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Andarta, la déesse à l'Ours

Photo du rédacteur: AnneAnne



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Selon Henri d'Arbois de Jubainville, auteur de "Les dieux celtiques à forme d'animaux". (In : Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 48ᵉ année, N. 3, 1904. pp. 365-372) :


En Gaule, on avait divinisé la femelle de l'ours, et on l'appelait dea Artio. M. Salomon Reinach a étudié dans le tome XXI de la Revue celtique un groupe en bronze, trouvé en Suisse près de Berne, et qui représente un ours accompagné d'une femme ; au-dessous est une inscription dédicatoire Deae Artioni. La femme est un sacrifice au goût des artistes grecs. De la dea Artio de Berne on peut rapprocher la dea And-arta de Die (Drôme) ; And-arta est une grande ourse élevée au rang de divinité, tandis que de l'expression dea Artio on ne doit rien conclure quant à la taille de l'animal sacré. "Il y a lieu, ce semble, d'expliquer par le nom Artos de l'ours divinisé les noms de lieu Arto-briga en Vindélicie, et *Arto-dunum, aujourd'hui Arthun (Loire) ; Artodunum, « forteresse du dieu Artos », peut servir de pendant à Lugu-dunum, « forteresse du dieu Lugus ».

De ces noms de lieu on peut rapprocher le nom d'homme gallois Arth-gen, « fils de l'ours », c'est-à-dire du dieu Ours. C'est le nom d'un roi gallois mort en 807. Ce nom a été en gaulois Arto-genos ou Arti-genos ; dans la Descriptio mancipiorum ecclesie Massiliensis, publiée par B. Guérard à la suite du Cartulaire de Saint-Victor de Marseille, on voit mentionnée une colonica in Artigenis : c'est un groupe de colons établi sur des fundi Artigeni, ainsi nommés à cause d'un propriétaire antique, nommé Arti-genos ou Arto-genos, « fils du dieu ours ». La forme irlandaise de ce nom est Artigan : d'où le nom de famille O'hArtigan, « petit-fils du fils de l'ours ».

 

Jean-Paul Persigout, dans son Dictionnaire de mythologie celtique, Dieux et Héros (Éditions Le Rocher, 1985) recense des variations géographiques de la Déesse à l'ours :


ANDARTA. Gaule. Déesse guerrière à qui sont vouées les victoires. Chez les Voconces, déesse à !'Ours ; son nom rappelle celui d' Andrasta à qui la reine Bouddica demandait protection. Elle protège aussi les chasseurs et marque le « caractère féminin de la classe guerrière ».


ANDRASTA. Galles. Même personnage qu' Andarta la Gauloise. Déesse de la guerre, son nom est en relation avec !'Ours ; la reine Bouddica (Boadicée) invoque sa protection en - 61 dans la plaine de Londres avant le combat contre les hordes romaine.


ARDUINA. Gaule. Déesse à l'ours, éponyme des Ardennes.


ARTAIOS. Gaule. Surnom du dieu Lug, ici lié à l'Ours.


ARTIO. Gaule. Déesse à l'Ours.

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Bernard Sergent fait le lien entre ces différentes acceptions dans "Les premiers Celtes d'Anatolie." (In : Revue des Études Anciennes. Tome 90, 1988, n°3-4. pp. 329-358) :


 II existait dans le monde celtique une déesse importante appelée « la Grande Ourse », attestée sous la forme exacte, Andarta, chez les Voconces, et sous une forme évoluée ou déformée Andrasta chez les Icéniens de Grande-Bretagne. Chez les Helvètes, à Muri, une déesse Artio tient dans sa main droite une coupe, dans la gauche des fleurs et des fruits, et devant elle, sous un arbre, s'approche un ours. Déesse caractérisée par l'ours(e), donc, liée à la fécondité (sur le bronze de Muri), possédant des bois sacrés (chez les Icéniens, et cf. l'arbre sur le bronze de Muri), et certainement chez elle dans les régions montagneuses, son animal l'indique, ses lieux de culte sans doute aussi. Elle faisait ainsi un bon équivalent celtique de la Rhéa-Cybèle gréco-anatolienne.

