royal 4 D XI, f°83 rocol. a d'apr. R. Loewe ds Arch. ling. t. 6, 1954, p. 124) ; 1314 pomme d'orenge (Henri de Mondeville, Chirurgie, éd. A. Bos, 1824) ; ca 1393 p. ell. orenge (Ménagier de Paris, éd. G. E. Brereton et J. M. Ferrier, p. 279, 12) ; b) 1515 orange «fruit de l'oranger» (M. Du Redouer, S'ensuyt le Nouveau monde et navigations [trad. de l'ital., lui-même trad. du port.], f°36 rods Arv., p. 370) ; 2. 1553 adj. «de couleur d'orange» (doc. ds A. Joubert, Hist. de la baronnie de Craon, p. 486). L'a. fr. pome (d') orenge serait un calque de l'a. ital. melarancio, -a (dep. le xive s., Boccace d'apr. DEI) comp. de mela «pomme» et de arancio «oranger» et «orange», ce dernier étant empr., avec déglutination, à l'ar. nārang(a), lui-même empr. au persan narang ; le o- du fr. mod. s'explique prob. par l'infl. du nom de la ville d'Orange, a. fr. Orenge (Bl.-W.2-5 ; v. aussi FEW t. 19, p. 139b), tandis que le -a- s'explique par celle de l'ital. arancia, orange étant d'abord att. dans une trad. de l'ital. (supra 1515 ; Arv., p. 370). Au Moy. Âge, le mot désignait l'orange amère, transmise par les Perses aux Arabes, qui l'importèrent en Sicile d'où elle passa au reste de l'Europe méditerranéenne. L'orange douce, apportée de Chine par les Portugais au xvie s., a évincé, en héritant de son nom, la variété amère. V. FEW, loc. cit.
Lire aussi la définition de orange pour amorcer la réflexion symbolique.
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Symbolisme :
Dans son Traité du langage symbolique, emblématique et religieux des Fleurs (Paris, 1855), l'abbé Casimir Magnat propose une version très catholique dix-neuviémiste des équivalences symboliques, ce qu'on ne saurait évidemment lui reprocher :
COULEUR ORANGE.
L'orangé, composé de jaune et de rouge eut, dès la haute antiquité, la signification de révélation de l'amour divin. Les muses portaient la robe safranée ; l'orangé fut aussi le signe du mariage indissoluble. Dans la langue héraldique cette couleur devint l'emblème de la dissimulation et de l'hypocrisie.
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Frédéric Portal, auteur de l'ouvrage intitulé Des couleurs symboliques dans l'antiquité : le moyen-âge et les temps modernes. (Treuttel et Würtz, 1857) explore le symbolisme de l'orangé :
L'orangé ou safrané, composé de jaune et de rouge, eut , dès la haute antiquité, la signification de révélation de l'amour divin. Le Messie est nommé l'Orient et, chez les Grecs, l'Aurore se parait d'un voile couleur de safran ; les Muses avaient également des vêtemens safranés. Le voile de l'Aurore était une image poétique ; le vêtement des Muses rappelait une tradition sacré ; la couleur du safran indiquait l'union de l'amour de Dieu (le rouge) et de la parole sainte (l'or) renfermant toutes les sciences, toutes les muses.
Bacchus est le mythe représentatif de l'Esprit saint. Je ne reproduirai pas ici les preuves que j'ai établies au chapitre de la couleur rouge. D'après Pollux, cette divinité portait un vêtement couleur de safran et, dans les représentations scéniques, elle paraissait sous ce costume.
L'Oriflamme était la bannière de saint Denis. Le Dionysius français, ainsi que nous l'avons vu, s'identifie avec le Dionysos ou Bacchus grec dans la signification d'esprit saint ou de sanctification des âmes. La couleur de l'oriflamme, ou flamme d'or, était le pourpre azuré ; cependant le nom même de cet étendard prouve que l'or en formait une partie essentielle ; les deux couleurs qui produisent l'orange étaient séparées dans l'oriflamme, mais réunies dans son nom.
