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Le Bouleau (suite)

Dernière mise à jour : 29 sept.


Suite de l'article publié le 2 novembre 2016.


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Croyances populaires :


Selon Véronique Barrau et Richard Ely, auteurs de Les Plantes des Fées et des autres esprits de la nature (Éditions Plume de Carotte, 2014) le bouleau est un "arbre fantomal".


Une promenade risquée : Imaginez-vous au cœur de la Bretagne, en train de flâner dans un bosquet de bouleaux alors que le crépuscule et son cortège d'ombres s'approprient lentement les lieux. Le paysage et ses contours s'estompent peu à peu, le chant des oiseaux se fait de plus en plus discret jusqu'à s'éteindre et la légère fraîcheur du soir vous fait frissonner.... A moins que ce ne soit la crainte de voir les Hommes blancs ?

De nombreux promeneurs ou conducteurs roulant à la lisière de ces bois ont décrit avec effroi ces silhouettes blanches se déplaçant à la tombée du jour. Les plus sceptiques ont bien sûr dénoncé une imagination teintée de crédulité avant d'affirmer que les êtres blêmes entraperçus n'étaient en réalité que de simples troncs de bouleau tranchant avec l'obscurité. Mais la plupart des Cévenols chez qui de semblables apparitions se déroulaient également sur les terres, étaient persuadés du contraire. Et comme si ces rencontres inopinées ne suffisaient pas à leur inquiétude, ils ajoutaient que la vue des Hommes blancs sur un chemin annonçait un prochain malheur !


Message subliminal : Jadis, les Russes de Vetluga vouaient une admiration sans bornes pour un bouleau remarquable qui se distinguait par dix-huit énormes branches se prolongeant au total de quatre-vingt-quatre faîtes. Lorsqu'une tempête fit chuter l'une des cimes dans un champ, l'agriculteur concerné crut que l'esprit de l'arbre lui exprimait son courroux. En signe d'apaisement, il ne moissonna pas son terrain cette année-là et laissa les céréales au gardien du bouleau.


La main sur le cœur : En Angleterre, le simple fait de s'approcher des bouleaux de la lande du Somerset durant la nuit entraînait jadis des conséquences irréversibles pour les jeunes hommes. Car en ce lieu vivait "Celle à la main blanche", un esprit décrit comme une jeune fille pâle et maigre, revêtue d'habits bruissant comme des feuilles mortes. Elle s'élançait d'arbre en arbre pour suivre les garçons qu'elle finissait par toucher de sa longue main blafarde semblable à une branche. Si elle visait la tête, les noctambules sombraient dans la folie mais si la créature effleurait le cœur, les hommes décédaient sur l'instant...

Tout semble paisible mais dans les futaies de bouleaux de Picardie, vivent les Bocquillons, des nains de couleur blanche qui auraient écopé de leur petitesse après avoir désobéi au Seigneur.


Protection rapprochée : Les contes mentionnent souvent les fées marraines se penchant sur les berceaux des nouveau-nés pour leur insuffler diverses qualités et déterminer leur avenir. En Europe du Nord, les petits lits en question étaient fabriqués en bois de bouleau, symbole du printemps et donc d'un nouveau cycle de vie. Tout nourrisson couché dans un tel berceau ne craignait aucun danger et recevait la visite des bonnes fées. A l'opposé, les îliens des Hébrides redoutaient un tel tête-à-tête. Ils accrochaient une branche de bouleau sur les petits lits afin de repousser les enchanteresses. Il est probable qu'ils craignaient de voir leur enfant enlevé et remplacé par un changelin.

Dans la région forestière de Polésie, entre la Biélorussie et l'Ukraine, l'usage voulait que l'on plante des branches de bouleau sur les tombes à l'approche de la fête de la Trinité. En agissant de la sorte, on encourageait les Roussalki à rester dans les cimetières plutôt que se rendre dans les maisons. A la même période, les jeunes filles, qui connaissaient l'attachement de ces nymphes pour les arbres au tronc blanc, tressaient et accrochaient des couronnes sur les branches pendantes des bouleaux. Puis elles dansaient en rond autour des troncs durant plus d'une heure tout en chantant une formule de protection envers ces êtres. Une fois la fête de la trinité passée, les cercles de verdure étaient défaits pour inciter les Roussalki à regagner leur palais au fond des eaux.

En France, on se contentait de placer un rameau de l'arbre dans les maisons pour repousser les mauvais esprits. Quant aux Anglais du Herefordshire, chaque 1er mai, ils fichaient en terre de jeunes bouleaux devant les écuries avant d'orner les branchages de rubans rouge et blanc. Cette opération visait à dissuader les lutins de venir perturber les chevaux durant la nuit.


Échanges de bons procédés : Dans la Prusse orientale d'autrefois, une coupelle de bouillie de farine de bouleau était laissée à disposition de l'Alf chaque soir. Pour remercier les humains de cette délicate attention, l'elfe rendait de menus services dans les maisons. En Italie, les Gannes subtilisaient parfois en hiver de quoi se sustenter dans les logis du Trentin mais laissaient à la place des feuilles de bouleau ayant la particularité de se changer en or !


Esprits, êtes-vous là ? Le Lechy, gardien des forêts salves, est particulièrement lié au bouleau. Si vous souhaitez rencontrer cet être afin de lui demander son aide, coupez et courbez la cime d'un jeune bouleau de manière à former un cercle à terre. Ôtez tout signe ostentatoire chrétien que vous pourriez porter sur vous puis entrez dans votre cerceau de bois en disant : "Petit père forestier, apparais, s'il te plaît." Le Lechy apparaîtra alors sous forme humaine, prêt à rendre n'importe quel service du moment que vous lui promettez votre âme...

Il est peut-être plus prudent d'invoquer l'Esprit du bouleau qui ne demande aucune contrepartie en échange de l'unique don qu'il puisse offrir : son propre lait. Cet être parait sous la forme d'une femme mûre dont la taille émerge du tronc ou des racines de l'arbre. Ses longs cheveux sont dénoués et ses seins nus sont gonflés. Celui qui boit le lait de cet esprit de Sibérie verra sa force s'accroître considérablement.

Nettoyer les pas de porte au 31 janvier avec un balai de branches de bouleau éloigne les esprits malfaisants de l'année qui s'écoule.


Buisson démoniaque : Certains arbres, dont les bouleaux font partie, sont affublés d'une prolifération dense de pousses et de rameaux, appelée "balai de sorcière". Si la science permet aujourd'hui d'imputer cette déformation à des champignons (en l'occurrence Taphrina betulina), on accusait jadis les magiciennes volant sur leur balai d'avoir frôlé ces branches. Par ce simple contact, les rameaux s'étaient hérissés au point de donner naissance à d'étranges excroissances."

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D'après Véronique Barrau, auteure de Plantes porte-bonheur (Éditions Plume de carotte, 2012) :


"La blancheur argentée de son tronc, symbolisant la pureté et la précocité de ses feuilles au printemps, annonçant le retour du soleil et la victoire remportée sur l'hiver ont fait du bouleau un arbre particulièrement apprécié en Russie et aussi dans d'autres pays. Les chamans de Sibérie grimpaient sur les bouleaux sacrés à sept ou neuf branches pour solliciter l'aide des dieux, que ce soit pour une guérison ou pour accorder une chasse fructueuse à leur peuple. En Allemagne, le bouleau servait à une cause bien plus légère. Le mercredi des Cendres, les enfants du Brandebourg prenaient en effet un malin plaisir à taper les passants à coup de faisceaux de bouleau. Loin de leur valoir des punitions, ce geste considéré comme attirant la chance sur les "victimes consentantes", leur permettait de recevoir des bretzels !


Récoltes : En Russie, la Troïsta, nom de la Pentecôte orthodoxe, était l'occasion de célébrer la végétation, représentée symboliquement par les bouleaux. Diversement décorés à cette occasion, ces arbres étaient jetés à l'eau pour favoriser la venue de la pluie ou laissés dans les champs, pour qu'ils protègent les récoltes des gelées et des animaux nuisibles.


Arbre de la sagesse... C'est ainsi que l'on surnommait autrefois le bouleau car avec ses rameaux on confectionnait une sorte de martinet destiné aux enfants du Moyen Âge lorsqu'ils se montraient rétifs aux études.


Mariages à l'italienne : Durant les noces italiennes d'antan, des torches de bouleau étaient brûlées en guise de porte-bonheur. Cet usage trouverait son origine dans la mythologie qui mentionne l'enlèvement des Sabines (femmes du peuple des Sabins) par des Romains portant des torches d'aubépine. De l'avis de Pline l'Ancien, le folklore traditionnel aurait remplacé cette essence arbustive par des faisceaux de coudrier et de bouleau. Si l'on en croit une croyance ésotérique contemporaine, un mariage heureux serait également garanti à toute personne portant sur elle un sachet de soie rose contenant des morceaux d'écorce de bouleau.


Un tas de bouleau : Une croix de bouleau placée au-dessus de la porte principale d'une maison réduirait à néant les offensives des sorciers et des mauvais esprits contre les habitants. En Allemagne, les fermiers de la région de Souabe pensaient protéger leur bétail en plantant dans leur tas de fumier des rameaux de bouleau en nombre équivalent à celui de leurs animaux.


Un chouette balai ! En Russie, le banny vénik est un petit balai façonné à partir de branches feuillues de bouleau et utilisé traditionnellement dans les bains pour purifier la peau. L'objet fut longtemps considéré comme une amulette éliminant les forces du mal.


