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Le Chamois et l'Isard



Étymologie :

  • CHAMOIS, subst. masc. et adj.

Étymol. et Hist. 1. a) 1164-74 camois « objet en peau de chamois » en partic. « partie de la lance garnie de peau qui se tenait à la main » (Chr. de Troyes, Cligès, 4936 ds T.-L.) ; 1220-30 chamois (Durmart le Gallois, 13074 ds Gdf.) ; b) fin xiiie s. « sorte d'antilope qui vit dans les hautes montagnes » (Vie des Pères, ms. Ars., fo46ads Gdf. Compl.) ; 2. 1387 peau de chamois (Comptes roy. ap. Laborde, Emaux, ibid.) ; d'où 1600-12 chamois « peau préparée avec du chamois » (D'Aub., Hist., III, 23 ds Littré) ; 3. 1690 « couleur jaune rappelant la teinte de la peau du chamois » (Fur.) ; d'où 1818 adj. gilets chamois (Journal des Dames, p. 942). D'un pré-roman *kamōke, mot essentiellement alpestre désignant le chamois et dont Polemius Silvius (ve s.) fournit une 1re attest. sous la forme camox dans son Laterculus (TLL s.v., 207, 74 ; v. aussi A. Thomas ds Romania, t. 35, pp. 170-171) ; du type chamois, les formes latinisées du domaine fr.-prov. : chamosius, 1272 en Savoie, chamessius, 1389-90 à Chamonix ; le lat. médiév. chamos (cognomen, Htes Alpes, 1135), l'a. dauph. chamos, 1333, l'a. prov. chamos [av. 1244 ds Rom. Forsch., t. 5, p. 409] remonteraient à un type *kamŭsso (J. Hubschmid ds Z. rom. Philol., t. 66, pp. 9-10 ; v. aussi Pat. Suisse rom., s.v. chamois).

  • ISARD, IZARD, subst. masc.

Étymol. et Hist. 1387-91 (G. Phébus, Chasse, éd. G. Tilander, IV, 3-4 : Des boucs y a de deux manieres, les uns s'apellent boucs sauvaiges et les autres boucs ysarus, et aucuns les apellent sarus) ; 1553 (P. Belon, Obs. de plusieurs singularitez..., éd. 1588, p. 120 : Le Roy le [chamois] nomme un Ysard, mais c'est une antique diction Françoise) ; 1614 (G. Mauran, Somm. description du païs et comté de Bigorre, éd. G. Balencie, 1887, p. 57 : Chevreuils vulgairement appelés issars). Terme attesté de part et d'autre des Pyrénées : dans le domaine ibér. : cat. isard (xive s. ds Alc.-Moll), aragonais sisardo, chizardo et sarrio (d'où le cast. sarrio 1625 ds Cor. s.v.) ; dans le domaine gallo-rom. où l'on peut distinguer 2 types de formes réparties de part et d'autre de la limite entre Pyrénées-atlantiques et Hautes-Pyrénées, passant par le Balaïtous (v. J. Séguy, Atlas ling. de la Gascogne, carte n°16) : le type sarri à l'ouest (vallées de Barétous, d'Aspe, d'Ossau, haute vallée du gave de Pau, avec les dér. sarride « troupe d'isards », sarrié adj. « de l'isard », sarriat « petit de l'isard », Palay, Lespy-Raym. s.v. sarri ; v. aussi Roll. Faune t. 7, p. 218) ; le type isart à l'est (xive s. Ariège uzars, uzarns plur., Elucidari, ms. Ste Geneviève, fol. 127 et 166 ds Rayn. t. 5, p. 455 b ; hautes vallées de la Garonne et du Salat, vallées du Lez et de l'Ariège isart, vallées d'Aure et de Luchon idart, v. (Rohlfs Gasc., § 41). L'ensemble de ces mots, d'orig. prérom., semble issu d'une base izarr-, de sens mal élucidé, appartenant au substrat pyr., peut-être ant. au basque (l'absence du mot en basque mod. s'expliquant par le fait que l'isard n'appartient qu'à la faune des hauts sommets dont est dépourvu l'actuel territoire basque) ; d'apr. Rohlfs op. cit. § 466, v. aussi ds Z. rom. Philol. t. 47, 1927, p. 401, la dissimilation -rr-rd- que présentent un certain nombre de mots de l'anc. substrat est un fait hisp. remontant à l'articulation prérom. À la suite de Bertoldi ds Z. rom. Philol. t. 57, 1937, p. 146-47, certains (notamment FEW t. 4, p. 826 b) admettent un rattachement au basque izar « étoile » en raison de la tache blanche que portent les tout jeunes isards sur le front ; le type isar-t s'expliquerait dans ce cas par le suff. basque -di exprimant la présence de quelque chose : *isar-di « là où se trouve une étoile » (cf. le basque izar-dun « étoile ; cheval qui a une étoile au front » ds Lhande, p. 567) ; cette hyp. est révoquée en doute par Rohlfs op. cit. § 41 et Cor. loc. cit.


