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Le Taro




Étymologie :

  • TARO, subst. masc.

Étymol. et Hist. 1806 (Le Cook de la jeunesse, loc. cit.). N. polynésien du colocasia antiquorum, plante tropicale à tubercules comestibles de la famille des Aracées.


Lire également la définition du nom Taro afin d'amorcer la réflexion symbolique.


Autres noms : Colocasia esculenta ; Madère ; Racine madère ; Songe ;




Botanique :


Joël Bonnemaison, auteur de "Gens du taro et gens de l’igname." (In : Mémoire de pierre, mémoire d’homme : tradition et archéologie en Océanie : hommage à José Garanger. Publications de la Sorbonne, Paris, France, 1996, pp. 389-404) présente rapidement le taro :


Le taro aime au contraire l'humidité. Peu exigeant quant à la qualité des sols, il l'est surtout en quantité d'eau et pousse avec délectation dans le lit des ruisseaux, au pied des sources, voire dans les marécages. Le taro est une plante à l'aise dans l'humidité moite des forêts tropicales, au-delà de la courbe des 2500 millimètres d'eau par an. Il se complait dans les sols lourds et acides. Doté d'une grande souplesse écologique, il pousse aussi bien en bord de mer qu'en montagne, où il peut atteindre des altitudes relativement élevées, égales ou même supérieures à 800 ou 900 mètres. Il pousse aussi bien en culture pluviale qu'en culture irriguée. Pour les Kanaks de Nouvelle-Calédonie, le taro, associé à - I'humide -, est à ce titre une plante femelle. La forme même du tubercule ressemblerait au sexe de la femme, selon Maurice Leenhardt qui écrit :

« La puissance de ses rhizomes qui se renouvellent toujours, la silhouette aussi de son bulbe triangulaire, suffisent au Canaque actuel pour voir dans le taro une image de la génitrix » (1937, p. 63).

 


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Symbolisme :


Joël Bonnemaison, auteur de "Gens du taro et gens de l’igname." (In : Mémoire de pierre, mémoire d’homme : tradition et archéologie en Océanie : hommage à José Garanger. Publications de la Sorbonne, Paris, France, 1996, pp. 389-404) nous explique la complémentarité du taro et de l'igname :


Les systèmes agraires mélanésiens observés au Vanuatu reposent sur quelques paradigmes simples, dont les raisons ultimes sont d'ordre culturel. Le premier de ces paradigmes réside dans la hiérarchisation des plantes cultivées: elles s'ordonnent par rapport à l'une d'entre elles, le taro ou l'igname. Par ailleurs, cette hiérarchisation n'est pas vraiment d'ordre économique; la plante principale domine en qualité. Elle n'est pas nécessairement la plante la plus commune ni même la plus importante dans le régime alimentaire, du moins aujourd'hui, mais elle domine .. culturellement .. ; c'est la plante souveraine. Autour d'elle s'ordonnent l'espace du jardin et les rituels agraires. Lorsque le taro domine, il est cultivé sur un mode intensif et l'igname est marginale ; inversement, lorsque l'igname est reine, c'est-à-dire .. magnifique .. , le taro n'est plus qu'une plante secondaire.

Un autre paradigme agricole tient dans la répartition géographique de ces systèmes agricoles. Le taro est plutôt "roi" dans l'intérieur des îles hautes de l'archipel. C'est une plante de montagne, la plante du bush, celle des menbush. [...]

L'igname et le taro symbolisent les deux pôles du monde naturel, - l'humide et le sec -, comme l'a écrit J. Barrau (965) dans un article célèbre, et partant, ils symbolisent la bipolarité sexuelle du monde. Ces deux entités surnaturelles à fondement magique se complètent mais ne se confondent pas. Les deux tubercules peuvent éventuellement être associés dans un même système agricole, parfois dans les mêmes parcelles, surtout aujourd'hui, mais comme on l'a déjà dit, ils se hiérarchisent culturellement, ce qui se traduit par des façons de cultiver plus ou moins intensives.

