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Le Perce-oreille




Étymologie :


Étymol. et Hist. A. 1791 forficule entomol. (Encyclop. méthod., Hist. nat. insectes, t. 6, p. 464). B. 1825 forficulaire id. (P.-A. Latreille, Familles naturelles du règne animal, Paris, p. 410). A adaptation du lat. sc. forficula « id. » 1657 (Jean Jonston, Hist. nat. ... des insectes, des serpents... ds Geoffroy, Hist. des insectes, Paris, 1764, p. 375) lat. imp. forficula « petits ciseaux ; pinces d'écrevisse » (dimin. de forfex, forficis « ciseaux », v. forces), étant donnés les appendices en forme de pince dont sont munis ces insectes. B adaptation du lat. sc. forficularia « id. » 1825 (supra) formé sur le lat. sc. forficula, v. supra.


Étymol. et Hist. 1564 perc'oreille (J. Thierry, Dict. fr.-lat. ds Gdf. Compl.). De perce-* et oreille*, cet insecte étant nommé ainsi autrefois parce que sa queue en forme de fourche faisait penser à la pincette avec laquelle l'orfèvre perçait les oreilles pour le port de boucles d'oreilles (v. FEW t. 1, p. 180) ; par la suite ce rapprochement n'a plus été compris et la croyance populaire a attribué à cet insecte le désir de s'introduire dans l'oreille de l'homme pour manger la cervelle (v. Roll. Faune t. 3, p. 302).


Lire également la définition de forficule et de perce-oreille afin d'amorcer la réflexion symbolique.

 

Autres hypothèses : L'origine du surnom du forficule est inconnue mais l'on pense que le nom de perce-oreilles aurait été donné à ces insectes puisqu'on les retrouvaient souvent au cœur des fruits à noyaux très mûrs. Sachant que les quartiers d'abricot et de pêche sont appelés des oreilles ou des oreillons, le nom de perce-oreilles est resté. (https://www.aujardin.info/fiches/perce-oreille.php )


Selon un article de Vincent Albouy pour le site insectes.org :


Certains auteurs, au XIXe siècle, donnait comme explication la forme des cerques, ou pinces, qui ressemblait soi-disant - à l'époque - à celle de la pince à percer les oreilles des bijoutiers. C’est improbable, pour deux raisons. Ce nom populaire est ancien et vient des paysans, qui n’avaient aucune raison de connaître la pince des bijoutiers des villes, le perçage des oreilles étant très peu répandu parmi eux... Et la fameuse pince des bijoutiers ne ressemble pas à celle du perce-oreille.

Par contre, on peut noter que le nom populaire germanique (earwig en anglais par exemple) fait aussi référence à l’oreille. En français, il y a de nombreuses variantes : pince-oreille, cure-oreille, michorèle... qui ne mentionnent pas forcément la pince, mais toujours l’oreille. Le nom viendrait plus probablement de la tendance de ces insectes à se réfugier dans les trous et les crevasses, et pourquoi pas dans les oreilles de personnes faisant la sieste dans l’herbe. Au XVIIe siècle, Mouchet mentionne un nom populaire anglais "twist-ballock" que l’on peut traduire pudiquement par "pince-testicule". Cela sous-entendrait que ces braves bêtes ne visitaient pas que les oreilles, mais aussi les caleçons des dormeurs.


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Croyances populaires :


Selon Ignace Mariétan, auteur d'un article intitulé "Légendes et erreurs se rapportant aux animaux" paru dans le Bulletin de la Murithienne, 1940, n°58, pp. 27-62 :


Beaucoup redoutent les Forficules ou Perce-oreilles, affirmant qu'ils cherchent à pénétrer dans les oreilles pour y causer toutes sortes de maux et en particulier pour y percer le tympan. A St-Luc on secoue soigneusement le linge qu'on a fait sécher, en l'étendant sur les prés, par crainte de ces insectes, pourtant tout à fait inoffensifs. Ils doivent sans doute leur nom à la ressemblance de leurs pinces avec celles qu'on employait pour percer le lobe de l'oreille afin d'y mettre des pendants.

