Boutons de manchette pour Poulpiquets
- Anne
- il y a 3 jours
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Dernière mise à jour : il y a 3 jours
Étymologie :
Étymol. et Hist. 1803 pézise (Boiste) ; 1811 pezize (Wailly). Du gr. π ε ́ ζ ι ς « sorte de champignon sans stipe » (cf. encore André, s.v. pezica).
Lire également la définition du nom pézize afin d'amorcer la réflexion symbolique.
« Poulpiquet est le nom donné, dans la légende, aux enfants des jolies korriganes qui, fils ou filles des affreux korrigans, exercent la laideur de leur père avec une effroyable prodigalité. Or, les clients du petit café nous ayant paru pour la plupart fort laids, nous avions baptisé le lieu de leurs rencontres "le café des Poulpiquets" qui devint ensuite, par abréviation "le Poulpiquet". » (René Peter, Une saison avec Marcel Proust, Éditions Gallimard, collection « NRF », 2005)
Autres noms : Bisporella citrina - Bisporelle citrine - Bisporelle jaune - Calycelle citrine - Coupe jaune des fées - Hélotie citrine - Lemon disco - Minute lemon cup - Pézize citrine -
Bisporella sulfurina - Bisporelle couleur de soufre -
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Mycologie :
Xavier Bossier, auteur d'un article intitulé "Zoom champignons. Sarcoscypha coccinea, Bisporella citrina, Exidia thuretiana" (Isatis N°19, Revue de la Société botanique d'Occitanie, 2019) décrit le petit bouton jaune à partir d'une découverte dominicale :
Une fois faite bombance, les esprits relâchés, tout amenait à passer à l’heure ibérique. Les uns décroisaient leurs jambes, d’autres croisaient leurs bras sous la tête. Lionel quant à lui, portait la main vers son Opinel n°7 fiché sur un morceau de bois dans l’intention de le ranger, lorsqu’il se figea soudain. Après un très bref instant, il se pencha en direction de son couteau. Plus encore sa tête se rapprocha de la lame en inox. Tiens !? dit-il, tout en fronçant les sourcils. Il se releva brusquement, fouilla dans une poche de son pantalon, sorti une loupe à main grossissement ×10 et se courba derechef vers l’endroit qui semblait l’interpeller. Que sont ces petits points jaunes disséminés un peu partout sur ce bois mort de feuillus ? Il y regarda de plus près avec la loupe. Ha ! mais ce sont des apothécies dirait-on. Il se redressa. Rémy, viens voir, il y a quelque chose pour toi, c’est quoi ? répondit Rémy. Des apothécies jaunes. Je n’ai pas vu de thalle. Bah ! ne cherche pas, c’est un lichen, certainement un Caloplaca ou un Lecanora quelque chose, affirma Rémy. Bon si tu le dis. Le ton résigné de Lionel marquait néanmoins l’émanation d’un doute. À juste titre.
En effet ces apothécies jaunes peuvent être confondues avec celles d’un lichen. Même si ce dernier fait partie du règne des Fungi, il s’agit bien ici d’un champignon stricto sensu. La bisporelle jaune nommée aussi Hélotie citrine ou Calycelle citrine peut être assez fréquente. D’autant plus que son comportement grégaire permet sur un seul support d’avoir une concentration importante de ces petits boutons jaunes n’excédant pas 3 mm de diamètre, siège de la reproduction sexuée.
Vous pourrez voir Bisporella citrina (Batsch.) Korf et S.E. Carpenter de juillet jusqu’aux premières gelées selon les régions. Mais sa discrétion due à sa très petite taille demande un effort d’observation. Où la trouver ? Sur souches, troncs à terre, branches mortes ou bois pourrissant de feuillus, par exemple de Fagus. Vous l’aurez compris c’est un saprophyte. Cette forme apothéciale jaune citrin pouvant virer au jaune orangé en vieillissant que nous observons paraît sessile, ce qui est souvent le cas mais parfois elle peut être brièvement stipitée. Le disque est concave dans sa jeunesse puis en gagnant en maturité s’aplanit pour enfin en vieillissant devenir convexe. La marge du disque légèrement plus clair que le disque lui-même devient au fur et à mesure plus proéminente, entière et un peu ondulée. L’ensemble est de texture ferme et charnue. En pratiquant une coupe longitudinale et sous microscope nous visualiserons des spores oblongues souvent obtuses parfois elliptiques, droites ou un peu courbes, hyalines, lisses avec une grosse gouttelette à chaque pôle, accompagnées parfois d’autres plus petites et de quelques granulations. Les mesures moyennes sont de (8) 12-14 (17) × 3,5-5 μm.