 




Symbolisme :


Auguste Allmer, dans un article intitulé "Les dieux celtiques d’après les inscriptions du Midi de la France." (In : Revue épigraphique du Midi de la France, tome 2, N°43, 1887. pp. 262-264) rappelle le lien étroit entre le diois et la déesse à l'ours :


La déesse ANDARTA - Deae augustae Andartae et deae Andartae augustae (Long, Antiquités du pays des Vocontiens, pp. 105-106 ; Flor. Vallentin, Divinités indigètes, pp. 23-26) ; inscriptions au nombre de 8 à Die et aux environs. Andarta était une déesse celtique particulière au district nord du pays des Voconces, et son sanctuaire, célèbre dans la contrée paraît avoir donné naissance à la ville de Die : Dea, « la déesse », et même lui avoir fourni son nom. Bien que réduite par la réorganisation religieuse d'Auguste à la condition commune de divinité Lare romaine, comme le fait voir son surnom habituel d'Augusta, elle n'en continua pas moins, et peut-être même précisément à cause de cela plus que jamais, à être honorée d'un culte rehaussé d'un certain éclat. Les fêtes étaient accompagnées de spectacles auxquels des combats d'animaux fournis abondamment par les forêts des Alpes devaient procurer beaucoup de vogue. On connaît un curator muneris publici ad Deam augustam et un collège venatorum Deensium et qui ministerio arenario fungunt,... et, remarque M. Hirschfeld (Gallische Studien, p. 32), « ce qui dénote bien le caractère exclusivement festival de la ville, c'est que les métiers qui appariassent sur les inscriptions se rapportent tous à la célébration des sacrifices ou aux besoins des visiteurs. Il n'y manque que des marchands de reliques et d'images de piété pour compléter l'analogie du sanctuaire celtique de Die avec nos modernes lieux de pèlerinage... »

[...]

Mercure ARTAIUS - Mercurio augusto Artaio... ex voto sacrum (Inscription de Vienne, 3, p. 112) ; à Beaucroissant, canton de Rives (isère). L'historien Aymar du Rivail (De Allobrogibus, p. 25), qui écrivait au seizième siècle, dit que cette inscription avait été trouvée dans les ruines d'un édifice romain, près de Beaucroissant, et que le territoire adjacent à cet édifice avait encore de son temps, dans le pays, le nom du dieu gaulois : Et territorium huic aedificio adjacens adhuc Artaium vocant. Ce nom parait avoir depuis lors entièrement disparu.

 

Selon Camille Jullian et Frédéric Mistral, auteurs de l'article intitulé "Sainte Victoire." (In : Revue des Études Anciennes. Tome 1, 1899, n°1. pp. 47-58) :


Sainte Victoire, dea Victoria, Andarta. - La Gaule méridionale a livré jusqu'ici treize inscriptions consacrées à la Victoire. Ce n'est pas un chiffre à éveiller l'attention ; il est en rapport avec l'effectif épigraphique des provinces Alpestres et Narbonnaise. Mais on a lieu de s'étonner de la manière dont ces treize textes sont répartis.

En songeant au caractère latin et quasi impérial de la Victoire, on s'attendrait à ce que ces dédicaces vinssent des splendides colonies de citoyens romains, comme Arles ou Narbonne. C'est le contraire qui arrive. Deux nous sont livrées par les colonies latines de Nîmes1 et d'Aix, où l'élément indigène était assez fortement représenté ; les autres proviennent de pays franchement gaulois, et, pour la plupart, non pas de chefs-lieux, mais de bourgades secondaires, ou même de sanctuaires ruraux, isolés dans la montagne. On a donc le droit de supposer que la Victoire de la Gaule Narbonnaise est, sinon toujours, du moins le plus souvent, une divinité indigène habillée à la latine, et non pas la glorieuse déité de la Curie romaine.

Un seul autel de la Victoire a été découvert à l'ouest du Rhône, à Nîmes ; tous les autres, au nombre de douze, appartiennent à la région comprise entre le fleuve et les Alpes. Le pays des Allobroges en renferme deux, la ville d'Aix un autre ; un troisième est des Alpes Pennines. Deux nous sont donnés par les Alpes Cottiennes, c'est-à-dire par la région voisine du pays des Voconces. Ceux-ci, enfin, nous ont livré six inscriptions dédiées à la Victoire, y compris celle qui vient d'être découverte à Volx". Si la statistique épigraphique n'est point trompeuse, la Victoire dont nous cherchons l'origine ressortirait au panthéon d'une des nations .gauloises domiciliées entre les Alpes, le Rhône et la Durance, et, de préférence, à celui de la grande peuplade des Voconces.

