Étymologie :
Selon Gilles Boutry, auteur de "Étymologie et ethnologie autour des noms de l'ours." (In : Carnet de recherche n° 3 de 2022 ethnographique et étymologique, 2022) :
Si Artahe est effectivement un nom de l’ours, nous sommes en présence de la racine sanskrite indo-européenne, riksh en sanskrit, qui a donné arctos en grec et ursus en latin. Or cette racine a depuis l’antiquité un double sens, à la fois ours et constellation de l' Ourse. Arctos a donné arctique, la où passe l’axe de la terre qui s’élève jusqu’à l’étoile polaire. La divinité Artahe de St Pé d’ardet, comme le mercure Artaios de Beaucroissant , ou l’Artio Dea de Berne pourraient conférer à ces lieux un caractère symbolique les reliant à la la constellation (ursa minor) Ourse et à l’axe du monde.
Symbolisme :
D'après Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, auteurs du Dictionnaire des symboles (1ère édition Robert Laffont, 1969 ; Édition revue et augmentée Robert Laffont, 1982) :
"Nous avons noté, à propos de l'ours, comme représentant de la caste guerrière face à la caste sacerdotale, qu'il était parfois figuré sous son aspect féminin : c'est le cas dans le mythe d'Atalante, nourrie par une ourse et chassant le sanglier de Calydon. C'est le cas aussi des deux constellations polaires que nous connaissons. La Grande Ourse fut autrefois représentée par le sanglier ; le transfert à l'ourse est le signe de la défaite du sanglier, c'est-à-dire la prééminence du pouvoir temporel.
Dans la tradition hindoue, la Grande Ourse (nommée sapta-riksha) est la demeure des sept Rishi, symboles de la sagesse et de la tradition primordiale. La constellation est donc à la fois un séjour des Immortels et le centre, l'arche, où se conserve la connaissance traditionnelle.
Nous avons noté qu'en Chine, la Grande Ourse avait été la Balance, puis le Boisseau (teou). Tournant autour du centre du ciel, le Boisseau indique successivement par son manche les quatre divisions du jour et les quatre saisons de l'année. Selon Sseu-ma Ts'ien, le Boisseau est le char du Souverain ; il se meut au centre ; il gouverne les quatre orients ; il sépare le yin et le yang ; il détermine les quatre saisons ; il équilibre les cinq éléments ; il fait évoluer les divisions du temps et les degrés de l'espace ; il fixe les divers comptes. Or on observe que tel est le rôle de l'empereur dans le Ming-t'ang (comme le teou des sociétés secrètes) est, à l'aplomb de la Grande Ourse, sa représentation microcosmique. Le timon du Grand Chariot, dit encore le Traité de la Fleur d'Or, fait tourner la manifestation tout entière autour de son centre. L'étoile polaire - qui fut originellement une étoile de la Grande Ourse (teou-mou) - est T'ien-ki, le faîte du Ciel. C'est la demeure de T'ai-yi, le Suprême Un. C'est pourquoi la Grande Ourse est utilisée comme support dans les méthodes de concentration spirituelle pour garder l'Un. La constellation est alors à l'aplomb de l'homme qui atteint l'état central : elle descend sur le sommet de sa tête. En diverses cérémonies, l'appel à T'ai-yi se fait par la représentation des sept étoiles de la Grande Ourse sur un étendard.
Ces sept étoiles correspondent, selon Seu ma Ts'ien, aux sept Recteurs, qui évoquent, certes, les sept Rishi, mais aussi aux sept ouvertures du corps et aux sept ouvertures du cœur. Ainsi le cœur, centre du microcosme humain, en est-il considéré comme la Grande Ourse. Le Seigneur T'ai-Yi, est-il dit, tient dans sa main gauche le manche des sept étoiles du Boisseau, dans sa main droite, le premier filet de la constellation boréale (étoile polaire). Ce quo'n rapprochera de Apocalypse, I, 16 : le Christ du Nouvel Avènement tient dans sa main droite sept étoiles. La notion d'immortalité n'est absente d'aucun de ces symboles, non plus, sans doute, que de la coutume chinoise de figurer les sept étoiles sur les cercueils. L'extension populaire de ces diverses interprétations fait de la Grande Ourse la résidence du Régent de la Destinée, appelé Pei-teou, comme la constellation elle-même.