Lire aussi les définitions de chamois et d'isard pour amorcer la réflexion symbolique.

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Zoologie :


Lire la fiche de l'Encyclopédie Larousse pour se familiariser avec les habitudes comportementales de cet animal.




Usages traditionnels :


Selon Alfred Chabert, auteur de Plantes médicinales et plantes comestibles de Savoie (1897, Réédition Curandera, 1986) :


Les rhumatisants et les arthritiques dans nos montagnes usent volontiers de caleçons en peau de chamois et de marmottes.

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Croyances populaires :


Selon Ignace Mariétan, auteur d'un article intitulé "Légendes et erreurs se rapportant aux animaux" paru dans le Bulletin de la Murithienne, 1940, n°58, pp. 27-62 :


Le Chamois, ce bel animal vivant en montagne, si recherché par les hommes, n'a pas manqué de donner lieu à des légendes de la part de ceux qui voulaient expliquer sa vie.

Oppien a dit que le Chamois respire par les cornes qui communiquent avec les poumons, parce qu'il se bouche parfois les narines en fouillant la terre pour trouver des racines. D'autres ont expliqué qu'il se suspend par les cornes.

Dans le Journal de Thomas Blaikie en 1775 il est dit qu'ils sont d'une nature si ardente qu'ils ne peuvent vivre loin de la neige et de la glace. On a raconté encore que lorsqu'on les tue leur sang, auquel les habitants attribuent d'innombrables vertus, est presque aussi chaud que l'eau bouillante, quelques gouttes délayées dans de l'eau constituent le remède le plus actif contre les pleurésies, leur chair donne la fièvre.

Camerarius, cité par Aldrovandc, parle des bézoards du Chamois et de leurs propriétés. (Boules de poils trouvées dans l'estomac des ruminants). On les croyait formées d'une plante de montagne : le Doronic, que les Chamois mangeaient pour se préserver du vertige. Les bézoards étaient utilisés par les hommes contre le vertige. On ordonnait aussi de manger de l'écureuil pour combattre le vertige. Sans doute espérait-on communiquer les qualités de grimpeur de cet animal à celui qui le consommait.

Les glandes rétro-cornales, à la base des cornes, qui jouent un rôle au moment du rut ont été expliquées par nombre d'auteurs comme des organes respiratoires.

Quand les Chamois baissent la tête entre les deux jambes et la relèvent ensuite en humant l'air, c'est un signe qu'ils ont senti le chasseur. Si on ne les tire pas à ce moment-là ce sera trop tard. On prétend que les Chamois font ce geste parce qu'ils ont derrière la tête une partie sensible qui leur révèle l'odeur de l'homme. Allusion encore aux glandes rétro-cornales qui ne sont pour rien dans la perception des odeurs.

L'histoire d'un Chamois sentinelle, vieux mâle chargé spécialement de surveiller le troupeau, est une légende, tous les Chamois surveillent en levant fréquemment la tête. Quand une harde est dérangée c'est une femelle d'un certain âge, et jamais un mâle, qui prend la tête pour diriger la fuite.

On a dit que. en été, les Chamois ne mangent que du Génépi, or ils n'en mangent pas du tout. Scheuchzer au XVIIème siècle dit que les chasseurs se scarifient la plante des pieds avec leur couteau, afin que le sang coagulé leur permette de franchir des passages rocheux exposés.

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Symbolisme :


Animal de montagne par excellence, le chamois est le symbole des Alpes comme l'isard celui des Pyrénées.

 

"Talisman ou antidote : les bézoards

Il s'agit de concrétions formées de poils ou de divers débris végétaux que produisent parfois les ruminants. On en trouve aussi, mais plus rarement, chez certains psychopathes humains qui avalent des matières non digestibles.

