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Le Génépi



Étymologie :

  • GÉNÉPI, GÉNIPI, subst. masc.

Étymol. et Hist. 1733 (Lémery, Dict. universel des drogues simples, p. 4). Mot savoyard, prob. empr. au lat. *Dianae spicum (littéralement « épi de Diane »), transposition du gr. α ̓ ρ τ ε μ ι σ ι ́ α (lat. artemisia, v. armoise) « plante d'Artémis [déesse identifiée à Diane chez les Romains]; cf. Dianaria radix, Dianaria herba (TLL s.v. Diana, 136, 74 à 77) attesté en b. lat. comme synon. de artemisia (v. FEW t. 12, p. 174b et 175a).


Lire aussi la définition du nom pour amorcer la réflexion symbolique.


Autres noms : Artemisia eriantha ; Génépi à fleurs cotonneuses ; Génépi bourru ; Génépi laineux ; Génépi mâle ;

Artemisia genipi ; Génépi noir ; Génépi vrai ;

Artemisia glacialis ; Génépi des glaciers ;

Artemisia umbelliformis ; Artemisia mutellina ; Génépi blanc ; Génépi femelle ; Génépi jaune ; Génépi mutellin ;

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Botanique :


Mme Rivière-Sestier, autrice d'un article intitulé « En Haut-Dauphiné : Botanique et remèdes populaires. » (in : Bulletin de la Société Botanique de France, 1963, vol. 110, no sup2, p. 159-176) consacre un long chapitre au génépi, plante reine des colporteurs de l'Oisans :


Mais de toutes les plantes vendues, au cours de leurs voyages, par les colporteurs de l'Oisans, la plus célèbre est sans nul doute le Genépi, nom sous lequel on groupe plusieurs espèces appartenant à deux genres de la famille des Composées.

Le Genépi, quelle que soit son espèce botanique propre, est essentiellement la plante du rocher.

Il faut dépasser la zone des mélèzes, traverser les alpages où paissent les troupeaux, et les gazons de plus en plus ras où les fleurs surprennent par la grandeur, l'éclat de leur corolle, le luxe de leur floraison. Il faut arriver dans la zone où chaque plante vit « pour soi », à l'abri derrière un rocher, une croupe pierreuse, à chaque endroit où s'amasse un peu de terre, au moindre abri du vent bien exposé au soleil. C'est cette zone que Rambert décrit sous le nom de zone des « plantes éparses ». Chaque plante y lutte pour vivre contre son grand ennemi, le froid.

Comme toutes les espèces de cette région, les diverses variétés connues sous le nom de Genépi sont des plantes ratatinées et rabougries, aux rameaux en touffes étalées le plus près du sol afin d'en conserver plus longtemps la chaleur. Les feuilles sont peu développées. Les cellules sont protégées du froid des nuits par des poils lecteurs si abondants qu'ils donnent à la plante entière un aspect velu, soyeux, presque cotonneux. Sous leur duvet blanc, les fleurs sont agglomérées les unes contre les autres, ou serrées le long d'une hampe florale peu élevée. On peut passer à côté du Genépi sans le voir. La plante, petite, sèche, a la couleur du rocher contre lequel elle pousse.

Dans la grande famille des Composées, les espèces appelées Genépi ou Genipi appartiennent aux deux genres Artemisia et Achillea, les armoises et les achillées.

M. Breistroffer a si magistralement traité cette partie du problème relative aux espèces botaniques connues sous ce nom de Genépi ou de Genipi qu'il nous semble préférable de reproduire le texte de son étude :

Breistroffer
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Quelles que soient les espèces botaniques appelées genépi, elles ont toutes des traits communs qui les rapprochent. Plantes de haute montagne, elles poussent surtout sur les rochers escarpés, sur les moraines des glaciers, dans les éboulis pierreux, à la limite de cette région communément dénommée la région des neiges éternelles.

Les montagnards, en se rapportant aux anciennes coutumes plus qu'à la botanique pure appellent généralement Genépi blanc les Achillea moschata et nana ainsi que l'Artemisia mutellina, et Genépi noir l'Achillea atrata ainsi que les Artemisia spicata et glacialis. Constantin et l'abbé Gave pensent que le mot de genépi veut dire jaune épi, épi jaune, et viendrait du patois savoyard « dzon épi ». En fait, les habitants de la haute montagne considèrent de préférence comme vrais genépis les Artemisia spicata, glacialis, mutellina, qui ont des inflorescences jaunes ou jaunâtres, les Achillea à fleurs blanches étant considérées comme de faux genépis.