Dans le christianisme, les couleurs safrané et orangé étaient les symboles de Dieu embrasant le coeur et illuminant l'esprit des fidèles ; nous en trouvons une seconde preuve dans les statuts de l'ordre du Saint-Esprit créé par Henri III, qui établissent que les chevaliers porte ront la croix de velours jaune orangé sur leurs manteaux et au cou le ruban azur.
Dans les ordres de chevalerie, les couleurs n'étaient point employées au hasard ; dans l'ordre de Notre- Dame-du-Chardon, institué par Louis II, duc de Bourbon, en 1370, la croix, éınaillée de vert, portait pour devise espérance. Le grand collier et le chapeau des chevaliers étaient verts.
La croix de la Charité-Chrétienne, créée par Henri III, était bleue, elle portait pour devise : pour avoir fidèlement servi. Le cordon du Saint-Esprit est bleu et, chez tous les peuples de la haute antiquité, l'azur fuit consacré à l'Esprit-Saint ; la croix de velours jaune orange n'était sans doute pas l'effet du hasard.
Dansla langue divine, la couleur safranée désignait l'amour divin révélé à l'âme humaine, l'union de l'homme à Dieu.
Dans la langue sacrée, la nuance composée de rouge et de jaune fut le symbole du mariage indissoluble. L'épouse du flamen Dialis, ou prêtre de Jupiter, portait un voile de cette nuance et le divorce lui était interdit. Ce fut pour cette raison, d'après Festus, que les fiancées portaient le flammeum ou voile couleur de flamme et jaune comme un heureux présage. Virgile donne à Hélène un voile de noces couleur de safran. Le flammeum était l'emblème de la perpétuité du mariage terrestre, comme l'oriflamme était le symbole de l'éternité des noces célestes. D'après la règle des oppositions, le safrané et l'orangé devaient désigner l'adultère ; la fleur de souci est encore aujourd'hui, par sa nuance, l'attribut des maris trompés.
Par opposition à la signification d'amour de la vérité divine, l'orangé désigna l'amour de la fausseté humaine, et devint, dans la langue héraldique, l'emblème de même, dans l'antiquité, les couleurs du safran et de l'orange représentaient l'adultère vengé, le rouge signifiait la vengeance, et le jaune l'adultère. Une légende, conservée par Plutarque, confirme cette interprétation. Callirrhoé, fille de Phocus, est recherchée par trente jeunes Béotiens : irrités par un refus, ils tuent le père et poursuivent la fille. Une guerre éclate, les prétendants sont lapidés et, du tombeau de la victime vengée, coule du safran.
Les anciens répandaient sur les tombeaux des fleurs de couleur de safran, peut-être pour apaiser les divinités vengeresses.
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Selon Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, auteurs du Dictionnaire des symboles (1ère édition, 1969 ; édition revue et corrigée Robert Laffont, 1982),
"A mi-chemin du jaune et du rouge, l'orangé est la plus actinique des couleurs. Entre l'or céleste et le gueules chtonien, cette couleur symbolise tout d'abord le point d'équilibre de l'esprit et de la libido. Mais que cet équilibre tende à se rompre dans un sens ou dans l'autre, et elle devient alors la révélation de l'amour divin, ou l'emblème de la luxure.
Dans le premier cas, c'est, sans doute, la robe safranée des moines bouddhistes et la croix de velours orangé des Chevaliers du Saint-Esprit.
Le voile des fiancés, le flammeum, est pour Portal l'emblème de la perpétuité du mariage - et correspond ainsi, au sens profane, à l'oriflamme du sacré. Le voile que Virgile donne à Hélène est safrané. Les Muses, qui apparaissent selon certaines versions comme les filles du ciel et de la terre, et dont on sait l'importance dans les cultes apolliniens, seraient également vêtues de safran. La pierre hyacinthe, de couleur orangée, était considérée comme un symbole de fidélité. Elle constituait l'emblème d'un des douze tribus d'Israël sur le pectoral du Grand Prêtre de Jérusalem : on la retrouve sur la couronne des Rois d'Angleterre, où elle symbolise la tempérance et la sobriété du Roi. Passée au feu, cette pierre se décolore, ce qui explique, selon Portal qu'on y ait vu l'expression de la foi constante, qui triomphe de l'ardeur des passions et les éteint.
