Étymologie :
GIROFLÉE, subst. fém.
Étymol. et Hist. 1393 giroflée (Ménagier, II, 45 ds T.-L.). Fém. subst. de l'adj. giroflé « de girofle ; parfumé au girofle » (fin xiiie s. clous gilofrez, G. de Bibbesworth, 1117 ds T.-L. ; cf. giroflé adj. masc. subst. « boisson à la girofle » ca 1275 Adenet Le Roi, B. de Conmarchis, éd. A. Henry, 835).
VIOLIER, subst. masc.
Étymol. et Hist. 1361 viollier « fleur (violette ou giroflée ?) ou ensemble de fleurs (ici, dans une représentation brodée) » (Arch. P 13591, pièce 633 ds Gdf.) ; ca 1370 « giroflée (ou violette ?) » (Froissart, L'Espinette amoureuse, éd. A. Fournier, 2e éd., vers 35 et vers 3383) ; ca 1370 « bouquet, ensemble de plants de fleurs (giroflées ou violettes ?) » (Id., ibid., vers 3517) ; 1600 « giroflée » (O. de Serres, Théâtre d'agric., p. 572) ; 1611 violier des murailles « giroflée jaune des murailles » (Cotgr.). Dér. de l'a. fr. viole désignant la violette* (suff. -ier*) à cause du parfum de violette de la giroflée jaune (Roll. Flore t. 1, p. 216) cf. aussi a. prov. violaria (xive s., Fragment de recettes médicales en langue d'oc ds Romania t. 12, p. 101).
Autres noms : Erysimum cheiri syn. Cheiranthus cheiri - Bâton d'or - Cheiri - Giroflée jaune - Giroflée de muraille - Giroflée des murailles - Giroflée violier - Murailliez - Ravenelle - Violier jaune -
Botanique :
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Vertus médicinales :
Henri Ferdinand Van Heurck et Victor Guibert, auteurs d'une Flore médicale belge. (Fonteyn, 1864) nous apprennent les propriétés thérapeutiques de la Giroflée :
Usages médicaux. Cette plante était usitée chez les anciens pour prévenir l'avortement. Les fleurs étaient dites céphaliques, cordiales, anodines et antispasmodiques. On les conseillait dans les pâles couleurs, la paralysie et l'apoplexie. L'huile par infusion des fleurs qui se rencontre encore dans quelques pharmacopées était réputée vulnéraire. La semence en poudre arrête, dit-on, la dysenterie. Le suc des feuilles et des fleurs est encore un remède vulgaire comme diurétique contre la gravelle et l'hydropisie. Aucune de ces propriétés n'est bien établie. La giroflée jaune est une des plantes indigènes qu'il serait utile de soumettre à de nouvelles expérimentations.
A. B., auteur discret de Les Vertus des plantes - 918 espèces (Tours, 1906) recense les propriétés thérapeutiques d'un grand nombre de plantes :
Giroflée jaune. Leucoium luteum vulgare flore simplici.
VERTUS : Les fleurs de la giroflée sont céphaliques, antispasmodiques, diurétiques et anodines, l'huile par infusion est fortifiante et anodines dans les grandes contractions des membres, la paralysie, l'apoplexie, pour aider à l'accouchement, elles entrent dans l'huile d'euphorbe et l'eau universelle.
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Croyances populaires :
Adolphe de Chesnel, auteur d'un Dictionnaire des superstitions, erreurs, préjugés, et traditions populaires... (J.-P. Migne Éditeur, 1856) propose la notice suivante :
GIROFLÉE. Dans le pays Castrais, les femmes ont la coutume, le jeudi saint, de mettre dans leur poche des graines de violier mêlées avec de la terre, et, durant le Stabat, elles agitent vivement ce mélange, convaincues qu'elles sont que ce moyen leur procurera des fleurs doubles.