Or, la divinité la plus originale et, si je puis dire, la plus « indigète », du pays voconce est, sans aucun doute, la mystérieuse Andarta, dea Andarta : elle avait son principal sanctuaire à Die, l'une des deux capitales de la cité, et le nom même de Die, Dea Augusta, est un souvenir de la déesse. On peut donc être tenté de voir dans Andarta la divinité celtique dont Victoria est le vocable romain.

Ce n'est qu'une hypothèse. Pour qu'elle se transforme en certitude, il faut trouver dans l'onomastique gauloise un nom approchant de celui d'Andarta, et qui ait le sens de victoire. Ce nom, Dion Cassius le fournit.

L'historien grec raconte, à la date de 61, la campagne des Romains contre Boudicca et les Bretons : nous sommes en pays celtique. Par deux fois, Dion mentionne une divinité que les Bretons de Boudicca adoraient d'une façon spéciale, et dont le nom rappelle de bien près celui de l'Andarta voconce. La première fois, c'est Boudicca qui l'invoque, en l'appelant Άδράστη ou Άνδράστη, car les manuscrits ne sont point d'accord. La seconde fois, l'historien la nomme Άνδάττ, et il en parle en ces termes : « Les Bretons sacrifiaient surtout dans le bois d'Andaté : car c'est ainsi qu'ils appelaient la Victoire, et ils l'honoraient fort. »

Andaté, Adrasté ou Andrasté est donc la Victoire des Celtes de Bretagne ; Andarta paraît être la Victoire des Celtes Voconces. On avouera qu'elles se ressemblent fort ».

Si, comme le suppose M. de Villefosse, la sainte Victoire de Voix est l'héritière de la Victoire voconce, nous pouvons suivre, sur ce petit coin de terre, la longue persistance d'un culte à la fois immobile et changeant : l'Andarta celtique se transformant en Victoire romaine, et celle-ci se dissimulant à son tour sous une sainte chrétienne.

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Michel Stanesco, dans un article intitulé "Le chevalier au lion d'une déesse oubliée : Yvain et « Dea Lunae »." (In : Cahiers de civilisation médiévale, 24e année (n°95-96), Juillet-décembre 1981. pp. 221-232) présente Artio comme une Artémis gauloise :

On peut conclure que les Celtes possédaient dans leur panthéon une divinité des lacs et des forêts, une sorte d'Artémis ou de Diane. En effet, les inscriptions celtiques ont conservé la trace de la Diane gauloise, maîtresse des grandes forêts, des sources et de la santé ; elle n'est cependant pas rattachée à Apollon, comme dans le panthéon romain, mais plutôt à Mars. Elle devait être aussi la déesse des animaux sauvages, si nous nous appuyons en même temps sur le témoignage de Wace et sur un fait d'archéologie : au pays des Helvètes on a trouvé une belle statue de bronze représentant une femme appuyée en arrière. En face d'elle, sous un arbre, s'avance un ours. Cette déesse était adorée sous le nom d'Artio.

Tous ces indices corroborent l'hypothèse que les Celtes connaissaient une déesse similaire à l'Artémis grecque et à la Diane romaine. On sait qu'Artémis était une divinité archaïque, puisqu'elle appartenait à la religion officielle de la πσλις mais aussi à la religion populaire. Déesse de la nature primitive, on l'adorait dans tous les pays montagneux et sauvages de Grèce et d'Italie. Son homologue celtique était, elle aussi, honorée dans les forêts gaéliques et bretonnes, dans les Gévennes et dans les Alpes. Brocéliande chez Chrétien de Troyes, « Breceliant » chez Wace, le premier état du toponyme, affirme Ch. Foulon, était un Bré-c 'hellien breton, où bré avait le sens de « colline », « montagne ».

[...]

 On n'a pas manqué de faire le rapprochement entre Artémis et la racine indo-européenne arla («ourse »), également valable pour Artio, la déesse chasseresse des Helvètes.  De plus, un des symboles d'Artémis était le taureau : on l'honorait quelquefois sous le vocable de « Tauropolos ». Souvenons-nous maintenant que Galogrenant et Yvain sont guidés vers la fontaine merveilleuse par le gardien d'un troupeau de taureaux. Nous pouvons donc avancer l'hypothèse que l'histoire d'Yvain a été à son origine la relation d'un rite archaïque voué à Lunete, véritable maîtresse de la fontaine. Si le récit gallois qui correspond au roman de Chrétien de Troyes est intitulé Histoire de la maîtresse de la fontaine, c'est qu'il conserve encore le souvenir d'une légende celtique, dont l'intérêt était centré sur la fée de la fontaine. Notons aussi que la plupart des auteurs des dédicaces consacrées aux « matrones » celtiques, adorées auprès des sources, étaient des soldats. C'était donc Lunete qui attirait le héros dans ses forêts, en le guidant vers la fontaine par l'intermédiaire de son « homme des bois », le gardien des taureaux. Le héros devait assurer le maintien de la coutume (« que la costume remaingne », v. 2102) ; il devenait en quelque sorte le prêtre de cette Artémis celtique, mais pas avant d'avoir accompli un geste obligatoire : tuer lui-même l'ancien maître de la forêt.