Mais l'équilibre de l'esprit et de la libido est chose si difficile que l'orangé devient aussi la couleur symbolique de l'infidélité et de la luxure. Cet équilibre, selon des traditions qui remontent au culte de la Terre-Mère, était recherché dans l'orgie rituelle, qui était censée amener à la révélation et à la sublimation initiatiques. On dit de Dionysos qu'il portait de vêtements orangés."
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Selon Reynald Georges Boschiero, auteur du Nouveau Dictionnaire des Pierres utilisées en lithothérapie, Pour tout savoir sur les Pierres et les Énergies subtiles (Éditions Vivez Soleil 1994 et 2000, Éditions Ambre 2001),
L'orange "est composé de rouge et de jaune. Si le jaune domine, c'est un jaune d'or. S'il y a plus de rouge, c'est un vermillon orangé.
Énergique, dynamisant, l'orange est le point d'équilibre entre l'esprit et la libido, la couleur des plaisirs matériels. Selon les proportions de jaune et de rouge, il peut être amour divin ou provocateur de luxure, élément de stabilité ou incitateur de l'infidélité.
Sociable, il est amical, convivial et bavard. Son dynamisme apporte un regain de jeunesse et de curiosité. Il est particulièrement stimulant, mais qu'on n'y recherche surtout pas l'intelligence, l'élévation de l'esprit ou la douceur. C'est la couleur de la spontanéité et de l'attachement au matériel.
L'orange peut cependant se parer de nuances rosées, plus douces et plus accessibles à la tendresse : rose saumoné, vieux rose ou peau de pêche.
Les pierres oranges les plus appréciées : l'opale de feu ; certaines citrines orangées ; la topaze impériale (surtout dans les tons saumonés) ; la calcite orange ; la cornaline ; la pierre de soleil..."
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Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont, 1995 et 2019), Éloïse Mozzani nous propose la notice suivante :
La couleur orange ou safrané qui se situe entre le jaune et le rouge, signifie l'union de l'homme à Dieu : c'est sans doute le sens de la robe safranée des moines bouddhistes ou de la croix de velours orangé des chevaliers du Saint-Esprit. Pour Frédéric Portal, dès la plus haute antiquité, « la couleur du safran indiquait l'union de l'amour de Dieu (le rouge) et de la parole sainte (l'or) renfermant touts les sciences, toutes les muses ». Les Muses d'ailleurs, qui passent parfois pour les files du ciel et de la terre, portaient, dit-il, des vêtements safran et les Anciens répandaient sur les tombeaux des leurs de cette couleur, « peut-être pour apaiser les divinités vengeresses ». Le safrané, « symbole des noces mystiques », devint l'emblème du « mariage consacré par la religion » et de sons indissolubilité et, par opposition, désigna, comme le jaune, l'adultère ou la luxure. La fleur de souci qui a indifféremment des fleurs jaunes ou orangées, est d'ailleurs l'attribut des maris trompés.
L'orangé traduit la difficulté de « l'équilibre de l'esprit et de la libido [...]. Cet équilibre, selon des traditions qui remontent au culte de la Terre-Mère, était recherché dans l'orgie rituelle, qui était censée amener à la révélation et à la sublimation initiatique. On dit de Dionysos qu'il portait des vêtements orangés ».
Certains font de l'orangé l'emblème de l'amour de la gloire et de la passion. Porter des vêtements ou avoir des taches oranges dans sa tenue est maléfique, sauf pendant les loisirs, les vacances et les soirées dansantes (pour les femmes brunes seulement.
Chez les Anglo-Saxons, l'orange caractérise la santé et l''motion.