Lechii : Issu du folklore slave, ce génie protecteur des forêts est intimement lié au bouleau. Pour bénéficier de son aide et retrouver par exemple une bête égarée, les Russes écrivaient leur demande sur un morceau d'écorce et clouaient leur message sur un arbre."

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Proverbes et dictons :


Asa Larsson dans son roman policier intitulé Le Sang versé (Édition originale, 2004 ; Éditions Albin Michel, 2014 pour la traduction française) évoque un dicton finnois :


Soudain la maison trembla. Quelqu'un venait de claquer la prote au rez-de-chaussée. Le petit carillon de l'entrée sous le tableau qui disait : « Jopa virkki puu visainen kielin kantelon kajasi tuota soittoa suloista * » jouait sa jolie mélodie.


* « Les chatons du bouleau verruqueux jouent leur sage mélodie » (dicton finnois).

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Contes et légendes :


Conte amérindien

(Georges Demanche, Au canada et chez les Peaux-rouges)


Le Génie, traversant un jour une savane, aperçut un ours qui se frottait fréquemment les yeux avec ses pattes. Il se dirigea vers lui.

- Eh ! s'écria-t-il, salut frère !

L'ours leva la tête et l'ayant reconnu :

- Salut, frère ! car les animaux le comprenaient et pouvaient lui répondre.

- Qu'as-tu donc à te frotter comme cela les yeux ; as-tu mal ?

- Eh ! Oui, j'éprouve une démangeaison que je ne puis faire cesser.

- Oh ! Si ce n'est que cela, dit le Génie après l'avoir regardé, je puis te guérir. Veux tu que je t'indique un remède ?

- Oui, répondit l'ours, car j'ai confiance en toi.

- S'il en est ainsi, je vais prendre ces petites graines rouges que tu vois là-bas, en exprimer le jus et le verser dans les yeux. Ce sera cuisant, mais cela ne t'en guérira que plus rapidement. Il faut pour cela que tu te mettes sur le dos afin de me faciliter l'opération.

- C'est entendu fit l'ours, qui de suite se plaça dans la position requise.

Le voyant ainsi sans défense, le Génie prit une grosse pierre et, d'un coup, lui broya la tête.

- Voici, se dit-il alors, mon déjeuner assuré.

Il se demanda ensuite comment il ferait cuire l'ours. Réflexion faite, il se décida à la faire rôtir tout entier avec le poil. L'opération terminée, il regretta de ne pas avoir un grand appétit afin de pouvoir dévorer l'ours à belles dents.

Il eut alors une idée. S'adressant à un bouleau formé de deux tiges partant du même pied, il lui dit (car les arbres le comprenaient aussi) :

- Je vais me placer entre tes deux branches et tu me resserreras jusqu'à ce que je te dise d'arrêter, afin que, par cette opération, je puisse me dilater et absorber une plus large part du festin qui m'attend.

Le bouleau le resserra.

- Encore, dit-il, ce n'est pas assez.

Le bouleau continua son mouvement.

- Encore un peu, fit-il. Là, c'est bien. Desserre-moi maintenant.

Mais le bouleau, voulant le punir de sa mauvaise foi envers l'ours, resta immobile et le maintint attaché malgré ses supplications.

Voyant qu'il ne pouvait remuer et restait comme pris au piège, les loups et les coyotes, qui attendaient dans le fourré que le repas fut consommé pour en recueillir les restes, s'avancèrent sans crainte en vue de rassasier leur faim. Ils mangèrent de si bel appétit que de l'ours il ne resta bientôt plus rien. Alors seulement le bouleau se desserra et, satisfait de la leçon qu'il venait de donner, rendit la liberté à son captif.

Mais le Génie voulut à son tour se venger du bouleau qui l'avait humilié.

- Désormais, lui dit-il, ton écorce ne poussera plus en hauteur comme celle des autres arbres mais elle s'étendra de côté.

Et voilà pourquoi, depuis cette époque, l'écorce du bouleau pousse dans le sens horizontal.

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La bénédiction de la transformation

(Doris et Sven Richter, Le message des arbres)


"Il était une fois un marcheur portant sur son épaule gauche un bâton auquel était attaché son balluchon. Il cheminait sur la terre et trouva un arbre au pied duquel il s'assit. Là, il scruta au loin jusqu'à ce que le soleil se couchât au firmament. Plus il sombrait, plus son image devenait lumineuse, et la lumière du soleil couchant se reflétait sur son visage. Tandis qu'il se couchait et qu'un vent frais caressait son visage, il reconnut le premier cadeau que le soleil offrait à la terre.

Son odorat perçut le souffle de la terre qui se détachait d'elle et s'insinuait dans ses narines. Lentement, après que l'odeur se fut élevée du sol, l'eau se mit à sortir d'elle et le brouillard rafraîchit sa peau.

- Parlez-moi, merveilleuses gouttelettes qui êtes capables de vous élever lorsque tombe la nuit. Qui vous donne la grâce de faire fi de l'attraction terrestre alors qu'elle est en nous tous qui marchons sur la terre ?

Il s'adossa contre le tronc de l'arbre dont l'écorce blanche luisait à la lueur de la lune. Il toucha la terre-mère de ses deux mains tandis que son visage se tournait vers les étoiles, et voici qu'il entendit une histoire.

- Je suis un marcheur, tout comme toi, dit l'eau d'une voix douce à son oreille intérieure. Quelques fois, je suis de forme solide, quelquefois liquide, quelquefois gazeuse, il m'arrive même de m'oublier dans l'une d'elles. Il n'y a rien dans la mère ni sur elle que je n'aie pas déjà touché par cette grâce de la transformation qui a lieu en moi. Tout ce qui a lieu avec moi n'a pas lieu par moi, cela a simplement lieu. Cette grâce qui s'appelle transformation et qui modifie constamment une forme, crée puis efface la structure. Dans ce processus, il n'y a pas de séparation de l'un avec l'autre. Tout coule, tout comme moi.

- Mais qu'est-ce qui différencie l'un de l'autre ? demanda le marcheur curieux à l'esprit de l'eau.

- C'est la volonté qui remonte le courant contre la grâce. Il faut mettre en œuvre une force énorme pour cela, et ce n'est que dans la mort qu'on se transforme et que l'on est dans le fleuve. Mais cette fois, tu trouves le chemin avec lui, le chemin qui est déjà parvenu au but, même si ce dernier te semble éloigné.

Laisse moi te dire un secret. La mort est aussi la naissance, et si tu laisses les deux agir avec toi, se battre contre le courant et se lâcher dans le fleuve, tu recevras un jour, pendant ce processus, ton cadeau.

Tu ouvriras tes mains après avoir tout lâché, et le cadeau, la grâce de la transformation, est la petite plante qui germera en toi par mon intermédiaire.

Lorsque cette plante sera devenue adulte et que ses feuilles se balanceront au vent, tu pourras te mouvoir en tant qu'âme libre, comme l'aigle blanc au-dessus des cimes. Et le vent détachera une plume qui se posera sur ses racines, et alors, l'arbre reconnaîtra également à quel point il pourrait être libre s'il acceptait d'effectuer le même lâcher prise que toi, mon frère. Alors vous vous donnerez la main comme des frères, tandis que mon chant continuera de vibrer en vous sur la terre."

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Le bouleau tortu

Conte fantastique (Estonie)


Il y a bien longtemps, un jeune paysan fanait dans une prairie. Le ciel était bleu, mais les mouches piquaient. Vers le milieu de l'après-midi, des nuages noirs annoncèrent l'orage. Le jeune homme se hâta de terminer son ouvrage. Comme il rentrait chez lui, il découvrit un étranger endormi au pied d'un bouleau. Le tonnerre grondait, menaçant. Des éclairs zébraient le ciel.

- Si je le laisse dormir, il va être trempé comme une soupe.

Il secoua le dormeur :

- Monsieur, monsieur ! Réveillez-vous ! Il va pleuvoir!

L'étranger s'éveilla en sursaut et pâlit en voyant le ciel sombre. Il fouilla ses poches, pour chercher une récompense mais elles étaient vides. Il dit alors :

- Un jour, je vous remercierai de votre amabilité, jeune homme. souvenez-vous de ce que je vais vous dire. vous allez vous engager et partir au combat loin de chez vous. Un jour, vous aurez l'ennui du pays. A ce moment, levez les yeux, et vous verrez à quelques pas de vous un bouleau tout rabougri. Frappez trois fois son tronc du plat de votre main en demandant : "Le tortu est-il chez lui ?" Vous verrez ce qui arrivera.

Ceci dit, l'étranger s'éloigna rapidement, relevant les épaules sous les premières gouttes. Le paysan regagna sa ferme et oublia son étrange aventure.

Quelques temps après, il s'engagea dans un régiment de cavalerie. Un soir, alors qu'il était cantonné au nord de la Finlande, il fut chargé d'aller panser les chevaux, tandis que ses camarades étaient à la taverne et faisaient la fête. Notre homme sentit soudain un violent désir de revoir son pays, un désir tel qu'il n'en avait jamais éprouvé auparavant. Des larmes lui montèrent aux yeux au souvenir de ses parents, de ses amis. Alors, il se rappela les paroles de l'étranger, un soir d'été, quand l'orage faisait rage. Il regarda autour de lui et, dans les dernières lueurs du crépuscule, le tronc lumineux d'un bouleau tout rabougri, tout tordu, attira son attention. Il s'approcha de l'arbre et, plaisantant à demi, il le frappa trois fois du plat de sa main, disant :

- Le tortu est-il chez lui ?