Ce n'est pas étonnant que ces erreurs se soient répandues dans le peuple car elles étaient enseignées autrefois par les physiciens, les médecins et les naturalistes. Dans le Dictionnaire raisonné universel d'Histoire naturelle publié en 1741 par Valmon Romaire (Tome X, p. 246-249) il est dit que l'auteur et son frère s'introduisirent des Forficules dans les oreilles et qu'ils en furent comme fous de douleur pendant plusieurs jours. Un autre récit est tiré du Tome II des Ephémérides d'Allemagne, année 1672, obs. 266. Des Forficules entrèrent dans les oreilles d'une femme près de Nuremberg. Ils s'y multiplièrent à l'infini sans qu'on ait pu les faire sortir, se logeant entre le crâne et le cerveau, rendant la vie impossible à cette pauvre femme qui ressentait des douleurs jusqu'à l'extrémité des pieds et des mains dès que ces insectes changeaient de place. Elle ne pouvait faire aucun mouvement de la tête sans éprouver à l'intérieur un certain bruit ou craquement, qui était entendu distinctement par son entourage. Au bout de 20 ans, cette femme, âgée de 68 ans, vint trouver le physicien Vockamer, de Nuremberg, qui ne put faire sortir les insectes. Elle prit alors le parti de les supporter jusqu'à sa mort.

Comment s'étonner après de tels récits que le peuple ait craint les Perce-oreilles ?

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Usages traditionnels :


Elisabeth Motte-Florac, autrice d'un article intitulé "Utilisation des insectes médicinaux au cours de l’histoire, entre modes et découvertes scientifiques." (In : Les insectes et la santé. Entre nuisances et puissance thérapeutique, Mairie de Niort, 2012, pp. 61-74) nous révèle un usage inattendu du forficule :


[...] En France et en Europe, les insectes sont de nos jours quasiment absents des pratiques de la médecine conventionnelle, à l’exception de quelques rares espèces. Il n’en a pas toujours été ainsi. D’intérêt en désaffection, de considération en déni, l’importance de ces drogues entomologiques a suivi une évolution en vagues, influencée par les contextes économiques et politiques, sociaux et religieux, scientifiques et techniques.

[...]

De la Renaissance au Siècle des Lumières : retour et grande vogue des insectes médicinaux. La découverte de nouvelles voies maritimes et de nouveaux mondes va provoquer le déclin du commerce des épices et le retour des insectes sur la scène thérapeutique. Au XVIe siècle les drogues animales se multiplient ; l'engouement atteindra son apogée au XVIIe siècle comme en attestent les grands ouvrages de référence écrits à cette époque (Jean de Renou en 1625, André Matthiole en 1655, Moyse Charas en (1692). [...]

Les préparations sont tantôt simples (géotrupes et bousiers divers sont simplement séchés et réduits en poudre pour soigner des maladies du rectum), tantôt plus complexes. Les insectes servent alors à préparer des médicaments « simples » (à partir d’un seul ingrédient) ou « composés » (confectionnés en mélangeant au moins deux drogues). De tels produits prouvent la compétence de l’apothicaire, en justifiant l’existence même de la profession (préparations longues et complexes qui nécessitent un matériel spécial et un savoir-faire acquis au cours d’un long apprentissage). [...] l’Huile de perce-oreille est préparée pour « fortifier les nerfs » dans les mouvements convulsifs.

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Symbolisme :


Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont, 1995 et 2019), Éloïse Mozzani nous propose la notice suivante :


selon une croyance auvergnate, qui écrase un perce-oreille avec son petit doigt, en faisant un signe de croix et en traçant avec le même doit un cercle autour de l'insecte, fera « une trouvaille ». Chez les Anglo-Saxons, un pêcheur qui rencontre un perce-oreille a toutes les chances de faire de bonnes prises mais en Irlande, une variété de cet insecte appelée « diable noir » porte malheur dans une maison.

Dans les pays flamands comme dans une grande partie de la France, on croyait que le perce-oreille pouvait pénétrer dans l'oreille d'un homme, lui crever le tympan, faire son nid dans sa tête et lui manger la cervelle pour ressortir par l'autre oreille ! Les Roumains, eux, l'appliquaient sur une oreille malade dans la croyance que l'insecte provoquerait la guérison. A Mons, en Belgique, le perce-oreille tranché en deux recolle ses deux parties.

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Littérature :


Roald Dahl, écrivain de jeunesse qu'on ne présente plus fait du perce-oreille un mets de choix dans La potion magique de Georges Bouillon (1981) :


- Grandma, c’est dégoûtant !

La vieille mégère sourit en montrant ses dents jaunâtres.

