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Le Peyotl


Et voilà ce qu'en font les touristes qui ne comprennent rien à la notion même de plante sacrée !



Étymologie :

  • PEYOTL, subst. masc.

Étymol. et Hist. 1880 (Jourdanet et Remi, Trad. fr. de Bernardino de Sahagun, Historia de las Cosas de Nueva España, Liv. X, chap. 29, par. 11 ds A. Rouhier, La Plante qui fait les yeux émerveillés, Le Peyotl, 1926, Paris, éd. de La Maisnie, 1975, p. 94, note 3) ; 1899 Peyote du Nahuatl Peyotl (L. Diguet ds Nouv. Archives des Missions sc. et litt., t. IX, p. 621). Empr., comme l'esp. peyotle, peyote, et parfois par son intermédiaire, au nahuatl, dial. aztèque des Indiens du Mexique, peyotle, peiotle (Fried. 1960, p. 496, v .aussi A. Rouhier, op. cit., p. 3, 7 et sqq.) ; l'anglo-amér. transcrit plus gén. le terme sous la forme peyote (cf. DAE, Americanisms et NED Suppl. 2) et ne saurait être à l'orig. de la forme peyotl, la plus cour. en fr.


Lire aussi la définition du nom pour amorcer la réflexion symbolique sur cette plante sacrée des Huichols.

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Botanique :


Jacques Brosse dans La Magie des plantes (Éditions Hachette, 1979) consacre dans sa "Flore magique" un article au Peyotl et le termine par la description du cactus :

Le peyotl (Echinocactus williamsii) cependant est une plante bien modeste et qui semble même se cacher. Dans la pierraille empoussiérée des hauts plateaux désertiques du nord du Mexique, on voit à peine dépasser du sol ces très petits cactus grisâtres qui se distinguent mal des cailloux.

Ils forment des protubérances bulbeuses, ressemblant un peu à des grosses molaires et divisées en 5 à 11 quartiers. Comme la mandragore en Occident et le ginseng en Chine, ce cactus est aux deux tiers enterré ; toutefois il ne s'agit pas, comme dans le cas de la mandragore et du ginseng, de la racine, mais bien de la plante elle-même, qui n'est chlorophyllienne, c'est-à-dire verte, qu'à son sommet.

Le peyotl, qui a un goût terreux et fort amer, est consommé cru ; très coriace, il ne s'attendrit qu'au contact de la salive. Séché, il se conserve longtemps. Si, à l'analyse, on ne lui a guère trouvé de propriétés thérapeutiques, on a en revanche mis en évidence les quinze alcaloïdes qu'il contient et dont le principal est la mescaline. L'on connaît aujourd'hui, grâce aux récits d'expérimentateurs qui sont aussi de grands écrivains, Antonin Artaud, Aldous Huxley, Henri Michaux et Carlos Castaneda, les splendides visions aux couleurs intenses, aux formes géométriques stupéfiantes qu'à partir de la réalité quotidienne la plus banale révèlent peyotl et mescaline ; ce qui explique que l'on ait pu appeler le peyotl la « plante qui fait les yeux émerveillés ». Ce que nous appelons hallucination est pour l'Indien adorateur du peyotl la réalité profonde sous-jacente à ce monde qui n'est qu'impermanent et illusoire.

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Symbolisme :


Léon Diguet, auteur de Les cactacées utiles du Mexique (Paris, 1928), dans le chapitre consacré à la nomenclature des cactus, remarque :


"Au groupe des Bisnagas, il faut encore ajouter celui des Peyotes, terme sous lequel les indigènes actuels comprennent une catégorie de petites Cactacées renflées aberrantes telles que Lophophora et Ariocarpus.."

[...] Dans leur nomenclature populaire, les Mexicains subdivisent la famille scientifique des Echinocactées en cinq catégories dont la cinquième est :


"5° Peyotes, groupe réunissant confusément toutes les formes anormales et pour la plupart inermes ou subinermes que peuvent comporter les Echinocactées et les Mamillariées, dont les types les plus marquants sont pour les premiers les Lophophorées et pour les seconds les Ariocarpées. A ces derniers il faut encore ajouter le groupe des Peyotillos, dans lequel les indigènes font entrer toute une série de formes plus ou moins épineuses rappelant quelque peu les Peyotes, soit par la morphologie, la biologie, ou encore la teneur en principes toxiques.

[...] Les principes actifs élaborés par les Peyotes sont tous plus ou moins toxiques ; ils ont été, aux États-Unis et en Allemagne, l’objet de recherches et d’études chimiques, physiologiques et thérapeutiques de la part d’Erwin E. Eweil, Hefter, Hennings, Kander, Lewin, Morgan, Prentiss, Richardson, Edmundio White, Writers, et, en France, tout récemment, de Rouyer. Les Indiens, qui ont toujours eu une tendance à faire usage de violents excitants, n’ont pas manqué d’avoir recours aux effets physiologiques que leur offraient ces étranges Cactacées ; aussi les ont-ils employées, soit dans leur médecine, soit comme stimulants dans les marches sous un soleil ardent, soit mélangées à des boissons alcooliques pour produire une ivresse délirante, soit encore et surtout dans les pratiques religieuses afin d’obtenir des effets hallucinants avec visions fantastiques. Grâce à leurs propriétés, ces plantes extraordinaires jouissaient d’une haute vénération chez les anciens Mexicains ; ils les considéraient, ainsi qu’on le verra à la fin de ce chapitre, comme des plantes sacrées capables de conférer des aptitudes surnaturelles à ceux qui s’y adonnaient.

Les Peyotes sont des plantes parfaitement adaptées aux plus excessives sécheresses et à un sol surchauffé par les ardeurs solaires ; ils croissent dans la nature sur ces terres meubles constituées en grande partie par des dépôts d’alluvions aériens, c’est ce qui leur permet un enfouissement facile à l’époque des grandes sécheresses.

[...] Le terme Peyote est une castillanisation de l’expression nahuatl Peyutl ou Peyotl, dont l’origine est inconnue ; certains auteurs, comme Manuel Urbina, le feraient dériver, d’après le dictionnaire de Molina et l’avis de l’abbé Hunt y Cortez, du verbe nahuatl Peyona-nic = stimuler, aiguillonner, ou encore de Peyutl = cocon de ver à soie, parce que la plante est de forme globuleuse et se montre plus ou moins pourvue de filaments soyeux en guise d’aiguillons. Aux États-Unis, les Peyotes, en outre du terme vernaculaire mexicain, sont désignés sous les noms de Mezcal button, Devil’s root, Sacred mushroom. L’usage du Peyote doit remonter à une époque reculée ; les conquérants espagnols le constatèrent dès leur arrivée dans le pays, et les missionnaires qui évangélisèrent les Indiens du nord du Mexique, en parlent souvent avec détails dans leurs écrits et le donnent comme étant chez certaines tribus d’un emploi courant. La forme qui doit servir de type au groupe des Peyotes est incontestablement le Lophophora Williamsii Coult. ; c’est du moins l’espèce la plus anciennement définie et qui fut clairement spécifiée par Hernandez sous le nom de Peyotl zacatecensis ; il appartient bien aux Echinocactées par ses caractères botaniques et semble en outre être la forme ancestrale de ce groupe de Mamillariées aberrantes représenté par les séries des Pélécyphorées et Ariocarpées.

[...] Ces Peyotl ou Peyotes comme on les nomme actuellement, étaient surtout préconisés par les tribus sauvages et nomades du nord du Mexique ; ces dernières en faisaient un usage à peu près constant, tant au point de vue religieux qu’au point de vue médical ; c’est pour ce dernier objet, comme nous l’apprend l’historien Sahagun, que les Indiens nommés Teochichimèques venaient en faire le commerce sur les marchés de Mexico et d’autres grands centres. Car, en outre de ses propriétés considérées comme surnaturelles qui en faisaient une plante sacrée, et de son emploi en médecine, le Peyote avait la réputation de conférer à celui qui en faisait un usage modéré, une vigueur et une force suffisantes pour permettre d’affronter sans boire ni manger de longues et pénibles marches sous un soleil ardent, ce qui, aux yeux des Indiens, passait pour une supériorité sur les simples Huiznahuac qui ne pouvaient fournir au voyageur épuisé que des moyens de réconfort ordinaires. L’usage du Peyote se continua encore longtemps après la conquête espagnole chez les tribus nomades du nord du Mexique, ainsi que nous l’apprennent les missionnaires chargés de l’évangélisation du pays.