A peine avait-il prononcé ces mots que l'étranger apparut devant lui.

- Je suis content de vous revoir. J'avais peur que vous m'ayez oublié. Vous avez le mal du pays, n'est-ce pas ?

Le soldat hocha la tête. alors, l'homme appela :

- Enfants, qui de vous est le plus rapide ?

Une voix venant de l'arbre répondit :

- Père, je peux courir comme une poule d'eau.

- J'ai besoin d'un messager plus rapide aujourd'hui.

Une autre voix cria :

- Père, je peux courir comme le vent.

- J'ai besoin d'un messager plus rapide encore, aujourd'hui.

Une troisième voix dit :

- Père, je peux courir comme la pensée de l'homme.

- Voilà ce que mon cœur désire. Fils remplis un sac d'or. Emporte-le ainsi que mon ami et bienfaiteur. Emporte le dans sa demeure.

Puis il saisit le chapeau du soldat et cria :

- Le chapeau à l'homme et l'homme à la maison !

Aussitôt, le soldat sentit son chapeau qui s'envolait de sa tête, et, en un instant, il se retrouva dans la salle voûtée de sa maison, vêtu des vêtements confortables qu'il portait quand il était paysan. Un sac rempli de pièces d'or était posé à ses pieds.

Et que se passa-t-il dans son régiment ? Une chose étrange : ses camarades voyaient toujours son double, comme s'il n'était jamais parti. A l'appel et à la revue, il répondait toujours présent. Et ainsi, jusqu'à la fin de son service.

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Le bouleau et les trois faucons

Conte merveilleux (Russie)


En un certain état, en un certain royaume, un soldat rentrait chez lui. C'était l'automne vers la fin du mois d'octobre, et les feuilles virevoltaient mélancoliquement. Comme il traversait un bois de bouleaux, un être étrange, à la peau bleue, aux yeux saillants, aux sourcils touffus, lui barra la route. Sa barbe et ses cheveux, verts comme l'herbe, tombaient jusqu'à terre. Ses jambes, maigres comme pattes de héron, étaient terminées par des pieds griffus qui ressemblaient aux serres d'un aigle. Il était vêtu d'une robe ample boutonnée à l'envers

- Halte, soldat ! Où vas-tu ainsi ?

- Je retourne dans mon village après avoir vaillamment servi le tsar.

- Ecoute, je suis le lieschi qui surveille que tout aille au mieux dans la forêt. Entre à mon service et je te récompenserai largement.

- Que devrais-je faire si j'accepte ?

- Pas grand chose. Simplement surveiller mon domaine et nourrir mes trois faucons, pendant que je partirai en voyage comme chaque année pendant l'hiver. Quand je reviendrai, je te paierai.

- Marché conclu, dit le soldat.

- Pendant mon absence, tu pourras aller partout. Tu chasseras des lièvres pour mes faucons. Et chaque jour, à ton réveil, tu trouveras ton repas prêt.

Le lieschi partit, hurlant comme un forcené, grinçant des dents, faisant craquer les branches sur son passage. Le jeune homme attendit que le silence soit revenu et s'installa dans la forêt de bouleaux. Chaque soir, il tirait trois beaux lièvres qu'il accrochait dans les branches d'un arbre : trois faucons descendaient et, une fois rassasiés, s'envolaient vers le cœur de la forêt et dormaient au creux d'un arbre. Chaque matin, quand le soldat se réveillait, un festin était dressé pour lui sur une pierre. Les trois faucons venaient parfois partager son repas. Quand il avait fini de manger, tout disparaissait, comme par enchantement. Il construisait une cabane en rondins, une table et un banc, un lit qu'il garnit de feuilles mortes, pour passer l'hiver confortablement.

Un jour de février, alors qu'il se promenait, il découvrit une clairière dégagée. Au centre se dressait un jeune bouleau, très mince et élégant. Comme il s'apprêtait à s'asseoir au pied de l'arbre, les feuilles bruissèrent et une voix de femme l'appela :

- Soldat ! Soldat !

Il regarda autour de lui : personne.

- Soldat, va au village voisin et demande à parler au pope. Prie-le de te prêter ce dont il a rêvé cette nuit.

- Qu'ai-je à y perdre, se dit le soldat ? Cela me fera une petite sortie ! Il y a longtemps que je n'ai vu personne !

Il quitta le bois de bouleau et se rendit à l'église dont il voyait le clocher de bois. Le prêtre lui tendit un petit livre. Le soldat revint au pied du bouleau. La voix de femme reprit :

- Prends une torche pour t'éclairer, et lis pendant toute la nuit, à haute voix !

Le soldat obéit. Au matin, il leva les yeux de son livre et découvrit une fille merveilleuse qui sortait du bouleau jusqu'à la poitrine. Au matin de la deuxième nuit, elle apparaissait jusqu'aux hanches. Au matin de la troisième nuit, elle était entièrement dégagée.

- Soldat, comme je traversais ce bois avec mes trois frères, le lieschi, ce méchant esprit des bois, nous a égarés. Nous avons tourné en rond sans trouver la moindre issue. Puis il m'a demandé si je voulais l'épouser. Comme j'ai refusé, il m'a transformée en bouleau et il a changé mes trois frères en faucons qui doivent prendre soin de moi. Ce soir, quand ils viendront manger les lièvres que tu auras chassés, blesse-les légèrement et, ils redeviendront hommes.

Il en fut comme elle l'avait dit. La belle princesse dit à son sauveur

- Nous allons retourner chez notre père le tsar et, nous nous marierons, si tu le veux !

Comme les cinq jeunes gens s'apprêtaient à partir, le lieschi revint :

- Je vois que tu n'as pas perdu ton temps pendant mon absence, soldat. Mais jamais vous ne pourrez sortir de mon bois !

Il grandit à toucher le ciel pour les effrayer. La princesse dit alors :

- Asseyons-nous chacun sur une souche. Enlevons tous nos vêtements et enfilons-les à l'envers ! Enlevons nos chaussures et chaussons notre pied droit avec le pied gauche et vice et versa. Vite !

A peine avaient-ils obéi à la jeune fille que le lieschi dégonfla et devint aussi grand qu'un feuille de bouleau. D'une toute petite voix, il dit :

- Je n'ai plus aucun pouvoir sur vous, enfants ! Partez donc. Quant à toi, soldat, regarde sous la grosse pierre sur laquelle venait ton repas. Tu trouveras ton salaire pour avoir nourri mes faucons cet hiver.

Sous le rocher était un coffre rempli de pièces d'or. Les jeunes gens traversèrent monts et forêts jusque chez le tsar et la tsarine qui furent si heureux qu'ils célébrèrent aussitôt le mariage du soldat et de sa princesse."


Philippe Domont et Edith Montelle, Histoires d'arbres : des sciences aux contes

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Galina Kabakova, autrice de D'un conte l'autre. (© Flies France, 2018) étudie les contes d'origine qui mettent les plantes à l'honneur :


L’univers des étiologies est dualiste, ici les actions sont rarement anodines, elles provoquent des conséquences irréversibles et sont jugées à travers le prisme du Bien et du Mal. La mise à l’épreuve d’un végétal (ou d’un animal) face à un personnage sacré est une situation typique, car elle révèle la « vraie » nature de la plante et, par conséquent, explique son appréciation dans une tradition donnée. Ces épisodes font référence au Nouveau Testament de la Bible populaire : la fuite de la Sainte Famille en Égypte, les pérégrinations de la Vierge et la Passion du Christ, etc. Souvent la Vierge, Jésus-Christ ou encore un ange s’adresse à une plante en demandant refuge. Ainsi, la plante a-t-elle la chance de devenir l’auxiliaire du protagoniste sacré. Pour la faveur accordée, il la bénit en lui communiquant une caractéristique positive. En revanche, pour le service refusé ou la dénonciation, la plante est maudite (ATU 779 « Dieu récompense et sanctionne »).

[...]

Chez les Flamands, les Juifs cherchent des branches pour flageller le Christ ; l’acacia et le roseau cherchent à l’éviter, l’un se dote d’épines, l’autre s’entoure d’eau. Et seul le bouleau répond que ça lui est égal et finit sa réplique par geeselhout of bezemhout, bezemhout of geeselhout (flageller ou balayer, balayer ou flageller), ce qui doit traduire son bruissement (Van den Berg 2000 : n° 158).

[...]

Un autre motif étiologique qui va impacter le destin de la plante, c’est la vantardise. Elle peut se réaliser dans un dialogue entre une plante et un personnage sacré ou, plus fréquemment, sous forme de joute ou de « dialogues comparatifs », comme les définit Marie-Louise Ténèze, entre les plantes. [...]

 On en trouve un certain nombre en Europe, comme le dialogue entre bouleau et pin : le bouleau se dit le plus beau, mais en automne, c’est le pin qui sort gagnant (Biélorussie, Federowski 1902 : n° 69).

[...]

Le plus célèbre motif en relation avec les plantes qui parlent est celui de la plante dénonciatrice qui dévoile un secret tragique. Il faut préciser que les végétaux savent aussi dire la vérité sans paroles, uniquement par des gestes, comme la « pomme qui danse », qui indique le coupable en se posant sur sa tête (conte gascon, Bladé 1886 : 74, 79). Il s’agit de quelques contes-types regroupés dans le chapitre « La vérité éclate au grand jour » d’ATU, tels ATU 782 « Midas aux oreilles d’âne », ATU 780B « Les cheveux qui parlent » et ATU 960A « Les grues d’Ibyscus »

[...]