On remarquera enfin que, chez les Montagnards du Sud Viêt-Nam, la Grande Ourse est l'archétype céleste, selon lequel sont construits les bateaux, ce qui nous ramène par un détour à la notion de navigation et d'arche primordiale.
Selon Lehmann-Nitsche, cette constellation reproduite sur les murs du grand Temple de Coricancha à Cuzco, représentait pour les Incas du Pérou le Dieu du Tonnerre et des Pluies.
Dans les légendes celtiques, la Grande Ourse, on l'a noté, se nommait Le Chariot d'Arthur."
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Selon Julien d'Huy, auteur d'un article intitulé "Coda : La symphonie du premier plongeon" (paru dans le Bulletin Préhistoire du Sud-Ouest-n, 2018, p. 2) :
La présence dans l’Eurasie paléolithique du motif b46c « Chaque étoile principale de la Grande Ourse est interprétée comme une personne ou un animal particulier » et b87 « Alcor est une étoile identifiée » a été corroborée par une approche aréologique (Berezkin 2005, 2012). Ces reconstructions semblent en contradiction avec celles obtenues à propos de la Chasse cosmique en utilisant la méthode phylogénétique, faisant de la Grande Ourse un ongulé cornu pourchassé jusqu’au ciel par un individu (d’Huy 2012, 2013, 2016b), mais il faut noter que cette dernière forme s’originerait en Eurasie centrale (d’Huy 2013, 2016b). Il ne semble pas incohérent qu’il ait pu exister deux interprétations contradictoires de la Grande Ourse dans l’ensemble de l’Eurasie, et que l’une ait pu supplanter l’autre dans certaines régions.
Roland Laffite, dans un article intitulé "Le ciel des Touaregs" (paru dans Planétarium, revue de l’APLF (Association des planétariums de langue française) de mai 2019) nous apprend que :
Intéressons-nous aux figures célestes. On ne peut s’attendre à ce que l’Ourse que les Grecs ont disposée dans le ciel pour indiquer le Nord se retrouve chez les Touaregs pour qui cet animal est inconnu. Chez eux, cet espace de la voûte céleste est occupé par des animaux qui leur sont tout à fait familiers : la Grande et la Petite Ourse y sont remplacées par Talemt d-Awara n-net, « la Chamelle et son Chamelon ».
Awara désigne un « chamelon nouveau-né [de moins de six mois] » dont une patte est attachée à un piquet en bois bien enfoncé dans le sol en attendant le retour de la Chamelle qu’il va téter, tandis que La Polaire, Tatrit ta-n-tasmana, c’est-à-dire « l’Étoile du nord », est représentée par « le Piquet » ‒ Tisettitit ‒ autour duquel tourne le Chamelon.
L’apparition des étoiles de Talemt marque le calendrier d’une partie de l’année :
Avec des étoiles α et β UMa, nommées Idharan, « les Pattes » postérieures, finit la saison des pluies, akasa.
Sept jours plus tard, se lèvent γ et δ UMa, qui sont Tihyw, « les Pattes » antérieures, et marquent le début de la saison intermédiaire appelée gharat, quand les pluies ont cessé mais que la chaleur humide éprouve encore les organismes.
Les trois étoiles qui suivent le quadrilatère, à savoir ε, ζ et η UMa forment Iri, « le Cou ». Elles sont aussi Tikerdaf, « les Vertèbres cervicales ».
Une semaine encore, et vient une étoile nommée Enad, « le Forgeron », qui doit être λ UMa. Une autre semaine encore et apparaît enfin Eghaf en-Talemt, « la Tête de la Chamelle », soit α Boo.
Se termine alors la saison intermédiaire, gharat et commence la saison froide, tagrest, qui dure du 1er octobre au 15 novembre.
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Selon le cours 1, Module 2, Saison 5 proposé par l'Astrologie pour l'Ere du Verseau et dispensé le 24 août 2024 par Fanchon Pradalier-Roy, Faustine Austerlitz, Mylène Serrat :
La Grande Ourse est la constellation majeure dans toutes les grandes civilisations. Elle est particulièrement mise en avant par Alice A. Bailey et maître Djwhal Khul, avec ses 7 étoiles majeures, sources des 7 rayons d'énergie cosmique. Elle est censée porter (ou relayer ?) la Volonté divine et représente l'aspect Père. [Les Pléiades étant l'aspect Mère et Sirius l'aspect Fils].