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Symbolisme :
Dans La légende des Gagats : essai sur les origines de la ville de Saint-Étienne en Forez. (Edtions Didier et cie., 1866), Pierre Auguste Callet nous en révèle davantage sur les Poulpiquets et leur attrait pour l'or jaune :
Pol ou Poul était si bien le nom d'un petit dieu gaulois, présidant aux travaux des mines, que, dans le moyen âge, on appelait encore « poulpiquets », en plusieurs provinces de France, une certaine famille de nains mystérieux ou lutins, ailleurs nommés « bolbigons », qui est, sous une autre forme, le même nom ; or, ce nom signifie clairement « Pol au pic ».
Il y aurait peut-être à se demander s'il n'y avait pas quelque ancienne et secrète parenté entre ce dieu Pol des Eurises et le Dioscure Pollux, divinité cabirique. Dans ce nom grec, le caractéristique « lux », au lieu de signifier, comme en latin, lumière, signifie, au contraire, ténèbres, venant de λύγη.
Plusieurs circonstances semblent autoriser nos conjectures touchant le lointain parentage du dieu gaulois avec le dieu grec. Pollux faisait partie de l'expédition des Argonautes, dont le but véritable, à peine voilé par la légende, était la recherche des mines d'or de la Colchide. On le représentait toujours, comme sur le bas-relief des Nautes parisiens, à côté d'un cheval, les rênes dans la main, la main sur la crinière. Il présidait à l'apparition de ces feux mystérieux qui s'allument quelquefois, pendant l'orage, à la pointe des mâts. C'est à raison d'un incident du voyage des Argonautes , jetés par la tempête sur les côtes de Samothrace, que la Grèce avait fait des Dioscures, anciens dieux métallurges, des dieux marins. Or, après avoir retrouvé Pol (1) dans les mines de la Gaule, nous allons y retrouver aussi son fantastique coursier.
« La principale raison pour laquelle la plupart des mines de France ont été abandonnées, tient, dit un savant du XVI siècle, à l'existence des esprits métalliques qui se sont fourrés en icelles. Les esprits se représentent les uns en forme de chevaulx de légère encoleure et d'un fier regard qui, de leur souffle et hennissement, tuaient les pauvres mineurs..... » (2). Quant aux météores, que les Grecs appelaient aussi dioscures, du nom des jumeaux de Léda, on en voit sous terre comme sur mer, et si le Pol grec, devenu dieu des matelots, allumait le feu Saint-Elme, c'était, selon toute apparence, le Pol gaulois, resté dieu métallurge, qui allumait le grisou.
Note : 1) Les Dioscures avaient été adorés chez les Étrusques, et Pollux, en Étrurie, s'appelait Pultuc. ( Voir Preller, les Dieux de l'ancienne Rome.) Ce Pul-Tuc (prononcez Poul-Touc) nous rapproche de Poul-Awen et de Poulpiquet.
2) F. Garrault, Des mines d'argent trouvées en France Paris, 1579.
Dans les archives du site Fonge et Florule, on trouve un article signé Richard Bernaer (en date du 4 décembre 2012) qui relie intimement le symbolisme de ce petit champignon à sa couleur flamboyante mais longtemps décriée :
« Si revalorisation du jaune il y a, elle passera d'abord par les femmes et par les vêtements de loisir (à l'égard desquels on s'autorise davantage de liberté). Si j'étais styliste, je m'engouffrerais dans cette voie... Je pense que, si des changements s'opèrent dans nos habitudes des couleurs, qui se jouent sur la longue durée, ce sera dans les nuances de jaune. Étant tombé très bas, et ayant commencé à se relever doucement, cette couleur-là ne peut que se redresser. Le jaune a un bel avenir devant lui. »... écrit Michel Pastoureau dans Le petit livre des couleurs (1), après avoir passé historiquement en revue tous les procès dont le jaune fut l'objet en Occident depuis le Moyen Âge : infamie, félonie, mensonge, trahison, maladie... sans oublier le symbole de l'exclusion qu'il fut.
Mais la revalorisation du jaune ne passera-t-elle pas aussi par la nature ? Par les grandes effusions de jaune, certes, tels les feuillages de charmes, de bouleaux ou d'érables à l'automne, les champs de blé et de tournesols peints par Van Gogh, les prairies gorgées de jonquilles, de pissenlits ou de boutons d'or au printemps, mais également et plus modestement par les touches jaunes des champignons en hiver, dont les minuscules cupules convexes de notre Ascomycète : Bisporella citrina (2) (Batsch : Fries) Korf & Carpenter.
Et la Bisporelle citrine ne se contente pas de revaloriser le jaune : elle ressuscite le bois mort !
1 - Le petit livre des couleurs, Michel Pastoureau & Dominique Simonnet, Éditions du Panama, 2005.
2 - Bisporella citrina peut ressembler à d'autres petits Ascomycètes jaunes, et le microscope s'avère alors indispensable pour les séparer.
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