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L'Orge

Dernière mise à jour : 12 août



Étymologie :


  • ORGE, subst.

Étymol. et Hist. 1. a) 1121-34 «graminée herbacée à fleurs disposées en épi simple, cultivée comme céréale» (Philippe de Thaon, Bestiaire, 871 ds T.-L.) ; b) ca 1170 «grain de cette céréale» (Rois, éd. E. R. Curtius, p. 90) ; c) 1378 orge mondé (doc. ap. B. et H. Prost, Inventaires mobiliers et extraits des comptes des ducs de Bourgogne, t. 2, p. 23, n°135) ; 1765 orge perlé (Encyclop.) ; d) 1644 sucre d'orge (Poussin, Lett., 12 janv. ds Littré) ; 2. a) α) 1538 (ouvrage) à grain d'orge «(broderie, toile) semée de points ressemblant à des grains d'orge» (Inv. de Cl. Brachet ds Gay, s.v. grain) ; β) 1723 grain d'orge «étoffe croisée, en laine de qualité ordinaire» (Savary d'apr. FEW t. 4, p. 235b) ; b) 1660 «orgelet» (Oudin d'apr. FEW t. 4, p. 234b). Du lat. hordeum, au sens 1 a.


Lire également la définition du nom orge afin d'amorcer la réflexion symbolique.


Autres noms : Hordeum murinum - Orge des lièvres - Orge des rats - Orge des souris - Orge maritime - Orge queue-de-rat - Orge queue-de-souris

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Expressions populaires :


Claude Duneton, dans son best-seller La Puce à l'oreille (Éditions Balland, 2001) nous éclaire sur le sens d'expressions populaires bien connues :


Avoir un grain : Avoir un grain, c'est être un peu détraqué dans sa tête. On parle bien sûr d'un « grain de folie », notion qui apparaît pour la première fois au début du XVIIe siècle :


« Un grain de folie, un peu », notait Oudin en 1640.


Le grain qui sert de fondement à cette métaphore n'est pas une quelconque graine, mais une ancienne mesure de poids ; la 480e partie de l'once (soit environ 60 milligrammes). Il était utilisé autrefois en orfèvrerie - un carat de diamant pèse quatre grains - mais surtout il était l'unité favorite des apothicaires, ces grands manipulateurs de substances infimes, « Grain, en Médecine, est le plus petit des poids, dont il en fait trois pour faire une obole, vingt pour faire un scrupule, et soixante pour faire la drachme ou le gros. Ce grain s'entend d'un grain d'orge bien nourri, médiocrement gros, et point trop sec. » (Furetière, 1690).

On peut s'étonner de ce grain-étalon « bien nourri », en des matières où l'imprécision n'est guère de mise ; il faut songer que ce grain-là était alors aux solides ce que la goutte est toujours demeurée aux liquides dans la posologie. Un médecin prescrivait normalement « quatorze gouttes de ceci, et huit grains de cela ». C'est de ce grain pharmacologique, et non celui d'une plante, qu'il est question dans les vers de La Fontaine, autrefois fameux :

Ma commère il vous faut purger

De quatre grains d'ellébore.


Car, soit dit en passant c'était la racine brunâtre de l'ellébore noir qui était employée comme purgatif en médecine, dans les cas de folie caractérisée comme dans une foule d'affections diverses, et non pas « les graines ».

La valeur métaphorique du grain, le poids, était donc bien établie dès la fin du XVIIe siècle, comme l'était aussi l'once, son multiple : « pas une once de bon sens », etc. « Grain, poursuit Furetière, se dit figurément en choses spirituelles et morales. Cet homme n'a pas un grain d'esprit, de bon sens, de jugement. Il est léger d'un grain, pour dire, il est un peu fou, il a un grain de folie. » Le lexicographe ajoute d'ailleurs un peu plus loin cette gaudriole « fine », et apparemment traditionnelle : « On dit d'un eunuque qu'il est léger de deux grains. »

Avoir un grain, forme elliptique, concernant les seuls troubles du cerveau, est attesté en 1740 par le dictionnaire de l'Académie avec cette définition : « Être un peu fou. » La locution est demeurée depuis lors remarquablement constante de sens et d'emploi : « Elle avait un chien, un setter, auquel elle tenait énormément, et lui, il est mort à la suite d'un bombardement. De peur sans doute. Mais elle aussi il pense que ça l'a détraquée. La mort de son chien n'a rien arrangé. Elle ne s'en est jamais remise. Ça lui a laissé un grain. » (R. Guérin, La Peau dure, 1948).