Le père Arlegui [Cronica de la provincia de San Francisco de Zacalecas, Capitulo V, p. 154. dit à ce sujet :


« La plante qu’ils vénèrent le plus est celle que l’on appelle Peyot, de laquelle, après l’avoir broyée et exprimée, ils boivent le suc dans toutes les maladies ; elle ne serait pas si mauvaise si les Indiens n’abusaient de ses vertus pour avoir des révélations sur l’avenir et savoir comment ils sortiront des batailles.

Ils la consomment moulue avec de l’eau, et comme elle est très forte, elle leur donne une ivresse avec accès de folie et avec toutes les visions fantastiques qui leur surviennent avec cette horrible boisson ; ils établissent des présages sur leur destin, s’imaginant que la plante leur révèle les succès futurs. Le pire est que, non seulement les barbares exécutent cette diabolique superstition, mais qu’aussi les Indiens domestiqués conservent cet infernal abus, quoiqu’ils le fassent en cachette ; mais comme il y a peu de secret entre les ivrognes, ceux qui s’y livrent finissent par être découverts et châtiés avec sévérité. »


Le même missionnaire parle encore de l’usage du Peyote à l’époque des naissances et dit (Cap. IV, p. 144) :


« Les parents se réunissent et convient d’autres Indiens pour une horrible solennité que l’on fait au père. On le contraint à prendre un breuvage confectionné avec une racine que l’on nomme Peyote et qui a la propriété non » seulement d’enivrer celui qui la boit, mais aussi de le» rendre insensible en endormant les chairs et en paralysant tout le corps.

Ce breuvage est administré au patient après vingt-quatre heures de jeûne, puis on le place assis sur une ramure de cerf dans un emplacement choisi en plein champ.

Les Indiens viennent avec des os affilés et des dents de différents animaux ; puis, avec de ridicules cérémonies, s’approchant un à un du malheureux patient, chacun lui fait une saignée faisant couler beaucoup de sang ; l’infortuné reste ainsi si maltraité que, de la tète aux pieds, il offre un lamentable spectacle.

D’après l’état du sacrifié, on augure de la valeur qu’aura le nouveau-né.

Chez les Indiens soumis (Indios politicos), il arrive que les pères suspendent au cou des enfants de petits sachets dans lesquels, au lieu des quatre évangiles comme cela se fait en Espagne, ils placent du Peyot ou une autre herbe. Si on leur demande la vertu de cette plante, ils disent sans détour ni honte que c’est un produit merveilleux pour beaucoup de choses, car, avec des sachets, les enfants deviendront de bons torreros, des hommes agiles pour dompter les chevaux et ayant de bonnes mains pour tuer le bétail, de sorte que ceux qui sont élevés avec ce talisman seront aptes dans la vie à toutes les entreprises. »

Le Père Sahagun [Bernardino Sahagun. — Histoire générale des choses de la Nouvelle Espagne, paragraphe 2 du chap. XXIX.] fournit également quelques détails sur le cérémonial auquel donnait lieu, encore au moment de la colonisation espagnole, l’usage rituel du Peyote, et à ce sujet il dit :

« Les Teochichimèques avaient une très grande connaissance des plantes et des racines, de leurs qualités et de leurs vertus ; ils furent les premiers à faire connaître le Peyot, qui entrait dans leur consommation à la place du vin. Après l’avoir absorbé, ils se réunissaient sur un plateau où ils se livraient au chant, à la danse, de jour et de nuit, tout à leur aise, le premier jour surtout, car le lendemain ils pleuraient tous abondamment en disant que les larmes servent à laver les yeux et le visage.

Il ajoute que l’ivresse du Peyote durait trois jours.

Aujourd’hui, l’usage constant ou rituel du Peyote, contre lequel les missionnaires s’étaient efforcés de réagir, a disparu à peu près complètement, du moins des régions où cette plante croît à l’état spontané ; ce fait est dû d’abord à l’extinction des hordes sauvages qui peuplaient cette contrée et ensuite à ce que les indigènes qui leur ont succédé comme occupants de leur territoire, ne paraissent pas avoir su priser l’ivresse et les effets physiologiques de cette plante qui sont souvent pénibles au début.

Néanmoins, en dehors de cette contrée, cette coutume, quoique un peu modifiée, s’est perpétuée jusqu’à nos jours chez les Indiens de la Sierra du Nayarit (Huichols) et ceux de la Sierra Madré de Durango (Tepehuanes et Tarahumares).

Chez ces Indiens vivant retirés dans les sites escarpés, situés en dehors des voies de communications, le Peyote continue à être d’un usage courant dans le cérémonial religieux ; il est considéré comme étant un aliment conférant à ceux qui s’y adonnent, une disposition mentale capable de les mettre en relation directe avec les divinités tutélaires, afin d’en obtenir des révélations.

Comme cette Cactacée sacrée ne croît pas dans les montagnes, on est obligé d’aller chaque année en faire la récolte et un approvisionnement sur les terrains où elle végète spontanément. Pour cela, à la fin d’octobre, peu de temps après que les fêtes de la moisson du maïs ont eu lieu, on organise dans la Sierra du Nayarit une expédition en règle, pour se rendre en troupe au Real de Catorce (État de San Luis Potosi), lieu où, d’après la tradition, les ancêtres des Indiens actuels, sous la conduite de leur chef et législateur Majakuagy, apprirent à connaître le Peyote et ses vertus.

Cette expédition, qui revêt le caractère d’un pèlerinage bien ordonné, a une durée, aller et retour, d’un mois ; elle s’accomplit par étapes suivant un itinéraire et un cérémonial qui est toujours le même et dont le but, outre la récolte, est la commémoration d’un épisode fameux de la découverte du Peyote ; cette pérégrination à travers les plaines désertiques du Chichimecatlali devait se terminer par la prise de possession de ces territoires montagneux que les descendants de ces Indiens occupent encore aujourd’hui.

Une fois la moisson du Peyote effectuée, les adeptes du pèlerinage reviennent à leurs villages respectifs où l’on procède alors à une solennité de retour à laquelle prend part, sans distinction de caste, toute la population. La provision de la précieuse denrée est répartie en deux lots, l’un sert à la consommation immédiate pendant la fête de retour, l’autre est mis en réserve pour les autres fêtes qui auront lieu dans le courant de l’année. Ce dernier lot est conservé avec soin, et pour le préserver contre la dessiccation ou la pourriture, on le plante dans une terre appropriée contenue habituellement dans un vase de poterie auprès duquel, pour plus de sûreté, on dispose les attributs des divinités tutélaires du Peyote, afin que, au dire des Indiens, la provision se maintienne dans toute sa vitalité et ne perde pas ses propriétés surnaturelles.

Les Indiens, lorsqu’ils font la moisson de la plante merveilleuse, ont grand soin de ne pas l’arracher tout entière ; ils en prélèvent seulement la partie supérieure et laissent en terre une grande partie du pivot, ce qui permet au végétal de se reconstituer en émettant de nouveaux bourgeonnements qui assureront les récoltes futures.

Si parmi les tribus indiennes habitant les montagnes, le culte du Peyote s’est assez bien conservé jusqu’à nos jours avec toutes les manifestations rituelles qu’il comportait aux temps des anciens, il n’en est plus de même de son importance ; cette dernière, depuis déjà nombre d’années, tend à diminuer et à disparaître progressivement. C’est ainsi que, pour ne parler que du Nayarit, les Indiens huichols sont maintenant à peu près les seuls à entreprendre l’expédition annuelle de récolte ; les Coras l’ont presque complètement délaissée et c’est tout au plus lorsqu’ils veulent se procurer les effets de l’ivresse particulière au Peyote, s’ils ont recours au produit que leurs voisins leur fournissent par voie d’échange.