Symbolisme celte :
L. Dufour, dans "Ouelques notes sur l'astronomie populaire en Belgique". (In Ciel et Terre, Vol. 62, p. 277, 1946) énumère plusieurs noms de la constellation de la Grande Ourse qui donnent des pistes symboliques :
La Grande Ourse est incontestablement la plus ancienne et la plus universellement connue des constellations. Dans notre pays on l'appelle, suivant les régions, Char Poucet, Char David, Char d'Abraham, Char du berger, Char de triomphe, Char des âmes, etc. Des dénominations analogues existent chez tous les peuples. Pour les Français, cette constellation est le Chariot de David, le Char saint Martin, le Char Poucet ; pour les Allemands, le Char d'Odin, le Char de Wotan, le Char de Charles ; pour les Ruthènes, le Char du prophète Elias ou le Char de saint Pierre ; pour les Magyars, le Char de Gontzol ; pour les Scandinaves, le Char d'Ing, etc.
La dénomination de Char ou de Chariot s'explique aisément, la constellation représentant assez bien l'image de l'objet dont elle a reçu le nom. Des huit étoiles dont cette constellation est formée, les quatre en rectangle représente les quatre roues du char, les trois qui sont en ligne sont els trois chevaux ; enfin, au-dessus de celle des trois qui est au milieu, se trouve une petite étoile (Alcor), difficilement visible à l'œil nu, qui est considérée comme le conducteur du char. Il existe, dans notre pays, plusieurs contes expliquant pourquoi les chevaux, qui ne sont pas en ligne droite, sont mal attelés au chariot. Dans l'un c'est parce que le conducteur est en train de rattacher les guides qui s'étaient défaites ce qui a permis aux chevaux de sortir de la ligne droite ; enfin dans un troisième, on ne dit pas pourquoi ils sont mal attelés, mais on signale que le conducteur cherche à les remettre en ligne et que, lorsqu'il y parviendra, ce sera la fin du monde.
Bernard Sergent, auteur d'un article intitulé "Les premiers celtes d'Anatolie." (In : Revue des études anciennes, 1988, vol. 90, no 3, pp. 329-358) rappelle l'existence d'une déesse Ourse chez les Celtes :
II existait dans le monde celtique une déesse importante appelée « la Grande Ourse », attestée sous la forme exacte, Andaría, chez les Voconces, et sous une forme évoluée ou déformée Andrasta chez les Icéniens de Grande-Bretagne10. Chez les Helvètes, à Muri, une déesse Artio tient dans sa main droite une coupe, dans la gauche des fleurs et des fruits, et devant elle, sous un arbre, s'approche un ours11. Déesse caractérisée par l'ours(e), donc, liée à la fécondité (sur le bronze de Muri), possédant des bois sacrés (chez les Icéniens, et cf. l'arbre sur le bronze de Muri), et certainement chez elle dans les régions montagneuses, son animal l'indique, ses lieux de culte sans doute aussi. Elle faisait ainsi un bon équivalent celtique de la Rhéa-Cybèle gréco-anatolienne.
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Mythes et légendes :
Selon le site http://bcs.fltr.ucl.ac.be/metam/met02/m02-272-530.html qui résume les Métamorphoses d'Ovide avant d'en proposer le texte traduit, la Grande Ourse est liée à l'histoire de Callisto :
Jupiter et Callisto, métamorphosée en ourse (2, 401-495) : Jupiter, soucieux de faire revivre la nature, s'intéresse en premier lieu à sa chère Arcadie, où bientôt il s'éprend d'une jeune vierge chasseresse (Callisto, qu'Ovide ne nomme pas), adepte de Phébé-Diane. Profitant d'un moment où la nymphe repose seule dans une forêt, Jupiter revêt l'apparence de Phébé, pour l'abuser par la ressemblance, et la viole en dépit de sa vaine résistance. Il regagne alors l'éther, abandonnant sa victime à la haine et à la solitude. (2, 401-440).