Tout cela nous rappelle un rite sauvage mentionné déjà par les écrivains de l'Antiquité. Évoquant la Diane de Némi, Strabon nous dit qu'à l'artémision d'Aricie on pratiquait encore à cette date « une coutume barbare » : quiconque aspirait à devenir le prêtre de la Diane des Bois devait essayer de tuer de sa main le grand prêtre. Aussi ce dernier, appelé Rex nemorensis, veillait l'épée à la main, pour pouvoir repousser les attaques éventuelles. Le temple se trouvait dans un bois, devant lui s'étendait un grand lac, l'ensemble entouré de hautes montagnes. Le témoignage de Strabon est une preuve de l'ancienneté du culte de cette déesse, tout comme un autre vieil usage pratiqué en Grèce en honneur d'Artémis : « Halae, près de Bauron, possédait un très ancien temple d'Artémis Tauropolos, où, devant l'autel de la déesse, on tirait un peu de sang de la gorge d'un homme avec le tranchant d'une épée, ce qui est bien clairement une survivance d'un sacrifice humain ». Les écrivains grecs et romains avaient l'habitude de comparer ce genre de rites aux coutumes scythes : ainsi Strabon, qui confond Diane Tauropolos avec Diane de Tauride, à laquelle on offrait des sacrifices humains, ou Lucain, qui, parlant du dieu celtique Taranis ou Taranus — Cromn crûoch, le « Croissant ensanglanté » — estime que « son culte n'est pas plus doux que celui de la Diane scythique ». Il est évident aujourd'hui que cette divinité n'était pas un emprunt à une mythologie méditerranéenne ou scythe, puisque ce rite sanguinaire peut être rencontré jusqu'en Irlande ; il est seulement singulier à l'époque classique : « Ripetutamente... Artemis appare legata a riti estranei alla mentalità greca classica, eredi di costumi cultuali di cui possiamo trovare paralleli più recenti solo nel mondo celtico e germanico o, in sfera diversa, in quello orientale ». Les Étrusques honoraient eux aussi une divinité lunaire nommée Divana, qu'on a quelquefois confondue avec Diane. On constate donc que le syncrétisme se rencontre aussi bien à l'est qu'à l'ouest du monde antique : l'Artémis éphésienne avec l'Artémis dorienne, l'Artémis de Tauride avec l'Artémis Tauropolos, Diane avec Artémis, Divana avec Diane, enfin, des divinités celtiques qui portent, comme d'habitude, des noms différents, avec Diane.

On peut conclure que des populations indo-européennes vouaient un culte à une Artémis, Diane ou Artio primitive, maîtresse des bois, des montagnes et des sources, déesse éternellement jeune qui présidait à la fécondité des plantes, des animaux et des hommes, et dont les symboles étaient la lune et le taureau.

La jeune et bienveillante Lune te du roman de Chrétien de Troyes est sans doute un avatar de cette déesse. Le culte primitif, dont les traces se retrouvent depuis l'est méditerranéen jusqu'au monde celtique, a engendré une légende dont les thèmes se rencontrent aussi bien dans les fabulae milesiacae que dans la matière de Bretagne : à la suite d'un rite homéopathique, un soldat provoque une pluie diluvienne qui abat des arbres ; il blesse à mort le maître de la forêt, mais il est pris, à son tour, dans un piège d'où il ne s'échappe qu'avec l'aide d'Artémis ; celle-ci l'établit comme maître de la forêt et de l'eau merveilleuse, après son mariage avec la veuve. Artémis s'assurait ainsi de la fécondité des êtres.

