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La Rose (suite)

Dernière mise à jour : 29 sept.

Suite de l'article commencé en 2015 et que vous lire ici...



Symbolisme onirique :


Selon Georges Romey, auteur du Dictionnaire de la Symbolique, le vocabulaire fondamental des rêves, Tome 1 : couleurs, minéraux, métaux, végétaux, animaux (Albin Michel, 1995),


Avant d'entreprendre l'exploration des rêves dans lesquels apparaît la rose, nous avions la conviction que l'élucidation de ce symbole ne présenterait aucune difficulté et que, de ce fait, nous n'avions aucune surprise à prévoir de cette étude. S'il nous avait fallu formuler une raison pour laquelle nous n'avions pas été tenté d'aborder l'interprétation d'une image aussi prestigieuse dès le commencement de nos recherches, nous aurions naïvement invoqué la trop grande facilité de traduction. C’était simple, donc cela pouvait attendre ! La rose n'était-elle pas l'un des archétypes les plus connus, la plus belle image du Soi, de l'accomplissement de la psyché ? A l'évocation de cette reine des fleurs, la mémoire nous restituait pêle-mêle les résonances de lectures qui présentent le symbole comme l'aboutissement d'une évolution touchant presque au divin. L'image de la rose déclenchait, à l'orée de notre conscience, une sorte de brume lumineuse dans laquelle dansaient des mots : lotus, rose-croix, rose d'or, rose aux sept pétales, chevalier à la rose et toutes ces représentations des symboliques traditionnelles, qu'elles soient d'inspiration chrétienne, bouddhiste, islamiste, alchimiste ou autres. S'il avait fallu traduire la rose en quelques mots, nous aurions pensé âme, accomplissement, pureté, amour, épanouissement, lumière, Soi !

La rose du rêve, la rose de l'imaginaire actif, allait opposer à ces projections sublimantes la barrière d'un réalisme brutal. Il ne sera pas facile de comprendre les raisons qui font d'un symbole que toutes les traditions proposent comme un but suprême à atteindre une image aux connotations infiniment moins flatteuses. Il sera, pour cela, nécessaire d'admettre une distinction entre les produits d'une méditation sur le symbole, et ceux de l'imaginaire en oeuvre spontanément dans le rêve. Dans la première situation il s'agit de la rose contemplée, dans la seconde, de la rose rencontrée.

L'analyste méditant peut projeter sur l'image des valeurs justes. L'inconscient qui s'exprime au fil de l'expérience imaginaire fait du symbole un usage juste. Le premier se place dans une disposition spéculative, au sens positif du terme, le second est investi dans une dynamique. Nous ne concevons pas d'autre explication à la différence de tonalité entre la symbolique traditionnelle de la rose et celle qui se dégage des observations cliniques.

Il convient de préciser maintenant ce qu'est la rose dans les rêves. Il nous faut commencer par indiquer dans quel environnement elle vient s'inscrire. Dans la quasi-totalité des cas, il s'agit de scénarios dont les visions se succèdent sans lien perceptible. La structure apparente du rêve est du type « décousu », « coq-à-l'âne », et le praticien le lus expérimenté ne parvient pas toujours à se convaincre qu'une logique souterraine régit le déroulement des images ! Les corrélations se regroupent pour moitié sur deux familles de symboles : les personnages et les composants du corps. La lecture des scénarios dirige l'attention vers deux associations, surprenantes surtout par l'originalité des compositions qu'elles forment avec la rose, mais qui sont susceptibles d'établir un pont entre la symbolique transmise et l’image vivante : la corde et le papillon. Surtout – et c'est important – le nœud papillon ! L'impression qui domine, au terme d'une investigation attentive, c'est que la rose imaginaire est avant tout une représentation artificielle. Les visions d'une rose vraie, naturelle, existent mais sont rares. Encore sont-elles souvent le produit d'une exaltation imaginative, d'un « porte-à-faux » psychologique, que le rêveur ou la rêveuse dénoncent eux-mêmes dan leurs commentaires. Dans 70% des rêves soumis à l'étude se déploient des images de fausses roses. Quelques brèves séquences illustreront cette affirmation.

Alain : « … je suis dans une sphère, dans l’espace... j'ai l'impression de tomber en chute libre... je rebondis plusieurs fois avant de m'immobiliser sur une pièce de tissu... je me trouve sur un immense nœud papillon en velours noir, posé sur une aspérité rocheuse... je sors de la sphère, mais je dois faire attention pour ne pas tomber dans l'abîme... pour ça, je passe par le centre du nœud... le centre est comme une rose, en fait... que j'essaie de franchir... au moment où j'atteins le centre de la rose, celle-ci s'envole d'un seul coup !... Nous descendons tout doucement vers la vallée... plus nous nous rapprochons du sol, plus la rose semble se décomposer... ses pétales s'en, vont un à un... j'atterris dans un lit de rivière presque à sec... » Annie : « … là, je vois un homme, avec la tête en bas, à l'envers, dans un miroir... il a une chemise à fleurs... il rit, un verre à la main... et là, je vois une grande serviette de table blanche et une serviette roulée comme une rose... c'est une rose orange... » Armelle : « … je suis dans une église... les cloches sonnent jusqu'à me crever les tympans... je crie et personne ne m'entend.. ; Non ! Je ne vois pas... tout ça est sans logique, sans lien... là, c'est une rose qui apparaît : une rose en porcelaine, une rose pour planter les bougies, que quelqu'un vient de casser... quelqu'un qui jette les débris de porcelaine par terre... les débris jonchent le sol... »