Une des espèces appelées genépi, l'Achillea atrata, ferait partie des huit à douze plantes à fleurs connues qui atteignent et dépassent 4.000 mètres, et, d'après Marret on la trouve jusqu'à 4.270 mètres. Mais, remarque M. Breistroffer : « A. Becherer (1958), à la suite de T. Braun-Blanquet (1913), fait de sérieuses réserves sur l'indication de Lindt, qui l'indiquait au Finsteraarhorn entre 4.000 et 4.272 rn ».

L'altitude et le climat donnent à toutes ces espèces, groupées sous ce nom de genépi, des caractères morphologiques extérieurs analogues. Ce sont des petits végétaux secs, couverts d'un duvet argenté. Ils exhalent lorsqu'on les froisse un parfum âcre, camphré, une odeur d'absinthe saine et fortifiante, plus ou moins fine suivant les variétés.

On peut passer à côté du genépi sans le voir ; il faut, la première fois, qu'on vous le montre, car la plante, par un curieux phénomène de mimétisme, a la couleur du rocher contre lequel elle pousse. On la trouve généralement sur la face exposée au midi pour profiter le plus possible de la chaleur du soleil. Les genépis, ainsi que certaines androsaces et que l'Eritrichium nanum, sont parmi les plantes les plus remarquables et les plus rares ou les plus recherchées de la flore alpine.

On ne trouve pas le genépi dans les mêmes conditions que l'edelweiss, ou Leontopodium alpinum, la fameuse « étoile du glacier » qui fleurit en abondance dans les hautes prairies de l'Oisans, et qu'au-dessus du Chazelet, on fauche avec l'herbe de l'alpage. Non. Il faut marcher longtemps dans les éboulis et dans les « clapiers » pour en rapporter quelques échantillons. C'est ainsi qu'un botaniste, herborisant autour du Lautaret, signalait comme station très abondante la Pyramide du Laurichard où il avait trouvé un pied de genépi environ par mètre carré.

Le genépi fleurit vers la fin du mois de juillet. Comme toutes les plantes alpines des hautes altitudes, il est vivace, car, dans ces régions. l'été est trop court pour permettre à un végétal d'accomplir en une saison le cycle complet de son existence. Mattirolo écrit qu'il est démontré expérimentalement que l'Artemisia spicata poussant d'elle-même ( « da se » ), à une altitude d'environ 2.000 mètres, emploie au moins sept à huit ans avant de réussir à fleurir, c'est-à-dire qu'il faut huit ans pour que la graine tombée sur le sol germe, croisse et puisse à son tour se reproduire.

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Usages traditionnels et bienfaits :


Selon Alfred Chabert, auteur de Plantes médicinales et plantes comestibles de Savoie (1897, Réédition Curandera, 1986) :


Mais le sudorifique le plus en vogue partout, celui dont les localités sont tenues le plus secrètes et ne sont pas même toujours indiquées pour de l'argent, celui qui passe auprès de beaucoup de montagnards pour une panacée universelle, c'est le genépy, genipi ou zdénépi. Sous ce nom sont comprises trois espèces d'absinthe croissant sur les rochers escarpés des hautes montagnes et sur les moraines des glaciers, entre 2 300 et 2 900 mètres d'altitude, les Artemisia spicala, mutellina et Villarsii, avec lesquels on confond parfois le genepy bâtard Artemisia glacialis, et le faux genépy Achillea de la Savoie, du Dauphiné et du Piémont de la réputation la plus incontestée, et je m'empresse d'ajouter la mieux mérités, pour le traitement des chaud-et-froid et des coups-de-froid, noms par lesquels nos montagnards désignent à leur début les maladies causées par l'impression plus ou moins rapide du froid sur le corps en sueur ou échauffé par la marche ou un exercice violent : pleurésies, bronchites, congestions pulmonaires actives et parfois même le rhumatisme articulaire.

L'infusion de genépy bue très chaude provoque bientôt une transpiration abondante et un peu de diurèse, et par suite amène la résolution de la congestion ou de l'inflammation commençante. L'auteur en a éprouvé les heureux effets en 1879, dans un chalet où il avait été transporté après être resté longtemps abrité dans une crevasse du glacier de Ronche, pour laisser passer la tourmente (vent d'une violence extrême qui se fait sentir sur le Mont-cenis et les Alpes voisines).