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Marie-Noëlle Anderson, autrice de L'Oracle des Bardes * 36 mythes et légendes de nos ancêtres (Éditions Contre-dires, 2019) explore les mythes celtes pour nous aider à "reconnaître le scénario dans lequel nous évoluons" et tenter de le dépasser :


La Grande Ourse - Marronnier


Artio, la déesse des forêts, avait plusieurs mortelles à son service. La plus belle d'entre elles s'appelait « Matu ». C'était une jeune femme au charme et à la grâce incomparables. La sévérité d'Artio était connue à plusieurs lieues à la ronde. Elle allait jusqu'à exiger que ses servantes restent chastes, et ne laissait aucun homme s'approcher d'elles.

Un jour d'été, le grand dieu Dagda se promenait dans la forêt en quête d'un peu de fraîcheur. Le destin voulut qu'il tombât sur Matu qui, elle aussi, fuyait l'ardeur du soleil en toute innocence. Elle n'avait pas imaginé se trouver face à face avec le plus grand des séducteurs, à l'ardeur tout aussi bouillonnante que celle du soleil !

Dagda, dont on connaît les penchants irrésistibles pour les belles créatures, n'allait évidemment pas rater l'occasion. Il berça Matu de paroles douces, il l'enveloppa de son regard cajoleur, il fit tant et si bien que la jeune femme abandonna ses défenses l'une après l'autre. Séduite, elle lui ouvrit son cœur et son corps. Comment aurait-elle pu résister au grand dieu !

Au cours des mois suivants, son ventre s'arrondit. Bien qu'elle essayât de cacher son état, Artio finit par s'en apercevoir. La colère de la déesse fut terrible ! Non seulement la plus belle de ses servantes lui avait désobéi, mais elle avait osé se laisser séduire par Dagda en personne. Vexée, elle recourut à ses pouvoirs magiques et transforma Matu en ourse. Mais sa soif justicière n'était toujours pas assouvie : elle poursuivit l'ourse-Matu en la visant de ses flèches, prête à la tuer.

Blessée, Matu ne savait plus que faire pour échapper à la sanguinaire Artio. En dernier recours, elle appela Dagda à son secours. Encore attendri au souvenir de leur rencontre, le grand dieu n'hésita pas à lui venir en aide. Pour la soustraire à la furie vengeresse d'Artio, il prit l'ourse-Matu dans ses bras et la plaça dans le ciel.

Désormais, tout le monde pouvait la voir et l'admirer, mais elle était à l'abri des actes de violence et d'agression. Plus personne ne pouvait lui nuire. C'est ainsi que naquit la constellation de la Grande Ourse !


Personnalité : Une Grande Ourse soumise à de fortes pressions sociales et culturelles ne sera jamais bien dans sa peau. Elle doit pouvoir vivre librement, en suivant les élans de son cœur. Il se peut que, dans son environnement familial ou professionnel, elle soit obligée de se conformer à des systèmes de croyance et de valeurs bien précis, auxquels elle ne s'identifie pas. Cela fait partie du jeu social. Si elle se laisse envahir, si elle ne les dénonce pas dès le départ, ne fût-ce qu'à elle-même, la Grande Ourse finit par réagir avec des comportements violents qui, tôt ou tard, se retournent contre elle. Inconsciemment, elle se punit de sa propre trahison passive.

Par contre, si elle voit clair, elle s'organise pour avoir une compensation, soit par un hobby, soit en introduisant une dynamique plus créative dans sa vie de tous les jours, servant à rétablir un équilibre. Pour autant qu'elle ne triche pas avec elle-même en se contentant d'une réalité édulcorée, elle réussit alors à véritablement concilier ses différents besoins. Une fois le piège de la dualité dépassé, elle peut donner le meilleur d'elle-même, grâce à son nouveau regard qui embrasse la totalité.


Défi : La Grande Ourse a une tâche que beaucoup lui envient, du moins dans un premier temps : apprendre le droit à la désobéissance ! Une Grande Ourse inhibée refuse la réalité qui ne lui convient pas en s'autopunissant. Elle va perdre toute joie de vivre, toute gaieté. Coincée dans son immaturité affective, ses besoins d'amour et de tendresse ne font que croître. Évidemment, lorsqu'on ose désobéir, on s'expose au mieux à des critiques, au pire à des châtiments qu'il s'agit d'assumer et de gérer !

La Grande Ourse découvrira, au cours des années, que lorsqu'elle suit les élans de son cœur, ses transgressions n'ont jamais les mêmes conséquences dramatique que lorsqu'elle agit par pure provocation. D'autre par, elle s'apercevra que, quoi qu'on fasse, il est impossible de plaire à tout le monde. Donc autant se faire plaisir, tout en état cohérent avec soi-même ! Les dieux n'ont pas demandé aux humains de renoncer aux joies de l'existence terrestre. Ils attendent d'eux qu'ils apprennent à gérer ces plaisir, ce qi est peut-être beaucoup plus difficile !