De plus, la récolte du Peyote commence à devenir plus difficile et moins abondante sur les endroits où la tradition ramenait chaque année une troupe de moissonneurs ; ceci est dû en grande partie au développement de l’agriculture et à l’affermage des terrains, causes qui ne laissent plus aujourd’hui un libre transit à travers les grandes plaines dont la plante recherchée a fait son habitat.

[...] Selon Georges Hey, les principes actifs des Peyotes se trouvent associés dans la plante avec des matières résineuses et de la saponine ; ils sont au nombre de sept et ont été désignés sous les noms de : Anhalamine, Anhaloïdine, Anhaline, Anhalonine, Lophophorine, Mezcaline, Pellotine.

Les uns sont peu actifs, les autres au contraire sont stimulants à la manière de la strychnine (lophophorine), narcotiques (pellotine), hallucinants (mezcaline) ; c’est à ce dernier que sont dus ces troubles visuels ou phosphènes provoquant ces étranges apparitions brillantes et colorées que l’on a signalées comme étant le phénomène le plus saillant de l’intoxication par le Peyote.

Les six substances retirées des Peyotes paraissent bien dériver les unes des autres et n’être en réalité que des étapes de la transformation des réserves sous l’effet des réactions biochimiques, comme cela est du reste une loi à peu près commune chez la plupart des végétaux contenant une association de principes extractifs.

Leur absence ou leur prédominance sont évidemment fonction de conditions écologiques et doivent alors dépendre non seulement de l’espèce, mais aussi et surtout de la nature du sol où croît la plante, ainsi que de l’époque de sa récolte. C’est ce qui explique pourquoi, parmi les Peyotes que l’on a recueillis pour des recherches chimiques, on a rencontré parfois des spécimens peu ou point actifs.

Instruits probablement de ces faits par une observation et une expérience ancestrale, les Indiens montagnards qui ont encore conservé l’usage rituel de la Cactacée sacrée, n’entreprennent leur expédition annuelle de récolte que sur les terrains avoisinant le Real de Catorce et seulement au mois d’octobre, c’est-à-dire peu après la saison des pluies, moment où le végétal ayant accompli son développement saisonnier, se trouve alors dans la plénitude de ses substances élaborées."

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Jacques Brosse dans La Magie des plantes (Éditions Hachette, 1979) consacre dans sa "Flore magique" un article au Peyotl :


Tous les ans, à la saison des pluies, un groupe de la tribu se met en marche, sous la conduite d'un chamane, pour accomplir le pèlerinage qui, en une trentaine de jours, le conduira à travers les pentes arides des montagnes, puis dans la steppe épineuse, jusqu'à quatre cents kilomètres de son village. Pendant tout le temps du voyage, les pèlerins se soumettent à une dure discipline, jeûnant, observant la chasteté et se remémorant leurs aventures sexuelles qu'ils enregistrent, en faisant des nœuds sur une cordelette, afin de n'en oublier aucune lors de la confession générale et publique, après laquelle la cordelette sera jetée dans la flamme purificatrice.

Plus on approche du but, plus se font sévères les prescriptions rituelles et plus ardentes les incantations. Après avoir été cérémoniellement lavés par le chamane, les pèlerins franchissent, les yeux bandés, le passage dangereux que rien ne distingue pour le profane, mais qui pour eux mène dan l'autre monde. Enfin, une fois qu'ils sont parvenus à 2 000 mètres d'altitude, dans les hautes terres désertiques où croissent de nombreuses espèces de cactées, commence la chasse au « Frère aîné », au dieu-cerf, sous la direction du chamane, seul apte à le dépister.

Tout à coup, il tire une flèche de son arc, donnant ainsi le signal ; bientôt, le dieu-cerf est cerné et mis à mort. Ce meurtre rituel est accompagné des leurs des assistants et des supplications du chamane qui demande au Frère ainé de pardonner à tous cette mort qui n'en est pas une, puisque l'esprit du cerf apaisé, et à qui l'on présente toutes sortes d'offrandes, donne aussitôt naissance à de curieuses cactées gris verdâtre, dont les formes mamelonnées dépassent à peine du sol. On coupe alors ces boutons, en prenant garde de ne pas déterrer leurs racines, afin que le « Grand Frère puisse resurgir de ses ossements », et le chamane les distribue aux participants, comme le prêtre donne la communion. Puis chacun fait provision de peyotl, le récoltant avec soin, lui parlant tendrement et s'excusant de l'arracher à sa demeure. Il ne faut d'ailleurs prélever que juste le nécessaire, sans quoi l'année suivante, les pèlerins reviendraient les mains vides.

De retour au campement, commence autour des braseros la célébration d’une fête d'autant plus surprenante après une telle errance, un aussi long jeûne et si peu d'heures de sommeil dans la nuit glacée des hauts plateaux. Tous cependant, après avoir consommé du peyotl, cette fois en grande quantité, semblent animés d'une énergie sans limite ; ils chantent, jouent de divers instruments et dansent durant toute la nuit dans une sorte d'exaltation euphorique. Certains entrent en transe pendant plusieurs heures, voyageant hors de leur corps et rencontrant alors les dieux. Ceux-là, après quelques expériences de même genre, deviendront à leur tour chamanes, aptes désormais à servir aux autres de guides et de médiateurs. le voyage de retour a lieu dans es mêmes conditions qu'à l'aller. le jeûne continue, les énergies n'étant soutenues que par l'absorption du précieux cactus.

C'est seulement au retour du pèlerinage qu'a lieu la grande fête du peyotl à laquelle participent tous les habitants du village. Pendant près de trois jours se succèdent actions de grâces et danses sacrées. Tous sont en proie à l'ivresse rituelle qui permet de transcender l'humaine condition. On consomme alors la viande des cerfs qui ont été tués par les pèlerins sur la voie du retour, mets dont on s'abstient dans la vie courante, car il s'agit de la chair d'un dieu. C'est alors que sont prises toutes les décisions collectives pour l'année suivante, car les Huichols libérés, purifiés devant les dieux et en communion avec eux, sont des hommes nouveaux, dignes de recevoir leurs faveurs.

Ce rituel complexe, qui remonte aux anciennes civilisations précolombiennes demeurés pour nous si mystérieuses, est perpétué actuellement par les Indiens Huichols de la Sierra Madre, au nord-ouest du Mexique, restés à l'écart des courants civilisateurs et convertisseurs, grâce au caractère inaccessible de la région qu'ils habitent. Ce culte du peyotl est de beaucoup antérieur à la conquête du Mexique par Cortès, il fut très probablement pratiqué bien avant l'ère chrétienne.

Chose curieuse, alors qu'il n’était plus qu'une survivance, le culte du peyotl a reconquis récemment un très vaste territoire. Vers le milieu du XIXe siècle, il s'est répandu chez les Indiens de l'Amérique du Nord, gagnant jusqu'au Seskatchewan au nord, mais sous une forme bizarrement christianisée, l'ingestion du peyotl remplaçant l'hostie. Cette Église proprement indienne fit, bien entendu, scandale parmi les chrétiens. Sous la pressions des missionnaires, le gouvernement des États-Unis s'efforça de lutter contre elle. Mais rien n'y fit. La « Native Church of America », qui prohibe l'alcool et met en pratique une morale particulièrement élevée, compte aujourd'hui 250 000 fidèles.

Le culte du peyotl, tel du moins qu'il est pratiqué par les Huichols, permet aux hypercivilisés occidentaux que nous sommes de retrouver les traces d'une mentalité cosmique archaïque, qui pour nous ne peut guère se situer que dans l'obscurité des millénaires et de l'oubli, mais qui cependant vit peut-être encore dans quelque coin retiré de notre inconscient.