Malheureusement, sur les Alpes frontières de France et d'Italie, le genépy est en bien des endroits menacé d'une destruction complète. Les soldats des compagnies alpines, pendant les manœuvres d'été, les récoltent partout où ils en trouvent, soit pour eux-mêmes et pour leurs amis, soit pour les vendre ; mais ils arrachent la plante entière au lieu de se borner à en cueillir les tiges fleuries, comme le font les montagnards. Aussi, plus d'une sommité, plus d'une moraine glaciaire où le genépy n'était pas rare autrefois, n'en offre-t-il plus un seul pied, excepté sur les rochers inaccessibles.

La confiance des gens de la campagne dans la vertu curative du genépy est vraiment surprenante. Ceux des montagnes ne l'emploient que dans les cas où il est réellement utile ; les autres en reprennent un peu au hasard, lorsqu'ils se sentent gravement atteints ou qu'ils souffrent beaucoup. J'en ai vu boire l'infusion dans des cas d'hémoptysie, de phtisie avancée, de fièvre typhoïde grave, de scarlatine, d'érysipèle, de fluxion dentaire, d'accouchement difficile, etc. Si le malade se trouve mieux après l'avoir prise, c'est le remède qui agi et la foi qui sauve ; sinon la dose était mal graduée ou la plante était récoltée de trop vieille date, et la foi se conserve pour une meilleure occasion.

Dans les montagnes des Bauges, massif situé entre Annecy, Albertville et Chambéry, les paysans nomment genépy l'Anthyllis montana et lui en attribuent les propriétés (Songeon), quoiqu'il soit à peu près inerte.

Dans les hautes montagnes de Tarentaise et de Maurienne, un autre médicament est regardé comme supérieur au genépy est est administré lorsqu'il s'est montré inefficace. C'est le bouillon de carcasse de vipère, dont un fait récent accroît encore la renommée au préjudice du genépy.

Un jeune botaniste, M. Jules R., surpris par un violent orage en traversant le glacier des Arves, erra pendant plusieurs heures sous la pluie et dans le brouillard avant de pouvoir arriver à un chalet. Très malade le lendemain, il ne put partir. Les gens le soignèrent de leur mieux et lui administrèrent force tisane de genépy. Vers le soir, l'état paraissant s'aggraver, ils allèrent à grande distance quérir une vieille femme « très habile médecine ». Après un examen prolongé, elle promit la guérison au malade dès qu'il aurait bu la tisane qu'elle allait préparer. Au bout d'une demi-heure, elle lui apporta un grand bol rempli d'une décoction trouble, d'odeur tellement nauséabonde et d'aspect si répugnant que devant les instances pressantes de la matrone, son cœur se souleva et que, pris de nausées violentes, il rendit des torrents de bile. Après quoi il s'endormit d'un sommeil profond et ne se réveilla que tard dans la matinée, frais et dispos. En partant, il apprit que ce qu'il avait refusé de boire était du bouillon de carcasse de vipère et que c'était à lui qu'il devait sa guérison ! Quoique ne pouvant comprendre comment le remède avait agi sans avoir été consommé, il paya généreusement et partit dans les Alpes dauphinoises d'où il passa en Piémont et rentra en Savoie par le col de Galise, cinq semaines après. Quelle ne fut pas sa surprise d'entendre alors raconter son histoire dans un cabaret de village, et tous les buveurs s'extasier sur l'efficacité du bouillon de carcasse de vipère. « Pensez donc. un remède si vertueux ! Ce n'est pas le genépy qui aurait pu faire ça. Celui-là il n'est pas besoin de le boire. Rien qu'en approchant de la bouche du malade, il lui a fait rendre toute la maladie qu'il avait dans le corps. Ce n'est pas un médecin au jour du jour d'hui qui vous prescrirait jamais un remède aussi vertueux. Oh ! non, etc., et.; »

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Dans « En Haut-Dauphiné : Botanique et remèdes populaires. » (in : Bulletin de la Société Botanique de France, 1963, vol. 110, no sup2, p. 159-176) Mme Rivière-Sestier rapporte les usages suivants :