Lydia : « … là, c'est un char, dans l'espace... un char en or... c'est le char de Dieu le Père, c'est Lui qui conduit... c'est une fleur ce char, une fleur en or, j'ai sauté dedans... maintenant nous marchons, l'un et l'autre, sur les nuages... il y a une grosse corde, là encore, qui pend... Dieu le Père me protège... il a mis une barrière de roses... c'est des roses en sucre ! C'est pas très naturel ! Je casse ça et j'ai des églantines. Ah ! Quel soulagement !... » Ces quatre exemples, si éloquents, ne constituent qu'un aperçu des ressources déployées par l’imaginaire pour multiplier les images de roses artificielles. Il faudrait encore citer les roses en métal, blessantes, aux pointes empoisonnées, le bouquet de roses au parfum délétère, les guirlandes de roses en papier et quelques autres productions qui prouvent qu'entre la fleur sublime de l'ésotérisme et celle du rêveur éveillé le divorce est si net et si constant qu'il oblige à réflexion. La différence induit la supposition qu'il existe un biais systématique qui dénature le symbole. Comment une image dont la mystique chrétienne a fait une allégorie de la Vierge Marie, que les alchimistes comparaient à la Coupe contenant le sang du Christ, dans laquelle l'officiant voyait le principe actif de l'Œuvre , peut-elle ainsi se pervertir dans la dynamique de imaginaire, dont on sait le rôle positif ? C'est ce que nous proposons d'éclaircir à travers une hypothèse dont la pertinence ne nous est apparue qu'en raison du rapprochement que nous avions observé entre la rose artificielle et le nœud papillon. Quelques lignes du neuvième rêve de Christine convaincront le lecteur de la réalité de cette association, clef de voûte de notre raisonnement :

« Là, je vois un œil maquillé, qui s'ouvre et se ferme... et puis... un bouton de rose... une rose... plutôt des formes géométriques qui se font et se défont... et puis une robe, avec un énorme nœud papillon qui orne le haut de la robe... maintenant c'est une Alsacienne en costume, avec ce gros nœud papillon qui, cette fois, est derrière la tête... et puis un papillon, qui n'a pas vraiment la forme d'un papillon... » La Tradition propose la rose comme un symbole de l'âme épanouie, de la psyché réalisée dan le Soi, comme un centre mystique de nature féminine. Dans l'article consacré au papillon, nous montrons que le lépidoptère est aussi l'une des grandes figurations de l'âme. La légende attribue à Psyché des ailes de papillon. La rose et le papillon ! Deux symbolisations de l'âme. Deux images naturellement associées, émanations des règnes végétal et animal, unies dans la beauté. Elles expriment des valeurs, non pas complémentaires, mais parallèles. Comment ne pas être frappé, dès lors que cette nature symbolique commune est reconnue, par l'évidence de ce qui fait se manifester ensemble, dans les rêves, la rose en sucre, en porcelaine, en métal, en papier, en tissu et... le nœud papillon ! Une fausse rose et un faux papillon. Deux images mortes substituées à leur modèle vivant. La coïncidence est saisissante, la prise de conscience fulgurante !

Le rapprochement des deux symboles de l'âme, sous leur forme dénaturée, atteint la perfection dans le rêve d'Alain qui atterrit sur un nœud papillon de velours noir dont le centre est "comme une rose", qui se transforme en rose et s'envole, emportant le rêveur. Une lumière impitoyable est brusquement projetée sur la rose du rêve, traversant tous les filtres des présupposés qui altéraient la vision. La rose imaginée apparaît pour ce qu'elle est dans 90% des situations : l'indice d'une rencontre tumultueuse entre deux forces contradictoires. D'une part le besoin impérieux de réalisation psychique, de l'autre une résistance de force presque égale qui s'oppose à cette réalisation et dont l reste à déterminer la nature. Parmi les images qui se bousculent dans l'inspiration désordonnée de ces rêves, la Vierge, le Christ, la chapelle et bien d'autres représentations de la Coupe de Vie, témoignent de la réalité du désir d'épanouissement spirituel. C'est la force d'opposition qui brise l'unité du scénario et engendre l'incohérence apparente de sa structure. Dans ce type de situation, ce serait une erreur d'imputer la résistance à l'emprise du mental qui n'y joue qu'un rôle mineur. Pour identifier ce qui s'oppose à la réalisation spirituelle il faut porter le regard vers le symbole le plus étroitement associé à la rose du rêve : la corde.

Dans l'intention d'alléger les séquences reproduites ci-dessus, nous avons supprimé les passages contenant les images de corde. Celles-là sont très variées, originales, mais présentent presque toutes un point commun : ce sont des cordes qui pendent de très haut et qui invitent à l'ascension. parfois même, elles ont leur point d'attache dans le ciel, hors de portée de regard. Cette particularité entre en harmonie avec l'ambition de réalisation spirituelle.

Cependant c'est à la traduction que nous développons dans l'article consacré à la corde qu'il faut se référer pour comprendre ce qui détermine l'apparition de celle-là près de la rose rêvée, La corde, dans l'imaginaire, conduit l'analyste à la découverte d'une problématique dont la sexualité est l'un des axes principaux. Impuissance, frustration sexuelle, banalisation de l'acte dans la multiplication des expériences, des états divers, souvent liés à l’œdipe, provoquent la présence onirique de la corde.

Alors une hypothèse peut être proposée pour expliquer les corrélations entre la rose artificielle, le nœud papillon et la corde. Ces compositions exprimeraient une phrase conflictuelle violente et passagère mettant en jeu d'une part l'émergence de besoin de réalisation spirituelle et d'autre part la manifestation d'un éros qui n'accepte pas d'être amputé d'une part de son pouvoir. L'âme se fige sous l'influence de l'éros vengeur. La rose perd son naturel et devient sucre, porcelaine, métal, tissu ou papier. Le papillon se métamorphose en papillon d'étoffe. Dans la mesure où l'étude de la corde conduit à observer une étroite association entre ce symbole et le nœud, il est difficile d'éviter le rapprochement avec le nœud papillon. Tout concourt à imposer l'évocation de l'âme nouée !

