Symbolisme :
André Dhôtel, auteur de Le vrai mystère des champignons (Editions Payot, collection "Poétique", 1974) est à l'origine de ce concept de champignon fantôme :
[...] Mais si l'on ouvre pour de supplémentaires conseils, une autre flore, Costantin et Dufour, par exemple, voici une nouvelle histoire. La Russule charbonnière peut se confondre avec la Russule fourchue laquelle est vénéneuse.
Les caractères distinctifs de la Russule fourchue ? Le chapeau est vert ou jaune verdâtre, les lamelles blanches et fourchues (ce qui ne nous avance pas beaucoup) mais la chair est âcre, blanche, vineuse sous l'épiderme. L'âcreté; le rouge sous l'épiderme voilà de quoi ne point nous égarer. Hélas, si l'on s'en réfère à Lange, la Russule charbonnière peut être elle aussi rouge sous l'épiderme, tandis que pour Romagnesi au grand jamais elle ne comporte la moindre trace de rouge, la chair ne devenait que brunâtre sous les morsures des limaces. Cela nous désoriente un peu. Mais il reste l'âcreté de la chair.
Quelque mycologue ne va-t-il pas discuter cette âcreté par hasard ? Lisons plus avant, ne nous lassons pas de découvrir d'autres caractères confondants, ainsi qu'on nous l'a recommandé. C'est pour notre salut. Justement voici une déclaration soudaine et tranchante. Elle n'est pas inquiétante certes. Un simple coup de théâtre : la Russule fourchue n'existe pas.
Elle n'existe pas. La preuve ? C'est qu'elle fut signalée par un très ancien auteur hollandais Christiaan Hendrik Persoon (1761-1836) dont les descriptions ne présentent pas toujours les garanties d'une analyse attentive. Certes dans une flore assez récente on a de nouveau décrit la Russule fourchue et on l'a même dessinée avec référence à ses dimensions (10 à 15 cm) et à la couleur du chapeau (un vert vif). Il n'en est pas moins vrai que les auteurs se sont dernièrement mis d'accord. On a donné ce prénom (fourchue) à une espèce déjà signalée par ailleurs, que ce soit la Russule charbonnière elle-même quand elle vieillit, ou une russule appartenant à un groupe voisin dont la nomenclature est considérée comme achevée. Bref la russule fourchue est ce qu'on appelle un champignon fantôme.
Qu'est-ce donc qu'un champignon fantôme ?
Cela paraît aux profanes très simple à dire. Si le champignon fantôme n'existe pas, ce n'est pas lui qui est un fantôme, mais le nom superflu qui lui a été attribué et qui crée faussement une espèce nouvelle. Or cette explication qui concerne l'inanité d'un nom sans répondant ne paraît pas suffisante aux yeux des spécialistes.
Le champignon fantôme n'est nullement dépourvu d'existence, mais reconnu comme un être dont on nie l'existence. Un être irréel, cela revient donc au même ? Pas le moins du monde. En effet il arrive que des champignons rayés des flores reprennent vie, par exemple, Amanita Aeliae (selon Gilbert), ou encore Clitocybe abbata forma Queletti (selon Becker).
Soit ! Alors pourquoi ne pas déclarer tout de suite que certains champignons sont reconnus comme distincts et d'autres non, selon les découvertes qui peuvent se faire ou ne pas se faire ? Or cette façon de parler ne rendrait pas, à ce qu'il paraît, l'étrange réalité de l'événement.
Citons Georges Becker :
« On s'irrite de voir certains mycologues fondre en une seule certaines espèces à cause des ressemblances qu'ils leur trouvent, cependant que d'autres les subdivisent à cause des différences qu'ils y voient... Tout dépend de l'importance qu'on accorde à tel ou tel caractère. » Ce qui nous amène tout doucement à la conclusion fabuleuse que voici.
L'existence d'une espèce de champignon dépend aussi bien de la définition que nous en donnons que de la vision objective qui s'impose à nous. Il nous est possible de nier une existence en termes de classification en même temps que de nous trouver contraints de la reconnaître par le témoignage des sens. Mais aucune décision ne peut être prononcée en faveur de l'une ou de l'autre possibilité. Celui qui voit le champignon fantôme n'en prouve pas pour autant l'existence. Celui qui le définit ne peut que donner une définition contestable dès lors que d'autres n'auront pas vu l'espèce. Le champignon fantôme, en dépit des négations dont il est l'objet, n'en garde pas moins son existence, si improbable qu'elle soit mais alors cette existence se situe dans un domaine qui n'est ni celui de la vision toujours personnelle ni celui de la preuve analytique rarement universelle. Quel domaine ?