Si les arbres et d’autres végétaux s’expriment beaucoup dans les contes, c’est aussi parce qu’ils sont souvent, au même titre que les oiseaux, des humains ensorcelés. Les exemples sont très nombreux, et je n’en ne citerai que deux. Dans le conte russe « Bouleau et trois faucons », l’arbre demande au soldat embauché par le diable d’aller chercher chez le prêtre un livre saint. Cet objet magique permet à la belle fille ensorcelée par le diable de sortir progressivement de l’arbre (Afanas’ev 1985/2 : 275).

[...]

Certains motifs évoqués apparaissent aussi sur le registre parodique dans certaines variétés de contes (contes-nouvelles ou contes cumulatifs). Dans le conte russe « Le nigaud et le bouleau » (ATU 1643 « L’argent dans la statue »), l’idiot tente de vendre une vache à un bouleau qui gémit sous le vent. Il prend ces gémissements pour une promesse d’achat, et comme le règlement n’arrive pas, il abat l’arbre et y trouve un trésor caché (SUS : 340-341)14. Dans les contes cumulatifs, l’arbre apparaît comme un des multiples personnages exprimant leur douleur à leur manière et participant ainsi au deuil universel qu’on peut trouver dans les récits à caractère mythologique, mais qui est ici en décalage patent avec l’insignifiance de l’événement qui le provoque : ainsi dans un conte letton, « La poule rousse et l’ œuf tacheté » (ATU 2022 « La mort de la petite poule ») (Arajs 1969 : n° 50), le bouleau brise-t-il ses branches en apprenant que l’œuf s’est cassé. Dans la version des frères Grimm « Le Pou et la Puce » du même conte-type, un petit arbre réagit de la même façon en apprenant que le pou s’est brûlé (Grimm 2009 : n° 30).


Note : Dans les versions bulgares cette vérité est inscrite sur les feuilles d’un arbre. Dans un autre conte du nord de la Russie, sachant l’inclinaison des plantes à dévoiler les secrets, l’héroïne achète le silence d’un bouleau en lui offrant des rubans (« Comment la belle-mère menait la vie dure à ses brus », ATU 425B « Le fils de la sorcière », Onegina 1986 : 44, 162).

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Mythologie :


D'après Angelo de Gubernatis, auteur de La Mythologie des plantes ou les légendes du règne végétal, tome 2 (C. Reinwald Libraire-Éditeur, Paris, 1882),


BOULEAU (Betulla). — Cet arbre joue un rôle essentiel dans les traditions populaires de l’Europe centrale et du Nord. Les Grecs et les Latins l’ont peu connu, et si notre ancien botaniste Mattioli attribue aussi à l’eau du bouleau des propriétés extrêmement bienfaisantes (1), il me semble fort probable qu’il a tiré ces notions de quelque livre allemand. L’utilité du bouleau chez les gens du Nord peut être seulement comparée à celle du palmier chez les Indiens (cf. Palmier). Les proverbes russes recueillis par Dal nous apprennent que le bouleau fait bien quatre choses : il donne la lumière au monde (avec des branches de bouleau on fait des torches) ; il étouffe les cris (du bouleau on tire le goudron, et on goudronne les roues des chariots) ; il guérit les malades (par l’eau, dont Mattioli nous apprend les propriétés bienfaisantes ; l’eau goudronnée est encore à la mode dans la thérapeutique moderne), et il nettoie (dans les bains russes, pour provoquer la transpiration, on se fustige tout le corps avec des branches de bouleau). On dit aussi que le bouleau guérit des maladies de la peau, et qu’il est le puits du peuple. Avec l’écorce du bouleau, les paysans russes se font aussi des souliers. « Dans la petite Russie, dit Girard de Rialle, lorsque les jeunes filles vont au bois chercher des fleurs et des branches de bouleau, elles chantant : Ne vous réjouissez pas, chênes ; ne vous réjouissez pas, chênesverts ! Les filles ne vont pas à vous ; elles ne vous apportent ni pâté, ni gâteau, ni omelette ! Io, io, Semik et Troïtsa ! Réjouissez-vous, bouleaux, réjouissez-vous, verts bouleaux ! Les filles viennent à vous ; elles vous apportent pâtés, gâteaux et omelettes ! » C’est le jour de la Pentecôte que les jeunes filles russes vont suspendre leurs couronnes aux arbres bien-aimés ; c’est le jour de la Pentecôte que les paysans russes plantent devant leurs isbas des branches de bouleau, espèces de mais, symboles verdoyants de la belle saison qui est revenue sous la chaleur bienfaisante des langues de feu, des rayons de soleil qui viennent réveiller la terre. On a soin parfois de mettre autour du jeune bouleau un fil, un ruban rouge, pour qu’il pousse mieux, pour éloigner de lui le mauvais œil. Afanassieff nous parle d’un bouleau qui montre sa reconnaissance à la jeune fille persécutée par sa marâtre sorcière en souvenir de l’aimable attention qu’elle a eue de lier autour de lui un ruban. Dans un autre ouvrage, Afanassieff fait mention d’un bouleau blanc qui pousse dans l’île de Buian, sur le sommet duquel on croit voir assise la mère de Dieu (Bogorâditza). Grohmann, dans ses Aberglauben aus Böhmen, nous parle d’une jeune bergère qui filait dans un bois de bouleaux, à laquelle se présenta la Femme sauvage habillée de blanc, avec une couronne de fleurs sur la tête ; la Femme sauvage engagea la jeune fille à la danse, et la fit danser, pendant trois jours, jusqu’au coucher du soleil, mais si légèrement, que l’herbe sous ses pieds ne se foulait, ne se courbait point. A la fin de la danse, toute la laine était filée, et la Femme sauvage satisfaite remplit les poches de la petite bergère avec des feuilles de bouleau qui se changèrent de suite en monnaies d’or. On ajoute que, si la Femme sauvage, au lieu de danser avec une jeune bergère, avait dansé avec un petit berger, elle l’aurait fait danser ou chatouillé jusqu’à la mort. Le professeur Mannhardt nous apprend les procédés employés par les paysans russes pour faire sortir le Lieschi ou génie de la forêt. On coupe, dit-il, des bouleaux tout jeunes, on les dispose en cercle, de manière que les pointes soient tournées vers le milieu ; on entre dans le cercle, et on évoque l’esprit qui paraît de suite. On se place aussi sur une souche d’arbre coupé, le visage tourné vers l’orient. On baisse la tête et, en regardant entre les jambes, on dit : « Oncle Lieschi, montre-toi, non pas comme un loup gris, non pas comme du feu ardent, mais semblable à moi. » Alors les feuilles du tremble se mettent en mouvement, et le Lieschi se montre sous une forme humaine, et tout disposé à rendre n’importe quel service à celui qui l’a évoqué, pourvu qu’il lui promette son âme. Il est donc évident, d’après la conclusion du professeur Mannhardt lui-même, qu’en Russie, l’on suppose la présence du Lieschi, c’est-à-dire du diable des forêts, non pas seulement dans les souches des arbres, mais aussi sur les cimes des bouleaux. Il paraît qu’au moyen âge, en France, on conservait les branches de bouleau comme un objet sacré. Du Cange cite le procès pour la béatification de Pierre de Luxembourg, où il est dit : « Vidit in quodam coffro secreto quasdam virgas de arbore quadam vulgariter vocata boulo. » Dans un document de l’année 1387, on parle des femmes garnies de verges de boust. Le bouleau, pour l’Esthonien, est la personnification vivante de sa patrie. On raconte qu’un paysan esthonien avait vu un étranger endormi sous un arbre au moment où un grand orage allait éclater. Il l’éveilla ; l’étranger reconnaissant lui dit : « Lorsque, loin de ton pays, tu éprouveras le mal du pays, tu verras un bouleau tortu. Frappe et demande lui : Le tortu est-il chez lui ? » Un jour, le paysan étant parti comme soldat pour la Finlande, se trouva fort triste, parce qu’il songeait à sa maison abandonnée et à ses enfants ; il vit alors le bouleau tortu, il frappa et lui demanda : « Le tortu est-il chez lui ? » Alors parut l’étranger, qui fit appeler le plus rapide de ses esprits, et lui ordonna de transporter le soldat dans son pays avec un sac rempli d’argent. Dans le mythe, le bouleau (consacré au dieu Thunar) représente, comme le coucou (l’oiseau de Thunar, d’Indra et de Zeus), le retour du printemps. Ce bouleau vert, ce printemps, qui réapparaît au guerrier esthonien après l’hiver, après la saison de guerre, ce bouleau qui nous fait retrouver notre chère patrie est, en même temps, un appel à cette vie joyeuse de la nature, de laquelle le dur hiver nous avait exilés. (Pour les légendes germaniques qui concernent le bouleau, cf. Mannhardt, Germanische Mythen et Baumkultus der Germanen.) Dans la Haute Bretagne, d’après ce que M. Sébillot vient de m’apprendre, « quand un enfant est faible, on prend des feuilles de bouleau, on les met chauffer dans un four, et, quand elles sont desséchées, on les place dans le berceau de l’enfant pour lui donner de la force ».


Notes : 1) Aqua quae e perforato caudice distillat, cum renum, tum vesicae calculos eiicit ; illita faciei nitorem conciliat et maculas delet ; eadem oris ulcera sanat, etc. De Plantis, Francfort, 1586.