Par un long détour, cette interprétation rejoint le mythe. Psyché devra descendre aux enfers pour avoir découvert le vrai visage de son amant : c'était Éros en personne, l'Amour, pris ici dans le sens le plus clairement sexuel. Laurence, qui, depuis de longs mois, ne se résout pas à faire un choix entre l'accomplissement psychologique auquel elle aspire et les appels impérieux d'une situation sexuelle insatisfaisante propose, dans son treizième scénario, des images et des commentaires qui confirment d'autant plus mon hypothèse, qu'ils sont exprimés au milieu d'une longue crise de sanglots : « J'ai envie de secouer ma robe... j'ai un poids sur le cœur... je laisse des déchets derrière moi... je voudrais que ma robe soit pure... je ne sais pas ce que je veux... je voudrais me débarrasser des poids qui sont sur ma robe, accrochés comme des cafards... alors j'enlève ma robe aussi... je n'ai presque plus rien sur moi... je voudrais être papillon... tout laisser sur cette terre et devenir aérienne,comme un papillon...je regarde derrière moi : c'est bien ça ! Je suis un papillon... où est ma fleur ? Je suis un papillon qui d'ailleurs se transforme en fleur épanouie... en rose... c'est une rose saumon... je voudrais être fleur, pour être belle... […] Mais je me retrouve dans le désert, à marcher dans le sable... le Petit Prince pourrait m’aider à faire le passage... seule je n'y arrive pas, parce que j'ai triché ! J'en ai marre ! Tout se brouille... je ne veux pas qu'on me rejette... »

La rose et le papillon retrouvent ici leur caractère naturel, mais ils expriment un rêve que la patiente sait irréalisable tant qu'elle n'aura pas choisi la voie de l'approfondissement authentique. Le poids est sur la robe c'est-à-dire sur le comportement.

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Le praticien à l'écoute des rêves entendra parfois des mots qui lui parleront de roses odorantes et belles. Il sera peut-être en présence d'une manifestation de la rose mystique, d'un signe d'accomplissement de la psyché totale. Il pourra partager la joie ressentie par le rêveur ou la rêveuse. Devant la rose d’or, il soupçonnera l'exaltation imaginative, portera l'attention sur des indices qui pourraient trahir le narcissisme et ne se réjouira qu'après l'élimination de ces éventualités. Le plus souvent la rose du rêve se rangera parmi les images artificielles que nous avons montrées. Elle révélera une effervescence de la psyché dont il serait vain de prétendre déchiffrer toutes les productions. Le praticien sage se satisfera d'être le témoin d’une phase aiguë du processus d'évolution et rassurera le rêveur qui s'alarmerait de l'incohérence apparente du scénario.

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Mythologie :


D'après Angelo de Gubernatis, auteur de La Mythologie des plantes ou les légendes du règne végétal, tome 2 (C. Reinwald Libraire-Éditeur, Paris, 1882),


ROSE. — La rose doit bien moins à la mythologie qu’à sa propre beauté et à son titre mérité de reine des fleurs, sa gloire et sa popularité. L’histoire de la rose exigerait, à elle seule, un livre, comme elle a donné lieu à des poèmes et à des romans. Ici, je ne fournirai que des contributions mythologiques et légendaires, laissant de côté toutes les louanges, qui ne tiennent point au mythe, des poètes de tous les pays, depuis les poètes lyriques persans, depuis Salomon, qui voit une rose dans l’épouse du Cantique et Sapho et Anacréon, jusqu’à la charmante comparaison de Malherbe. Ces louanges imagées des poètes ont sans doute popularisé le culte de la rose (1) ; mais elles ne sont point sorties de la tradition populaire, de même qu’elles n’ont eu presque aucune influence sur elle. Mais lorsque la rose, dans le Roman de la rose, de Lorris, devient le prix de l’amour et du courage (2), lorsque, dans le roman d’Apulée, l’âne redevient homme en mangeant des roses, lorsque tous les poètes se trouvent d’accord pour nous représenter l’aurore comme une jeune fille qui répand des roses (Homère l’appelle ..., aux doigts de rose (3), nous devons considérer toutes ces images et tous ces récits comme mythologiques.