Pourquoi, puisque nous sommes des pèlerins, les anges n'existeraient-ils pas, n'apparaîtraient-ils jamais aux confins des sens et de l'esprit ? Quelles sont les limites d'une existence qui de toutes manières demeure impénétrable et jamais située de façon absolue dans le temps ni dans le lieu, ni dans l'apparence, ni dans le langage ?
« Le champignon lui-même, poursuit Georges Becker, garde un mystère infranchissable. Quand je m(y trouve sans m'y attendre devant Lepiota procera, j'ai toujours la sensation d'un miracle irréductible, d'une forme vivante vraiment prodigieuse. »
Mais cela s'appliquerait à n'importe quel être vivant ! En somme nos réflexions malhabiles en viennent à ceci. Rien n'est assuré que la présence, et toute présence digne de ce nom est inexplicable à l'infini.
Entre les champignons fantômes et les êtres réels, il n'y a pas de différence notable, les premiers ayant une existence sans preuves et les seconds aussi. Ils jouissent les uns et les autres du privilège d'avoir été nommés, pour un temps plus ou moins long, et de nous faire songer à tous les êtres qu'on ne nommera jamais ou dont on aura oublié le nom.
Il ne suffit pas même d'avoir vu pour nommer. Il faut prouver, communiquer une connaissance. Et l'on est désarmé dès lors que les caractères de l'existence ne sont pas donnés dans la nature par une étiquette mais livrés à un prodigieux hasard. Des champignons existent dont on ne prouvera jamais l'existence, aussi bien très passagère et fugitive, mais vraie, en dehors de toute vérité officielle. Il existe des espèces locales, ou qui sont des variations purement fantaisistes quoique réelles. Il existe un domaine où l'on chemine dans l'ignorance du chemin entre les deux rêves qui tracent la voie certaine des humbles existence : le rêve de notre regard et celui de nos paroles. Ainsi s'annonce la méditation.
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Selon Lucien Baillaud, auteur d'un article intitulé « Langue parlée, langue écrite : la botanique. » (In : Le Journal de botanique, n°32, 2005, pp. 43-72) :
Quand une plante jouit de plusieurs noms synonymes, cela signifie que les auteurs se sont mal documentés ou qu’on a cru déceler des caractères différentiels que la postérité n’a pas acceptés comme caractérisant un taxon. C’est sans doute parmi les champignons qu’apparaît au mieux le phénomène des espèces fantômes : le mycologue décrit une espèce nouvelle pour la science que personne n’a retrouvée par la suite ; l’espèce est-elle rare ? a-t-elle disparu ? était-ce le fruit de l’imagination du découvreur ? ou bien le mycélium n’a-t-il simplement plus développé de carpophores devant des mycologues ? L’impossibilité de vérifier le bien-fondé des nouvelles diagnoses par des cultures expérimentales laisse ouvertes toutes les hypothèses. On ne manque pas de soupçonner certains auteurs de lancer des ballons d’essais, à partir d’une récolte bien réelle présentant des caractères peut-être accidentels ; des revues à faible notoriété pourraient, là, rendre service. Et voilà un taxon, qui peut-être n’a jamais existé de manière justifiée, qui risque de figurer pour toujours dans les flores et qui immobilise définitivement un nom scientifique.
Selon Marie-Hélène Boblet. autrice d'un article intitulé "Le vrai mystère des champignons". (In : Cahiers André Dhôtel, 2015, Nature, 13, pp. 133-144.) :
[...] Pourtant, dans « Le vrai mystère des champignons », malgré sa « conversion » et par loyauté scientifique, le poète admet de se livrer à une contre-expérience et de regarder « avec confiance » un champignon consensuel : la russule charbonnière – dont les feuillets sont fourchus. Or, une fois décrite et reconnue la russule en question, « incapable de mensonge » (68), il faut supporter le risque de sa confusion avec la russule fourchue, laquelle est vénéneuse ! L’alerte nous émeut… jusqu’à ce que le présupposé existentiel soit déposé : la russule fourchue n’existe pas, selon Christian Hendrick Persoon (1761-1836), ou bien elle existe tel « un champignon fantôme » (69). Ce n’est pas qu’elle soit un spectre, mais que le nom dont on l’a affublée crée faussement une espèce nouvelle, un leurre. Le statut ontologique ajusté à ce fantôme pourrait se comparer à celui de l’ange, qui défait le partage convenu du corps et de l’esprit :
Le champignon fantôme, en dépit des négations dont il est l’objet, n’en garde pas moins son existence, si improbable qu’elle soit mais alors cette existence se situe dans un domaine qui n’est ni celui de la vision toujours personnelle ni celui de la preuve analytique rarement universelle. Quel domaine ?
