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La Banshee





Symbolisme :

Adolphe de Chesnel, auteur d'un Dictionnaire des superstitions, erreurs, préjugés, et traditions populaires... (J.-P. Migne Éditeur, 1856) propose la notice suivante :


BENSHÉE OU BENSHIE, fée domestique des Ecossais, qui la nomment encore la Fée indépendante. Elle annonce, dit-on, aux membres de la famille qu'elle affectionne les malheurs qu'ils doivent éprouver. Son avertissement se manifeste par un cri de douleur, et ce cri retentit plus mélancolique quand il s'agit d'un malheur irréparable, ou quand il arrive la veille du jour où le chef doit descendre au tombeau. Les fées indépendantes forment, à ce qu'on prétend, un royaume nomade, qui a ses mœurs, ses institutions, sa hiérarchie. Les fées d'Ecosse se recrutent quelquefois parmi les hommes, au moyen d'enfants volés au berceau ; et certains individus privilégiés sont aussi admis, dans l'âge mûr, aux secrètes faveurs des fées, dont ils reçoivent alors l'immortalité.

 

D'après le Dictionnaire des symboles (1969 ; édition revue et corrigée, Robert Laffont : 1982) de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant,


[...] La fée irlandaise est par essence la banshee, dont les fées des autres pays celtiques ne sont que des équivalents plus ou moins altérés ou compris. Au départ, la fée, qui se confond avec la femme, est une messagère de l'Autre Monde. Elle voyage souvent sous la forme d'un oiseau, d'un cygne, de préférence. Mais cette qualité n'a plus été comprise lors de la christianisation et les transcripteurs en ont fait une amoureuse venant chercher l'élu de son cœur. La banshee est par définition un être doué de magie. Elle n'est pas soumise aux contingences des trois dimensions et la pomme ou la branche qu'elle remet ont des qualités merveilleuses. Le plus puissant des druides ne peut retenir celui qu'elle appelle et, quand elle s'éloigne provisoirement, l'élu tombe en langueur.

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Bernard Sergent propose un compte-rendu de la thèse d'Evelyne Sorlin, intitulée Cris de vie, cris de mort. Les fées du destin dans les pays celtiques, (Helsinki, Academia Scientiarum Fennica, 1991 (« Folklore Fellow Communications, 248 ») ; Revue de l'Histoire des Religions, CCXII-2/1995) :


C'est donc d'abord un travail d'ethnologue, auquel s'est livrée Évelyne Sorlin : elle a parcouru l'Irlande et interrogé, plusieurs mois durant - les témoignages sont rassemblés aux pages 309-346 de son livre.

C'est là qu'elle a excellé. Car son interrogatoire n'a pas porté uniquement sur l'être mythique, la banshee-fée : ce qu'elle a décelé, et montré c'est que le personnage mythique a des répondants humains, tout à fait réels, dont l'existence baigne dans l'aura funéraire que connote la banshee : c'est, d'abord, la handy woman, c'est-à-dire la laveuse des morts, c'est ensuite la pleureuse, ce personnage, chassé d'Europe occidentale par l'Église, encore vivant il y a peu dans la plupart des pays d'Europe orientale, et en Irlande ; pleureuse et handy woman sont, naturellement, souvent une seule et même personne ; enfin, la lavandière, ou bugadière, maîtresse d'un univers féminin spécifique, est une autre manifestation humaine et réelle de la banshee. Ce qui nous vaut, en cours de route, l'une des études les plus poussées que je connaisse sur un domaine notable, et pourtant assez peu approfondi, celui des rites funéraires.

Or, Évelyne Sorlin est un auteur qui paraît avoir compris des choses essentielles : elle sait que France, Grande-Bretagne, Irlande constituent un domaine celtique dans lequel le « folklore » est en continuité direct avec l'antique « religion gauloise » que les auteurs qui se limitent à la seule documentation archéologique (laténienne et gallo-romaine) ne peuvent atteindre. [...]

De grand intérêt est la démonstration qui est faite, sur des documents solides, qu'il a existé une banshee française : ce n'était autre que la fée Mélusine. Mais Mélusine n'est plus banshee, il n'y a plus de pleureuses en France, ni de « femme à toute main » : ici, on regrette que l'auteur n'ait pas signalé que l'Irlande a été le seul pays d'Europe occidentale qui ne s'est pas livré à cette véritable guerre aux femmes (9 millions de victimes) qu'a été la folie anti-sorcières de la fin du Moyen Age et du début de l'ère moderne: ce n'est pas un hasard si l'Irlande présente, jusqu'au présent inclus, une telle richesse de traditions du domaine, précisément, féminin.