Structure : Dans un système de croyance qui promulgue la chasteté, le corps et l'inconscient n'ont pas de place. Artio (Soi/anima) et Matu (conscient/anima) vivent en harmonie, même si elle est fragile parce que résultant d'un pouvoir répressif et contre nature exercé par la déesse sur sa servante. Lorsque Dagda (Soi/animus) intervient, il pénètre le conscient (Matu) et féconde l'inconscient. Puisqu'il y a fertilisation, l'inconscient, auparavant caché, se voit de plus en plus au grand jour.

Le Soi/anima refuse la nouvelle dynamique, qu'elle ressent comme une perte de pouvoir. Artio opte pour le statu quo et même pour la mort, plutôt que d'accueillir la vie. Ce comportement égotique la pousse à tuer le conscient désobéissant (Matu) qui est réduit à un inconscient animal (ourse). Dagda permet à Matu d'opérer une dernière mutation : dans le ciel, l'inconscient devient Soi.

Lorsque l'ego opte pour une voie sûre, sans grand engagement, il a intérêt à chloroformer, voire à castrer, toute une dimension de l'être humain : celle des émotions, de la sensualité, du ressenti. S'il rencontre le Soi fécondant par surprise, il expérimente une nouveauté : le corps existe et devient même un véhicule pour l'expérience mystique. Pour que la création continue, pour que l'expérience puisse avoir lieu, il faut oser se donner le droit de désobéir pour dépasser ses propres limites rassurantes et réhabiliter l'instinct (inconscient).

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Benoît Rossignol, auteur de "Autour du culte de la Mère des dieux dans la vallée du Rhône." (In : Revue du Vivarais, CXXV-1 (829, mars 2022), pp.91-117) met à mal l'assimilation, hâtive selon lui entre Cybèle et Andarta :


Il faut signaler comment un trait saillant des autels tauroboliques de Die a contribué à égarer les savants en quête de syncrétisme. Un caducée figure en effet sur les autels présents dans la cité. Cette présence du caducée fut rapprochée d'un Mercure Artaios connu à Beaucroissant. Sur une base étymologique, le dieu fut rapproché de la déesse voconce Andarta rapprochée et assimilée à Cybèle depuis Graillot, l'idée étant commune après lui que les deux déesses finirent par se confondre. Il faut cependant constater que ce Mercure est sur le territoire de Vienne plutôt que sur celui de Die. Surtout, il faut éloigner son regard de la Gaule et de l'ancestralité celtique pour interpréter correctement le caducée. Françoise Van Haeperen rappelle, entre autres, qu'Hermès est aussi présent à Rome sur un autel taurobolique et que Julien nous apprend que les initiés voyaient en lui le dieu allumant les torches pour Attis. Dès 1934 en fait, Louis Robert avait insisté sur les liens existant entre Hermès et Attis dans la religion métroaque et expliqué par ces liens la présence du caducée à Die, ce faisant il ne faisait que reprendre et développer la démonstration faite en 1911 par Jules Toutain. Mais un an après la parution du livre de Toutain, Graillot affirmait qu'Andarta avait été hypostasiée en Cybèle. La prégnance de ce cadre syncrétiste s'est imposée face à la logique de la documentation et de la théologie du culte : Robert Turcan connaissait parfaitement tous les liens entre Cybèle et Hermès mis en avant par Toutain et Robert, il choisit pourtant d'élaborer le lien avec Andarta et Artaios. Le présupposé d'une solidarité avec les cultes indigènes l'emportait sur l'idée que les Voconces de Die aient pu élaborer leurs autels à partir du cadre romain et grec, tout en se distinguant des motifs habituels. Il faut prendre au sérieux la romanité du culte de Cybèle tant à Rome qu'à Die et rendre aux fidèles voconces leur cohérence théologique. Le caducée doit donc être interprété dans le cadre du rituel et des cérémonies et des discours métroaques et non pas dans la perspective d'un syncrétisme local. Enfin, il faut penser qu'Andarta et la Grande Mère coexistaient dans le panthéon officiel à Die sans se confondre et sans que l'une remplace l'autre, car c'est ainsi que fonctionne le polythéisme.

 





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