Symbolisme :
Louise Cortambert et Louis-Aimé Martin, auteurs de Le langage des fleurs. (Société belge de librairie, 1842) nous livrent leur vision de cette fleur :
Été - Août.
GIROFLÉE DES JARDINS - BEAUTÉ DURABLE.
Les Grecs, qui chérissaient les fleurs, ignorèrent toujours l'art de les cultiver et de les embellir : ils les cueillaient dans les champs, et les recevaient simples des mains de la nature. On vit les Romains prendre, avec les arts de la Grèce, le goût des fleurs, et même une passion si vive pour les couronnes qu’on fut obligé d'en défendre l'usage aux particuliers. Ces maîtres du monde ne cultivèrent que les violettes et les roses, et des champs entiers, couverts de ces fleurs, empiétèrent bientôt sur les droits de Cérès. Les braves Gaulois ignorèrent longtemps toute espèce de délices : leurs mains guerrières dédaignaient même le soc de la charrue. Chez le jardin, domaine de la mère de famille, ne contenait que des plantes aromatiques et des plantes potagères. Mais enfin les mœurs s'adoucirent, et Charlemagne, qui fut la terreur du monde et le père de son peuple, aima les fleurs. Dans un de ses Capitulaires, il recommande la culture des lis, des roses et des giroflées. Les fleurs étrangères ne s'introduisirent chez nous qu'au treizième siècle. Au temps des croisades nos guerriers en apportèrent plusieurs espèces nouvelles de l’Égypte et de la Syrie. Les moines, alors seuls habiles cultivateurs, en prirent soin. Elles firent d'abord le charme de leurs paisibles retraites ; puis ils les répandirent dans nos parterres ; elles devinrent la joie des festins et le luxe des châteaux. Cependant la rose est encore restée la reine des bosquets, et le lis le roi des vallées. La rose, il est vrai, dure peu, et le lis, qui fleurit plus tard, passe presque aussi vite. La giroflée, moins gracieuse que la rose, moins superbe que le lis, a un éclat plus durable : constante dans ses bienfaits, elle nous offre toute l'année ses belles fleurs rouges et pyramidales, qui répandent sans cesse une odeur qui charme les sens. Les plus belles giroflées sont rouges : elles ont donné leur nom à la couleur qui les pare, couleur qui le dispute en éclat à la pourpre de Tyr. On voit aussi des giroflées blanches qui sont très belles : on en voit de violettes el de panachées, qui ne sont point sans agréments ; mais depuis que l'Amérique, l'Asie et l'Afrique nous envoient leurs brillants tributs, nous avons négligé la giroflée, cette fille de nos climats, si chère à nos bons aïeux.
Cependant j'ai vu, en Allemagne, des effets surprenants dont cette belle fleur avait toute la gloire. Dans un antique château, près de Luxembourg, on avait disposé, le long d'une immense terrasse, quatre rangs de vases du plus beau blanc et d'une forme agréable, quoique d'une faïence solide et grossière : ces vases, rangés en amphithéâtre des deux côtés de la terrasse, étaient tous couronnés des plus belles giroflées rouges. Je puis assurer que je n'ai jamais rien vu d'égal à cette charmante et rustique décoration. Vers le coucher du soleil, surtout, on aurait dit que de vives flammes sortaient du centre de ces vases blancs comme la neige, et brillaient à perle de vue, sur des touffes de verdure. Alors, une odeur balsamique et bienfaisante parfumait tous les environs. Les femmes les plus délicates, loin de s'en trouver fatiguées, en étaient réjouies et fortifiées. Celte belle fleur s'élève donc, dans nos parterres, comme une beauté vive et fraiche qui verse la santé autour d'elle ; la santé, ce premier des biens, sans lequel il n'y a ni bonheur ni beauté durable.
Automne - Septembre
GIROFLÉE DES MURAILLES - FIDÈLE AU MALHEUR.