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Botanique :


Maria Luisa Pignoli, autrice d'une thèse intitulée Les désignations des plantes sauvages dans les variétés arbëreshe (albanais d'Italie) : étude sémantique et motivationnelle. (Linguistique. COMUE Université Côte d'Azur (2015 - 2019) ; Università degli studi della Calabria, 2017. Français) consacre une courte section à la description de l'Orge des rats :


Nom scientifique : L’indication que nous donne André pour ce binôme scientifique traduit Hordeum murinum comme « orge de rat », c’est-à-dire comme l’une des nombreuses variétés d’orge cultivée (André, 2010 : 126). Orge des rats est le nom commun utilisé pour désigner cette espèce botanique et apparemment on n’a rien trouvé qui puisse mettre en relation les rats avec l’orge ; selon certaines croyances populaires germaniques, les rats sont les épiphanies des sorcières et du diable (Riegler, 1981a : 316), ces rongeurs représentent donc des figures mauvaises et nuisibles dont le monde des superstitions populaires est peuplé. L’orge des rats étant une espèce mauvaise pour les cultures des céréales, elle est désignée au moyen d’une métaphore zoomorphique qui traduit le caractère infestant de cette plante avec les épiphanies d’êtres mauvais.


Description botanique : L’orge des rats est une plante annuelle qui peut atteindre 50 cm ; elle a les tiges vertes, en touffe et feuillées jusqu’au sommet. Les feuilles sont planes, rudes et glabres ; les inflorescences sont de gros épis constitués d’épillets à glumes linéaires-lancéolées et ciliées qui se développent de mai à août (Pignatti, 1982, III : 534).

 

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Vertus médicinales :


A. B., auteur discret de Les Vertus des plantes - 918 espèces (Tours, 1906) recense les propriétés thérapeutiques d'un grand nombre de plantes :


Orge. Hordeum.


VERTUS : La tisane d'orge est très adoucissante et nourrissante et la farine, substituée à celle de l'avoine nourrit mieux et échauffe beaucoup moins les chevaux. Elle entre dans le sirop d'orgeat.

 

Selon Hildegarde de Bingen, auteure de Physica, Le livre des subtilités des créatures divines, les plantes, les éléments, les pierres, les métaux, les arbres, les poissons, les animaux et les oiseaux (édition originale 1151-1158 ; Édition Jérôme Millon, Grenoble, 2011),


"L'orge est froid, plus froid et plus faible que les céréales précédentes [Blé, seigle et avoine]. Si on en mange, en pain ou en farine, il fait du mal, tout autant aux bien portants qu'aux malades, parce qu'il n'a pas tant de propriétés que les autres espèces de céréales. Si un malade a déjà perdu presque toutes ses forces, il faut faire cuire à gros bouillons de l'orge dans de l'eau ; conserver cette eau dans une cuve où on lui donnera son bain ; recommencer jusqu'à guérison : son corps retrouvera ses forces, et il reviendra à la santé. S'il est tellement malade qu'il ne peut manger de pain, prendre de l'orge et de l'avoine en quantités égales, ajouter un peu de fenouil, faire cuire le tout dans de l'eau ; après cuisson, recueillir le jus à travers un linge ; qu'il boive ce jus au lieu de manger du pain, et cela jusqu'à ce qu'il retrouve des forces.

Si on a la peau du visage dure et rugueuse, et qu'elle se dessèche facilement sous l'effet du vent, faire cuire de l'orge dans de l'eau ; avec ce liquide filtré à travers un linge et réchauffé modérément, se laver doucement le visage ; la peau deviendra douce et lisse, et prendra une belle coloration. Et si quelqu'un a la tête malade, qu'il se lave souvent la tête avec ce liquide, et celle-ci retrouvera la santé."