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D'où vient le bouleau ? La taille élancée du bouleau l'a fait comparer à un être humain. Les Bretons, ainsi que les Lituaniens, le comparent à un homme vêtu de blanc. Pour les Algonquins, il est une jeune fille qui a trahi sa tribu par amour. Les Suédois racontent que le bouleau nain était autrefois le plus grand et le plus imposant des arbres. Mais ses verges servirent à fouetter le Christ. Il fut alors condamné à rester rabougri à jamais.


De nombreux récits amérindiens racontent pourquoi l'écorce du bouleau est crevassée. Pour les grecs, le Coyote ayant dévoré les dindons du Dieu Wisahkecahk, celui-ci a passé sa colère sur l'arbre en le lacérant avec des verges de saule. Pour les Ojibwas, le bouleau avait affirmé sa suprématie sur les autres arbres, entraînant un déséquilibre dans la forêt. Pour le punir et le remettre à sa place, le pin le frappa avec ses longues aiguilles. D'autres racontent que le héros Winnabojo avait tué les oisillons des Oiseaux-Tonnerres pour se fabriquer des flèches avec leurs plumes. Poursuivi par les terribles parents de ses victimes, il se réfugia dans le tronc creux d'un vieux bouleau. Les oiseaux gravèrent des portraits de leurs petits et imprimèrent leurs plumes sur l'écorce blanche, en souvenir de leur progéniture. Quand Winnabojo sortit de sa cachette, il remercia l'arbre en énumérant tous les bienfaits que les Indiens retireraient de lui à l'avenir.


L'arbre du printemps. Dans la mythologie slave, le bouleau est un attribut de la déesse des moissons Kupalo. Cela explique sans doute les fêtes agraires comme le sémik qui signifie la septième semaine après Pâques. Le jeudi de la semaine qui précède la Trinité, les jeunes filles russes, la tête couronnée de branches de bouleaux entremêlées de fleurs, allaient dans les bois en chantant, puis formaient des couronnes avec les branches d'un jeune bouleau, à travers lesquelles elles s'embrassaient en établissant un pacte d'amitié entre elles. Puis elles coupaient l'arbrisseau et l'apportaient au village où elles étaient rejointes par les garçons, qui les aidaient à planter ce mât. A la fin de la fête, le bouleau était noyé dans l'étang du village ou dans la rivière, accompagné par ce chant :

- Coule, coule, sémik

Et emporte avec toi les mauvais maris !

Le bouleau est très nettement, dans ce cas, considéré comme un être doué de pouvoirs magiques qui contribue à la fertilité des champs et à la fécondité des jeunes filles.


L'esprit du bouleau, protecteur des filles et des orphelins. Dans un conte hongrois, l'esprit du bouleau apparaît à une bergère occupée à filer, sous la forme d'une belle dame blanche qui l'invite à délaisser son ouvrage pour danser. L'enfant se laisse tenter, mais sa mère la gronde pour n'avoir pas avancé sa tâche. Quand elle s'en plaint auprès de la dame blanche, celle-ci file pour elle une laine fort douce et la remercie d'avoir dansé avec elle, en la couvrant de cadeaux.

Les Russes pensaient que les forêts de bouleaux étaient hantées par le lieschi, qui protégeait la vertu des jeunes filles et égarait les voyageurs, jusqu'à l'épuisement. Dans le Conte des trois faucons, l'esprit du bouleau veille sur la vertu de la jeune fille, lui interdisant un amour incestueux avec ses frères. Le héros oultche Mambou l'orphelin se retrouve seul après le massacre de sa tribu perpétré par les Chinois. Il demande l'aide du roi des forêts, le bouleau, qui lui accorde volontiers. Il coupe des troncs de bouleau et y sculpte des figures humaines. Cette armée flotte sur le fleuve et attaque le camp ennemi ; ne risquant pas les blessures, ces guerriers intrépides, tuent tous les hommes, puis reviennent auprès de Mambou pour prendre de nouvelles instructions. L'orphelin leur coupe le nez, leur bouche les yeux et ils redeviennent des troncs inertes dont il se fabrique un radeau pour descendre le fleuve Amour et trouver un nouveau clan.


Le bouleau, arbre de la connaissance. Selon le Kalevala, mythe finnois, le sage barde Vaïnamoïnen, fils de la Vierge créatrice du monde planta un gland. Sous la chaleur du feu, un chêne poussa, si gigantesque qu'il couvrit de son ombrage tout le pays, empêchant la lumière de passer, absorbant même la lune et le soleil. De la mer sortit un nain à la hache de bronze qui abattit le géant. Le barde ordonna alors le défrichement de toute la région, n'épargnant qu'un bouleau pour servir de perchoir au coucou.

Un jour, Vaïnamoïnen avait perdu sa harpe dans un lac. Toute vie s'était arrêtée sur terre : plus une fleur ne s'épanouissait, les animaux restaient stériles, les femmes ne mettaient plus d'enfant au monde. Incapable de récupérer son instrument, le barde en fabriqua un nouveau avec le bois d'un bouleau pleureur qui ne trouvait aucune joie dans l'existence. Toute la nature se réjouit au son du nouveau kantélé, et la vie reprit son cours. Le bouleau, devenu utile, trouva enfin le bonheur.

Les chamans sibériens se réservent un bouleau à sept ou neuf branches qu'ils utilisent comme échelle pour monter demander au dieu suprême d'envoyer chasse et santé aux hommes. Un bouleau dont la cime feuillue passe par le trou de fumée désigne la maison du chaman à l'attention des visiteurs. Il symbolise la voie par où descend l'énergie céleste et par où monte l'aspiration spirituelle de l'homme. Sa cime indique l'axe de l'étoile polaire. Et le trou de fumée par lequel il sort est la porte du ciel ou la porte du soleil. Chez les Yakoutes, les jeunes bouleaux délimitent le lieu de culte appelé tiousoulge. Ils sont plantés en cercle autour de l'arbre cosmique, le mélèze.


A la porte du paradis. Dans une balade écossaise rapportée par J. Child, la femme du puits d'Usher pleure si fort ses trois fils disparus en mer qu'ils reviennent la voir en hiver, la tête recouverte d'un chapeau de bouleau. Ils lui apprennent qu'ils sont au Paradis et qu'elle doit se réjouir au lieu de pleurer. Leur chapeau provient de l'écorce de bouleau qui garde la porte du Paradis et, grâce à lui, ils pourront regagner le ciel au lieu de devenir des fantômes qui hantent les vivants. Au matin, ils lui disent adieu et disparaissent pour toujours. Le bouleau est ici funéraire et consolateur.


La dame des bois. Dans la mythologie scandinave, le bouleau est consacré à Frigga, déesse de la pleine lune et des nuages, épouse et égale du dieu suprême Odin. Aidée de onze filles, elle répandait le bien sur la terre, filait de l'or et tissait les arcs-en-ciel du printemps. Elle eut sept fils qui fondèrent les sept royaumes saxons d'Angleterre.

Brigitte ou Bricta était la déesse des habitants de l'Europe occidentale avant l'arrivée des Celtes : elle était guérisseuse, inspiratrice des poètes et patronne des forgerons et des fileuses. Elle lança son vert manteau dans la mer pour créer l'Irlande. Son nom est resté dans de nombreux toponymes, comme Brig, Ybrig ou Bregenz en Suisse. Sa pierre était l'ambre, son oiseau le cygne blanc et on brûlait en son honneur un feu de bouleau, le 1er février à la fête d'Imbolc. Ce feu nouveau était entretenu tout au long de l'année par des vierges.

A l'arrivée des Celtes, Brigitte perdit son pouvoir de divinité suprême : elle fut intégrée dans le nouveau panthéon comme la mère du Dagda, dieu de l'if. Plus tard encore, lors de la christianisation, elle fut remplacée par Sainte Brigitte et l'arbre qui lui est consacré est le chêne de Kildaré.


Les héros fondateurs. L'ancêtre mythique des Yakoutes saxa est le fils d'une belle fille jalousement gardée par son père et du fils du Dieu du Monde du Haut. En signe de reconnaissance de son origine divine, il porte sur l'omoplate droite une tache semblable à une feuille de bouleau. Cela fait penser au héros scandinave Sigurd, marqué à l'omoplate par une feuille de tilleul.

Le fils du dieu du ciel descendit sous forme de bouleau jusque sur les monts Taebaek, en Corée, accompagné de trois mille serviteurs ; il y fonda la cité des dieux. Il enseigna aux hommes l'agriculture, la médecine, la menuiserie, le tissage et la pêche. A cette époque vivait une ourse et une tigresse qui désiraient devenir femmes. Le fils du ciel leur dit qu'elles y parviendraient à condition de rester pendant cent jours dans une caverne obscure en ne mangeant que de l'ail et de l'armoise. L'ourse subit l'épreuve avec succès, mais la tigresse échoua. La femme-ourse épousa le dieu-bouleau et mit au monde un fils, Tangun, seigneur du bouleau, qui fonda plus tard, à Pyongyang, un royaume nommé Choson, l'actuelle Corée. Le 3 octobre, la fête nationale coréenne célèbre cette origine fabuleuse. En souvenir de celle-ci, les rois de Corée portaient des couronnes décorées d'un bouleau en or à trois ou quatre branches.