Dans le roman hindoustani Gul o Sanaubar (Rose et Cyprès, traduit par Garcin de Tassy), pour obtenir la main de la princesse, il faut savoir répondre à cette question : « Qu’a fait Gul (Rose) à Sanaubar (cyprès) ? » Si l’on ne parvient pas à la résoudre, on perd la tête. Le jeune prince Almâs arrive dans la ville de Vâcâf, au Caucase, pour apprendre le grand secret ; on lui dit que Sanaubar est le nom du roi de ce pays, que Gul est le nom de sa femme, et que le roi a ordonné de faire mourir tout voyageur qui prononcera le nom de Gul et s’informera d’elle. Gul était une femme infidèle, fille du roi des fées ; le roi Sanaubar la tient prisonnière, et la traite fort mal. Toutes les nuits, sans y manquer, la reine Gul, revêtue de ses habits royaux, va à l’écurie, monte un des chevaux particuliers du roi, va se promener chez les nègres, ses amis, puis, vers la fin de la nuit, elle revient, remet le cheval à l’écurie et rentre au palais ; à la fin, le roi Sanaubar surprend l’intrigue et châtie la femme infidèle et ses nègres. Gul semble ici représenter l’aurore du soir, que l’on figure souvent, dans le mythe, belle, mais perfide et malfaisante, qui trahit son époux, le soleil, et s’abandonne, comme Médée, à des œuvres diaboliques. L’aurore du matin, au contraire, est une déesse, une fée, une jeune fille secourable, bienfaisante, qui illumine et donne la lumière à tout le monde ; telle est aussi la rose, dans le conte hindoustani intitulé la Rose de Bakawali (traduit aussi par feu Garcin de Tassy) : « On fit venir, est-il dit, de grands médecins, aussi habiles qu’Avicenne et comparables même au Messie, lesquels s’accordèrent à déclarer que le seul remède à la cécité du roi, c’était la rose de Baka vali ; la vertu de cette rose était telle, que, non seulement elle pourrait guérir le roi, mais même un aveugle-né. Les fils du roi vont à sa recherche ; la belle sirène Lakka (la lune) dit à Tajulmuluk : « Sache que la rose dont tu parles se trouve dans la région du soleil (4), et qu’un oiseau même ne pourrait y parvenir. Bakawali est fille du roi des fées ; cette rose se trouve dans son jardin. Dans le jardin, il y avait un bassin, dont les bords étaient enrichis de diamants, et qui était plein d’eau de rose. On avait adapté aux espèces de rigoles qui l’entouraient des tuyaux garnis de perles de la plus belle eau. Au centre du bassin s’élevait une fleur évanouie, extrêmement belle et d’une excellente odeur. Taj-ulmuluk comprit sans peine que c’était la rose de Bakawali. Sans hésiter, il ôte ses vêtements, entre dans le bassin et va cueillir la rose de son désir. Revenu sur le bord, il s’habille de nouveau, et serre la fleur dans sa ceinture. Par le frottement de la rose merveilleuse, les yeux du roi aveugle deviennent « lumineux comme des étoiles », et Bakawali, devenue femme « au corps de rose », sur son passage « fait pousser des fleurs. »

Ici, le mythe solaire me semble trop évident pour avoir besoin d’être expliqué. L’étang de Bakawali était rempli d’eau de rose. On raconte que Nurmahal, la sultane bien-aimée de Jehangir, se baignait aussi dans un pareil étang ; le soleil donnant sur cet étang, la partie huileuse de l’eau de rose dans laquelle la belle sultane se baignait se condensa sous l’action de ses rayons, et ainsi se forma, dit-on, la véritable essence de roses, que les parfumeurs ont ensuite essayé d’imiter artificiellement. C’est sans doute avec l’huile de roses divine que, dans Homère, Aphrodite parfume le cadavre d’Hector. Dans le livre De Virtutibus herbarum, attribué à Albert le Grand, on prétend qu’un grain de rose, si on le mêle avec un grain de moutarde, un pied de belette, de l’huile d’olive et du soufre « et de hoc ungatur domus, sole lucente », toute la maison s’illuminera comme si elle était enflammée. L’une des trois Grâces, en Grèce, tenait une rose à la main ; les Grâces étaient les compagnes de Vénus ; et Vénus elle-même avait, disait-on, donné naissance à la rose, quand de son pied blessé sortirent quelques gouttes de sang. Selon d’autres légendes helléniques, les roses étaient blanches d’abord, et c’est du sang de Vénus qu’elles ont pris leur couleur actuelle (allusion au passage de la lumière blanche Alba, à la lumière rose Aurore (5).

« Les fleurs, écrit M. Lenormant, au mot Bacchus (Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines), sont aussi du domaine de Dionysos et, en particulier, la rose lui appartient autant qu’à Aphrodite. Dans un des plus beaux fragments de ses dithyrambes, Pindare invite à se couronner de roses en son honneur, et, sur un mosaïque du Vatican, il respire le parfum de cette fleur. Mais il semble que c’était surtout dans le culte du Sabazius thrace que la rose était un symbole capital. Une des principales fêtes des Thiases dionysiaques de la région voisine de Pangée, sous la domination romaine, s’appelait Rosalia. Dans la même contrée, la légende plaçait les fameux jardins de roses de Midas (l’emplacement actuel des roses de Bulgarie), personnage en rapport étroit avec ceux du cycle de Bacchus, et la rose y est le type constant des monnaies de la ville de Trazhus. »

Nous retrouvons l’aurore représentée sous la forme d’une guirlande de roses aimée par le soleil, d’un jardin de roses, de rosiers, dans les chants mythologiques des Lettes, publiés par Mannhardt (Die Lettischen Sonnenmythen) :

Was hast den gauzen Sommer

Demi gethan, du liebe Sonne ?

Einen Kranz von Rosen flocht ich

Um den jungen Gerstenacker.


— Wo soll ich, meine Mutter,

Mir meine Kleidchen trocknen,

Austrocknen sie im Winde ?

Mein Töchterlein, im Garten,

In dem neun Röslein wachsen.


— Und ich fragte : Lieb Maria,

Wo soll ich das Tüchlein waschen ?

Lieb’ Maria sagte freundhch :

In dem goldnen Rosengarten.


— Sage mir doch, liebe Maria,

Wo soll trocknen meinen Rock ich ?

Häng ihn, Knabe, in den Garten,

Wo neun Rosenstöcke blühen. (Cf. Pommier.)


— Ich säte eine schöne Rose

In den weissen Sandberg.

Sie wuchs auf lang, gross,

Bis zum Himmel hinauf.


An den Rosenzweizen stig ich zum Himmel hinauf,

Dort sah ich Gottes Sohn

Sein Rösschen sattelnd.

« Guten Morgen, guten Morgen, Gottes Sohn,

Hast du gesehen Vater und Mutter ?


Vater und Mutter sind in Deutschland,

Sie trinken der Sonnentochter Hochzeit,

Die Sonne selbst bereitet die Aussteuer,

Den Rand des Fichtenwaldes vergoldend.


— 0 Zemina (la déesse de la terre), Blumenspenderin,

Wo pflanz’ ich das Rosenzweiglein ?


Pflanz’ es dort aufs hohe Berglein

An dem Meere, au dem Haffe.