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Usages traditionnels  :


Dans sa thèse intitulée Les désignations des plantes sauvages dans les variétés arbëreshe (albanais d’Italie) : étude sémantique et motivationnelle. (Linguistique. Université Côte d’Azur ; Università degli studi della Calabria, 2017) Maria Luisa Pignoli rapporte les utilisations suivantes :


Propriétés et utilisation : Toutes les études ethnobotaniques consultées n’indiquent aucune utilisation thérapeutique pour cette espèce. En revanche, on utilise les épis de l’orge dans un jeu de la tradition populaire de l’Italie du nord : les épis étaient mis dans la manche d’un vêtement et avec le mouvement des bras ils étaient poussés par les barbes pour faire remonter la manche, de façon à ce que les épis bougent comme par magie (Sella, 1992 : 216 ; Pedrotti & Bertoldi, 1930 ; Guarrera, 2006 : 304).

En Sardaigne, cette espèce était utilisée dans une pratique rituelle magico-symbolique consistant en une épreuve de courage qui se basait sur la relation entre l’épi et le sang : avec la base de l’épi on se procurait une petite hémorragie dans la narine et, tandis que les gouttes de sang rejoignaient le sol on prononçait la phrase suivante : èrba kagnòla, jàtta u sàngui fòra ; u bònu làscialu stà, e u màlu làscialu andà [1] (Atzei, 2003 : 178).


Note : 1) "Herbe de chienne, jette le sang dehors, laisse le bon (sang), et fait s’en aller le mauvais (sang)" (N.T.).

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Croyances populaires :

Paul Sébillot, auteur de Additions aux Coutumes, Traditions et superstitions de la Haute-Bretagne (Éditeur Lafolye, janv. 1892) relève des croyances liées aux cycles de la vie et de la nature :


233. - Pour guérir le mal de dents, il faut mettre sous la gorge du patient un peu de farine de paumelle (orge) bouillie et du lard rôti dans les oreilles.

 

Dans Le Folk-Lore de la France, tome troisième, la Faune et la Flore (E. Guilmoto Éditeur, 1906) Paul Sébillot recense nombre de légendes populaires :


Au XVIIe siècle, pour savoir en quel grain l'année serait fertile, il fallait nettoyer son foyer le soir avant de se coucher, et le lendemain on y trouvait quelque brin de blé, d'orge ou autre.

[...] Dans l'Aube, les épis barbus de l'orge des murs ou queue de rat insérés dans le bras, entre linge et peau, sous le nom de voyageurs, se faufilent jusqu'aux endroits les plus secrets du corps, et y manifestent leur présence par un chatouillement. Un parallèle de ce jeu était usité au commencement du siècle dernier : On jette un épi desséché dans la manche, de quelqu'un, et il grimpe tout seul jusqu'à l'épaule.

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Selon Jean Baucomont, auteur d'un article intitulé "Les formulettes d'incantation enfantine", paru dans la revue Arts et traditions populaires, 13e Année, No. 3/4 (Juillet-Décembre 1965), pp. 243-255 :


La tradition orale se perpétue dans le folklore de la vie enfantine. […] Une des catégories les plus curieuses de ces formulettes est celle des formulettes d'incantation.

L'incantation, nous disent les dictionnaires, signifie étymologiquement : un enchantement produit par l'emploi de paroles magiques pour opérer un charme, un sortilège. Le recours à l'incantation postule une attitude mentale inspirée par l'antique croyance au pouvoir du verbe, proféré dans certaines circonstances.

[…]

« L'incantation, dit Bergson, participe à la fois du commandement et de la prière. » On constate effectivement, que la plupart des formulettes d'incantation comportent à la fois une invocation propitiatoire : promesse d'offrande en cas de succès et une menace de sacrifice expiatoire, d'immolation en cas d'échec. Ce qui est proprement le caractère de l'opération magique traditionnelle.

[…]

On introduit un épi de seigle ou d'orge dans sa manche, puis on balance le bras en répétant la formulette jusqu'à ce que l'épi ait atteint l'épaule :

Ramoneur, ramoneur,

Monte en haut la cheminée.

(Suisse romande)

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Symbolisme :


Pour Scott Cunningham, auteur de L'Encyclopédie des herbes magiques (1ère édition, 1985 ; adaptation de l'américain par Michel Echelberger, Éditions Sand, 1987), l'Orge (Hordeum vulgare et Hordeum distichum) a les caractéristiques suivantes :


Genre : Féminin

Planète : Vénus

Élément : Terre

Pouvoirs : Guérison - Protection


Utilisation magique : Dans les rituels de guérison anglais, on fait un amidon d'Orge qu'on laisse lentement s'évaporer dans la chambre de la personne souffrante ; quand il ne reste plus dans la casserole qu'un fond de colle pâteuse, le sorcier se sert de cette pâte pour tracer sur les murs, et parfois sur le malade lui-même, des signes cabalistiques.