Philippe Domont et Edith Montelle, Histoires d'arbres ; des sciences aux contes

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L'arbre des chamans. Selon les légendes des Tatars Abakhan, au sommet d'une montagne de fer, croît un bouleau blanc dont les sept branches symbolisent "vraisemblablement les sept étages du ciel". Les Mongols se représentent la Montagne cosmique comme une pyramide à quatre faces au sommet de laquelle se hausse l'Arbre cosmique dont les dieux se servent comme d'un piquet pour attacher leurs chevaux. On pourrait multiplier les exemples, nous n'en citerons qu'un autre, particulièrement significatif. Il s'agit de l'Arbre du monde des Yakoutes sibériens. Il se dresse "au nombril d'or de la Terre". "La couronne de l'arbre répand un liquide divin d'un jaune écumant. Quand les passants en boivent, leur fatigue se dissipe et leur faim disparaît... Lorsque le premier homme, à son apparition dans le monde, désira savoir pourquoi il était là, il se rendit près de cet arbre gigantesque dont la cime traverse le ciel... Il vit alors dans le tronc de l'arbre merveilleux... une cavité où se montra jusqu'à la ceinture une femme qui lui fit savoir qu'il était venu au monde pour être l'ancêtre du genre humain" et le nourrit de son lait... Deux autres légendes yakoutes relient les chamans à cet axe primordial. Selon l'une, l'arbre Yjyk-Mar qui, lui, n'a pas de branches, monte jusqu'au neuvième ciel et les âmes des chamans s'abritent dans les noeuds du bois. Suivant l'autre, elles prendraient naissance sur un sapin géant, très loin dans le nord, et se tiendraient ensuite dans des nids posés sur ses branches, les plus grands chamans occupant les plus hautes.

Lors des rêves initiatiques qui dévoilent au chaman sa vocation, il lui arrive de rencontrer "l'Arbre qui donne la vie à tous les humains". Tel est le cas du chaman samoyède dont A. A. Popov rapporte le récit : "Malade de la petite vérole, celui-ci resta trois jours inconscient, presque mort, à tel point qu'il faillit être enterré le troisième. C'est pendant ce temps qu'eut lieu son initiation. Au cours d'un long voyage aux péripéties multiples, il fut transporté au bord des "neuf mers". Au milieu de l'une d'elles, se trouvait une île et, au centre de l'île, un jeune bouleau qui s'élevait jusqu'au ciel. C'était "l'Arbre du Seigneur de la Terre". Près de lui, poussaient neuf herbes, "les ancêtres de toutes les plantes". Sur les branches de l'arbre, se tenaient des hommes, les "pères de plusieurs nations". Comme, après avoir fait le tour du bouleau, le néophyte s'éloignait, le Seigneur de l'Arbre le rappela :"Un de mes rameaux vient de tomber. Ramasse-le et fais-en un tambour qui te servira toute ta vie". C'est donc le Seigneur de l'Arbre lui-même qui investit le chaman, puisque la caisse du tambour, qui joue un rôle essentiel dans les cérémonies chamaniques, "est tirée du bois même de l'Arbre cosmique". En le faisant résonner, le chaman "est projeté magiquement près de l'Arbre", donc au centre du monde, seul point d'où l'on peut atteindre les cieux.


Le bouleau des chamans. Si, dans l'Asie du Nord, l'Arbre cosmique est le plus souvent un sapin, c'est le bouleau qu'utilisent toujours les chamans sibériens. Dès le rituel de l'initiation, il joue un rôle important, par exemple chez les Bouriates. La cérémonie commence par la purification du candidat, au cours de laquelle un balai fait de rameaux de bouleau est trempé par "le chaman-père", l'initiateur, dans la marmite où l'on a mis différents ingrédients, du thym, du genévrier et de l'écorce de sapin. Avec ce balai, le chaman-père, imité par "les chamans-fils", ses disciples, touche le dos nu de l'apprenti. Chez certaines tribus, le chaman-père et ses neuf "fils" se retirent ensuite dans une tente afin de se préparer à la première consécration, Khärägâkhulkhâ et jeûnent pendant neuf jours. Nous retrouvons ici la durée de l'abstinence d'Odin, en relation avec le chiffre de l'Arbre cosmique.

"A la veille de la cérémonie (d'initiation), une quantité suffisante de bouleaux solides et droits est coupée par les jeunes gens sous la direction du chaman. L'abattage a lieu dans la forêt où sont enterrés les habitants du village". Ces arbres abritent les âmes des ancêtres qui sont ainsi conviées à la fête. Dans la matinée qui suit, on dispose les bouleaux, chacun à une place déterminée. Au centre de la yourte du candidat est fixé le plus vigoureux d'entre eux, les racines dans l'âtre et la cime traversant l'orifice supérieur par où sort la fumée. Ce bouleau est nommé udeshi burkan, le "gardien de la porte", car il ouvre au chaman l'entrée du ciel. Il restera toujours dans sa tente, servant de marque distinctive à la demeure de l'initié. Celle-ci devient donc à son tour un "centre du monde".

"Les autres bouleaux sont placés loin de la yourte, là où aura lieu la cérémonie d'initiation. Ils sont plantés dans un ordre strict. Un premier groupe est formé par trois arbres appelé "piliers", auxquels on a conservé leurs racines. Devant le premier, on dépose les offrandes, au second sont attachées une cloche et la peau d'un cheval sacrifié, le troisième, solidement planté en terre, servira à l'ascension du néophyte". Le bouleau qui se trouve à l'intérieur de la yourte est relié à tous les autres par deux rubans, l'un rouge, l'autre bleu, qui symbolisent l'arc-en-ciel, voie par laquelle le chaman atteindra la résidence supra-terrestre des esprits.

Après avoir consacré les instruments chamaniques, offert les sacrifices et invoqué "les protecteurs" du futur initié, dont les chamans défunts, le groupe, ayant à sa tête le père-chaman, suivi du candidat et de ses neuf fils, se dirige processionnellement vers la rangée de bouleaux. Devant eux, on sacrifie un bouc et le candidat, torse nu, est oint de son sang à la tête, ,aux yeux et aux oreilles, pendant que les initiateurs jouent du tambour. C'est ensuite qu'a lieu le rituel de l'ascension au ciel. Le père-chaman gravit un bouleau et opère neuf incisions à son sommet. Il descend et prend place sur un tapis que ses fils ont apporté au pied de l'arbre. Le candidat monte à son tour, suivi par les autres chamans. En grimpant , ils entrent tous en extase. "Chez les Bouriates de Balagansk, le candidat assis sur un tapis de feutre, est porté neuf fois autour des bouleaux ; il monte sur chacun d'entre eux et fait à leurs cimes neuf incisions. Pendant qu'il se trouve en haut, il chamanise ; à terre le père-chaman fait, lui aussi en transe, le tour des arbres". Ces neuf bouleaux, comme les neuf entailles, symbolisent les cieux superposés jusqu'au neuvième où siège Baï-Ulgän

[...]

La première initiation chamanique que nous venons d'évoquer est le plus souvent renouvelée, souvent jusqu'à neuf fois, dans les temps anciens, ou deux fois, après respectivement trois et six ans, ce qui forme encore le chiffre neuf. Une telle constance dans l'emploi de ce chiffre montre qu'il est en rapport avec l'Arbre cosmique, quelle que soit d'ailleurs son espèce : frêne, sapin à neuf racines ou bouleau. L'ascension rituelle des arbres est une constante des rites d'initiation chamanique qui se rencontre aussi en Amérique du Nord et en Inde, où le sacrificateur védique montait à un poteau sacré afin d'atteindre le ciel, résidence des dieux.

Ayant acquis les pouvoirs nécessaires, le chaman peut désormais communiquer avec les dieux en entreprenant le voyage qui conduit jusqu'à leur demeure. Très souvent, celui-ci est précédé par le sacrifice d'un cheval de couleur claire. "Animal funéraire et psychopompe par excellence", le cheval qui "porte les trépassés dans l'au-delà" permettra à l'initié de sortir de lui-même, de s'envoler dans les airs en chevauchant l'âme du cheval et d'atteindre ainsi le ciel. Le chaman invoque les esprits, ses protecteurs et ses guides, et les invite à "rentrer dans son tambour". Ce tambour lui servira de monture, car ce sont ses battements prolongés qui rassemblent et concentrent les énergies requises pour son entrée dans le monde spirituel. Le tambour est le bien le plus précieux du chaman. Son châssis de bois est censé venir d'une branche que le dieu des dieux, Baï-Ulgän, laissa tomber de l'Arbre cosmique. C'est donc sur cet arbre qu'aura lieu l'ascension ; car, le soir suivant, commence la partie la plus importante de la cérémonie : un rituel interminable au cours duquel le chaman, en extase croissante, escalade symboliquement le bouleau. Et tandis qu'il s'élève par degré, d'encoche en encoche, il chante :


- J'ai escaladé une marche,

Je suis monté d'un niveau,


et, une fois parvenu plus haut :


- J'ai débouché sur le second étage,

J'ai franchi le second niveau,

Voyez le sol a volé en éclats.


Puis il continue l'ascension, coupée de plusieurs arrêts au cours desquels il conte des aventures et des ​​épisodes extraordinaires touchant les personnages qu'il rencontre en chemin. Dans le cinquième ciel, il s'entretient avec le puissant Yayutschi (le "Créateur") qui lui révèle les secrets de l'avenir. Dans le sixième, il s'incline devant la Lune ; dans le septième devant le Soleil. Passant de ciel en ciel, il arrive au neuvième, où réside Baï-Ulgän, dieu de l'atmosphère, de la fertilité, de la fécondité, et protecteur des hommes. De Baï-Ulgän, il obtient des prédictions sur le temps qu'il fera et les futures récoltes. "C'est le point suprême de l'extase, après quoi le chaman s'effondre, épuisé et reste quelques instants sans mouvements et sans voix. Puis il s'éveille, se frotte les yeux et accueille ceux qui sont là comme après une longue absence."