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Dans L'Âme des pierres précieuses dans la science des sept rayons (Éditions Alphée Jean-Paul Bertrand, 2010) Michel Coquet rapporte que :
L'orangé est une couleur importante qui facilite la focalisation du prana dans la tête. Telle est la raison de la couleur des vêtements monastiques portés par les moines hindous et bouddhistes. Au moment de la mort, la couleur orangée permet aux énergies d'être dirigées vers le crâne et de sortir par la fontanelle éthérique en vue d'une renaissance heureuse. A ce propos, nous observerons que le parfum de premier rayon qui aide au détachement du cordon entre l'âme et le corps dense est le santal.
L'orangé est lié au mental inférieur et doit intéresser le travail de aspirants. C'est une nuance que l'on retrouve dans l'aura de beaucoup de personnes de premier rayon car elle est l'expression de l'orgueil et de l'ambition, deux vices particuliers de ce rayon. L'orangé exotérique est un mélange de jaune et de rouge, alors que l'orangé ésotérique est un jaune plus pur où le rouge est à peine perçu. beaucoup de problèmes et de maladies, telle que l'irritation si fréquente de nos jours, sont engendrés chez les aspirants et les disciples par des blocages du flux de l'énergie pranique dans certaines zones du corps éthérique. Dans ces cas précis, l'orangé peut et doit être utilisé car son action favorise l'action du prana en augmentant l'influx, ce qui permet de supprimer les congestions éthériques. Par son action dite "chaude", l'orangé facilite l'assimilation des aliments ainsi que la circulation du sang. L'orangé est le complémentaire du bleu sombre, faisant passer le mental inférieur dans le mental supérieur : « La force de l'orangé (qui est la compréhension scientifique au moyen de l'intelligence) arrive pour parfaire le lien entre l'esprit et la forme, entre la vie et ses véhicules par lesquels cette couleur cherche à se manifester. »
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Symbolisme onirique :
Selon Georges Romey, auteur du Dictionnaire de la Symbolique, le vocabulaire fondamental des rêves, Tome 1 : couleurs, minéraux, métaux, végétaux, animaux (Albin Michel, 1995),
"Qui saurait apprécier la lumière sans connaître l'obscurité ? Pour comprendre la résurrection d'une psychologie qui se donne à voir des images associant le rouge et le jaune, il faut évoquer le tris te décor dans lequel elle s'était installée. Quelques traits suffiront à dépeindre ce décor : il est de nord, de froid, de gris, de solitude, de cendre, de la région des âmes lourdes. Qu'importe la richesse initiale - souvent très grande - de ces psychologies atteintes par les grisailles glacées, une chape de suie s'est abattue sur elles et fait que leur état rappelle l'image des grands oiseaux englués dans les marées noires. La cure de rêve éveillé révèle très vite les ressources qui permettront à ces patients de revenir au sein d'un monde vivant. Parfois dès les deuxième ou troisième séances, presque toujours avant la dixième, se brise la coquille grise qui les séparait de l'univers des couleurs.
Le rouge et le jaune explicitement associés, ou l'orangé, qui découle du mélange de ces deux couleurs, sont à la fois les indices mais surtout les agents d'une transformation radicale du rapport aux archétypes les plus importants de la psyché.
Soleil et lune, père et mère, animus et anima, mais aussi ciel et terre ou ciel et mer, esprit et instinctualité, voilà les valeurs qui retrouvent un équilibre à travers la vision de l'orange ou du rouge et du jaune associés. Le rouge est représentatif du soleil du roi, du père, de l'homme, de l'animus, de l'action et le jaune de la lune, de la reine, de la mère, de la femme, de l'anima, de l'amour.
La couleur orangée est présente dans 12% des rêves, ce qui la place au soixante-seizième rang parmi les 1 700 symboles du répertoire. Le rouge et le jaune, associés dans une même image, ont une fréquence moins élevée : un peu moins de 4% des scénarios. Était-il préférable de consacrer deux articles séparés à l'orange d'une part, au rouge et au jaune associés d'autre part, ou devions-nous traiter les deux symboles ensemble ? Ce n'est qu'au terme de l'exploration de nombreuses séances contenant l'un ou l'autre de ceux-là que le choix s'est imposé en faveur de la deuxième proposition.