On a fait indirectement appel à cette herbe pour apaiser les maux de dents. Il faut recouvrir une pierre avec de la paille d'Orge hachée. Le patient se met alors à quatre pattes devant le tas, il soume sur la paille jusqu'à ce que la pierre apparaisse. Il faut alors arrêter de soumer et, par cette sorte de lucarne que l'on a creusée dans le tas de paille, visualiser intensément la dent abîmée sur le morceau de pierre mis à découvert. Quand la douleur a disparu, on creuse un trou pour enterrer toute cette paille, sans en laisser le moindre petit brin. Quant à la pierre, il faut vite aller la jeter dans une rivière ou un étang.

Des grains d'Orge que l'on a mis à gonfler pendant une nuit sous la lune sont souvent répandus dans les maisons, les étables, pour chasser les influences négatives.

 

L’orge, qui fait partie de la même famille que le blé et l’avoine, est probablement la plus ancienne céréale cultivée. Dans l’antiquité, l’orge était réputée comme symbole de puissance et de valeur guerrière ; ainsi on le donnait aux champions des antiques jeux d’Eleusis, en Grèce et les gladiateurs de l'empire romain portaient le nom de hordearii, c'est-à-dire « hommes-orge ».

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Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont S.A.S., 1995, 2019) proposé par Éloïse Mozzani, on apprend que :


Symbole de richesse et d'abondance, cette céréale, qui entrait dans la composition du philtre de la magicienne Circé destinée à transformer en porcs les compagnons d'Ulysse, jouait dans l'Antiquité un rôle important dans les sacrifices ; pour certains auteurs, les Grecs avant la découverte de l'encens recouraient à la farine d'orge dont les fumigations devaient permettre une communication avec les dieux. Selon Plutarque, la Pythie faisait brûler de la farine d'orge sur l'autel d'Apollon.

La divination par la farine d'orge ou alphitomancie, divination très ancienne, servait au Moyen Âge à « découvrir ce qu'un homme a de caché dans le cœur » ou à reconnaître entre plusieurs suspects le coupable. Dans ce dernier cas, chacun de ces suspects mangeait un pain fabriqué ainsi : « On prend de la farine d'orge ; on la pétrit avec du lait et du sel ; on n'y met pas de levain ; on enveloppe ce pain compact dans un papier graissé, on le fait cuire sous la cendre ; ensuite on le frotte de feuilles de verveine. » L'innocent l'avalait sans peine alors que le fripon « se trahissait par une indigestion ». C'est de cet usage, dit-on, que provient l'expression : « Je veux, si je me trompe, que ce morceau de pain m'étrangle ».

L'orge était employée également en Inde dans divers sacrifices et des cérémonies de la vie privée et familiale, comme le mariage, la naissance d'un enfant ou d'un enterrement. En Inde encore, les mages façonnaient dans de la farine d'orge des figurines pour des envoûtements de haine.

En Occident, la céréale est réputée pour ses propriétés curatives et protectrices : répandre dans les maisons ou les étables des grains « que l'on a mis à gonfler une nuit sous la lune » éloigne les mauvaises influences. Contre les maux de dents, on recommande de hacher de la paille d'orge et d'en recouvrir une pierre : « Le patient se met alors à quatre pattes devant le tas, il souffle sur la paille jusqu'à ce que la pierre apparaisse. Il faut alors arrêter de souffler et, par cette sorte de lucarne que l'on a creusée dans le tas de paille, visualiser intensément la dent abîmée sur le morceau de pierre mis à découvert. Quand la douleur a disparu, on creuse un trou pour enterrer toute cette paille, sans en laisser le moindre petit brin. Quant à la pierre, il faut vite aller la jeter dans une rivière ou un étang ». Les guérisseurs anglais, eux, laissent s'évaporer dans la chambre d'un malade de l'amidon d'orge : « Quand il ne reste plus dans la casserole qu'un fond de colle pâteuse, le sorcier se sert de cette pâte pour tracer sur les murs, et parfois sur le malade lui-même, des signes cabalistiques ». Les Irlandais croient faire disparaître leurs verrues en les frottant avec les nœuds d'un brin de la céréale. Enfin, dans certaines îles grecques, les femmes se roulent par terre dans les champs d'orge pour ne pas souffrir du dos.