Ans dem Rosenstöcklein

Ward ein grosses Bäumlein,

Aeste trieb’s bis in die Wolken

Steigen werd’ ich in die Wolken

An des Rosenstockes Zweigen.

Und ich traf den jungen Knaben

Auf dem Gottesrösslein.


Cette insistance de la poésie populaire des Lettes sur la même image nous persuade entièrement que la rose mythologique est, le plus souvent, l’aurore, et parfois le soleil. J’ai déjà plusieurs fois remarqué que les mythes de l’aurore et ceux du printemps se correspondent ; et, puisque le printemps est la saison des fleurs, rien d’étonnant que chez les Slovènes, les Serbes, les Petits-Russiens, les Roumains, les roses aient fourni le nom (rusalija) donné à la fête du printemps (Miklosich rapporte aussi au mot latin rosa le nom de la fée champêtre et ondine printanière, russalka) ; que la madone chrétienne qui a remplacé, dans le culte, l’ancienne Vénus (la déesse Aurore et la déesse du printemps), ait adopté comme sien le mois des roses, mai, et que la fête printanière de la Pentecôte, qui tombe au mois de mai, s’appelle Pascha rosata, Pâques de rose (d’où l’ancien usage des papes, de donner, en ce jour, aux princes les plus pieux une rose en or) ; enfin, que la guirlande (originairement formée peut-être avec les fruits rouges de l’églantier, rosa canina) sur laquelle les femmes pieuses comptent leurs prières à la madone, s’appelle rosaire.

Dans la Rappresentazione di San Tommaso, la rose est le symbole de la virginité : saint Thomas bénit l’épouse ; un fruit de la terre (frutto di terra) pousse sur la main de l’épouse ; les deux époux en mangent et le trouvent suave ; mais ils en restent endormis : l’épouse alors a un songe qu’elle décrit ainsi :


Vidi una pianta in ciel maravigliosa

Qual sopra ogni cosa felice assurge ;

Questa a ciascun di noi dava una rosa,

La cui bellezza mai trapassa o fugge.


L’époux a eu le même songe. Saint Thomas se montre et loue leur chasteté ; alors, ils demandent le baptême. Dans les fêtes nuptiales, la rose a joué un grand rôle ; elle figure au nombre des cinq fleurs que lance Kâma, l’Amour indien.

Les filles de joie avaient, à Rome, leur fête, le 23 avril ; dans ce jour, consacré à la Vénus Erycina, elles se montraient parées, comme Vénus, de roses et de myrtes. Est-ce par une réminiscence de cet usage païen, qu’au moyen âge l’on condamnait, dans certains endroits, les femmes publiques, les jeunes filles déshonorées, les juifs, à porter une rose comme signe distinctif ? Dans les grands repas romains et grecs, les convives portaient des couronnes de roses : on croyait ainsi se garantir de l’ivresse ; quelquefois, par suite de la même superstition, on ornait de roses la tasse dans laquelle on buvait. La rose, symbole de lumière, d’amour, de volupté, devint aussi, comme il est arrivé pour le plus grand nombre des plantes érotiques, un symbole funéraire. Adonis, l’amant de Vénus, est aussi une figure de la mort. Nous avons déjà fait allusion au mythe de la rose née du sang d’Adonis (les Arabes la font naître d’une goutte de sueur de Mahomet). C’est pourquoi on plante de préférence des rosiers et des cyprès sur les tombeaux, et c’est pourquoi encore, dans les légendes persanes, la rose et le cyprès se trouvent entre eux dans une relation si intime. D’après une légende irlandaise, un malade voit passer, devant les vitres de sa fenêtre, un rosier : c’était un avertissement de mort. La chanson populaire vénitienne chante la fleur de Rosettina, morte d’amour. D’après les Deutsche Sagen de Wolf, un moine du XIIe siècle, Iosbert, étant mort en adoration de la vierge Marie, en l’honneur de laquelle chaque jour il récitait cinq psaumes, de sa bouche, de ses deux yeux et de ses deux oreilles poussèrent cinq roses. L’évêque arriva pour en cueillir une et la placer sur l’autel ; les quatre autres à l’instant même se fanèrent (l’un des privilèges des dieux de l’Inde est que les fleurs sur leurs têtes ne se fanent jamais).

La rosa canina (églantier) passe, en Allemagne, pour sinistre et diabolique. Müllenhoff a entendu, dans le Schleswig, une légende où le diable, tombé du ciel, essaye de se faire, pour y remonter, une échelle avec les épines de l’églantier. Dieu ne permit point à l’églantier de s’élever, mais seulement de s’étendre ; alors, par dépit, le diable abaissa vers la terre la pointe des épines. D’autres prétendent que l’églantier a reçu cette malédiction depuis le temps que Judas s’y pendit, c’est pourquoi ses graines sont encore appelées Judasbeeren (les baies de Judas). —


Notes : 1) 1 Pour Rückert, par exemple, le Soleil est « Eine goldne Ros’ im Blau », et pour Heine « die Rose des Himmels, die feuerglühende ».

2) Le sujet du Roman de la rose a été résumé au XVIe siècle par un sonnet de Baïf, dans les deux dernières strophes :

L’amant dans le verger, pour loyer des traverses

Qu’il passe constamment, souffrant peines diverses,

Cueil du rosier fleuri le bouton précieux.

Sire, c’est le sujet du Roman de la rose,

Ou d’amours épineux la poursuite est enclose :

La rose c’est d’amour le guerdon précieux.

3) Dans le conte de Perrault, les Fées, ainsi que dans d’autres contes, lorsque la jeune fille ouvre la bouche pour parler ou pour rire, il lui sort de la bouche des roses et des perles.

4) Le même récit dit que le soleil est une rose rouge.

5) On raconte aussi que les roses doivent leur couleur au sang d’Adonis, tué par le sanglier.