Pourquoi le bouleau joue-t-il un tel rôle, plutôt que le sapin, par exemple, souvent considéré par les peuples du nord de l'Asie comme l'Arbre cosmique ? Il est en effet fort loin d'avoir sa haute taille, Betula verrucosa Ehrh ne dépasse pas 25 m, Betula pubsecens est un peu plus petit, 15-20 m. Si leur croissance est rapide, ils ne vivent pas plus d'une centaine d'années, alors que le sapin peut atteindre au moins sept cents ans. Seulement, outre sa légèreté, son élégance, la beauté de son écorce d'un blanc argenté, de plus en plus pur vers la cime, le bouleau possède des qualités que lui reconnaissent toutes les traditions. C'est essentiellement un arbre de lumière.


Sainte Brigitte et la chandeleur. Aussi bien, dans "l'Alphabet des arbres", le calendrier sacré des Celtes, est-ce le bouleau qui préside au premier mois de l'année solaire (du 24 décembre au 21 janvier). Le bouleau est donc en rapport avec la renaissance du soleil. Bien que généralement consacré à la lune, sa peau délicate évoquant l'éclat argenté de la pleine lune, il l'est parfois au soleil et à la lune, mais, dans ce cas, il est double, mâle et femelle. Lors de la fête qui célèbre la remontée de la lumière, notre Chandeleur, le bouleau est particulièrement à l'honneur, en la personne de Ste Brigitte, dont le nom, Birgit, vient de la racine indo-européenne Bhirg, le bouleau, qui a donné birch en anglais et die Birke en allemand. Sainte Brigitte de Kildare, née dans la seconde moitié du Vème siècle, donnée par ses hagiographes comme la fille d'un chef de clan païen et devenue l'une des patronnes de l'Irlande, était à l'origine une ancienne divinité celtique de la renaissance du feu et de la végétation, la propre fille de Dagda, le dieu suprême vénéré par les druides irlandais [...]

La sainte Brigitte ouvrait le mois de février qui, de toute antiquité, était celui des purifications. En latin, februare signifie "purifier, faire des expiations religieuses". A Rome, dans l'ancien calendrier qui eut cours jusqu'à sa réforme par Jules César, février, qui terminait l'année, était le mois des morts, celui aussi au cours duquel on s'efforçait d'éliminer les mauvais influx accumulés au cours de l'année qui s'achevait. On y célébrait les Fébruales que l'on disait avoir été instituées par Numa, successeur de Romulus et organisateur de la vie religieuse de la cité. Cette fête des morts se célébrait de nuit, à la lumière des torches, tous les temples étant fermés, hormis celui de Februus, divinité que l'on a parfois identifiée avec le Dis Pater, dieu des morts étrusques... Avant le commencement de l'année, il importait d'expier les fautes anciennes et de se purifier.

C'est évidemment ce seul aspect qui a survécu dans le calendrier chrétien. Les Lupercales ne furent supprimées qu'en 494 par le pape Gélase qui les remplaça par la fête de la Purification de la Vierge, la Chandeleur ou fête des chandelles, car on y procédait à la bénédiction solennelle des cierges, de la lumière nouvelle, rite emprunté à une autre source païenne, mais d'origine celte.

Dans la mythologie germanique, le bouleau était l'arbre de Donar-Thor, dieu de la foudre et de la guerre, considéré comme la divinité suprême, plus puissante qu'Odin lui-même, dans les pays du nord, particulièrement en Norvège. On sait que dans le folklore russe, le bouleau joue un rôle important. Chez les Germano-Scandinaves ou les populations altaïques, comme chez les Celtes ou les Slaves du nord, les croyances concernant ses propriétés sont à peu près identiques. Selon les proverbes russes recueillis par Dal, le bouleau fait bien quatre choses : il donne la lumière au monde, il étouffe les cris, il guérit les maladies, enfin il nettoie, ce qui correspond à ses quatre principales utilisations : de ses branches, on fait des torches, car elles donnent de grandes flammes claires, ainsi que des balais et les verges dont on se fustige tout le corps dans les saunas scandinaves comme dans les bains vapeurs russes. Du bois de bouleau, on tire le goudron qui empêche les roues des chariots de grincer. Enfin, sa sève, le "sang du bouleau", est très utilisée dans la thérapeutique populaire et aujourd'hui en phytothérapie.


Bouleau, amanite et Soma. Mais le secret du rôle que joue le bouleau dans les cérémonies chamaniques réside plutôt dans son association avec l'amanite tue-mouche (Amanita muscaria L.) qui est consommée par les chamans pour entrer en transe. Ce champignon pousse en relation mycorhizale avec les racines de certains arbres, mais l'espèce qu'il préfère est le bouleau et c'est au pied de celui-ci que l'on a le plus de chance d'en trouver. En second lieu, vient le sapin qui est souvent aussi, comme on l'a vu, l'Arbre cosmique des populations sibériennes. La consommation de l'amanite entraîne d'abord une période de somnolence, après quoi "le sujet se trouve stimulé pour accomplir les hauts faits physiques que l'on trouve célébrés" non seulement en Sibérie mais en Inde, dans les hymnes du Rig Véda [...]

Pour les Orotch, peuple tongouse, les âmes des morts se réincarnaient dans la lune sous forme d'amanites et redescendaient ainsi métamorphosées sur la terre, ce qui confirme la relation entre la lune et le bouleau. Une croyance populaire très répandue en Sibérie est rapportée par l'historien finlandais Uno Holmberg-Harva, auteur d'importantes études sur les religions altaïques, dans sa Mythologie sibérienne. L'esprit du bouleau est une femme d'âge mûr qui apparaît parfois entre ses racines ou sortant de son tronc, en réponse à l'évocation d'un fidèle. Elle se montre jusqu'à la taille, les cheveux dénoués, et tend les bras tandis que ses yeux fixent gravement le dévot à qui elle présente son sein nu. Après avoir bu son lait, l'homme sent ses forces décuplées. Comme le remarque R. Gordon Wasson, il est à peu près certain qu'il s'agit en fait de l'esprit de l'amanite. "Ces seins sont-ils autre chose que la mamelle (üdhan) du Rig-Véda, le chapeau lactifère du champignon ? Dans une variante du même conte, l'arbre dispense une "liqueur jaune céleste". Ne s'agit-il pas du pavamäna "jaune roux" du Rig-Véda ?". R. Gordon Wasson, qui s'est livré à de longues expériences sur les effets des différents -et nombreux- champignons psychédéliques partout dans le monde, a en effet acquis la conviction d'avoir réussi à identifier la plante, restée jusqu'à ce jour mystérieuse, d'où provenait le Soma.

Considéré par les Aryens comme une divinité et célébré par cent vingt hymnes du Rig-Véda, le Soma est "roi des plantes et des herbes, roi et guide des eaux -mais aussi leur germe- (leur source universelle), parfois aussi roi des dieux et des mortels ou de tout ce que voit le soleil, roi du monde". Son jus est la pluie qui fait pousser les végétaux, la sève de ceux-ci, "l'élément vital, le modèle et l'essence de tout liquide porteur de vie, principe nourricier des aliments et des boissons", donc aussi le "lait de vache" et la "semence du cheval étalon en sa mâle vigueur"... Consommé à la fois par les dieux et les prêtres, le Soma créait entre eux un lien plus étroit, plus intime que tout autre, il unissait "d'amitié la terre et le ciel"[...]

[...]

En rapport donc avec la foudre et la pluie, le Soma, au cours de l'agnistoma, était célébré en même temps qu'Agni, comme l'atteste le nom de ce rite. Avec Agni, le dieu du feu descendu du ciel, le Soma avait "un rapport de polarité", formait avec lui un couple. Par ailleurs, le Soma était identifié avec la lune, en tant que séjour des âmes des morts. Autrement dit, le dieu soma possédait bien des traits propres à l'Arbre cosmique, et en particulier à l'arbre des chamans, le bouleau. C'est là probablement ce qui a égaré si longtemps les chercheurs, encore que les équivalences soma-lune et lune-bouleau eussent pu les mettre sur la voie.

La solution de l'énigme serait donc, selon R. Gordon Wasson, l'amanite tue-mouche associée au bouleau. A l'appui de sa thèse, ce mycologue fait valoir de nombreux arguments dont les principaux sont les suivants. Nulle part ne sont mentionnés, dans le Rig-Véda, les racines, les feuilles, les fruits ou les graines de la plante. "Le Rig-véda dit même explicitement que le Soma n'est pas né d'une graine : les dieux en ont déposé le germe". De son côté, un spécialiste du védisme, J. Gonda, mentionne la croyance selon laquelle "son jus a été apporté du ciel par un faucon ou par un aigle". Le Soma ne se trouve qu'en haute montagne, particulièrement dans l'Himalaya. On pourrait ajouter que, d'une part, l'Himalaya est la montagne cosmique par excellence et que, d'autre part, y vivent plusieurs espèces de bouleaux dont Betula utilis D. Don et Betula Jacquemontiana Spach, une essence qui n'existe dans aucune autre région de l'Inde. On peut donc supposer que les conquérants de race blanche qui se scindèrent en deux groupes - dont l'un oriental déferla dans la vallée de l'Indus et dont l'autre, qui pénétra à l'Occident, en Iran, connaissait aussi "l'haoma" (Soma), considéré par l'Avesta comme la plus grande des offrandes -apportaient avec eux le Soma des régions plus nordiques de la Haute-Asie, d'où ils provenaient ou qu'ils avaient traversées [...]