- Quelquefois, poursuivit-elle, avec un peu de chance, on découvre un hanneton entre deux feuilles de céleri. C’est ainsi que je les aime !

- Grandma ! comment peux-tu… ?

- On découvre toutes sortes de bonnes choses dans le céleri-rave, continua la vieille femme. Parfois des perce-oreilles !

- Je ne veux plus écouter ces horreurs ! cria Georges.

- Un gros et gras perce-oreille, c’est vraiment un mets succulent, dit Grandma en se léchant les babines. Mais il faut aller vite, mon petit, quand on en introduit un dans sa bouche. Il porte deux pinces pointues à l’extrémité de son abdomen, et s’il t’attrape la langue, il ne la lâche plus. Alors, il faut le mordre, crac crac, avant que lui ne te morde.

Georges se mit à filer vers la porte. Il voulait fuir loin de cette écœurante vieille femme.

-Tu essaies de t’enfuir, n’est-ce pas ? dit-elle en pointant son doigt vers lui. Tu veux abandonner ta Grandma.

Près de la porte, le petit Georges fixait la vieille mégère. Elle le fixait, elle aussi. « C’est peut-être… une sorcière ! « se dit Georges. Il avait toujours pensé que les sorcières n’existaient que dans les contes de fées mais, à présent, il n’en était pas sûr.

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Dans Les Fourmis (1991) Bernard Werber prend plaisir à pulvériser un perce-oreille par l'intermédiaire des Belokaniennes :


Surprenant de trouver un scarabée par ici. C'est plutôt un animal des zones chaudes...

Les Belokaniennes le laissent passer. De toute façon sa chair n'est pas très bonne, et sa carapace le rend trop lourd à transporter.

Une silhouette noire détale sur leur gauche, pour se cacher dans une anfractuosité de la roche. Un perce-oreille. Ça, par contre, c'est délicieux. La plus vieille exploratrice est la plus rapide. Elle bascule son abdomen sous son cou, se place en position de tir en s'équilibrant avec les pattes arrière, vise d'instinct et décoche de très loin une goutte d'acide formique. Le jus corrosif concentré à plus de 40 pour cent fend l'espace.

Touché.

Le perce-oreille est foudroyé en pleine course. De l'acide concentré à 40 pour cent ce n'est pas du petit lait. Ça pique déjà à 40 pour mille, alors à 40 pour cent, ça dégage ! L'insecte s'effondre, et toutes se précipitent pour dévorer ses chairs brûlées. Les exploratrices d'automne ont donné de bonnes phéromones. Le coin paraît giboyeux. La chasse sera bonne.

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Evelyne Sorlin, "Le forficule et l'oreille dans Finnegans Wake" In : Études irlandaises, n°14-1, 1989. pp. 89-103 :


James Joyce, l'athée, élève d'un collège de Jésuites à Clongowes dans son enfance, ne s'est jamais vraiment débarrassé de son éducation religieuse. Les images de la chute d'Adam et d'Eve continueront de le hanter tout au long de Finnegans Wake, sous une forme parodiée toutefois. Replaçant le mythe du péché originel dans un contexte irlandais, il le tourne en dérision pour mieux en dévoiler la vraie signification : le serpent tentateur transformé en perce-oreille offre une banane en lieu de pomme à Eve, Saint Patrick, substitué à Dieu, loin de bannir les serpents du sol de l'Erin, contribue à leur prolifération ; l'Irlande toute entière s'assimile à ces serpents à deux pattes héritiers en ligne directe de l'ancêtre rampant du paradis, et de sa parèdre. Celui-ci sous les traits d'Earwicker, a versé son venin dans le conduit auditif vierge au départ de toutes mauvaises pensées d'« Havah-ban-Annah » (38.30). La parole, source de commérages, s'affirme dès le départ inséparable de cette oreille charnelle avide de mots. Le mythe de l'Immaculée Conception s'en trouve du même coup démystifié. La tentation est simultanément une annonciation. En définitive, le perce-oreille phallique est inséparable de l'oreille-réceptive à la fois rétentrice et réceptacle.