Une fois de plus, l'observation objective du fait clinique va déjouer un biais que la seule réflexion intellectuelle introduit immanquablement ? Depuis très longtemps, prenant appui sur cette dernière, nous considérerions que l'apparition du rouge et du jaune explicitement réunis dans une image telle que : "... c'est un jouet auquel je tenais beaucoup, un petit chariot, rouge et jaune", constituait une prémisse, l'espérance d'une union qui se réaliserait pleinement avec la vision de l'orangé. L'orangé, fusion du rouge et du jaune ne pouvait être que l'aboutissement d'un processus d'union. Les faits malmènent sans égard cette conception ! L'orangé, dans le rêve, est assez rarement la conclusion d'une union des deux couleurs qui la composent. Il apparaît, au contraire, comme l'ébauche d'une dissociation, comme un indice de préparation d'une prise de conscience qui interviendra lorsque la distinction du rouge et du jaune sera nette.
Il suffit de parcourir quelques scénarios dans lesquels la couleur orangée est citée sans que les deux couleurs apparaissent pour être convaincu que l'orangé ne témoigne le plus souvent que d'une esquisse d'élucidation. Certes, un certain nombre de thèmes que l'on retrouvera clairement exprimés autour des deux couleurs sont déjà perceptibles, mais dans une sorte de brouillon de rêve. Il est aisé de déceler, à cette lecture, que la dynamique d'évolution exerce une influence puissante sur des aspects de la problématique qui demeurent encore largement inconscients.
Il faut le reconnaître, dans quelques situations, la couleur orangée sera le signe d'une harmonie réalisée, d'un équilibre atteint entre les aspirations spirituelles et les élans de la terre, mais le praticien expérimenté ne retiendra cette traduction qu'après s'être assuré que l'orangé n'est pas l'indice d'une lucidité en gestation. Avant de produire quelques séquences illustratives des significations du rouge et du jaune associés dans une même image, nus devons dissiper un a priori tenace qui expose l'interprétation de ces couleurs à un autre biais susceptible de fausser gravement la traduction. La plupart des auteurs ayant écrit sur le symbolisme voient dans le aune une couleur solaire. Nous avons pu soumettre des groupes importants de personnes à un test d'association de mots dans des conditions garantissant la fiabilité des résultats. Ceux-ci montrent que c'est le jaune aussi qui est associé au soleil. Il semble pourtant que tout cela ne fasse que reproduire un symbolisme conventionnel, car, dans le rêve éveillé, alors que le patient s'exprime dans un état de conscience qui favorise l'émergence des contenus les plus authentiques de la psyché, c'est le rouge qui se trouve massivement relié au soleil ! Sur ce point, on observe une identité frappante avec la symbolique issue des temps de l'Egypte antique. un pont d'une dimension de plusieurs millénaires existe entre les productions du rêveur éveillé et celles qu'inspirèrent les sages initiés égyptiens. Dans presque tous les cas, le soleil des papyrus et des fresques murales est peint en rouge. L'une des premières remarques faites par François Champollion dans ses Principes généraux de l'écriture sacrée égyptienne est aussi que "dans les peintures hiéroglyphiques, la chair des hommes est peinte le plus souvent en rouge et celle de la femme en jaune."
Voilà qui renvoie aux deux chaînes d'associations : rouge-soleil-roi-père- principe masculin et jaune-lune-reine-mère-principe féminin. Deux brefs extraits de rêves illustreront ces corrélations.
Myriam, dans sa deuxième séance, s'est envolée dans le ciel : "... Je suis devant une porte... c'est la prote du soleil... je reste devant... la lumière devient rouge... je m'emplis de cette lumière, de cet espace et de cette lumière. C'est comme si je captais un message et que le temps m'était compté et que cette porte allait se refermer..."