Sur la plante culturellement dominante portent les pratiques culturales les plus intensives. Tout le jeu consiste à produire de beaux et prestigieux tubercules, liés à l'identité du clan, qui seront offerts à des alliés politiques lors des grands rituels coutumiers. Le prestige du groupe, sa crédibilité, sont attachés à cette production, à finalité sociale et rituelle beaucoup plus qu'économique au sens propre. Une technique agraire et une science classificatoire extrêmement - savante - se développent sur ces tubercules identitaires. Là où le taro règne, il est cultivé sur un mode largement intensif inversement, lorsque l'igname domine, l'horticulture vise à produire de longues ignames cérémonielles. C'est à l'intensification des modes de culture que l'on reconnaît la primauté culturelle accordée au taro ou à l'igname. Les autres plantes leur font cortège et ne sont là que pour satisfaire les besoins vivriers domestiques ou servir de parure aux premières, en cas de rituel. Comme on le voit, l'horticulture intensive apparaît comme l'apanage de la plante identitaire. Elle varie selon les aires.

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Selon Michel Aufray, auteur d'un article intitulé « Note sur les messages de végétaux : quelques exemples océaniens », (Journal de la Société des Océanistes [En ligne], pp. 114-115 | Année 2002) :


Les marques de souvenir, de serment, de propriété ou d’interdit. On utilise aussi des végétaux lorsque la transmission d’une information nécessite un moyen d’expression permanent, par exemple, pour valider un serment, mémoriser un événement, marquer une appartenance ou un interdit. Le message peut être matérialisé par des branches cassées, des encoches sur les troncs d’arbre, des signes gravés sur les végétaux. Maurice Leenhardt rapporte ainsi que pour marquer sa propriété sur une plantation :


« La femme qui plante un taro trace un signe qui lui est propre au bas du tubercule. Lorsque, deux ou trois ans après, on arrache le taro, le signe est demeuré sous la racine, et la propriété de la plante reste incontestée » (Leenhardt, 1947 : 244-245)

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Mythologie :


Joël Bonnemaison, auteur de "Gens du taro et gens de l’igname." (In : Mémoire de pierre, mémoire d’homme : tradition et archéologie en Océanie : hommage à José Garanger. Publications de la Sorbonne, Paris, France, 1996, pp. 389-404) compare la mythologie de l'igname avec celle du taro :


Mais la grande différence entre le taro et l'igname vient de ce qu'il n'existe pas, à ma connaissance, de grand mythe d'origine donnant une explication globale de l'apparition du taro. La plupart des clones de taro ont une histoire particulière sans signification réelle, comme le récit en deux phrases de la découverte que tel ou tel en fit un peu par hasard dans son champ ou sous une feuille. Rien qui ressemble ici à un cycle mythique complet comme celui de Saldam, l'homme découpé en morceaux.

Selon Leenhardt (937), le taro est lié à la création du monde : « Il y avait une feuille de taro et, dans cette feuille de taro, il y avait un peu de telle ( ..J c'est de cette terre que surgit la Nouvelle-Calédonie. » A. Di Piazza, (991) qui le cite, conclut à partir de ses propres observations : « Les Aracées ont habité la Nouvelle-Calédonie dès son origine et ont donné naissance à ces hommes, l'igname serait arrivée sur le territoire au terme d'un long voyage. » C'est-à-dire ensuite.

En bref, tout se passe comme si le taro avait fait partie dès l'origine du paysage végétal de l'homme mélanésien, de telle sorte qu'il n'aurait jamais éprouvé le besoin de bâtir un mythe complet pour s'en expliquer. Inversement, l'igname est « racontée » et se trouve au cœur de grands cycles mythiques. Est-ce parce que l'investissement culturel et cérémoniel sur les ignames, ou du moins certaines de ses variétés, n'eut lieu qu'à l'arrivée de groupes humains plus tardifs, ou bien parce qu'on considérait qu'intrinsèquement l'igname méritait des mythes forts, ce qui n'était pas le cas du taro ?