[…]

Si notre géant a pour totem le perce-oreille, il est normal de penser qu'à sa mort, il s'est métamorphosé en insecte. La croyance populaire connaît une multitude de formes animales de l'âme, dont celle du papillon. Bien que muni d'ailes, le Dermaptère auquel pensait James Joyce ne vole pas ; mais il aime se glisser dans des petites fentes bien étroites dans la terre au fond de petites chambres souterraines à l'abri de la lumière, car il apprécie l'obscurité et l'humidité. Ce petit vampire muni de pinces sort essentiellement à la tombée de la nuit pour manger, feuilles et pousses délicates de nos jardins, en compagnie le plus souvent, la solitude n'étant pas son fort.

Selon la tradition, le perce-oreille est censé s'introduire dans l'oreille du dormeur, dont il perce le tympan au moyen de ses pinces, d'où les noms de « ear piercer », troue-oreille, pince-oreille. Non content d'occasionner otites et surdité, ce petit Ohrenschliefer (dormeur auriculaire) appelé encore en allemand Ohrwurm ou vers d'oreille, suce le sang et mange aussi la cervelle, provoquant ainsi des maux de tête. On le soupçonne en outre de pondre ses œufs appelés « nid de perce-oreilles » à l'intérieur du crâne (30). Ces inégalités en taille font immédiatement songer à ces « Large by the small... equal to anequal » (17.32) identifiés dans un travail précédent à Alp et earwig ou Amni et Forficule.

Les pinces des forficules sont comme on peut s'y attendre, armes défensives ou offensives, très utiles pour évincer un rival convoitant la même femelle. Or à quoi assiste-t-on dans la tombe ancestrale sinon à un combat entre le blond Viking et l'Irlandais pour les beaux yeux «valentine» d'Amni ou Anna Livia Plurabella ? La présence de cette hache destinée, on l'a vu, à casser la croûte terrestre « furrowards, bagawards like oxen at the turnpant » (18.32) ne doit pas nous leurrer. Nos deux hommes, transformés à leur mort en perce-oreilles vont se battre comme forficules. Observons ces insectes : au lieu de s'attraper par les mâchoires comme d'autres le feraient, les forficules belliqueux font demi-tour pour présenter à l'adversaire cette partie arrière de leurs corps terminée par deux pinces qu'ils vont entrechoquer avec ardeur. L'issue du combat n'est pas mortelle, le plus faible s'esquivant pour laisser feu vert au vainqueur.

[…]

Selon la tradition, le perce-oreille est censé s'introduire dans l'oreille du dormeur, dont il perce le tympan au moyen de ses pinces, d'où les noms de « ear piercer », troue-oreille, pince-oreille. Non content d'occasionner otites et surdité, ce petit Ohrenschliefer (dormeur auriculaire) appelé encore en allemand Ohrwurm ou vers d'oreille, suce le sang et mange aussi la cervelle, provoquant ainsi des maux de tête. On le soupçonne en outre de pondre ses œufs appelés « nid de perce-oreilles » à l'intérieur du crâne.

[…]

Tous ces faits laissent songeurs quant au rôle joué par le perce-oreille. Que se cache-t-il derrière cette surdité dont il est responsable ? On se souvient, il suce le sang dans l'oreille du dormeur. Bref, il boit ce faisant le vin du souvenir renfermé dans les rêves. Plus de souvenirs, plus de rêves ! Le perce-oreille est par essence un alcoolique : ces petits insectes présentent la singularité de laisser s'écouler un liquide à l'odeur forte lorsqu'on les tient pressés entre les doigts. Ils sont analogiquement identiques à des outres à vin parfumées. Or, earwig le forficule devient à l'occasion « beerwig » (559.25) ou « bièrece-oreille » par ce jeu homophonique liant son à sens. Mais ce petit démon connu encore sous le nom de « cure-oreille » en raison de son activité de «curage» des « particulars », ne se contente pas de boire les souvenirs ; il les mange sous forme de cervelle, car il finit là sa course pour y pondre ses œufs. L'appellation de « perce-pain » qu'on lui donnait autrefois tout en rendant compte de son activité dévorante, semble justifier cette hypothèse.

Le perce-oreille, hormis son caractère parasite, relève du cauchemar. Il détruit les souvenirs, mange les rêves. Il est en ce sens facteur d'oubli et de mort. En pénétrant à l'intérieur de l'oreille de Mutt et Jute penchés sur la terre ancestrale, il amorce déjà ce processus de destruction de la conscience conduisant ultimement à cet état d'inconscience, si caractéristique du cadavre. Lentement il vide les corps de toute vie, effaçant tout d'abord l'ouïe enfin la mémoire. La vieillesse sourde est aussi perte de mémoire. L'être du souvenir est situé entre une jeunesse trop verte pour avoir de passé, et une vieillesse trop mûre pour s'en rappeler. La pomme d'Eve finit par pourrir avec le temps, transpercée de perce-oreilles gloutons. L'image de la serre « conservatory » prend ici tout son sens.