Pourquoi, puisque nous sommes des pèlerins, les anges n’existeraient-ils pas, n’apparaîtraient-ils jamais aux confins des sens et de l’esprit ? […] Mais cela s’appliquerait à n’importe quel être vivant ! En somme nos réflexions malhabiles en viennent à ceci. Rien n’est assuré que la présence, et toute présence digne de ce nom est inexplicable à l’infini.
Si quelque chose de sûr demeure, c’est bien la manifestation d’un phénomène qui, si inexplicable ou mystérieux soit-il, est bien là, sous nos yeux, évident et irréfutable. La richesse en monde est plus précieuse que la richesse en mots, qu’elle excèdera et parce qu’elle l’excèdera toujours.
Dhôtel partage avec Jean-Christophe Bailly l’idée selon laquelle le spectacle de l’à peine apparu suscite une joie paradoxale : celle de ne pas tout connaître, d’être témoin d’une vie étrangère – avec laquelle on n’entretient nulle connivence, nulle familiarité – mais réjouissante par sa présence même, par la grâce de ses manifestations. Dans Le Parti pris des animaux (2014), Jean-Christophe Bailly met en garde ses contemporains contre la tentation de la nomination et de la nomenclature. On y reconnaît l’argumentation de Peucédan : « Le vrai mystère des champignons » prémunit les esprits forts de la passion des classements. Au catalogage, Dhôtel oppose le pèlerinage. Il ne compare pas une fantaisie avec une science, mais il confronte une science errante et une science exacte : « un pèlerinage est un voyage où l’on ne se propose pas un but, mais une absence de but. […] Une science subtile de l’égarement illuminera les plus humbles choses. Ainsi se définissait justement la mycologie18 .» Ailleurs, cette science de l’égarement se fait vecteur d’intrigues romanesques. Ici, il s’agit de suivre « des routes qui se subdivisent à l’infini. C’est bien à l’infini que nous allons de toute manière ».
Car les manifestations du vivant sont infinies : elles prennent d’innombrables et incommensurables formes, actuellement présentes ou imminentes, qui peuplent notre environnement, à quoi nous prenons part et à quoi nous avons droit, quand bien même elles resteraient aussi inexplicables qu’inépuisables. Pèleriner, c’est profiter de cet Umwelt, sans l’appauvrissante présomption de le réduire à des colonnes ou des statistiques, mais en convertissant le non-savoir en don et en chance :
Si le pèlerin ne fait que regarder et nomme les lieux ou les champignons, son assurance n’a pas la moindre vertu. Autre chose lui est nécessaire que la simple constatation ou la contemplation d’un catalogue, s’il ne veut pas subsister dans un univers de fantômes. Il lui faut apprendre à vivre dans l’intervalle du savoir et de la vision, et faire les pas précis qui l’emportent vers la vérité. La méditation doit resserrer avec une douce fermeté les limites de ce savoir et de cette vision. […]
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Arts visuels :
L'artiste Karine Fournier a proposé à Montréal en 2020 une exposition éphémère intitulée "Champignons fantômes" qu'elle catégorise en sculpture textile ou "tricot pirate" :
"Champignons fantômes : Exposition d'art public éphémère (Plateau Est).
Prenant racine dans les trouées des pavés, nichées contre les arbres, près des clôtures ou du mobilier urbain : ces mini-installations de champignons textiles proposent une manière post-arc-en-ciel de propager de la magie. Trouvez-les, cueillez-les ou bougez-les ; participez à l’œuvre chaque semaine de juin à août 2020 ! "
Sur le WikiMario, on peut lire la notice suivante :
Le champignon fantôme est un objet de Super Mario Galaxy et de Super Mario Galaxy 2. Il est tout blanc et son visage représente un Boo mais comme si il avait un gland sur la tête. Les frères peuvent s'en servir pour léviter et passer à travers des murs spécifiques.