Chez le chamois, on les appelle aussi « ægagropiles ». Ce sont de petites boules dures, lisses et brillantes, de couleur noire ou verdâtre, contenues dans le rumen (premier estomac, ou panse).

Le bézoard est une boule, souvent unique, de la taille d'une noisette ou d'une noix, quelquefois plus grosse, et très légère. Les poils et les fibres qui la constituent se sont agglutinés sous l'effet des mouvements de brassage continus de la paroi stomacale, puis ils ont été collés par la poix qu'ingère le chamois durant l'hiver en broutant les conifères. La structure du bézoard est compacte et son odeur forte et musquée. Il renferme également certains sels minéraux et de la silice.

On croyait autrefois qu'il possédait des vertus merveilleuses. Bergers et chasseurs l'utilisaient comme talisman, car il avait, disait-on, le pouvoir d'éviter le vertige, de favoriser la vue et d'augmenter les chances de succès à la chasse. On l'utilisait, en Orient surtout, comme antidote contre les poisons et les maladies infectieuses. Vendu très cher, il entrait dans la fabrication de nombreux médicaments."

Encyclopédie Larousse en ligne

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Selon Jean-Marie Jeudy, auteur de Les Mots pour dire la Savoie (2006),


« En 1561, un certain Parradin écrivait '' le chamois est un animal qui s'élance de roche en roche en se recevant sur les cornes et qui peut ressauter en arrière avec la même facilité qu'en avant. Ses cornes lui servent surtout pour se suspendre dans les rochers où il se tient longuement pendu sans se retenir autrement. ''

Si le bouquetin est considéré comme le roi incontesté de la faune de haute montagne, le chamois en est un prince turbulent qui n'a rien à lui envier. Un prince sans terre. Un prince en éternelle croisade. Toujours en errance et d'une agilité surprenante. Un instant là. L'instant suivant à une centaine de mètres plus haut. L'animal est superbe et il doit en être conscient. C'est un bonheur de le rencontrer. Avec son habitude de pencher la tête pour observer l'intrus avant de prendre la fuite. Parce qu'il craint l'homme et il a d'excellentes raisons. L'autre ne sait pas quoi inventer pour lui compliquer l'existence.

Sa tête est barrée d'une bande foncée. Ses joues et la partie supérieure de son museau, blanches en toute saison, lui donnent encore plus d'allure quand il arbore le frac noir de l'hiver. A la belle saison, il arpente les hautes pâtures, les couloirs et les escarpements jusqu'au-delà des 3 000 mètres d'altitude. Au contraire du bouquetin qui cultive une prédilection pour les vires rocheuses ensoleillées, il préfère la fraîcheur des combes enneigées. Son sabot est adapté à la neige dure. Faire une petite sieste sur les névés ne lui déplaît pas.

En dehors des périodes de rut, les sexes vivent séparés. Chez les hardes de femelles, tout est prétexte pour les cabris à des poursuites, des cabrioles, des glissades sur les névés. Vers la fin novembre, les hardes se réunissent pour la saison des amours. Devant faire face aux rigueurs de l'hiver, les bêtes errent dans les pentes où l'avalanche est partie et sur les crêtes soufflées par le vent pour trouver un peu d'herbe. Il faut les voir traverser les couloirs avalancheux à la file indienne. Puis elles s'abritent de la tempête sous le couvert des forêts. Au printemps, elles sortent de la dure saison amaigries. Les femelles s'isolent pour mettre au monde un seul cabri. Les hardes recherchent l'herbe nouvelle sur les zones basses, avant de migrer en altitude au fur et à mesure de la pousse. »

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Contes et légendes :


Dans Conte-moi les Alpes (Éditions De Borée, 2015) Pierre Adam et Martial Debriffe nous racontent le conte de "La fée myrtille et le chamois" :


Il existe, dans les immenses montagnes des Alpes, un glacier que nul ne connaît. Ce glacier appartient aux fées des sommets.

La reine des fées fixe le jour de réunion de ses sujettes qui, toutes, doivent rejoindre le glacier mystérieux. Parmi ces fées, plus belles les unes que les autres, il y en avait une qui les dépassait en beauté. Elle s'appelait la fée Myrtille.

Là-haut sur un flanc de montagne, une femelle chamois venait de mettre au monde son petit durant la nuit. Debout sur une pointe rocheuse, elle offrait la mamelle au nouveau-né, qui ne savait pas encore se tenir sur ses pattes. Elle était bien touchante en cette attitude, cette brave petite chevrette des montagnes, et la fée Myrtille, le cœur saisi d'émotion, arrêta le nuage sur lequel elle se déplaçait, afin de pouvoir admirer la jolie bête.