Alors, l'homme ne se croyait pas encore le maître tout-puissant de la terre. Il savait qu'il existait un ordre suprahumain, il l'admirait et s'y conformait. Vivant parmi les vivants, il devait respecter toute vie et, s'il lui arrivait d'en détruire pour survivre, il lui fallait se faire pardonner. mais d'un autre côté, il avait conservé ans le pouvoir de communiquer avec les animaux, avec les plantes, comme ceux-ci communiquaient entre eux, échangeant même parfois leur identité. Si le cerf et le peyotl, par exemple, sont un seul et même être pour les Huichols, c'est qu'il s'agit dans les deux cas d'un dieu qui se sacrifie, qui offre son corps en pâture aux hommes. Le cerf est la nourriture des temps anciens, où l'homme était chasseur ; avec la révélation divine de l'agriculture, le cerf est devenu le maïs que l'on cultive et qui nourrit le corps, mais il est aussi le peyotl demeuré sauvage qui est l'aliment de l'âme. Finalement, il est donc possible dans certaines conditions de communier, de communiquer aussi avec les dieux et les ancêtres divinisés, dont nous tenons tous nos biens, à commencer par notre propre existence.

Le véhicule de cette communication avec l'invisible était la « chair des dieux », ces plantes sacrées qui ravissaient l'homme en extase, le faisaient sortir de lui-même pour rencontrer les dieux. Aussi leur cueillette, leur ingestion devaient-elles s'accompagner de tout un rituel dont les ethnologues contemporains ont tenté de saisir le sens profond. Si les Huichols, partant pour le pèlerinage, se remémorent avec tant de soin toute leur vie sexuelle et s'en purifient par le feu, ce n'est pas qu'ils en éprouvent de la culpabilité, mais bien parce qu'ils doivent redevenir semblables à des enfants s'ils veulent pénétrer dans le Royaume, retrouver leur état originel de « fils du soleil », car les enfants sont d'abord des esprits avant de pénétrer dans le sein maternel et de s'y revêtir de chair. Ce retour à l'origine est donc une seconde naissance, à laquelle correspond la restauration de l'univers dans sa pureté première.

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Le site https://nativedelicatessen.wordpress.com/tag/peyote/ propose un article intéressant pour une première approche historique du peyotl, basé sur le livre de Richard Evans Schultes et Albert Hoffman : Plants of the God. Their Sacred, Healing and Hallucinogenic Powers (Vermont, 1992) :


"Comme beaucoup de groupes amérindiens indigènes, les Huichols utilisent le peyotl à des fins médicinales mais aussi pour obtenir des visions spirituelles lors de leurs rituels religieux. L’art huichol est un art sacré. Solennel et tourné vers la religion, il se manifeste traditionnellement par des peintures, des statues et tableaux travaillés avec des perles, ou des fils de laine utilisés comme offrandes aux Dieux. Assemblant de nombreuses images, tantôt géométriques et abstraites, tantôt figuratives (notamment avec des animaux), la créativité débridée des Huichols se nourrit d’hallucinations inspirées par ce qu’ils observent sous l’influence de ce cactus « magique » qu’est le peyotl. Un chroniqueur espagnol de la conquête, Fray Bernardino de Sahagún, a estimé sur la base de plusieurs événements historiques enregistrés dans la chronologie indienne que le peyotl était connu des Chichimecas et Toltèques depuis au moins 1890 années avant l’arrivée des Européens. Ce calcul donnerait à la « plante divine » une histoire économique qui s’étend sur une période d’environ deux millénaires. Carl Lumholtz, l’ethnologue danois, a fait un travail de pionnier parmi les Indiens de Chihuahua et a suggéré que le culte du peyotl est beaucoup plus ancien que cela. Il a montré que le symbole utilisé dans la cérémonie Tarahumara que le peyotl est apparu dans les anciennes sculptures rituelles conservés dans les roches de lave méso-américaines. Plus récemment, des découvertes archéologiques dans les grottes sèches et abris sous roche du Texas ont révélé des échantillons de peyotl. Ces spécimens, trouvés dans un contexte suggérant usage cérémoniel, indiquent que son utilisation est vieux de plus de trois mille ans.

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Eliot Cowan, auteur de Soigner avec l'Esprit des Plantes, Une voie de guérison spirituelle (Édition originale 2014 ; traduction française Éditions Guy Trédaniel, 2019) raconte plusieurs histoires de guérison dont il a fait l'expérience à partir du moment où il est entré sur la voie de la Guérison avec l'Esprit des plantes et nous donne de précieux conseils pour y marcher également :


"Les esprits des plantes font partie d'une toile vivante tissée d'amour et de respect, donnant et recevant. Les humains aussi en font partie. Lorsque nous déchirons la toile, un messager arrive en ville avec une valise pleine de choses conçues pour vérifier que nous prenons le message à cœur. Sur la valise, il y a marqué "malheurs".

"Pour le bien de toute la création, réparez la toile, dit le messager. Revenez vers ce qui entretient votre vie, ainsi que celle des autres et de toutes les choses : l'amour et le respect, donner et recevoir."

Il faudrait se souvenir de cette histoire dans toute interaction avec les plantes. Si vous souhaitez entrer en relation avec l'une des grandes plantes sacrées enseignantes, le peyotl, l'ayahuasca, ou certains champignons, il faudrait même vous souvenir de cette histoire comme si votre vie en dépendait. Le pouvoir de ces plantes va bien au-delà de tout ce que l'on peut imaginer, et vous n'avez sûrement pas envie de voir leur messager arriver avec sa valise.

Certains diront : "Je suis plein de bonnes intentions, et je suis respectueux, il n'y aura donc aucun problème pour moi." C'est tout à fait naïf. Parfois les relations naïves fonctionnent, mais parfois non. Si nous voulons recevoir la bénédiction de la connaissance, de la sagesse, ou de la guérison, que devons-nous donner en échange ? Comment devons-nous manifester notre respect ? Ce n'est pas à nous de le dire. C'est à l'esprit de la plante d'en décider.

[...] Certains peuples ont reçu des plantes sacrées enseignantes en guise d'aide-mémoire - de portes d'accès vers les espaces sacrés de la connaissance, de la sagesse et de la guérison. Certaines de ces plantes, comme le peyotl, doivent être ingérées, d'autres non, comme le Wind Tree. Mais aucune d'entre elles n'a été apportée partout, parce que, comme nous l'avons vu, chaque peuple est différent. Les Inuits et les Amazoniens, les Aborigènes et les Celtes, les Zoulous et les Mongols ont tous des besoins différentes. Leurs âmes sont faites de la matière ancestrale de territoires différents. Les manières de se souvenir de leur appartenance à la totalité sont différentes pour chacun. Ainsi les plantes sacrées enseignantes ne sont-elles pas pour tout le monde.

Dans l'ancien temps, il était facile de savoir qui pouvait bénéficier de telle ou telle plante sacrée. Si, par exemple, vous apparteniez à un groupe qui avait vécu d'innombrables cycles de vies et de morts là où pousse l'ayahuasca, alors l'ayahuasca et vous étiez faits l'un pour l'autre. Si vous étiez d'une autre région, l'ayahuasca n'était pas pour vous.

Maintenant, il est plus difficile de savoir si quelque chose est, ou non, pour vous. La disparition des rites funéraires appropriés a fait que beaucoup d'âmes errent après la mort, et vagabondent dans des espaces ancestraux qui leur sont étrangers, ce qui fait que les réservoirs d'énergie ancestrale sont devenus très mélangés. Et, comme l'âme humaine est construite à partir de l'énergie ancestrale, nos âmes sont devenues elles-mêmes bâtardes. Pour le dire autrement, notre généalogie et notre lieu de naissance ne sont plus des indicateurs fiables de ce dont est faite notre âme. [...]

Lorsque vous envisagez de travailler avec l'une des plante sacrées enseignantes, vous demandez-vous si la plante vous considère comme quelqu'un de son peuple - le peuple qu'elle est venue au monde pour aider ?

[...]