Les Anglais appellent cette aimable fleur, violette des murailles ; effectivement, elle aime à croitre dans les fentes des vieux murs : on la voit sur les tours en ruines, sur les chaumières, et sur les tombeaux. Souvent une plante de giroflée solitaire croît dans la mortaise ou la meurtrière d'un antique château. Ses tiges fleuries semblent se plaire à voiler ces tristes inventions, qui attestent encore les maux et les désordres de la féodalité. Autrefois les ménestrels et les troubadours portaient une branche de giroflée, comme l'emblème d'une affection qui résiste au temps et qui survit au malheur. Lorsque la terreur régnait sur la France, on a vu une populace effrénée se précipiter vers l'abbaye de Saint-Denis, pour jeter aux vents les cendres de nos rois : ces barbares, après avoir brisé les marbres sacrés, comme effrayés de leurs sacrilèges, furent en cacher les débris derrière le chœur de l'église, dans une cour obscure, où la révolution les oublia. Un poëte, en allant visiter ce triste lieu, le trouva tout brillant d'une décoration inattendue : les fleurs de la giroflée couvraient ces murs désolés. Cette plante, fidèle au malheur, répandait dans cette religieuse enceinte des parfums si doux qu'on eût dit un pieux encens qui s'élevait vers le ciel. A cette vue, le poëte se sentit inspiré ; il s'écria :
Mais quelle est cette fleur que son instinct pieux
Sur l'aile du zéphyr amène dans ces lieux ?
Quoi ! tu quittes le temple où vivent tes racines,
Sensible giroflée, amante des ruines,
Et ton tribut fidèle accompagne nos rois ?
Ah ! puisque la terreur a courbé sous ses lois
Du lis infortune la tige souveraine,
Que nos jardins en deuil te choisissent pour reine ;
Triomphe sans rivale, et que ta sainte fleur
Croisse pour le tombeau, le trône et le malheur.
Treneuil, Tombeaux de Saint-Denis.
GIROFLÉE DE MAHON - PROMPTITUDE.
Aussitôt que l'on a confié la graine de cette plante à la terre, elle germe, et quarante jours après on a des massifs ou des bordures couvertes de fleurs. Mais comme ces fleurs passent vite, pour en jouir longtemps on doit en semer depuis le mois de mars jusqu'au mois d'août. Rien n'est plus frais, plus varié que les jolies nuances lilas, rose et blanc de ces fleurs, qui répandent une odeur agréable.
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Dans Les Fleurs naturelles : traité sur l'art de composer les couronnes, les parures, les bouquets, etc., de tous genres pour bals et soirées suivi du langage des fleurs (Auto-édition, Paris, 1847) Jules Lachaume établit les correspondances entre les fleurs et les sentiments humains :
Giroflée - Dignité.
Dans certaines contrées de l’Amérique la giroflée est une récompense honorifique.
Giroflée des jardins - Beauté durable.
Cette belle espèce, qui fait l’ornement des parterres, est en fleur presque toute l’année.
Giroflée de Mahon - Promptitude.
Cette variété fleurit quarante jours après que ses graines ont été semées.
Giroflée des murailles - Fidélité au malheur.
Elle fleurit sur les créneaux des vieux murs, aux fenêtres des prisons, où elle récrée la vue des pauvres captifs.
Selon Pierre Zaccone, auteur de Nouveau langage des fleurs avec la nomenclature des sentiments dont chaque fleur est le symbole et leur emploi pour l'expression des pensées (Éditeur L. Hachette, 1856) :
GIROFLÉE, VIOLIER, RAVENELLE - LUXE.
Plante de la famille des crucifères ; on la trouve aussi sur les vieux murs, dans les lézardes des tours antiques, et dans les fentes des rochers à peine revêtus de mousse et de lichen.
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Emma Faucon, dans Le Langage des fleurs (Théodore Lefèvre Éditeur, 1860) s'inspire de ses prédécesseurs pour proposer le symbolisme des plantes qu'elle étudie :
Giroflée des murailles - Fidélité au malheur.