L'hypothèse de Gordon Wasson qui lie indirectement le bouleau au Soma et la communion védique avec les dieux aux transes des chamans est relativement peu connue, mais fort intéressante dans le cadre de notre étude, et retrouvons les chamans sibériens dont il reste à préciser le rôle qu'ils jouent dans la société. Il ne faudrait surtout pas les confondre avec des sorciers ou des magiciens. La vocation du chaman n'est jamais volontaire, elle lui est imposée par les esprits qui l'ont élu et qui, pour qu'il l'accepte, tourmentent dès l'enfance celui qui devra "jouer" avec eux. Le jeune garçon a un caractère anxieux qui l'empêche de se mêler aux autres, il est souvent atteint de dépression aiguë, fait des fugues, délire, se plaint de douleurs imprécises, mais intolérables, se débat contre des troubles qu'il interprète comme des pressions venues de l'invisible. Tels sont les signes de sa vocation. Généralement, le garçon tente d'abord de lui échapper, car elle n'a rien d'enviable, elle lui apportera beaucoup de peine et peu de profit. Il devra traverser d'interminables épreuves, subir luttes et souffrances toute sa vie, payer en somme la rançon de ses dangereuses relations avec les esprits. "Se dérober à l'appel est toutefois quasi impossible. S'ils n'en font pas un chaman, les esprits feront de lui un fou, un infirme ou le tueront". Cette vocation forcée une fois assumée, le chaman l'accomplit non seulement avec courage, mais selon des principes moraux très stricts. Il en fait d'ailleurs le serment lors de son initiation, promettant "de servir les esprits qui l'ont élu et d'intercéder pour les humains auprès d'eux, de secourir les affligés et de préférence les pauvres aux riches".

Dans la société, une des fonctions essentielles du chaman est la guérison de la maladie, car celle-ci n'a jamais une cause naturelle, elle est provoquée "par l'introduction d'un principe nocif et par la perte de l'âme, et le chaman aura donc à assurer la double tâche d'extraire l'un et récupérer l'autre", ce qui nécessite le voyage dans l'autre monde auprès des dieux, pour demander leur appui, présenter les sacrifices ou les offrandes et obtenir la libération de l'âme, voyage ascensionnel que le chaman effectuera en jouant du tambour jusqu'à ce qu'il atteigne la transe, et en escaladant le bouleau. En qualité d'intermédiaire avec le surnaturel, il est aussi le garant du bon fonctionnement du groupe, il doit veiller à l'abondance du gibier et du poisson, ainsi qu'à l'accroissement du bétail. Sa raison d'être est toujours de venir "au secours de ceux qui souffrent de la maladie ou de la faim", et "c'est ainsi que toutes les légendes d'origine motivent l'apparition sur terre du premier chaman, né pour secourir une humanité qui, sans lui, serait submergée et impuissante. C'est parfois le grand dieu qui l'aurait créé dans cette intention et il a une origine semi-divine. Cependant, le chaman n'hésitera pas à se dresser contre la divinité s'il la voit indifférente, laissant régner le mal ou même le favorisant. Désigné par les esprits, le chaman défendra d'abord les intérêts de l'humanité".


Jacques Brosse, Mythologie des arbres , Éditions Plon ; Édition de poche Payot et Rivages, 1993.

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Jean-Loïc Le Quellec, auteur de " L'arbre dans les mythes". (In Francis Hallé & Pierre Lieutaghi (Eds.), Aux origines des plantes. Des plantes et des hommes (pp. 416-439). Paris : Fayard, 2008) identifie les arbres qui jouent le rôle d'arbres cosmiques dans les différentes cultures :


L’Axis mundi est très souvent un arbre planté au centre de l’Univers, et dont les racines plongent dans l’autre monde alors que sa partie aérienne peut traverser plusieurs étages célestes. Dans les mythes, l’arbre cosmique assure la communication entre les divers niveaux du monde – fût-ce temporairement car ce végétal est parfois coupé ou abattu (dans l’épopée finnoise du Kalevala ; et chez divers peuples d’Amérique : les Kayapó, Tule, Talamank, Witoto) –, il est régulièrement assimilé à l’« arbre de vie », source de fécondité et de régénération, et les chamans l’utilisent lors de leurs ascensions célestes, selon les aires culturelles. [...]


En Asie. En Asie septentrionale, les chamans Buriat, Sakha et Dolgan utilisent un bouleau marqué de neuf marches, ou bien une série d’arbres d’espèces différentes, afin de symboliser les différents ciels par où ils passent durant leur voyage. Pour les Sakha, le ciel et la terre ont grandi en même temps que croissait l’« arbre de fer ». Les Altaïques estiment en effet que le monde repose sur un arbre mythique, comme la tente sur son pilier central. Des bouleaux, mélèzes ou pins de Sibérie – ou des poteaux – se dressent près des habitations des chamans de Sibérie et d’Asie centrale, représentant l’arbre de vie qui joint le centre de la Terre à l’Étoile polaire et permet au chaman de passer d’un monde à l’autre, tout en facilitant éventuellement aux esprits le retour à la tente. Chez les Ket, l’arbre cosmique est le même que celui auquel grimpe le dénicheur d’aiglons pour aller conquérir le feu. Le motif est connu chez les peuples ouraliens de Sibérie – Avam- « Samoyèdes », et aussi chez les Finnois, où le chant II du Kalevala montre un « petit homme des flots » venir sur terre pour abattre un chêne colossal. Chez les Nganasan, un chamane doit, pour obtenir toute sa force d’action, gagner le monde inférieur où il trouve l’arbre de vie, grâce auquel il peut atteindre le monde supérieur où se dresse la tente des maîtresses de l’Univers.

L’arbre cosmique figure aussi dans le folklore des Slaves orientaux et lituaniens. Les Magyar, originaires de Sibérie, ont apporté cette représentation en Hongrie, où il est dit que l’arbre cosmique (un poirier) grimpe jusqu’au firmament qu’il ne peut percer, mais, continuant à pousser, il se recourbe treize fois contre le ciel. Un autre récit précise que c’est sous ses racines que se trouverait « le trou du monde » qui permet de communiquer avec l’autre monde. Dans les traditions baltes, l’arbre cosmique est représenté par le Saules Koks ou « arbre du soleil », Saule – le soleil – étant la mère de toute vie. Chez les Slaves orientaux et les Lituaniens, le dieu de l’orage se trouve au sommet de l’arbre cosmique au pied duquel se tapit le serpent. En Chine et Asie du Sud-Est, le thème de l’arbre cosmique est inséparable de celui du mythe des soleils primordiaux qui, par exemple, montent au ciel à l’aide de l’arbre Fu-sang à l’Est, et redescendent par l’arbre Tuo-mu à l’Ouest. Quant à l’arbre Kien-mou (« bois dressé »), il pousse au centre de l’Univers et réunit les Neuvièmes Sources (qui sont les bas-fonds du monde) aux Neuvièmes Cieux (qui en sont le faîte).

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Littérature :


Le bouleau

Tous les vents -

Des plus terribles au plus doux,

De la tempête au zéphir - lui racontent leurs histoires et toutes ses feuilles -

Toutes, jusqu'à celle qui tremble à la cime,

La dernière -

Frissonnent et répètent,

S'agitent et racontent en chœur.


Puis le bouleau se redresse :

Il a tout oublié.

Mais d'autres vents viennent,

D'autres vents passent

Et les jours, et les semaines, et les saisons.

Le bouleau, lui, ne retient pas grand-chose

Des soupirs du printemps,

Des lamentos de l'automne.

Étrange bouleau.

On lui raconte tout

Et il ne sait presque rien.


Un jour, ses feuilles s'envolent.

Elles vont confier à la terre

Mille et mille petits secrets bien mal compris,

Et qui pourrissent ensemble,

Au pied du bouleau,

Du bouleau qui monte vers le ciel,

Où vit l'éternel oubli,

L'oubli fatal qui se nuance et se colore,

Et recommence et s'ennuie encore,

Et se confie finalement aux nuages,

Qui font toujours le même voyage.


Constant Burniaux, Poésie

 

Dans un suaire blanc, la plaine disparaît

Sous la lune, enneigé, mon pays paraît blême,

Et les bouleaux en pleurs regrettent les forêts ;

Qui donc est mort ici ? Peut-être est-ce moi-même...


Sergueï Essenine, L'homme noir

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Asa Larsson dans son roman policier En sacrifice à Moloch (Édition originale, 2012 ; traduction française Albin Michel, 2017) évoque brièvement la fragilité des bouleaux :


Elle regarda par la fenêtre les bouleaux nains tendant leurs bras maigres vers le ciel d'un bleu limpide. Quelques feuilles jaunes et rouges s'accrochaient encore aux branches. Un vol d'oiseaux d'un noir de jais décolla et se déroula sur la toile bleue du ciel.

Rebecka composa le numéro du médecin légiste, Lars Pohjanen. [...]

Leur conversation fut celle qu'ont la plupart des gens quand ils sont dans un sauna : il aurait fallu des branches de bouleau pour se foueter et activer la circulation mais ce n'était pas facile à trouver en cette saison parce qu'elles devaient avoir des feuilles. Le sauna était la seule façon de se sentir réellement propre, il n'y avait rien de plus répugnant que de patauger dans sa propre saleté au fond d'une baignoire.

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