Dans la tradition huichol, voilà ce qu'il faut faire si l'on veut devenir un guide pour le peyotl : d'abord cinq ans d'apprentissage éprouvant sous la supervision d'un chaman rusé et impitoyable. Puis un dangereux rituel d'initiation. Si le candidat réussit cette initiation, il devient lui-même chaman et doit passer le reste de sa vie au service de sa communauté. Mais, à ce moment-là, il n'est pas encore prêt à guider d'autres personnes. Il doit encore travailler cinq ans comme chaman. S'il est considéré comme un guérisseur efficace au service du bien-être de son peuple, il peut solliciter une deuxième initiation, encore plus dangereuse que le première. Après avoir passé cette épreuve, il peut se présenter à une troisième initiation pour devenir guide pour le peyotl. Dans cette initiation finale, les ancêtres, les dieux, et le peyotl lui-même, déclarent enfin le chaman apte à guider ceux qui voudraient demander de l'aide à cette plante enseignante.

[...]

Quand les Huichols, le peuple du peyotl, souhaitent demander à cette plante sacrée une faveur particulière, ils font très attention à l'organisation du rituel. Tout d'abord le guide humain décide d'une date pour un pèlerinage sur les lieux de naissance de leurs traditions. Il y a une préparation d'un mois où l'on s'abstient de sexe, de sel et de baignades. Un cerf est chassé et abattu avec les prières et le respect adéquats. Un taureau est également acheté et sacrifié. Des offrandes spéciales sont fabriquées, et on prie sur elles avec amour et dévotion ; elles seront laissées par la suite sur le site sacré. Le voyage du village huichol jusqu'au lieu de naissance est long - il y a quelques années, il fallait marcher pendant un mois. Aujourd'hui, des bus et des camions peuvent être loués, mais leur coût est si élevé que parfois le voyage doit être ajourné par manque de fonds. Le long du chemin, il y a toutes sortes de protocoles à respecter, qui culminent lors de l'entrée dans le territoire sacré avec un rite de purification particulier qui rend les pèlerins à jeun aussi innocents que de jeunes enfants. Il y des moments où il faut bouger et des moments où il faut rester immobile, des moments pour parler et des moments pour rester silencieux. Un feu est préparé, consacré, et entretenu avec amour. Un autel est construit, décoré avec des offrandes, et oint avec le sang du cerf et du taureau. On adresse des prières à la plante guérisseuse sacrée, on part à sa recherche, on la trouve, on lui adresse encore d'autres prières, elle est bénie par le chaman, et finalement consommée. Les prières, les offrandes, la préparation de l'autel, tout est fait en observant de façon bienveillante et scrupuleuse les instructions données aux Ancêtres au début des temps. Les pèlerins veillent ensuite toute la nuit. A l'aube, ils chantent les prières traditionnelles de gratitude, et commencent leur long voyage de retour au village.

[...] Si vous pensez que les plantes sacrées enseignantes n'ont aucun intérêt dans le monde actuel dit "réel" méditez ceci : il y a quelques années, je conversais avec une connaissance huichol. C'était un homme prospère selon les standards huichols, et qui accomplissait un mandat bénévole au service de sa communauté, comme gouverneur traditionnel de sa région. Il parlait un espagnol excellent et était cultivé. Pour faire la conversation, je lui ai demandé s'il était allé dans une école locale de la mission catholique, là où d'autres personnes de sa génération avaient appris l'espagnol.

"Non, dit-il. Je n'ai jamais été à l'école. Je ne sais ni lire ni écrire."

Surpris, je lui ai demandé : "Mais alors, comment avez-vous appris à parler si bien l'espagnol ?

- Je l'ai appris de la même façon que mon grand-père, un grand chaman qui a vécu jusqu'à 110 ans. Il l'a appris à l'âge de 80 ans.

- Et comment votre grand-père l'a-t-il appris ?

- Le peyotl le lui a appris."

*

*

Aymon de Lestrange, dans un article intitulé "De l'usage de quelques plantes hallucinogènes, chez les voyageurs, les écrivains, les artistes et les médecins" (« Addictions : drogue, création, conscience augmentée » , n° spécial de la revue Inter : art actuel (Québec), n°123, mai 2016, pp. 43-47) fait le point sur ce cactus :

Le peyotl est le nom nahuatl (signifiant brillant, soyeux ou encore, selon les sources, qui stimule) d’un petit cactus sans épines de 4 à 12 cm de diamètre et de 5 à 10 cm de hauteur. Le premier à le décrire scientifiquement est, en 1845, le botaniste français Charles Antoine Lemaire qui lui donnera le nom de Echinocactus williamsii. Il sera dénommé en 1888 Anhalonium lewinii avant de recevoir en 1894 son nom définitif de Lophophora williamsii, par le botaniste américain John Merle Coulter. Il pousse dans la partie nord et centrale du Mexique et au Texas. C’est le plus connu des cactus hallucinogènes. Une quarantaine d’autres espèces de cactus originaires d'Amérique centrale ou du Sud possèdent également des propriétés hallucinogènes, dont le Trichocereus pachanoi (San Pedro) qui pousse dans les Andes péruviennes essentiellement et est utilisé rituellement au cours de cérémonies chamaniques depuis 2000 ans.

En 2005, lors de fouilles dans le Rio Grande, au Texas, on a trouvé des restes de peyotl datant de 3700 avant J.C. indiquant son usage psychotrope à l’époque préhistorique au sein des populations Mésoaméricaines et Amérindiennes d’Amérique du Nord.

Lors de fouilles au Mexique, des poteries représentant des peyotls, de la culture Colima (200 avant J.C.-300 après J.C.), ont été découvertes dans les états de Nayarit, Jalisco et Colima, ainsi que des poteries de la culture zapotèque (300 avant J.C) à Monte Albán dans l'état d'Oaxaca.

Le médecin espagnol Juan de Cardenas (1563-1609) est le premier Occidental à en révéler l’existence dans son ouvrage Problemas y secretos maravillosos de Indias, publié en 1591 au Mexique. Il écrit qu’il permet aux Indiens de « connaître les choses à venir, ce qui est la marque de la ruse de Satan… »

Le médecin et botaniste espagnol Francisco Hernandez (1515-1587), dans son ouvrage De historia plantarum Novae Hispaniae publié posthumément en 1790, en fait la première description botanique.

Dans sa monumentale Histoire générale des choses de la nouvelle-Espagne, achevée en 1577, mais qui ne sera publiée qu’en 1829, à partir du codex de Florence, le frère franciscain Bernardino de Sahagún (1499-1590) déclare en parlant du peyotl :

« Ceux qui la mangent ou boivent voient des choses effrayantes ou risibles. Cette ivresse dure deux ou trois jours et disparaît ensuite. Cette plante entre dans la consommation habituelle des Chichimèques. Elle les soutient et leur donne du courage pour le combat en les mettant à l’abri de la peur, de la soif et de la faim. On croit même qu’elle les préserve de tout danger. »


Un édit religieux en 1620 interdit l’usage du peyotl comme contraire à la « pureté et la sincérité » de la foi catholique, et punit d’excommunication ceux qui s’y adonnent. Son usage se poursuivra néanmoins de façon plus ou moins clandestine jusqu’à nos jours.


Les psychonautes : les premiers utilisateurs occidentaux


a) les médecins

Le premier récit d’ingestion volontaire de peyotl et de ses effets date d’avril 1887. Il est dû à un médecin de Dallas, John R. Briggs qui raconte son expérience dans un article du Medical Register. (5) Cette même année, il envoie plusieurs exemplaires de peyotl aux laboratoires Parke Davis qui en fournira au pharmacologue allemand Louis Lewin, qui publie en 1888 la première étude scientifique sur la chimie du peyotl.

Mais c’est entre 1894 et 1897 que l’alcaloïde psychoactif principal du peyotl, parmi la cinquantaine existant dans le cactus, de la classe des phényléthylamines, sera identifié et isolé par le chimiste allemand Arthur Heffter qui le testera sur lui-même au fur et à mesure des différentes étapes. Il lui donnera le nom de mescaline. Elle sera synthétisée en 1919 par le chimiste autrichien Ernst Späth. Sa structure chimique est proche de celle de l’adrénaline.