Elle fleurit sur les vieux murs des prisons, et sa vue récrée les prisonniers. C'est le violier ou cheiri , noms sous lesquels elle est connue dans toute la France. Cette fleur, d'une odeur suave, croit et prospère là où il semblerait qu’un brin d'herbe ne peut trouver son existence.
Que j'aime à voir la giroflée
Sur de vieux murs croitre et fleurir ;
L'aspect de su lige embaumée
Me fait tressaillir de plaisir.
Giroflée, au printemps,
Viens orner la tourelle
Et que la fleur nouvelle Ramène le beau temps.
Giroflée des jardins - Beauté durable.
Cette charmante espèce est en fleur presque toute l'année.
Giroflée de Mahon – Promptitude.
Au bout de quarante jours de semaille, cette variété donne des fleurs lilas rosé.
Giroflée double - Amour-propre.
Giroflée rouge - Dépit.
Giroflée jaune - Préférence.
Giroflée blanche - Simplicité, candeur.
Giroflée violette - Sociabilité.
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Dans son Nouveau Langage des fruits et des fleurs (Benardin-Béchet, Libraire-Éditeur, 1872) Mademoiselle Clémentine Vatteau poursuit la tradition du Sélam :
GIROFLÉE : Bonheur ; Sympathie.
— DES JARDINS : Beauté durable.
— DE MAHON : Promptitude.
— DES MURAILLES : Fidélité au malheur.
« Petite sœur, là-haut qui grimpes et qui brilles
A l'étroite fenêtre entre deux noirs barreaux,
Quitte ces murs épais tout hérissés de grilles,
Viens donc rire avec nous! les sentiers sont si beaux ! »
Ainsi disaient les fleurs jouant sur la pelouse.
Celle qui fleurissait à l'ombre répondit :
Riez sous le ciel bleu, je n'en suis point jalouse,
Je plonge en un ciel noir qui par moi resplendit.
Heureuses au milieu des heureux de la terre,
Enchantez-les, mes sœurs, sous le clair horizon !
Laissez-moi la fenêtre humide et solitaire,
J'embaume un malheureux : je suis fleur de prison. M. DE RATISBONNE.
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Sheila Pickles écrit un ouvrage intitulé Le Langage des fleurs du temps jadis (Édition originale, 1990 ; (Éditions Solar, 1992 pour la traduction française) dans lequel elle présente ainsi la Giroflée :
Mot clef : Fidélité dans l'adversité
Déjà la giroflée blanche fleurit, et fleurit sous la pluie
le narcisse, et fleurissent au hasard des montagnes les lis.
Dzénophila fleurit, douce rose de Poïthô.
Prairies, sous vos vaines chevelures brillantes, pourquoi
riez-vous ? L'enfant vaut toutes vos couronnes parfumées.
Méléagre (IIe-1er siècle av. J. C.), Les Amours de Dzénophila.
Les Giroflées sont très appréciées dans les jardins parce qu'elles fleurissent après que les premières fleurs printanières sont fanées, et avant que s'épanouissent les Roses et les espèces estivales. Le nom du genre Cheiranthus, vient des termes grecs signifiant « main » et « fleur ». En Grèce, la Giroflée était communément utilisée en bouquet lors des fêtes. La tradition veut que Charlemagne ait éprouvé une véritable fascination pour cette fleur au parfum capiteux.
Une vieille légende écossaise relate l'histoire d'une noble jeune fille fiancée contre son gré à un prince, mais secrètement amoureuse d'un chef de clan. Celui-ci se déguisa en ménestrel et vint chanter sous la tour où la retenait son cruel père. Elle lui jeta une Giroflée et entreprit de descendre par une échelle de fortune, mais un barreau se brisa : la belle se rompit les os et expira près de la fleur. Son amoureux lui jura une foi éternelle, et adopta la Giroflée comme emblème de sa fidélité dans l'adversité. Et c'est ainsi que cette si jolie fleur devint un bien triste symbole !