Le genépi étant une plante caractéristique des montagnes élevées (Pyrénées et surtout Alpes), on ne trouve naturellement rien de noté à son sujet chez les anciens auteurs. Les vieilles pharmacopées françaises en parlent peu. LEMÉRY (21) le décrit comme une petite espèce de trois à quatre pouces sortant des fentes des rochers des Alpes de Savoie. Il constate qu'on le regarde comme le spécifique des fausses pleurésies, que sa forte infusion provoque des sueurs et n'est pas désagréable au goût. L'auteur de la Pharmacopée de Lyon classe le genépi dans les fortifiants amers et déclare qu'il croît dans le Valais, et qu'au point de vue de ses valeurs curatives. il est plutôt sujet à caution. Ses feuilles, rapporte-t-il, échauffent beaucoup et provoquent la sueur lorsque le malade est naturellement disposé à suer dans un lit bien chauffé. Il relate encore que les habitants des Alpes s'efforcent de combattre toutes les espèces de maladies avec cette plante, mais qu'ils obtiennent rarement une heureuse résolution, et que le plus souvent le genépi cause la mort du malade. Malgré cette constatation péjorative, l'auteur estime que le genépi convient dans les fièvres tierce et quarte avec faiblesse des forces vitales, ainsi que dans les pâles couleurs, le rhumatisme, la suspension du flux menstruel, ainsi que dans plusieurs espèces de maladies de faiblesse telles que la « paralysie séreuse ».

Comme la plupart des plantes alpines, le genépi a les vertus nécessaires pour soulager les accidents les plus fréquents dans ces régions, les refroidissements et les conséquences plus ou moins malheureuses des chutes. On l'emploie à tort et à travers, tant est grande la confiance que l'on a dans ses propriétés.

C'est tout d'abord un vulnéraire précieux. On cicatrice les plaies et on consolide les fractures avec la plante fraîchement cueillie, écrasée et appliquée en compresses sur l'endroit malade. Allioni, qui était piémontais, considérait l'Achillea Herba-rotta comme le spécifique de ces accidents, c'est pourquoi il avait baptisé cette espèce de ce nom : rotta, rupture, cassure : Erba alla rotta, herbe aux fractures, ce qui rappelait ainsi sa principale vertu.

L'infusion de genépi est employée très chaude dans les cas de refroidissements, pour provoquer une sudation abondante et un peu de diurèse. C'est un remède qui agit bien et qui a une grande réputation en médecine populaire. A tel point que le Dr Chabert a pu écrire que le genépi est le remède le plus estimé, celui dans lequel on a une foi inébranlable, et qu'on emploie dans les cas désespérés ! D'après ce qu'il a entendu raconter, un seul remède pourrait lui être supérieur, c'est le bouillon de carcasses de vipères, remède si « vertueux » qu'on n'a pas besoin de le boire, son seul aspect et sa seule odeur suffisent, en l'approchant de la bouche du malade, à lui faire rendre (au sens propre du mot !) toute la maladie qu'il pourrait avoir dans le corps !

L'infusion de genépi, elle, est fort aromatique. Beaucoup de montagnards, d'alpinistes, de chasseurs, pris par l'orage, attribuent l'intégrité de leur santé aux infusions bouillantes ou aux grogs de genépi qu'on leur administra à leur arrivée au chalet ou au hameau.

Toutes les variétés de genépis ne sont pas aussi aromatiques les unes que les autres. Le Dr Fausta Balzac écrit que les variétés les plus aromatiques et les plus employées sont les Artemisia glacialis, spicata et mutellina. Elle considère comme vrai genépi l'Artemisia glacialis et comme espèce la plus prisée l'A. spicata. Ces trois espèces ont une saveur et une odeur à la fois amère et aromatique.

Correvon constate que l'essence volatile domine chez l'A. glacialis, tandis que le principe amer domine chez l'A. spicata. Ces deux principes seraient réunis en doses plus faibles dans l'A. mutellina. Par macération dans de l'eau-de-vie, les bergers et les montagnards préparent une très agréable liqueur, fort appréciée au point de vue digestif et considérée comme éminemment hygiénique.

Voici une recette fort en honneur au Villard-d'Arène : Faire macérer 30 à 40 brins de genépis, 20 à 25 morceaux de sucre, pendant quarante jours, dans un litre d'alcool à 45' en ayant bien soin d'exposer la bouteille contenant le mélange pendant une demi-heure chaque jour aux rayons du soleil.