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Dans Le Folk-Lore de la France, tome troisième, la Faune et la Flore (E. Guilmoto Éditeur, 1906) Paul Sébillot recense nombre de légendes populaires :


Cette poétique légende rappelle un épisode des Miracles de Notre-Dame : lorsqu'un moine ignorant qui ne savait réciter autre chose qu'Ave Maria et était méprisé à cause de cela, a été enterré, sa sainteté se révèle par cinq roses qui sortent de sa bouche en l'honneur des cinq lettres du nom de Marie.


Tony Goupil, dans un article intitulé "Croyances phytoreligieuses et phytomythologiques : plantes des dieux et herbes mythologiques" (Revue électronique annuelle de la Société botanique du Centre-Ouest - Evaxiana n°3 - 2016), cherche à déterminer les plantes associées par leur dénomination aux divinités antiques :


[...] Il existe un certain nombre de plantes qui sont revendiquées d’un côté par la mythologie et de l’autre par la religion. [...]

[...] On peut citer encore la « naissance de Vénus » pour Rosa alba, le « bouquet de Vénus » pour Rosa.

La rose témoigne également d’une « rivalité » entre mythologie gréco-latine et religion chrétienne. En effet comme nous l’avons vu, elle est le symbole et la création de Vénus-Aphrodite, mais elle est également le symbole de la Vierge. En effet Marie est souvent surnommée la rose sans épines (rosa sine spina).

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Contes et légendes :


Dans la collection de contes et légendes du monde entier collectés par les éditions Gründ, il y a un volume consacré exclusivement aux fleurs qui s'intitule en français Les plus belles légendes de fleurs (1992 tant pour l'édition originale que pour l'édition française). Le texte original est de Vratislav St'ovicek et l'adaptation française de Dagmar Doppia. L'ouvrage est conçu comme une réunion de fleurs qui se racontent les unes après les autres leur histoire ; la Rose raconte la sienne dans un conte intitulé "Le Bal des fleurs" :


"Il y a longtemps, très longtemps, Lotus, le roi endormi, régnait sur le vaste royaume des fleurs. Plongé dans ses rêves, il se laissait bercer par les vaguelettes du lac, sans s'occuper le moins du monde de ses sujets. Les fleurs perdirent bientôt patience et supplièrent le ciel de leur envoyer un nouveau monarque, mais leurs voix, trop faibles, se perdaient bien vite. Aussi prièrent-elles le rossignol de voler au-delà des nuages pour présenter leur requête. Le rossignol s'acquitta de cette tâche de bonne grâce. Aussitôt, un bouton minuscule descendit sur la terre pour s'y épanouir en une rose resplendissante, entourée d'épines. Blanche comme la neige, elle était si belle et si innocente que le messager ailé en tomba éperdument amoureux au premier regard. Il se laissa choir pour se blottir tendrement contre ses pétales. Hélas ! Des épines impitoyables transpercèrent sa poitrine, et le sang du rossignol colora la fleur en rouge. Depuis ce temps, des roses de toutes les couleurs fleurissent sur terre, mais la véritable reine du royaume des fleurs est la rose rougie par le sang du rossignol. Du moins, c'est ce que raconte une vieille légende.

Un jour, au début de l'hiver, au moment où les derniers lutins et fées florales quittaient les corolles fanées pour se réfugier dans le mystérieux jardin d'hiver de la reine Rose, celle-ci décida d'organiser un bal somptueux dans son palais. Il devait durer jusqu'au jour où la flûte magique de Pan, dieu espiègle des bergers, annoncerait le retour du printemps dans le monde lointain des humains.

Des milliers de fleurs extraordinaires venues du monde entier se réunirent pour la circonstance et, croyez-moi si vous voulez, elles étaient toutes vivantes. Elles ressemblaient à de petites fées, à de gracieuses princesses, vêtues de leurs robes d'apparat à la traîne parsemée de gouttes de rosée en guise de pierres précieuses, à des princes charmants portant des tuniques multicolores et des parures de pétales, ou encore à de preux chevaliers en armures étincelantes et aux panaches floraux flottant au-dessus de leur front fier. Dans le jardin du palais, les dames d'honneur déambulaient, dignes, sous les arbres, revêtues de leurs crinolines vaporeuses. Des beautés aux yeux bridés, en kimonos arachnéens, cachaient leurs sourires entendus derrière des éventails en plumes d'oiseaux, tandis que les petites princesses espiègles retroussaient leurs jupes pour marcher pieds nus dans la rosée, ou taquinaient les fées des nénuphars au bord du lac. A l'écart, dans les prés, des pages se battaient avec une épine bien affûtée et des archers en herbe lançaient vers le ciel des flèches en aigrettes de pissenlits.

A la nuit tombée, des myriades de lucioles vinrent éclairer les tours du palais. Au son des fanfares, Sa Majesté la Rose prit place sur son trône. A son signal, la musique se fit entendre, et des fleurs se mirent à danser dans la salle et dans le jardin. Elles dansaient avec grâce et ravissement, formant un immense parterre multicolore caressé par la brise. des danseuses rieuses tendaient leurs joues aux gouttelettes des jets d'eau irisés en poussant des cris de joie, et laissaient les papillons, posés dans leurs cheveux, éventer de leurs ailes soyeuses leurs fronts ardents.

A la fin de la danse, Sa Majesté la Rose tapa dans ses menottes pour faire silence et, de sa voix claire, parla ainsi :

"Soyez les bienvenus, mes chers invités,. Je vous souhaite de passer de nombreuses journées et de nombreuses nuits inoubliables à notre grand bal des fleurs. Cependant, je voudrais exprimer un souhait bien modeste. J'aimerais me régaler, au milieu de la danse et des festivités, en écoutant des contes du monde entier. A la fin du bal, nous déciderons ensemble lequel d'entre eux était le plus beau. Qui veut commencer ?"