Jeanne, dans un scénario pathétique, clame la frustration d'amour maternel qui a déchiré son cœur de petite fille abandonnée : "... je suis arrivée sur la lune, des gens font une chaîne, comme pur un incendie... mais ils se passent des pierres... ça n'a aucun sens : Qu'est-ce que je fais là, moi ? Je vois, mais ça ne sert à rien... je suis toute petite... je ne peux pas leur dire que ça ne sert à rien... ils ne comprendraient pas... j'ai envie d'aller voir de l'autre côté de la lune... il fait froid aussi de l'autre côté... et j'ai déjà froid ! je reste là, assise sur ce disque jaune et absurde... j'ai envie de hurler mais personne ne m'entendra, jamais ! Ça ne sert à rien... à rien ! ... Je vois ma mère, maintenant..."
Ces deux séquences sont représentatives des associations qu'on constate régulièrement dans les rêves.
Le soleil, dans l'imaginaire, symbolise aussi, très souvent, la lumière. dans ce cas, aucune couleur ne lui est associée. Il figure alors la source de lumière blanche. Mais lorsqu'on porte le regard sur les images dans lesquelles une couleur est exprimée en corrélation avec l'astre diurne, c'est le rouge qui s'impose, avec une fréquence d'apparition quatre fois plus élevée que le jaune, l'orange ou ... le noir, qui se suivent, dans cet ordre et de très près.
Ces associations établies, c'est le troisième scénario de la cure de Véronique qui révélera l'ampleur du symbole - rouge et jaune accolés - et sa portée considérable dans la prise de conscience de la situation œdipienne. Nous devons expurger ce beau texte pour ne conserver ce que ce qui se rapporte le plus directement à notre propos. Véronique est arrivée, en volant, près d'un muret de pierre qu'elle franchit par une toute petite porte, elle-même étant devenue minuscule au point d'être emportée sur le dos d'une libellule. La libellule vole dans une vigne : "... c'est assez joli parce que les feuilles sont jaunes et rouges, c'est la vigne en automne... On vole à travers les feuilles en faisant beaucoup de zigzags et puis, tout à coup, la libellule pique vers le ciel... c'est comme si le toit de la vigne éclatait... on se retrouve en plein ciel... on continue à monter à la verticale... et là... bon ! J'avais tellement l'impression qu'on montait qu'on s'est cogné au soleil quoi !... La libellule s'est assommée... elle est tombée en zigzag... moi, j'ai une sorte de parachute avec lequel je peux me promener dans le ciel et je peux passer au-dessus du soleil... en fait, y a le ciel avec le soleil et au-dessus le ciel avec la lune en croissant... et je m'amuse à marcher parmi les étoiles... je vais m'asseoir sur la pointe de la lune, enfin la pointe intérieure, la pointe du bas... et puis, là, tout à coup, la lune, le soleil, tout devient vivant, quoi... j'ai l'impression qu'on se parle, qu'on s'amuse ensemble..."
Tout devient vivant ! Dès lors que Véronique accepte de se donner à voir des images qui montrent que, dans l'emportement de son désir œdipien du soleil-père, sa psychologie s'est anesthésiée, elle est en mesure de rétablir un rapport positif à la lune-mère. Dans l'article consacré à la lune, nous insistons sur le fait que la lune pleine est généralement expressive du sentiment coupable lié à l’œdipe et le croissant de lune toujours le signe du rétablissement d'une relation normale à l'image maternelle. La prise de conscience du mécanisme œdipien et donc l'amorce de sa dissolution modifient radicalement la vision du couple parental vécu pour ce qu'il est et non plus comme deux acteurs d'un drame, l'un objet de désir et l'autre de rivalité.
Dès que Véronique prononce les paroles décrivant les feuilles jaunes et rouges de la vigne, une oreille expérimentée peut déduire qu'ne scène de repositionnement vis-à-vis des images parentales va se jouer incessamment.
Le rouge et le jaune associés dans une même image doivent être reconnus comme indice d'une véritable résurrection psychique. Que change la nature du regard posé sur les parents et "tout devient vivant". Les effets de cette modification dépassent considérablement la seule relation aux parents.