Mutt et Jute les dormeurs d'un autre temps feront ainsi irruption à tout moment dans nos cauchemars. Fossiles d'un conte « néanderthalien » où l'homme-mémoire se métamorphose en âme-perce-oreille silencieuse, il faut bien les considérer comme la projection de notre propre conscience, prête à mourir un jour. En rêvant de Mutt et Jute, on incite leurs fantômes à venir nous hanter ; ils nous entraînent en retour dans leur monde de nuit où reposent dans la tombe nos « Doppelgânger », nos sosies, alp et earwig.

[…]

La fécondation par l'oreille n'est pas toutefois une invention de Joyce. L'exemple le plus connu est celui de la vierge Marie fécondée par un rayon lumineux ou une colombe se dirigeant vers son oreille. Il est inutile de reprendre ce dossier étudié à fond par E. Jones. D'après lui, cette croyance serait à rapprocher d'une théorie sexuelle de nature infantile. Dans Finnegans Wake, la superstition en question doit être de préférence mise en rapport avec ces nids de perce-oreilles logés dans la cervelle du dormeur. Il ne faut jamais en effet perdre de vue le côté fable dans ce livre proche par bien des côtés du bestiaire. Le perce-oreille étant par ailleurs un petit insecte fertile, « missus legitimate » la femme de Mr Forficule pourra couver de nombreux œufs dans « sa tête ». « When that frew gets a grip of old Earwicker, won't there be earwigs on the green ? Big earwigs on the green, the largest ever you seen ? » (47.14-18).

Nous sommes ici en plein univers rabelaisien. Ne pouvant sortir par la voie normale, Gargantua naît par « l'aureille senestre ». Or, selon un bourreau de la ville de Paris, on coupait autrefois l'oreille gauche d'un voleur, et ce, dans le but évident d'empêcher la perpétration de sa race ! Cette coutume tend à montrer l'existence d'une relation ancienne établie entre l'oreille et la génération. Cela n'a rien de surprenant eu égard au rôle joué par les oreillons dans la stérilité masculine. Cette maladie, très proche de l'otite au niveau de ses manifestations extérieures justifie du même coup cet autre nom porté par le forficule en ancien français : « oreillon ». L'oreille déflorée, l'oreille fécondée, l'oreille accoucheuse, l'oreille stérile ; il ne manque plus à ce tableau que l'oreille allaiteuse. En ce démon femelle du cauchemar, ALP, écrasant, tour à tour écrasé par le poids d'earwig dans la tombe ancestrale, j'avais bien voulu reconnaître un couple d'alcooliques - téteurs. Or, par où, sinon par l'oreille, ces deux êtres à forme de forficules, identifiés encore à Tristan et Yseult vont-ils absorber le philtre d'amour/mort ? La présence dans ce cimetière, de leur progéniture assoiffée, renforce l'hypothèse d'une oreille allaiteuse dans l'imaginaire joycien. Il est d'autant plus difficile d'en douter, si l'on se remémore le rapport entrevu plus haut entre le perce-oreille (à ses heures « bierce-oreille ») et la succion. Un exemple tiré de l'hagiographie permettra d'évacuer tout reste d'incertitude : Saint Fraech, selon la légende, aurait nourri l'enfant de sa sœur, en l'allaitant de son oreille droite.

L'oreille, organe féminin par excellence, ne connaît pas de différenciation sexuelle ! Elle est tout au plus l'objet d'une différenciation fonctionnelle : si l'oreille droite est réservée à l'allaitement, l'oreille gauche est en rapport avec la naissance (Gargantua). On distingue bien après tout les « mamelles » des parties de génération.

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Le perce-oreille


Un perce-oreille

A démoli

Les murs du métro de Paris.


Il a percé

Jusqu'aux nuages

Une maison de douze étages.


Il fait des tas,

Il fait des trous,

Il fait des tas,

Des tas de trous.


Le perce-oreille

Croit - Ô merveille ! -

Que tous les murs ont des oreilles.


Pierre Coran, "Le perce-oreille" in Jaffabules, 2010.

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