Selon une coutume sicilienne, une jeune fille qui, après l'avoir mis dans sa bouche, jette un grain d'orge à l'eau le jour de la Saint-Jean (24 juin), connaîtra sa vie conjugale : si le grain flotte, elle fera un bon mariage ; s'il coule, elle ne sera pas heureuse en ménage.

Le meilleur jour de l'année pour semer l'orge est selon les Vosgiens, celui de la Saint-Maurice, qui tombait autrefois le 5 octobre.

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Maria Luisa Pignoli, autrice d'une thèse intitulée Les désignations des plantes sauvages dans les variétés arbëreshe (albanais d’Italie) : étude sémantique et motivationnelle. (Linguistique. Université Côte d’Azur ; Università degli studi della Calabria, 2017) se penche sur les croyances liées aux différents noms arbëreshe de l'Orge des rots :

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1- Le premier groupe de désignations se caractérise par cinq syntagmes composés d’un premier élément [ˈɛʎp], [ˈɛʎb] ou [ˈɛlp] « orge » et de son spécificateur, l’adjectif [tˈɛɡer], [i ˈɛɡər] et [i ˈɛɡr] « sauvage » qui différencie cette espèce d’orge cultivée. Nous ne partageons pas l’opinion de Çabej selon laquelle alb. elb < IE. *albh- « blanc » en raison de la coulée blanche que l’on produit on écrasant les graines de la plante (SE, IV : 72). En revanche, le nom arb. et alb. elb semble pouvoir être interprétés par l’intermédiaire des croyances populaires, non seulement albanaises mais plus en général euro-asiatiques. C’est seulement récemment, avec la diffusion du christianisme, que la couleur blanche a été associée à la candeur, à la lumière divine et en général aux nuances de sens à caractère positif. Aujourd’hui encore, chez les populations de la Mélanésie et de la Polinésie, le blanc est symbole de mort parce qu’il est associé à la couleur pâle typique des revenants. Le sujet mythique des « morts blancs » est très courant à tel point que les Européens eux-mêmes sont identifiés comme des morts qui reviennent sur terre à cause de leur teint clair (Lanternari, 1959 : 99). On doit en déduire en effet que la pâleur du visage a une simple valeur mythique qui indique, par conséquent, la puissance surnaturelle dont le cadavre pâle se sert pour revenir parmi les vivants. Lorsqu’on revient encore plus en arrière dans le temps, on peut observer le fait que les revenants sont une manifestation récente de toute une série d’esprits qui envahissaient la terre, selon les croyances et les superstitions qui existent encore aujourd’hui dans un grand nombre de cultures. En particulier, dans la mythologie albanaise, on trouve les Bardha /bˈarða/ « Blanches » que Lambertz définit comme « figures blanchâtres de brouillard, ressamblant au ang. alfr, all. Elfen (lutins), Alben (peuplier), aroum. albile, gr. λευκαὶ κόραι » (Lambertz, 1973 : 466). Ces figures mythologiques sont conçues comme des « jeunes filles blanches » qui habitent la terre et, si on les offense, elles font beaucoup de mal jusqu’à rendre les hommes muets ou boiteux ; en outre lorsqu’un chevalier tombe de cheval, on dit que cet animal est au service des « Blanches » (Lambertz, 1973 : 466). Selon ce que Sébillot écrit (2002 : 812), il existe une croyance populaire très répandue selon laquelle la demeure des chevaux et, plus rarement celle des bêtes à cornes, est visitée la nuit par des personnages fantastiques, en général de petite taille, qui y accomplissent des actes tantôt bienveillants, tantôt espiègles ou même à la limite un tant soit peu méchants. La présence du cheval en tant qu’animal en relation avec les esprits, au point d’être gouverné par eux, est présent dans la mythologie populaire germanique dans laquelle cet équidé et la jument sont les manifestations préférées de la Mara, c’est-à-dire du « cauchemar » (Caprini, 1984 : 23). Dans l’Allemagne centrale et dans la langue allemande écrite on utilise le mot Alp pour indiquer le « cauchemar » et, en zoonymie populaire, en vieux haut-allemand la sauterelle prend le nom d’un démon, en particulier Alb. Ce dernier nom indiquait d’abord les lutins mythiques et ensuite le cauchemar. Il est aussi le spécificateur des noms de quelques herbes magiques utilisées contre le cauchemar : all. dial. Alfkrok « herbe du cauchemar » pour le millepertuis ; Alpranken « vrille du cauchemar » pour l’espèce Solanum dulcamara L.; Alfkraut « herbe du cauchemar » pour l’espèce Solanum nigrum L. (Beccaria, 1995 : 203). On désigne le cauchemar par le nom alpa dans le dialecte italien de Parme ; en revanche, alba est le nom de la chenille et de la sauterelle qui peut être comparée avec l’abr. mazzamarelle « sauterelle » (Beccaria, 1995 : 203) : il semblerait, donc, que les formes Alb et, celles plus récentes, Alp, Elf soient polisémiques puisqu’elles désignent le « lutin », le « cauchemar », la « sauterelle » et, on peut y ajouter aussi l’« orge sauvage » témoignée par l’arb.et l’alb. elb ~ elp que Orel (AED : 86) fait remonter au gr. ἄλφι « espèce de blé ». D’ailleurs, ce type de polysémie a été déjà remarqué sous l’entrée blank « blanc » dans le FEW (I, 394) où il désigne également, outre le nom de la couleur des animaux, des plantes, des maladies, des tissus et des vêtements, des pièces de monnaie en argent, etc.