Dans la Revue « Les Alpes Illustrées » du 27 août 1892, Guillermin, relatant l'histoire de la distillerie à Voiron, parle en termes élogieux du genépi : « N'oublions pas un genépi divin, fait des sucs de l'armoise glaciale que nous avons dégusté, il y a trente ans environ, à Voreppe, chez un sieur Aubry, son inventeur :. . Cette plante devait encore entrer dans l'élixir préparé en 1807 par un pharmacien de Voiron, élixir appelé « le Balsamum absinthii (salobris hygieia), breuvage prophylactique, parégorique et talismanique ». Cet élixir digestif rappelait, paraît-il, celui de la Grande Chartreuse dans la préparation duquel le genépi entre probablement en assez grande quantité.

La formule de cet élixir est gardée secrète, mais le bouquet d'une simple infusion de genépi rappelle étrangement l'arôme de la liqueur.

Le 3 mai 1853, les avocats grenoblois Faarconnet et Eymard Duvernay écrivaient : « Les Révérends Pères de la Grande Chartreuse se livrent à la fabrication d'une liqueur qui obtient un débit considérable et donne un gros revenu, car la liqueur est bonne et bon usage est fait des bénéfices qu'elle apporte... sans compter qu'il se trouve dans son acte de naissance quelque chose qui la recommande, elle est fille d'un remède ... » Et, plus loin : « Les Chartreux étaient en possession d'un élixir dont on vante la vertu spécifique ou panacée extraite par leurs soins des plantes parfumées cachées dans les recoins mystérieux de nos montagnes. On conserva la base en tempérant la dose et la liqueur naquit de l'élixir ».

Voici l'origine de la liqueur ainsi que le rapporte A. Baton. Nul ne connaît l'origine du secret de l'élixir de la Grande-Chartreuse, mais on sait que les Pères cueillaient les simples poussant dans la région et en composaient un élixir merveilleux, fort utile en cas de maladie et très précieux dans tous les cas de défaillance subite. Du temps où la Savoie n'était pas encore française, un détachement tl'officiers commandant les troupes qui gardaient la frontière était logé :!U Couvent. Le Père Prieur les conduisit à la distillerie, fort modeste alors, où le Frère Garnier surveillait ses alambics. Dans un coin du hangar s'accumulaient les résidus de la fabrication de cet élixir. Un médecin-major conseilla alors au Père de faire macérer ces herbes dans un sirop de sucre ... Le conseil fut suivi. Antoine Baton relate qu'au départ des officiers les Pères leur offrirent une bouteille « au reflet d'or pâle », premier flacon de cette liqueur maintenant connue dans le monde entier.

Le genépi entre encore dans la fabrication des vermouths, surtout dans les vermouths de grande qualité où, au lieu de l'armoise et. de l'absinthe habituelles on ajoute au vin blanc soit l'Artemisia vallesiaca ou A. maritima ssp. vallesiaca à odeur et saveur légèrement camphrées, soit les Achillea moschata, erba-rotta et nana, qui sont d'un prix plus élevé, mais qui sont infiniment plus parfumées.

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Selon Jacques Brosse dans La Magie des plantes (1990),


"On ne rencontre guère que sur les pentes des plus hautes montagnes ces plantes qui sont des Artemisia au même titre que l'armoise et l'absinthe, mais adaptée à la vie en altitude, ce qui se manifeste à leur taille trapue, ramassée, ainsi qu'aux poils soyeux qui les protègent contre les grands froids. Il en existe plusieurs espèces que l'on confond souvent entre elles.

Artemisia genepi ou Artemisia spicata, le vrai génépi, est une petite plante entièrement blanchâtre et soyeuse qui répand une vive odeur aromatique ressemblant à celle de l'absinthe, et porte en juillet-août des capitules globuleux, dressés et noirâtres, de fleurs jaunes. Le vrai génépi croît dans les rocailles entre 2000 et 3800 mètres dans les Alpes et les Pyrénées.

Artemisia mutellina ou Artemisia laxa est le génépi jaune ou génépi blanc. Bien qu'il monte tout aussi haut que le précédent, on le trouve aussi à une altitude inférieure - entre 1300 et 3700 m - dans les Alpes et les Pyrénées. Plus répandu que le vrai génépi, il lui ressemble beaucoup, mais ses feuilles sont plus divisées encore et ses fleurs jaunâtres forment des épis allongés et lâches.