Bientôt Callisto, mise en présence de Phébé-Diane et de son escorte, dissimule mal sa gêne et, près de neuf mois plus tard, tandis que la déesse propose une baignade à ses amies, la jeune femme, contrainte de se dévêtir, ne peut plus cacher sa grossesse et se fait exclure de l'escorte de Diane. (2, 441-465).
Elle met au monde un enfant, Arcas ; Junon jalouse décide de se venger en métamorphosant sa rivale en une ourse, d'apparence féroce mais gardant son caractère timide et doux. (2, 466-490).
Catastérisme de l'ourse Callisto et de son fils Arcas (2, 496-530) : Un jour que le jeune Arcas, âgé de quinze ans, s'adonnait à la chasse, il fut mis en présence de l'ourse, qui reconnut son fils et voulut l'approcher. Arcas effrayé allait la tuer lorsque Jupiter les transforma tous les deux en astres, les sauvant de la mort et d'une impiété. (2, 496-507).
Junon, dépitée de voir l'ennemie qu'elle avait transformée en animal briller désormais au firmament des étoiles, va se plaindre de l'outrage subi auprès de Téthys et Océan, et leur demande de ne pas permettre au Septentrion de plonger dans la mer. (2, 508-530).
Selon Diego Kurilo, auteur de Les Symboles du Constructeur (© Éditorial Sophia Lux, 2014) :
C'était une divinité adorée par les peuples nomades du désert du Sahara, en tant que gardien des tombes et guide sur le voyage du défunt vers les étoiles, après avoir traversé le monde souterrain représenté à l'image du "Dwt" (1) et transformation subséquente en étoiles circumpolaires que les Égyptiens appelaient "Impérissables". Fondamentalement, la constellation de la Grande Ourse était considérée comme la jambe de Seth. Plus tard, cette divinité a été incorporée au panthéon égyptien, comme les dieux Amon et Ra. De cette façon, ils sont devenus une divinité nationale égyptienne.
Note : 1) Dwt, la pègre égyptienne, dont la représentation archaïque était un logo avec une étoile à cinq branches inscrite dans un cercle, associée à l'étoile Sirius, dans des hiéroglyphes archaïques comme ceux de la culture Nagada avait le sens de " Montagnes de lumière " , ou " Montagnes de l'Est " . Son logo était composé de trois montagnes sur lesquelles se déplace un serpent, plus le logo du dieu égyptienThot sous la forme d'un ibis ermite.
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Littérature :
La Grande Ourse
La Grande Ourse, archipel de l'océan sans bords, Scintillait bien avant qu'elle fût regardée, Bien avant qu'il errât des pâtres en Chaldée Et que l'âme anxieuse eût habité les corps ;
D'innombrables vivants contemplent depuis lors Sa lointaine lueur aveuglément dardée ; Indifférente aux yeux qui l'auront obsédée, La Grande Ourse luira sur le dernier des morts.
Tu n'as pas l'air chrétien, le croyant s'en étonne, Ô figure fatale, exacte et monotone, Pareille à sept clous d'or plantés sur un drap noir.
Ta précise lenteur et ta froide lumière Déconcertent la foi : c'est toi qui la première M'as fait examiner mes prières du soir.
René-François Sully Prudhomme, "La Grande Ourse" in Les Épreuves, 1866.
Selon Pierre Magnan, auteur de Chronique d'un château hanté (Éditions Denoël, 2008) :
"La nuit, à partir du sommet de Lure, n'avait jamais été aussi belle, aussi limpide, aussi innocente. La comète qui paraissait désigner la terre depuis son immobilité mystérieuse au milieu du chariot de la Grande Ourse conférait au ciel une éternité qui aurait dû intégrer les hommes, et cependant tel un nuage de grêle qui sévit plus fort d'un versant à l'autre de la montagne, l'épidémie redoubla d'intensité, sitôt franchi le col de la Mort-d'Imbert. […] Là-haut, contre le ciel dont elle occupait tout un quartier, la grande Ourse s'allongeait sur Lure la scintillante. Elle avait semé en route l'importune comète qui la défigurait depuis des semaines. Celle-ci voguait maintenant entre Orion et le Taureau, désorientée, semblait-il. Horizontale, étirée dans sa plus grande longueur et nonchalamment alitée sur Lure, la constellation de l'hiver paraissait contempler avec curiosité cette vaine agitation des hommes."
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