Mais hélas, au même moment, la chevrette venait d'être aperçue par des chasseurs en campagne. La chevrette les avait vus aussi. La frayeur la faisait trembler ; seule, elle se serait enfuie, mais elle ne pouvait se résoudre à abandonner son petit.

Parfois, elle partait d'un bond rapide, comme décidée à s'éloigner, puis elle se retournait et, d'un autre bond, revenait auprès de son petit, le flairait, le léchait, lui faisait entendre de légers béguètements, comme pour l'encourager à la suivre.

Le petit animal essayait en vain de se redresser et de se tenir sur ses pattes, mais celles-ci, encore trop faibles, refusaient de porter le poids de son corps pourtant si frêle.

Les chasseurs, pendant ce temps, gagnaient du terrain, grimpaient, sautaient de rocher en rocher. La mère et son nourrisson allaient être la proie des hommes sans pitié. A ce spectacle, la fée Myrtille, si bonne et si tendre, ne peut se défendre d'une profonde compassion. Vite, elle change de direction, et le nuage floconneux qui lui servait de véhicule vient s'arrêter au flanc de cette paroi où la chevrette avec son nouveau-né attendent ou la mort ou une captivité encore plus odieuse pour ces agiles et sveltes habitants des montagnes. La fée posa le pied sur le rocher et examina le petit. Ses paupières sont encore si étroitement collées à ses yeux qu'il est privé de l'usage de la vue, et ses jambes si fragiles qu'elles se refusent à porter son corps.

Alors, de sa baguette magique, la fée touche les paupières du petit pour lui dessiller les yeux. Elle lui touche ensuite les membres pour les rendre à la fois robustes et souples.

A peine ce geste accompli, le gracieux animal se met à sauter sur ses petits sabots, aguerri et joyeux. Ses pattes devenues fermes et solides sont impatientes de courir. Ses yeux brillent d'audace et d'intrépidité.

Cependant, les chasseurs avaient été retardés dans leur escalade par le nuage soudain épaissi qui portait la fée. Ils ne voyaient plus rien à deux pas devant eux, et, de crainte d'une mauvaise chute, ils interrompirent leur périlleuses ascension. la mère et son petit ne les avaient pas attendus et s'étaient éclipsés bien vite.

La fée Myrtille, constatant que la maman chamois et son petit étaient désormais hors d'atteinte, était remontée lestement sur son nuage et avait repris le chemin du mystérieux glacier. Mais elle avait perdu beaucoup de temps. Elle eut beau se presser, elle arriva en retard au concile tenu par les fées sous la présidence de leur reine. Or, c'est un grand malheur pour une fée d'arriver en retard à ces sortes de réunion. En raison de ce retard, il fut interdit à la pauvre Myrtille de s'asseoir aux côtés de ses compagnes dans la poussière d'or du soleil levant. Elle dut comparaître comme ne criminelle devant la reine. Celle-ci s'était montrée toujours fort jalouse de l'extrême beauté de Myrtille, et voyait en elle une rivale dangereuse. Elle profita de cette occasion inespérée pour satisfaire ses secrètes rancunes : sans permettre à Myrtille de se justifier, elle lui infligea immédiatement une lourde punition :

"Je te condamne à errer au sommet de ce glacier sous les traits d'une vieille mendiante couverte de haillons, et ta baguette magique ne sera plus désormais qu'un mauvais bâton entre tes doigts noueux. ton châtiment durera aussi longtemps qu'un être terrestre n'aura point pitié de toi."

La reine comptait bien qu'aucun humain ne se hasarderait jamais sur le glacier mystérieux... Elle se trompait. La douce femelle chamois avait échappé aux chasseurs ainsi que son petit. Si vive avait été la frayeur de la mère, et la baguette de la fée avait communiqué une telle énergie au sang du petit chamois, que sa mère et lui étaient devenus insensibles aux fatigues de la course. De rocher en rocher, de sommet en sommet, ils parvinrent un jour au glacier mystérieux. Le glacier lui-même ne les arrêta pas. Ils en gravirent les prodigieux escarpements se trouvèrent sur l'immense dôme de glace. Et là, de bondir mieux que jamais !