Une telle comparaison peut aussi être faite en albanais, où les bases lexicales alb-, elb-, elp sont utilisées pour la formation des noms i bardh (< *baldh < alb- après métathèse et rotacisme) « blanc », albresh > arbresh « arbëresh », elb « orge », elp « orge » et pelë « jument » (< elp avec métathèse). Ce dernier nous conduit à la relation usuelle entre chevaux et lutins attestée dans les croyances populaires germaniques et romanes. L’utilisation d’un anthropomorphisme païen pour désigner une plante témoigne non seulement de l’antiquité de la désignation, mais surtout du caractère magique de la plante elle-même ; en effet, la présence d’êtres magiques païens tels que les lutins, nous restitue les croyances païennes concernant les épiphanies zoomorphiques de certains êtres anthropomorphiques païens (Alinei, 1984 : 38). Les deux autres désignations de l’orge sauvage, nous montrent clairement en effet le déplacement des motivations d’un sédiment sémantique à l’autre, où les dénominations ne représentent que la partie superficielle : le syntagme où apparait le nom de la fourmi nous rappelle que cet insecte est l’une des épiphanies des démons des maladies ; en revanche, dans la dernière désignation, l’évolution motivationnelle vers le stade anthropomorphique chrétien et plus récent est mise en évidence par la présence du diable dans le syntagme dénominatif


2- [ʃpˈik milinɡˈɔnjɛ] est une désignation composée par un premier élément tabouisé, l’arb. shpikë « épi » se référant à l’utilisation que l’on fait des inflorescences dans les rituels magiques (cfr. § 7.34.3) et par son spécificateur milingonie « de fourmi ». Les informateurs nous ont informée du fait que pendant l’été on peut observer les fourmis qui chargent sur leur dos les graines d’orge sauvage pour les utiliser comme nourriture pendant l’hiver, ce qui témoigne d’une relation étroite entre cette plante et ces petits animaux, sans pour autant déterminer le choix de ce spécificateur. Toutefois ce dernier, comme nous l’avons expliqué ci-dessus, est la métaphore des qualités magiques attribuées à cette espèce, que la fourmi peut bien représenter parce qu’elle est censée être un animal qui entretient une relation avec le surnaturel, et cependant elle est aussi l’une des manifestations des « animaux du cauchemar » qui causent des malaises, tout comme les démons elfiques ; la fourmi est censée être en particulier l’un des démons elfiques dits « urinateurs » (Riegler, 1981a : 319).


3- [ˈaːra djˈaɫθit] est un syntagme composé du nom générique alb. ara « champ » et de son spécificateur, l’anthroponyme religieux djallthit « du diable » soulignant qu’il s’agit d’une herbe douée de pouvoirs magiques et nuisibles.