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Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont S.A.S., 1995, 2019) proposé par Éloïse Mozzani, on apprend que :
Selon les traditions de nombreuses régions françaises, on obtient des giroflées doubles en les semant le vendredi saint. Dans les Deux-Sèvres et en Touraine, le semeur doit être à jeun alors que dans le Loiret et l'Yonne, il doit opérer avant le lever du jour.
Les giroflées rouges ou violiers ont le même privilège si elles sont semées le jeudi saint, entre l'office et les Ténèbres, ou un autre jour mais par une femme enceinte qui ignore l'identité des graines (Gironde). Dans le Massif central, les femmes, pendant le chant du Stabat du jeudi saint, remuaient les graines de violiers qu'elles avaient dans les poches pour en obtenir des fleurs doubles.
Une légende a trait aux violiers qui croissaient sur les murs du château de Trémazan, dans le Finistère. Ces fleurs, rapporte Paul Sébillot, "y ont poussé depuis qu'elles ont été arrosées du sang de sainte Aude ; les paysans les nomment Chinoff santez Eodez, fleurs de sainte Aude, et elles ont, disent-ils, cette couleur en souvenir de la vierge martyre ; au moment de leur floraison, les amoureux viennent les cueillir ensemble".
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D'après Nicole Parrot, auteure de Le Langage des fleurs (Éditions Flammarion, 2000) :
"De toutes les couleurs la giroflée dit : "confiance", "fidélité dans l'adversité" et recommande : "promptitude". Enfin, elle annonce pour conclure : "beauté durable, voire éternelle". Bon programme. Feu, elle affirme : "Je vous aime de plus en plus". Rouge brun, elle prend des risques : "Mon amour ne varie pas".
La beauté durable, la giroflée connaît : elle fleurit toute l'année. Quant à la promptitude, elle en donne elle-même l'exemple : sitôt semée, elle se hâte de sortir de terre. Cette vitesse de réaction ne serait-elle pas aussi celle de la "giroflée à cinq feuilles" dont les générations passées ont gardé un souvenir cuisant ?
En effet, elle nommaient ainsi familièrement une "bonne" claque (à cinq doigts) comme la décrit Huysmans dans Les Sœurs Vatard : "Elle s'était attirée une giroflée tellement fleurie que sa joue en avait gardé l'empreinte pendant un jour".
Enfin, parce qu'elle aime se planter dans les interstices des murailles, les ruines et les endroits abandonnés, la giroflée a longtemps été dite "fidèle au malheur". On croyait même autrefois dans les campagnes qu'un pied de giroflée poussant sur un rebord de fenêtre mourait au même moment que son propriétaire. Allons, la giroflée est aussi une fleur très gaie qui autrefois faisait chanter : "Girofli girofla".
Mot-clef : "Fidélité".
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Mythes et légendes :
Dans Le Folk-Lore de la France, tome troisième, la Faune et la Flore (E. Guilmoto Éditeur, 1906) Paul Sébillot recense nombre de légendes populaires :
Les violiers rouges qui tapissent les murailles du château de Trémazan y ont poussé depuis qu'elles ont été arrosées du sang de sainte Aude ; les paysans les nomment Chinoff santez Eodez, fleurs de sainte Aude, et elles ont, disent-ils, cette couleur en souvenir de la vierge martyre ; au moment de leur floraison, les amoureux viennent les cueillir ensemble.
[...] Au milieu du siècle dernier, les femmes de Labruguiére mettaient dans leur poche des graines de violier avec un peu de terre, et le Jeudi saint, pendant qu'on chantait le Stabat, elles agitaient vivement ce mélange, convaincues que par là elles obtiendraient des fleurs doubles.