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Anne-Marie O'Connell, autrice d'un article intitulé "Mélusine, une Banshee poitevine ? " (In : Mélusine, moderne et contemporaine : études réunies par Arlette Bouloumié L'Age d'Homme. Séries “Bibliothèque Mélusine”, 2001, pp. 241-251) nous rappelle les caractéristiques de la Banshee traditionnelle :


Quant à la Banshee, il est commun de la définir comme « composite ». Très largement répandue dans la croyance populaire où elle apparaît sous les traits d'une vieille femme qui annonce la mort d'un membre d'une famille à laquelle elle est « attachée », elle n'en demeure pas moins l'image déformée et affadie d'une ancienne divinité celtique. Par ailleurs, sa présence dans la littérature de langue gaélique est rare, y compris dans le genre fantastique qui aurait pu y voir un sujet de choix.

[...]

Autre est la tradition populaire et littéraire relative à la Banshee. Syntaxiquement, elle se situe dans le récit à un niveau de dérivation différent de celui de Mélusine. Son nom, d'abord, est générique. C'est la transcription phonétique du gaélique « Bean Sí » (ou selon les régions « bean an sídaib ») qui signifie simplement « femme du Síd » (c'est-à-dire « femme de l'Autre-Monde », « fée »). On note cependant qu'il ne s'agit pas là de la seule appellation de cette figure, comme nous allons le voir.

D'une manière générale, la Banshee se définit comme un être solitaire qui se manifeste à l'approche de la mort de membres de familles de vieille souche irlandaise et aristocratique auxquelles elle s'est attachée, pour annoncer leur trépas imminent.

Selon les régions, elle a plusieurs modes de manifestations auxquels correspondent des appellations différentes. Ainsi dans les comtés de Cork et Kerry on entend son cri funèbre semblable à celui d'une pleureuse, mais plus déchirant et intense ; dans ces endroits on se réfère à la Banshee comme « bean chaointe » (« pleureuse ») ou « badhb », (littéralement « corneille », selon que son cri est perçu comme un long pleur (lóg, gól, olagón, caoineadh) ou un cri plus perçant et hostile (scréach, béic, liù) qui se propage le long du chemin menant à la maison de la personne concernée, et plus souvent le long d'un cours d'eau.

Plus répandue est la manifestation visuelle de la Banshee (qui garde alors sa dénomination « bean Sí » ou « Badb », en souvenir de la déesse des batailles qui lave les dépouilles ensanglantées des futures victimes de la bataille du lendemain) que l'on définit occasionnellement comme une très belle femme richement vêtue, mais bien plus souvent comme une vieille femme solitaire de petite taille, enveloppée dans une cape blanche (plus rarement rouge), les cheveux longs, blancs, épars. Dans certains cas, elle se peigne les cheveux. Mais son apparence est toujours anthropomorphe.

Contrairement à Mélusine, la Banshee est un être solitaire qui n'est jamais associé à un lignage en tant qu'épouse et mère, peut-être en raison de son association trop étroite avec un savoir surnaturel lié à la mort. A l'instar de Mélusine, sa présence est liée à celle de lignées prestigieuses, et ses manifestations inspirent rarement de la crainte, mais plutôt un peu d'orgueil.

Tout se passe comme si le PN faire-savoir dans lequel la Banshee est le sujet opérateur se situait en aval de ce qui constitue la problématique mélusinienne ; en effet, nul ne peut affirmer avec certitude l'origine exacte de la Banshee, hormis son essence surnaturelle. En toute logique, aucun interdit particulier n'est spécifiquement attaché à cette figure, si ce n'est une légende assez récente selon laquelle nul ne doit ramasser un peigne abandonné près d'un fossé, car il pourrait lui appartenir ; son vol attirerait à l'imprudent de terribles représailles : en effet, il faut alors attendre la nuit et lui tendre l'objet volé au bout d'une pincette par la fenêtre sans chercher à la voir ; la Banshee furieuse peut laisser alors la marque incandescente de ses cinq doigts sur la porte de la maison.

Enfin, contrairement à Mélusine, la Banshee n'est pas n être hybride, mi-femme mi-animal : dans les récits médiévaux irlandais, les métamorphoses animales sont nombreuses mais totales ; tout être transformé en animal est plongé dans un état primordial apparenté à l'éternité.

[...]

Cette dernière est toujours présentée comme venant du Sid, donc comme une messagère de l'Autre Monde. Et l'une des caractéristiques fondamentales du monde surnaturel est bel et bien le savoir, c'est-à-dire la maîtrise du temps lié au destin. Pas plus que Mélusine, la Banshee n'a de prise sur les événements, elle ne fait que les annoncer à quelques privilégiés. Mais ce savoir exclut toute communication intime entre les deux univers, parce qu'ils sont radicalement étrangers l'un à l'autre. Mélusine, comme la Banshee sont des figures du savoir lié à la limite : elles passent d'un monde à l'autre avec une différence. Le savoir lié au destin transmis par ces deux figures n'a aucune incidence sur elles ; en revanche, l'inverse n'est pas vrai, comme Raimondin le découvre à ses dépens.