Artemisia glacialis est une petite plante très aromatique et gazonnante des éboulis et des moraines. Elle ne se trouve que dans les Alpes occidentales, et y est très rare. Ses feuilles sont blanches sur les deux faces et ses fleurs jaunes forment de petites inflorescences très compactes au bout des tiges dressées. A ces génépis proprement dits, on adjoint souvent une espèce qui, bien que rattachée à un autre genre, fait partie de la même famille, Achillea moschata. Le millefeuille musquée croît, lui aussi, dans les éboulis alpestres en altitude, entre 1450 et 3400 mètres. Ses feuilles aromatiques sont d'un vert vif et ses fleurs forment de nombreux et vigoureux capitules aux ligules blanches.

Dans les régions de haute montagne où ils croissent, et surtout en Savoie et en Suisse, les génépis, très appréciés des chamois qui les broutent, passent pour guérir toutes sortes de maux, car les vertus des armoises seraient en eux particulièrement concentrées. Stimulants énergiques, fébrifuges et aussi emménagogues, les génépis entrent également dans la composition de vulnéraires et d’antiseptiques efficaces. En infusion, ils seraient souverains contre le mal de montagne. Autrement dit, voilà des plantes qui correspondraient très précisément aux besoins des hommes (et des bêtes) qui habitent le milieu où elles croissent, et c'est là une de ces "coïncidences" qu'avaient si bien remarquées nos "anciens" et qu'ils avaient si souvent mises à profit dans ces remèdes populaires tant décriés.

Quels que soient leurs usages thérapeutiques locaux, les génépis doivent leur réputation étendue surtout aux liqueurs que l'on en extrait, ils entrent également dans la composition de plusieurs macérations savantes qu'inventèrent autrefois des moines jardiniers, la Chartreuse et la Bénédictine par exemple, qui ne sont point seulement savoureuses, mais parfois salutaires. C'est leur histoire qu'illustre de manière si amusante l'un des plus célèbres contes des Lettres de mon moulin, "L'élixir du révérend père Gaucher". Malheureusement, le succès de ces liqueurs maintenant commercialisées se traduit pas une récolte excessive de ces plantes rares qui risque à brève échéance de mettre en péril l'existence même des génépis en plusieurs localités des Alpes et des Pyrénées.

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Charly et Sabine Rey, dans un article intitulé "la Cueillette et la culture des plantes sauvages" (in Valesiana, 2012) précise que :


On utilise principalement le genépi femelle en Valais, le genépi mâle en Vallée d’Aoste (Armand, 1997) et au Trentin (communication orale d’Alessandro Bezzi de Villazzano) et le genépi des glaciers en Savoie (communications orale d’Anne-Laure Boniface, récolteuse de plantes sauvages à Bessans en Maurienne et de Christophe Delachat, guide de montagne à Saint-Gervais), pour préparer l’eau-de-vie de genépi digestive et contre les refroidissements. A Chambéry, Arianne Aimard de la firme Dolin signale que le genépi des glaciers, avec ses gros capitules de fleurs jaunes, sert à la décoration des bouteilles alors que leur liqueur de genépi est essentiellement préparée avec le genépi femelle ou genépi blanc. L’achillée musquée, aux vertus digestives similaires, est cueillie dans les Grisons (communication de Madame PierreJoseh Charmillot-Curau de Trélex), dans la Valteline et dans le Trentin (communication d’Allessandro Bezzi), mais très peu en Valais.

 

Recette de la liqueur.

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Croyances populaires :


Alfred Chabert dans De l'emploi populaire des plantes sauvages en Savoie (in Bulletin de l'Herbier Boissier, Vol. III, nʻ5-6-7, sous la direction de Eugène Autran, Genève, 1895) recense les emplois des génépis :


Diaphorétiques (sudorifiques) : [...] le genépy ou genipi, Artemisia spicata, Mutellina et Villarsii ; le genépi bâtard, A. glacialis ; le faux Genépi, Achillea nana et moschata. Les trois premières espèces d'Artemisia, confondues par les montagnards du Dauphiné, de la Savoie, du Piémont sous le nom de genépi, jouissent dans toutes nos Alpes de la vogue la plus grande, et je m'empresse d'ajouter, la plus méritée pour le traitement des chauds-et-froids et des coups-de-froid. Sous ces noms sont comprises à leur début les maladies causées chez les montagnards par l'impression plus ou moins rapide du froid sur le corps en sueur ou échauffé par la marche ou un exercice violent ; telles sont les pleurésies, bronchites, congestions pulmonaires actives, pneumonies et parfois même le rhumatisme articulaire.