Brusquement la mère chamois s'arrêta tout net. Elle venait d'apercevoir une masse sombre sur la glace miroitante. C'était un corps humain ; celui d'une vieille mendiante à bout de forces, étendue sur la glace et paraissant dormir. La mère chamois (le premier chamois à s'aventurer sur le glacier mystérieux) regarde longuement la mendiante immobile. Son instinct, plus sûr et plus rapide que l'intelligence des hommes, lui procure bientôt la certitude que cette vieille femme endormie est la même fée bienfaisante qui l'a sauvée des chasseurs ainsi que le son petit. Prise de pitié, la chevrette gentille abaisse son joli museau sur le front ridé de sa misérable créature et lui lèche tendrement le visage et les yeux.

Miraculeusement, le masque flétri retrouve la fraîche carnation de la jeunesse et se colore d'un rose de fleur. La femme ouvre les yeux qui brillent d'un éclat plus limpide que le cristal des sources. Elle se dresse : les loques dont elle était affublée et se métamorphosent en une légère écharpe tissée d'or et de soleil...

Son bâton redevient, entre ses doigts fuselés, la baguette magique au pouvoir illimité. Bref, la fée Myrtille vient de renaître plus belle et plus resplendissante que jamais, grâce à la pitié de la mère chamois.

Rayonnante, la fée dit à la chevrette :

"Merci ! Sans toi, la pauvre Myrtille aurait dû rester éternellement errante sur ce glacier désert. En reconnaissant j'accorde à toi et à toute ta race, à tous les chamois de ces montagnes, un privilège qui sera particulièrement agréable au cœur des mères. Dès que vos petits seront au monde, il vous suffira de leur lécher la face et les yeux, comme tu as eu toi-même la touchante pensée d'agir ainsi envers moi, et aussitôt le regard des nouveau-nés deviendra dix fois plus perçant que celui des chasseurs. Leurs jambes renforcées les emporteront à votre suite sur toutes les cimes. Ils passeront partout où vous aurez passé, et nul escarpement, nul précipice, si effrayants soient-ils, ne pourront arrêter dans leur course la mère et son petit."

Quand les fées virent reparaître Myrtille, elles lui décernèrent la couronne de reine, en dépossédant la fée jalouse qui avait si mal agi.

La nouvelle souveraine fit pousser sur tous les sommets des Alpes une plante portant son nom : la myrtille, aux fruit savoureux. Même au plus fort de l'hiver, même quand la neige est tombée en abondance, les chamois découvrent toujours quelques brins de cette plante providentielle accrochée aux saillies des rochers pour calmer un peu leur faim, en attendant le printemps."

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Littérature :

Voici l'explicit du roman intitulé Le Poids du papillon (Éditions Gallimard, 2011) de Erri de Luca :


Une cloche sonna au milieu de ses pas lourds, celle de midi, mais ses coups se perdirent dans l'air. Il s'arrêta, il haletait. Il resta debout pour voir s'il arrivait à reprendre son souffle ou bien s'il devait poser la bête pour reprendre ses forces. IL devait atteindre un pic au nord, où le chamois se conserverait bien. Puis il monterait avec une pelle pour creuser la fosse.

Il resta debout, la bête sur le dos, pour sentir si son corps se ressaisissait. Un papillon blanc vola à sa rencontre et autour de lui. Il dansa devant les yeux de l'homme dont les paupières s'alourdirent. Les hottes pleines de bois, les animaux portés sur son dos, les prises tenues avec les dernières phalanges de ses doigts : le poids des années sauvages lui apporta sa note sur les ailes d'un papillon blanc. Il regarda le vol en zigzag qui tournait autour de lui. De son épaule pendait la tête renversée du chamois. Le vol alla se poser sur la corne gauche. Cette fois-ci, il ne put le chasser. Ce fut la plume ajoutée au poids des ans, celle qui l'anéantit. Sa respiration s'assombrit, ses jambes se durcirent, le battement des ailes et le battement du sang s'arrêtèrent en même temps. Le poids du papillon avait fini sur son cœur, vide comme un poing fermé. il s'effondra, le chamois sur le dos, face contre terre.


Un bûcheron les trouva là au printemps, l'un sur l'autre, après un hiver de neige fantastique. Ils étaient encastrés au point de ne pouvoir être séparés qu'à la hache. Il les enterra ensemble. Sur la corne gauche du chamois, la glace avait laissé l'empreinte d'un papillon blanc.

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