Elle sera commercialisée sous la forme de sulfate de mescaline par le laboratoire Merck puis entre les deux guerres, de chlorhydrate de mescaline par le laboratoire Roche jusqu’à son interdiction en 1970.

L’article de Briggs passe inaperçu, ce qui n’est pas le cas de celui du médecin et écrivain S. Weir Mitchell, le père de la neurologie américaine. Le récit de son ingestion de peyotl paraît dans le British Medical Journal de décembre 1896. Mitchell est le premier à décrire précisément les effets visuels associés au peyotl. Il en fournira à la même époque au grand psychologue et philosophe américain William James. Cela eut pour seul effet de rendre malade ce dernier pendant 24 heures.

Le récit de Mitchell sera lu par le médecin et psychologue britannique Havelock Ellis, l'un des fondateurs de la sexologie. Début 1897, il obtient du peyotl d’une firme pharmaceutique londonienne. Ellis publiera cette année-là et les suivantes trois articles décrivant avec un grand luxe de détails ses expériences du peyotl. Il compare ses visions à des tableaux de Monet, et dans un de ses articles, intitulé “Mezcal : A New Artificial Paradise”, il estime que « chaque homme éduqué devrait consacrer au peyotl une après-midi au moins une ou deux fois dans sa vie ».


b) les écrivains et les artistes

Le mage anglais Aleister Crowley prit du peyotl tout au long de sa vie, tout d’abord vraisemblablement lors d’un voyage au Mexique en 1900, puis à Londres à partir de 1907. Lors de performances publiques dans un théâtre de Londres en octobre et novembre 1910 de son rituel Les Rites d’Eleusis, il distribuait aux participants, une boisson à base de décoction de peyotl. (10) En 1915 lors d’un séjour à Détroit, il se procure auprès des laboratoires Parke-Davis une quantité substantielle de peyotl. A Londres, puis à New York durant la Première Guerre mondiale, il donnait des « peyotl-parties ». A l’une d’elles, en 1913 il fournit du peyotl à la poétesse britannique Katherine Mansfield puis en 1917 au romancier américain Theodore Dreiser. Il l’utilisera régulièrement dans ses opérations de magie cérémonielle.

Stanisław Ignacy Witkiewicz (dit aussi Witkacy) dramaturge, peintre, et romancier polonais découvre en 1928 le peyotl qu’il qualifie de drogue métaphysique. Il l’utilisera, ainsi que la mescaline, pendant trois ans pour réaliser d’extraordinaires portraits hallucinés de clients fortunés. Il décrit ses étonnantes visions sous peyotl de façon très détaillée dans son ouvrage Les Narcotiques publié en 1932. Il estime que le peyotl est un narcotique :


« Absolument inoffensif quand on en use de façon sporadique et qui, outre des images visuelles inouïes, procure l’accès aux régions cachées du psychisme ; enfin, il inspire un tel dégoût envers n’importe quel autre narcotique et surtout l’alcool, qu’en raison de la presque absolue impossibilité d’accoutumance on devrait l’employer dans tous les sanatoriums où l’on soigne toute espèce d’intoxication par les narcotiques. »


Le 22 mai 1934, le philosophe et critique allemand Walter Benjamin s’injecte 20 mg de mescaline. Il manifeste une « incroyable sensibilité aux excitations acoustiques et optiques » et réalise trois dessins composés de mots éparpillés sur la page.

L’écrivain allemand Ernst Jünger expérimente la mescaline en janvier 1950 sous le contrôle médical d’un psychiatre dans la maison de son éditeur à Stuttgart. Les participants prennent à trois reprises des doses de plus en plus fortes. Jünger note un puissant afflux d’images et des altérations de la vue et de l’ouïe :


« Le voyage atteint une frontière où l’air accumulé se déchire, comme un amoncellement – et dès ce moment, le véhicule progresse à l’intérieur d’une phase nouvelle : le vol supersonique. C’est comme je l’ai dit, une image grossière, tirée du monde de la physique titanesque, mais elle caractérise cette fringale insatiable et ce goût de l’escalade. A la suite d’une impulsion formidable, la pesanteur est abolie, comme le son. Aux points critiques, ceux aussi de la thermodynamique, il n’y a plus de surenchère, mais des surprises. On peut supposer la présence d’un tel point là où le temps touche l’éternité »


Il renouvellera par la suite deux fois l’expérience accompagné, et une fois seul.

L’écrivain anglais Aldous Huxley, en mai 1953, lors de son séjour en Californie prend 400 mg de mescaline dissoute dans un verre d’eau, sous la direction du psychiatre Humphry Osmond, connu pour avoir inventé le néologisme « psychédélique » . Expérience qu’il renouvellera trois fois les deux années suivantes. Il raconte son expérience dans son célèbre ouvrage Les Portes de la perception paru en 1954. L’acuité et la profondeur du récit de ses expériences et visions psychédéliques et des réflexions et méditations qu’elles engendrent, feront de ce livre et du suivant, Le Ciel et l’enfer, paru deux ans après, des classiques de la contre-culture :


« [Le] bouquet de fleurs brillant de leur propre lumière intérieure, et quasi frémissantes sous la pression de la signification dont elles étaient chargées […] Les livres […] comme les fleurs ils luisaient […] de couleurs plus vives, d’une signification plus profonde. Des livres rouges, semblables à des rubis ; des livres émeraudes ; des livres reliés en jade blanc ; des livres d’agate, […] dont la couleur était si intense, si intrinsèquement pleine de sens, qu’ils semblaient être sur le point de quitter les rayons pour s’imposer avec plus d’insistance encore à mon attention […] Je voyais les livres, mais je ne me préoccupais nullement de leurs positions dans l’espace. Ce que je remarquais, ce qui s’imposait à mon esprit, c’est qu’ils luisaient tous d’une lumière vivante, et que, chez certains, la splendeur était plus manifeste que chez d’autres […] L’espace était toujours là ; mais il avait perdu sa prédominance. Mon expérience effective avait été, et était encore, celle d’une durée infinie, ou bien celle d’un perpétuel présent constitué par une révélation unique et continuellement changeante. »

Les écrivains de la Beat Generation allaient expérimenter les visions induites par le peyotl et la mescaline. Jack Kerouac et William Burroughs prendront du peyotl à Mexico au printemps 1952. Burroughs, qui vivait au Mexique à cette époque, raconte son expérience dans Junkie paru en 1953. Pour lui :


« L’effet du peyotl ressemble à celui de la benzédrine : il empêche de dormir et dilate les pupilles. Tous les objets prennent la forme de boutons de peyotl. »


En octobre 1959 Burroughs, alors à Paris, prend de la mescaline que lui a envoyée Allen Ginsberg, par la poste. Il renouvellera l’expérience les 2 années suivantes. Kerouac prend de la mescaline également en octobre 1959, dans sa maison de Northport, à une heure de New York.

Ginsberg quant à lui a pris du peyotl pour la première fois à San Francisco en octobre 1954. Son célèbre poème Howl, publié en 1956 est inspiré par son expérience. Il prend également de la mescaline quelque temps après et lui consacre un poème dans son recueil Kaddish publié en 1961.


En France :

Le premier français à s’intéresser au peyotl est le biologiste-explorateur Léon Diguet qui vécut 9 mois chez les Huichols au Mexique en 1895, où il assiste aux rituels du peyotl qu’il photographie et qu’il décrira dans plusieurs articles. Il y retournera à 2 reprises en 1898 et en 1905.