[...] Il est par contre des époques exceptionnellement favorables mais aucune n'est aussi privilégiée que la dernière partie de la semaine Sainte. Dans la Gironde on obtient du violier double en le semant le Jeudi saint, entre l'office et les Ténèbres. Quoi que l'on dise en plusieurs pays que la terre saigne si on l'ouvre le Vendredi saint, et que certaines cultures soient rigoureusement prohibées en ce jour de deuil, on le considère comme excellent pour d'autres. En Picardie, les graines produisent des fleurs doubles en Poitou et dans le Pas-de-Calais, ce privilège semble restreint aux giroflées de jardin, et à Boulogne le semeur doit être à jeun, comme celui qui, en Seine-et-Oise, dans les Deux-Sèvres et en Touraine dépose aux mêmes intentions les graines de giroflée jaune ; dans le Loiret et dans l'Yonne, l'opération doit être faite avant le lever du soleil.
[...] Dans la Gironde, on obtient du violier double en le faisant semer par une femme enceinte, à la condition qu'elle ne connaisse pas la graine qu'elle répand sur la terre.
[...] Des plantes donnent un grand pouvoir à celui qui les possède. Un bouquet de giroflées donné par une fée à la princesse Carpillon fait que son ennemi ne la reconnaîtra pas.
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Littérature :
LE MOUSQUETAIRE.
On peut donc lui parler de son nez, maintenant ?…
(Appelant Lise, d’un air triomphant.)
– Eh ! Lise ! Tu vas voir !
(Humant l’air avec affectation.)
Oh !… oh !… c’est surprenant ! Quelle odeur !…
(Allant à Cyrano, dont il regarde le nez avec impertinence.)
Mais monsieur doit l’avoir reniflée ? Qu’est-ce que cela sent ici ?…
CYRANO, le souffletant.
La giroflée !
(Joie. Les cadets ont retrouvé Cyrano : ils font des culbutes.)
RIDEAU.
Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, Acte II, Scène XI, 1897.
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La Giroflée
Clous de girofle et giroflée,
Giroflée à cinq feuilles,
Sire Nicolas nous accueille,
Coiffé d’un chapeau huit reflets,
Dans son jardin de Viroflay,
Clous de girofle et giroflée.
Robert Desnos, "La Giroflée" in Chantefables et Chantefleurs, 1952.
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Régine Detambel consacre un ouvrage à Colette. Comme une flore, comme un zoo (Éditions Stock, 1997) dans lequel elle s'intéresse aux métaphores botaniques et zoologiques :
La Giroflée brune : « Cueille pourtant la giroflée brune qui devance la tulipe, elle est colorée, rustaude et vêtue d'un velours solide, comme une terrassière... » Les Vrilles de la Vigne
Les plantes admettent la division des classes : il y a, dans leurs rangs, une noblesse, une bourgeoisie et une paysannerie. On y distingue des duchesses et des ouvrières, c'est-à-dire des roses Maréchal-Niel et des giroflées.
La giroflée est une fleur « rustaude et vêtue d'un velours solide, comme une terrassière. » D'ailleurs Colette ne la citera qu'une seule fois pour évoquer un humain, Chéri : « Une pensée illisible se levait au fond de ses yeux dont la forme, la nuance de giroflée très sombre, l'éclat sévère ou langoureux ne lui avaient servi qu'à vaincre et non à révéler... »
La giroflée est un crayon sans grande valeur, à grosse mine, juste assez bonne pour la terre et les bêtes, incapable d'un tracé fin, et dont Colette se servira surtout pour faire apparaître des animaux : « [le chat] n'est, des oreilles à la queue, que zébrure pain brûlé sur champ marron très clair, comme une fleur de giroflée... » Autres bêtes et De ma fenêtre répéteront cette miniature : « ... un rouge-gorge mâle [...] n'était pas plus gros qu'une noix qui eut des ailes, et son petit poitrail bombé avait la couleur des giroflées rousses. »
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