[...]

On le voit, le paraître de la Banshee, ou plutôt de son ancêtre mythique, varie en fonction des circonstances : mère ou belle jeune fille, elle pleure l'être exceptionnel auquel elle est attachée En revanche, tout autre est la vieille femme qui, par sa prophétie, juge et condamne un roi usé par le pouvoir qui a déjà violé tous ses interdits (irlandais geissa) ; à celui-là, il ne reste que la mort.

Tout se passe comme si la manifestation contradictoire de la Banshee, à l'instar de Mélusine, exprimait la sanction du Síd face à une destinée humaine. Si cette dernière est bien menée, comme celle du héros Cuchulainn, la récompense se traduit par la gloire posthume, mais aussi par l'agrément du monde surnaturel, représenté par la belle jeune fille. En revanche, un roi qui ne respecte pas ses interdits faillit à sa fonction sacrée qui est de garantir paix et abondance à sa terre. [...]

Un autre trait caractérise à la fois Mélusine et la Banshee, quel que soit le récit les mettant en scène : leur association persistante au sème aquatique.

[...] ; la Banshee peigne ses longs cheveux près de cours d'eau, où elle se manifeste le plus souvent selon la croyance populaire. L'élément aqueux est distinctement lié au Síd. Ce dernier est en général situé dans une île lointaine, « terre des jeunes », « terre des femmes », « plaines des plaisirs » et l'on s'y rend en barque ou à dos de cheval. Toutes les métamorphoses animales se produisent près de l'eau ou dans l'eau, qui peut se définir comme un espace indéfini, inconnu (contrairement à la terre ferme, dont chaque parcelle est nommée) et sur lequel le temps n'a pas de prise (il est toujours semblable pour l'œil humain) ; de même, tout acte de divination se fait aux abords d'un cours d'eau ou d'un lac.

Quant au motif du peigne, son rôle dans les récits irlandais est de désigner sa propriétaire comme femme du Síd, car pas une description ne l'omet, associé à l'eau servant à laver la chevelure de la dame. [...]

Il est frappant de voir associer le motif féerique et celui de l'eau. Une autre caractéristique de l'aquatique dans le mythe celtique est qu'il permet au morts de rejoindre l'Autre Monde, qui n'est pas distinct du séjour des défunts, comme le montre la légende bretonne du passeur d'âmes. L'eau est donc liée à l'éternité du Síd, et à la mort. Le peigne symboliserait alors les eaux célestes. Dans son ouvrage cité plus haut, Patricia Lysaght indique que l'occurrence de la forme du peigne sur la pierre centrale du tumulus funéraire de Slieve na Cailli dans le comté de Meath montre les liens étroits de ce motif avec la mort.

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Littérature :


Benjamine Toussaint, autrice d'un article intitulé "George MacDonald, le Celte de l’Aberdeenshire". (George McDonald. La Princesse légère et autres contes (Héritages Critiques 9), ed. Yannick Bellenger-Morvan, Presses Universitaires Reims, 2019) relève une métaphore moderne qui fait perdurer l'image de la Banshee :


Aux échos implicites relevés par Pazdziora il convient d’ajouter une référence – tout à fait explicite cette fois – au folklore gaélique lorsque John Smith compare les flocons de neige à des banshees. En l’espace de quelques phrases ces créatures légendaires semblent passer du statut de simple métaphore à celui de personnages, comme si la frontière entre le monde réel et le monde merveilleux s’était effacée :


On aurait pu imaginer que le vent crépusculaire était peuplé de banshees des neiges, qui apparaissaient et disparaissaient soudain, poussant des cris d’alarme, étranges et fantomatiques. Les amis s’étaient regroupés devant le bow-window et ils scrutaient la nuit avec une sorte d’heureuse admiration. […] De temps en temps, le vent se jetait contre la fenêtre dans une violente attaque, comme si les créatures qui chevauchaient ses bourrasques avaient aperçu la rangée de visages pâles et que cela les rendaient furieuses d’être ainsi observées, elles lançaient leurs destriers vaporeux à fond de train contre le mince rempart de verre qui protégeait ces faibles humains, les empêchant d’être les victimes de leurs horreurs.


D’après la légende, la présence de nombreuses banshees annonce la mort d’un personnage important ou d’un saint et dans les Hautes Terres d’Écosse on raconte parfois qu’elles seraient les fantômes des femmes mortes en couches. Leur présence dans le roman annonce ainsi l’acte héroïque de Harry Armstrong qui bravera la tempête pour se rendre au chevet d’une jeune femme sur le point d’accoucher et sauvera sa vie et celle du nouveau-né.

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