En 1910, le grand poète Apollinaire entend parler du peyotl et l’évoque ainsi dans un de ses échos :


«... Les visions que donne le mescal sont très particulières : les objets paraissent plus grands qu’ils ne sont en réalité ; leur aspect devient brillant, ils semblent surchargés de pierres précieuses ; on aperçoit des champs de bijoux, des pluies d’or, parfois 7 surgissent toutes les nuances d’une même couleur en une succession rapide. L’air ambiant s’imprègne de parfums exquis. On entend des chants harmonieux. Attendons-nous à voir ce rival du haschich et de l’opium faire bientôt son apparition en Europe. On dit même qu’un poète, retour d’Amérique et qui habite Versailles, aurait rapporté une certaine quantité de mescal et que des expériences auraient déjà eu lieu dans la ville du Roi-Soleil. »

Le pharmacologue Alexandre Rouhier soutiendra en 1926 sa thèse de pharmacie, publiée l’année suivante sous le titre de La Plante qui fait les yeux émerveillés : le peyotl. Il s’agit de la toute première monographie substantielle toutes langues confondues sur la plante sacrée, faisant encore autorité de nos jours. Il commercialisera peu après le Panpeyotl, un extrait mou de peyotl, sous forme de pilules.

En février 1935 Jean-Paul Sartre reçoit, espacées d’une heure, deux injections de 30 cg de mescaline par le Dr Daniel Lagache, à Sainte-Anne, pour ses recherches pour son essai L'Imagination, qui paraîtra l’année suivante, puis sous une forme remaniée en 1940 :


« J'ai pu constater, à l'occasion d'une piqûre à la mescaline que je m'étais fait administrer, un bref phénomène hallucinatoire. Il présentait, précisément, ce caractère latéral : quelqu'un chantait dans une pièce voisine et, comme je tendais l'oreille pour entendre – cessant entièrement, par là même, de regarder devant moi – trois petits nuages parallèles apparurent devant moi. Ce phénomène disparut naturellement dès que je cherchai à le saisir. Il n'était pas compatible avec la pleine et claire conscience visuelle. Il ne pouvait exister qu'à la dérobée et d'ailleurs il se donnait comme tel ; il y avait dans la façon dont ces petites brumes se livraient à mon souvenir, sitôt après avoir disparu, quelque chose à la fois d'inconsistant et de mystérieux, qui ne faisait, à ce qu’il me semble, que traduire l’existence de ces spontanéités libérées sur les bords de la conscience »


Les hallucinations qu’il expérimente inspireront celles de Roquentin dans La Nausée. Sartre fait une dépression en partie provoquée semble-t-il par cette prise de mescaline et qui dura plusieurs mois. Simone de Beauvoir évoque cet épisode, d’une manière un peu différente de celle de Sartre, dans La force de l’âge :


« Sartre me dit d’une voix brouillée que mon appel l’arrachait à un combat contre des pieuvres où certainement il n’aurait pas le dessus […] Il n’avait pas eu d’hallucinations ; mais les objets qu’il percevait se déformaient d’une manière affreuse : il avait vu des parapluies-vautours, des souliers-squelettes, de monstrueux visages ; et sur ses côtés, par derrière, grouillaient des crabes, des poulpes, des choses grimaçantes. »


Cette expérience de Sartre retiendra l’attention de Merleau-Ponty, qui sans avoir expérimenté la mescaline, écrira en 1945 dans sa Phénoménologie de la perception que :

« L'intoxication par la mescaline, parce qu'elle compromet l'attitude impartiale et livre le sujet à sa vitalité, devra donc favoriser les synesthésies. En fait, sous mescaline, un son de flûte donne une couleur bleu vert, le bruit d'un métronome se traduit dans l'obscurité par des taches grises, les intervalles spatiaux de la vision correspondant aux intervalles temporels des sons, la grandeur de la tache grise à l'intensité du son, sa hauteur dans l'espace à la hauteur du son. »


Antonin Artaud voyage au Mexique en 1936 où il assiste en septembre chez les Indiens Tarahumaras au rituel du peyotl qu’il sera autorisé à consommer. Il publiera sur ce rituel deux articles en 1937 qu’il reprendra et complètera dans un petit ouvrage paru en 1945 D'un voyage au pays des Tarahumaras. Un dernier article paraîtra en 1947. Artaud ne donne aucuns détails sur ce qu’il a ressenti après l’ingestion du cactus, si ce n’est qu’il s’est endormi rapidement. Il décrira en revanche minutieusement les danses, le rituel et son sens initiatique :


« Prendre ses rêves pour des réalités voilà – ce dans quoi le Peyotl ne vous laissera jamais sombrer – où confondre des perceptions empruntées aux bas-fonds fuyants, incultes, pas encore mûrs, pas encore levés de l'inconscient hallucinatoire avec les images, les émotions du vrai. Car il y a dans la conscience le Merveilleux avec lequel outrepasser les choses. Et le Peyotl nous dit où il est et à la suite de quelles concrétions insolites d'un souffle ataviquement refoulé et obturé le Fantastique peut se former et renouveler dans la conscience ses phosphorescences, son poudroiement... »


Henri Michaux fait sa première expérience mescalinienne chez lui, le 2 janvier 1955 avec la poétesse suisse Edith Boissonnas et Jean Paulhan qui a obtenu des ampoules de 0,1 gr de mescaline du neuropsychiatre Julian de Ajuriaguerra. Ils en prennent une chacun. Ils renouvelleront l’expérience le lendemain puis la semaine suivante. Paulhan participera à deux de ces trois séances chez Michaux. Dans un rapport que Paulhan fait de cette expérience, en février 1955, il décrit ainsi ses visions :


« Quel que fût l’objet que je regardais – tableau, statuette de bois ou même livre – il me paraissait pris soudain d’une grande agitation intérieure : grande et cependant régulière : en ce sens qu’il commençait à s’avancer vers moi ou se reculait au contraire par une suite d’élans ou de vagues […] Dans le même temps tout ce qui entourait l’objet dont j’avais fait choix […] me paraissait, si peu que je le visse, atteint d’une sorte de ruine soit en train de se fendre et se craqueler, sur le point de tomber en morceaux, soit brusquement enflammé et perdant dans les flammes ses lignes et ses traits distinctifs […] C’était par-dessus tout la joie de comprendre. Il me semblait avoir trouvé un principe d’explication universel, d’où découlât l’immense variété des événements du monde. »

Paulhan malgré une expérience « à tout prendre agréable et curieuse » déclare ne pas éprouver le désir de la renouveler, car il lui semble qu’elle « ne m’apprendra rien de nouveau » étant porté « par nature, à vivre de mon propre fonds et me contenter de mes idées ».

Michaux, quant à lui, raconte ses premières expériences dans son livre Misérable miracle paru début 1956. Suivront l’année suivante L’Infini turbulent puis Paix dans les brisements (1959), Connaissance par les gouffres (1961) et Les Grandes épreuves de l’esprit en 1966. Les trois premiers titres seront illustrés de dessins à l’encre de chine. Michaux en effet réalise de 1955 à 1960 des centaines d’écritures et de dessins mescaliniens qu’il réalise quelques fois pendant les prises, le plus souvent après. Michaux manifestera un sentiment d’ambivalence dans ses écrits sur ses expériences mescaliniennes. Il juge la mescaline « pas fiable, pas maniable », peut-être était-ce dû à une erreur de dosage qu’il fit lors de sa quatrième prise en juin 1955 où il prit le « sextuple de la dose suffisante pour moi », c’est à dire 0,6 gramme. Le misérable miracle se transformera alors en « effroyable miracle ». Pour lui la mescaline :


« Diminue l’imagination. Elle châtre l’imagination, la désensualise. Elle fait des images cent pour cent pures. Elle fait du laboratoire. […] Aussi est-elle l’ennemie de la poésie, de la méditation, et surtout du mystère. […] La Mescaline est un trouble de la composition […] Liée au verbal, elle rédige par énumération. Liée à l’espace et à la figuration, elle dessine par répétition. Et par symétrie. »


Il se dit déçu par le clinquant des hallucinations qu’il qualifie de « sotte imagerie », de « verroterie ». Mais en même temps la mescaline exerce sur lui une véritable fascination par ses effets sur la pensée qu’elle accélère et fragmente. Cela ne l’empêchera pas, en effet, de prendre de la mescaline une vingtaine de fois, jusqu’en 1960 et de lire toute la littérature scientifique sur la question. En juillet 1958, par l’intermédiaire de Jean-Jacques Lebel il rencontrera les principaux écrivains de la Beat Generation, dont Ginsberg et Burroughs qui résidaient alors à Paris au « Beat Hotel » rue Gît-le-Cœur. Ils débattront de littérature et des effets de la mescaline sur le psychisme.