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Symbolisme alimentaire :


Pour Christiane Beerlandt, auteure de La Symbolique des aliments, la corne d'abondance (Éditions Beerlandt Publications, 2005, 2014), nos choix alimentaires reflètent notre état psychique :


L'Orge est très TERRESTRE. "Reste tout près du sol", dit-elle, "développe-toi plutôt en largeur à ras de terre, de sorte que tu ne pousses pas tout en hauteur comme un échalas et que par la suite tu pers le contact avec le sol pour t'en aller planer loin, risquant ainsi de perdre le nord et éventuellement de devenir fou. Tiens-toi à l'intérieur de ton corps, tout près de ton moi terrestre, de ton corps physique.


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Mythes et légendes :


D'après Angelo de Gubernatis, auteur de La Mythologie des plantes ou les légendes du règne végétal, tome 2 (C. Reinwald Libraire-Éditeur, Paris, 1882),

ORGE. — Un grand nombre des observations que nous avons faites à propos du blé, en général, à l’article Grain, s’applique aussi à l’orge. Nous ne réunirons donc ici que quelques notions indiennes qui se rapportent tout spécialement à l’orge. Le dieu Indra est appelé, dans le Rigveda, durah yavasya « celui qui ouvre le blé ou l’orge » ou « celui qui le répand ». Dans plusieurs cérémonies indiennes, pour la naissance d’un enfant, pour les noces, pour les funérailles et dans les divers sacrifices, on emploie l’orge. Dans l’Atharvaveda (VIII, 2), on prie le riz et l’orge donnés au mort, de lui être propices : Civâu te stâm vrîhi-yavâu (1). Le professeur Ludwig a traduit de l’Atharvaveda une légende assez mystérieuse, où l’on voit le cheval (peut-être le cheval du sacrifice), aux pieds de bœuf, venant chercher du riz et de l’orge dans la maison de l’homme, du vieux Pratipa, qui est, d’après le Mahâbhârata, un petit-neveu de Parikshit, et d’après le Kuntâpasûkta, un fils de Pratisutvan :


Diese Stuten sprengen heran

zu Pratipa prâtisutvana ;

Eine drunter Harinnika :

Harinnikâ, was suchest du ?

— Meinen guten Sohn den goldenen ;

wo hast du den beiseit getan

Wo um jene drei çimçapâ,

drei schlangen ringsherum

Sitzen, schwellendihren kamm.

« — Da ist her ein hengst gekommer.

An dem kot wird er arkannt,

wie, aus rinderkot » der rinder gang.

— Wassuchst du in dem Menschenhause ?

— Reifen reis und reife gerste.

— Reis und gerste frassest du wie

die riesenschlange schafe ;

(Aber) einen rosschweif hast du zwar

jedoch hufe des rindes,

Das ist eines falken ferse,

ein gesund obwol schmarotzend Glied.


L’orge est un symbole de richesse et d’abondance ; on en souhaite un peu pour en obtenir beaucoup ; c’est pourquoi le poète indien Bhartrihari a écrit ce qui suit : « Chaque pauvre ambitionne une poignée d’orge ; dès qu’il devient riche, il ne fait pas plus de cas de toute la terre que d’un brin d’herbe. » Dans le conte populaire anglais de Tom Pouce, le jeune héros pousse les bœufs attachés à la charrue avec un simple brin de paille d’orge. Dans une danse populaire du Danemark, le jour de Noël, on chante ce qui suit, comme souhait d’une bonne récolte : « Sur notre parquet a sauté une poule avec ses petits ; on les a coupés et on a amassé l’orge luisante. Tourne, tourne, tourne ! » L’orge est un symbole évident d’abondance ; et qu’elle soit un symbole phallique, c’est ce que nous dit nettement Açvalàyana, au premier livre de son Grihyasûtra : Lorsque une femme védique est enceinte de trois mois, elle jeûne ; après son jeûne, le mari s’approche d’elle et jette dans un pot de crème aigre deux haricots et un grain d’orge, en demandant à sa femme qui boit : Eh bien ! que bois-tu ? La femme, à laquelle, dans le creux de la main, le mari a versé trois fois de la crème aigre, répond trois fois, après avoir bu : « Je bois à la génération d’un mâle. » L’ancien commentateur Nârâyana déclare que les deux haricots et le grain d’orge représentent au complet les organes mâles de la génération.


Note : 1) On invoque aussi, dans le même Atharvaveda, le riz et l’orge pour qu’ils guérissent la consomption et pour qu’ils délivrent du mal : « Etau yakshmam vi bâdhete ; etau mun’c’ato afihasas. »

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