*

*

Paul Berret, dans Sous le signe des Dauphins, Contes et légendes du Dauphiné (Éditions des Régionalismes, 2008/2010), raconte une histoire intitulée "Des lilas et des roses" qui fait la part belle à ces deux fleurs :


"Je m'étais assis sur l'une des pierres écroulées du monastère et dans ce lieu désert et sombre, je songeais au plaisir que j'allais avoir plus haut, dans la lumière, à cueillir sur les rives du lac Luitel les géraniums sauvages striées d'incarnat, les orchis aux formes diaboliques ou les dianthes aux teintes d'écarlate, quand soudain dans les buissons qui m'encouraient, je crus distinguer des roses, de vraies roses blanches, aux pétales larges et serrés, à peine éclairées au cœur d'une lueur d'aurore.

Je m'approchais. Aucun doute : les Chartreusines cultivaient pieusement des roses pour orner la chapelle de leur couvent. A travers les siècles, malgré l'envahissement des lierres et des broussailles, ces roses étaient toujours là, fleuries miraculeusement et semblant encore attendre la main virginale qui viendrait les détacher de leur tige.

Cette fois puisqu'il ne s'agissait pas de fleurs sépulcrales, je cueillis sans remords l'une de ces belles fleurs d'éclatante et toujours liliale blancheur.

Tout le jour, dans la forêt de Prémol, la rose garda sa fraîcheur première.

Mais lorsque, le retour à mon logis, je la posai sur ma table, soudain tous les pétales se détachèrent et tombèrent, pareils à une neige d'avril, sur le tapis comme si quelques souffle invisible, venu des lointains de l'au-delà, était venu les effeuiller brusquement."

 

Galina Kabakova, autrice de D'un conte l'autre. (© Flies France, 2018) étudie les contes d'origine qui mettent les plantes à l'honneur :


Les schémas narratifs du conte ATU 780B « Les cheveux qui parlent » ressemblent à celui de ATU 782 : un crime est commis, et c’est un os de la victime, ou bien une plante qui pousse sur son corps et ensuite transformé en instrument de musique (pipeau, harpe, trompette) qui va raconter la vérité. Il arrive aussi que le cheveu de la victime devienne une plante (buisson ou blé) et divulgue la vérité, comme dans le conte espagnol « Les Enfants de la marâtre » (Camarena, Chevalier 2003 : 216-217). Ou bien c’est une fleur qui pousse sur la tombe d’une fille tuée par son frère qui raconte le meurtre (conte wallon « La fleur qui chante ») :


Mais sur la tombe de la petite fille il a poussé un rosier,

sur lequel est venue une belle rose.

Un berger passe par là, cueille la fleur et la met dans sa bouche ;

Aussitôt la rose s’est mise à chanter :

Berger, berger,

C’est mon frère qui m’a tuée

Pour avoir la Boule d’or

C'est mon frère qui m’a tuée

Pour avoir la Boule d’or. (Guittée, Lemoine 1891 : 129)


Note : Dans le Midi, à Menton, une belle fleur pousse à l’endroit où le fils tué est enterré, elle chante : « Berger, ô berger, ce n’est pas toi qui m’as tué mais mon frère aîné pour un peu de mauve » (Andrews 1892 : 144). Tandis que dans la version néerlandaise, une rose violette pousse sur la tombe. Dès qu’un membre de la famille essaie de l’arracher, la dénonciation sort de la tombe (Meder 2008 : 61-63).

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Littérature :


Rose

Madrigal

Alors que je me vois si belle et si brillante,

Dans ce teint dont l'éclat fait naître tant de vœux

L'excès de ma beauté moi-même me tourmente ;

Je languis pour moi-même, et brûle de mes feux,

Et je crains qu'aujourd'hui la Rose ne finisse

Par ce qui fit jadis commencer le Narcisse.

M. Habert, abbé de Cérisy, "Rose" in La Guirlande de Julie, XVIIe siècle.

 

Le Spectre de la Rose (1837)

Soulève ta paupière close

Qu’effleure un songe virginal ;

Je suis le spectre d’une rose

Que tu portais hier au bal.

Tu me pris encore emperlée

Des pleurs d’argent de l’arrosoir,

Et parmi la fête étoilée

Tu me promenas tout le soir.


Ô toi qui de ma mort fus cause, Sans que tu puisses le chasser, Toute la nuit mon spectre rose À ton chevet viendra danser. Mais ne crains rien, je ne réclame Ni messe ni De Profundis ; Ce léger parfum est mon âme, Et j’arrive du paradis. Mon destin fut digne d’envie : Pour avoir un trépas si beau Plus d’un aurait donné sa vie, Car j’ai ta gorge pour tombeau,

Et sur l’albâtre où je repose Un poète avec un baiser Écrivit : Ci-gît une rose Que tous les rois vont jalouser.

Théophile Gautier, "Le Spectre de la Rose in Poésies diverses (1833 - 1838).

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Les Roses de Saadi


J’ai voulu ce matin te rapporter des roses ; Mais j’en avais tant pris dans mes ceintures closes Que les nœuds trop serrés n’ont pu les contenir.


Les nœuds ont éclaté. Les roses envolées Dans le vent, à la mer s’en sont toutes allées. Elles ont suivi l’eau pour ne plus revenir ;


La vague en a paru rouge et comme enflammée. Ce soir, ma robe encore en est tout embaumée… Respires-en sur moi l’odorant souvenir.

Marceline Desbordes-Valmore, "Les Roses de Saadi" in Poésies inédites.

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La Femme aux roses

Nue et ses beaux cheveux laissant en vagues blondes

Courir à ses talons des nappes vagabondes,

Elle dormait, sereine. Aux plis du matelas

Un sommeil embaumé fermait ses grands yeux las,

Et se bras vigoureux, pliés comme des ailes,

Reposaient mollement sur des flots de dentelles.