Ces champignons se situent dans les galaxies d'horreur et d'épouvante. Quand Mario s'en empare, il devient Mario Boo et peut flotter, il s'envole s'il y a du vent et peut passer à travers les grilles. Si un ennemi le touche ou si Mario est exposé à de la lumière, la transformation se termine et Mario retombe alors sur le sol.
Le champignon fantôme apparaît pour la première fois dans la première mission de la galaxie fantomatique, où Mario doit l’utiliser pour sauver Luigi. Cependant, si Mario garde sa transformation et tente de parler à son frère, Luigi sera effrayé, obligeant Mario à utiliser la lumière de l’autre côté de la prison de Luigi pour qu’il le reconnaisse et lui donne l’étoile.
Note : En référence à sa peur des fantômes, Luigi déteste cette transformation et fronce les sourcils en se transformant. Quand Mario l'utilise, il prend son propre frère pour un Boo et est effrayé.
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Le champignon-fantôme est également une créature qu'on trouve sur le site des joueurs de Pathfinder.fr :
[...] Pouvoirs spéciaux : Chair fantomatique (Sur). Par une action de mouvement, le champignon fantôme peut se rendre invisible comme s'il utilisait invisibilité suprême (NLS 4). Un instant après avoir attaqué sous couvert d'invisibilité, la créature apparaît brièvement comme une version semi-transparente d'elle-même. Ceci permet à tout observateur ayant le champignons dans sa ligne de mire de le localiser au moment de l'attaque (mais si la créature se déplace après avoir porté son attaque, ses adversaires devront la localiser à nouveau. Un adversaire peut préparer son action pour frapper le champignon au moment où il apparaît brièvement, auquel cas la créature ne sera que camouflée, non invisible (20% de chances de rater). Le champignon peut se rendre complètement visible par une action de mouvement même s'il reste normalement invisible tout le temps. S'il est tué lorsqu'il est invisible, le champignon redevient visible 1d4 minutes plus tard.
Certaines parties du corps de ce monstre fongeux à trois pieds semblent apparaître et s'effacer peu à peu, comme par magie. Une large mâchoire s'ouvre sur toute la longueur de son corps.
Le principal avantage du champignon fantôme, en tant que prédateur, c'est sa capacité à disparaître à la vue de ses ennemis. Patrouillant discrètement le long des cavernes, le champignon fantôme demeure invisible jusqu'à ce qu'il se trouve derrière sa proie et referme alors ses mâchoires cruelles sur sa victime.
Le champignon fantôme préfère tendre des embuscades aux créatures se promenant seules. Lorsqu'il rencontre un groupe plus important, il suit souvent ses proies pendant des heures, attendant patiemment que se cibles se séparent ou installent leurs campement pour attaquer ses ennemis un à un, en prenant son temps. Si les champignons fantômes ne chassent généralement pas en meute, il existe des histoires de bosquets agissant ensemble pour abattre leurs ennemis. Lorsqu'ils n'ont d'autre choix que d'attaquer plusieurs ennemis à la fois, les groupes de champignons fantômes concentrent leurs attaques sur une cible à la fois. Si possible, il préfères s'attaquer au adversaires les plus bruyants : ils s'intéressent davantage aux créatures portant des armures lourdes ou utilisant des attaques bruyantes (comme, par exemple, les bardes ou les lanceurs de sorts) qu'aux créatures plus calmes.
Les mâchoires avec lesquelles le champignon fantôme attaque ses proies se composent de plusieurs rangées de dents irrégulières et acérées faisant plus penser à des pierres pointues qu'à de véritables crocs. Cette "bouche" ne lui sert cependant pas à se nourrir et n'est relié à aucun appareil digestif : ce n'est rien de plus qu'une arme naturelle béante. Lorsque le champignon fantôme se nourrit, il s'accroupit sur sa proie et infeste son corps de milliers de filaments nutritifs qui s'enfoncent dans la chair morte pour en récolter les nutriments.
Le champignon fantôme mesure 1,80 mètre et pèse 100 kilos. Bien qu'il préfèrent vivre sous terre, on en rencontre également à la surface.
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