[...]

Cette marquetterie des systèmes agraires renvoie à deux hypothèses possibles : c'est soit un héritage ancien de peuples arrivés à des époques différentes, soit une innovation locale. Dans cette dernière hypothèse, ignames et taros feraient partie d'un même patrimoine agroculturel, provenant des berceaux du Sud-Est asiatique. Les différences dans les types de production auraient été créées sur place par les habitants de l'archipel comme pour mieux se distinguer les uns des autres. Ils auraient adapté la pointe intensive de leur système agricole aux virtualités humides ou sèches de leur milieu écologique, c'est-à-dire qu'ils auraient choisi la plante la plus adaptée pour en faire leur plante d'identité, se spécialisant ensuite dans un type de production à finalité rituelle : grandes ignames d'un côté, taro intensif de l'autre.

[...]

Au départ, il y eut donc deux groupes, arrivés à quelques siècles - peut-être même un millénaire - d'intervalle. Ils cohabitèrent par l'alliance, l'échange, la guerre, les intermariages, bref par la relation politique naturelle. Les cultures des uns et des autres s'imprégnèrent, ailleurs elles se recomposèrent dans de nouveaux syncrétismes. La mosaïque des cultures actuelles en résulte, mais également la marquetterie des systèmes agraires.

Il faut se garder toutefois de conclure à des continuités directes entre les peuples de l'origine et les systèmes agraires d'aujourd'hui. Les gens de la grande igname ne sont pas tous les descendants directs des potiers Lapita, et les gens du taro les petits-fils des gens de la montagne arrivés à une date antérieure. En trois ou quatre millénaires, les peuples se sont brassés, des innovations ont été apportées. Les derniers arrivés ont adopté des premiers la technique du taro intensif, et notamment la maîtrise de l'irrigation qu'ils ont ensuite diffusée dans de nombreuses régions de la Polynésie orientale. Mais de façon surprenante, la dualité culturale et agronomique d'origine, taro intensif ou grandes ignames, s'est maintenue, sans doute parce qu'elle permettait d'animer le jeu social et que cette dualité lui était nécessaire.

Les deux systèmes de production s'enrichissaient en effet réciproquement, ils investissaient sur l'une ou l'autre des deux faces du milieu naturel, l'humide ou le sec. Non seulement les deux agricultures se complétaient, mais chaque- genre de vie ft représentait, en cas de calamité, d'un trop-plein d'humidité ou au contraire d'une excessive sécheresse, la garantie de survie de l'autre.

Les gens du taro et de l'igname se brassèrent, mais restèrent fidèles à leur différence d'origine, non pas pour obéir à une véritable nécessité écologique, mais par souci de créer un lien social entre leurs diverses communautés et par prudence géographique. Ils manifestèrent ainsi un trait général souvent remarqué en Mélanésie: la disposition d'ouverture aux gens, aux idées et aux plantes venus d'ailleurs n'empêche nullement une fidélité inverse et passionnée à ce qui est proprement local, c'est-à-dire à ses coutumes et à ses plantes. Les gens du taro restèrent fidèles à leurs pratiques du taro intensif, les gens de l'igname à leur recherche du tubercule magnifique; ce faisant, ils devinrent matériellement complémentaires et donc politiquement solidaires, ce qui était le but recherché.

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Catherine Zuckerman, dans un article intitulé "À Hawaï, la préservation du taro s'organise" (publié le 20 février 2018) sur le site du National geographic fait référence à une légende hawaïenne :


Selon une légende locale, le taro est l'ancêtre sacré des Hawaïens. Ce légume-racine est si précieux qu'il « est surnommé avec affection "le sceptre de vie" », indique l'agro-écologue Noa Kekuewa Lincoln. Appelé kalo dans l'archipel, la plante occupe depuis des siècles une place centrale dans le régime alimentaire et la culture des habitants.

 

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