L'œdipe s'installe très tôt dans l'enfance. De ce fait, toutes les phases ultérieures du développement de la personne s'y trouvent amalgamées, contaminées par ce complexe universel. Il est donc inévitable que la dislocation du dispositif œdipien étende ses effets bénéfiques à l'ensemble de la psyché. Nul ne saurait réaliser son anima ou son animus tant qu'il n'a pas élucidé son attachement œdipien à l'image maternelle ou paternelle. Nul ne peut prétendre déployer une spiritualité authentique tant que ces mêmes conditions ne sont pas atteintes. L'orangé annonce l'émergence de la prise de conscience. Le rouge et le jaune attestent de la réalisation de cette dernière.
Au cœur de l'exploration des rêves pris en référence, une observation s'est imposée. Le couteau apparaît avec une fréquence surprenante. L'originalité des images est plus surprenante encore. Un rêveur fend la surface de la mer à l'aide d'un grand couteau. Un autre fait ce commentaire, devant un volcan : "c'est comme une plaie faite à la terre, avec un couteau, et qui ne sera jamais cicatrisée !" Il s'agit presque toujours d'une lame qui fend, tranche ou sépare. On note également, dans les mêmes rêves, la présence insistante du chiffre deux, symbole de séparation. ces observations induisent une série de réflexions relatives au rouge et au jaune. D'abord le couteau confirme qu'il est judicieux de considérer les deux couleurs comme une dissociation des éléments de l'orange, c'est-à-dire comme une progression dans la lucidité. Ensuite, le couteau amène à percevoir deux types de situations très différentes chez les patients en proie au malaise œdipien. Parmi ceux-là, il faudra distinguer ceux qui vivent les affres d'un œdipe qui se rapporte à des parentes existants et ceux qui doivent assumer un repositionnement vis-à-vis d'un couple parental d'on l'un des membres est décédé depuis la jeunesse du rêveur. Dans ce dernier cas, le couteau est parfois celui qui tranche le fil du destin.
Le second rêve de Mathilde est un exemple de ce type de situation : "... Je vois une maison... c'est une maison vide, fermée, avec des tulipes autour, dans des bacs... des tulipes rouges et jaunes... la deuxième image qui me vient c'est celle d'une tombe... c'est celle de ma mère, entourée de fleurs aussi... la maison vide... c'est une maison réelle... c'est celle de mon père... je vois la cuisine... c'est un cauchemar car ma mère est morte là, elle est tombée dans la cuisine en préparant le dîner... je vois un couteau à découper... c'est une maison où je n(ai plus la force d'aller..."
Les images d'ascension, de montagnes escaladées, reviennent souvent dans les scénarios où apparaissent le rouge et le jaune associés. Bien des signes conduisent à soupçonner que le ciel, la hauteur, l'animus et le rouge sont le pendant de la terre, de la pénétration dans le sol, de l'anima et du jaune. Les nombreuses visions d'un horizon allumé par un soleil, levant ou couchant, passant du rouge au jaune à travers l'orangé confirmeraient l'immense mouvement psychologique qui accompagne ces images.
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Puisque le rouge et le jaune représentent une telle activation psychique et que la statistique montre que ces couleurs surviennent très tôt dans la cure, le praticien sera autorisé à considérer leur apparition comme un indice très encourageant concernant l'efficacité de la cure entreprise.
Devant ces deux couleurs, rassemblées dans une même séquence, voire dans la même image, l'interprète du rêve peur être assuré qu'il reçoit le témoignage du rétablissement d'une relation positive, équilibrée, à chacune des deux images parentales. Cette harmonie nouvelle, intime, se prolongera souvent par une dissipation des attitudes qui altéraient le rapport aux parents du rêveur ou de la rêveuse. Elle ouvre aussi la voie d'un accomplissement dans une spiritualité authentique, à laquelle s'opposait la fantasmatique de l’œdipe."
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