Or, la capricieuse avait, d'un doigt coquet,

Sur elle et sur le lit parsemé son bouquet,

Et, - fond éblouissant pour ces splendeurs écloses ! -

Son corps souple et superbe était jonché de roses.

Et ses lèvres de flamme, et les fleurs de son sein,

Sur ces coteaux neigeux qu'elle montre à dessein,

Semblaient, aux yeux séduits par de douces chimères,

Les boutons rougissants de ces fleurs éphémères.

Théodore de Banville, "La femme aux roses" in Les Stalactites, 1846.

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La Rose


Rose rose, rose blanche,

Rose thé,

J’ai cueilli la rose en branche

Au soleil de l’été

Rose blanche, rose rose,

Rose d’or,

J’ai cueilli la rose éclose

Et son parfum m’endort.


Robert Desnos, "La Rose" in Chantefables et chantefleurs, 1952.

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Yves Paccalet, dans son magnifique "Journal de nature" intitulé L'Odeur du soleil dans l'herbe (Éditions Robert Laffont S. A., 1992) évoque lui aussi la Rose :

31 juillet

(Près de Knokke-Heist)


La route à double voie qui court au revers des dunes est partagée par un terre-(plein planté de rosiers. La mousse gris-vert de ces arbustes piqués de corolles carmin et d'étamines blondes, sous le ciel gris de la mer du Nord, emporte le rêveur. Je ressentirais la même plénitude sacrée si, touché par la grâce, je montais l'allée centrale d'une église baroque ornée de fleurs roses en récitant l'Introibo.

A l'instant où je rencontre le Bon Dieu, un chauffard me dépasse en klaxonnant, et c'en est de nouveau fini pour vingt ans de mon mysticisme.

10 septembre

(La Bastide)


Une rose d'automne a refleuri sur le rosier qui meurt -simple, sauvage et d'une odeur exquise, dépouillée de tout pétale hybride - églantine à nouveau pour s'éteindre.

N'en déplaise au Pèlerin chérubinique (La rose est sans pourquoi...), j'y vois la préfiguration végétale du devenir de l'homme.

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Dans La Citrouille a besoin de vous (Anatolia Editions, 1994 pour la traduction française) P. G. Wodehouse dépeint un Lord anglais particulièrement attaché à son jardin :


"Les jardins du château, commença-t-il, sont particulièrement ravissants cette année. Mon jardinier en chef, Angus MacAllister, est un homme avec qui je ne suis pas toujours en parfaite harmonie, notamment en ce qui concerne les roses trémières, au sujet desquelles il nourrit des opinions que je considère comme tout à fait subversives ; mais il est impossible de nier qu'il comprend les roses à merveille. La roseraie...

- Je me la rappelle comme si j'y étais, cette roseraie, dit James Belford avec un petit soupir, en se servant de choux de Bruxelles. c'était là que nous nous retrouvions Angela et moi, les soirs d'été."

Lord Emsworth cligna des yeux. Ce n'était pas une entrée en matière très encourageante mais les Emsworth étaient une race de lutteurs. il continua comme si de rien n'était.

"J'ai rarement vu un foisonnement de couleurs comme celui qu'il nous a été donné de voir tout au long du mois de juin. McAllister et moi avons, d'un commun accord, adopté une politique très virulente à l'égard des limaces et des pucerons, ce qui nous a permis d'obtenir une véritable pléthore de roses de Damas et d'Ayrshire en parfaite santé, et...

- Pour apprécier pleinement une roseraie, déclara James Belford, il ne faut voir en elle qu'un écrin digne d'abriter une beauté comme celle d'Angela. Quand ses cheveux blonds resplendissent contre un fond de verdure, la roseraie se transforme en véritable paradis.

- Je n'en doute pas, je n'en doute pas, dit lord Emsworth. Je suis content que vous aimez la roseraie. Evidemment, à Blandings nous bénéficions d'un important avantage naturel : un terrain argileux, riche en éléments nutritifs et en humus ; mais comme je le dis souvent à Mac Allister, et sur ce point nous ne sommes jamais en désaccord, un sol argileux ne suffit pas à lui tout seul. Il faut de l'engrais. Si l'on veille tous les automnes à répandre un généreux apport de fumier de cheval sur les plates-bandes et à en éliminer au printemps la partie la plus grossière, avant le bêchage annuel...

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Dans Éclats de sel (Éditions Gallimard, 1996) Sylvie Germain met en scène un personnage principal pour qui la rose est une madeleine :


Du coup ses pensées dérivèrent vers des souvenirs qu'il n'aimait pourtant pas se remémorer. Esther, une fois encore. Les roses étaient ses fleurs préférées ; il y avait eu un temps où elle faisait sécher les plus belles d'entre celles que lui offrait Ludvik, et avec elles recomposait des bouquets aux couleurs fanées, aux tiges maigres et cassantes, aux pétales extrêmement fragiles. Certains de ces pétales parfois se détachaient et tombaient comme des élytres d'un jaune sourd, ou lie-de-vin, comme des ongles morts, comme des paupières lasses de couver un songe depuis trop longtemps ressassé. Et lasse, Esther elle-même le fut un jout ; elle jeta ses bouquets de rose mortes, jolies momies de leurs amours dont elle avait effrité les rêves, éventé la senteur et renié la mémoire. Ludvik secoua la te^te, pour en faire tomber ce souvenir, pour s'ébrouer d'un mauvais rêve.

 

Jacqueline Kelen, auteure de Un Chemin d'ambroisie, Amour, religion et chausse-trappes (Éditions de La Table ronde, 2010) :


"Ce que murmure la rose rouge : "Tu ne peux pas vivre en beauté si tu n'as pas l'amour en ton cœur." "

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