L'infusion de genépi bue très chaude provoque bientôt une transpiration abondante et un peu de diurèse et par suite amène la résolution de la congestion ou de l'inflammation commençante. Les génépis ne croissent que sur les rochers escarpés des hautes montagnes et sur les moraines des glaciers entre 2300 et 2900m, et sont tous plus ou moins rares ; aussi les habitants tiennent-ils leurs stations fort secrètes et ne les indiquent-il qu'à prix d'argent, et encore pas toujours. Malheureusement sur les Alpes frontières de France et d'Italie, ils sont en bien des endroits menacés d'une destruction complète. Les soldats des compagnies alpines, pendant les manœuvres d'été, les récoltent partout où ils en trouvent, soit pour eux-mêmes, soit pour en envoyer à leur famille et à leurs amis ; mais ils arrachent la plante entière, au lieu de se borner à en cueillir les tiges fleuries, comme le font les montagnards. Aussi plus d'une sommité, plus d'une moraine glaciaire où le genépi n'était pas rare autrefois, n'en offre-t-il plus un seul pied, excepté sur les rochers inaccessibles. C'est là un effet désastreux des armées si nombreuses et des manœuvres nécessitées par la paix armée dont nous jouissons, effet que les habitants des Alpes frontières constatent avec douleur. [...]

Les loustics des compagnies alpines se permettent parfois des plaisanteries un peu fortes au sujet du genépi, en faisant récolter sous ce nom aux soldats novices des plantes qui n'ont aucun rapport avec lui. J'ai vu cet automne un homme robuste ayant eu froid en revenant de la montagne, qui avait pris trois tasses d'infusion d'une plante très acre, que son frère, chasseur dans un bataillon alpin, lui avait envoyée sous le nom de genépi. Il fut bientôt atteint de frissons, de sueurs froides, vomissements répétés, superpurgation, hémorragie nasale, syncopes et autres symptômes graves causés évidemment par une plante vénéneuse qui ne put m'être représentée. Le chasseur raconta plus tard que la plante avait été récoltée par lui dans une prairie de montagne, sur l'indication des anciens soldats de la compagnie, qui s'étaient beaucoup égayés en apprenant le succès de leur mystification.

La confiance des gens de la campagne dans la vertu curative du genépi est vraiment surprenante. Ceux des montagnes ne l'emploient que dans des cas où il est vraiment utile ; les autres en prennent un peu au hasard lorsqu'ils se sentent gravement atteints ou qu'ils souffrent beaucoup. J'en ai vu boire l'infusion dans les cas d'hémoptysie, de phtisie avancée, de fièvre typhoïde grave, de scarlatine, d'érysipèle, de fluxion dentaire, d'accouchement difficile, etc. Si le malade se trouve mieux après l'avoir prise, c'est le remède qui a agi et la foi qui sauve ; sinon, la dose était mal graduée ou la plante était récoltée de trop vieille date, et la foi se conserve pour une autre occasion. Dans les montagnes des Bauges, massif situé entre Annnecy, Albertville et Chambéry, les paysans nomment genépi l'Anthyllis montana et lui en attribuent toutes les propriétés, qui qu'il soit à peu près inerte (Songeon).

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Symbolisme :


Mme Rivière-Sestier, autrice d'un article intitulé « En Haut-Dauphiné : Botanique et remèdes populaires. » (in : Bulletin de la Société Botanique de France, 1963, vol. 110, no sup2, p. 159-176) donne une piste d'interprétation :

Est-ce sa rareté, l'altitude où il pousse, l'ambiance de la nature sauvage où seuls les montagnards, les chasseurs de chamois, les alpinistes entraînés peuvent le cueillir qui parent le genépi d'un halo poétique de plante quasi sacrée ? Eugène Rambert, dans le récit intitulé « Le chevrier de Praz-de-Fort » a fort bien décrit l'état d'âme du cueilleur de genépi. On sait également que Claude Anet, l'étrange valet de Mme de Warrens, qui s'adonnait à la médecine, était grand récolteur de simples et particulièrement de genépi. Il mourut d'un refroidissement contracté en montagne, au cours d'une cueillette de ce fameux genépi !

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