Recherches thérapeutiques

La recherche médicale allait s’intéresser à cette nouvelle molécule. Dès 1913, les neurobiologistes newyorkais Alwyn Knauer et William Maloney, chercheurs à la Kräpelin Clinic à Munich publiaient un rapport dans le Journal of Nervous and Mental Disease sur les effets de la mescaline qu’ils injectent à des doses allant jusqu’à 200 mg, à dix volontaires.

Parmi les principaux travaux de l'entre-deux-guerres, citons ceux du psychiatre et neurologue allemand Kurt Beringer qui publie en 1927 un ouvrage Der Meskalinrausch où il présente les effets de la mescaline injectée à des doses pouvant aller jusqu’à 600 mg à 32 patients lors de 60 sessions. Le docteur Raymond Briau, en 1928, consacre sa thèse au rôle du peyotl pour soigner les états anxieux.

Le neurologue roumain Georges Marinesco publie en 1933 le protocole de deux peintres à qui il injecte, en plusieurs fois, respectivement 33 et 50 cg de mescaline.

Les psychiatres français Henri Claude & Henri Ey décrivent, dans un article publié en 1934, le potentiel thérapeutique de la mescaline pour le traitement de la dépression.

En 1936 le psychiatre italien Giovanni Enrico Morselli ingère 0,75 gr de mescaline pour tenter de comprendre les mécanismes de la schizophrénie. Le récit de son expérience intéressera vivement Michaux. « La remarquable expérience qu'a faite sur lui-même le Dr Morselli […] où, ayant pris 0,75 gr. de mescaline, il subit si fort l'assaut des impulsions perverses qu'il dut se réfugier en clinique…»

Pendant la Seconde Guerre mondiale, à Dachau, des médecins injectent de la mescaline à trente prisonniers pour examiner l'utilité de cette molécule dans la conduite des interrogatoires.

Après la seconde guerre mondiale les travaux sur la mescaline vont se poursuivre.

Le psychiatre et neurologue Jean Delay, titulaire de la chaire de la clinique des maladies mentales à Sainte-Anne cosignera de 1948 à 1956 sept articles sur l’action de la mescaline. Selon lui, elle provoque une dissociation de la personnalité qui ressemble à celle que l’on rencontre dans la schizophrénie.

En 1952 le psychiatre anglais Humphry Osmond administre de la mescaline à ses patients du Weyburn Mental Hospital dans la province du Saskatchewan (Canada) et note les similarités entre les molécules d’adrénaline et de mescaline, lui permettant de comprendre les mécanismes de la schizophrénie.

En 1955 le psychiatre américain Louis Berlin et les italiens Giuseppe Tonini et Corrado Montanari font chacun de leur côté des expérimentations en administrant de la mescaline à des artistes.

La même année Marie-Thérèse Wilhelm soutient sa thèse de médecine sur l’Intérêt de l'épreuve mescalinique dans les maladies mentales. Michaux citera son travail et ira assister à ses consultations psychiatriques de malades à l’hôpital de Colmar.

Mais le classement du peyotl et de la mescaline comme psychotropes par les conventions internationales dans les années 1970 allaient presque totalement stopper toutes les recherches scientifiques.

De nos jours, au Mexique, les Indiens Huichols, ainsi que, dans une moindre mesure maintenant, les Tarahumaras, les Coras et les Yaquis, en font encore un usage rituel. Le peyotl est pour ces Indiens un remède magique qui soigne les maladies tant physiques que psychiques : antivenimeux contre les piqûres de serpents et de scorpions, les rhumatismes, les hémorragies, les fièvres et les infections…

Aux États-Unis, pour les Indiens Apaches Mescaleros, les Comanches, les Navajos, et les Kiowas, principalement, le peyotl est considéré comme un sacrement religieux. En 1918, 12 fut créé dans l’Oklahoma, la Native American Church. Elle rassemble de nos jours environ 300.000 membres provenant d’une cinquantaine de tribus différentes. Depuis 1994, ses membres sont autorisés à faire usage du peyotl dans leurs cérémonies religieuses.

Dans les années 70 des études thérapeutiques ont étés menées au sein de ces populations pour traiter avec succès l'alcoolisme. Il est à noter qu’en Belgique et en Suisse on trouve une préparation homéopathique à base de peyotl du nom de Anhalonium 9 CH et en Allemagne, Anhalonium Lewinii D 30, pour traiter les états de choc émotionnel, la dépression ainsi que l’œdème aigu du poumon, ou encore l'emphysème…

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Littérature :


Antonin Artaud écrit dans Les Tarahumaras (Éditions Gallimard, 1971), recueil qui regroupe des textes écrits entre 1936 et 1948) des pages mémorables sur son expérience avec le Peyote :



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Dans son roman Réparer les vivants (Éditions Gallimard, 2004), Maylis de Kérangal évoque étonnament le cactus sacré des Huichols :


"..., soudain s'attarde sur les pentes mauves du mont Aigoual drapées dans les ruissellements et sans doute que Révol repense, un flash, à ce jour de septembre où il avait été initié au peyotl dans sa maison de Valleraugue - Marcel et Sally étaient arrivés en fin d'après-midi dans une berline émeraude aux jantes souillées de boue séchée, le véhicule avait freiné lourdement dans la cour du hameau, et Sally avait agité la main par la fenêtre ouh ouh c'est nous !, ses cheveux d'un blanc neigeux voltigeaient dans l'habitacle, découvrant ses boucles d'oreilles en bois, duo de cerises écarlate et verni ; plus tard, après le repas, alors que la nuit était tombée sur le causse, une pluie d'étoiles éclairantes, ils étaient sortis dans le jardin et les mains de Marcel avaient décolleté d'un emballage de kraft quelques petits cactus vert-de-gris, ronds et sans épines, que les trois amis avaient fait rouler dans leur paume, avant d'en respirer l'odeur amère ; ces fruits venaient de loin, Marcel et Sally étaient partis les chercher dans un désert minier du nord du Mexique, les avaient exfiltrés illégalement et acheminés avec précaution jusque dans les Cévennes, et Pierre, qui étudiait les plantes hallucinogènes, était impatient d'en faire l'expérience : la combinaison d'alcaloïdes puissants contenus dans le peyotl, parmi quoi un tiers de mescaline, provoquait des visions surgies de nulle part, sans lien avec les souvenirs, des visions qui jouaient un rôle majeur dans l'usage rituel de ce cactus que les Indiens consommaient le plus souvent lors des cérémonies chamaniques ; mais, plus encore, Pierre s'intéressait à la synesthésie qui se manifestait lors des hallucinations : la vivacité psychosensorielle étant censée s'accroître dans la première phase de l'ingestion, il espérait voir des goûts, voir des odeurs et des sons, des sensations tactiles, et que la traduction des sens en images l'aide à comprendre, voire à percer, le mystère de la douleur. Révol songe à cette nuit étincelante, où la voûte céleste s'était déchirée au-dessus des montagnes, libérant des espaces insoupçonnés où ils avaient cherché à s'engouffrer, couchés dans l'herbe le dos contre la terre, et soudain il est traversé par l'idée d'un univers en expansion, en devenir perpétuel, un espace où la mort cellulaire serait l'opératrice des métamorphoses, où la mort travaillerait le vivant comme le silence travaille le bruit, le noir la lumière ou le statique le mobile, une intuition fugitive qui persiste sur sa rétine alors même que ses yeux reviennent zoner sur l'écran de l'ordinateur, sur ce rectangle de 16 pouces irradié de lumière noire où s'annonce la cessation de toute activité mentale dans le cerveau de Simon Limbres."

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